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Commission des affaires économiques

Mercredi 11 mars 2015

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 40

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition conjointe de Mme Clara Gaymard, présidente de General Electric France, et de M. Mark Hutchinson, dirigeant de General Electric en charge de l’intégration des actifs énergie d’Alstom

La commission a auditionné Mme Clara Gaymard, présidente de General Electric France, et M. Mark Hutchinson, dirigeant de General Electric en charge de l’intégration des actifs énergie d’Alstom.

M. le président François Brottes. La présente audition s’inscrit dans la continuité de celle de ce matin au cours de laquelle nous avons entendu, notamment, M. Kron, président-directeur général du groupe Alstom, qui a bien voulu répondre à des questions toutes aussi faciles les unes que les autres… Il est par conséquent important que nous connaissions à présent le point de vue de General Electric. Nous recevrons tout à l’heure Emmanuel Macron, ministre de l’économie, qui n’était pas encore en fonction au moment de la négociation entre les deux groupes.

La quarantaine de députés présents en commission ce matin a semblé considérer que cet accord s’apparentait davantage à une absorption d’Alstom par GE qu’à une association 50-50.

Nous sommes donc très impatients, madame Gaymard, monsieur Hutchinson, de connaître votre sentiment sur cet accord appelé à prendre un relief particulier sur le terrain, une fois clarifiées tous les problèmes de monopole et de concurrence, mais également de savoir s’il faut s’attendre à des évolutions entre ce qui a été annoncé devant la commission par le président de votre groupe, et la manière dont tout cela va se mettre en musique.

M. Mark Hutchinson, vice-président de General Electric, chargé de l’intégration des actifs énergie d’Alstom (traduction). Je vous remercie, monsieur le président, ainsi que tous les membres de la commission, de me donner la possibilité d’évoquer ce que nous avons baptisé « l’alliance GE-Alstom ». Je suis enchanté de pouvoir répondre à vos questions. L’alliance a fait couler beaucoup d’encre et nombreux sont ceux qui s’interrogent, ce qui est tout à fait normal étant donné l’ampleur et la complexité de l’opération. J’espère qu’à la fin de l’audition vous serez d’accord pour considérer, avec nous, que cette alliance est positive à la fois pour Alstom, pour GE, pour les Français et pour les Européens.

Je travaille pour General Electric depuis plus de vingt ans ; j’ai récemment présidé GE-Chine pendant trois ans et réalisé la majeure partie de ma carrière chez GE-Capital. Je suis britannique et j’ai fait mes études en Australie. C’est la deuxième fois que j’ai la chance de pouvoir travailler à Paris. Je possède depuis quinze ans une maison de famille à Nevers où ma famille et moi passons l’été. Ma fille va s’y marier en juin prochain. À titre personnel, je suis donc enchanté de me retrouver en France.

En tant que collaborateur de longue date du groupe, c’est pour moi un honneur d’avoir pu piloter le projet industriel le plus marquant de l’histoire de GE : cette alliance va transformer General Electric et Alstom. On dit souvent qu’une entreprise vit des moments, des tournants décisifs. Pour GE, ce fut la création de l’entreprise par Thomas Edison en 1892 à la suite de la fusion entre Thomson-Houston Electric et Edison General Electric. Pour Alstom, ce tournant fut la fusion entre la Société alsacienne de constructions mécaniques (SACM) et une autre entreprise issue de GE, qui a permis la création d’Als-Thom en 1928. Et je suis convaincu que l’alliance que nous sommes en train de bâtir fera elle aussi partie des moments forts de l’histoire de ces deux entreprises.

Il y a près de dix mois, le PDG de GE, Jeffrey Immelt, est venu vous présenter l’alliance que nous envisagions de conclure avec Alstom. Je suis particulièrement heureux de vous annoncer que notre projet est en train de se concrétiser. J’entends vous informer des mesures que nous avons mises en place, des décisions que nous avons prises pour nos deux entreprises au cours des dix derniers mois. Je vais également vous expliquer ce qui reste à faire à l’approche de la conclusion de cette opération et, bien évidemment, je répondrai à toutes vos questions.

Lorsque Jeffrey Immelt s’est adressé à vous en mai dernier, il vous a raconté la genèse de l’alliance. Au départ, c’est le PDG d’Alstom, Patrick Kron, qui est venu nous voir pour discuter d’un projet industriel : pour faire face à l’évolution du secteur de l’énergie, il savait qu’à long terme une entreprise de cette filière devrait avoir une dimension et des ressources nettement plus importantes que celles d’Alstom à l’époque. Le secteur de l’énergie est en effet mondialisé, il compte des concurrents solides, capables d’investir à long terme. Les clients sont à la fois exigeants et puissants. Qui plus est, il connaît une mutation majeure : la sphère d’influence se déplace des économies industrialisées, qui ont des surcapacités de production d’énergie, vers les économies émergentes dont les besoins énergétiques sont de plus en plus importants.

Le groupe General Electric s’est montré intéressé par un rapprochement avec Alstom pour plusieurs raisons : notre présence historique dans le secteur de l’énergie, notre connaissance d’Alstom, notre respect pour cette entreprise, l’ancienneté – plus de quarante ans – de nos investissements en France où nos activités sont très performantes. Je citerai la production, depuis quinze ans, de plus de 2 000 turbines à gaz, à Belfort : c’est le seul site de fabrication que compte la France. Je mentionnerai également la coentreprise avec le groupe Safran pour la construction du réacteur CFM, le moteur le plus vendu de l’histoire de l’aviation commerciale ; nous en avons produit plus d’un millier. Nous avons également un centre mondial d’excellence en radiologie à Buc, à proximité de Paris.

Le groupe GE compte 10 000 salariés en France et exporte 80 % de ce qu’il y produit. Nous avons lancé des technologies innovantes comme la turbine à gaz 9HA, la plus grosse et la plus efficace du monde, et qui permet de produire de l’énergie à partir des côtes françaises et de l’exporter dans d’autres régions du monde qui ont besoin d’électricité. Dès le début de nos négociations avec Alstom, nous nous sommes rendu compte qu’il fallait fusionner nos activités d’énergie et de réseaux. C’était parfaitement justifié du point de vue économique en raison de la complémentarité de nos activités et de nos technologies : Alstom a des compétences en matière de solutions intégrées pour les centrales, et GE a des compétences dans le secteur des turbines à gaz. Grâce à la fusion de ces activités, nos clients pourront baisser leurs coûts et réduire leurs émissions polluantes.

Le regroupement des activités d’Alstom dans les secteurs de l’éolien en mer et de l’hydroélectricité et des activités de GE dans les secteurs de l’éolien terrestre et du stockage de l’énergie, nous permettra de disposer d’un des portefeuilles d’énergies renouvelables les plus importants et les plus diversifiés du marché. L’association de l’activité réseaux d’Alstom et du secteur Digital Energy de GE nous permettra de réaliser des projets haute et moyenne tension pour des clients dans le monde entier. Quant au périmètre géographique, là aussi on peut parler de complémentarité : l’alliance permettra de proposer des solutions à des régions du monde dont les besoins en énergie vont croissant comme la Chine, l’Inde, le Brésil ou le Moyen Orient. Elle nous permettra également d’aider des pays, notamment les pays industrialisés, à améliorer la rentabilité et la fiabilité de leurs installations.

Nous avons découvert, au cours des derniers mois, que nos cultures d’entreprise elles aussi étaient complémentaires : nous sommes des sociétés d’ingénierie ancrées depuis longtemps dans le secteur de l’électricité ; nous avons su tisser des relations stratégiques à long terme avec nos clients et l’innovation fait vraiment partie de notre ADN. Nous entendons donc relever ensemble quelques-uns des plus grands défis auxquels le monde est confronté, notamment la recherche d’une énergie durable, abordable et fiable pour tous.

