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Commission des affaires économiques

Jeudi 12 juillet 2012

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 7

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Maillard, président du directoire de RTE (Réseau de transport d’électricité)

La commission a auditionné M. Dominique Maillard, président du directoire de RTE (Réseau de transport d’électricité).

M. le Président François Brottes. Je remercie Dominique Maillard de bien vouloir nous présenter non seulement RTE mais aussi le système électrique français et européen, ce qui sera fort utile à ceux de nos collègues qui n’ont pas encore suivi ces sujets. Je propose que l’on procède un peu différemment par rapport à nos méthodes habituelles : les députés poseront d’abord leurs questions à la suite de quoi Dominique Maillard répondra de manière globale.

RTE est un acteur central dans l’organisation du réseau électrique français, jouant un rôle de « chef de gare de l’électricité » puisqu’il veille à l’équilibre permanent de notre réseau. Il s’agit pour RTE de s’assurer qu’il y a le même nombre d’électrons à la sortie qu’à l’entrée – exercice périlleux et difficile que RTE a toujours réussi à mener avec succès, quelles que soient les tensions sur le réseau. À l’inverse du débat que nous avons pu avoir hier avec France Télécom-Orange en matière de gestion des infrastructures, dans le domaine de l’électricité, nous avons conservé le principe, d’ailleurs accepté par les auteurs des directives européennes, d’un transporteur sous monopole. Bien que satellite de la maison EDF, sa gestion en est totalement indépendante. Il est vrai néanmoins que la Cour des Comptes vous a reproché, ainsi que je l’avais fait lors de mon dernier mandat, le fait qu’un certain nombre de vos actifs serve à garantir les provisions du poste nucléaire, qui relèvent plutôt de l’exploitant que du transporteur.

RTE joue également un rôle-clef en matière de sécurité des approvisionnements et est en lien permanent avec un certain nombre de pays voisins sans lesquels nous ne pourrions maintenir l’équilibre de nos réseaux, de même que, sans nous, ceux-ci ne pourraient pas non plus assurer l’équilibre des leurs. Vous vous trouvez depuis quelques années dans une situation nouvelle et êtes confronté à des situations très difficiles à gérer puisque, sur certains territoires, la production est insuffisante par rapport à la demande de consommation. La montée en puissance des énergies renouvelables vous oblige à faire le grand écart : l’intermittence de ces énergies suppose en effet que le réseau soit encore plus performant qu’auparavant. Il arrive également que l’on vous demande de raccorder une installation au réseau mais que les contentieux vous en empêchent.

Votre action est également étroitement liée à la question des tarifs de l’énergie puisque le tarif de l’électricité se décompose en plusieurs éléments. Il comprend une partie « transport » qui concerne à la fois le transport et la distribution et que les spécialistes appellent le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité ou « TURPE ». Vous négociez donc en permanence avec le régulateur afin d’obtenir les moyens d’investir grâce à ce tarif. Encore vous faut-il faire la preuve de la nécessité de réaliser ces investissements.

Mme Frédérique Massat. Monsieur Maillard, quels investissements prévoyez-vous de faire sur le réseau au cours des dix prochaines années et quelles en seraient les conséquences sur le TURPE ? Le niveau actuel du TURPE est-il adapté aux investissements qu’il vous paraît nécessaire de réaliser sur le réseau de transport d’électricité ?

La Commission de régulation de l’énergie (CRE) poursuit sa consultation publique sur le cadre de régulation du TURPE 4, qui doit entrer en vigueur le 1er août 2013. Afin de s’assurer que les utilisateurs bénéficieront du meilleur niveau de qualité possible en contrepartie des tarifs qu’ils paieront, la CRE a décidé d’introduire, dans le cadre du TURPE 3, de nouvelles incitations portant à la fois sur la maîtrise des coûts d’exploitation et sur l’amélioration de la qualité d’alimentation et de service. Dans la perspective de l’instauration des prochains tarifs, la CRE envisage d’améliorer les mesures incitatives déjà en place. Qu’en pensez-vous ? Quelles sont les orientations de votre action en la matière ?

Quant à la gestion de la pointe, elle est toujours délicate lorsque les hivers sont rigoureux. Cela ne fut guère le cas cette année à l’exception du mois de février au cours duquel nous nous étions rencontrés dans le cadre du groupe d’études sur l’énergie. Les dispositifs existants, notamment ceux de la loi « NOME » sont-ils suffisants ? Des outils supplémentaires sont-ils nécessaires ?

En quoi les actions « ÉcoWatt Bretagne » ou « ÉcoWatt Provence Azur » consistent-elles ? Quel bilan dressez-vous de ces actions et avez-vous l’intention d’étendre ces expérimentations à d’autres secteurs du territoire ?

En matière d’énergies renouvelables, la loi portant engagement national pour l’environnement dite « Grenelle 2 » prévoit la définition de schémas régionaux climat-air-énergie. Je me rappelle que vous aviez évoqué, dans le cadre de nos travaux, votre souci d’être associé en amont, tant pour la distribution que pour le transport, à l’élaboration de ces schémas, puisque vous serez vous-même amené à élaborer des schémas de raccordement au réseau des énergies renouvelables. Estimez-vous l’avoir suffisamment été ? Il est délicat de déterminer l’emplacement d’installations produisant de l’énergie renouvelable sans y associer les concepteurs des réseaux. La loi Grenelle prévoit dans un second temps un schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables. Où en êtes-vous de ce travail, au niveau national ? La loi a en effet fixé une date butoir au 12 janvier 2012, délai désormais largement dépassé.

Comment les énergies renouvelables s’intègrent-elles au réseau de transport, sachant que l’objectif de diminution de la part du nucléaire de 75 à 50 % nécessitera un développement encore plus important de ces énergies ? Comment RTE va-t-il adapter ses méthodes d’exploitation à ce développement afin de garantir la sûreté d’un système électrique en évolution ? Existe-t-il des files d’attente pour les demandes de raccordement au réseau RTE ?

Quels investissements sont-ils possibles et souhaitables en matière d’interconnexions ? Certaines sont plus difficiles que d’autres. Étant élue des Pyrénées, région de montagne, je souhaiterais en savoir davantage sur la liaison avec l’Espagne. En effet, la Banque européenne d’investissement a accordé un prêt de 175 millions d’euros à Red Eléctrica de España, correspondant à la partie espagnole du financement de la liaison d’interconnexion franco-espagnole. Où en est la France, étant donné les difficultés de traversée des Pyrénées ?

Vous indiquez dans un rapport relatif à la sûreté qu’une décision de la Cour d’appel de Paris a conduit à autoriser qu’un réseau privé soit raccordé au réseau public de transport. Des installations privées, de production notamment, pourraient donc être raccordées au réseau public sans que les prescriptions techniques, légales et réglementaires, s’ appliquent à ces installations. Cette décision ouvre potentiellement une brèche dans notre système de sûreté. Comment comptez-vous résoudre ce problème ?

Quelle est votre politique en matière de recherche et développement ?

D’ici à septembre, un débat sur l’énergie va être engagé, auquel vous participerez. Le transport et la distribution d’électricité constituent en effet des axes majeurs de ce débat. Quels sont pour vous les grands enjeux de la politique énergétique française dans le contexte européen voire mondial ?

Quelles actions menez-vous pour intégrer les personnes en situation de handicap ?

Enfin, le « bug » d’Orange a-t-il été préjudiciable à votre activité ? En avez-vous subi des conséquences financières ?

M. Lionel Tardy. Je souhaite la bienvenue au président du directoire de RTE aux Jeudis de l’énergie. Cette excellente initiative nous permettra, tout au long de ce trimestre, de faire le point sur l’ensemble des enjeux énergétiques.

