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Commission des affaires économiques

Mercredi 13 mai 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 58

Présidence de M. François Brottes, Président

– Audition de M. Gérard Romiti, président du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins

La commission a auditionné M. Gérard Romiti, président du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins.

M. le président François Brottes. Notre commission souhaitait depuis longtemps aborder de nouveau le sujet de la pêche, qui appartient pleinement au périmètre de ses compétences. Les pêcheurs sont souvent dénigrés, notamment au niveau européen. Plusieurs questions s’entremêlent au sujet de la pêche : la reconstitution des ressources, leur collecte, mais aussi l’obsolescence de la flotte de pêche et le relatif manque de vocation chez les jeunes ou encore le rôle de mieux en mieux connu du poisson dans une alimentation équilibrée.

Pourtant, devant nous, les pêcheurs sont peu entendus au sujet de leur activité. Un débat difficile a eu lieu, à la commission du développement durable, sur l’interdiction du chalutage en eaux profondes. En ce domaine comme dans d’autres, les efforts significatifs des professionnels sont progressivement reconnus et il convient de sortir de la stigmatisation. Il ne me semble en effet pas nécessaire de perturber une filière industrielle qui a su se développer grâce à notre littoral étendu, mais aussi à l’appartenance à la France de territoires insulaires. Cette filière redresse en ce moment la tête, le désarroi recule, bref nous vous entendons à un moment de transition.

M. Gérard Romiti, président du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM). Monsieur le président, vos propos nous réconfortent. La pêche française souffre en effet d’un manque de communication. C’est pourtant un secteur d’activité stratégique pour notre pays.

Comme son nom l’indique, le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM) est une organisation professionnelle qui s’étend à l’aquaculture et regroupe tous les pêcheurs, des pêcheurs à pied aux pêcheurs embarqués en passant par les thoniers senneurs transocéanique ou les navires congélateurs. Les bateaux de moins de douze mètres représentent 80 % de la flotte. Tout le monde est représenté au sein de notre comité national et peut participer à nos débats et à l’élaboration de nos prises de position. Car notre comité national se structure de manière démocratique tant au niveau départemental et au niveau de ses quatorze régions qu’au niveau national.

La pêche est un domaine d’activité très encadré au niveau national, par le ministère et par la profession elle-même ; au niveau européen, par la politique commune de la pêche (PCP) ; au niveau mondial, en ce qui concerne par exemple le thon rouge. La France n’a pas à rougir de sa pêche et de son aquaculture, qui se placent au quatrième rang de l’Union européenne. La production fraîche représentait 310 000 tonnes en 2013 ; la valeur produite par la branche s’élevait en 2011-2012 à 1,749 milliards d’euros.

La pêche constitue un secteur stratégique pour l’emploi dans nos territoires. Par définition non délocalisable, elle procure un travail à 70 000 personnes. À chaque emploi en mer correspondent trois emplois induits à terre. Les entreprises de pêche françaises sont environ 7 000, auxquelles s’ajoutent l’élevage, le mareyage, la transformation et la vente en poissonnerie. Notre pays compte 150 coopératives ou filiales maritimes et 39 coopératives à la marée.

La pêche est un secteur hautement diversifié qui regroupe tous les métiers. Cette polyvalence s’observe tant sur la façade méditerranéenne que sur la façade atlantique. La pêche est aussi un secteur socio-économique et culturel. D’après de récentes enquêtes, 95 % des pêcheurs trouvent que leur métier leur plaît, et déclarent qu’ils referaient ce choix s’ils devaient entrer à nouveau dans la vie active, comme je peux le déclarer moi-même, qui suis patron pêcheur depuis 27 ans.

Le CNPMEM a pris des engagements forts en faveur d’un renforcement de l’attractivité de la profession. Le soutien à l’installation des jeunes constitue notre principal cheval de bataille. Il faut faire savoir qu’il y a pour eux de bons salaires à la clé. Le pêcheur de demain sera un ingénieur des mers possédant des connaissances halieutiques. Un brevet de technicien supérieur (BTS) a été créé il y a deux ans, tandis que douze écoles spécialisées existent et affichent complet. Les engagements pris par le CNPMEM ont contribué à une diversification des métiers et à la création de passerelles vers la marine marchande ou vers la marine nationale. Celui qui exerce le métier de pêcheur ne reste donc pas bloqué dans un secteur particulier.

L’emploi dans la pêche peut même servir d’ascenseur social à ceux qui savent saisir les occasions. La création du BTS devrait contribuer à cette dynamique, car elle permet de professionnaliser le métier. En tout état de cause, le secteur maritime ne connaît pas le chômage. Au contraire, la main-d’œuvre y fait plutôt défaut, qu’il s’agisse de recruter des petites mains ou des cadres. Au bout de plusieurs années, après avoir passé quelques modules, le matelot pourra devenir, patron de pêche, chef d’unité ou armateur. C’est une situation rare par rapport aux autres professions.

Reconnaissons cependant que le métier présente un certain danger. C’est pourquoi le CNPMEM travaille à une meilleure prévention des risques comme à l’amélioration de la sécurité. Il a dernièrement développé le vêtement de travail à flottabilité intégrée (VFI) à balise incorporée, qui permet désormais au patron de pêche de localiser et de récupérer en quelques minutes le pêcheur tombé à la mer.

