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Commission des affaires économiques

Mercredi 17 décembre 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 21

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d’études spatiales (CNES)

La commission a auditionné M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d’études spatiales (CNES).

M. le président François Brottes. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d’études spatiales (CNES).

Monsieur le président, nous tenons tous ici à vous féliciter chaleureusement, car la filière dont vous êtes un des acteurs principaux est d’excellence alors qu’elle se bat sur un marché mondial difficile. Les prouesses que réalisent nos chercheurs, nos techniciens et nos experts dans la conquête spatiale sont remarquables. Quelle n’est pas notre fierté d’avoir récemment vécu en direct l’exploit d’aller chercher une comète se trouvant à des millions de kilomètres ou de voir que des objets ayant vocation à animer des robots voyagent pendant dix à douze ans dans l’espace et se retrouvent ensuite en mesure d’intervenir comme il était prévu !

Par ailleurs, vous avez montré votre capacité – j’ai à cet égard aussi une pensée pour la ministre Geneviève Fioraso – à arracher des décisions au niveau européen à Luxembourg alors que le bureau de notre commission se trouvait le même jour au Bundestag – nous avons eu d’ailleurs l’occasion de porter un toast à la conquête spatiale. Si l’accord avec les Allemands sur Ariane 6 était attendu, il n’était pas gagné d’avance.

Où en est-on des fusées et de la concurrence russe et américaine dans ce domaine ? Qu’en est-il de Galileo ? S’agissant de SpaceX, dans quelle mesure a-t-on fait ou non appel à des sous-traitants différents de ceux que nous sommes en situation de soutenir financièrement avec la recherche publique ? Quel est l’avenir de Safran à cet égard ?

Nous souhaiterions que vous nous fassiez le point sur cette filière encore trop mal connue, alors qu’elle est certainement l’une des mieux portantes du secteur technologique et industriel français ?

M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d’études spatiales (CNES). Je vous remercie de vos propos, auxquels je suis particulièrement sensible et auxquels le seront aussi tous nos collaborateurs.

La filière spatiale française – tout ce qui se fait en Europe dans ce domaine étant réalisé en grande partie à l’initiative de la France – est un motif de fierté, car elle place notre pays au meilleur niveau mondial depuis 50 ans.

Nous avons été confrontés depuis quelques années à une compétition très vive et peut-être un peu sournoise, car nous ne l’avions pas vu venir sous la forme qu’elle a prise aujourd’hui. Le discours le plus communément admis était que le secteur spatial européen ne se portait pas mal, mais qu’il avait tout à craindre de l’arrivée des pays émergents. Or, nous voyons, surtout depuis plus d’un an, les États-Unis portés par ce qu’on appelle « The New Space », qui est une nouvelle politique spatiale impulsée par le gouvernement américain. Cette politique est soutenue par de nouveaux venus que sont les industriels de ce qu’on dénomme la nébuleuse GAFA – Google, Apple, Facebook et Amazon –, qui ont investi le secteur avec des méthodes nouvelles ayant donné lieu à des projets très innovants, le plus connu étant SpaceX avec ses lanceurs. On pourrait aussi évoquer les projets de Google dans le domaine des satellites, des ballons – nous avons signé un accord de coopération avec lui en la matière –, des drones et, de façon plus générale, dans l’appel aux techniques spatiales pour relever le défi de connecter à internet les 6 milliards d’individus peuplant la planète, alors que 500 millions sont actuellement connectés à l’internet rapide.

Ce dernier besoin sous-tend les développements réalisés aux États-Unis, avec pour objectif d’y parvenir à des coûts très bas. SpaceX a à cet effet développé le nouveau lanceur Falcon, qui a commencé à inquiéter la filière Ariane il y a deux ou trois ans et est monté en puissance de façon spectaculaire ces derniers mois. Face à ce nouveau venu particulièrement agressif, qui a conduit Ariane à baisser ses prix, l’Europe s’est organisée pour apporter une réponse et garantir la pérennité de notre activité spatiale.