Voilà le projet que Jeffrey Immelt vous a présenté pour la première fois en mai dernier, avant de répondre aux nombreuses questions que vous lui avez posées et de s’engager à répondre à toutes vos préoccupations. Il a annoncé que nous allions créer des emplois en France, que nous allions y installer le siège de certaines activités avec un pouvoir de décision en matière de ressources humaines et de technologies. En outre, nous allons poursuivre des investissements à Belfort – joyau de la famille industrielle que forment GE et Alstom – et nous avons l’intention de mettre en place une solution permettant à l’État français et à nos clients de s’approvisionner en turbines à vapeur et en technologies associées dans le cadre de projets nucléaires en France et dans le monde. C’est une garantie que nous avons donnée. Nous n’allons pas absorber Alstom, mais le regroupement de nos entreprises nous permettra d’être encore plus forts ensemble. Enfin, nous nous étions engagés à réfléchir aux modalités de la transformation d’Alstom Transport en une société autonome.

GE ne s’engage jamais à la légère : nous sommes très attachés au respect des engagements que nous prenons et je crois que nous avons réalisé d’énormes progrès depuis que Jeffrey Immelt s’est exprimé devant vous l’an dernier. Nous avons travaillé en bonne intelligence avec le Gouvernement français et notamment avec M. Macron que vous auditionnerez tout à l’heure, afin de mettre en place un cadre qui permettra à la France d’autoriser cet investissement étranger – un accord a du reste été signé sur ce point. Nous avons consulté les instances représentatives du personnel d’Alstom auxquelles nous avons exposé notre vision de l’alliance entre les deux sociétés, et ces instances ont émis un avis favorable en octobre dernier. Le conseil d’administration d’Alstom a validé officiellement l’opération avant de convoquer une assemblée générale extraordinaire pour faire entériner par les actionnaires la création de l’alliance – qu’ils ont approuvée à 99 % des voix le 19 décembre dernier.

En janvier 2015, nous avons lancé les procédures réglementaires requises dans plus de vingt territoires à travers le monde et nous travaillons actuellement avec les autorités réglementaires compétentes afin que l’opération soit validée – d’ici à l’été, espérons-nous.

Nous avons par ailleurs beaucoup progressé dans la mise en œuvre de notre plan d’intégration. Il faut savoir que tant que cette affaire n’est pas terminée, nos entreprises restent indépendantes l’une de l’autre, même si nous sommes autorisés à étudier les modalités du regroupement final. Nous y travaillons depuis le mois de juillet dernier et plusieurs centaines de salariés d’Alstom et de GE mettent tout leur savoir-faire au service de cette opération. Le regroupement des activités d’énergie et de réseaux d’Alstom – qui compte 65 000 salariés dans le monde entier – avec celles de GE – d’une taille équivalente, soit près de 130 000 personnes au total – n’est pas une mince affaire. Nous sommes actuellement dans une phase d’inventaire et de planification : compatibilité de nos systèmes financiers, révision de notre offre en associant le meilleur de nos produits, répartition des comptes clients entre les commerciaux… Avec la mise en œuvre de ce plan d’intégration, nous donnerons corps à la vision que Jeffrey Immelt vous a présentée en mai dernier.

Nous nous sommes ainsi engagés à créer 1 000 emplois nets dans le secteur industriel en France dans les trois années qui suivront l’année de finalisation de l’opération. Le cadre juridique a été mis en place : il prévoit un contrôle indépendant et le versement de pénalités en cas de non-respect des modalités prévues. Une fois l’opération finalisée, nous pourrons annoncer un plan plus détaillé pour les différents sites et préciser la manière dont nous allons créer des emplois. Si nous nous sommes engagés à installer quatre centres de décision compétents en matière de ressources humaines et de technologies, nous avons en fait décidé d’en implanter davantage.

Nous avons par ailleurs décidé de créer une toute nouvelle activité. Puisque les technologies liées aux énergies renouvelables sont essentielles pour proposer une énergie durable, abordable et fiable pour la planète, la compagnie a décidé de regrouper les actifs de GE et d’Alstom dans le secteur des énergies renouvelables au sein d’une entité unique qui rendra directement compte au PDG Jeffrey Immelt. Cette activité « Énergies renouvelables » sera basée à Paris et dirigée par Jérôme Pécresse qui travaille actuellement chez Alstom ; elle constituera l’un des sept pôles industriels de GE aux côtés des activités énergie-eau, pétrole et gaz, aviation, santé, transports et gestion de l’énergie.

C’est un événement rare : nous ne créons pas tous les jours un nouveau pôle industriel – cela témoigne de notre engagement en faveur des énergies renouvelables. Il s’agira du premier jamais implanté en France et du premier dirigé par un Français. Jérôme Pécresse, je l’ai dit, rendra compte à Jeffrey Immelt. Il disposera d’une équipe et pilotera l’ensemble des investissements de GE dans les technologies liées aux énergies renouvelables, qu’il s’agisse des solutions bien établies comme l’éolien et l’hydroélectricité, ou des technologies émergentes telles que les hydroliennes, le stockage d’énergie ou bien l’énergie solaire. Il sera à la tête de l’un des portefeuilles d’énergies renouvelables les plus importants et les plus diversifiés au monde.

Si nous avons choisi la France pour être à la pointe de l’activité énergies renouvelables de GE, c’est en raison de l’engagement de votre pays dans le domaine et en matière de transition énergétique, comme en témoigne l’organisation à Paris, à la fin de cette année, sous l’impulsion du Président Hollande, de la 21e conférence des parties (COP-21) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Nous sommes convaincus que la France est très bien placée pour développer des technologies liées aux énergies renouvelables à destination de clients dans le monde entier, qui souhaitent diversifier leurs sources de production d’électricité et réduire leurs émissions de dioxyde de carbone.

En outre, dans le cadre du pôle énergies renouvelables, nous avons une activité éolienne en mer qui aura son siège en France. Nous n’avons pas encore choisi qui la dirigera mais nous l’annoncerons au cours des mois à venir. Quant à l’activité « hydro », elle sera elle aussi basée à Paris et sera dirigée par Yves Rannou, issu d’Alstom. Le siège de la coentreprise nucléaire-vapeur sera également parisien ; nous avons d’ailleurs pressenti plusieurs candidats, tous excellents, en lice pour sa direction, mais nous allons d’abord consulter l’État français et nos principaux clients pour leur annoncer notre choix, ce qui sera fait juste avant la fin de l’opération. L’activité réseaux, pour sa part, regroupera les actifs de GE et d’Alstom et aura, comme les activités que je viens d’évoquer, son siège à Paris ; elle sera dirigée par Grégoire Poux-Guillaume qui, lui aussi, travaille chez Alstom.

Nous avons souvent déclaré que Belfort occupait une position stratégique pour GE et pour Alstom et je suis heureux d’annoncer que nous allons poursuivre nos investissements sur ce site. Il comptera plus de 3 000 salariés après l’achèvement de l’opération. Ce sera l’un des plus importants sites industriels de l’ensemble du groupe et le seul capable de produire la turbine nucléaire à vapeur Arabelle, numéro un dans le monde. Ce site est d’autant plus stratégique qu’il accueille le développement et la fabrication de notre nouvelle et exceptionnelle turbine à gaz, 9HA, lancée en France sur le site EDF de Bouchain. Le site de Belfort se développera pour devenir le centre stratégique de production de nos technologies d’énergie thermique.

Pour répondre aux préoccupations exprimées au sujet de l’approvisionnement en technologies des îlots nucléaires, nous avons créé une coentreprise dans laquelle Alstom sera à la fois investisseur et associé ; elle assurera le contrôle technologique, l’entretien des îlots conventionnels des centrales nucléaires dans le monde entier et sera chargée de la production et de l’entretien de la turbine à vapeur Arabelle dans les centrales nucléaires, des turbines à vapeur d’Alstom et des produits associés. GE en conservera le contrôle opérationnel, Alstom détiendra près de 50 % des droits de vote et l’État français bénéficiera de la golden share, assortie de droits spécifiques de gestion et d’un droit de veto sur les questions stratégiques se rapportant aux technologies. Cet accord a été approuvé par le Gouvernement français, AREVA et EDF.

