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Commission des affaires économiques

Mercredi 15 avril 2015

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 53

Présidence de M. François Brottes Président de Mme Danielle Auroi Présidente de la commission des affaires européennes et de M. Jean Bizet, Président de la commission des Affaires européennes du Sénat

– Audition, commune avec la Commission des affaires européennes, de Mme Cecilia Malmström, membre de la Commission européenne en charge de la politique commerciale 2

La commission a procédé à l’audition, commune avec la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale et la commission des affaires européennes du Sénat, de Mme Cecilia Malmström, membre de la Commission européenne en charge de la politique commerciale.

La Présidente Danielle Auroi. Je vous remercie d’avoir répondu favorablement à notre invitation de venir vous exprimer à l’Assemblée nationale, pour cette audition conjointe avec la commission des Affaires économiques et la Commission des affaires européennes du Sénat.

Alors que les négociations commerciales multilatérales du cycle de Doha durent depuis 2001, l’Union européenne, comme d’ailleurs les États-Unis, ont fait le choix de multiplier les accords bilatéraux de commerce et d’investissement. Menées dans le secret, ces négociations ont suscité l’inquiétude de la société civile, du Parlement européen et de nombreux Parlements nationaux. Même si des progrès notables ont été enregistrés en matière de transparence (publication des mandats de négociation et des documents de négociation européens), ces inquiétudes restent importantes, aussi importantes que les enjeux de ces négociations pour l’avenir de nos concitoyens, de nos entreprises et de nos démocraties.

Pour ma part, je n’ignore pas les avantages que de tels accords, pour autant qu’ils soient bien négociés, peuvent avoir en matière de croissance et d’emploi pour l’Union européenne. Toutefois, je suis également consciente des risques qu’ils comportent.

Le premier risque est l’inclusion systématique, dans ces accords, d’un mécanisme de règlement des différends entre les États et les investisseurs prenant la forme d’un arbitrage privé. Vous avez fait récemment, Madame la Commissaire, un certain nombre de propositions pour améliorer ce mécanisme dans le TTIP. Cependant, à supposer qu’il puisse être amélioré afin de prévenir ses effets négatifs, désormais bien connus, sur le droit des États à réguler, se pose toujours la question de son utilité.

En effet, ce mécanisme a été institué par nous, Européens, dès les années 50 afin de protéger nos investissements dans des pays qui ne respectaient pas l’État de droit. Or, le respect de l’État de droit est, aujourd’hui, une réalité, tant dans l’Union européenne qu’aux États-Unis et au Canada. C’est d’ailleurs pour cette raison que, depuis des décennies, malgré l’absence d’un mécanisme de règlement des différends, les investissements européens aux États-Unis et aux Canada et les investissements de ces derniers dans l’Union européenne atteignent des dizaines de milliards de dollars par an ! De plus, vous n’êtes pas sans savoir que l’accord de libre-échange de 2004 entre les États-Unis et l’Australie ne comporte pas de mécanisme de règlement des différends, comme n’en comportait pas l’accord de 1988 entre les États-Unis et le Canada.

Dès lors, je me pose la question et je ne suis pas la seule : en quoi un tel mécanisme de règlement des différends est-il aujourd’hui nécessaire dans le TTIP ou le CETA ? Quels sont ses avantages qui pourraient justifier les risques qu’il comporte ?

Le deuxième risque, spécifique au TTIP, est l’organe de coopération réglementaire qu’il prévoit. Son objet serait de discuter des propositions réglementaires de l'Union européenne et des États-Unis dans les secteurs couverts par le TTIP tels que les textiles, les médicaments ou l’automobile. Cet objet est louable : il s’agit d’éviter que les futurs partenaires adoptent, chacun de leur côté, des réglementations différentes qui, par les barrières qu’elles pourraient ériger, compliqueraient les échanges commerciaux.

Toutefois, cet organe me semble faire peser un risque encore plus grand que le mécanisme de règlement des différends sur le droit des États à réguler. En effet, ce dernier n’interviendrait qu’a posteriori, alors que l’organe de coopération réglementaire interviendrait a priori, dans l’élaboration même des normes. Or, les normes ne peuvent pas être analysées sous le seul angle de la barrière qu’elles pourraient constituer pour le commerce. Elles sont le résultat de débats dont les enjeux sont également sociaux et environnementaux. Le risque est donc majeur que l’organe de coopération réglementaire suivre la même logique qu’un tribunal arbitral et juge qu’une loi mauvaise pour le commerce est une mauvaise loi.

Enfin, au-delà du TTIP et du CETA, je voudrais attirer votre attention sur un aspect méconnu des accords de libre-échange et d’investissement. Loin de se borner au commerce, je me réjouis que certains de ceux qui ont été négociés dans le passé, par exemple les accords avec le Pérou et la Colombie, comportent des engagements en matière de droits humains, sociaux et environnementaux.

Toutefois, encore faut-il que ces engagements soient respectés par les pays concernés. Nous avons reçu récemment les responsables d’ONG travaillant en Colombie. Si respect il y a sur le papier, les droits syndicaux ne sont pas respectés sur le terrain. La Commission européenne s’en assure-t-elle et si oui comment ? Si ces engagements venaient à être violés, quelle devrait être selon vous sa réaction ? Enfin, alors que la Commission européenne négocie actuellement des accords avec des pays qui ne sont pas exemplaires en matière de droits humains, sociaux et environnementaux, notamment la Chine et la Birmanie, ceux-ci comporteront-ils des engagements dans ce domaine ?

M. Jean Bizet, Président de la commission des Affaires européennes du Sénat. Nous sommes particulièrement heureux d’avoir l’opportunité de vous entendre aujourd’hui dans le cadre cette réunion commune avec l’Assemblée nationale. Nous vous remercions pour votre disponibilité.

