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Commission des affaires économiques

Mercredi 1er avril 2015

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 47

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition de M. Patrick Kron, président-directeur général du groupe Alstom

La Commission des affaires économiques a entendu M. Patrick Kron, président-directeur général du groupe Alstom.

M. le président François Brottes. Avant d’ouvrir cette nouvelle audition de M. Patrick Kron, je voudrais répondre à certains de nos collègues déplorant que cette Commission n’invite que des groupes publics. Nous avons reçu une douzaine d’entreprises dans lesquelles l’État détient une participation – celle-ci pouvant d’ailleurs être très minoritaire –, 18 grandes entreprises privées, une dizaine de petites et moyennes entreprises (PME) et cinq groupements professionnels privés ; ces chiffres démontrent que la plupart des représentants d’entreprises que nous auditionnons n’évoluent pas dans la sphère publique.

M. Daniel Fasquelle. Monsieur le président, je vous remercie d’avoir permis cette nouvelle rencontre avec M. Kron, mais je regrette, au nom du groupe UMP, que nos demandes d’auditions complémentaires n’aient pas été entendues. Nous avons recueilli les points de vue de M. Kron, de M. Emmanuel Macron et de Mme Clara Gaymard, qui vont tous dans le même sens. Lorsque nous avons auditionné les syndicats, nous avons découvert une approche bien différente du rachat d’Alstom par General Electric (GE), ce qui nous a conduits à organiser l’audition d’aujourd’hui. Je reformule ma requête, à laquelle vous avez émis une fin de non-recevoir, de convoquer deux tables rondes, l’une sur les pressions judiciaires américaines et l’autre sur la solution alternative au rachat de la branche énergie d’Alstom par GE. Les parlementaires doivent en effet contrôler l’action du Gouvernement et étudier l’ensemble d’un dossier comme celui-là.

M. le président François Brottes. La vérité sur ce dossier, que nous suivons depuis le début, m’importe autant que vous, monsieur Fasquelle. On ne peut pas en effet se contenter de l’énoncé de points de vue, et j’ai ainsi demandé à M. Kron et à Mme Gaymard de répondre aux questions ayant émergé au cours de nos travaux. En revanche, la Commission des affaires économiques ne peut pas se transformer en commission d’enquête pour tous les sujets qu’elle examine. Le groupe UMP, comme les autres groupes politiques, a le loisir de demander la création d’une commission pour enquêter sur ce dossier, et j’appuierais une telle requête si elle nous était soumise.

Par ailleurs, je suis, comme vous, particulièrement sensible aux procédures qui peuvent être intentées contre nos entreprises dans un certain nombre de pays étrangers ; ce sujet ne concerne pas seulement le groupe Alstom, et je suis favorable, comme vous en avez exprimé le désir, d’engager un dialogue avec des spécialistes de cette matière, notre Commission devant se pencher sur la dissymétrie des règles du jeu dans le monde.

M. Daniel Fasquelle. Nous avons déjà invité des gens ayant des opinions divergentes pour les confronter dans d’autres affaires. Comment se fait-il que dans le dossier d’Alstom, nous n’entendions que les acteurs institutionnels ? Nous pourrions auditionner des personnes soulevant des questions légitimes sans nous transformer en commission d’enquête. Je reformule donc ma demande, et puisque vous avez accepté le principe d’un examen du traitement de nos entreprises à l’étranger, nous pourrions commencer par le cas d’Alstom et recevoir les personnalités qualifiées que je vous ai proposées, à savoir un ancien directeur général de la sécurité extérieure (DGSE), le directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), un journaliste économique qui prépare un ouvrage sur cette affaire et un ancien cadre dirigeant d’Alstom. Cela ne nous empêcherait pas d’organiser une autre table ronde sur la nécessité pour la France de nouer des alliances et de construire des conglomérats, afin d’éviter que nos grands groupes, les uns après les autres, soient absorbés par des entreprises étrangères. La Commission des affaires économiques doit s’emparer en urgence de ces sujets.

M. le président François Brottes. Je ne comprends toujours pas pourquoi votre groupe n’utilise pas son droit de demander la création d’une commission d’enquête si l’étude approfondie des conditions du rachat d’Alstom vous semble nécessaire. D’autres commissions ont été créées pour des sujets présentant un intérêt général moins évident, mais je n’ai pas à m’immiscer dans la prise de décision des groupes de l’Assemblée nationale.

Monsieur Kron, je vous remercie de revenir devant notre Commission ; nous avons été troublés par l’avis unanime des syndicats sur plusieurs thèmes, car leurs opinions divergeaient fortement de celles que vous et Mme Gaymard aviez exprimées devant nous.

Mme Clotilde Valter. Monsieur Kron, nous vous avons auditionné le 11 mars dernier avant Mme Gaymard et M. le ministre. Six jours après, nous avons longuement entendu les organisations syndicales. Nous avions eu l’impression d’avoir reçu des réponses précises de votre part, mais nous fûmes très surpris de constater que celles-ci différaient des éléments de cadrages fournis par les syndicats.

Vous avez qualifié devant nous la procédure de concertation d’ouverte, alors que les syndicats ont déploré la faiblesse de celle-ci, symbolisée notamment par un accès tardif au dossier. Il serait utile que vous nous transmettiez le calendrier détaillé des réunions des instances et des conclusions sur lesquelles elles ont débouché. Nous avons besoin de connaître les faits !

Vous avez affirmé il y a dix mois que, de votre point de vue, l’accord des syndicats était nécessaire à la conclusion de l’alliance, et vous nous avez fait part, le 11 mars dernier, de leur quasi-unanimité en la matière. Or, lors du vote, quinze voix se sont prononcées en faveur du projet, sept contre et douze se sont abstenues, et, malgré nos questions, nous ne connaissons toujours pas l’identité de ceux qui ont voté pour, contre, ou qui ne se sont pas prononcés. En tout cas, le comité central d’Alstom Transport France a émis un avis négatif à l’alliance avec GE.

Les syndicats nous ont expliqué que l’accord avec le Gouvernement du 21 juin 2014 et les mesures effectivement mises en œuvre à la fin de l’année dernière différaient. Sur quels points divergent-elles, monsieur Kron ?

Aux yeux des parlementaires, le rapprochement avec GE ne constituait en aucun cas une absorption, mais une alliance, et c’est ainsi que nous avons interprété la pensée du Gouvernement et du ministre de l’économie de l’époque, M. Arnaud Montebourg. Les syndicats ont contesté cette approche, et le fait qu’ils ne soient pas convaincus par vos propos et par l’évolution de la situation nous ébranle. Ils ont notamment soulevé la question de la gouvernance dans les trois coentreprises, et nous avons relevé des contradictions avec votre discours sur la coentreprise nucléaire. Celles-ci ont trait à des points importants et notamment à la propriété intellectuelle d’Alstom sur les turbines Arabelle, les brevets étant localisés, selon eux, en Suisse. Quel sera le périmètre de la coentreprise nucléaire, sachant que certaines activités d’Alstom en Chine et en Inde n’en font pas à ce jour partie, ce qui signifie qu’elles échapperaient au contrôle de l’État ? Il s’agit d’un point fondamental, tout comme celui de la composition du conseil d’administration de cette coentreprise nucléaire.