Toujours dans le cadre de notre plan, nous nous engageons à regrouper ce qu’il y a de meilleur chez Alstom et chez GE pour construire une entité plus forte que la somme de ses composantes. Nous avons créé deux autres coentreprises : l’une dans le secteur des énergies renouvelables et l’autre dans le réseau. Alstom disposera de 49 % des droits de vote. Nous avons également nommé plusieurs dirigeants clefs d’Alstom à la tête des nouvelles activités – j’ai déjà mentionné Jérôme Pécresse qui dirigera le nouveau pôle énergies renouvelables et Grégoire Poux-Guillaume qui prendra la tête de l’activité réseaux. Philippe Cochet, lui, occupera des fonctions transversales au sein du groupe puisqu’il rendra directement compte à Jeffrey Immelt : il sera chargé de superviser les programmes d’amélioration à la productivité pour l’ensemble des activités industrielles de GE. Au fur et à mesure de la mise en œuvre du plan d’intégration, d’autres dirigeants d’Alstom seront nommés à des postes de direction au sein de la nouvelle structure.

Une fois l’opération finalisée, les experts technologiques d’Alstom travailleront main dans la main avec leurs homologues de GE pour construire ensemble les technologies énergétiques de demain.

Le nom d’Alstom continuera d’apparaître sur la plupart des produits et dans la plupart des solutions que nous mettrons en place et la culture de cette entreprise continuera de prospérer même si, depuis six mois que je travaille avec les équipes d’Alstom, je reste impressionné par les similitudes entre leur culture et celle de GE. Les deux organisations sont en effet fondées sur l’ingénierie, elles disposent d’une expertise de longue date dans le secteur de l’électricité, elles savent relever avec passion les défis majeurs auxquels sont confrontés nos clients ; très franchement, au cours des réunions de l’équipe d’intégration, il est très difficile de faire la différence entre l’équipe d’Alstom et celle de GE. Et c’est, au fond, tant mieux, car si nous voulons vraiment gagner notre pari de regrouper les 65 000 salariés d’Alstom avec un nombre équivalent de collaborateurs de GE, il faudra vraiment développer une culture commune.

Enfin, nous avons trouvé comment accompagner la transformation d’Alstom Transport en une entreprise autonome. Nous avons lancé notre propre activité de signalisation ferroviaire à Alstom qui, grâce à ses compétences, bénéficiera d’un positionnement stratégique sur le continent nord-américain. Les technologies de GE dans le domaine du fret compléteront la présence commerciale d’Alstom. Nous avons par ailleurs signé un protocole d’accord qui prévoit un appui commercial et financier.

Nous avons défini toutes ces modalités dans le cadre de la première étape de mise en œuvre de notre nouvelle organisation que nous avons dévoilée à nos salariés pour appuyer notre plan d’intégration. Pour l’instant, nous sommes encore deux entités distinctes et nous sommes obligés d’attendre le terme de l’opération pour aller plus loin et notamment les autorisations réglementaires. Mais, une fois l’opération terminée, nous serons en mesure de mettre la dernière touche à la nouvelle organisation et donc de tenir tous les engagements pris lorsque nous avons décidé de créer cette alliance, notamment vis-à-vis de l’État français.

Je le répète : chez GE nous sommes particulièrement attachés au respect des engagements que nous prenons et nous tenons nos promesses. Nous souhaitons donc respecter les engagements pris dans la perspective de l’alliance GE-Alstom. Quelles sont les prochaines étapes ? La poursuite, tout d’abord, de la mise en œuvre du plan d’intégration, et il reste beaucoup à faire pour obtenir les autorisations réglementaires nécessaires à l’achèvement de l’opération. Nous espérons les obtenir bientôt, mais d’ici là nous devons juridiquement fonctionner comme deux entreprises indépendantes et concurrentes dans certains secteurs. En attendant, l’équipe ad hoc continuera de planifier l’intégration.

J’évoquerai pour conclure ma participation à l’équipe d’intégration au cours du dernier semestre. J’ai le plaisir de la codiriger avec mon ami Jérôme Pécresse, d’Alstom. Nous travaillons quotidiennement avec une équipe qui compte cinquante à soixante professionnels, experts dévoués issus des deux groupes et qui travaillent eux-mêmes avec plusieurs centaines de leurs collègues. Je puis vous dire que nos équipes sont parfaitement conscientes du caractère historique de cette alliance. Nos collaborateurs acceptent des responsabilités en plus de leurs fonctions habituelles parce qu’ils tiennent à faire partie de ce projet ; ils montrent un réel esprit d’entreprise, une vraie énergie pour surmonter les obstacles et pour trouver des solutions et, s’ils le font, s’ils font preuve d’un véritable esprit de corps, c’est qu’ils sont convaincus que, malgré les difficultés, malgré le travail supplémentaire, ce qu’ils accomplissent durera très longtemps et aura un véritable impact sur le monde. Ils font l’histoire au quotidien et je suis honoré de faire partie d’une équipe aussi formidable.

Mme Clotilde Valter. Merci, monsieur Hutchinson, de nous avoir expliqué de façon aussi précise vos projets et de nous avoir réservé la primeur d’annonces attendues. Au long de votre intervention, nous avons pu constater que vous avez été très attentif à l’audition de ce matin, puisque vous avez répondu par avance à une bonne partie des questions que nous nous posions. Vous l’avez dit vous-même, et c’était aussi le souhait du Gouvernement et celui de la majorité : il ne s’agit pas d’une absorption, mais bien d’une alliance entre deux grandes entreprises. Nous restons toutefois vigilants pour ce qui touche à l’emploi – vous avez répondu sur ce point – et sur les centres de décision – vous nous avez fait des annonces à ce sujet.

Je reviendrai sur la gouvernance et les coentreprises mises en place. Comment l’équilibre est-il respecté entre les deux groupes ? Comment, concrètement, les Français pourront-ils considérer que les technologies les plus sensibles maîtrisées par Alstom – on peut même parler de joyaux technologiques – seront préservées ? Alstom est l’un des fleurons de l’industrie française et si le Gouvernement, si les parlementaires s’y intéressent à ce point, c’est parce qu’un certain nombre de ses activités relèvent de ce que l’on appelle les intérêts essentiels de la nation. Vous savez, vous qui connaissez bien la France, que l’on touche là à un sujet sensible.

Vous nous avez rappelé les termes de l’accord passé en novembre dernier et accepté par le Gouvernement, mais comment, concrètement, la nouvelle organisation va-t-elle fonctionner ?

M. Mark Hutchinson (traduction). Trois joint-ventures vont être créées dont le groupe GE aura le contrôle opérationnel puisqu’il y disposera de 50 % des voix plus une et qu’Alstom aura 50 % des voix moins une. Compte tenu de la nature de ces activités, il a été considéré comme important qu’elles soient le plus efficaces possibles et le fait d’en avoir le contrôle, en matière d’exploitation, nous permettra d’investir.

Nous voulons en effet assurer la croissance des activités. Nous nous sommes montrés transparents et rien n’a changé par rapport à l’annonce faite au mois de juin dernier sur la manière dont ces coentreprises seraient établies. Chacune comprendra un conseil d’administration, qui se réunira régulièrement, composé de deux membres originaires de GE et de deux membres issus d’Alstom. Le PDG, en cas de désaccord, aura voix prépondérante.

En ce qui concerne la coentreprise nucléaire, nous avons bien entendu compris le caractère très sensible de ce secteur pour la France. C’est pourquoi nous avons prêté la plus grande attention à l’établissement de cette structure. Nous disposons de 80 % des parts et Alstom de 20 %, mais il s’agit ici de l’aspect commercial, qui n’est pas le plus important. En ce qui concerne les droits de vote, Alstom dispose de 50 % des voix moins deux et GE, de 50 % plus deux. En outre, l’État français aura un droit de vote spécial et pourra exercer son veto s’il venait à être mécontent des décisions envisagées. Au-delà, nous avons créé un comité de pilotage constitué de la coentreprise elle-même, d’Alstom, d’AREVA, d’EDF et de l’État français, comité qui veillera à la bonne gouvernance de la coentreprise. Nous pensons donc avoir fait au Gouvernement français toutes les concessions qui s’imposaient pour que la France ait toute satisfaction dans la constitution de cette structure.