M. Hubert Carré, directeur général du CNPMEM. À la suite du Grenelle de l’environnement et du Grenelle de la mer, auxquels elle a activement participé, la profession de pêcheur a en effet fait sa révolution culturelle. Les jeunes ont désormais compris que c’est un métier qui tire sa richesse de son contact avec le milieu.

Deux malentendus restent cependant à lever. Le premier voudrait que le pêcheur soit l’ennemi ou le destructeur de la biodiversité. En réalité, il est celui qui puise dans la biodiversité pour la transformer en nourriture, car sa vocation, comme celle de l’agriculteur, est de nourrir les hommes.

On a d’autre part rendu le consommateur schizophrène, en lui suggérant qu’il vide les océans en mangeant du poisson, mais qu’il peut en même temps être en carence d’oméga 3 s’il n’en consomme pas. Dans ces conditions, il est difficile pour lui d’arriver à un équilibre. Aussi le CNPMEM a-t-il créé France Filière Pêche et la marque « Pavillon France », qui donne au consommateur des repères de qualité. En développant une expertise plus forte, France Filière Pêche soutient également la bonne gestion des stocks halieutiques.

Il faut en effet accompagner l’expertise scientifique. La politique commune de la pêche encadre strictement l’activité par la définition de quotas et de totaux admissibles de capture (TAC) qui sont fixés chaque année. Or les pêcheurs sont les premiers à observer les changements du milieu. Il y a dix ans déjà, ils constataient les effets du changement climatique, se révélant des auxiliaires précieux pour l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER). Ainsi, la campagne Pelgas de l’IFREMER permet d’évaluer les stocks d’anchois disponibles. La pêche en avait été interdite pendant quelques années. Par un accord avec l’IFREMER, la profession a participé aux dernières campagnes à bord du navire La Thalassa. La pêche a pu rouvrir à l’issue de ces campagnes communes. Le cas de la langoustine dans le golfe de Gascogne fournit un autre exemple. Cette pêche importante sur la façade atlantique demande elle aussi une expertise plus fine.

La profession a participé au Grenelle de l’environnement comme au Grenelle de la mer. Elle participe à la Conférence environnementale et siège au Conseil national de la transition écologique, mais suit aussi avec beaucoup d’attention les travaux parlementaires relatifs au projet de loi sur la biodiversité. Elle est associée à la définition des programmes Natura 2000 en mer comme à l’élaboration des documents d’objectifs, participant également aux comités régionaux et nationaux de Natura 2000.

La filière est confrontée à d’autres défis, le moindre d’entre eux n’étant pas… l’absence de chômage. Car, au vu des besoins constatés, les jeunes qui veulent devenir marins pêcheurs ne sont pas assez nombreux, tandis que les bateaux manquent pour reconquérir la zone du large, la flotte de pêche se concentrant actuellement sur la bande des douze milles nautiques. Sur cette zone, le pêcheur a cessé d’être le premier utilisateur de la mer ; d’autres usages se sont développés, qui risquent de faire de la pêche une simple variable d’ajustement. Nous militons donc en faveur d’une planification des usages en mer, que la Commission européenne appelle précisément de ses vœux.

La profession s’emploie également à la capitalisation des savoirs scientifiques. Nous recueillons des données empiriques complémentaires du savoir scientifique, notamment sur les stocks de bar. Depuis trois ans, cela a permis une meilleure gestion de la ressource en poissons de cette espèce.

Rappelons que la France est largement dépendante des importations pour couvrir sa demande intérieure en poissons et en produits de la mer, qui n’a jamais été aussi forte. Elle s’élève actuellement à 34 kilogrammes par an et par habitant. Les besoins alimentaires constituent donc un défi pour la profession, alors que la flotte de pêche a perdu 500 navires, parmi lesquels de nombreux navires hauturiers. Des quotas accordés aux pêcheurs français restent ainsi inutilisés. En tout état de cause, la France ne parviendra pas à une autosuffisance en matière de poissons et de de produits de la mer.

Pour reconquérir la zone du large, il faut recruter des jeunes sur des navires hauturiers. Cela suppose que la profession amorce un changement de modèle économique. M. le secrétaire d’État Alain Vidalies réfléchit aux conditions de recrutement dans la pêche française. Notre comité a publié une feuille de route stratégique sur le navire du futur. Un groupe de travail examine en ce moment ces deux documents. Mais le nerf de la guerre, pour construire des bateaux de 24 mètres qui coûtent environ trois millions d’euros, c’est bien sûr les ressources financières. Or les banques rechignent à octroyer des prêts.

M. Gérard Romiti. L’importance de la filière pêche n’est plus à prouver. Une meilleure concentration entre toutes les parties prenantes est indispensable. Il y va de son avenir. Sénèque, un Méditerranéen, disait qu’il n’est de bon vent que pour les gens qui connaissent le port où ils doivent aller.

M. le président François Brottes. Nous allons maintenant écouter les représentants des groupes.

Mme Annick Le Loch. Monsieur le président, vous avez tracé une ambition de notre commission pour le secteur de la pêche et je vous en remercie. Monsieur Romiti, je salue également votre travail. Globalement, les activités de pêche profitent aujourd’hui d’une conjoncture favorable : les prix se maintiennent, les tonnages pêchés sont bons, le prix du gazole baisse. L’excédent brut d’exploitation par navire s’améliore. De nombreux problèmes structurels de longue durée demeurent cependant, à savoir le renouvellement insuffisant de la flotte, la formation et l’attractivité des métiers, la durabilité des ressources, la rentabilité des entreprises de pêche depuis la fin des subventions, l’organisation des filières, l’approvisionnement des marchés, les modalités de la représentation professionnelle ou le financement des structures.