Nous avons également relevé plusieurs contradictions entre vos propos et ceux des syndicats au sujet de la localisation en France des centres de décision. Pouvez-vous nous repréciser ce qui est prévu ?

Bien que GE se soit engagée à créer des emplois en France et 1 000 postes au total, les organisations syndicales ont évoqué des destructions d’emplois dans d’autres pays, notamment en Suisse. Nous avons besoin de transparence, car il s’avère difficile de connaître la vérité.

Nous aurions également besoin d’éclaircissements sur l’utilisation des 12,35 milliards d’euros payés par GE, sur la situation financière du groupe et l’opération permettant de le désendetter totalement le groupe, ce que contestent les syndicats, et sur le carnet de commandes. Sur ce dernier point, vous nous avez dit que ce carnet était plein pour cinq ans et que 27 milliards d’euros de ressources étaient prévus, dont seul un cinquième proviendrait du marché français ; les syndicats, quant à eux, considèrent qu’aucune commande récente ne viendra alimenter les établissements français, que la trésorerie manque, et qu’un problème existe à Belfort. Là aussi, nous sommes en attente de précisions. Par ailleurs, les représentants des salariés nous ont fait part du projet de mettre fin à l’activité de fabrication des motrices TGV à Belfort, alors que votre audition n’avait pas mis en lumière ce problème.

Enfin, nous n’avons jamais eu de connaissance détaillée de ce que les organisations syndicales nomment le « plan C ». Elles vous reprochent de ne pas avoir expertisé de solution française, alors qu’elles en auraient présenté une au ministre. Or, lors de votre audition, vous avez dit avoir examiné un plan français avant d’avoir étudié les projets étrangers : quelle était cette piste ?

M. le président François Brottes. Vous pouvez consulter les éléments des accords au secrétariat de la Commission, mesdames et messieurs les députés.

M. Daniel Fasquelle. Je renouvelle ma demande d’organisation de deux tables rondes, à l’issue desquelles nous pourrons mieux évaluer le besoin de création d’une commission d’enquête. Ces réunions permettraient, à partir du cas d’Alstom, d’éclairer des sujets de fond que nous n’étudions pas suffisamment. Monsieur le président, si vous êtes prêts à soutenir une demande de création de commission d’enquête sur ce dossier, vous pourriez en prendre l’initiative, car il est un peu facile de renvoyer l’opposition à cette responsabilité, alors qu’elle ne peut en proposer qu’une par an et que les sujets ne manquent pas du fait de l’action de la majorité.

Heureusement que les syndicats ont apporté un autre point de vue que celui exposé par les auditions de Mme Gaymard et de MM. Kron et Macron.

Il est faux de présenter l’opération comme une alliance entre Alstom et GE, puisqu’elle signe l’arrêt de mort de la branche énergie d’Alstom, qui se trouve absorbée par GE. Ainsi, 75 % d’Alstom Énergie est cédé à GE, les coentreprises ne concernant qu’un quart de l’activité et devant, en outre, être vendues en 2018 – comme par hasard, un an après l’élection présidentielle.

Les quatre centres de décision qui seront localisés en France concernent des domaines dans lesquels GE n’est pas ou peu présente. Quant au pôle des énergies renouvelables (ER), 80 % de l’activité restera aux États-Unis.

On a voulu faire croire aux Français que l’on avait conclu une alliance et que la branche énergie d’Alstom était sauvée : il s’agit là d’un mensonge, tout comme l’argument selon lequel Alstom Énergie pâtirait d’une taille critique insuffisante. Les syndicats ont présenté un tableau montrant que c’était GE et non Alstom qui devait faire face à ce problème. Alstom Énergie avait sans doute besoin de nouer de nouveaux partenariats, mais certainement pas de disparaître dans une opération d’absorption. Une solution française, sous la forme d’alliance, était possible, comme cela a été mis en œuvre pour d’autres entreprises et dans d’autres pays ; le Gouvernement a fait montre en la matière d’un manque de volonté évident. Je m’interroge d’ailleurs sur le rôle de M. David Azéma, qui, directeur général de l’Agence des participations de l’État (APE), ne s’est pas battu pour que la branche énergie d’Alstom reste française et a rejoint l’été dernier la Bank of America Merrill Lynch, qui a, comme par hasard, assisté GE et Alstom dans leur transaction.

Monsieur Kron, vous balayez d’un revers de main les pressions exercées par la justice américaine, mais il y a là matière à enquêter, car je suis troublé par les coïncidences entre le calendrier judiciaire et celui de la vente d’Alstom à GE. Avez-vous été inquiété en tant que dirigeant et mandataire social, et avez-vous négocié un accord à l’amiable avec le ministère de la justice américain en complément de celui négocié par Alstom en tant qu’entité morale ?

Lors des auditions précédentes, j’ai soulevé la question du paiement de l’amende américaine et de la bonne information des actionnaires : on m’a répondu qu’elle était indépendante du choix de l’offre de GE, mais Alstom Transport acquittera cette amende, alors que GE avait affirmé qu’elle s’en chargerait pour se distinguer de l’offre de Mitsubishi-Siemens. Cela a pu jouer un rôle au moment du choix, sans parler de l’impact qu’aura le paiement de cette amende pour les comptes d’Alstom Transport.

On nous raconte que les brevets et la propriété intellectuelle sur les turbines Arabelle sont protégés, mais on s’est aperçu que rien n’est préservé. Je suis malheureux pour mon pays de voir un fleuron de l’industrie française, vieux de 140 ans, disparaître en 2018.

M. André Chassaigne. Monsieur Kron, j’ai consulté le document élaboré le 21 mai 2014 par Secafi du groupe Alpha qui laisse entendre qu’une autre solution que la vente à GE était envisageable. On peut ainsi lire dans ce papier que « le groupe Alstom n’est pas dans une situation de difficulté qui doive conduire à son démantèlement ; il a deux difficultés principales à régler : un niveau d’endettement net trop élevé et un besoin d’améliorer son efficacité et sa stratégie industrielle, auxquels s’ajoute une conjoncture encore médiocre. Cette situation nécessite un certain nombre d’actions ou de solutions accessibles de façon autonome. Elles peuvent se construire autour d’un nouvel actionnariat stable. L’État pourrait y jouer le rôle d’actionnaire de référence ; cela permettrait la mise en œuvre d’une solution raide et de sortir d’une période d’instabilité défavorable. Les moyens financiers totaux à mettre en œuvre seraient de l’ordre de 2 à 2,5 milliards d’euros, dont une part d’augmentation du capital accompagnée d’un étalement partiel des prochaines échéances de la dette. L’ensemble des analyses montrent qu’il est pertinent de considérer comme crédible la recherche d’une poursuite du développement autonome d’Alstom. Dans un contexte où le débat tend à se polariser sur deux solutions externes de démantèlement du groupe, la bonne gouvernance commande d’étudier également, avec une attention au moins aussi soutenue et avec les moyens adéquats, cette solution de développement autonome du groupe Alstom ». Avez-vous étudié avec attention la proposition avancée par Secafi et pourquoi n’y avez-vous pas donné suite ?