Beaucoup de travail a été réalisé au cours des deux dernières années. On a parlé pour la première fois d’Ariane 6 à la conférence de Naples en novembre 2012. Il faut à cet égard rendre hommage à notre ministre, Mme Fioraso, pour avoir très tôt défendu ce dossier et mis un coin dans la pensée unique européenne consistant à se dire qu’on était les meilleurs pour longtemps : à l’époque, en France, elle faisait partie du petit nombre de personnes ayant compris l’enjeu. Ensuite, pendant les deux années qui se sont écoulées jusqu’à la conférence de Luxembourg du 2 décembre dernier, elle s’est appliquée avec succès à fédérer les énergies françaises – c’est tout le sens du comité de concertation État-industrie sur l’espace (Cospace) qu’elle a mis en place, associant pour la première fois représentants étatiques et représentants industriels sous sa haute présidence ainsi que celle de ses collègues de la défense et de l’économie –, puis à faire partager cette approche commune à nos partenaires européens. Cela a nécessité de nombreuses réunions : depuis mon audition devant votre commission en avril 2013, lors de ma nomination au CNES, j’ai rendu de nombreuses visites à tous nos partenaires européens – la voix de chaque État ayant son importance.

Nous avons pris à Luxembourg plusieurs décisions majeures. La plus importante porte sur Ariane 6, qui répond à trois critères, lesquels font aussi le succès du lanceur de SpaceX : un design technique simplifié par rapport à Ariane 5 ; une organisation industrielle resserrée – nous avons incité les deux grands industriels du secteur, Airbus et Safran, à se rapprocher, ce qui les a conduits à créer une joint-venture appelée « Airbus Safran lanceurs », permettant d’accroître l’efficacité et d’abaisser les coûts – ; et la mise en place d’un soutien des États européens à la filière. Les États se sont accordés sur un montant total d’environ 4 milliards d’euros pour ce programme, avec trois acteurs principaux : l’Agence spatiale européenne (ESA), qui sera maître d’ouvrage, la joint-venture Airbus Safran, qui développera le lanceur, et le CNES, qui construira un nouveau pas de tir en Guyane et participera aux travaux de maîtrise d’ouvrage de l’ESA, ce programme étant financé à hauteur de 52 % par la France et la direction des lanceurs du CNES ayant une compétence unique en matière de développement des lanceurs. Un accord a d’ailleurs été mis en place entre l’ESA et le CNES.

Si tout va bien, nous devrions avoir un premier lancement d’Ariane 6 en 2020. Le lanceur existera en deux versions : une version appelée Ariane 62 pour le lancement des satellites gouvernementaux, et une version Ariane 64 pour celui des satellites commerciaux.

Nous avons à cet égard réussi à ce que l’Allemagne partage notre vision de réaliser Ariane 6 le plus rapidement possible, sans s’entêter à développer une version améliorée d’Ariane 5. Il convient de rendre hommage à l’ensemble du Gouvernement, qui s’est mobilisé, qu’il s’agisse de Mme Fioraso, mais aussi de M. Macron ou du Premier ministre, ainsi qu’au Président de la République.

Dès demain, nous signerons un premier protocole entre l’ESA, la joint-venture Airbus Safran et le CNES pour permettre de démarrer le travail.

Au-delà d’Ariane 6, la conférence de Luxembourg a confirmé la participation de l’Europe à la station spatiale internationale (ISS) pour les trois années à venir à un taux de 27 %, ce qui est un signal très positif donné à nos amis allemands. L’ensemble des États européens a par ailleurs redéfini les relations entre l’ESA et l’Union européenne dans le sens d’une gouvernance simplifiée, notamment pour éviter des doublons. Si on avait pu entendre ces dernières années que l’ESA n’avait pas vocation à être l’agence spatiale de l’Europe, cette formule provocatrice est désormais oubliée : l’ESA sera l’agence de l’Union européenne, car c’est l’intérêt de tout le monde, notamment en termes d’optimisation des efforts.