Les réseaux de distribution d’énergie intelligents, plus communément appelés smart grids , utilisent des technologies informatiques de manière à optimiser la production, la distribution et la consommation. Ils permettent ainsi de mieux mettre en relation l’offre et la demande entre les producteurs et les consommateurs d’électricité. Le recours aux technologies informatiques devrait permettre d’économiser l’énergie, de sécuriser le réseau et d’en réduire les coûts. Ces réseaux d’électricité intelligents répondent également à la nécessité de diminuer les émissions de gaz à effet de serre et donc de lutter contre le dérèglement climatique. Quelle est la stratégie de RTE en ce domaine pour les prochaines années ? Quels investissements sont-ils prévus ? Quel rôle comptez-vous jouer au niveau européen ?

En matière d’effacement diffus des réseaux, la France se doit, sous la responsabilité de RTE, d’équilibrer à tout instant l’offre et la demande d’électricité, en particulier en période de pointe hivernale. Or, les pointes de consommation continuent à s’accroître plus rapidement que la consommation totale. Aux solutions classiques d’importation d’électricité ou de mise en route de centrales de production plus coûteuses, s’ajoutent désormais progressivement les possibilités d’effacement. La loi « NOME » y fait d’ailleurs référence. La société Voltalis est très active en la matière, notamment en Haute-Savoie. Toute séduisante qu’elle soit, l’idée d’effacement n’en est qu’à ses balbutiements et pose à la chaîne des opérateurs que sont les producteurs, les fournisseurs et les distributeurs, des problèmes de répartition des coûts et de mesure physique de l’effacement. Comment RTE fait-il progresser cette question ? Quelles difficultés rencontre-t-il et quelles sont les échéances prévisibles pour définir un mode de fonctionnement efficace et satisfaisant toutes les parties ?

Quant aux capacités de production de la France, la loi « NOME » prévoit l’obligation pour les fournisseurs d’électricité de justifier de leur capacité de production – de manière directe en tant que producteurs ou indirecte par le biais de l’achat sur un marché de capacité. Cette obligation vise à inciter les nouveaux entrants à réaliser de nouveaux investissements en matière de production afin d’assurer l’équilibre entre l’offre et la demande. Comment ce mécanisme garantira-t-il la réalisation de nouveaux investissements au lieu que ne se mette en place un marché financier valorisant les productions existantes ? Ces obligations conduiront-elles à ce qu’à terme, seuls les grands opérateurs de la production puissent être fournisseurs ?

Qu’en est-il du projet Savoie-Piémont qui comprend la construction d’une nouvelle liaison électrique souterraine en courant continu ? Quelle est votre vision des interconnexions entre États ? Il existe actuellement 46 interconnexions entre la France et six États frontaliers qui pourraient conduire à la mise en place d’une politique de réseau européen de l’électricité. Un telle politique permettrait d’optimiser les atouts de chaque pays : l’éolien au Danemark, les barrages en Norvège et dans les Alpes, le nucléaire en France, le solaire en Espagne ... Ou faut-il au contraire privilégier des solutions locales étant donné les problèmes de déperdition d’énergie rencontrés lors du transport d’électricité ?

M. André Chassaigne. J’évoquerai tout d’abord l’évolution du parc de production éolien et photovoltaïque et le raccordement au réseau des installations de production d’énergies renouvelables. L’année dernière, le développement des panneaux photovoltaïques, jugé trop rapide, a été bloqué au motif qu’il était impossible de raccorder la totalité des installations au réseau étant donné que cela supposait des dépenses considérables. La même question se pose face au développement des champs d’éoliennes : leur raccordement est parfois considéré comme un obstacle et l’on privilégie parfois certaines installations par rapport à d’autres. La question du coût de raccordement et de sa prise en charge se pose alors. Comme le dit un proverbe, « ce sont ceux qui paient les pipeaux qui commandent la musique.» Êtes-vous associé aux décisions prises dans ce cadre ?

La régionalisation de la production d’électricité est une idée à la mode. Elle relève d’une recherche d’autonomie fondée sur une production de proximité. Permet-elle d’assurer la sécurité d’approvisionnement en électricité ?

Quant à la société RTE, elle fonctionne comme une plateforme d’intervention comprenant des équipes « postes », qui interviennent sur la maintenance des postes, des cellules et des transformateurs, et des équipes « lignes » intervenant sur les grandes lignes de plus de 100 000 volts et ayant un savoir-faire exceptionnel. Les équipes de proximité ont la connaissance du terrain et la compétence nécessaire ; or, il semblerait que l’on assiste à une centralisation des personnels sur certaines plateformes, par exemple sur celle de Lyon pour les équipes se trouvant à Clermont-Ferrand.

Enfin, RTE est une société anonyme, entreprise de service public. Quels en sont les statuts ? Arrive-t-il que vos capacités d’intervention soient entravées ? Faut-il pérenniser ce statut de société anonyme ? Je demeure, pour ma part, très attaché à une maîtrise publique de l’énergie – notamment de son transport.

M. Antoine Herth. Le problème du raccordement des installations photovoltaïques des particuliers au réseau a été traité avec grande difficulté. Le moratoire décidé par le Gouvernement précédent fut un coup de tonnerre dans un ciel apparemment bleu. De fait, il existe une zone grise entre ceux qui demeurent soumis à un tarif par opposition à ceux qui n’y sont plus soumis. Le règlement de ces litiges se heurte à une difficulté d’organisation administrative puisqu’il est beaucoup plus difficile d’obtenir une réponse de RTE qu’en cas de litige avec l’administration fiscale. Pour RTE, est-il préférable que le développement de la filière photovoltaïque soit le fait de grands opérateurs plutôt que d’une myriade de petits particuliers ? Faut-il définir une planification à l’échelle régionale ou peut-on s’en tenir à des objectifs nationaux ? RTE souhaite-t-il vraiment exercer ce métier d’interlocuteur à l’égard de ces opérateurs ? Ne faudrait-il pas au contraire introduire un nouvel échelon dans votre organigramme, une structure chargée de faire l’interface avec les particuliers demandeurs de raccordement ?

M. le président François Brottes. Je rappelle que c’est ERDF, gestionnaire du réseau de distribution, qui intervient dans la procédure pour les petits raccordements.

M. Jean Grellier. La production des énergies renouvelables est fondée sur un système de rachat auprès des différents producteurs, quelle que soit leur importance. Existe-t-il des techniques permettant de privilégier l’autoconsommation tout en assurant une péréquation du prix ?

Existe-t-il des perspectives de stockage d’électricité d’origine éolienne ou photovoltaïque ?

M. Henri Jibrayel. Comptez-vous poursuivre l’opération « ÉcoWatt Provence Azur » ? Qu’en est-il du filet de sécurité et des projets prévus dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur ?

M. Dominique Maillard, président du directoire de RTE. Les questions posées me permettront de traiter une grande partie des enjeux qui nous concernent. En outre, la représentation nationale peut nous aider à résoudre un certain nombre des problèmes que nous rencontrons.

À la page 6 du document qui vous a été distribué, vous trouverez une présentation des différents modèles d’organisation existant en Europe en matière de transport d’électricité. En Europe, le modèle de transport d’électricité – c’est-à-dire d’acheminement entre les moyens de production et l’ensemble des consommateurs, distributeurs assurant la fourniture de détail – est unique. En revanche, la manière dont sont organisées la propriété des entreprises et la répartition entre les infrastructures et leur exploitation présente des différences.

On recense trois modèles.