Mme Jeanine Dubié. Monsieur le président, je vous remercie d’avoir invité à nouveau M. Kron, car les déclarations des responsables syndicaux nous ont en effet troublés.

La Confédération générale du travail (CGT) a évoqué l’existence d’un plan C qui aurait assuré la pérennité du groupe Alstom dans son entier grâce à une augmentation de capital de 1 milliard d’euros permise par une participation supplémentaire de l’État. Monsieur Kron, avez-vous eu connaissance de ce plan ? Représentait-il vraiment une solution alternative française ? En avez-vous discuté avec M. Montebourg ? Pourquoi ce projet, s’il existait, a-t-il été écarté ?

Tous les syndicats ont dénoncé le manque de transparence et le défaut de concertation ; la CGT et Force ouvrière (FO) ont d’ailleurs assigné en justice la direction d’Alstom parce que les instances représentatives du personnel n’avaient été ni informées ni consultées sur ce projet de rapprochement. Ils disent être toujours en attente du document résumant les principales clauses du contrat tripartite signé, le 21 juin dernier, par Alstom, GE et l’État ; selon eux, seuls les représentants européens du personnel ont été consultés dans le cadre du Forum européen d’Alstom. Qu’en est-il exactement ?

Les syndicats ont enfin affirmé que les brevets dans le domaine de l’énergie se trouvaient en Suisse, alors que vous et Mme Gaymard nous ont dit qu’ils appartenaient à une société détenue à 100 % par l’État. Là encore, quelle est la situation réelle ?

M. Patrick Kron. Monsieur le président, je vous remercie de me donner pour la troisième fois l’occasion de faire le point sur ce dossier devant votre Commission.

Lorsque j’ai lu le compte-rendu de l’audition des syndicats, j’ai tout d’abord cru qu’ils parlaient d’une autre entreprise et d’un autre projet. Je déposerai au secrétariat de la Commission une note détaillée qui dresse la liste de l’ensemble des réunions et de leur contenu ayant marqué les différentes étapes de la concertation avec les partenaires sociaux. Au total, 91 procédures de consultation se sont tenues dans un grand nombre de pays. Vous pourrez ainsi juger de la transparence du processus et de l’accès total des partenaires sociaux à l’information.

L’agence de presse Bloomberg a fait fuiter le 23 avril 2014 l’existence d’un projet de fusion entre GE et Alstom ; dès le lendemain, je me suis présenté devant le comité de groupe européen pour exposer la situation : il m’était assez difficile d’agir plus rapidement. Avant même le démarrage de la procédure formelle d’information et de consultation des instances représentatives du personnel, nous nous sommes assurés, pendant toute la phase de discussion des différentes propositions de partenariat avec une autre entreprise, de l’accès à l’information des représentants du personnel et nous leur avons donné les moyens de travailler avec des experts, bien au-delà de toutes les obligations juridiques. Le comité européen a ainsi tenu cinq réunions avec un expert avant le lancement de la procédure officielle de consultation. Celui-ci a eu lieu à la fin du mois de juin 2014, date à laquelle le conseil d’administration a arrêté une recommandation. Nous avons alors remis aux partenaires sociaux un document de 160 pages détaillant la situation du groupe, les raisons de conduire ce projet et les propositions de GE. Vingt-trois réunions du comité de groupe européen ont été organisées, et les organisations syndicales ont sélectionné des experts qui ont remis un rapport très détaillé ; ces experts ont eu accès à l’ensemble des informations nécessaires, y compris l’accord tripartite – immédiatement après sa signature – et les accords détaillés conclus entre GE et Alstom à la fin du mois de septembre dernier. Les experts ont rencontré le management d’Alstom et celui de GE et, à la suite des vingt-trois réunions, un avis sur ce projet a été émis : 15 voix se sont exprimées en faveur de sa réalisation, 7 contre et 12 abstentions. L’ampleur de ce soutien est relativement rare pour ce type d’opération.

Le même processus s’est déroulé dans les pays où une consultation devait intervenir ; s’agissant des entités françaises, le comité central d’entreprise (CCE) et les comités d’établissement ont émis un avis après un cycle d’expertise scandé par soixante-deux réunions. Douze sociétés françaises sont concernées par l’opération et chacune d’entre elles a exprimé un avis : 4 d’entre eux furent positifs, deux négatifs et six comités n’ont pas souhaité prendre position.

Après cette phase légale, nous avons poursuivi le travail d’information et de concertation avec les partenaires sociaux, puisqu’une charte a été conclue avec eux pour poursuivre la consultation entre l’avis et la fin de l’opération. Depuis, neuf réunions se sont tenues à l’échelle du groupe européen, et l’expert continue de travailler avec un accès total à l’information. En France, une soixantaine de réunions ont été organisées depuis la remise des avis pour poursuivre la concertation.

Il y a quelques jours, à la fin du mois de mars 2015, nous avons conclu un accord avec les partenaires sociaux pour organiser la représentation du personnel au sein d’Alstom, recentré sur le transport, et dans les activités de la branche énergie transférées à GE, en plus de l’application d’une charte sur la circulation de l’information jusqu’à la signature définitive de l’opération.

Aucune entité consultée dans le cadre de cette opération n’a estimé manquer d’information pour élaborer son avis. Deux syndicats minoritaires – la CGT et FO – ont essayé de bloquer le processus à ses débuts en mai dernier, mais le tribunal de Bobigny en première instance puis la cour d’appel de Paris ont débouté leur recours en estimant que l’entreprise avait rempli, dans des conditions normales, son obligation de transmettre l’information aux salariés.

L’accord des partenaires sociaux n’est pas nécessaire à la réalisation de l’opération, mais j’avais négocié avec GE la possibilité d’arrêter la fusion si les syndicats s’opposaient au projet. Nous avons assuré une transparence totale de l’information à destination des syndicats et les expertises remises aux différents comités représentent 1 000 pages. On peut approuver ou réprouver l’opération conduite avec GE, mais je n’accepte pas que l’on affirme que les partenaires sociaux n’ont pas eu accès à l’information.

Il n’y a aucun changement entre l’accord tripartite du 21 juin dernier et les accords détaillés liant GE et Alstom. L’État a avalisé cette opération sur le fondement du décret du 14 mai 2014, dit décret Montebourg, relatif aux investissements étrangers dans des secteurs stratégiques, après avoir bien entendu vérifié que l’ensemble des engagements pris par les parties en juin étaient strictement respectés ; les partenaires sociaux ont également été informés de ce processus. Le fonctionnement des coentreprises et leur gouvernance correspondent totalement à ce que l’accord tripartite prévoyait.