M. le secrétaire d’État Alain Vidalies nourrit une ambition pour la filière pêche. L’État et les régions ont récemment élaboré le projet de programme opérationnel du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). Il a été transmis pour validation à la Commission européenne. Quelles sont vos attentes comme représentants de la profession, s’agissant en particulier des mesures d’accompagnement de l’aquaculture ? Le fonds européen a en effet le mérite d’être bien doté.

Quant au renouvellement de la flotte de pêche, un rapport fut remis au ministre au début de l’année à ce sujet. Vous avez élaboré une feuille de route. Il s’agit d’une priorité pour le ministre comme pour toutes les parties prenantes. Où en est-on ?

S’agissant du développement durable de l’aquaculture, un programme stratégique a été adopté au niveau européen ; il est décliné au niveau national par un programme pour le développement de l’aquaculture. Quelle est la position de votre comité sur cette filière qui peine parfois à trouver sa place ?

Quel est l’impact de l’interdiction de la pêche au bar par chalut pélagique dans la Manche, dans la mer du Nord et en mer celtique ? A-t-elle conduit à un report sur d’autres espèces de poisson ?

Comme gérez-vous votre Caisse nationale chômage intempéries ? Des évolutions réglementaires vous semblent-elles nécessaires pour faire évoluer son champ d’action ? Je participe au Conseil supérieur des gens de mer et je me préoccupe à ce titre du statut social des marins.

Quant à la gestion des droits à produire, des capacités dormantes se sont accumulées. Pour mieux utiliser les capacités de pêche de notre pays, le Gouvernement a engagé une révision du décret relatif aux permis de mise en exploitation des navires. Qu’en attendez-vous ?

Le programme Natura 2000 est désormais mis en œuvre en mer et au-delà des eaux territoriales. La contractualisation engagée pourrait-elle empêcher le chalutage de fond sur les secteurs habitat-récifs ? La Commission européenne doit comprendre que la nécessité de respecter l’équilibre des écosystèmes doit être considérée en regard de la dimension socio-économique de l’activité de pêche.

Quel succès rencontre l’écolabel public « Pêche durable » mis en place par France Agrimer ? Mènerez-vous une action spécifique pour le promouvoir ?

La Cour d’appel de Rennes pourrait confirmer aujourd’hui le non-lieu dans l’affaire du Bugaled Breizh, qui a coulé en quelques secondes le 15 janvier 2004. Peut-on penser qu’il fut victime d’un sous-marin ou qu’il s’agissait plutôt d’un accident en mer ? Je regrette que l’enquête n’ait pu faire toute la lumière sur ce drame de la sécurité en mer.

M. Daniel Fasquelle. À mon tour de vous remercier, monsieur le président, pour avoir organisé cette audition. La pêche est un secteur aujourd’hui en pleine mutation. Puisse la phrase de Sénèque citée par M. Romiti éclairer les décisions stratégiques qui restent à prendre. La France doit se donner les moyens de conserver un secteur de la pêche important, à l’instar de ce qu’elle fait dans le secteur de l’automobile ou de l’agriculture. Je regrette qu’une telle mobilisation ne s’observe pas sur la pêche, qui ne concerne pas toutes les parties du territoire national, mais constitue pourtant un secteur d’avenir.

Il y a cinq ans, j’avais consacré un rapport au renouvellement des navires de pêche, où je constatais que ceux-ci avaient en moyenne vingt-trois à vingt-quatre ans d’âge… Or je comprends que la situation ne s’est pas améliorée. Nous n’aurons bientôt plus de pêche française non faute de jeunes intéressés par la profession de marins pêcheurs, mais faute de navires. Sachant que le FEAMP ne finance pas les acquisitions et que les patrons ne peuvent les financer seuls, quelles solutions faut-il espérer ? Des projets sont en cours d’élaboration avec le soutien des autorités régionales, mais quels sont les espoirs de construire des navires nouveaux ? En calculant la jauge des bateaux de pêche de la même façon que pour les bateaux de commerce, la réglementation dresse un obstacle sur le chemin des architectes qui voudraient développer des bateaux plus économes et où les conditions de travail seraient meilleures. Des avancées sont-elles possibles en ce domaine ?

La commission prône une politique du « zéro rejet en mer ». Comment jugez-vous sa mise en œuvre ? Beaucoup d’incertitudes demeurent.

Pour la gestion des quotas, je serais partisan d’un exercice pluriannuel. Chaque année, en décembre, les autorités françaises sont aux côtés des pêcheurs pour renégocier les quotas. Mais quelle entreprise peut accepter que des décisions dont dépend son chiffre d’affaires soient prises dans des réunions qui s’achèvent à trois heures du matin ? Une évolution vers la gestion pluriannuelle est-elle perceptible ?

Vous avez eu raison d’évoquer la multiplicité croissante des usages de la mer. Voulue par les gouvernements successifs, quel que soit leur bord politique, l’installation d’éoliennes maritimes en est un exemple. Ces projets ont pourtant un impact sur les lieux et les conditions de pêche, mais aussi sur le paysage, ce qui est particulièrement préjudiciable dans les territoires touristiques. Peut-on envisager un arrêt à cette expansion ?

M. Joël Giraud. Mon collègue du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste (RRDC), Stéphane Claireaux, député de Saint-Pierre et Miquelon, m’a suggéré quelques questions à vous poser, puisque je ne suis pas élu dans une région côtière.