La France, la Suisse – plaque tournante en matière d’électricité, ayant conclu des accords avec la France bien qu’elle ne soit pas membre de l’Union européenne –, l’Autriche, la Hongrie, la Croatie, la Grèce, la Bulgarie et l’Estonie suivent le modèle dit « ITO » dans lequel l’opérateur de transport est indépendant. En d’autres termes, l’opérateur est une filiale de l’ancien monopole – modèle dominant avant l’entrée en vigueur des directives ayant organisé la libéralisation du marché – mais est propriétaire des actifs du réseau et responsable de l’exploitation. Le fait que ces opérateurs soient des filiales de l’opérateur historique – qui, sans être en situation de monopole, se trouve toujours en position dominante – a conduit les auteurs des directives à imposer aux ITO une série d’obligations permettant de garantir la neutralité de leurs interventions à l’égard des tiers. Pour citer en exemple l’une des règles exorbitantes du droit commun des entreprises, nos investissements et nos tarifs sont décidés non pas par notre actionnaire mais par la Commission de régulation. Nous disposons d’une communauté de statut du personnel même s’il existe des dispositifs spécifiques en matière de rémunération et d’intéressement, par exemple.

En revanche, dans le deuxième modèle, actuellement dominant en Europe, les gestionnaires de réseau de transport (GRT) sont indépendants. Ils n’ont donc plus de liens patrimoniaux avec l’opérateur historique. C’est le cas chez nos grands voisins : l’Espagne, l’Italie, la Grande-Bretagne, la Belgique et l’Allemagne – en raison de leur fédéralisme, les Allemands disposent d’ailleurs d’un modèle composite constitué de quatre opérateurs de réseau de transport situés dans quatre zones contiguës.

Enfin, le troisième modèle dit « ISO » (opérateur de système indépendant) est parfois cité car il s’est également développé aux États-Unis. Obnubilés par les lois anti-trust, les Américains se sont ingéniés à interdire aux opérateurs de transport d’un État donné de travailler dans l’État voisin. Les facteurs d’échelle les ont néanmoins conduits à développer un modèle dans lequel la propriété des actifs a été dissociée de l’exploitation des ouvrages. Il existe donc, d’une part, un propriétaire des actifs et, d’autre part, un opérateur exploitant et faisant fonctionner le réseau même s’il est détenu par plusieurs propriétaires. Ce modèle n’est utilisé en Europe que par les Écossais et partiellement par les Irlandais. Les Italiens l’avaient adopté pour ensuite y renoncer en raison d’un certain nombre de problèmes. Ce modèle n’est guère viable, les intérêts du propriétaire n’étant pas nécessairement ceux du « locataire », comme on le voit dans d’autres domaines. Même si l’on développe un arsenal réglementaire, le système finit toujours par poser problème.

En tant qu’acteurs, nous sommes satisfaits du modèle français mais la décision d’en changer se trouve entre les mains des gouvernements. L’Allemagne avait soutenu la France afin de faire prévaloir ce système qui a ensuite évolué.

Les échanges sont nombreux depuis longtemps en Europe, sans que l’on ait eu besoin d’attendre la publication de directives européennes sur le sujet. Je vous renvoie ici aux pages 18-19 et suivantes du document distribué. La construction de l’Europe de l’électricité a commencé dans les années 1950. Il y a même une querelle entre énergéticiens, opposant les charbonniers avec le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) aux nucléaires avec le traité Euratom. Aucun traité européen sur l’électricité ne fut alors conclu mais, dès 1951, un accord fut signé entre les opérateurs – qui, à l’époque, exerçaient une activité intégrée de production, de transport et de distribution – visant à les faire travailler en commun et à leur permettre de disposer de normes communes. L’Europe n’a donc absolument pas à rougir et me paraît même plus avancée que les États-Unis en la matière. Ces derniers ne disposent en effet que de quatre zones interconnectées et de cinq niveaux de très haute tension alors que l’Europe a réussi à élaborer des normes uniques et à mettre en place un échange d’électricité (en 400 000 volts ou en 225 000 volts). Sur la page 18, tous les réseaux situés dans les pays colorés en rouge fonctionnent de manière interconnectée c’est-à-dire synchrone. En d’autres termes, leur coeur électrique bat au même rythme. Cela présente l’avantage qu’en cas de difficulté ou de défaillance dans l’un de ces pays – par exemple, si une centrale doit s’arrêter pour raison d’urgence –, une compensation s’instaure automatiquement entre les moyens de production de l’ensemble de ces pays. Une centrale portugaise cessant de fonctionner peut donc voir sa production compensée depuis la Pologne. La fréquence, calée sur 50 hertz, joue alors le rôle de juge de paix.

Cela étant, un incident chez l’un de ces opérateurs peut aussi s’étendre aux autres. Cela nous est arrivé pour la dernière fois il y a six ans, en novembre 2006. En dehors de ce risque majeur, tous les jours, l’interconnexion synchrone permet – à l’insu du consommateur – d’assurer cette solidarité, véritable secours mutuel invisible. Je suis donc favorable à cette interconnexion et à son renforcement.

Tous les pays européens ne font pas partie de cette zone d’interconnexion. En effet, la Scandinavie est séparée du continent par un bras de mer. Par conséquent, l’interconnexion en courant alternatif – qui permet la synchronisation – y est techniquement difficile à réaliser. Elle était même impossible jusqu’il y a peu. C’est également le cas de la Grande Bretagne et de l’Irlande. Les pays Baltes sont confrontés à un problème politique car ils demeurent arrimés au réseau russe : lors des dispatchings, leur langue de travail est d’ailleurs aussi le russe. Si l’on avait prolongé la carte vers le Sud, vous auriez également vu apparaître en rouge les pays du Maghreb auxquels s’étend l’interconnexion synchrone. La Turquie devrait en faire partie prochainement, elle aussi.

Comme l’illustre la page 19, la France est « interconnectée » avec tous ses voisins. Mme Loyola de Palacio, ancien grand commissaire européen, chargée entre autres de l’énergie, affirmait la nécessité que la capacité d’interconnexion d’un État de l’Union européenne avec ses voisins corresponde au moins à 10 % de sa puissance maximale appelée. Notre puissance de pointe étant de 100 000 mégawatts (MW), l’objectif était donc pour la France de disposer de 10 000 MW de capacité d’interconnexion. Pour vous donner un ordre de grandeur, une tranche nucléaire correspond à 1000 MW. Globalement, nous disposons effectivement de ces 10 % – mais de manière inégale. Par exemple, la capacité d’interconnexion de la France avec l’Espagne, qui, géographiquement et électriquement, constitue quasiment une péninsule, n’est que de 1400 MW, chiffre qui se situe très largement en dessous du taux de 10 %. Les capacités d’interconnexion dont nous disposons avec les pays frontaliers sont utilisées dans les deux sens. Le solde fait apparaître que le système électrique français exporte davantage qu’il n’importe. Cela étant, en période de pointe, nous importons parce qu’il est plus intéressant pour les fournisseurs du marché français de recourir à des moyens de production étrangers car cela peut revenir moins cher que de faire démarrer d’éventuels moyens de production nationaux. En 2011, la France a exporté 10,8 milliards de kilowattheures (kWh) vers l’Allemagne, mais en a importé 8,4. En termes de solde, la France est donc exportateur dans tous les pays voisins mais importe parfois aussi depuis ces pays.

M. le président François Brottes. Permettez-moi de rappeler que c’est par nécessité que l’on importe et que l’on exporte. Il ne s’agit donc pas d’un flux d’échanges comparable à ceux du commerce extérieur classique.