Parallèlement à ce qui est fait au niveau européen, le CNES a une politique de niche au niveau international, qui nous permet de faire voler à relativement moindre coût des instruments français sur des satellites que nous développons en coopération avec d’autres partenaires. À cet égard, l’année 2014 a été particulièrement brillante puisque nous avons engagé de nouveaux programmes de développement avec les États-Unis pour l’exploration de Mars – je pense à INSIGHT, que nous lancerons en 2016, ou à Mars 2020, que nous lancerons en 2020 – et un programme d’océanographie majeur avec la NASA, qui nous permettra de nous intéresser à l’océan mais aussi à l’eau douce, au travers des fleuves ou des marais – nous signerons le contrat d’approvisionnement du satellite le 6 janvier avec l’industrie française. Nous avons aussi mis en place une coopération importante avec la Chine en matière d’océanographie et d’astrophysique, ainsi que d’autres coopérations moins importantes, mais toujours en appui de notre industrie.

Quant à Galileo, il a connu un échec au lancement le 22 août. Mais je rappelle qu’il y a eu depuis le début de l’année dix lancements au Centre spatial guyanais (CSG) et qu’un onzième est prévu demain. Nous travaillons pour voir comment reprendre les lancements au plus tôt en 2015, avec deux options : soit continuer avec Soyouz – sachant qu’il a conduit à mettre les satellites Galieo sur une mauvaise orbite –, soit passer directement sur Ariane. Des décisions seront prises au début de l’année.

Il est vrai qu’on a pu lire dans la presse qu’un satellite de l’ESA, EDRS, pourrait, dans le cadre d’un contrat complexe, dans lequel d’autres industriels européens jouent un rôle, être confié à SpaceX. Mais je vous rassure : l’ESA ne fait rien sans l’avis de la délégation française, et jamais celle-ci ne laissera faire cela. Nous avons les moyens de nous opposer à des décisions qui pourraient être malvenues.

M. le président François Brottes. Nous devons être bien conscients que nous sortons d’une impasse qui a failli coûter cher à toute la filière spatiale. Heureusement que la France a tenu bon à tous les niveaux de responsabilité, ce dont nous vous remercions à nouveau.

À plusieurs reprises, certains lanceurs n’ont malheureusement pas atteint leurs objectifs : or, je crois savoir que, dans vos métiers, même quand on se trompe de cible, on est payé au prix fort, ce qui ne cesse de m’étonner. Est-ce vrai ?

M. Jean-Yves Le Gall. C’est vrai dans l’absolu, mais faux dans nombre de cas, car la plupart des clients commerciaux prennent une assurance, ce qui veut dire que si le lancement se passe mal, ils sont remboursés du coût de celui-ci, du coût des satellites ou des pertes d’exploitation.

Mais quand il s’agit de satellites lancés par les États, la tradition veut que ces derniers s’autoassurent. Dans le cas de Galileo, il a été envisagé que deux ou trois satellites, sur les vingt-six que doit compter la constellation, puissent être en surplus en cas d’échec au lancement. Reste que l’échec du 22 août a coûté 150 millions d’euros – le lancement ayant été facturé 70 millions d’euros et chacun des deux satellites ayant un coût unitaire de 40 millions d’euros – dans la mesure où la Commission ne s’était pas assurée. Toutefois, pour les lancements qui interviendront en 2015, il y a un débat à Bruxelles pour savoir si on doit continuer à ne pas s’assurer.

M. Hervé Pellois. En quoi Ariane 6 sera encore plus révolutionnaire et compétitif que SpaceX ?

Par ailleurs, votre site internet est bien documenté et très pédagogique. Il existe même une version CNES jeune. Rendre la science et la connaissance publiques au plus grand nombre fait-il partie de la philosophie du CNES ? En a-t-il toujours été ainsi ?

M. Daniel Fasquelle. À notre tour de vous féliciter pour la réussite de votre mission et avoir débloqué le dossier Ariane 6. C’est un succès pour la France comme pour l’Europe.

Comment de façon institutionnelle les projets de l’ESA pourront-ils être portés par l’Union européenne ? Il est bon de souligner à cet égard que la coopération européenne a permis les exploits précédemment évoqués.

Le robot Philae a eu des difficultés pour forer : arrivera-t-on à prélever des échantillons – ce qui est très important pour que la mission soit complètement réussie ?