Les négociations sur un Partenariat transatlantique de Commerce et d’Investissement (PTCI) ont débuté en juin 2013. L’idée d’un tel accord de libre-échange repose sur un constat statistique éloquent. Les deux partenaires représentent 40 % du PIB mondial, enregistrent 30 % des échanges mondiaux dont dépendent 14 millions d’emplois des deux côtés de l’Atlantique. Le stock d’investissements dans les deux marchés atteint 3 000 milliards d’euros. L’intérêt de l’accord repose aussi sur ses potentialités : il pourrait contribuer à une croissance annuelle de l’économie européenne de 119 milliards d’euros.

Cependant, les points de blocage, restent nombreux, en particulier : pour l’ouverture aux Européens des marchés publics – notamment de la part des États fédérés ; pour la coopération sur la convergence réglementaire ; sur la défense des préférences collectives européennes concernant les produits agricoles ; sur les indications géographiques ; sur le processus d’arbitrage pour le règlement des différends Investisseur-État… Au Sénat, nous avons adopté, le 3 février dernier, une résolution européenne sur le mécanisme de règlement des différends, sur le rapport de notre collègue Michel Billout. Cette résolution suggère en particulier le recours à un mécanisme inspiré de l'Organe de règlement des différends de l'Organisation mondiale du commerce. Nous avons par ailleurs mis en place un groupe de suivi des négociations en cours. Le prochain « round » de négociations (le 9e) se tiendra du 20 au 24 avril à New York. Le souhait émis par les responsables européens de conclure avant la fin de l’année 2015 apparaît difficilement atteignable, de l’aveu même du négociateur européen M. Bercero.

À la veille de ce 9e round de négociation, nous souhaitons savoir sur quels volets les positions sont figées et sur lesquels les choses ont réellement progressé. Depuis le round de février, les États-Unis ont-ils formulé des propositions de texte sur les sujets majeurs ? Concernant les modalités de l’ISDS à inscrire dans le TTIP, vous avez proposé une détermination conjointe par les deux parties d’une liste restreinte d’arbitres « dignes de confiance » ; d’inscrire explicitement dans l’accord la liberté souveraine de chaque État pour le choix de leurs politiques publiques ; vous suggérez enfin de constituer dans l’accord un organe d’appel avec des membres permanents. Y a-t-il à ce stade des retours de la part des négociateurs américains ?

Mme Cecilia Malmström, Commissaire européenne au commerce. Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs les députés, je suis très heureuse d’être ici et d’avoir ce dialogue avec vous, dialogue à la fois de fond et de proximité avec les représentants nationaux ; c’est une de mes priorités en tant que Commissaire européenne au commerce.

En effet, dans la période actuelle que nous traversons, les institutions européennes sont critiquées. Elles seraient trop distantes des citoyens. Il faut minimiser ce manque de confiance, et cette audition est une manière d’avoir plus de proximité.

Dès lors plus la Commission et les parlements nationaux seront fréquemment en contact, plus cette distance entre citoyens et nos institutions sera réduite.

Je voudrais mettre l’accent sur trois aspects importants pour moi :

- Tout d’abord, je crois que nous pouvons nous mettre d’accord sur l’idée de la politique commerciale en tant qu’outil pour assurer la croissance et l’emploi ;

- Deuxièmement, c’est aussi, à mon sens, un levier pour assurer le respect et la diffusion de nos valeurs en tant qu’Européens ;

- Et troisièmement, j’aimerais vous parler de la responsabilité partagée que nous avons à engager un débat public sur le sujet.

Commençons par la croissance et l’emploi.

Nous savons que les accords commerciaux et d’investissement peuvent contribuer à cet objectif. Aujourd’hui le 15 avril, nous célébrons l’anniversaire de la signature des accords qui ont fondé l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Les ministres présents il y a vingt et un ans à Marrakech déclaraient que ces accords, « marquent l’avènement d’une ère nouvelle de coopération économique mondiale ».

Ils avaient raison : les échanges annuels de biens et services sont quatre fois plus importants aujourd’hui qu’en 1994. Les flux d’investissement ont été multipliés par cinq au cours de cette même période.

Mais il ne s’agit pas seulement de considérer les bénéfices globaux du commerce au niveau mondial, mais aussi de considérer les bénéfices concrets pour nous Européens.

Aujourd’hui, plus de 30 millions d’emplois en Europe dépendent des exportations et plus de 2,5 millions de ceux-ci sont localisés en France, soit 10 % de la population active française.

Mais il ne s’agit pas seulement des exportations ; beaucoup d’autres emplois en Europe dépendent des importations, car aujourd’hui, comme vous le savez, les produits ne sont pas fabriqués dans un seul pays. Ils sont fabriqués le long de chaînes de valeur régionales et mondiales. Pour exporter compétitivement, nous devons aussi importer.

Un chiffre clé pour démontrer l’ampleur de ce phénomène pour la France : 25 % de la valeur des exportations françaises est composée de biens et services importés.

Le but de la politique commerciale de l’Union européenne en la matière est de l’accès à ces chaînes de valeur.

Prenons l’exemple de l’accord de libre-échange avec la Corée du Sud qui est en vigueur depuis 2011. Il donne déjà des résultats très satisfaisants. L’ensemble de nos exportations vers la Corée est en hausse de 35 %. Dans le secteur de l’automobile, la hausse est même de 90 %.

Elles ont doublé dans le secteur laitier – ce qui est particulièrement intéressant pour la France. La France dispose d’une offre diversifiée et riche, notamment de fromages, fabriqués par de petits producteurs et en demande partout dans le monde, tandis que deux des trois plus grandes entreprises laitières du monde sont françaises.

D’où viennent ces gains avec la Corée du Sud ? D’un accord très ambitieux dans son contenu. En effet, l’accord fait plus qu’éliminer les tarifs douaniers :

- il rend les règlements coréens et européens plus compatibles, sans abaisser les normes (comme en matière e sécurité automobile par exemple) ;

- il améliore l’accès des entreprises européennes aux marchés publics coréens ;

- il élimine certains obstacles importants au commerce des services ;

- et il renforce la protection de nos indications géographiques.