M. Dominique Maillard. Certes, mais le prix guide néanmoins ces échanges. Nous ne sommes ni producteurs ni consommateurs mais responsables de la fiabilité des échanges et, par conséquent, amenés à fixer des quotas et des contraintes pour les opérateurs ou par l’intermédiaire de bourses européennes de l’électricité. Les interconnexions sont gérées, dans le respect des directives européennes, selon un système d’enchères. J’ignore si le système est vertueux mais il permet la fixation de limites. Si le mégawattheure d’électricité est plus cher en Allemagne qu’en France, les opérateurs allemands souhaiteront importer l’électricité française. Si c’est le cas de tous les opérateurs, cela entraînera une congestion à la frontière franco-allemande, la capacité physique d’échange limitant les échanges commerciaux. Pour déterminer qui aura droit à l’électricité chère venant d’Allemagne, on organise une enchère. Chaque opérateur indique sa propension à payer , qui est limitée par la marge existant entre le prix à l’importation et le prix pratiqué sur le territoire. Les recettes d’enchères sont partagées équitablement entre les opérateurs de réseau des deux côtés de la frontière, aussi bien à l’importation qu’à l’exportation.

Plusieurs questions ont été posées en matière de développement des énergies renouvelables. Comme l’illustre la page 13, la France n’est pas le pays qui a développé le plus tôt et de la manière la plus importante qui soit le recours aux énergies renouvelables pour la production d’électricité.

Le chiffre d’affaires de RTE s’élève à environ 4 milliards d’euros. Il couvre nos dépenses ainsi que l’amortissement de nos investissements. Ce modèle économique est sain. Nous ne sollicitons pas le contribuable. C’est le consommateur d’électricité, d’aujourd’hui ou de demain – puisqu’il nous arrive de nous endetter –, qui paie intégralement le transport de celle-ci. Sur ces 4 milliards, environ 3,6 à 3,7 milliards proviennent de l’application de tarifs fixés par le régulateur et qu’il nous est interdit de négocier, pour des raisons d’équité et de neutralité. Cette tarification dépend de la puissance souscrite et est supportée par les utilisateurs du réseau : soit les gros consommateurs soit les distributeurs qui sont nos intermédiaires avant le consommateur final. La part restante est constituée par nos recettes d’interconnexion. Cette part peut varier de 100 à 200 millions d’euros d’une année sur l’autre, selon l’intensité des échanges. Il s’agit donc d’un facteur d’incertitude important.

M. Lionel Tardy. Des échanges ont-ils lieu entre les différentes zones d’interconnexion, entre l’Allemagne et les pays baltes par exemple ?

M. Dominique Maillard. Il peut y avoir des échanges physiques via des liaisons asynchrones en courant continu, mais il n’y a pas de solidarité instantanée, qui n’est possible que dans un réseau synchrone. Ces liaisons en courant continu fonctionnent comme des sortes de barrières coupe-feu : elles interrompent la propagation d’un incident, mais elles n’empêchent pas les échanges physiques.

M. Lionel Tardy. Quand le Danemark, par exemple, fait appel à la Norvège pour faire face à une pointe de consommation, cela peut-il déséquilibrer l’ensemble du réseau européen ?

M. Dominique Maillard. C’est en effet possible, sachant que le Danemark présente la particularité d’être aussi en interconnexion avec le reste du continent. Il faut savoir qu’une liaison en courant continu se règle comme le débit d’un robinet, soit à l’exportation, soit à l’importation. En revanche, une liaison en courant alternatif s’équilibre automatiquement, sans intervention humaine, comme dans un système de vases communicants.

Pour revenir au sujet des énergies renouvelables, si leur développement a été tardif en France, leur croissance est désormais relativement régulière. La capacité de production d’énergie éolienne croît d’environ 1 000 MW chaque année. Si le rythme de croissance du photovoltaïque est plus heurté, 2011 a vu la mise en service de 1 500 MW de capacité de production d’énergie photovoltaïque, soit plus que d’énergie éolienne. Même si ce que vous avez dit de l’évolution du régime de soutien laisse penser que le volume de raccordements retombera en 2012 aux alentours de 1 000 MW, l’objectif de 5 400 MW, inscrit dans la programmation pluriannuelle des investissements, sera certainement atteint bien avant 2020.

RTE est responsable des raccordements au réseau à très haute tension, monsieur Herth, alors que la majorité des installations éoliennes existantes et la totalité des installations photovoltaïques sont raccordées au réseau de distribution, géré par ERDF, parce qu’elles ne dépassent pas les 10 ou 20 MW. Les installations de production d’énergies renouvelables qui dépasseront ce niveau – certaines sont en projet – se raccorderont au réseau de distribution. Nous ne nous désintéressons cependant pas des conséquences de ces raccordements pour le réseau de distribution, la somme de ces raccordements induisant une baisse apparente de la consommation.

En outre, dans certaines zones de production relativement concentrée d’éolien ou de photovoltaïque, il faut avoir la capacité de faire transiter l’énergie. Dans la Somme, par exemple, où la pointe de consommation est de l’ordre de 300 MW, on projette de produire 1000 MW d’énergie éolienne. Notre défi est d’adapter notre réseau à ce niveau de production, ce qui nécessite parfois de renforcer notre réseau. Pour l’instant, on ne peut pas garantir à nos collègues de la distribution la capacité de faire transiter en toutes circonstances plusieurs centaines de mégawattheures supplémentaires : la France n’est pas une plaque de cuivre. Tout l’intérêt des schémas de raccordement est qu’ils nous permettent d’identifier les zones où le réseau devra être renforcé.

Le grand défi de la transition énergétique impliquera un changement de localisation des moyens de production, d’autant que toute une série de centrales classiques vont être déclassées en application de la directive « grandes installations de combustion ». Certains des sites actuels de production d’électricité sont donc appelés à disparaître, et de nouveaux seront créés ailleurs, peut-être dans des zones portuaires pour les cycles combinés gaz ou, pour les énergies renouvelables, là où il y a suffisamment de vent, de soleil, ou des installations biomasse : adapter notre réseau à cette nouvelle géographie des moyens de production sera un autre défi à relever.

M. le président François Brottes. La transition énergétique suppose des investissements très importants dans le réseau, et de ce fait une augmentation du TURPE, qui, conjuguée avec celle de la CSPE, risque de rendre les tarifs de l’électricité difficilement supportables pour les entreprises et les ménages.

M. Dominique Maillard. Aujourd’hui un ménage moyen paye son électricité environ 100 euros le megawattheure, 120 avec les taxes. Ce coût total se répartit entre le coût de l’énergie elle-même – environ 56 % de cette somme –, la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, qui finance à la fois la péréquation tarifaire, la cogénération, le soutien aux énergies renouvelables et le tarif social, et enfin les coûts de distribution et de transport. Nous sommes aujourd’hui à un point de basculement, la part du coût du transport dans la facture des particuliers étant désormais inférieure à la CSPE, et ce décalage est appelé à s’accentuer.

Le coût de la distribution est beaucoup plus important que celui du transport, le réseau d’ERDF, capillaire et diffus, étant beaucoup plus étendu que le nôtre, et son niveau de tension plus faible, d’où des pertes plus élevées – nous disposons de 100 000 kilomètres de lignes, alors que le réseau de distribution représente près de deux millions de kilomètres. En outre, ERDF dessert 30 millions de consommateurs, alors que nous ne desservons que 500 gros clients raccordés directement au réseau et environ 400 producteurs : ils font du prêt-à-porter là où nous faisons du sur-mesure. Quoi qu’il en soit, nous ne sommes donc responsables du coût des tarifs qu’à hauteur de 7 % de celui-ci. Or, comme pour toute entreprise, de nouveaux investissements entraînent pour nous des besoins de financement.

Pour un effectif de 8 500 personnes, dont les deux tiers directement chargés de l’exploitation et de la maintenance physique du réseau, nos investissements se sont élevés en 2011 à près de 1,2 milliard d’euros. Ceux-ci progressent rapidement, puisque, en euros courants, nous investissons deux fois plus qu’il y a cinq ans, et que nous comptons augmenter nos investissements d’environ 10 % par an, pour atteindre 1,7 milliard d’euros à l’horizon 2016-2017.