Entendez-vous développer des moyens nouveaux d’observation en matière climatique ? Quels sont vos objectifs dans le domaine des télécommunications ? Qu’en est-il du projet Loon que vous développez avec Google ? Pourquoi avoir choisi cette entreprise ? D’ailleurs, n’est-ce pas plutôt elle qui vous a choisi ? N’allez-vous pas renforcer son monopole, qui s’installe un peu partout dans le monde ?

En outre, comptez-vous développer ou renforcer l’observation à des fins militaires ?

Enfin, on sait que Virgin Galactic veut préparer des voyages dans l’espace : pourra-t-on un jour voyager dans l’espace grâce au CNES ?

Mme Jeanine Dubié. Merci de votre exposé.

Élue de la région Midi-Pyrénées, je sais combien l’industrie spatiale est importante, celle-ci représentant 16 000 emplois pour cette région. On ne peut donc que se réjouir que l’Europe spatiale se concrétise.

Nous ne pouvons également que nous féliciter de l’action de Mme Fioraso et de la vôtre.

S’agissant d’Ariane 6, pouvez-vous nous éclairer sur l’état des négociations sur la configuration technique, le prix, le calendrier et l’organisation industrielle ? La carte des usines va-t-elle changer ?

Dans quelle mesure la joint-venture Airbus Safran va-t-elle permettre la refondation de la filière Ariane ? Cette entreprise pourrait-elle récupérer les parts de l’État dans Arianespace ? Quel serait alors l’avenir de cette dernière et de ses salariés ?

Enfin, pouvez-vous nous en dire davantage sur la mise en œuvre des deux missions du programme ExoMars ?

M. Antoine Herth. L’intrusion de SpaceX sur le marché des lanceurs peut-elle se réduire à une question de coût ? SpaceX semble s’inscrire dans un nouveau modèle, dont la visée économique est évidente, à rebours des objectifs traditionnels de souveraineté ou de recherche de matériaux nouveaux : cela ne va-t-il pas remettre en cause la légitimité des missions étatiques de pure découverte scientifique ? Le recours à un lanceur moins cher avec Ariane 6 règle-t-il le problème à cet égard ?

M. Jean-Pierre Le Roch. La filière spatiale a bénéficié de 500 millions d’euros au titre du programme d’investissements d’avenir (PIA). En quoi ce programme vous a-t-il aidé et comment pourrait-il être amélioré ? En quoi fait-il la différence par comparaison avec d’autres types de financement sur des projets tels qu’Ariane 6 ?

Par ailleurs, dans le contexte des tensions entre l’Europe et la Russie, où en êtes-vous de votre collaboration avec l’industrie spatiale russe ?

M. Jean-Claude Mathis. Mme Fioraso a récemment expliqué que l’espace était un enjeu important de souveraineté mais aussi un formidable outil stratégique pour les nations. Quels sont selon vous les enjeux fondamentaux de l’accès à l’espace ?

En outre, quels sont les principaux arguments ayant convaincu l’Allemagne d’évoluer vers Ariane 6 ?

M. Jean Grellier. Pouvez-vous nous préciser les évolutions du plan industriel relatif au satellite électrique ? En quoi ce plan sera-t-il important et de quelle manière pourra-t-il conforter notre excellence en matière d’industrie spatiale ?

Si tout le monde s’est félicité de l’accord européen, comment l’Europe doit-elle encore évoluer ? De quelle manière le CNES peut-il y contribuer pour répondre à la concurrence mondiale ?

Nous pouvons être fiers de l’industrie spatiale française et européenne, qui est au meilleur niveau mondial s’agissant du lancement de satellites. Mais que vont devenir tous ces satellites lancés, dont la durée de vie est de douze à quinze ans ?

Mme Anne Grommerch. L’Allemagne va-t-elle rester le premier contributeur au budget de l’ESA ? Qu’est-il prévu d’un point de vue budgétaire ?

Par ailleurs, quel avenir voyez-vous pour Galileo, qui s’apparente à un terrible fiasco ?

Enfin, pourrait-on, en cette veille de Noël et à l’heure de la réforme de la carte des régions, envoyer un drapeau alsacien dans l’espace ?