Comme vous le savez, nous sommes en train de finaliser un accord similaire avec le Canada, le CETA, qui est aussi ambitieux que l’accord avec la Corée du Sud, et dans certains domaines, il l’est plus encore.

Nous avons obtenu des engagements du Canada pour ouvrir l’accès aux marchés publics de ses provinces, qui va bien au-delà de ce que les Américains ont atteint dans l’ALENA.

À l’heure actuelle, nous négocions des accords avec le Japon et le Vietnam, ainsi qu’avec de nombreux autres pays en Asie et en Afrique mais le plus important, économiquement et stratégiquement, des accords que nous négocions est le Partenariat Transatlantiques pour le Commerce et l’Investissement avec les États-Unis (le TTIP).

Une fenêtre s’est ouverte dans la dimension multilatérale et il y a un engagement de tous les ministres au niveau de l’Union pour terminer ce cycle le plus rapidement possible.

J’ai mentionné les secteurs de l’agriculture et la production de fromages, mais la France dispose d’atouts dans de nombreux domaines. Ainsi les médicaments et les appareils médicaux : ces secteurs profiteront des efforts réalisés avec nos partenaires commerciaux pour rendre leur réglementation plus compatible avec la nôtre. La fabrication de pneus et de produits chimiques profitera directement de la simplification des procédures douanières. Bien évidemment, le reste de l’industrie agro-alimentaire, où les droits de douane restent particulièrement élevés, avec les États-Unis, bénéficiera également de cet accord.

Je tiens à souligner que les gains ne seront pas seulement en faveur des grandes entreprises. Les PME représentent 30 % des exportations européennes vers le reste du monde et sont plus vulnérables aux barrières réglementaires. La mise en conformité représente un coût proportionnellement plus élevé pour les PME, car elles ont moins de marge.

J’ai visité ce matin une petite entreprise aux Pavillons-sous-Bois en Seine St Denis. C’est une TPE de dix personnes. CNC-Shopping est un des leaders de la distribution en ligne de commandes numériques pour machines-outils. Elle fait face à des difficultés très concrètes, liées notamment à la lourdeur des procédures douanières, mais aussi aux droits de douane élevés, alors même que le commerce électronique devrait être une opportunité extraordinaire pour elle. LE TTIP contribuera à éliminer ces obstacles.

Mais de même que l’Union européenne n’est pas seulement un marché unique, la politique commerciale de l’UE ne peut avoir comme seul objectif d’ouvrir des marchés. Elle doit aussi promouvoir et respecter des valeurs. Je voudrais développer cinq idées autour de ce thème : sur la réglementation, les services publics, l’environnement, la protection de l’investissement et sur la voix de l’Union européenne dans le monde.

Sur la réglementation, nous avons vu comment la coopération peut contribuer à la prospérité. Mais elle peut aussi aider à renforcer notre réglementation en matière de protection du consommateur et de l’environnement.

Le TTIP en est l’un des meilleurs exemples Nous nous assurons dans ces négociations, tout d’abord, que rien de ce que nous faisons n’abaissera les normes actuelles. C’est pourquoi nous nous concentrons sur les domaines où nous avons des objectifs réglementaires similaires à ceux des États-Unis comme dans le secteur de l’automobile, des produits pharmaceutiques et des dispositifs médicaux. Nous ne négocierons pas dans les domaines où nous sommes en désaccord. Par exemple, nous n’allons pas changer nos lois sur la viande aux hormones ou les organismes génétiquement modifiés.

Toutefois le partenariat transatlantique nous aidera à atteindre des objectifs communs sur des sujets de coopération administrative, de partage des données, et d’expertise notamment. Il s’agit de coopérer pour faire respecter les règles en utilisant moins de ressources.

L’intention derrière l’organe de coopération réglementaire est de réunir des experts afin de recueillir leurs conseils sur les futures réglementations, d’échanger de l’expertise. Mais il reviendra toujours aux Parlements nationaux de faire les lois.

Nos accords n’obligeront pas les gouvernements à ouvrir les services publics à la concurrence de prestataires privés. Ils ne forceront pas à privatiser les services publics et ne limiteront pas la liberté des gouvernements à changer d’avis sur ce sujet dans l’avenir.

C’est d’ailleurs la position des Américains dans le TTIP. Mon homologue américain et moi-même avons publié une déclaration conjointe à ce sujet qui démontre notre convergence et clarifie nos positions sans ambiguïté.

En même temps, un commerce plus ouvert permet de réduire les coûts des biens et des services dont les gouvernements se servent pour les fournir à leurs usagers. Qu’il s’agisse des uniformes, des médicaments ou des meubles, cela fait plus d’argent disponible pour le système dans son ensemble.

Qu’en est-il de l’environnement ? 2015 est une année importante pour le climat. Paris, en décembre, sera la ville importante pour faire progresser les engagements internationaux dans ce domaine. Si nous voulons résoudre ce qui est des plus graves problèmes à l’heure actuelle, nous devons travailler sur tous les fronts.

Le commerce peut aider. C’est pourquoi l’Union européenne est en train de négocier un accord avec treize autres pays pour promouvoir le commerce des biens et services respectueux de l’environnement, en particulier ceux liées à l’énergie renouvelable. Et nous travaillons pour que d’autres pays rejoignent ces négociations au plus vite, en espérant avoir un accord avant Paris. Nous voulons également utiliser le TTIP pour élever le niveau des normes sur les produits énergétiques renouvelables.

Quatrièmement, l’investissement. C’est probablement la question la plus sensible quand il s’agit des relations entre la politique commerciale et nos valeurs. J’aimerais rappeler pourquoi protéger l’investissement est important. Abaisser les risques d’expropriation ou de discrimination, contribue à rassurer les investisseurs et les encourage à investir, ce qui signifie plus de croissance et d’emplois. C’est pourquoi la France a déjà signé plus de quatre-vingts accords bilatéraux d’investissement, qui comprennent des mesures de protection.