Ces investissements sont certes financés par notre excédent brut d’exploitation, mais nous devons recourir à l’emprunt pour couvrir nos besoins de trésorerie. C’est de la bonne dette, puisqu’elle finance de l’investissement, et non un déficit. Nous avons d’ailleurs l’approbation des investisseurs – ils apprécient en outre le caractère tangible des investissements dans les infrastructures –, puisque nous sommes notés A +.

Notre dette est d’environ 7 milliards d’euros. Cela représente certes un ratio élevé, mais ces investissements ont une durée de vie longue – cinquante ou soixante ans pour une ligne électrique –, avec des durées d’amortissement proportionnelles. Le système est donc équilibré sur la durée, même si nous avons des besoins immédiats de trésorerie.

S’agissant des perspectives tarifaires pour les dix prochaines années, nous sommes en pleine discussion avec le régulateur. Nous lui avons indiqué que nous avions besoin d’un tarif indexé sur l’inflation + 1 point, ce point représentant notamment l’alourdissement de nos coûts imposé par l’augmentation des contraintes qui pèsent sur nous, telles que l’enfouissement de nos lignes par exemple.

M. le président François Brottes. Cela signifie-t-il qu’à chaque fois qu’on vous empêche de poser des lignes indispensables, notamment pour gérer l’intermittence, cela coûte au consommateur ?

M. Dominique Maillard. Notre mission étant de garantir l’approvisionnement, nous sommes contraints d’organiser autrement les flux et de demander aux producteurs de modifier leur plan de production, le surcoût étant à notre charge. Cette charge supplémentaire, appelée coût de congestion, se répercute en effet sur le prix payé par le consommateur. Ce surcoût étant généré par des insuffisances locales du réseau, le renforcement de celui-ci nous permettrait d’assurer la prestation sans rien demander aux producteurs.

Dans certains cas cependant, comme en Bretagne ou en région PACA, qui sont, pour diverses raisons, de véritables « péninsules électriques », nous sommes face à un risque de délestage. S’il ne s’est pas réalisé jusqu’ici en Bretagne, il n’a pas toujours pu être évité en PACA. La fourniture d’électricité étant une mission de service public, nous avons considéré que nous avions le devoir d’informer et de sensibiliser les consommateurs à ce risque. C’est pourquoi nous avons mis en place en Bretagne et en région PACA le programme gratuit ÉcoWatt, fondé sur le volontariat. Ces opérations ont été un succès. En Bretagne comme en PACA, 40 000 à 50 000 abonnés ont participé au programme.

Nous sommes cependant à la recherche de solutions plus pérennes. Un certain nombre d’acteurs – ADEME, conseils généraux et autres – se sont déjà engagés dans des actions visant à éviter ou à ralentir la progression de la pointe, notamment en favorisant l’isolation des logements par exemple. La Bretagne consent des efforts importants pour mettre en place une production d’énergie locale, notamment éolienne. Dans cette région, le Gouvernement a lancé un appel d’offres pour la construction d’une centrale à cycle combiné gaz.

Dans les deux cas, nous proposons de renforcer le réseau par la mise en place de ce qu’on appelle un « filet de sécurité », c’est-à-dire un renforcement sous-jacent. C’est la solution que nous avons retenue en PACA : après que le Conseil d’État a annulé la déclaration d’utilité publique de notre projet de ligne aérienne de 400 000 volts dans les Gorges du Verdon, nous avons décidé de renforcer le réseau sous-jacent à 225 000 volts, solution plus coûteuse et moins efficace. En Bretagne, nous allons réaliser une grande première européenne : cent kilomètres de liaison souterraine de 225 000 volts en courant alternatif. Commencée il y a quinze jours, elle devrait être en service d’ici deux ans et demi.

M.  le président François Brottes. La réalisation de lignes souterraines est-elle soumise au même régime d’autorisation que celle des lignes aériennes ?

M. Dominique Maillard. C’est un peu plus facile lorsque la liaison doit passer par la voie publique ou à proximité. Jusqu’à une date récente cependant, il était interdit de construire une ligne dans l’emprise des autoroutes ou des lignes à grande vitesse. Nous avons obtenu un aménagement de la réglementation, qui nous permet désormais d’emprunter ces voies. Nous utiliserons cette faculté pour la construction de la ligne Savoie-Piémont, qui suivra le tracé de l’autoroute. Cette solution a l’avantage d’utiliser les infrastructures existantes en évitant de réaliser de nouvelles emprises.

Je pense que d’autres assouplissements de la réglementation sont souhaitables. Ainsi notre régime de soumission à la Commission nationale du débat public est plus strict que celui qui prévaut pour nos amis gaziers, ce qui est paradoxal. Puisque la collectivité veut privilégier les ouvrages souterrains, il faut qu’elle nous permette de disposer d’une procédure adaptée à ce type d’ouvrages.

Le régulateur, madame Massat, revendique la pratique de la régulation incitative, comme un aiguillon qui nous pousserait à améliorer nos performances, notamment en matière de temps de coupure. Le fait est qu’en 2011, RTE a obtenu son meilleur résultat de l’histoire du réseau de transport en matière de temps de coupure équivalent. Le régulateur nous incite également à améliorer notre maîtrise des dépenses d’exploitation, sachant qu’il y a des frais incompressibles, tels que l’achat d’énergie pour la compensation des pertes, dont le coût dépend du prix du marché.

M. le président François Brottes. Quel est le poids des pertes ?

M. Dominique Maillard. Le législateur français a imposé au transporteur et aux distributeurs de compenser les pertes d’électricité dues à cette loi physique qu’on appelle l’effet Joule. Pour fournir 100, il faut produire environ 107, la différence de 7 étant ce qui est perdu dans le transport ou la distribution – 2 pour le transport, 5 dans la distribution. Cette obligation a fait des transporteurs et des distributeurs les principaux acteurs du marché de l’électricité. Nous avons déjà acheté pratiquement les quatre cinquièmes des pertes estimées pour 2012, pour 700 millions d’euros, soit 20 % de nos charges.

M. le président François Brottes. Quel a été le coût pour ERDF ?

M. Dominique Maillard. Je l’évalue à environ 1,8 milliard d’euros.

M. le président François Brottes. Ce qui fait dire au patron du CEA que c’est l’équivalent de deux réacteurs nucléaires pour chauffer les pattes des oiseaux.

M. Dominique Maillard. On cherche une technologie qui permettrait de réduire cet effet joule. Ce pourrait être la supraconductivité, qui annule la résistance, pourvu qu’on trouve les matériaux idoines transportant l’électricité à des températures extrêmement basses – proches du zéro absolu. Cela dit, pour l’instant, le bilan n’est pas positif car, pour réfrigérer, il faut consommer de l’énergie. Mais peut-être que, dans deux, trois ou quatre décennies, on pourra disposer de procédés de supraconductivité à des températures proches des températures ambiantes.

On peut aussi optimiser le volume des pertes dans un réseau donné. C’est tout l’intérêt des smart grids, qui permettraient d’introduire plus d’intelligence dans les réseaux. Ce qui limite l’intensité d’énergie qui transite dans un réseau, c’est l’élévation de température : quand la température d’un câble s’élève – d’environ une centaine de degrés –, il s’allonge ; or, il ne faut pas que le câble s’allonge jusqu’à être trop proche de la terre. Jusqu’à présent, on appliquait des normes uniformes ; or,en hiver, les conditions de réfrigération des câbles ne sont pas les mêmes qu’en été. Par conséquent, on s’est dit que si on était capable de mesurer les conditions de l’environnement à proximité des câbles, on pourrait optimiser : et c’est ce qu’on fait maintenant en adaptant les normes aux conditions météo, ce qui nous permet d’avoir une meilleure valorisation de nos câbles.