Une entreprise productrice de coquilles Saint-Jacques à Saint-Pierre et Miquelon a été informée en novembre 2014 par la directrice de l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (ODEADOM) que la gestion de la filière aquacole, placée auparavant sous la tutelle du ministère de l’agriculture, serait désormais prise en charge par le ministère de l’environnement. Cela signifie l’arrêt du financement de la filière aquacole, puisque les mesures en faveur de la filière sont désormais soutenues non plus grâce à des crédits nationaux, mais grâce aux crédits communautaires du FEAMP ; or les départements et territoires d’outremer ne sont pas admis au bénéfice de ce fonds. Dans ces conditions, comme la recherche et développement peut-elle être financée dans le domaine aquacole ? L’arrêt des financements pourrait anéantir la filière des coquilles Saint-Jacques sur l’archipel, alors que ce projet arrivait à maturité et qu’il promettait d’alimenter un marché de niche.

Mme Laurence Abeille. Je vous interrogerai sur la pêche en eaux profondes. C’est une activité en sursis, car l’impact du chalutage en eaux profondes sur la biodiversité est connu, alors que son apport reste dérisoire sur le plan économique.

Les données publiées l’été dernier par l’IFREMER ont confirmé l’effet néfaste de la pêche profonde, notamment sur les requins. Aussi le groupe écologiste a-t-il proposé, dans le cadre de l’examen du projet de loi sur la biodiversité, un amendement visant à son interdiction. Il n’a été rejeté que de quatre voix.

Il n’est pas normal que cette activité jouisse d’une exonération de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Au cours de la discussion du dernier projet de loi de finances, nous avons donc remis en cause cette exonération au profit du chalutage en eau profonde, qui constitue un manque à gagner important pour l’État, car elle est particulièrement consommatrice de carburant. Nous estimons surtout que la pêche profonde ne mérite pas d’être soutenue ni de bénéficier d’aide publique, puisqu’elle est fortement préjudiciable à la biodiversité, et qu’elle n’est pas viable par elle-même. Les écologistes sont très attachés à la défense du milieu marin.

Il serait cependant trop facile d’opposer pêche et environnement. Le respect de l’environnement assure la pérennité d’une certaine pêche. La priorité doit être accordée à la pêche artisanale, très créatrice d’emploi, sur le chalutage et sur la pêche industrielle. La France est isolée dans l’Union européenne par son attitude sur la pêche profonde, qu’elle devrait interdire !

Quant à la représentativité de la profession, comment est composé le CNPMEM et comment sont nommés vos comités départementaux et régionaux ? Quel y est le poids de la pêche artisanale ?

M. Gérard Romiti. Nous nous associons d’abord à la douleur des familles qui ont perdu des proches dans le naufrage du Bugaled Breizh. La profession de pêcheur n’est pas sans comporter certains dangers. Nous ne pouvons certes pas nous prononcer sur la procédure judiciaire en cours, mais il est certain que les pêcheurs ont payé le prix fort dans cette affaire.

Quant au FEAMP, le programme opérationnel est désormais établi. Il encadre la coopération entre les patrons de pêche et les scientifiques, pour définir une politique commune de la pêche qui favorise aussi l’installation de jeunes. Dans les comités régionaux et départementaux, 60 % de notre temps est consacré à des questions d’environnement telles que Natura 2000, les éoliennes ou la question des granulats.

L’État a gardé la main sur la répartition des crédits du FEAMP, dont les régions ont chacune reçu leur part. Notre comité veillera quant à lui à ce que les fonds employés respectent la vocation pêche du FEAMP.

S’agissant du renouvellement de la flotte, une commission rassemble en ce moment armateurs, professionnels et bureaux d’étude pour envisager des solutions. Tous les bateaux sont concernés par cette réflexion, ceux de moins de douze mètres comme ceux de plus de vingt-quatre mètres. Il est tout de même paradoxal que la France se batte pour obtenir des quotas de pêche que l’état de sa flotte ne lui permet pas d’épuiser ! Ce n’est pas acceptable, alors que 80 % de la consommation intérieure est importée. Des investisseurs doivent pouvoir financer les quotas de pêche.

Enfin, un nouveau statut du marin pêcheur doit être défini. L’ancien modèle du patron indépendant, propriétaire et s’appuyant sur le soutien familial est dépassé. Nous avons besoin des parlementaires pour engager cette évolution.

M. Hubert Carré. La notion de patron de pêche-propriétaire embarqué est en effet révolue, au moins pour la pêche hauturière.

Notre comité représente tous les pêcheurs, qu’ils soient embarqués sur des bateaux de moins de douze mètres ou de plus de douze mètres. Le groupe de travail qui s’est penché à la fois sur notre feuille de route stratégique et sur le rapport Suche et Deprost sur le renouvellement de la flotte de pêche souligne que la France est en attente de produits qui permettent la pêche au large, c’est-à-dire de bateaux de plus de vingt-quatre mètres et de moins de trente-cinq mètres.

Cette question est liée à celle de l’attractivité du métier. Les jeunes ne veulent pas monter sur un bateau qui a vingt-sept ans d’âge, pas plus qu’un jeune agriculteur serait séduit par l’idée de travailler avec une moissonneuse-batteuse du même âge. Les jeunes souhaitent des cabines séparés, des bateaux plus confortables et moins bruyants. Seuls des bateaux neufs peuvent leur offrir ces conditions de travail. Aussi nous efforçons-nous de faire comprendre à la Commission européenne que la taille des bateaux est indifférente au volume de la pêche, puisque celle-ci est soumise à des quotas. Les autorités communautaires refusent pour le moment d’entendre cet argument.