Cependant, il est également nécessaire aujourd’hui d’améliorer le système existant de règlement des différends entre investisseurs et États (plus communément appelé par son acronyme anglais ISDS). L’UE ne veut pas maintenir les accords en matière d’investissement qui seraient déséquilibrés. Les accords existants doivent être réformés, et le CETA et le TTIP sont des étapes clés dans ce processus.

Dans l’accord CETA, nous avons apporté des modifications importantes sur le système existant. En voici quelques exemples. Pour la première fois dans un accord de ce type, nous avons ajouté une référence au droit des gouvernements à réglementer dans l’intérêt public. Nous avons clarifié et défini des limites aux normes de protection de l’investissement pour rendre beaucoup plus difficile les abus. Nous avons rendu les tribunaux plus transparents et établi un code de conduire obligatoire pour les arbitres. Nous avons, enfin, donné aux gouvernements et non aux arbitres, le contrôle ultime sur l’interprétation des règles. Si l’UE et le Canada ne sont pas d’accord avec la décision d’un arbitre, nous pouvons émettre une déclaration juridiquement contraignante sur la façon dont nous voulons que les règles soient interprétées.

Dans un monde idéal, nous pourrions être en mesure de faire davantage dans le CETA et cela pourra être fait plus tard. Mais l’accord est déjà conclu, même si on peut envisager de demander des ajustements techniques au Canada, nous n’avons pas intérêt à risquer les gains très importants pour l’Europe qui viennent d’être évoqués. Des clauses de révision existent dans l’accord qui nous permettront de réexaminer la question à l’avenir. Le Canada partage notre point de vue sur l’importance de garantir le droit de réglementer.

Dans le TTIP nous pouvons aller plus loin, et nous envisageons des changements profonds comme : nommer par avance des arbitres totalement indépendants et impartiaux ; instaurer un système d’appel, voire dans le moyen terme une cour permanente de l’investissement international, ; établir des règles encore plus claires pour gérer la relation avec les systèmes juridiques nationaux ; introduire une clarification juridique supplémentaire sur le fait que les gouvernements ont le droit de réglementer afin de mener des politiques publiques dans l’intérêt général.

Par ces changements, on fait un pas important vers un meilleur système de protection de l’investissement. Ce sont les questions que je suis en train de discuter avec les États membres et le Parlement européen, afin de faire des propositions constructives dans les semaines qui viennent. Bien que nous ayons beaucoup de différences avec les États-Unis, nous partageons les valeurs de démocratie, des droits de l’homme et d’État de droit. Pour autant, nous devons rester vigilants quant à l’application des accords de libre-échange, qui ne deviennent pas automatiquement aux États-Unis des lois nationales, ce qui peut mener à des discriminations, contre, par exemple, de petites entreprises européennes.

Les États-Unis conservent aujourd’hui beaucoup d’influence sur les règles mondiales, en raison de leur poids économique. Mais beaucoup de pays suivent la réglementation européenne sur les produits chimiques, les émissions de CO2 des voitures par exemple, en partie parce que c’est ensuite plus facile pour exporter vers notre marché unique.

Mais cette situation risque de changer à l’avenir, avec la baisse de notre poids relatif tandis que le poids des économies émergentes s’accroît. À l’avenir, nous aurons besoin d’alliances si nous voulons projeter nos valeurs dans les débats qui façonneront les règles mondiales du vingt et unième siècle. Il est donc important de trouver des alliances, des partenariats, et les accords commerciaux peuvent nous y aider dès lors qu’ils sont menés dans la transparence.

L’Union européenne a été au centre des négociations qui ont créé le système multilatéral, et au cours des vingt et une dernières années, les règles de l’OMC nous ont déjà permis de contribuer à façonner les règles de la mondialisation. Aujourd’hui, la Commission est particulièrement engagée pour travailler en partenariat avec les citoyens, les Parlements nationaux et le Parlement européen pour faire progresser ces partenariats et ce travail multilatéral.

Nous ne pourrons finir les négociations avant Noël, mais nous devons tenter de conclure les négociations du TTIP avant la fin du mandat du Président Obama. Après cela, de nombreux équilibres risqueraient d’être remis en cause.

Finalement, sur votre question Madame la présidente de l’application des normes, notamment syndicales, dans des pays avec lesquels nous avons des accords, comme le Pérou ou la Colombie. Il est vrai que nous souhaiterions qu’il y ait moins de problème de respect des droits de l’homme dans ces pays. Nous sommes en train de réfléchir à des façons de mieux faire appliquer ces accords dans les faits, mais sommes convaincus qu’ils contribuent néanmoins à plus de respect des droits.

J’espère avoir répondu à vos questions et suis disposée à vous fournir plus d’éléments de réponses suivant les questions que vous pourrez me poser à présent.

M. Joachim Puyeo. Je vous remercie de prendre ce temps pour échanger avec nous, notamment sur les sujets que sont les accords commerciaux. En tant que parlementaires, nous recevons de façon régulière des lettres, des mails, des tweets de nos concitoyens, qui expriment leurs inquiétudes vis-à-vis de ces accords - dont certains sont encore au stade de la négociation - comme cela est le cas du traité entre l’Union européenne et les États-Unis.

En ce qui concerne le fond du sujet, vous n’êtes pas sans savoir que notre assemblée a adopté en juin 2013 une résolution européenne sur le mandat de négociation de l’accord de libre-échange entre les États-Unis et l’Union européenne. Il était notamment demandé de prendre en compte les particularités de l’agriculture européenne, et les considérations non commerciales qui y sont impliquées : j’entends par-là les surcoûts-prix dans l’Union pour protéger la santé des consommateurs et des travailleurs, préserver l’environnement, assurer l’information des consommateurs grâce à la traçabilité et aux indications géographiques.

À la différence des États-Unis, les petites et moyennes exploitations jouent encore un rôle prépondérant en Europe, et bien sûr en France, notamment dans des domaines comme le lait. Les inquiétudes sont grandes chez les cultivateurs qui ont peur de se trouver mis en concurrence avec d’immenses exploitations qui réalisent des économies d’échelle considérables, et sont d’autant plus compétitives.