Mme Clara Gaymard, présidente de General Electric France. Je confirme que la description de Mark Hutchinson correspond exactement à ce qui a été décidé au mois de juin. Mais surtout, nous avons décidé de concentrer en France toutes les activités relatives aux énergies renouvelables. Ce business comprendra tout l’éolien de GE, ce qui représentera un apport de 6 milliards d’euros dans ce secteur en France, sous l’autorité, je le répète, de Jérôme Pécresse qui rendra directement ses comptes à Jeffrey Immelt ; s’y ajouteront la coentreprise chargée de l’éolien en mer et la coentreprise chargée des réseaux hydrauliques. Ainsi, l’ensemble de cette entité pèsera quelque 10 milliards d’euros grâce à l’apport de GE dont les activités dans le secteur de l’éolien terrestre sont beaucoup plus importantes que celles d’Alstom.

Grégoire Poux-Guillaume qui, chez Alstom, dirige la partie réseaux, va devenir le patron de la coentreprise des réseaux, mais à laquelle nous-mêmes apportons ce que nous appelons chez nous le Digital Energy, pour créer une entité qui pèsera 7,5 milliards d’euros – 5 milliards provenant d’Alstom et 2,5 de GE. Ces deux métiers mondiaux auront leur siège en France et seront dirigés à partir de la France.

Nous allons donc plus loin que les accords initiaux et, comme l’a rappelé Marc Hutchinson, nous le faisons parce que nous croyons non seulement qu’Alstom a des actifs intéressants à développer, mais encore que l’écosystème – la qualité des ingénieurs, celle des centres de recherche, des partenariats, la possibilité d’avoir de grands clients… – fait de la France la plateforme mondiale sur laquelle l’alliance GE-Alstom bâtira le futur du renouvelable et des réseaux.

M. Daniel Fasquelle. Nous sommes nombreux à nous interroger sur le choix de M. Kron, puisque le groupe Alstom était en parfaite santé et qu’il n’y avait aucune raison de se précipiter pour le vendre. Nous pensons qu’une solution française était possible dans la mesure où le secteur concerné est stratégique – en particulier celui de l’énergie – et nous ne comprenons pas pourquoi Alstom a été vendu à GE et, j’y insiste, de façon aussi précipitée : nous avons tous été mis devant le fait accompli.

Je reviens sur une question posée au cours de l’audition de ce matin. Plusieurs journalistes s’interrogent sur le rôle de la justice américaine dans cette affaire. Il se trouve qu’Alstom Energie a fait l’objet d’une procédure devant ladite justice pour répondre de l’établissement d’un « système de corruption » et que, au lendemain du vote en assemblée générale validant la vente à GE, le ministère de la justice américain a annoncé la conclusion d’un accord à l’amiable avec Alstom mettant fin aux poursuites pénales contre une amende record de 630 millions d’euros.

D’après le Wall Street Journal, citant votre avocat, GE a participé à toutes les étapes de la négociation avec la justice américaine, laquelle a accepté d’attendre que la vente d’Alstom Énergie soit effective pour que l’amende soit payée… On peut d’ailleurs rapprocher cette affaire d’autres où GE a racheté des entreprises ayant fait l’objet de procédures pour corruption. Le Figaro en a dressé la liste : InVision, Ionics, Amersham, Nycomed, et Vetco Grey. Des observateurs s’interrogent sur une possible collusion entre la justice américaine et certaines entreprises américaines qui rachètent des entreprises étrangères déstabilisées par des procédures intentées devant la même justice pour des faits qui, de surcroît, n’ont même pas eu lieu aux États-Unis ! Cela témoigne en tout cas d’une marque d’impérialisme de la part des Américains qu’André Chassaigne ne manquera pas de dénoncer après moi…

Mme Clotilde Valter. Ne parlez pas à la place des autres !

M. Daniel Fasquelle. GE s’était engagé à payer cette amende ; or il se trouve que c’est Alstom Transport qui devra finalement s’en acquitter. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Toujours d’après le Wall Street Journal, votre directeur financier aurait annoncé une amende 280 millions d’euros, soit 500 000 euros de moins que le montant initialement prévu. Reste qu’Alstom en aura une partie à sa charge alors qu’il avait été promis aux actionnaires que GE la prendrait pour son compte, ce qui avait permis de les convaincre. Vous déclarez que tous les engagements sont tenus, que tout est formidable – la preuve que non… à moins que vous ne démentiez ces informations.

Ensuite, il ne s’agit absolument pas d’une alliance mais une prise de contrôle pure et simple d’Alstom par GE. Les coentreprises dont vous avez évoqué la création, par exemple, n’ont rien à voir avec les coentreprises que GE dirige avec Safran dans le domaine des moteurs d’avion, où chaque entreprise gère indépendamment 50 % de la fabrication de chaque moteur. En l’occurrence, comme il y a eu quelques remous en France, il a fallu sauver la face et bricoler un peu pour faire croire aux Français qu’on n’avait pas abandonné Alstom. La vérité est tout autre : vous avez dit vous-même à l’instant que GE serait majoritaire dans les trois coentreprises ; c’est vous qui déciderez. Certes, dans un premier temps, il y aura peut-être, formellement, des anciens d’Alstom et de GE, mais ce schéma ne tiendra pas et vous finirez par prendre définitivement le contrôle d’Alstom. Un rendez-vous est prévu en 2018. L’État était censé s’impliquer en rachetant les actions de Bouygues ; on sait très bien que cela ne se fera pas. On a procédé à une sorte d’habillage de l’opération, on a fait beaucoup de communication pour faire croire aux Français qu’on avait sauvé Alstom alors que, et je vous en félicite, GE a fait main basse sur l’un des fleurons de l’industrie française – tant pis pour nous et tant mieux pour vous.

M. le président François Brottes. Voilà une question toute en nuances…

M. Mark Hutchinson (traduction). Parler de collusion entre le ministère de la justice américain et GE est parfaitement absurde. Le ministère de la justice américain est une autorité indépendante et nous sommes une multinationale. Nous avons notre siège aux États-Unis, c’est vrai, mais nous avons plus de 10 000 salariés en France et nous y sommes parfaitement respectueux de la loi. Alors, parler de collusion, non.

Les négociations avec Alstom ont duré pendant pas mal de temps et elles ont commencé avant même que l’on envisage le projet de rapprochement. Patrick Kron nous avait tenus au courant de la procédure avec le ministère de la justice américain mais nous n’y avons pas participé. Quant au chiffre que vous avez cité, il n’a rien à voir avec l’amende, fixée directement entre le ministère de la justice et Alstom. Et, au fur et à mesure du déroulement de l’opération, notre décision de modifier certains points, notamment pour tout ce qui est des marques, branding et autres, n’avait rien à voir, je le répète, avec les négociations entre Alstom et le ministère de la justice.

M. Daniel Fasquelle. Il y a quand même eu un accord pour que GE paye l’amende !

Mme Clara Gaymard. Lorsque nous avons discuté avec Patrick Kron, il avait été convenu que GE paierait l’amende ; or le ministère américain de la justice en a décidé autrement. En tout cas, sauf votre respect, monsieur le député, je ne peux laisser dire que les actionnaires ont décidé de voter en faveur de l’alliance GE-Alstom au vu de ce seul critère. Il s’agit bel et bien d’une opération industrielle, économique – nous vous l’avions largement expliqué quand Jeffrey Immelt est venu et Mark Hutchinson vient de vous en rappeler les principes. Nous sommes des entreprises industrielles et les membres du board d’Alstom et l’assemblée générale d’Alstom prennent leurs décisions en fonction de l’intérêt industriel et économique de l’entreprise.