Traditionnellement, la famille se portait caution des investissements ou le patron de pêche s’engageait sur ses biens propres. Mais les banques ne veulent plus de ce système. Aussi faut-il renforcer l’attractivité du métier et du secteur en y amenant des investisseurs extérieurs.

Mais l’interdiction des rejets et la perspective d’une couche réglementaire supplémentaire chaque année peuvent faire peur à ces investisseurs. Celle-ci part certes de l’idée honorable de mettre fin au gâchis alimentaire. L’interdiction des rejets s’applique à la pêche pélagique depuis le 1er janvier 2015 ; elle sera étendue aux autres espèces à partir de l’an prochain. Mais la mise en œuvre de cette interdiction suppose de garder les rejets à bord des bateaux, ce qui induit la nécessité de navires plus grands, nous ramenant au problème de la jauge… C’est la quadrature du cercle.

En tout état de cause, le partage de l’expertise entre les professionnels et les scientifiques donne une meilleure vue de l’état des stocks. Ainsi, la ressource en poisson s’établissait au niveau du rendement maximum durable (RMD) pour trois espèces seulement il y a dix ans, tandis qu’elle atteint aujourd’hui cette valeur pour cinquante espèces. Dans le même temps, le commissaire européen Vella se montre de plus en plus sensible à une approche pluriannuelle de la définition des quotas, en faveur de laquelle nous nous battons depuis dix ans.

M. Gérard Romiti. À propos du bar, je dois d’abord souligner que l’IFREMER a récemment établi qu’il s’agit d’une espèce distincte du loup en Méditerranée. Nous avons obtenu un rendez-vous avec le commissaire européen en charge de la pêche, le lundi 4 mai. Il devrait également répondre à une invitation de M. le secrétaire d’État Alain Vidalies à venir se rendre compte sur un port des problèmes de la pêche française.

Tout vient de ce que le Royaume-Uni ne déclare pas les prises de bar. Quant à la pêche de loisir, la Commission européenne voudrait la limiter à trois espèces, ce qui n’est pas la position de notre comité. Elle a publié un arrêté le 28 mars 2015, qui interdit le débarquement à certains navires et les conduira à se reporter sur la zone des douze mille où ils ne seront qu’un tracas supplémentaire pour les petits métiers que nous défendons. La France avait proposé une mise sous quota du bar, mais cela n’a pas abouti, malgré la mobilisation des eurodéputés français de tous bords. Un groupe de travail réfléchit à défaut à un plan de gestion.

S’agissant de la coquille Saint-Jacques, il faut espérer que l’été prochain sera aussi calme que l’été dernier. Mais une discussion aura lieu jeudi prochain avec les représentants des pêcheurs britanniques, qui veulent entrer dans nos eaux avec des unités de plus en plus grandes.

Sur l’écolabel, nous défendons non seulement le pavillon France mais aussi le premier registre, ou registre métropolitain, qui induit des services sociaux de qualité. Les pêcheurs de coquilles Saint-Jacques sont quant à eux confrontés à la concurrence de pêcheurs d’autres États membres payés entre 600 et 700 euros par mois. Rappelons qu’en France, les matelots qui entrent dans le métier jouissent de deux jours et demi de congé par semaine pour 1 600 euros, auxquels s’ajoutent la godaille et la nourriture à bord. Voilà le modèle socio-économique et culturel que je défends.

M. Hubert Carré. La réforme des droits à produire fait partie du sujet. La Commission européenne avait, dans le cadre de la PCP, proposé la mise en place d’un grand marché. La France est opposée aux quotas individuels transférables. Ceux-ci nous auraient peut-être néanmoins été favorables : ce n’est finalement pas le bateau qui a de la valeur, mais les droits qui lui sont attachés. La direction des pêches maritimes et de l’aquaculture a installé un groupe de travail sur le PME ; lorsqu’il avait été mis en place, le prix des bateaux avait doublé : nous restons très vigilants, car ce qui constitue finalement un permis d’entreprendre ne doit pas pénaliser les jeunes qui voudraient s’installer.

Fondée sur le principe d’une adhésion volontaire, la Caisse chômage intempéries, qui date des années 1990, fonctionne bien – même si elle attire plutôt des marins de quarante ans que des jeunes. Elle est appelé à perdurer. J’appelle néanmoins votre attention sur les possibles réductions des fonds versés par l’État, en cette période de disette budgétaire.

S’agissant de Saint-Pierre et Miquelon, nous ne sommes pas compétents, même si une mission s’était rendue sur place il y a trois ans. Nous pourrons évoquer ce sujet à M. le secrétaire d’État, que nous rencontrons bientôt.

La pêche profonde, enfin, est évidemment un sujet qui fâche depuis le Grenelle de la mer. Il est inutile ici de nous lancer dans une polémique. Notre rôle est de défendre les intérêts de tous ceux que nous représentons.