Si l’on prend en compte les différentes mesures qui visent également à assurer la santé de nos consommateurs, ainsi que les normes au niveau de l’environnement, certains de nos producteurs risquent de ne pouvoir suivre face à une concurrence de gros exploitants respectant des normes allégées.

Si l’on considère l’exemple de l’accord passé entre l’Union européenne et la Corée du Sud, le bilan semble plutôt positif dans de nombreux domaines, comme vous l’avez rappelé. Ce bilan entre les vingt-huit de l’Union européenne, et la Corée du Sud est-il également positif en ce qui concerne le domaine agricole ?

Quelles mesures pourraient être prises afin de garantir la continuité des petites et moyennes exploitations, et d’assurer leur protection afin de défendre notre modèle agricole ?

Les PME pourront-elles profiter de cette augmentation du commerce international selon vous ?

Nous sommes attachés à la protection des standards en matière de santé, de conditions de travail ou environnement : pensez-vous que ces accords de libre-échange peuvent imposer des normes sociales et sanitaires à l’Europe ?

M. Jean-Pierre Le Roch. L’Union européenne est devenue un partenaire commercial majeur de la Chine. Elle est la première destination des exportations chinoises, alors que la Chine est le deuxième partenaire commercial de l’Union européenne.

Or, le protocole d’adhésion de la Chine à l’OMC signé en 2001, a classé ce pays en tant qu’économie en transition. Ce même accord prévoit l’obtention du statut d’économie de marché pour la Chine le 12 décembre 2016. Or, ce statut conditionne toutes les procédures anti-dumping appliquées par la Commission européenne. L’obtention de ce statut aura donc pour conséquence un affaiblissement des instruments de défense commerciale classiques, et un impact sur les emplois et l’industrie en Europe.

Vous déclariez, en décembre dernier, que la reconnaissance de la Chine en tant qu’économie de marché par l’OMC et ses membres, n’était pas automatique malgré le protocole d’adhésion, et que la Chine ne remplissait pas encore les critères pour y accéder. Pourriez-vous préciser votre position sur ce sujet, et l’état des négociations ?

Mme Estelle Grelier. Le TTIP est un vaste chantier qui concerne l’intégralité des secteurs. Les conditions d’accès de publicité du mandat de négociation ont été assez difficiles, et la transparence promise n’a pas été facile à obtenir. Les conditions d’accès aux documents sont théoriques, sauf à se dire que les députés que nous sommes, allons passer notre temps à lire des documents dans un petit bâtiment, pour les prendre en note.

Nous doutons donc fortement de la qualité de contrôle que nous avons, en tant que parlementaires, sur les décisions qui sont prises. Nous avons dans l’idée que nous ne pesons pas, alors même qu’un certain nombre de nos interlocuteurs nous sollicitent sur ce Traité. Par exemple, j’ai rencontré récemment la Confédération générale des betteraviers : ils sont très inquiets de ce dispositif, dans la mesure où sur une partie des échanges qui les concerne, les Américains refusent l’échange, tandis qu’ils le souhaitent sur la partie qui ne les intéresse pas. Dans nos circonscriptions, on nous parle de ce Traité commercial : nous avons des inquiétudes sur ce que nous pouvons apporter comme réponses et sur la manière dont les choses se passent.

Par ailleurs, il y a une médiatisation autour de la question des tribunaux arbitraux : cela n’est pas dans la culture française. Nous avions compris qu’il s’agissait de mécanismes d’arbitrage des conflits qui étaient plutôt destinés à s’appliquer lorsqu’il n’existait pas d’organisation structurée d’État. Nous souhaitons être rassurés sur ce point. Vous avez dit que les Gouvernements conservent « le contrôle ultime », pouvez-vous préciser cet aspect ?

De plus, s’agit-il d’un accord mixte ou pas ? Il faut nous dire clairement et sans ambiguïté ce qu’il en est sur cette qualification.

Mme Cécilia Malmström. Nous avons bien pris en compte les recommandations que vous nous avez envoyées, Monsieur Puyeo : beaucoup de vos préoccupations sont couvertes par le mandat, mais aussi par les négociations. Dans aucune négociation il n’a été question de baisser la protection dont bénéficient les citoyens, les consommateurs, et de l’environnement. Le mandat dit clairement qu’il n’est pas question de baisser ces normes.

Nous discutons des règlements à un niveau plutôt technique, où les manières de réglementer sont plus ou moins équivalentes, comme par exemple l’inspection de certaines usines. Il est parfois nécessaire de faire deux validations. Par exemple, les entreprises du Nord de la France qui veulent exporter des huîtres et des moules, alors qu’elles ont perdu le marché russe, doivent se soumettre à deux inspections pour exporter aux États-Unis : tandis que nous examinons le mollusque, les Américains examinent l’eau. Cela revient au même, mais les deux inspections sont actuellement nécessaires. L’objectif n’est donc pas d’harmoniser, mais de reconnaître mutuellement les deux façons de faire, ce qui permettrait notamment aux petites entreprises d’économiser un peu d’argent.

Par ailleurs, je suis consciente du fait que l’agriculture est un sujet très sensible pour la France. Il existe actuellement un surplus d’exportation au niveau européen. Mais il y a toujours des obstacles tarifaires et douaniers, notamment sur le fromage, le vin, le chocolat, et sur certains autres produits, qu’il serait positif d’éliminer pour les agriculteurs européens. Nous avons des produits de très haute qualité, qui sont reconnus et demandés dans le monde. Nous pouvons donc avoir confiance en nous-mêmes : si l’on nous en donne la possibilité, il y a beaucoup de marchés à gagner.

S’agissant de l’accord avec la Corée, les exportations ont doublé sur le secteur laitier. Nous vous enverrons l’évolution totale issue de ces accords, afin que vous puissiez la consulter en détail.