Selon vous, les coentreprises envisagées ici sont de nature différente de celles qui existent dans le cadre de l’alliance avec Safran. C’est vrai, et pour une raison très simple : l’accord avec Safran n’est pas une alliance capitalistique. Certes, il existe une coentreprise, la FAMAT (Fabrications mécaniques de l’Atlantique), basée à Nantes, qui fabrique les nacelles pour les moteurs d’avion et qui emploie 400 personnes. Mais le partenariat avec Safran est technologique. Il y a quarante ans, nous avons décidé de fabriquer ensemble un moteur : le CFM56. C’était un pari, c’était au début du projet Airbus. GE fabrique la partie « chaude » de ce moteur et Safran la partie « froide ». Lorsqu’il est destiné à l’Airbus A320 ou à l’Airbus A320 Néo, il est assemblé en France et, lorsqu’il est destiné à Boeing, la partie fabriquée par Safran est envoyée aux États-Unis pour y être assemblée. Cette alliance technologique se poursuit puisqu’au plus fort de la crise, nous avons signé un accord pour fabriquer, toujours à hauteur de 50 % chacun, un nouveau moteur d’avion, le LEAP-X, qui, au passage, est déjà un succès. Ce formidable succès industriel a été possible parce que nous avons décidé de fabriquer un produit ensemble ; nous partions de rien. Ce n’est pas du tout le cas ici : les coentreprises envisagées dans le cadre de l’alliance GE-Alstom regroupent, elles, des métiers très différents. Ainsi, Alstom, dans le domaine des réseaux, a déjà développé un métier et nous y emboîtons le nôtre. Il s’agit donc d’une alliance de gouvernance commune et, comme l’a rappelé Mark Hutchinson, il faut bien que quelqu’un pilote la voiture, mais la gouvernance est partagée pour moitié entre GE et Alstom et cela durera autant de temps qu’Alstom le souhaitera.

M. André Chassaigne. Je poserai quelques questions de mon cru, même si Daniel Fasquelle semble devenu crypto-communiste, à en juger par ses propos que j’aurais moi-même pu tenir en d’autres temps…

Il faut bien comprendre que, pour nous, la filière énergie est un secteur déterminant au point de faire partie de notre identité. Ce n’est pas seulement stratégique : on touche avec lui à notre souveraineté. Aussi faut-il bien comprendre nos inquiétudes.

Il ressort de vos explications ou des courriers que nous avons pu recevoir – en particulier le vôtre, madame Gaymard –, que la France pourrait, d’une certaine manière, se spécialiser dans les turbines à vapeur tout en perdant sa spécialisation dans l’activité nucléaire qui pourrait se déployer ailleurs ; d’où, j’y insiste, notre inquiétude au regard de ce que représente la production d’électricité nucléaire dans notre pays. Je souhaite obtenir des éclaircissements de votre part sur ce point.

Se pose aussi la question – déjà abordée lors de l’audition de ce matin – de la propriété industrielle, notamment de la technologie des turbines à vapeur pour l’activité nucléaire. On nous parle de licences en nous laissant entendre qu’elles pourraient être cédées à des tiers en cas d’impossibilité de livrer des turbines Arabelle, notamment à AREVA et à EDF pour les réacteurs EPR. Je ne comprends pas ces blocages. Pourquoi faut-il des licences ?

On a toujours dit qu’Alstom était le champion de la recherche et développement en France. Or le groupe américain a annoncé un plan d’économies important, à hauteur, ai-je lu, de 1,2 milliard d’euros, au détriment de la recherche, de la production, des achats… Qu’en est-il, dans ce contexte, des sites de recherche comme Grenoble pour l’hydroélectricité, Nantes pour l’énergie marine, Belfort pour les îlots conventionnels des centrales nucléaires, Villeurbanne pour l’appareillage haute tension, Massy pour les transformateurs de puissance ? Vous comprendrez que nous nous inquiétions pour le maintien de ces sites si la recherche devait quitter notre pays pour être réalisée ailleurs. Vous devez nous donner des assurances à ce sujet.

À côté du maintien de l’activité se pose la question du maintien de l’emploi. Vous annoncez la création de 1 000 emplois. Ces 1 000 emplois viendront-ils en complément de ceux qui existent, seront-ils liés au développement d’activités nouvelles ?

GE n’est pas la première entreprise américaine implantée en France. Vous avez évoqué la culture d’entreprise. Or les relations entre les salariés et l’entreprise sont en France bien spécifiques, notamment par le biais des instances représentatives. Avez-vous procédé à des consultations ? Sur les choix stratégiques et d’investissements, quels liens avez-vous avec les actuels salariés d’Alstom ? Les questions touchant aux ressources humaines sont-elles bien posées ? Intégrez-vous la culture française d’association des salariés aux choix stratégiques et d’investissements ou bien procédez-vous de façon unilatérale ? Même si, certes, toutes les entreprises françaises ne correspondent pas à ce schéma, cette dimension est pour nous très importante.

Vous constaterez que je ne vous ai pas posé des questions de bolchevik ultra-révolutionnaire – je les ai laissées à mon collègue de droite…

M. Mark Hutchinson (traduction). La filière énergie est en effet stratégique, et à l’échelle mondiale : General Electric produit environ un tiers de l’énergie mondiale ! Pour ce qui est des turbines à gaz, si nous avons vendu l’an dernier une machine à l’Europe, nous les vendons surtout en Amérique latine, au Moyen-Orient, en Asie… Il faut vraiment, dans ce domaine, raisonner en termes mondiaux. Et la France peut, je crois, appuyer nos capacités dans le monde entier.

Dans le domaine nucléaire, en revanche, la France est notre priorité. Peut-être pourrons-nous intervenir sur d’autres installations nucléaires dans le monde, mais depuis l’accident survenu au Japon l’activité s’est, je peux vous l’assurer, beaucoup ralentie. Nous ne pensons donc pas que ce marché croisse à court terme. Nous pensons qu’il faut agir au mieux et mettre au point des technologies en France pour nos clients français ; nous envisagerons ultérieurement d’éventuels développements à l’extérieur.

Quant aux licences, dans l’hypothèse – fort peu probable – où nos collègues français souhaiteraient intervenir dans un pays où certaines réglementations interdisent aux entreprises américaines de travailler, l’accord contient une clause qui permet à EDF, Areva… de remplir leurs obligations. C’est une clause mineure, mais qui nous paraissait importante, et nous avons voulu la proposer au Gouvernement français.

Enfin, le rapprochement de ces deux très grandes entreprises ouvrira sans doute la voie à des synergies ; nous avons effectivement mentionné le chiffre d’1,2 milliards de dollars. Nos deux groupes emploient 65 000 salariés chacun : il y aura donc probablement des doublons. Mais nous voulons surtout croître ensemble : les synergies concerneront donc surtout l’approvisionnement et la commercialisation. General Electric est une compagnie axée sur quelques produits, principalement les turbines à gaz, alors qu’Alstom est finalement une entreprise beaucoup plus diversifiée – récupération de chaleur, générateurs, équilibrage dans les centrales électriques… Aujourd’hui, General Electric achète beaucoup à d’autres entreprises, mais nous allons désormais produire davantage en interne, grâce à Alstom. Cela constituera une source formidable de synergies. Nous pourrons également proposer à nos clients une gamme de produits plus variés. Encore une fois, il y aura sans doute des doublons, et nous y réfléchissons dans le cadre de notre plan d’intégration, en raisonnant à l’échelle mondiale, afin d’améliorer encore l’équation. Mais la majeure partie des économies réalisées devrait venir du fait que nous achèterons et vendrons ensemble.

Mme Clara Gaymard. Vous avez raison, monsieur le député : l’énergie fait partie de l’identité française. Notre pays compte de très gros clients, comme EDF, Areva, Total… General Electric est présent ici depuis très longtemps, puisque nous avons racheté, en 1999, les turbines à gaz fabriquées par Alstom à Belfort, ce qui a fait de nous le plus gros exportateur de turbines à partir de la France – nous exportons plus de 98 % de ce que nous produisons à Belfort, alors qu’Alstom fabrique les siennes en Suisse. Dès avant l’acquisition d’Alstom, General Electric était donc un acteur majeur du secteur énergique en France.

Pour ce qui est du nucléaire, je souligne que nous avons signé, avant l’accord avec l’État, un accord avec EDF et Areva, les deux principaux clients d’Alstom, afin de les rassurer totalement sur l’avenir de la filière.