Nous regrettons toutefois la violence des attaques, et je veux souligner que la pêche artisanale serait fortement touchée par l’interdiction de la pêche en eaux profondes : ce ne sont pas, comme certains voudraient le laisser croire, seulement quelques navires qui seraient concernés. Bien sûr, nous savons qu’il faut protéger les écosystèmes ; mais les bateaux pêchent rarement au-delà de 1 500 mètres de profondeur de toute façon ! La moyenne se situe plutôt entre 800 et 1 000 mètres. Le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) a préconisé une augmentation de la pêche des trois espèces emblématiques : cela montre bien que les stocks sont gérés de manière responsable. On peut se poser la question des requins ; mais le nombre de captures montre qu’il s’agit d’un épiphénomène ; de plus, le remplacement du chalut par la palangre serait pour eux beaucoup plus destructeur. Enfin et surtout, il s’agit d’un problème européen : interdire la pêche d’espèces profondes aux seuls pêcheurs français serait d’autant plus regrettable que ce sont les Français qui ont été les premiers à demander des quotas pour les espèces concernées, ainsi que des zones d’évitement.

Mme Corinne Erhel. Je me penche actuellement de très près sur la question des conflits d’usages en mer, et notamment sur la question de l’extraction de granulats marins : en baie de Lannion, un projet d’extraction de sable à cinq kilomètres des côtes rencontre aujourd’hui de fortes oppositions, notamment des pêcheurs professionnels. Quelle est votre position sur ces sujets ? Il me semble que l’extraction de granulats marins trop près des côtes pose à tout le moins problème, d’autant qu’il s’agit là de petits bateaux, de pêche artisanale. Comment faire évoluer la réglementation pour prendre mieux en considération les intérêts de toutes les parties concernées, à commencer par les pêcheurs professionnels, afin d’éviter de tels conflits ?

M. Philippe Le Ray. La pêche est un secteur vital pour notre pays, et nous ne sommes autosuffisants qu’à 20 %, il faut le rappeler. C’est paradoxal : tout le monde aime le poisson mais certains passent leur temps à vous imposer mille et une contraintes supplémentaires ! Et ils dénoncent les pêcheurs mais aussi les élevages de poissons… Il faudrait un peu de cohérence !

Aujourd’hui, l’image de la pêche pose problème : vous avez beaucoup de mal à faire venir des jeunes, Pour beaucoup, la pêche, c’est la dépense d’énergie, l’atteinte à la biodiversité… On entend vraiment tout et n’importe quoi ! De plus, les accidents en mer demeurent proportionnellement nombreux. Vous devriez à mon sens mieux valoriser votre professionnalisme et votre grande connaissance des milieux marins, et mettre en valeur vos efforts pour renforcer la sécurité, qui s’est tout de même énormément améliorée. Quant à nous, politiques, nous devrions dénoncer plus fortement les comportements de nos concurrents et voisins européens qui aiment donner des leçons, mais qui exercent le métier de façon peu recommandable ! Comment mieux valoriser votre métier ? Faut-il faire passer le message à l’école, utiliser la publicité ? Sur la question de la pêche en eaux profondes, il y a eu une vaste désinformation, jusqu’ici à l’Assemblée nationale.

Comment, d’autre part, renouveler la flotte ? Faut-il imaginer de nouveaux statuts, à l’image de ce qui existe en matière agricole, avec des avantages fiscaux ? L’État devrait jouer son rôle pour sécuriser et donc attirer des investisseurs privés.

M. Hervé Pellois. La pêche est aussi une excellente chose pour le tourisme : tous ceux qui visitent nos côtes adorent les halles aux poissons.

L’ostréiculture a subi des pertes importantes – jusqu’à 75 % pour les jeunes huîtres. On parle de prévoir un étiquetage plus précis, indiquant notamment si les huîtres sont triploïdes, afin de mieux informer le consommateur. Quelle est votre position sur cette question ?

Notre collègue Guillaume Garot a rendu un rapport consacré à la lutte contre le gaspillage alimentaire. Quelles propositions pouvez-vous faire pour limiter celui-ci dans le domaine de la pêche ?

Enfin, s’agissant du bar, les relations entre la pêche professionnelle et la pêche de loisir sont tendues. Entretenez-vous des relations avec les différentes organisations de défense de la pêche de loisir ? Menez-vous un travail commun ? En un mot, comment sortir de cette impasse ?

M. Yannick Moreau. Merci, monsieur le président, d’avoir organisé cette audition. La pêche est une filière d’excellence, et les pêcheurs sont de véritables entrepreneurs : le fait que cette audition ait lieu au sein de la Commission des affaires économiques est symboliquement fort – on pourrait d’ailleurs imaginer que la pêche soit rattachée au ministère de l’agriculture plutôt qu’à celui de l’environnement. C’est la deuxième fois en trois ans, je crois, que nous évoquons la pêche, et quel plaisir !

Mme Annick Le Loch. N’oublions pas le vote du budget !

M. Yannick Moreau. C’est vrai.

De nombreux députés travaillent sur ce sujet, mais de façon peu collective. Or, le pouvoir n’est plus à Paris, mais à Bruxelles : si nous voulons peser, défendre nos pêcheurs, nos ports, notre filière d’excellence, nous devons être plus unis. Le groupe d’études de l’Assemblée nationale consacré à la pêche compte n’est pas très actif, et il me semble que nous pourrions envisager un groupe conjoint avec les sénateurs, comme cela existe pour d’autres sujets ; nous pourrions ainsi agir plus efficacement. Nous pourrions également organiser des réunions régulières avec les parlementaires européens.

Mme Annick Le Loch. Le groupe d’études travaille !

M. Yannick Moreau. Ne voyez pas dans mes propos une attaque contre votre action ! Souffrez simplement cette suggestion personnelle. Nous devons être plus efficaces pour défendre nos intérêts à Bruxelles.