Concernant la Chine, la décision n’est pas automatique et ne peut se prendre du jour au lendemain : puisque nous avons accordé ce statut aux chinois, il faut que la Commission propose un changement, et que le Conseil soit d’accord. Nous sommes en train de nous livrer à des expertises sur cet accord datant d’il y a déjà pas mal d’années, afin d’en discuter cet été ou cet automne avec les États membres. L’examen commence, aucune décision n’a encore été prise.

C’était, Mme la députée, effectivement une erreur de ne pas publier le mandat TTIP tout de suite : ce n’est pas la faute de la Commission, mais certains États membres ne le souhaitaient pas (même si la France - elle - avait demandé la transparence). Or, comme il s’agit d’un document du Conseil, il fallait l’unanimité. Le Conseil n’en avait sans doute pas réalisé l’intérêt public, et cela a contribué à donner l’impression qu’il y avait quelque chose de suspect, ce qui n’est pas le cas. Actuellement presque tous les textes sont mis en ligne, dans la mesure où la Commission souhaite la transparence. Tous les membres du Parlement européen y ont accès, et il incombe aux Gouvernements de permettre l’accès des Parlements nationaux à ces textes, tout en veillant le cas échéant à leur confidentialité.

S’agissant des ISDS, l’objectif est réellement la protection des citoyens, et de faire en sorte que celle-ci ne puisse être remise en question par les entreprises.

Légalement, je ne suis pas en position de vous dire si le TTIP sera un accord mixte ou pas, puisque nous n’avons pas encore le texte. S’il s’agit d’un accord très vaste et ambitieux comme nous l’envisageons, il sera mixte.

Mme Michèle Bonneton. Je suis étonnée du calendrier annoncé : si l’Union européenne veut aller trop vite, elle se met de fait en position de demandeur par rapport aux États-Unis, ce qui n’est pas une position très favorable. Mis à part quelques secteurs, les droits de douane en direction des États-Unis sont déjà bas. L’harmonisation des normes est bénéfique au commerce. Cependant, l’éventuelle création d’un organe de coopération réglementaire sur les règles techniques pose questions, comme cela a déjà été dit par Madame Auroi : celle de l’association des États membres à cette structure, celle de la nature même des normes qui reflètent des choix politiques, c’est-à-dire des choix de vie d’une société.

Nous sommes interrogés dans nos circonscriptions. Les agriculteurs sont inquiets par rapport à leurs signes de qualité, dont bien peu ont été reconnus dans le CETA. Ils sont également inquiets par rapport à la concurrence d’une agriculture industrielle. Les PME, les acteurs de l’économie sociale et solidaire, les acteurs de la santé, de la protection sociale, et donc tous les citoyens se posent beaucoup de questions.

Par ailleurs, qu’en sera-t-il des services publics « à la française », d’autant plus qu’il y a des discussions au niveau du projet d’accord TiSA et que celui-ci interfère avec le TTIP ? Il est bien question en effet de livrer une part de nos services publics à la concurrence internationale.

Ce TTIP s’inscrit dans la continuité de l’ALENA (couvrant l’ensemble du continent Nord-américain). L’ALENA n’a pas tenu ses promesses pour le Mexique, tandis que son extension à l’Amérique latine a été abandonnée, notamment sous la pression de la société civile latino-américaine. Ceci n’est pas très engageant et nous interpelle. En quoi cette nouvelle étape d’harmonisation des modèles économiques voulue par le TTIP constitue-t-elle un réel gain pour l’Union européenne ?

Le TTIP cherche à ouvrir les marchés publics des deux côtés de l’Atlantique. Aux États-Unis, des clauses spécifiques existent, destinées à favoriser l’approvisionnement local et s’apparentant à de la discrimination positive pour certains fournisseurs. Le code des marchés publics l’interdit pour le moment en France pour ne pas fausser la libre concurrence. Toutefois, plusieurs initiatives dont une mission parlementaire et un groupe de travail à Bercy sont à l’œuvre en France, afin de favoriser les circuits courts et leurs bénéfices pour l’environnement, la traçabilité et l’économie locale. Quelle est la position de la Commission sur ces initiatives ? Comment préserver le commerce local ?

L’Assemblée nationale a adopté, le 23 novembre 2014, une résolution européenne rejetant la perspective d’un mécanisme de règlement des différends dans l’accord entre l’Union européenne et le Canada. La Commission européenne a organisé une consultation publique sur le sujet l’été dernier, qui a recueilli 150 000 réponses. Ces réponses ont été très critiques : 97 % d’entre elles étaient négatives, y compris de la part d’entreprises et de personnalités politiques. Vous avez dit qu’il était envisagé une clarification juridique pour que les Gouvernements aient toujours le droit de légiférer dans l’intérêt général ; cela ne nous rassure pas : l’abaissement des choix politiques possibles des États est à craindre.

M. André Gattolin, sénateur. Madame la commissaire, j’ai été un petit peu choqué par une de vos expressions sémantique. On a compris que la France était le pays du fromage et de l’agriculture, mais il y a d’autres dimensions dans nos exportations. Vous avez évoqué les négociations avec les ONG en invitant les parlements nationaux à également jouer leur rôle dans le débat. Nous sommes au cœur du débat. Si nous allons vers un accord mixte, cela passera par notre ratification ou cela ne passera pas.

Votre introduction est positive, mais on nous donne une perspective d’évolution globale du commerce en Europe. On nous a présenté ce projet de traité TTIP comme allant générer 0,5 % de croissance en plus, des centaines de millions d’emplois en plus mais on ne nous dit jamais où. Nous n’avons pas d’étude d’impact sectorielle faite par la Commission au niveau national ou régional. Cela fait un an et demi que je la réclame en commission des affaires européennes du Sénat. Quand je discute avec mes homologues au Parlement néerlandais, ils sont tous en faveur du projet car, bien sûr, l’accroissement des échanges va bénéficier au port de Rotterdam. Demain, le commerce transatlantique va bénéficier à certains plus qu’à d’autres. Cette question de l’exception néerlandaise du fait de la situation de son port est à poser.