Nous nous sommes engagés à créer, en trois ans, 1 000 emplois supplémentaires par rapport aux effectifs de l’entreprise au moment du closing, c’est-à-dire de la conclusion finale de l’accord, une fois obtenu – croisons les doigts – l’accord de la Commission européenne. Nous avons signé un accord avec un organisme indépendant, Vigeo, qui dès à présent comptabilise les emplois du côté d’Alstom et du côté de General Electric : le compteur démarre dès le jour de la transaction. Si d’aventure nous n’arrivions pas à créer ces emplois, nous paierions des pénalités substantielles pour chacun de ces 1 000 emplois non créé.

Les syndicats d’Alstom ont été entièrement associés à la décision. Patrick Kron avait même, il l’a rappelé lors de son audition ce matin, prévu une clause précisant que l’accord des syndicats était nécessaire à la conclusion de l’alliance ; les syndicats d’Alstom l’ont d’ailleurs votée, au mois de novembre, à la quasi-unanimité. Nous-mêmes, sans y être tenus, avons instauré avec les représentants du personnel de General Electric comme avec ceux d’Alstom un dialogue permanent. Demain se tiendra d’ailleurs un comité de groupe destiné à tenir les représentants du personnel informés de l’actualité de l’alliance.

M. Mark Hutchinson (traduction). J’ajoute que General Electric est une société d’infrastructures et de technologie ; nous consacrons 5 % de notre chiffre d’affaires à la recherche et développement, ce qui représente 6 à 7 milliards de dollars par an. Là encore, il faut raisonner en termes mondiaux : l’expertise locale doit être conjuguée avec l’expertise mondiale. Dans le domaine de l’hydro-électricité par exemple, nous sommes très heureux de pouvoir compter sur les capacités du centre de recherche et développement de Grenoble, que nous souhaitons développer : nous voulons continuer le formidable mouvement d’innovation qui existe ici en France.

M. André Chassaigne. Président du groupe d’amitié parlementaire France-Cuba, je veux vous faire part des inquiétudes que suscite le rachat d’Alstom : cette entreprise assure la maintenance des centrales thermiques cubaines qui alimentent en électricité la quasi-totalité de la ville de La Havane. Un tiers de l’électricité de l’ensemble de l’île est concerné. Or – même avec une licence demeurée française – le blocus, ou l’embargo, selon que l’on choisit un terme plus ou moins fort, que les Américains n’ont pas encore levé, risque d’empêcher Alstom de continuer à travailler. De plus, la COFACE a accordé sa garantie en cas de défaillance, et la France souhaite développer ses relations commerciales avec Cuba pour éviter que les Américains ne raflent tout dès la levée de l’embargo.

Comment voyez-vous ce problème ? L’électricité sera-t-elle entièrement coupée à La Havane pour la visite du président François Hollande ? Les relations commerciales entre Cuba et Alstom pourront-elles continuer ?

M. Mark Hutchinson (traduction). C’est un problème dont nous sommes tout à fait conscients. Nous travaillons à une solution, qui sera prête dans quelques semaines.

Mme Clara Gaymard. M. Kron a répondu sur ce point ce matin, me semble-t-il.

M. Jean-Pierre Le Roch. Je remercie nos invités pour la qualité et de la précision de leurs réponses.

M. Immelt s’était engagé, vous l’avez confirmé, à créer mille emplois supplémentaires sur le territoire français, ce qui ne peut que susciter des espoirs. Quels sites pourraient être concernés ? Ces emplois concerneront-ils prioritairement l’une des trois nouvelles co-entreprises, ou bien d’autres secteurs comme la santé ou l’aéronautique, évoqués dans votre propos liminaire ?

Mme Clara Gaymard. Nous n’avons pas encore déterminé la cartographie exacte des emplois que nous allons créer. Nous avons d’ailleurs trois ans pour le faire. Notre engagement porte bien sur la partie industrielle du groupe, autrement dit, il ne se limite pas au périmètre de l’alliance : cela peut concerner la partie santé, voire la partie aéronautique, mais dans une moindre mesure, puisque les salariés dépendent en l’occurrence principalement de Safran. Quoi qu’il en soit, il s’agit bien d’emplois pérennes, durables, technologiques, industriels.

M. Mark Hutchinson (traduction). Nous pourrons, j’espère, vous donner une meilleure idée de nos projets après le closing. Je souligne qu’il s’agit bien de créer mille emplois, et que les recrutements seront donc plus importants, puisqu’il faudra remplacer les personnes qui quittent l’entreprise, parce qu’elles partent à la retraite ou sont recrutées ailleurs.

Mme Clara Gaymard. C’est en effet un point très important : les recrutements seront bien supérieurs aux mille emplois créés.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Pouvez-vous préciser ce dernier point ?

Ce que vous nous présentez semble merveilleux ; mais je reste convaincu, malgré vos efforts, qu’il ne s’agit pas d’une alliance. Vous dites que la situation restera la même tant qu’Alstom le souhaitera : je maintiens, moi, qu’elle ne dépend que du bon vouloir de General Electric.

Si la Commission européenne vous imposait de céder l’ensemble de l’activité d’Alstom dans le domaine des centrales à gaz, en raison de règles de concurrence, General Electric renoncerait-il à l’acquisition des autres activités d’Alstom dans le domaine de l’énergie ? Cette procédure européenne constitue-t-elle une gêne pour vous ?

La presse américaine a évoqué le possible remplacement du PDG de General Electric, Jeffrey Immelt, par le directeur financier de l’entreprise : un tel changement remettrait-il en question l’acquisition des activités énergie d’Alstom ?

Je répète, pour avoir déjà connu ce type de situations, qu’il ne s’agit pas là d’une alliance.

Mme Clara Gaymard. Pour créer 1 000 emplois nets, il faut recruter bien plus que mille personnes – peut-être 1 500 ou 1 600 personnes. Une entreprise est un corps qui vit : il y a des départs volontaires, des départs à la retraite…

S’agissant de l’alliance, je voudrais rappeler que l’intégration est conduite de façon totalement bipartite. Mark Hutchinson l’a dit : Jérôme Pécresse est le co-leader de l’intégration, et toutes les décisions sont prises de façon commune. C’est vrai à tous les niveaux, que ce soit pour les ressources humaines, pour la partie juridique, etc. À chaque fois, la gouvernance est exercée par un tandem. Vous êtes libre, bien sûr, de penser ce que vous voulez, mais nous, nous concevons cette alliance avec une gouvernance commune. C’est de toute façon indispensable : il y a environ 65 000 personnes de chaque côté ; en mettant simplement les uns sous la coupe des autres, on courrait à l’échec.

M. Mark Hutchinson (traduction). General Electric est une multinationale qui travaille avec plus de vingt juridictions dans le monde ; chacun a des procédures différentes. Certaines ont déjà approuvé la transaction, d’autres examinent encore le dossier. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le travail de la Commission européenne. Celui-ci a commencé cinq mois avant janvier 2015, par une phase préliminaire qui lui a permis de se familiariser avec l’entreprise, l’opération, le marché. Le dialogue a été particulièrement constructif. La première phase s’est achevée et nous en sommes aujourd’hui à la deuxième. Compte tenu de la dimension et de la complexité de cette opération, il était évident que la Commission réagirait de cette façon. Cela ne nous gêne absolument pas. Nous allons continuer de lui montrer les avantages de cette opération. Notre dossier est, nous en sommes persuadés, très solide. Il pourra y avoir des cessions – toutes les autorités de régulation du monde entier fonctionnent de la même façon.

Quant au successeur potentiel de mon patron, ne me demandez surtout pas de m’aventurer sur ce terrain miné ! Je peux vous assurer que les personnes en place sont encore là pour de nombreuses années. L’alliance avec Alstom est considérée par tous comme très importante ; M. Immelt est PDG depuis plus de dix ans, et il prendra soin de s’assurer qu’elle sera menée à bien.