Pour contrer le nouveau lobby financier « blue », nouvelle forme du prosélytisme moderne, comment votre profession peut-elle s’organiser ?

M. Patrick Lebreton. Élu de La Réunion, je n’évoquerai pas ici le problème des requins, qui nous font une contre-publicité énorme, mais il faudra y revenir.

La pêche pourrait être dans notre île une activité majeure : la ressource halieutique est abondante et le chômage structurel très élevé. Mais, même si La Réunion sert de base de départ pour la grande pêche, la pêche côtière y est très faible. L’Océan indien est un milieu difficile, c’est vrai, et nos contraintes géographiques sont fortes, mais nous souffrons surtout de la concurrence de nos voisins – Madagascar, Maurice, les Seychelles… offrent de telles conditions sociales et fiscales que des groupes réunionnais font aujourd’hui immatriculer leurs bateaux dans ces États, et y recrutent leur personnel. C’est le cas de la Sapmer, créée en 1947 pour La Réunion et Madagascar : ses navires sont aujourd’hui immatriculés aux Seychelles, et les équipages majoritairement composés de Malgaches et de Mauriciens.

Je vous sais intéressés par ce sujet. Comment créer à La Réunion une industrie compétitive, qui créerait des emplois ?

M. Jean-Claude Mathis. La pêche maritime, l’aquaculture, la transformation des produits de la mer forment un secteur économique majeur, et leur contribution à la vie littorale et à la culture de notre pays est essentielle. Pour garantir leur pérennité, une exploitation durable des ressources marines est nécessaire.

Vous avez été récemment reçu par le commissaire européen chargé de la pêche, M. Karmenu Vella. Différents sujets, dont la possible interdiction des filets dérivants, ont été abordés : quelles conclusions avez-vous pu tirer de cet entretien ?

Mme Annick Le Loch. Monsieur Moreau, le groupe d’études sur la pêche s’est réuni le mois dernier, et se réunira à nouveau le mois prochain… Il compte beaucoup d’inscrits, mais il est bien rare que nous soyons plus de quelques-uns aux réunions ! Il n’est pas facile de faire fonctionner ces groupes.

M. Yannick Moreau. Ma proposition se voulait constructive, et je salue votre travail !

M. le président François Brottes. L’idée d’un groupe conjoint avec le Sénat peut être à creuser, à l’image de ce qu’ont réalisé les élus de la montagne.

Mme Michèle Bonneton. La pêche constitue, c’est vrai, une partie de l’identité de nos littoraux.

L’élevage aquacole a été peu évoqué jusqu’ici, alors qu’il représente environ 40 % des emplois du secteur. L’utilisation de farines animales est à nouveau autorisée depuis quelques années, mais la filière française s’était prononcée contre leur utilisation. Qu’en est-il aujourd’hui ? D’autre part, ces élevages semblent utiliser beaucoup les médicaments, et notamment les antibiotiques, pour lutter notamment contre les problèmes liés à la surpopulation. Existe-t-il un code de déontologie de cette filière ?

Il faudrait également mieux informer les consommateurs : les labels actuels ne permettent pas toujours de très bien savoir ce que l’on achète.

Enfin, il semble que, pour produire un kilo de poisson d’élevage, il faille utiliser quatre kilos de poisson sauvage : le développement de l’élevage est-il vraiment une bonne idée ?

M. Gérard Romiti. Merci de ces nombreuses questions très informées. Il est vraiment important de se réunir et d’échanger. Lors des débats sur la pêche en eaux profondes, nous avions quitté une réunion car on voulait nous amener sur un terrain qui n’était pas le nôtre : je plaide coupable.

L’ostréiculture est gérée par le Conseil national de la conchyliculture : je ne peux donc pas vous répondre.

Nous sommes favorables à la labellisation, qui favorisera l’indispensable reconquête du marché intérieur. Nous avons créé dans ce but France Filière Pêche, et la marque Pavillon France que nous avons lancée permet une traçabilité complète, depuis le fond de l’eau jusqu’à votre assiette. Mais je vois, à Paris par exemple, beaucoup de poissonniers ou de grandes surfaces qui ne respectent pas la réglementation…

Vous, parlementaires, devez être les relais entre la terre et la mer. Je participe aux réunions de l’Association nationale des élus du littoral (ANEL), où les discussions sont nourries. Cela nous permet de ramer tous dans le même sens...

La France était pionnière en matière d’aquaculture dans les années 1975-1980. Nous maîtrisons le savoir-faire, et disposons de plateformes de recherche.

Dans les années 1970, il fallait non pas quatre mais jusqu’à cinq kilos pour un kilo produit ! Aujourd’hui, nous sommes plutôt à deux kilos et demi. Je ne vais pas la dénoncer ici, mais je souligne que la pêche minotière est très peu connue, et qu’elle pêche ce qu’elle veut...

J’ajoute que les territoires ultramarins ont un potentiel très prometteur en matière d’aquaculture : en trois ans, contre six en métropole, grâce à la température plus élevée de l’eau, on peut y produire un bar de 800 grammes !