Mme Marie-Lou Marcel. J’ai fait partie de la délégation qui a assisté au 221e lancement d’Ariane à Kourou, avec la mise en orbite de deux satellites, américain et indien, ce qui fut un moment privilégié d’émotion et de satisfaction.

Mais, selon un article de La Tribune du 4 décembre, Airbus Defence and Space s’apprêterait à utiliser le lanceur américain SpaceX pour envoyer un satellite de données européennes. Au regard de la filière spatiale, qui représente 16 000 emplois directs en métropole, 2 000 en Guyane ainsi que 9 000 emplois indirects dans cette région, comment vivez-vous cette annonce, alors que le CNES est reconnu comme un acteur majeur de l’Europe spatiale ?

Avez-vous des éléments comparatifs de coût plus précis entre un lancement avec Ariane 5 et avec Ariane 6 ?

En outre, faut-il attendre 2020 pour la résorption de toutes les zones blanches ? Les Guyanais ne trouvent-ils pas paradoxal de disposer d’un centre spatial réalisant des prouesses technologiques tout en ayant encore quelques zones blanches ?

Mme Corinne Erhel. Concernant le plan de très haut débit et l’objectif de couvrir 100 % de la population en la matière en 2022, que faites-vous pour permettre une connexion de qualité aux populations non couvertes, sachant que se pose la question de la symétrie des débits ascendants et descendants ?

S’agissant de votre partenariat avec Google sur les ballons, quelles sont les limites technologiques et financières du projet ? Quelles seraient ses conséquences sur le plan industriel, notamment sur le rôle des opérateurs, qui se trouveraient peut-être exclus des technologies retenues ? Quelles réflexions industrielles avez-vous en la matière ? Pariez-vous beaucoup sur ces technologies ?

M. Éric Straumann. Je rappelle à Anne Grommerch que les Alsaciens sont favorables à la fusion avec la Moselle !

L’Alsace a un campus de l’espace à Strasbourg, avec l’université internationale de l’espace – ou ISU. Quels sont vos liens avec le monde universitaire en métropole ?

M. Jean-Yves Le Gall. Monsieur Pellois, les trois critères de réalisation d’Ariane 6 que j’ai rappelés devraient permettre de relever le défi de SpaceX. Les calculs que nous faisons, sur lesquels l’industrie va s’engager – c’est le sens de l’accord que nous allons signer demain –, montrent en effet que les coûts récurrents de l’exploitation d’Ariane 6 devraient être comparables à ceux de SpaceX.

Le CNES a de fait une mission d’information de la jeunesse, ainsi que celle de susciter des carrières. La meilleure façon de s’assurer que les jeunes s’intéressent aux sciences et à l’espace est de les associer à ce que nous faisons. Au-delà de notre site internet, nous conduisons bien d’autres opérations tout au long de l’année avec « Espace dans ma ville » notamment.

S’agissant des relations entre l’ESA et l’Union européenne, elles seront régies par des textes adoptés à la conférence de Luxembourg. On en a un premier exemple avec les programmes Galileo, pour le positionnement des satellites, et Copernicus, pour l’étude de l’environnement terrestre : deux accords spécifiques ont été signés entre elles pour que l’ESA puisse conduire ceux-ci de façon efficace pour les États membres.

Quant à Philae, il a défrayé la chronique internationale le 12 novembre avec son atterrissage sur le noyau de la comète Tchouri, à 521 millions de kilomètres de la terre : les ondes mettaient 30 minutes et demie pour nous parvenir à la vitesse de la lumière. Le Président de la République et deux ministres, Mmes Vallaud-Belkacem et Fioraso, ont assisté en direct à cet événement extraordinaire avec nous. Nous sommes à présent posés sur le noyau, dans une situation un peu inconfortable. Mais si la foreuse n’est pas encore totalement opérationnelle, nous prévoyons que dans le courant du mois de mars, l’éclairement des panneaux solaires du robot soit suffisant pour qu’il redémarre : nos spécialistes du Centre spatial de Toulouse sont l’arme au pied, en liaison permanente avec Rosetta, qui guette des signaux de Philae. D’ores et déjà, des résultats fabuleux ont été obtenus, concernant les molécules organiques probiotiques, qui ont conduit à la création de la vie, et l’eau, qui n’est pas la même que celle de la terre, ce qui est une découverte majeure. Le flux de données envoyé pendant 57 heures mettra des années à être exploité.