Autre exemple : nous savons que les droits de douane sont faibles de part et d’autre, mais nous savons aussi qu’il y aura des réductions. Compte tenu du volume, cela aura une incidence sur le niveau de ressources propres bénéficiant à l’UE. Cet abaissement des droits de douane va avoir un impact sur les modalités de financement du budget de l’UE. Je demande ces chiffres ; quelle étude d’impact a été faite à ce niveau-là ? Nous ne bénéficions pas du fédéralisme européen mais du centralisme européen. En tant que parlementaire national fédéraliste, j’ai l’impression que ce TTIP ne participe pas à la popularisation de la cause européenne. Actuellement, les négociateurs naviguent dans un autre monde que celui des citoyens européens et des parlementaires nationaux.

Mme Jeanine Dubié. Merci Madame la présidente. Merci Madame la commissaire de votre présentation et de votre éclairage sur le TTIP. Vous n’êtes pas sans savoir les inquiétudes suscitées par le TTIP sur nos citoyens. Ces interrogations résultent notamment de l’opacité des négociations. Vous avez aussi répondu à la question sur la nature du traité, mixte ou pas. J’ai cru comprendre qu’il devrait l’être, les parlements nationaux devront alors être consultés pour approuver l’accord. Une question plus précise sur l’impact du traité concernant le secteur de la santé et de la protection sociale. Les caisses de sécurité sociale de l’UE sont réunies au sein d’associations et elles ont exprimé des inquiétudes légitimes concernant les implications du TTIP sur le champ de la santé et de la protection sociale étant donné qu’elles sont actuellement du ressort et de la compétence des gouvernements des pays européens qui peuvent librement légiférer. Pouvez-vous, madame la commissaire, nous confirmer que les champs de la santé et de la protection sociale sont exclus des négociations du traité transatlantique en cours ?

Mme Seybah Dagoma. Madame la commissaire je vous remercie pour votre intervention liminaire, vous avez rappelé quels étaient les enjeux du TTIP et du CETA et vous nous avez livré votre position concernant le mécanisme de règlement des différends. Vous nous avez dit qu’il devrait faire l’objet d’améliorations et c’est pourquoi vous avez fait des propositions dans ce sens. Vous nous avez surtout dit deux choses qui m’ont particulièrement intéressée. S’agissant du TTIP, les négociations sont en cours, par conséquent, nous pouvons innover sur le mécanisme de règlement des différends. En revanche, s’agissant du CETA, il se trouve que les négociations sont terminées et que, par conséquent, nous ne pouvons plus rien faire à ce stade sur le mécanisme de règlement des différends.

Très tôt, l’Assemblée nationale était plus que réservée sur ce mécanisme de règlement des différends tel qu’il existe à l’heure actuelle dans les accords de libre-échange de l’UE. C’est pourquoi, en mai 2013, avant le début du mandat de négociation, nous avons présenté un projet de résolution qui disait clairement qu’il fallait exclure un certain nombre de sujets du mandat de négociation. Ils étaient au nombre de quatre. Il s’agissait des marchés de défense, des préférences collectives, de l’exception culturelle et du mécanisme de résolution des différends. Il se trouve que ce mécanisme de résolution des différends a été rejeté, à l’unanimité de la commission des Affaires européennes et à l’unanimité de la commission des Affaires étrangères. L’Assemblée nationale avait clairement exprimé le refus de ce mécanisme de règlement des différends tel qu’il existait dans les accords de libre-échange.

Aujourd’hui la question qui nous est posée est celle du CETA dont les négociations sont terminées. Un travail est en cours à la commission des Affaires européennes puisque Danielle Auroi nous a demandé de travailler longuement sur le mécanisme de règlement des différends. Nous rendrons nos conclusions dans quelque temps, je ne m’avancerai donc pas sur ce point. Je voudrais cependant vous interroger sur les conséquences de la mixité. S’agissant du CETA, la mixité est avérée puisque l’accord contient des dispositions sur les investissements indirects et par conséquent nous aurons à nous positionner dessus. À partir du moment où le Conseil européen statuera sur l’accord, le Parlement européen aussi devra statuer ; il y aura une entrée en vigueur provisoire et ensuite les parlements nationaux devront se positionner. Si d’aventure un parlement vote contre cet accord que se passera-t-il ?

M. Daniel Raoul, sénateur. Il est clair que le CETA relève d’une procédure mixte. Or le Sénat et l’Assemblée nationale sont très opposés à l’ISDS. Quel que soit le calendrier retenu, il y aura des difficultés au moment de la ratification de cet accord, du moins devant le Parlement français. J’ai bien pris note de vos idées préliminaires pour améliorer le TTIP, mais je vous assure que cela ne suffira sans doute pas. Si ces idées ne sont pas retenues, je prévois des difficultés énormes au moment de la ratification de ce traité.

De plus, un principe de base dans un traité devrait être la réciprocité dans la reconnaissance des expertises de chaque partie. Cela devrait être le cas pour les fruits de mer comme pour les produits pharmaceutiques et de santé. Il convient d’éviter les doubles expertises, dans l’esprit de confiance du libre-échange.

Enfin, même si les frais de douane sont actuellement faibles, ils représentent une part non négligeable du budget de l’Union. Qu’envisagez-vous pour avoir enfin un budget propre ? Si ces deux traités sont ratifiés, les ressources de la Commission diminueront considérablement. Il faudra bien en trouver de nouvelles, comme le propose la taxe sur les transactions financières.

Mme Cecilia Malmström. S’agissant du calendrier, le contenu prime. Nous souhaitons finaliser ce traité avec l’administration Obama, pour éviter les délais considérables qui se présenteront en cas de changement de l’administration. Mais si ce n’est pas possible, il faudra attendre ! Le plus important est que le Conseil et le Parlement européens et, dans le cas d’une procédure mixte, les parlements nationaux, soient en accord avec le contenu. Nous ne conclurons pas au seul motif que des élections approchent aux États-Unis.