GE possédera la propriété intellectuelle des activités correspondantes, car celle-là est associée à celles-ci dans une entreprise technologique. De même, Alstom acquerra les brevets liés à l’activité de signalisation de GE. Dans le domaine du nucléaire, la coentreprise recevra une licence totale et irrévocable pendant 50 ans pour l’ensemble des droits de propriété intellectuelle correspondant aux turbines nucléaires. En outre, si GE considérait un jour ne plus pouvoir respecter ses obligations, la licence serait mécaniquement transférée à une société détenue intégralement par l’État qui disposerait de tous les éléments de propriété intellectuelle pour, par exemple, fabriquer les turbines. Cette société pourrait d’ailleurs transmettre à son tour cette licence à Areva ou à EDF. Les éléments de propriété intellectuelle nécessaires à la fabrication d’une turbine seront déposés sous séquestre en France ; ils représentent environ 250 000 documents. L’État est actionnaire de l’entreprise et possède une golden share ; il dispose de droits spécifiques dans un certain nombre de domaines liés à des transferts de centres de décision, à des ventes d’actifs, à des opérations qui seraient jugées contraires aux intérêts de la France dans le domaine du nucléaire, à la politique de recherche et développement (R&D). Sur ce dernier point, une feuille de route a été négociée entre GE, Alstom et l’État, et celui-ci peut mettre son veto à toute déviation dans la mise en œuvre de ce plan. Jamais dans l’histoire d’Alstom, l’État n’a eu autant de droits sur les activités de turbines nucléaires.

GE a pris des engagements en matière d’emploi et de localisation de centres de décision en France, et je n’ai aucune raison de penser qu’ils ne seront pas respectés. Aujourd’hui, le seul élément qui diffère des accords touche à l’annonce de GE selon laquelle le centre de décision de l’ensemble de la filière des ER – qui génère une activité de 10 milliards d’euros – sera implanté en France.

Alstom Transport sera désendettée et disposera d’une structure de bilan sans dette ou avec une dette compensée par des disponibilités en cash. Elle aura d’amples liquidités et un bilan parmi les plus solides de l’industrie. Depuis l’annonce de l’opération, pas un client n’a exprimé d’inquiétude et Alstom Transport a reçu un niveau record de commandes cette année. Les banquiers qui financeront Alstom demain ne se posent aucune question sur l’avenir de l’entreprise, puisque les conditions de financement des cautions et des crédits vont s’améliorer sensiblement. Ils estiment donc qu’Alstom ne présente aucun risque, et ils ont raison de penser ainsi.

Le carnet de commandes représente 27 milliards d’euros, soit quatre à cinq ans d’activité. Cela ne signifie pas qu’il n’existe pas de problèmes dans certains sites, car ces commandes ne se répartissent pas de manière homogène. La faiblesse du marché du sud de l’Europe crée des difficultés pour notre implantation espagnole et nous avons réduit la dimension de nos moyens industriels à Barcelone comme au Royaume-Uni et au Canada. Certains établissements français font également face à des manques de charges, et j’espère que les commandes nous permettront de gérer les éventuels creux. Le site de locomotives de Belfort doit également gérer une insuffisance d’activité. La France ne représente que 20 % du chiffre d’affaires d’Alstom, entre un tiers et la moitié des 9 000 salariés employés dans notre pays travaillent pour l’exportation, et j’entends dire que le groupe a délocalisé sa production de locomotives au Kazakhstan ! Cela est totalement faux, et c’est d’ailleurs ce qui a permis de maintenir 250 emplois à Belfort pendant trois ans.

M. Macron et le cabinet de conseil Secafi ont reconnu que le statu quo était dangereux pour Alstom, et ce constat s’avère largement partagé. Il nous fallait donc atteindre une taille critique. Aucune offre meilleure que celle de GE n’a émergé ; d’ailleurs, M. Montebourg n’était pas un inconditionnel de l’alliance avec GE, si bien qu’il a mobilisé l’ensemble des moyens de l’État pour trouver une solution française. Il n’en existait donc pas, sinon le ministre nous l’aurait soumise. Quant à l’offre européenne de Siemens, elle ne portait pas de projet crédible.

L’activité des énergies renouvelables, dont une grande composante est américaine, se situe à 80 % dans l’éolien terrestre, filière dans laquelle GE est cinq à six fois plus puissante qu’Alstom. Il n’y a donc pas de quoi critiquer GE, monsieur Fasquelle, qui décide tout de même d’implanter le centre de décision des ER à Paris, cette entité devant présider aux destinées de la plus grande société mondiale dans ce domaine. Je ne vois pas là de drame pour la France ! De même, si les usines sont bien implantées aux États-Unis, celles de l’éolien offshore et de l’hydraulique sont localisées dans notre pays.

Il n’existe aucune relation entre la recherche et la concrétisation d’un accord avec GE et les enquêtes alors en cours devant la justice américaine et relatives à de vieux contentieux de corruption. Notre avocat, certes américain mais assermenté, nous a fourni des éléments factuels sur ce point, et je déposerai au secrétariat de la Commission un rapport détaillé présentant son analyse. Cet avocat, ancien procureur au Department of Justice (DoJ) américain, répond à la question touchant à l’existence éventuelle de pressions du DoJ sur Alstom pour que celle-ci vende une grande part de ses actifs à GE en contrepartie d’un abandon de poursuites pénales contre des cadres supérieurs d’Alstom. En un mot, ma situation personnelle est-elle entrée en compte dans l’accord signé avec GE ? L’avocat affirme que « rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité » et ajoute que « les avocats du DoJ n’ont joué aucun rôle dans les négociations entre Alstom et General Electric. Au contraire, le DoJ n’a eu connaissance de l’accord envisagé entre GE et Alstom que par les informations publiées par l’agence de presse Bloomberg le 23 avril 2014. À cette date, nous n’avions pas encore entamé la moindre discussion avec le DoJ sur une possible transaction et personne au sein du DoJ n’avait eu alors d’information concernant les négociations commerciales en cours entre Alstom et GE. En d’autres termes, il n’y a absolument aucun lien entre les discussions ayant mené à la transaction entre Alstom et le DoJ, qui ont commencé à l’automne dernier, et les négociations qui ont été menées entre Alstom et GE qui les ont largement précédées. Le ministère de la justice américain n’a jamais cherché à lier cette transaction à la situation personnelle d’un quelconque salarié d’Alstom, présent ou passé. Ainsi qu’il est d’usage dans toutes les négociations relatives à une violation de la loi en matière de corruption, la transaction finale conclue entre Alstom et le DoJ prévoit expressément que le DoJ dispose de toute latitude pour engager les poursuites qu’il souhaite à l’encontre de n’importe quel individu. Il m’est impossible de le dire plus clairement : les rumeurs publiées sont non seulement fausses, mais elles sont absurdes et n’ont aucun fondement. Le DoJ n’avait aucune connaissance préalable des négociations entre Alstom et GE, il n’a jamais fait pression sur Alstom pour conclure un accord avec GE, que ce soit avant ou après la perspective d’un tel accord. Dans le cadre des discussions ayant mené à la transaction entre le DoJ et Alstom, le DoJ n’a jamais offert de protéger un quelconque salarié d’Alstom, présent ou passé ».