Nous aurons aussi le rendez-vous exceptionnel du 13 août prochain, avec le passage de la comète au point le plus proche du soleil, où on devrait voir en direct celle-ci entrer en effervescence pour créer la queue lui permettant d’être observée depuis la terre.

Un autre fil conducteur de 2015 est le climat : la France accueillera la COP21 en décembre prochain et toute la stratégie du CNES et notre action en matière de communication seront centrées sur ce thème. Il en sera de même du pavillon du CNES au salon du Bourget, que nous remonterons en décembre au centre de Paris, afin que les congressistes et les Parisiens puissent se rendre compte de l’apport des satellites dans ce domaine. En outre, nous lancerons au milieu de l’année Jason-3, qui est un nouveau satellite permettant de mesurer les mouvements à la hauteur des océans. Je rappelle que c’est la famille des satellites Jason qui a mis en évidence l’augmentation de 3 millimètres par an du niveau moyen des océans, soit 30 centimètres par siècle. Si le thème pour nous était cette année « 2014 : le CNES, une chance pour l’Europe », l’an prochain, ce sera : « 2015 : un espace pour le climat ». Je suis convaincu que le succès de la COP21 montrera que, là encore, nous avons eu raison.

Quant aux télécommunications, elles ne s’arrêtent pas à Galileo et nous avons des programmes très novateurs dans ce domaine. L’avenir en la matière repose d’abord, pour les plateformes, sur la propulsion électrique – il faut prévoir, sur un satellite, quelques dizaines de kilos pour celle-ci contre trois tonnes pour la propulsion chimique, ce qui implique un gain au lancement de 60 millions de dollars, à raison de 20 000 dollars par kilo. Nous avons donc investi dans ce nouveau mode de propulsion et continuerons de le faire avec, d’une part, l’un des 34 projets de la nouvelle France industrielle et, d’autre part, le programme Neosat, que nous conduisons dans le cadre de l’ESA en partenariat avec le Royaume-Uni. L’avenir repose aussi sur des charges utiles plus performantes avec le très haut débit notamment, qui sera utilisé pour la question des zones blanches.

Cette question préoccupe aussi la communauté internet : d’où l’idée de Google d’avoir recours à des ballons : il est venu nous voir en se demandant s’il y avait un risque que les choses ne se passent pas bien. Mais nous avons prévu tous les garde-fous réglementaires et juridiques. L’intérêt pour Google est de voir ce que fait le CNES, qui est le leader mondial en matière d’utilisation des ballons, de connaissance des technologies à cet égard ainsi que de connaissance de la stratosphère, et l’intérêt pour le CNES est d’observer comment fonctionne cette société. Je pense que nous avons eu raison car ce projet, que nous allons conduire ensemble, nous apportera beaucoup et, s’il devait conduire à une industrialisation, nous nous assurerons qu’elle se fasse au bénéfice de l’industrie française.

Celle-ci est par ailleurs très concernée par les programmes spatiaux militaires. Notre panoplie recouvre trois sujets principaux dans ce domaine : l’observation, avec des satellites comme Hélios ou Pléiades – nous travaillons déjà sur l’avenir des satellites en matière optique dans le cadre du programme CSO – ; l’écoute – avec le lancement, à l’occasion du deuxième lancement de Soyouz en Guyane le 16 décembre 2011, des quatre satellites du programme Élisa, qui auront comme successeur Ceres, que nous lancerons dans les années 2017-2018 – ; enfin, les télécommunications, dont le mode sécurisé est aujourd’hui assuré par les satellites Syracuse et pour lesquelles nous prévoyons de lancer vers la fin de la décennie le satellite de nouvelle génération COMSAT NG.