On peut également changer de modèle afin de rapprocher le lieu de la production de celui de la consommation. Sur le plan purement théorique, les énergies renouvelables sont de ce point de vue une bonne source d’énergie primaire, chacun pouvant produire son électricité – à terme, si chacun produit son électricité, on n’a plus besoin de transport. Cependant le schéma de production décentralisée a ses limites, les énergies renouvelables étant des énergies diffuses et dispersées. Produire autant d’énergie qu’une centrale thermique classique nécessite un nombre considérable de panneaux solaires ou d’éoliennes. De ce fait, plus on voudra recourir aux ENR, plus il faudra concentrer les moyens de production, comme le montrent les projets d’éolien offshore, qui prévoient des parcs de production de 500 MW, soit l’équivalent d’une tranche d’une centrale à cycle combiné.

Le seul moyen de s’affranchir définitivement du réseau réside dans le stockage, pourvu qu’on parvienne à élaborer des procédés de stockage – concentré ou diffus – fiables et économiquement rentables. Et ce jour là, mon successeur mettra la clé sous la porte et devra gérer la reconversion des personnels.

Le stockage hydraulique, procédé le plus commode, est déjà utilisé, via les stations de transfert d’énergie par pompage, les STEP. Malheureusement, ces STEP sont sous-utilisées, notamment parce qu’elles sont pénalisées par la politique tarifaire : elles paient à la fois en tant que sous-tireur d’électricité et en tant qu’injecteur...

Il y a aussi le stockage par air comprimé, dont le rendement est assez bon, mais il faut disposer des réservoirs géologiques suffisants.

Enfin, le stockage sous forme chimique présente de nombreux inconvénients, notamment sur le plan environnemental.

Quoi qu’il en soit, si nous assurons une veille technologique sur cette question, ce sont les producteurs qui sont concernés au premier chef par ce potentiel d’innovation.

M. le président François Brottes. Nous ferons une séance spécifique sur ce sujet. Si on peut réduire les perspectives de quelques décennies, ce serait une bonne chose

M. Dominique Maillard. Il y a également un lien avec la supraconductivité : on pourrait stocker dans des anneaux en circuit fermé dans lesquels les électrons tourneraient en rond, sans perte ; on pourrait récupérer l’énergie ensuite.

S’agissant des pointes de consommation, elles ont lieu à 19 heures en hiver et plutôt à midi en été. Elles sont passées de moins de 80 000 MW en 2001 à plus de 100 000 aujourd’hui, alors que la consommation n’a dans le même temps progressé que de 5 ou 6 %. Cette évolution découle du choix fait par notre pays du chauffage électrique, à l’origine de la « thermosensibilité » de notre consommation d’électricité : en France, un degré de moins en température, c’est 2 300 MW de plus. Nous pouvons nous consoler en constatant qu’en dépit de son choix de privilégier le chauffage au gaz, l’Allemagne a craint autant que nous de ne pas pouvoir faire face à la période de grand froid de février dernier – d’autant que Gazprom avait indiqué qu’il alimenterait d’abord Moscou avant de mettre du gaz dans les tuyaux.

M. le président François Brottes. Pensez-vous que le mix énergétique allemand est devenu aussi vertueux que certains le prétendent ?

M. Dominique Maillard. La sensibilité politique à la dépendance énergétique est historiquement moins forte en Allemagne qu’en France : dépendre du gaz russe ne leur semble pas rédhibitoire, les Allemands estimant que les liens commerciaux qu’ils ont tissés avec leur fournisseur font qu’ils peuvent compter sur sa fiabilité. Une telle attitude est cohérente avec leur refus du nucléaire.

L’intégration des énergies renouvelables (ENR) pose d’abord un problème de raccordement au réseau, puisque les ENR sont localisées là où il y a une ressource ou un potentiel.

Je vous confirme que RTE est associé à l’élaboration des schémas régionaux climat air énergie (SRCAE) et des schémas de raccordement au réseau des énergies renouvelables. Avant même leur institution réglementaire, nous avions développé des procédures d’information de notre propre initiative, en liaison avec les opérateurs – je pense au Syndicat des énergies renouvelables (SER). Nous avons par exemple défini sur notre site internet des zones dans lesquelles existe un potentiel de raccordement. Cette démarche avait été plutôt bien perçue par les investisseurs, qui tiennent compte, dans le choix des sites, de l’existence d’une ressource, des conditions d’acceptation locales et des conditions de raccordement. De même, le Gouvernement nous avait-il demandé, dans la définition du premier et du second appel d’offres sur l’éolien offshore, de lui indiquer les conditions de raccordement. Le gestionnaire du réseau public de transport est tenu de produire les schémas régionaux de raccordement dans un délai de six mois à compter de l’établissement du SRCAE. Certes, il y a eu un certain retard, mais les premiers SRCAE – Picardie, Champagne-Ardenne – sont maintenant sortis. Le compte à rebours a donc commencé. J’ai une vision assez positive de ces nouveaux outils, qui permettront d’éclairer l’ensemble des acteurs, y compris les investisseurs potentiels, sur les délais et la faisabilité des projets et devraient aider à la gestion des files d’attente.

Nous serons bien sûr partie prenante dans le débat énergie. Nous sommes d’ailleurs tenus par la loi de produire tous les deux ans un « bilan prévisionnel ». À partir de nos estimations quant à l’évolution de la demande, des déclarations des producteurs et des capacités d’import-export, nous indiquons si le bilan est ou non équilibré et tirons le cas échéant la sonnette d’alarme. Si les investisseurs ne peuvent sortir de projets, le Gouvernement a alors la ressource de lancer des appels d’offres pour compenser l’écart dans le cadre de la programmation pluriannuelle des investissements (PPI). Cette procédure est régulièrement utilisée : au-delà des dispositifs d’aide et d’incitation, le Gouvernement a par exemple lancé des appels d’offres sur les énergies renouvelables dans ce cadre, car il a considéré que les objectifs européens ne seraient pas atteints spontanément.

J’en viens à la recherche et développement (R&D). RTE est l’un des rares transporteurs d’électricité en Europe à avoir maintenu un effort en la matière. Notre régulateur a en effet toujours accepté que ces dépenses entrent dans la formation des coûts. Nos homologues européens n’ont pas tous eu ce bonheur : dès lors que ces dépenses ne pouvaient pas être comptabilisées dans leurs charges, et donc ouvrir droit à compensation tarifaire, ils y ont renoncé.

Cet effort de R&D revêt différentes formes : recherche directe, contrats avec des laboratoires français ou étrangers – je pense au Canada, qui s’intéresse beaucoup au transport à très haute tension ou au transport en courant continu. Nous privilégions cependant les contacts avec les universités françaises, en particulier avec l’université Pierre et Marie Curie – nous avons récemment soutenu la création de deux chaires technologiques pour travailler dans ce domaine. Notre effort de R&D représente environ 20 millions d’euros par an.

Le bug Orange ne nous a pas été préjudiciable. De manière générale, l’un des principes de base sur lesquels repose notre sécurité est en effet celui de la redondance – dit N-1 ou N-2 –, qui consiste à prendre les dispositions nous permettant d’être capables d’assurer la continuité du service même en cas de perte d’un élément – grande ligne, centrale… Nous appliquons également cette philosophie en matière de télécoms : nous avons notre propre réseau, fondé sur des fibres optiques, notamment pour toutes les installations de sécurité. Nous avons également un contrat sur les liaisons hertziennes avec France Télécom, qui arrive prochainement à échéance. Pour les équipements exigeant un moindre niveau de sécurité, nous utilisons aussi les réseaux commutés des grands opérateurs. Mais si l’un d’entre eux est défaillant, nous disposons d’une première ligne de défense. Le bug Orange n’a donc pas affecté le fonctionnement du service de l’électricité.