Je vous confirme n’avoir eu à aucun titre de discussion avec quiconque sur ma situation personnelle. Cette dernière est extrêmement claire : depuis que je dirige Alstom, j’ai mis en œuvre, année après année, les moyens nécessaires pour éviter des dérapages en matière de respect des règles du commerce international. Alstom est présent dans une centaine de pays et emploie des milliers de vendeurs, si bien qu’il faut mettre en place des procédures et s’assurer de leur application. Je ne connais pas d’autre société qu’Alstom qui ait eu à traiter de ce type de situation avec les autorités américaines – et qui ait dû passer une transaction – sans que celles-ci ne nomment un auditeur chargé de veiller à l’application des textes à l’avenir ; le DoJ a condamné Alstom à une amende, mais a considéré qu’il était inutile de désigner un auditeur au vu des moyens mis en œuvre par Alstom pour respecter les règles.

M. le président François Brottes. Monsieur Fasquelle, M. Kron nous dit beaucoup de choses intéressantes, mais elles ne sont pas prononcées sous serment, contrairement à ce qui se passerait pour une audition de commission d’enquête.

M. Patrick Kron. Le sujet de l’amende a émergé à la fin de l’année 2014, alors que la transaction avec GE avait été annoncée en avril. Il est exact que les accords avec GE prévoyaient que l’amende serait à la charge de GE, puisque l’entreprise américaine prenait tous les actifs et passifs de le branche énergie d’Alstom, mais dans la transaction proposée par le DoJ figurait une clause obligeant Alstom et ses actionnaires à acquitter cette amende. J’ai accepté cette disposition, car j’ai estimé que tel était l’intérêt d’Alstom, en particulier d’Alstom Transport, de ses salariés et de ses actionnaires. Le projet se trouvait donc dégradé de 770 millions de dollars, soit 600 millions d’euros et près de 5 % du montant global de la transaction. Dans le même temps, nous avons conduit d’autres discussions commerciales avec GE qui ont conduit à une augmentation du produit de la cession de 400 millions d’euros – grâce à la vente de certains actifs et à la structuration différente de quelques opérations. En décembre dernier, j’ai donc proposé à l’assemblée générale des actionnaires un projet dégradé de 1 à 2 % par rapport au montant originel de la transaction, et l’assemblée m’a suivi.

Madame Dubié, je le répète : je n’ai pas vu de plan C et de solution alternative. L’apport d’un milliard d’euros ne permettait pas d’augmenter nos ventes de turbines – qui s’élèvent à 10 contre 100 pour GE –, mais permettait simplement de tenir encore une ou deux années avant de s’écrouler comme en 2003. Le projet de GE permet, lui, de régler les problèmes structurels. Je nie l’absence de transparence, ainsi que toute modification du projet entre sa présentation et aujourd’hui ; aucun changement n’est possible d’ailleurs, puisque l’État s’est assuré que l’engagement tripartite était strictement respecté à l’occasion de l’aval qu’il a donné sur le fondement du décret Montebourg.

Au total, le statu quo était dangereux, la solution proposée par GE présente les meilleures garanties de pérennité pour les activités de l’énergie et pour permettre le recentrage de l’entreprise sur les transports. Dans ce dernier domaine, nous développerons une stratégie ambitieuse que nous aurons les moyens de mener.

M. Antoine Herth. L’accord avec GE semble conforter la branche transport d’Alstom via l’apport de l’activité de signalisation. Quels seront les contours précis du domaine dédié aux transports ? Quel est l’avenir du site de Reichshoffen, chargé de l’assemblage des trains express Régiolis ? De quels facteurs dépend l’évolution de ce site et de celui de Belfort ? Vous avez affirmé qu’Alstom Transport serait désendetté grâce à l’accord avec GE, donc quels sont les aspects conjoncturels entrant en jeu ? Quelles décisions publiques sont nécessaires pour garantir le futur de ces sites de l’industrie ferroviaire ?

Mme Frédérique Massat. Je reprends une question de ma collègue Mme Clotilde Valter : comment seront utilisés les 12,35 milliards d’euros ?

Comment fonctionnera la gouvernance des conseils d’administration des coentreprises ? Les syndicats semblaient ne pas disposer des mêmes éléments que ceux que vous nous aviez indiqués.

Mme Delphine Batho. Les réactions des organisations syndicales ne sont pas isolées, puisque vous n’avez pas permis que l’on cherche de solutions alternatives. M. Macron nous a dit que le Gouvernement avait été mis devant le fait accompli et que la direction d’Alstom a refusé de conduire un dialogue stratégique. Plus on étudie ce dossier et plus je juge sévèrement les termes du rachat de la branche énergie d’Alstom pour des raisons de souveraineté énergétique.

Lors de votre précédente audition, vous ne m’aviez pas répondu sur la vulnérabilité d’Alstom aux procédures judiciaires ouvertes pour corruption à l’étranger, notamment celle lancée récemment au Brésil – en effet, elles ne concernent pas toutes des actions très anciennes.

Je m’inquiète du caractère provisoire d’un certain nombre d’engagements pris dans l’accord tripartite du 21 juin dernier. Il y a un mécanisme de sortie d’Alstom des trois coentreprises, y compris celle du nucléaire, à partir de cinq ans ; cette période est de dix ans pour la localisation des centres de décision en France et de seulement trois ans pour l’absence de fermeture de site.

Vous nous aviez affirmé que le conseil d’administration de l’entité nucléaire serait composé pour moitié d’administrateurs nommés par GE, pour moitié moins une personne d’administrateurs désignés par Alstom, le dernier membre étant un représentant de l’État. Le détail que vous avez omis de mentionner est que GE aura une voix prépondérante : l’État et Alstom pourront donc être mis en minorité au conseil d’administration de la coentreprise, dont tout le monde se demande pourquoi la répartition du capital entre GE et Alstom est de 80 et 20 % moins une action, alors que celle des deux coentreprises des ER et des réseaux est de 51 et 49 %.

Le plan de restructuration des fonctions de support devant conduire à réaliser 250 millions d’euros d’économies inquiète les organisations syndicales en termes d’emploi. Pourriez-vous nous en préciser les contours ?

M. Jacques Myard. Je suis membre des Commissions des affaires étrangères et européennes, et je connais bien les pressions exercées par les autorités américaines sur des entreprises en matière de concurrence.

Étiez-vous au courant des accusations de corruption que portaient les Américains contre votre groupe ?

Pourquoi avez-vous plaidé coupable ?