S’agissant de Virgin Galactic, ma première pensée va au pilote qui a laissé sa vie dans l’accident qui a eu lieu il y a quelques semaines, ainsi qu’à son compagnon blessé. Cela nous rappelle que l’espace est un métier difficile et que réaliser le genre de vols spatiaux proposé par cette société est très compliqué, car il faut aller à peu près à 100 kilomètres d’altitude avec un moteur fusée et retourner dans l’atmosphère avec des ailes, ce qui est une des figures les plus difficiles. Le CNES n’enverra donc pas de touristes dans l’espace, car cela est très risqué.

Je rappelle qu’Ariane 6 sera développé sous maîtrise d’ouvrage de l’ESA, assistée par le CNES : nous visons un lanceur constitué de deux étages, dérivés d’Ariane 5, mais simplifiés. Ceux-ci seront flanqués de deux ou quatre propulseurs d’appoint à poudre qui seront les premiers étages du lanceur Vega-C, qui est en train d’être développé à partir de ce qui existe sur Vega. Le lanceur repose donc sur des briques de base existantes et un concept de modularité, avec le passage de la version institutionnelle 62 à la version commerciale 64 en changeant le nombre de propulseurs. Le prix prévu, pour le lancement de la version 62, est de 70 millions d’euros – ce qui le rend comparable à Soyouz en Guyane aujourd’hui – et, pour la version 64, qui pourra lancer deux satellites à la fois, d’environ 85 millions d’euros, ce qui est cohérent avec les objectifs de SpaceX.

Par ailleurs, la maîtrise d’œuvre sera assurée par Airbus Safran dans le cadre d’une simplification du tissu industriel : le nombre de sites sera réduit avec pour objectif de respecter les emplois. Ce sera le cas aussi s’agissant de l’évolution d’Arianespace. L’industrie a proposé de racheter les parts du CNES dans le capital de cette société et nous avons un débat avec elle pour voir si nous pouvons nous mettre d’accord sur un prix de cession. Dans tous les cas, il sera prévu un droit de regard des États sur ce qui se passe.

ExoMars est le programme d’exploration marsienne de l’ESA, dont le premier lancement est prévu en 2018, en coopération avec la Russie ; nous avons contribué à son financement à la conférence de Luxembourg.

Nous avons un modèle unique en Europe : comme nous avons relativement peu de satellites gouvernementaux à lancer, pour avoir la garantie de pouvoir le faire, nous nous appuyons sur le marché commercial. C’est la raison pour laquelle il faut que nos lanceurs soient compétitifs.

Quand on sait qu’un lancement d’Ariane 5 coûte entre 150 et 170 millions d’euros, il s’agit de diviser pratiquement ce coût par deux. Ce sera possible avec un lanceur simplifié, qui bénéficiera de l’expérience acquise avec Ariane 5 – il n’y aura pas notamment de nouveau moteur –, une organisation industrielle rationalisée et l’engagement des États européens d’utiliser ce lanceur.

S’agissant du PIA, 500 millions d’euros ont été en effet affectés à la ligne Espace. Il a permis de financer les premiers développements sur Ariane 6 et ce que nous faisons sur la propulsion électrique. Il faut se féliciter de l’existence de cette ligne budgétaire, qui est facile à mettre en œuvre et cible les projets sur lesquels elle intervient – qui sont très concrets et donnent lieu à un retour sur investissement rapide.

La coopération avec la Russie autour de Soyouz en Guyane fonctionne bien. J’espère que le lancement prévu demain fera oublier l’échec de Galileo. Mais le contexte politique avec ce pays est plus difficile : nous respectons les règles et les sanctions tout en tenant compte des difficultés économiques de la Russie.

L’accès à l’espace est en effet un sujet de souveraineté, car si nous n’avions pas cet accès, nous ne pourrions pas mettre autant de satellites en orbite. En outre, il s’agit d’un enjeu stratégique pour la recherche, la technologie et l’industrie.

Nous avons davantage convaincu nos amis allemands que nous ne les avons vaincus. Ils se sont finalement ralliés à Ariane 6 à la suite des discussions politiques à très haut niveau entre les responsables de nos deux pays, qui ont montré que le discours que tenait la France a été compris par l’Allemagne, laquelle a reconnu qu’Ariane 5 ME était une impasse et accepté d’opter pour Ariane 6. D’ailleurs, alors que nous avions demandé une participation allemande entre 15 et 20 %, celle-ci a été supérieure à 20 %, avec en particulier des investissements massifs en Bavière.