M. le président François Brottes. Mais le bug d’E.ON, lui, avait affecté le téléphone…

M. Dominique Maillard. J’en viens à la question de M. Tardy sur l’effacement diffus. Nous attachons une grande importance à l’effacement – qu’il soit diffus ou non, puisque les effacements peuvent aussi être le fait de grands acteurs tels que les établissements industriels – qui peuvent le cas échéant les fédérer.

Le principe est qu’en cas de décalage entre l’offre et la demande, nous traitons de la même manière 100 MW de production supplémentaire et 100 MW d’effacement de la consommation. Nous sommes en effet responsables de l’équilibre entre offre et demande. Or chaque producteur sur le marché français est tenu de fournir au réseau autant d’énergie que ses clients sont censés en consommer – de manière prévisionnelle. Le mot « censés » est important : de bonne foi, le producteur ne peut prévoir d’un jour à l’autre, au kilowattheure près, combien vont consommer ses clients. En mettant de côté le cas des producteurs négligents, qui sont soumis à des pénalités et risquent même de perdre leur qualité de fournisseur si le régulateur considère que les défaillances sont délibérées, il y a donc toujours des écarts de bonne foi. C’est alors à nous qu’il appartient de réagir et de nous assurer que la compensation est équitable. Certes, nous sommes dans un réseau européen ; mais dans un premier temps, c’est à chaque pays d’assumer cette responsabilité, le secours n’intervenant que si l’équilibre n’est pas assuré.

Nous sommes donc responsables de ce mécanisme d’ajustement : si nous constatons un déficit, nous devons solliciter le démarrage de moyens de production. Une partie se fait de manière automatique, mais nous avons la responsabilité de reconstituer les marges. Nous le faisons selon un principe de préséance économique – merit order – qui consiste à rendre obligatoire pour tout producteur la déclaration des moyens de production disponibles, sachant qu’il reste libre de fixer le prix. Nous associons au sein de ce dispositif les déclarations d’effacement ; bien entendu, nous retenons en priorité les mieux-disant.

Traiter les effacements sur un pied d’égalité avec la production n’est cependant pas suffisant, car cela revient à faire l’hypothèse que les capacités de production disponibles le sont toujours. Aussi réfléchissons-nous à un « mécanisme de capacité ». De nombreux pays européens conduisent cette réflexion, mais la France a une certaine avance, qu’il importe de conserver. Le pays qui mettra en place le premier un dispositif efficace sera en effet celui qui sera le mieux à même de « l’imposer » à ses voisins. Nous sommes plutôt bien placés ; un projet de décret avait même été préparé, mais il n’a pas été publié par l’ancien gouvernement. Je pense qu’il faut reprendre les travaux – sans repartir de zéro, puisque nous avons déjà accumulé beaucoup d’informations avec les grands acteurs de marché. Bref, il faut se lancer. En effet, nous ne pouvons mobiliser les mécanismes d’ajustement que parce que les capacités existent. Mais en cas de déficit d’investissement, il serait nécessaire de s’y prendre à l’avance. L’intérêt du mécanisme de capacité est donc là : obliger les acteurs du marché à se prémunir plusieurs années à l’avance, soit en investissant dans les capacités de production, soit en développant des capacités d’effacement – qui peuvent être mobilisées beaucoup plus rapidement.

M. le président François Brottes. Du point de vue du développement durable, l’effacement a tout de même plus de vertus que la capacité…

M. Dominique Maillard. Certes. Encore faut-il que la loi nous le dise !

M. le président François Brottes. Nous y pensons : vous le verrez en septembre !

M. Dominique Maillard. Actuellement, nous ne pouvons faire autrement. Mais on peut tout à fait imaginer qu’un « coup de pouce » favorise le recours préférentiel aux effacements.

S’agissant des interconnexions, notre estimation s’établit aujourd’hui à 10 000 MW. Les besoins en termes d’interconnexions dépendent de nombreux facteurs : des décisions qui seront prises en matière de politique intérieure française – amplitude de la transition énergétique, échéance du redéploiement des moyens de production – mais aussi par les pays voisins. Les électrons ne s’arrêtent pas aux frontières ! C’est encore plus vrai pour les petits pays comme la Belgique, par exemple, qui sont traversés par des flux sur lesquels ils n’ont aucune prise. Plus nous introduirons de fluidité, plus nous serons à l’abri d’incidents. Pour optimiser les différents mix électriques résultant des décisions des plus grands pays européens, nous avons intérêt à éviter les zones de congestion. En Espagne et dans le nord de l’Allemagne, les éoliennes sont aujourd’hui arrêtées un certain nombre de jours parce qu’on ne dispose pas de la capacité de transit vers les zones voisines, alors même que le coût marginal de l’électricité qu’elles produisent est faible et son impact en C02 nul.

Notre estimation, à prendre avec prudence, est de l’ordre de grandeur d’un doublement de la capacité d’interconnexion d’ici à 2025. Cela équivaut à ajouter une dizaine de milliers de MW, soit une dizaine de France-Espagne ou de Savoie-Piémont en plus. L’interconnexion France-Espagne a coûté, pour la partie française, 350 millions d’euros – avant subventions européennes. L’enjeu est d’environ 3,5 milliards sur douze ans, soit 300 millions par an. Sachant que nous investissons 1,3 milliard par an, cela représente à peu près 20% de nos investissements. Ce n’est pas négligeable, mais ce n’est pas non plus incommensurable. Néanmoins, cette opération devra être financée par un endettement supplémentaire et – surtout – suppose des conditions d’acceptation par le public meilleures que celles d’aujourd’hui. Je vous invite à cet égard à vous reporter à la page 26 du document, qui compare les durées d’instruction et de construction des lignes en Europe. La durée médiane s’établit pour la France à six ans et demi. Certes, elle est inférieure à celle constatée en Allemagne ou en Suède ; mais je préférerais que le délai soit comparable à ce qu’il est au Danemark, en Finlande ou en Autriche, pays qui n’ont pas la réputation de négliger la protection de l’environnement ou la vie de leurs concitoyens. La relative brièveté de ce délai tient pour une part aux procédures « à cliquet » en vigueur dans ces pays : chacune des étapes de réalisation d’un ouvrage – justification économique, définition de fuseau, tracé – fait bien sûr l’objet d’une décision susceptible de recours, mais en l’absence de recours, dès lors que le délai est purgé, l’étape est considérée comme définitivement franchie. Ce n’est pas le cas en France, où le dernier recours contre un projet peut annuler dix ou quinze ans de discussions, comme cela a été le cas en Provence. Je tenais à appeler votre attention sur ce sujet. Si l’on pouvait par exemple annuler le tracé tout en restant dans le fuseau d’impact, il serait plus facile à l’ensemble des acteurs de converger vers une solution.

Sachant que les réseaux de transport d’électricité ont vocation à occuper longtemps le paysage, nous avons intérêt à entretenir de bonnes relations avec les riverains. Il nous faut donc concilier les impératifs de concertation et d’information des populations avec celui de la perception de l’utilité publique. Siégeant au conseil d’administration de Réseau ferré de France (RFF), j’ai pu constater que si les projets d’infrastructures ferroviaires avaient leurs adversaires, tout comme les réseaux de transport d’électricité, ils avaient aussi leurs partisans, car la population perçoit bien leur utilité. Cela s’avère hélas plus difficile pour une nouvelle ligne électrique… Nous pouvons par exemple expliquer que cela concourt au maillage, ou que la transition énergétique ne pourra s’opérer que par un renforcement du réseau, idée qui commence à être admise – voire soutenue – en Allemagne, mais sans doute moins en France. Le projet de règlement européen sur les infrastructures pose le diagnostic, mais ne propose pas de solutions définitives.