Pourquoi n’avez-vous pas été inquiété ? En effet, plusieurs industriels condamnés pour corruption sur le fondement de la loi américaine ont dû effectuer une peine de prison – je pense notamment à Kellog, Brown and Root (KBR)-Halliburton, dont des membres du conseil d’administration ont été placés en détention. Comment se fait-il que la décision de plaider coupable soit intervenue trois jours après la vente de la branche d’énergie d’Alstom à GE ? En plaidant coupable, vous avez refusé de coopérer avec la justice américaine, alors même que l’on vous reprochait d’avoir mis en place un système très élaboré de corruption. Comment peut-il exister autant de charges contre vous sans que vous soyez inquiété, alors que la justice américaine a déjà fait montre de beaucoup moins de mansuétude envers des chefs d’entreprise ?

M. Patrick Kron. Nous souhaitons développer Alstom Transport dans le domaine de la signalisation, et l’activité que nous allons acheter à GE – sous réserve que la transaction globale se réalise – représente 400 millions d’euros, ce qui nous fera croître d’environ un tiers dans cette filière. La signalisation permet de ne pas vendre simplement des trains, mais des systèmes de train ; or si certains pays sollicitent des demandes séparées, d’autres souhaitent qu’on leur fournisse des offres intégrées. Ainsi, en Arabie saoudite, nous avons gagné des contrats portant sur des systèmes de train pour la ville de Riyad : nous assurerons l’ensemble de l’équipement d’une ligne, à savoir la signalisation, l’électrification, la pose de rails et la livraison de matériel roulant.

Le remplissage actuel de nos carnets de commandes nous assure quatre à cinq années de travail. Cependant, nous ne pouvons pas nous contenter de cette situation globale, car nous avons besoin d’une demande en France pour nourrir l’activité de nos sites dans notre pays. Nous sommes donc très attentifs à l’évolution de la demande en France, et nous ne disposons pas toujours de la visibilité souhaitée. Le site de Reichshoffen, important à nos yeux, se trouvait dans une situation délicate lorsque nous l’avons récupéré ; nous l’avons relancé grâce à des investissements et à des embauches – depuis mon arrivée à la tête d’Alstom en 2003, nous avons d’ailleurs recruté plus de 12 000 personnes en France. Nous avons développé les systèmes de trains régionaux à Reichshoffen et élaboré un contrat-cadre de 1 000 trains, mais nous n’en avons jusqu’à présent vendu que 218. Si les élus régionaux présents dans cette Commission souhaitent commander des trains régionaux, qu’ils n’hésitent pas ! De même, les trains d’équilibre du territoire (TET) constituent également un contrat important pour Alstom Transport, tout comme le seront le TGV du futur et la nouvelle génération de RER pour notre vitrine et pour la charge de travail de nos sites français.

Les 12,35 milliards d’euros doivent être compris avec le transfert d’1,9 milliard de liquidités qui se trouve dans les sociétés absorbées par GE. Le produit sera donc de l’ordre de 10,5 milliards d’euros. Il convient également de prendre en compte les 600 millions d’euros de l’amende et les 400 millions de produits supplémentaires. La somme totale servira à racheter l’activité de signalisation – pour un coût de 600 millions d’euros –, à investir dans les coentreprises à hauteur de 2,5 milliards, à désendetter le groupe – au 31 mars 2014, Alstom accusait une dette nette de 3 milliards d’euros – et à donner entre 3,5 et 4 milliards d’euros aux actionnaires. Tout cela conduit à disposer d’une société totalement désendettée, et j’ai présenté ce calcul aux partenaires sociaux bien avant qu’ils aient à émettre un avis.

Tous les documents qui servi de fondement à la concertation présentent le fonctionnement des coentreprises ; si six personnes composent le conseil d’administration de la coentreprise nucléaire, trois d’entre elles représenteront GE, deux Alstom et un l’État, ce dernier disposant d’un droit de veto sur plusieurs sujets, comme les décisions pouvant « avoir un effet défavorable sur l’intégrité et la continuité de la fourniture des produits et services pour îlots conventionnels », celles visant à déplacer hors de France le siège social, les quartiers généraux et les centres de décision de la société ou de l’une de ses filières principales, celles modifiant significativement la feuille de route en matière de R&D, celles cédant des actifs et des branches d’activité, celles changeant la nature de l’activité de la société, et celles transformant les règles de la gouvernance. Je vous dis comme je le pense : jamais l’État français n’a eu autant de droits dans le domaine des turbines nucléaires d’Alstom.

Madame Batho, vous partagez avec vous-même votre jugement sur l’accord et sur le devenir des coentreprises.

Mme Delphine Batho. Je le partage avec les citoyens qui m’ont élue, monsieur !

M. Daniel Fasquelle. Et avec de nombreux parlementaires, siégeant sur tous les bancs de cette Assemblée !

M. Patrick Kron. Très bien.

Je ne me prononcerai pas sur les deux procédures judiciaires en cours au Brésil, l’une concernant des projets dans le domaine de l’énergie de 1994 et de 1998, et l’autre reposant sur des allégations de constitution de cartel dans le champ ferroviaire.

La répartition du capital dans la coentreprise du nucléaire est bien de 80 et de 20 %, mais cela n’affecte pas la composition paritaire de son conseil d’administration que je viens de vous présenter. La distribution du capital obéit à la forte utilisation de charbon dans les usines concernées, et GE ne souhaitait pas créer de distorsion dans la structuration de cette filière.

Les engagements en matière de licence et les droits de l’État dans les coentreprises sont indépendants de la levée ou non des options de vente par Alstom.

Des modifications toucheront bien entendu l’emploi dans les fonctions support après une telle opération, mais GE s’est engagée à créer 1 000 emplois nets.

Monsieur Myard, je n’ai pas compris l’écart de trois jours auquel vous avez fait allusion, étant donné que l’accord avec GE est intervenu en avril 2014, alors que la transaction avec le DoJ date de décembre dernier. Huit mois, ce n’est pas la même chose que trois jours ! Comme notre avocat américain l’a écrit, lorsque les discussions avec GE ont débuté, nous n’avions pas entamé la moindre négociation de transaction avec les autorités judiciaires américaines, puisque celles-ci conduisaient encore la phase d’instruction.

M. Jacques Myard. À quel moment avez-vous commencé à répondre positivement ? Dans la déclaration de plaider coupable, le DoJ vous reproche d’avoir été réticent à coopérer.

M. Patrick Kron. Je ne souhaite pas commenter une procédure sur laquelle j’ai pris l’engagement, auprès des autorités américaines, de ne pas faire de commentaires. Le DoJ considère qu’au début de la phase d’investigation, nous n’avons répondu à leurs attentes de coopération. Je ne suis pas surpris de ne pas avoir été inquiété, car je n’ai pas le sentiment d’avoir commis quoi que ce soit de répréhensible, mais c’est à eux de répondre à cette question. Le DoJ a explicitement indiqué dans son acte d’accusation que nous avions graduellement mis en place les moyens nécessaires pour prévenir tout dérapage ; voilà pourquoi ils ont accepté – cas unique dans l’histoire de la justice américaine pour une procédure de plaider coupable, comme vous le savez probablement, monsieur Myard, vu votre connaissance de son fonctionnement – de ne pas nommer d’auditeur chargé de contrôler la manière dont Alstom signe ses contrats commerciaux.