M. Jean-Luc Laurent. Après les pertes par la France de Péchiney et d’Arcelor, qui étaient des moteurs de notre industrie, la représentation nationale se doit d’être très vigilante. De plus, j’ai bien suivi le processus l’an dernier, et je me souviens bien que General Electric s’intéressait principalement aux turbines à gaz. J’avais pour ma part approuvé l’accord intervenu entre Alstom, General Electric et l’État, car il me semblait équilibré, notamment grâce à la création de trois co-entreprises. Mais vous nous confirmez aujourd’hui que ce qui a été dit lors de la présentation de l’accord n’était pas la réalité : comme je l’ai dit à M. Kron ce matin, je me sens, en tant que député du Mouvement républicain et citoyen, floué. J’ai peur que nous ne perdions le contrôle d’un fleuron stratégique de l’industrie française, d’un élément essentiel de cette filière d’avenir qu’est l’industrie nucléaire, d’un élément essentiel aussi pour notre souveraineté.

Si la co-entreprise qui se met en place pour les turbines nucléaires est répartie, comme vous l’avez indiqué, entre 80 % pour General Electric et 20 % pour Alstom, cela témoigne d’un engagement très fort de General Electric. Vous devez donc avoir une vision, un projet industriel : pouvez-vous nous en parler ? J’ai, comme d’autres, du mal à penser du bien de cette opération : en quoi peut-elle constituer un atout pour la filière nucléaire française ? Au-delà de la turbine Arabelle – élément évidemment structurant et essentiel –, quelle est votre ambition pour cette co-entreprise ?

Vous avez abordé la question des licences en indiquant qu’il existait un accord spécifique, ce que j’ignorais, pour éviter toute difficulté. Vous dépendez des États-Unis d’Amérique ; si ceux-ci, ce qui arrive parfois, décident d’un nouvel embargo, que se passera-t-il ? Une étude juridique a-t-elle été menée pour que l’accord signé avec EDF et Areva puisse devenir une réalité ?

L’amende de 770 millions de dollars devait être payée par General Electric ; j’entends ce qui a été dit, mais pouvez-vous rechercher une solution pour cet engagement, que vous avez pris, soit lui aussi tenu ?

M. Mark Hutchinson (traduction). Ne nous jugez pas sur notre passé, mais sur ce que nous avons fait en France. Nous sommes une entreprise modèle, présente ici depuis quarante ans. Nous avons 10 000 salariés en France et nous avons multiplié notre activité par trois au cours des quinze dernières années.

Le marché de l’énergie, je l’ai dit, est mondial. Sur les co-entreprises, nous avons fait preuve de transparence, et rien n’a changé depuis nos annonces du mois de juin. Il est vrai que nous en avons le contrôle opérationnel, parce qu’il s’agit pour nous de la meilleure façon de développer l’activité et de piloter les investissements de façon judicieuse.

S’agissant du nucléaire, peut-être développerons-nous d’autres technologies et explorerons-nous, le moment venu, des marchés hors de France. Mais notre priorité, aujourd’hui, dans ce domaine, c’est bien la France.

Quant aux licences, la clause que vous évoquez tend à répondre à la situation où nous ne pourrions pas conclure de marchés dans un pays qui serait visé par un embargo des États-Unis. C’est une porte de sortie qui nous a paru nécessaire afin d’éviter toute situation inconfortable : dans cette éventualité, au demeurant parfaitement hypothétique, l’État français aurait une licence technologique, et aurait le droit de fabriquer des équipements pour un autre pays. Mais vous pouvez, je crois, être tranquille, car il est tout de même très improbable qu’une telle situation devienne réalité.

Mme Clara Gaymard. Le nucléaire est partout dans le monde une activité qui dépend très fortement de l’implication de l’État. En France, celui-ci a toujours beaucoup investi dans le nucléaire, et c’est ce qui fait la force de la filière française. Jeffrey Immelt le répète souvent : nous avons pris de nombreux engagements et nous entendons par principe les respecter, mais aussi parce que c’est une réalité économique et industrielle : la filière nucléaire ne marche pas sans une implication forte de l’État. La constance de notre pays en la matière constitue un atout formidable, ce que Jeffrey Immelt se plaît souvent à rappeler.

Notre ambition en matière de nucléaire est donc partagée avec l’État, mais aussi avec les grands clients que sont EDF et Areva. Si nous parlons de la turbine Arabelle, c’est parce que c’est ce que produit Alstom. Mais soyez assuré que nous resterons totalement engagés dans cette vision française de la filière nucléaire, qui est un exemple unique dans le monde.

M. Yves Daniel. Député de Loire-Atlantique, je me réjouis de l’implantation du siège de la filière Énergies marines renouvelables dans la région nantaise : son ouverture est prévue à Bouguenais en 2017, c’est-à-dire demain. Jusqu’à présent, le groupe américain n’est pas vraiment présent dans ce secteur ; certains pensaient qu’il n’était pas intéressé par les énergies marines. Pouvez-vous nous apporter plus de précisions sur la stratégie de General Electric dans ce domaine ?

Ma deuxième question porte sur la fiscalité. De l’optimisation à la fraude fiscale, il n’y a parfois qu’un pas, et l’actuel gouvernement porte à cette question une grande attention. Or, avec une vingtaine de filiales dans des paradis fiscaux, General Electric est souvent dénoncé comme un champion de l’optimisation fiscale : en 2013, son taux d’imposition ne dépassait pas les 4 %, car la plupart de ses bénéfices sont déclarés à l’étranger, ce qui empêche leur taxation par le fisc américain. Quelle est la position du groupe sur ce sujet ?

M. Mark Hutchinson (traduction). Nous sommes extrêmement intéressés par l’activité d’Alstom dans le domaine des énergies marines renouvelables. Nous avons énormément investi dans le domaine de l’éolien terrestre, dont nous sommes un acteur majeur ; Alstom a surtout développé l’éolien en mer, avec des perspectives intéressantes. L’hydroélectricité présente dans notre portefeuille a été cédée, tout simplement parce qu’Alstom était bien meilleur que nous. Nous sommes donc tout à fait enchantés des perspectives de développement de ce marché en France et dans le monde.

Pour ce qui est des impôts, nous les payons ! Nous sommes une entreprise multinationale : en 2013, nous avons payé en France plus de 600 millions d’euros d’impôts.

M. Daniel Fasquelle. Certes, les centaines de millions d’euros d’amende n’ont pas suffi à convaincre les actionnaires, mais cela a joué un rôle, madame Gaymard. Vous parlez de projet industriel et économique, mais les enjeux financiers sont évidemment âprement discutés lorsqu’on passe de tels accords… Sur ce point, vos réponses ne sont d’ailleurs pas très claires.

Vous dites que General Electric va « piloter la voiture ». C’est précisément ce que nous dénonçons : dans un tel projet, il y a un pilote, et c’est bien General Electric. Certes, dans une première étape, vous associez Alstom aux décisions : c’est votre intérêt, puisque vous ne voulez braquer ni l’entreprise ni l’État. Mais, à terme, l’une des entreprises finira bien par prendre le dessus ! Or la France a connu des expériences douloureuses. Péchiney et Arcelor ont été cités, mais l’on pourrait également évoquer la tentative d’alliance entre Publicis et Omnicom : celle-ci a heureusement échoué, parce que les uns et les autres ont pris conscience que construire un partenariat d’égal à égal était impossible. Qu’on ne nous raconte donc pas d’histoires ! Mais c’est un reproche que je fais à M. Kron, non à vous. Il n’a pas su défendre les intérêts d’Alstom. Vous avez défendu les vôtres et vous avez gagné, je ne peux vous en faire reproche.

S’agissant des centres de décisions, j’aimerais plus de précisions. Le siège des activités dans le domaine de l’éolien terrestre, qui se trouve actuellement aux États-Unis, sera-t-il transféré à Paris ? Quant au centre de décision pour les turbines à vapeur, sera-t-il implanté à Belfort comme M. Immelt l’avait annoncé ?