S’agissant des tarifs douaniers qui existent encore, il est vrai qu’ils sont en général bas, mais ils sont élevés – entre 20 et 30 % – pour certains produits, comme le vin, le fromage ou les chaussures, qui sont des produits importants pour la France. Il serait donc souhaitable d’éliminer tous les tarifs douaniers, avec quelques exceptions pour le secteur agricole.

En ce qui concerne les indications géographiques, 42 produits français sont inclus dans l’accord avec le Canada, sur un total de 154. Les produits français représentent donc une part très importante des indications géographiques concernées. Nous allons essayer d’atteindre un résultat au moins aussi bon avec les États-Unis. Je ne vous cache pas que c’est un point difficile, car les États-Unis ont une tout autre approche de cette question.

Sur les marchés publics, il s’agit d’obtenir une réciprocité. L’Union européenne est assez ouverte, aux États-Unis comme aux autres pays. Cette ouverture a eu des conséquences positives pour notre économie. Mais le marché américain est beaucoup plus fermé que nous ne le croyons parfois. Certaines de nos grandes entreprises, pourtant très compétitives sur leurs marchés, ont des difficultés à accéder aux marchés publics américains. Nous voulons corriger ce déséquilibre, dont beaucoup d’entreprises européennes souffrent.

S’agissant des circuits courts, cette question ne fait pas l’objet de discussions dans le cadre de ces accords. Il s’agit plutôt d’une question française, ou européenne.

Il est bien évidemment fondamental d’entretenir un dialogue avec la société civile et les organisations non gouvernementales, dont nous sollicitons les connaissances et l’expertise. Mais ce sont les parlementaires européens et nationaux qui assument la responsabilité politique, et il convient de garder cela à l’esprit.

Beaucoup d’études d’impact ont été réalisées, dont la majorité montre des gains de croissance annuels compris entre 0,2 % et 1 %. Certaines utilisent une méthode différente, dont les résultats sont moins positifs. Mais la majorité prévoit des gains de croissance, d’emploi et d’investissement. Nos expériences du passé, comme l’accord avec la Corée ou avec le Mexique, ont eu des résultats positifs, et les projections réalisées s’appuient sur celles-ci pour dégager des tendances. L’Union européenne a réalisé une étude d’impact propre, disponible sur son site Internet. Une seconde, qui analysera les conséquences des accords sur certains secteurs et certains pays, est en cours de réalisation. En outre, de nombreux pays ont commandé des études nationales auprès de think tanks et d’experts internationaux indépendants. L’Irlande a ainsi commandé une étude auprès de Copenhagen Economics.

Plusieurs pays ont par ailleurs commandé des études d’impact nationales. J’étais récemment à Dublin, où le gouvernement irlandais a missionné le cabinet Copenhagen Economics pour qu’il étudie, secteur par secteur, les conséquences de l’accord, soit les bénéfices attendus mais aussi les éventuelles vulnérabilités. Cela permet de se préparer à faire face à la fragilisation de certains secteurs. Il revient donc aussi à chaque pays de mener ce type d’études. Nous ferons pour notre part une publication générale à la fin de l’année.

Sur les ressources du budget nous avons fait des calculs. Cette question devra être discutée avec les États membres. Je n’ai pas de chiffrage de ces estimations mais nous escomptons aussi de nouvelles ressources.

J’ai bien noté les positions adoptées par l’Assemblée nationale dans ses résolutions, concernant notamment les mécanismes relatifs au règlement des différends. Néanmoins, je tiens à rappeler que la Commission a reçu un mandat des État membres et que le gouvernement français a, sous certaines conditions, donné son accord à l’inclusion de ces mécanismes. Pour le moment, de toute façon, ce chapitre de la négociation est « gelé » dans l’attente d’une position commune au sein de l’Union. Nous allons prochainement faire des propositions qui, je l’espère, apaiseront certaines craintes.

S’agissant de l’accord avec le Canada, nous avons obtenu des améliorations importantes. L’accord est conclu, il est en cours de traduction dans les 23 langues de l’Union et fait l’objet d’un nettoyage juridique. Il est encore possible d’opérer des clarifications techniques mais il n’est plus envisageable de rouvrir la négociation. Cela étant, l’accord contient des clauses de révision et nous restons en dialogue avec nos partenaires canadiens.

Un accord mixte nécessite préalablement l’approbation du Conseil et du Parlement européen, pour faire l’objet d’une application provisoire. Ensuite, il doit être ratifié par chacun des États et ce processus peut prendre plusieurs années. Si un État refuse la ratification, l’interruption de l’accord sera immédiate.

Un dernier point concernant les services publics : j’ai fait une déclaration publique conjointe avec M. Michael Froman pour dire très clairement qu’ils ne seront pas ouverts à la concurrence si les gouvernements ne le souhaitent pas. Chaque pays restera maître de sa décision. On ne forcera aucun gouvernement à privatiser un service public ou à externaliser ce type de mission. C’est valable pour le TTIP et pour le TiSA.

La présidente Danielle Auroi. Nous vous remercions d’avoir pris le temps de nous répondre très précisément, même si je ne suis pas certaine que vous nous ayez complètement rassurés. Nous devons en tout état de cause poursuivre le travail sur ces enjeux commerciaux et nous aurons d’autres occasions d’échanger. La transparence est nécessaire, et de ce point de vue il y a eu des améliorations par rapport à la précédente Commission. Restent des sujets sensibles sur lesquels nous pourrons vous questionner à nouveau lorsque la négociation aura avancé.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 15 avril 2015 à 16 h 30

Présents. – Mme Michèle Bonneton, M. Yves Daniel, Mme Jeanine Dubié, M. Jean Grellier, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Frédérique Massat, M. Hervé Pellois

Excusés. – M. Joël Giraud, M. Philippe Kemel, M. Thierry Lazaro, M. Bernard Reynès, M. François Sauvadet, M. Jean-Charles Taugourdeau