Mme Clotilde Valter. Nous savons maintenant parfaitement que 15 voix se sont exprimées en faveur du projet, que 7 votes étaient négatifs et que le nombre d’abstentions s’élevait à 12. Mais qui se cache derrière ces votes ? Qui a voté quoi ?

Après vous avoir auditionné, nous avions compris que ce résultat était satisfaisant pour une telle opération – ce que vous nous avez d’ailleurs redit –, mais les organisations syndicales nous ont fait part d’un point de vue bien différent. Voilà pourquoi, nous souhaitons connaître le vote de chaque participant.

M. Daniel Fasquelle. Vous n’êtes pas sérieux, monsieur Kron, sur l’existence d’une solution alternative. Vous nous avez placés devant le fait accompli et vous êtes arrivé à vos fins en concluant l’accord avec GE. Je reproche à M. Montebourg de ne pas avoir anticipé cette vente et de ne pas avoir travaillé avec vous à une solution française ; M. Montebourg vous critique pour ne pas lui avoir présenté plusieurs options, et beaucoup vous blâment de n’avoir rien fait pour trouver une autre solution. Dès le début, vous aviez décidé que l’opération se ferait avec GE et vous avez atteint votre but.

Vous estimez que le produit de la cession rapportera 400 millions d’euros de plus qui viendront compenser en grande partie l’amende de 600 millions ; le directeur financier de GE évalue ce surplus à 280 millions d’euros, ce qui fait tout de même une différence. La veille de l’assemblée générale des actionnaires, une fuite a permis de savoir que le paiement de l’amende serait pris en charge par Alstom et non par GE, et vous racontez une belle histoire le lendemain avec cette compensation de 400 millions d’euros. Vous ne pouvez pas balayer ce sujet d’un revers de main : ce point est très important car il a contribué à emporter la décision en faveur de l’offre de GE.

Les sièges opérationnels des coentreprises seront localisés en France – même si je ne suis pas du tout convaincu par ce que vous avez affirmé à propos du centre de décision de la filière des ER, car l’essentiel sera piloté aux États-Unis –, mais où sera situé leur siège fiscal ? Paieront-elles leurs impôts en France ou non ? Cette question se pose, d’autant plus que GE est loin de constituer un exemple en matière fiscale.

Vous ramenez la question des pressions américaines à la théorie du complot, mais le Sénat a publié un rapport parlementaire pointant ce sujet, et Alstom constitue la sixième entreprise déstabilisée par le juge américain que GE rachète. Outre le Brésil, une action est engagée contre Alstom au Royaume-Uni ; où en est cette procédure ?

Lors de votre précédente audition, vous avez affirmé que le conseil d’administration avait considéré que l’accord de vente à GE méritait une prime et avait décidé de vous octroyer un bonus additionnel de 4 millions d’euros ; je suis d’un avis contraire à celui de votre conseil d’administration, et M. Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique estime que cette prime est « contraire aux principes éthiques que les grandes entreprises doivent avoir pour elles-mêmes et qu’il est nécessaire d’adopter d’autres comportements ». Allez-vous, comme d’autres chefs d’entreprise, renoncer à cette prime que le ministre juge injustifiée ?

J’ai toujours des doutes sur le rachat des actions de Bouygues par l’État et j’ignore comment se déroulera le processus. Avez-vous reçu des nouvelles sur les procédures actuellement en cours à Bruxelles ?

En juin dernier, j’avais posé une question d’actualité au Premier ministre qui m’avait répondu que la vente d’Alstom à GE était un succès pour la France, pour l’industrie et pour l’emploi. On ne sait pas s’il faut rire ou pleurer, mais son ami M. Stéphane Fouks l’a sûrement aidé, ainsi que GE et vous-même, à écrire cette belle fable que l’on raconte aux Français depuis six mois. En réalité, cet accord n’a pas sauvé la branche énergie d’Alstom, mais elle l’a fait disparaître.

Mme Clotilde Valter. Monsieur Kron, Mme Delphine Batho vous a posé une question relative à l’extinction des droits : si toutes les options étaient levées, que resterait-il ?

Vous nous avez présenté votre plan de désendettement, mais disposez-vous d’éléments supplémentaires en la matière ?

M. le président François Brottes. S’agissant du lien éventuel entre des procédures judiciaires et des actions de prédation contre des entreprises, je souhaite que nous menions une réflexion, mais que celle-ci ne se restreigne pas au cas d’Alstom.

M. Patrick Kron. Madame Walter, 34 membres siègent au Forum européen d’Alstom ; parmi eux, 15 se sont prononcés en faveur du projet de GE, 7 ont voté contre et 12 se sont abstenus. Le vote étant secret, j’ignore les votes de chaque personne. Je vous transmettrai le procès-verbal du scrutin et le compte-rendu élaboré par le Forum. Parmi les 12 sociétés françaises, 4 ont voté pour le projet, 2 se sont prononcés contre lui et 6 se sont abstenues.

Les rapports rédigés par les experts du comité d’entreprise pèsent 1 000 pages, preuve de la richesse de la concertation. Nous poussons d’ailleurs la transparence jusqu’à donner aux experts des partenaires sociaux, hors de toute obligation légale et dans des conditions garantissant le secret des affaires, accès aux documents déposés à Bruxelles, qui représentent environ 50 000 pages.

M. le président François Brottes. Est-ce que quelqu’un lit 50 000 pages ?

M. Patrick Kron. Comme nous avons reçu 350 questions relatives à ce dossier, je fais l’hypothèse que celui-ci a bien été lu.

Dans notre métier, dès que l’on rend public un problème, on se condamne à trouver une solution immédiate. Cela a été incontestablement le cas dans ce dossier. Le ministère de l’économie avait commandé un rapport à M. Roland Berger, dont le contenu s’est retrouvé dans la presse à cause d’une fuite. Ce jour-là, le cours d’Alstom a baissé entre 10 et 15 %, et les clients nous ont appelés pour nous dire que si Bercy examinait la situation de notre groupe, celle-ci devait être mauvaise et que cela devait avoir des conséquences pour certains marchés et appels d’offre. Je répète qu’il était possible de déposer des offres alternatives à celle de GE, que personne n’a remis en cause l’accès à l’information, que le projet de Siemens n’était pas bon et qu’aucun autre ne nous a été présenté.