Le PIA a permis, en attendant l’arrivée de Neosat, d’adapter les plateformes d’Airbus et de TAS, avec déjà des succès commerciaux, de développer un propulseur électrique de forte puissance chez Safran et de remettre l’industrie spatiale française européenne au niveau de ses concurrents américains.

Nous avons mis en place, dans le budget décidé à Luxembourg, une ligne de 400 millions d’euros de veille technologique et de recherche et technologie pour préparer d’autres évolutions, de sorte que, s’il y avait un bouleversement technologique dans les années qui viennent pendant que nous allons développer Ariane 6, nous soyons à même de réorienter le tir pour continuer à être au meilleur niveau.

Quant à l’Allemagne, si elle était le premier contributeur de l’ESA à la conférence de Naples, à Luxembourg, nous avons repris la première place.

Concernant Galileo, il est excessif de parler de fiasco. Il s’agit d’un programme compliqué connaissant des difficultés, mais nous travaillons d’arrache-pied pour éviter justement que ce soit un fiasco.

Pour ce qui est de la question d’envoyer un drapeau alsacien dans l’espace, je vais regarder si cela peut être fait à l’occasion du prochain lancement des satellites Galileo…

S’agissant de l’article de La Tribune, je confirme qu’il s’agissait de rumeurs et qu’il n’est pas prévu aujourd’hui que le satellite EDRS soit lancé par SpaceX. Je rappelle que cette décision est soumise à l’approbation du conseil de l’ESA et que la France s’y opposerait si elle était proposée. Airbus a d’ailleurs publié un démenti.

En ce qui concerne la Guyane, nous avons mis en place dans le budget du CNES la mission Guyane : il ne faut pas se trouver dans une situation où nous lancerions des satellites de la meilleure technologie depuis cette région sans que ses habitants ne puissent en bénéficier. Cette mission travaille notamment pour combler les zones blanches et il y a des projets de charges utiles dédiées aux télécommunications.

Par ailleurs, le plan THD est un des aspects du PIA. S’agissant de Loon, il s’agit d’un avant-projet de recherche et il est important d’y participer. Le prochain rendez-vous a lieu fin 2015 pour voir si nous avons vraiment avancé sur le premier ballon, sachant que si cela débouchait, nous nous attacherions à ce qu’il y ait des retombées industrielles très fortes en France.

Quant à l’ISU de Strasbourg, nous la soutenons fortement, car il est remarquable qu’elle se situe à cet endroit. Le gouvernement français avait d’ailleurs, à l’époque de son installation, tout fait pour qu’il en soit ainsi.

Je vous remercie de l’intérêt très vif que vous manifestez pour nos sujets et de la qualité de vos questions, témoignant d’une connaissance du secteur spatial qui vous fait honneur, comme il fait honneur au secteur spatial.

M. le président François Brottes. Je vous remercie.

Je constate que les relations avec nos amis allemands sont beaucoup plus respectueuses et équilibrées que ne le dit la presse en général. On l’a observé sur ce dossier comme lorsque nous nous sommes rendus auprès de la commission des affaires économiques du Bundestag.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 17 décembre 2014 à 9 h 30

Présents. - M. Damien Abad, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. Yves Blein, M. Marcel Bonnot, M. François Brottes, M. Dino Cinieri, M. Jean-Michel Couve, M. Yves Daniel, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Antoine Herth, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Marie-Lou Marcel, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Yannick Moreau, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. François Pupponi, M. Franck Reynier, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Éric Straumann

Excusés. - M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, M. Denis Baupin, Mme Michèle Bonneton, M. Christophe Borgel, M. Jean-Claude Bouchet, M. André Chassaigne, M. Franck Gilard, Mme Pascale Got, M. Serge Letchimy, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, Mme Frédérique Massat, M. Bernard Reynès, M. Frédéric Roig, M. Lionel Tardy M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Marie Tetart, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin

Assistait également à la réunion : M. Joël Giraud