Si j’étais un peu taquin, je vous demanderais aussi comment vous arrivez à concilier la volonté du président Obama de relocaliser aux États-Unis une grande partie des activités des entreprises américaines avec votre annonce de déploiement en France d’une partie de vos activités…

Enfin, nous sommes tous très sensibles à la question fiscale. Certaines entreprises développent leur activité sur notre territoire, tout en essayant de ne pas y payer d’impôts – certaines, principalement américaines malheureusement, comme Apple ou Twitter, essayent même de ne plus payer d’impôts du tout, au point de songer à construire des villes offshore… Fort heureusement, vous n’en êtes pas là. Pouvez-vous nous parler des impôts que General Electric paye en France ? Quelles seront les conséquences de la fusion, et que paiera la nouvelle entité ? Une consolidation des comptes du groupe ne risque-t-elle pas d’engendrer une perte de recettes fiscales pour la France ?

M. Mark Hutchinson (traduction). En matière d’énergies renouvelables, notre projet est d’établir un pôle industriel ; son siège sera à Paris, et la co-entreprise sera dirigée par M. Pécresse. Il comprendra différentes activités. En revanche, le siège de l’éolien terrestre demeurera aux États-Unis. Le siège de l’éolien en mer sera établi à Paris, comme pour l’hydroélectricité.

Les énergies renouvelables sont une activité qui se déroule à l’échelle mondiale ; notre pôle devrait représenter environ 10 milliards de dollars, puisque General Electric apportera ses quelque 7 milliards et Alstom le reste. Cela va au-delà même des engagements que nous avons contractés : pour nous, la France est un excellent endroit pour investir en ce domaine, car elle accorde une grande place aux énergies renouvelables. C’est un geste important de notre part, qui a d’ailleurs été extrêmement bien accueilli par la direction d’Alstom.

Les autres activités que nous avons évoquées, notamment celles dans le domaine du nucléaire et la construction de la turbine Arabelle, se feront aussi en France. Le lieu où sera implanté le centre de décision n’est pas fixé. Nous devons encore en parler au Gouvernement français pour savoir si nos projets lui conviennent.

General Electric est une multinationale, certes très présente aux États-Unis, mais qui réalise 65 % de son chiffre d’affaires hors des États-Unis ; une fois l’alliance avec Alstom définitivement conclue, nous aurons autant de salariés en Europe qu’aux États-Unis. Nous avons beaucoup évolué au cours des dix à quinze dernières années pour internationaliser notre entreprise davantage encore, et nous en sommes fiers. Nous créons les emplois là où ils sont utiles : nos décisions sont bien celles d’une multinationale.

Mme Clara Gaymard. Monsieur le député, vous insinuez que l’amende infligée par les États-Unis aurait joué un rôle dans la décision d’Alstom. Je voudrais rappeler un simple fait : les actionnaires ont voté à 99 % l’alliance avec General Electric en sachant qu’Alstom devrait payer cette amende. Laisser penser qu’ils n’auraient pas voté en toute connaissance de cause ne me semble pas conforme à la réalité des faits.

Mme Clotilde Valter. Je souhaite revenir sur la question des turbines à vapeur et du nucléaire. Vous avez notamment évoqué un comité de pilotage : comment celui-ci fonctionnera-t-il et quel sera concrètement son rôle ?

D’autre part, j’ai cru comprendre que les brevets d’Alstom étaient placés dans une société détenue à 100 % par la France. Là encore, comment, concrètement, cela fonctionne-t-il ?

M. Mark Hutchinson (traduction). Ce comité de pilotage peut se réunir aussi souvent qu’il le souhaite. Nous n’en sommes pas encore à la phase réellement opérationnelle, et nous devrons encore travailler, notamment avec l’État, pour mettre au point tous les paramètres du fonctionnement de cette structure.

Nous avons pris de nombreux engagements pour ce qui touche au domaine du nucléaire. La France disposera d’un droit de veto et vous pouvez compter sur le fait que nous respecterons nos engagements.

Mme Clara Gaymard. Nos engagements, notamment pour ce qui concerne la co-entreprise nucléaire, sont nombreux et précis, jusqu’à une liste d’une quinzaine de postes stratégiques pour la co-entreprise – finances, recherche et développement, marketing… – qui précise le rôle et la nationalité, ou en tout cas le pays de travail, des personnes qui les occupent. Il s’agit de concilier la préservation des intérêts français et la gouvernance normale d’une entreprise.

Mme Clotilde Valter. Vous n’avez pas répondu sur la question des brevets, dont nous avons pu mesurer le caractère essentiel dans le domaine de la sidérurgie.

M. le président François Brottes. Ce fut le cas aussi dans celui des télécommunications avec Alcatel.

Mme Clotilde Valter. Absolument. Comment, concrètement, les brevets d’Alstom qui demeurent propriété française sont-ils utilisés au quotidien par l’entreprise ?

Mme Clara Gaymard. Les brevets sont détenus par Alstom ; la licence est détenue par une société propriété de l’État à 100 %.

Il s’agit de prévoir un scénario hautement improbable, mais théoriquement possible, dans lequel le gouvernement américain déciderait que nous ne pouvons pas exporter dans un pays où le gouvernement français nous autorise à exporter. Dans ce cas, la licence étant détenue par la France, EDF et Areva peuvent décider, s’ils le souhaitent, de demander à un tiers de produire la turbine Arabelle, puisque c’est cela qu’il s’agit. Je veux rappeler à ce propos qu’EDF et Areva n’ont pas, ces dernières années, acheté leurs turbines à Alstom, mais à des concurrents allemands ou japonais, jugés plus compétitifs. Nous ne sommes pas dans une situation où, depuis la nuit des temps, Alstom aurait été leur seul et unique fournisseur. La concurrence est déjà réelle.

Mme Clotilde Valter. Autrement dit, le brevet en tant que tel reste français.

Mme Clara Gaymard. Exactement.

Mme Clotilde Valter. Dans la situation d’Arcelor, les brevets issus de siècles de sidérurgie française et de le l’héritage des maîtres des forges sont devenus des brevets Mittal ; il y a tout un travail de recherche à recommencer…

Mme Clara Gaymard. Il n’y a ici aucun transfert de propriété intellectuelle : la situation demeure ce qu’elle est aujourd’hui. Des contrôles auront lieu.

M. Mark Hutchinson (traduction). C’est exactement cela.

M. Daniel Fasquelle. Mme Gaymard a eu raison de me corriger sur un point : lorsque l’assemblée générale s’est réunie, il a été dit que l’amende serait payée par Alstom. Vous avez su trouver d’autres arguments pour convaincre les actionnaires. En revanche, General Electric a bien promis de payer cette amende, et cela a permis d’enclencher la machine et de convaincre le conseil d’administration… Cette promesse a pesé dans la discussion.

Vous n’avez pas répondu sur les impôts.

Mme Clara Gaymard. Nous vous avons répondu sur le montant des impôts que nous payons en France, qui s’élèvent à plus de 600 millions d’euros. Il paraît difficile de dire que nous ne payons pas nos impôts !

M. Daniel Fasquelle. Mais vous ne dites rien des conséquences de la fusion.

Mme Clara Gaymard. Nous paierons ce que nous devons, comme n’importe quelle entreprise citoyenne. Je ne peux pas dire quel sera le montant ! Nous payons nos impôts comme n’importe quelle société implantée en France ; nous sommes fiers de payer des impôts en France, d’ailleurs.

M. Daniel Fasquelle. Vous n’avez donc aucune stratégie précise en ce domaine.

Mme Clara Gaymard. Non. Il n’y en a jamais eu, et il n’y a pas de raison qu’il y en ait.

M. le président François Brottes. Merci à tous les deux de vos annonces, notamment sur l’emploi, et de vos réponses.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 11 mars 2015 à 16 h 30

Présents. – Bruno Nestor Azerot, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. François Brottes, M. André Chassaigne, M. Yves Daniel, Mme Jeanine Dubié, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Jean Grellier, M. Jean-Luc Laurent, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. Patrice Prat, Mme Béatrice Santais, M. Jean-Charles Taugourdeau, Mme Clotilde Valter

Excusés. – M. Damien Abad, M. Jean-Claude Bouchet, Mme Pascale Got, Mme Anne Grommerch, M. Antoine Herth, Mme Laure de La Raudière, Mme Frédérique Massat, M. Kléber Mesquida, M. Germinal Peiro, M. Bernard Reynès

Assistaient également à la réunion. – M. Éric Alauzet, M. Alain Marleix