Monsieur Fasquelle, c’est moi qui ai abordé le sujet du paiement de l’amende par Alstom devant l’assemblée générale des actionnaires. Cependant, je ne connaissais pas le montant de l’amende au moment de la réunion de l’assemblée, c’est-à-dire au début du mois de décembre 2014, puisque la transaction avec le DoJ date du 22 décembre. J’ai simplement indiqué aux actionnaires qu’il était probable qu’Alstom soit condamné au paiement d’une amende et que celle-ci serait à la charge des actionnaires d’Alstom, réduisant d’autant le montant perçu dans le cadre de la fusion avec GE. Par ailleurs, je vous confirme le chiffre de 400 millions de produits supplémentaires, qui ne représente que 3 % du montant global de ce que versera GE à Alstom, mais qui permet de compenser presque complètement l’amende. Les actionnaires se sont donc prononcés en connaissance de cause et ont approuvé l’opération avec GE à 99,2 %.

GE emploie des avocats fiscalistes de qualité et nous vous apporterons les éléments d’information sur la localisation des sièges fiscaux, mais je ne peux pas répondre à leur place sur ce sujet.

Nous faisons face à trois procédures judiciaires au Royaume-Uni, que je ne commenterai pas car elles se trouvent en cours d’instruction. Deux ont trait au domaine du transport et une à celui de l’énergie, et les trois concernent des projets très anciens.

Je n’ai absolument pas l’intention de renoncer au bonus de 4 millions d’euros, car ce serait une mauvaise nouvelle pour les contribuables français, qui en prélèveront une part considérable, ce dont vous pouvez vous réjouir en tant que représentants de leur intérêt collectif.

Monsieur Fasquelle, il est rare de trouver un projet industriel présentant autant de complémentarités, et aucune des parties prenantes ne s’y est trompée. Les actionnaires ont soutenu l’opération à 99,2 %, les syndicats ont donné un avis positif malgré le caractère anxiogène d’une telle évolution, les enquêtes internes montrent que 95 % des salariés approuvent cette fusion et l’État a accordé son autorisation au titre du décret Montebourg. Cette alliance est excellente pour les salariés d’Alstom, même si je regrette de ne pas avoir pu leur donner un avenir à l’intérieur de l’entreprise, mais ceux travaillant dans l’énergie l’auront à l’extérieur. Quant aux personnes opérant dans le transport, ils évolueront dans une entité faisant partie des trois premières mondiales, bénéficiant d’un carnet de commandes rempli pour les cinq prochaines années et disposant des moyens nécessaires à la conduite d’une politique ambitieuse. Il s’agit d’un bon projet pour la France, reposant sur des engagements forts pris par GE en matière de centres de décision et d’emploi dans des activités importantes pour la politique de transition énergétique. Je suis fier d’avoir conçu et participé à la mise en œuvre de cette opération.

Madame Valter, les droits de l’État en matière de golden share et d’accès à la technologie nucléaire si GE ne respectait pas les engagements pris envers l’alimentation du parc nucléaire français et la participation à des projets. Les droits de propriété intellectuelle sont garantis pendant 50 ans et seront logés dans une société détenue complètement par l’État.

Les actionnaires d’Alstom détiendront de l’argent et des actions des coentreprises et d’Alstom Transport. Si trop de dividendes sont distribués aux actionnaires, Alstom Transport se trouve affaibli ; si c’est l’inverse, la structure de bilan de l’entreprise ne correspond pas à ses besoins. Une assemblée générale arbitrera, et ma priorité sera qu’Alstom Transport dispose des moyens de sa stratégie. On évoque, de manière indicative, le versement de 3,5 à 4 milliards d’euros aux actionnaires, qui représenterait, une fois la somme de 1,9 milliard d’euros donnée aux sociétés transférées, un tiers du montant obtenu de GE, les deux autres tiers étant utilisés par Alstom Transport pour investir. Alstom Transport aura donc les moyens de mener une politique ambitieuse et sera désendettée. Je pourrai vous transmettre une note détaillant ces calculs.

Les partenaires sociaux me reprochent d’avoir distribué trop de dividendes aux actionnaires, mais nous avons donné 1 milliard d’euros aux actionnaires lors des cinq années précédant l’annonce de l’opération avec GE, soit 25 % du résultat net de l’entreprise et la moitié du taux – ou pay-out – pratiqué par les entreprises du Cac 40. Au cours de la même période, nous avons dépensé 6 milliards d’euros en R&D et en investissement industriel.

M. Daniel Fasquelle. Vous avez bien travaillé monsieur Kron depuis 2003, il est dommage que votre mandat se termine de cette façon. Vous avez dit que l’avenir des salariés de l’énergie se construirait à l’extérieur de l’entreprise, avouant ainsi qu’il y aurait bien deux entreprises, Alstom Transport et GE.

Pourriez-vous répondre à ma question portant sur le rôle de Bouygues aujourd’hui et demain ?

M. Patrick Kron. Je ne me suis pas trahi, monsieur Fasquelle, il y aura bien les activités touchant à l’énergie et celles concernant le transport. Je reconnais que les secondes resteront à l’intérieur d’Alstom, alors que les premières seront logées chez GE ou dans des coentreprises associant Alstom et GE. Deux statuts différents existeront en effet.

La procédure devant les autorités de l’Union européenne (UE) est engagée, de même que devant une trentaine de juridictions – notamment en Chine, en Russie, au Brésil et aux États-Unis. La Commission européenne a jusqu’au milieu du mois d’août prochain pour prendre sa décision, et l’attente complique notre activité commerciale.

Bouygues a indiqué être prête à rester actionnaire d’Alstom dans sa nouvelle configuration recentrée sur l’activité de transport et des coentreprises, et répondra à l’offre publique de rachat d’actions (OPRA) ; elle recevra une part de la somme distribuée aux actionnaires correspondant à la fraction de sa participation – autour de 30 %. L’État et Bouygues ont signé un accord – auquel Alstom n’est pas partie – qui prévoit l’existence d’une option d’achat par l’État d’une part du capital d’Alstom détenu par Bouygues pouvant aller jusqu’à 20 %.

M. Daniel Fasquelle. L’autorité des marchés financiers (AMF) a-t-elle déclenché une procédure ?

M. Patrick Kron. Non, mais des associations représentant des actionnaires minoritaires ont engagé une procédure en référé pour contester un point de l’accord portant sur le prêt de titres précédant l’investissement de l’État, pratique en effet assez atypique.

L’AMF a jugé que Bouygues et l’État agissaient de concert, si bien que ce dernier ne peut pas acheter sur le marché au-delà d’un seuil qui le conduirait à lancer une offre publique d’achat (OPA) sur l’ensemble des titres d’Alstom.

M. le président François Brottes. Monsieur Kron, je vous remercie d’avoir accepté de revenir devant notre Commission, et nous attendons l’ensemble des documents que vous nous avez promis.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 1er avril 2015 à 16 h 30

Présents. - Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. François Brottes, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, Mme Frédérique Massat, M. Hervé Pellois, M. Patrice Prat, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Damien Abad, M. Jean-Claude Bouchet, M. Jean-Michel Couve, M. Franck Gilard, M. Joël Giraud, M. Thierry Lazaro, M. Germinal Peiro, M. Bernard Reynès, M. Jean-Charles Taugourdeau

Assistait également à la réunion. - M. Jacques Myard