Je m’adresse maintenant à M. Grellier. Dans l’idéal, l’autoconsommation doit être favorisée. Reste qu’elle est plus adaptée au cas du propriétaire d’une résidence située en pleine campagne sur un vaste terrain, qui pourra facilement installer des panneaux solaires, voire des batteries dans sa cave pour stocker de l’électricité, qu’à celui du locataire d’un petit appartement en banlieue parisienne. Nous suivons avec intérêt les expériences du type bâtiment à énergie zéro, qui méritent d’être développées, mais leur généralisation demandera du temps.

M. le président François Brottes. L’eau chaude solaire, cela peut marcher partout !

M. Dominique Maillard. Je conviens qu’on peut certainement progresser dans cette voie.

Il n’existe pas de règle selon laquelle chaque région devrait être autosuffisante en électricité. Ce ne serait pas conforme au principe de solidarité, et cela ne se pratique pas davantage à l’échelle européenne. Les Pays-Bas produisent de l’électricité à partir du gaz car ils ont des ressources en gaz, les Finlandais à partir de la biomasse car ils ont des forêts, les Suisses et les Autrichiens produisent de l’électricité hydraulique. Il est logique que chacun cherche à valoriser ses propres formes d’énergie, et que s’établissent ensuite entre pays européens des échanges commerciaux qui concourent à la solidarité et permettent d’optimiser les investissements.

Au moment de la fameuse pointe à 102 000 MW, la France importait 9000 MW ; mais il restait 3000 MW disponibles sur le territoire national. Sans les interconnexions, cela ne « passait » pas. Importer nous a permis d’éviter de démarrer des centrales – ce qui aurait coûté plus cher. Nous avons donc optimisé. Si la France avait été une île électrique, il aurait donc fallu avoir au moins 6000 MW de plus – pour seulement quelques heures. Bref, les interconnexions sont aussi un instrument d’optimisation économique, environnementale et technique entre pays européens.

Mme Clotilde Valter. Je reste sur ma faim s’agissant d’une question de fond, celle du modèle de gestionnaire de réseaux de transport (GRT) retenu en France. Vous dites que celui-ci est satisfaisant ; nous aimerions connaître les critères sur lesquels se fonde cette appréciation. André Chassaigne a justement rappelé l’importance de celui de la maîtrise par la collectivité publique.

M. Dominique Maillard. Lorsque je dis que le modèle est satisfaisant, je pense surtout au modèle économique, autrement dit à la façon dont se trouve assuré le financement du coût du transport. Le modèle ferroviaire – que je connais bien – est très complexe. Pour ce qui est du transport de l’électricité, le modèle actuel est simple et clair : c’est le consommateur qui paye.

Venons-en au modèle institutionnel français. La loi est très claire : le transport de l’électricité est confié à une entreprise publique. Nous revendiquons – et je revendique personnellement – cette appartenance au service public. La loi dispose également que seuls des acteurs publics – EDF, l’Etat ou un organisme public – peuvent être actionnaires de RTE. Une évolution de notre capital est donc possible : il suffit qu’un acteur public se substitue en tout ou partie à EDF. Cela pourrait être utile, dans la mesure où notre dépendance à 100% d’EDF – qui n’est pas appréciée de tous nos partenaires européens – conduit à une limitation de notre capacité à sortir de nos frontières en Europe. Il existe en effet dans le « troisième paquet » une clause interdisant aux opérateurs intégrés comme RTE et EDF de prendre une participation dans une entreprise de transport ayant fait l’objet d’une séparation juridique. Si une opportunité de devenir actionnaire – même minoritaire – d’un opérateur de réseaux se présente – et il y en a eu quelques-unes –, nous ne pouvons donc pas nous mettre sur les rangs. Cela ne pose pas de problème à court terme : nous restons le premier opérateur de transport d’électricité en Europe et remplissons déjà une lourde mission. Je fais cependant le pronostic – même si j’ignore à quelle échéance – que le paysage est appelé à évoluer, à l’instar de ce qui s’est passé pour le transport aérien, où les compagnies nationales publiques ont fait place à des regroupements autour de trois pôles. Si nous voulons que RTE puisse prendre part à cette mutation, nous devons sortir du modèle d’opérateur intégré, qui lui interdit, en l’état actuel des directives européennes, de devenir actionnaire d’un autre réseau de transport à l’extérieur de nos frontières. Cette situation ne nous empêche pas d’avoir une politique européenne : nous développons activement les coopérations autres que patrimoniales avec nos voisins et nous pouvons encore aller plus loin. À terme, il faudra néanmoins réfléchir à la question. Nous n’avons pour l’instant manqué aucune occasion exceptionnelle, mais tôt ou tard, des opportunités se présenteront. La taille des réseaux de transport est aujourd’hui très variable : elle va du réseau français, le plus grand en Europe, aux réseaux luxembourgeois, qui sont au nombre de deux. On voit bien qu’un optimum pourra être atteint, et qu’il y aura des pressions en ce sens.

M. le président François Brottes. ERDF assure bien la gestion d’un certain nombre de réseaux de distribution à l’international.

M. Dominique Maillard. ERDF est soumis à une législation moins contraignante que RTE. J’estime d’autre part que l’extension de notre zone d’intervention ne pourrait se faire, si elle a lieu, que par continuité géographique – Belgique, Italie, Espagne, Allemagne, voire Grande-Bretagne – afin de pouvoir développer de vraies synergies industrielles, des politiques communes sur les approvisionnements ou encore des efforts de R&D communs. En clair, je ne regrette pas de ne pas pouvoir investir en Amérique du sud ou en Asie…

J’en viens au franchissement des Pyrénées, madame Massat. Vous connaissez parfaitement l’historique du projet actuel : nous avons franchi plusieurs étapes ; les déclarations d’utilité publique ont été prononcées ; nous avons même parfois été en avance sur nos amis espagnols. La traversée des Pyrénées s’effectue au droit du Perthus, par un tunnel qui va être foré des deux côtés. Le tunnelier est arrivé plus tôt que prévu côté espagnol ; il est actuellement sous la frontière, mais doit ralentir : le juge de l’expropriation français est parti en vacances et ne rendra son jugement qu’après le 15 août. Or selon le code minier, la propriété d’un terrain englobe le tréfonds. En l’absence d’accord amiable, une expropriation est donc nécessaire. Les autres travaux avancent selon le calendrier prévu. Le chantier devrait s’achever fin 2013.

Les accords franco-espagnols ouvraient la possibilité de porter la capacité de transit à 4000 MW. Nous sommes actuellement à 1400 MW ; nous allons en ajouter 1200. Il manque donc encore une liaison. Celle-ci devrait passer à l’ouest ; il s’agira là encore d’une liaison souterraine – peut-être même sous-marine. On parle de Bilbao-Bordeaux, mais tout cela est encore à l’état de projet. Vous connaissez la situation économique de l’Espagne ; mon nouvel homologue espagnol, M. Folgado, qui a été ministre de l’énergie, m’a cependant assuré que le projet en cours et les travaux exploratoires sur une troisième grande liaison n’étaient pas remis en cause.

M. le président François Brottes. Le blocage des travaux est donc directement lié au fonctionnement de l’administration. C’est un peu surprenant !

Nous vous remercions pour la patience et la pédagogie dont vous avez fait preuve. Nous serons sans doute amenés à vous recevoir de nouveau, puisque nous réfléchissons à une proposition de loi qui s’intéressera sans doute à la question de l’effacement.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du jeudi 12 juillet 2012 à 9 h 30

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. François Brottes, M. André Chassaigne, Mme Jeanine Dubié, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Henri Jibrayel, Mme Annick Le Loch, Mme Jacqueline Maquet, Mme Frédérique Massat, Mme Béatrice Santais, M. Lionel Tardy, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Joël Giraud, M. Frédéric Roig, M. Fabrice Verdier