La France ne peut pas continuer d’être la lanterne rouge : l’aquaculture n’occupe aujourd’hui que quinze hectares d’espaces maritimes. L’aquaculture, chacun sait que c’est l’avenir, mais on n’en veut pas dans sa baie, dans son port, devant sa villa ! Dès lors, les jeunes que nous formons ont bien du mal à s’installer. Pourtant, nous n’avons pas à rougir de nos pratiques, contrairement aux Norvégiens par exemple. Nous utilisons les médicaments, mais à bon escient, lorsqu’ils sont nécessaires ; le comité national dispose d’ailleurs d’un vétérinaire. Dans notre pays, la qualité des eaux dans les cages est bonne, la biomasse excellente. Il ne faut pas opposer pêche et aquaculture : ce sont des activités complémentaires.

S’agissant de La Réunion, nous y avons réalisé une mission. M. le Premier ministre a, je crois, donné son aval pour compenser les frais d’exportation des très bons produits réunionnais vers la métropole – on ne pouvait pas attendre l’arrivée des fonds du FEAMP qui aura, vous le savez, deux années blanches !

Lorsque nous nous sommes rendus à La Réunion, le drame de ce jeune garçon tué par un requin venait d’arriver. Cela ne peut qu’émouvoir. Mais il ne faut pas remettre en cause la réserve. À mon sens, la solution réside dans la régulation des populations. Vous disposez d’un très bon comité régional et votre professionnalisme doit être cité en exemple. Mais la concurrence déloyale des bateaux de pêche de pays voisins qui travaillent à bas coût représente, dans les outre-mer, un vrai problème. Il faut appliquer les lois françaises. La question des requins n’est d’ailleurs pas forcément étrangère à celle des zones de pêche, puisque ces bouledogues suivent les bateaux...

Je ne reviens pas sur la question de la pêche profonde, si ce n’est pour dire qu’elle fait vivre de nombreuses familles, et que son interdiction pénaliserait 450 petits bateaux.

Vous m’interrogez sur la façon dont sont choisis les membres du comité national. Des élections – où votent les professionnels – ont d’abord lieu au niveau départemental ; ensuite, le niveau départemental élit ses représentants régionaux – nous avons défini quatorze régions ; enfin, les représentants régionaux élisent le président du Comité national. Les élections ont lieu tous les cinq ans ; la prochaine se tiendra en 2017. Chaque association peut participer, mais il faut une carte syndicale.

M. Hubert Carré. Les petits métiers sont représentés au Comité national : les bateaux de moins de douze mètres représentent 80 % de la flotte, 80 % de nos adhérents et aussi 80 % des commissions et des groupes de travail. Certaines personnes ont refusé de se présenter aux élections, par refus de l’étiquette syndicale – or celle-ci est obligatoire. Nous les avons rencontrés, ils n’ont pas voulu en démordre, et maintenant ils nous font un procès…

Les pêcheurs ne sont pas du tout opposés aux nouveaux usages en mer, dès lors que ceux-ci ne nuisent pas à leur activité. C’est le cas pour l’éolien offshore : nous avons approuvé les deux premiers appels d’offre ; en revanche, nous venons d’écrire – ce qui a provoqué une certaine émotion – une lettre à Mme la ministre Ségolène Royal pour nous opposer à l’ouverture d’un troisième appel. Nous estimons qu’il faut attendre et dresser des bilans : commençons par construire les parcs marins déjà décidés…

Quant à l’extraction de granulats, c’est une activité dont le développement nous inquiète beaucoup, notamment dans la perspective du maintien de la qualité des eaux. Les nutriments qui viennent de la terre sont importants, mais les larves se fixent sur des cailloux, des graviers, du sable : les fonds marins sont donc un élément essentiel. Plusieurs réunions se sont tenues avec les grandes sociétés d’extraction de granulats, et autant un accord est possible sur la question de l’éolien en mer, autant celle-ci est conflictuelle. Les industriels nous disent qu’ils ne prélèveront qu’une très fine couche du sol marin ; nous leur demandons d’imaginer ce que produirait le prélèvement des 30 premiers centimètres de terre dans le vignoble bordelais ou champenois… C’est un argument qui ne leur plait pas du tout.

Nous sommes également préoccupés par le projet Natura 2000 en mer. Le problème ici n’est pas franco-français, mais européen. Natura 2000 est la solution trouvée par les Britanniques pour renationaliser leurs eaux et faire partir les pêcheurs français qui jouissaient de droits historiques dans les eaux anglaises... En France, nos inquiétudes se concentrent sur le Golfe de Gascogne. Nous ne sommes pas opposés au projet, mais il ne doit pas concerner des zones immenses et pénaliser 40 % chiffre d’affaires de certaines flottilles. Nous sommes donc sur ce point en conflit avec le Gouvernement.

En matière de communication, nous nous efforçons de renforcer l’attractivité de notre métier et de faire connaître ses réalités – ainsi, nous avons décidé de dire tout haut qu’en 2013 et en 2014, un matelot a touché en moyenne de 3 000 euros. Eh oui, c’est un métier difficile, avec des contraintes fortes, mais où l’on gagne bien sa vie ! Mais nos moyens sont faibles, bien plus faibles en tout cas que ceux de certaines ONG financées par des fondations américaines – des sommes astronomiques auraient été dépensées pour attaquer la pêche lors de la mise en place de la PCP. Nous nous battons comme nous pouvons, en vous rencontrant, en utilisant internet et les réseaux sociaux, en réalisant des plaquettes d’information...

La pêche de plaisance fait partie des nouveaux usages en mer. Elle a fait l’objet d’un travail après le Grenelle de la mer, sous le parrainage du Gouvernement. Concrètement, les choses ne se passent pas bien, tout est extrêmement conflictuel, d’autant qu’il existe cinq fédérations de pêcheurs plaisanciers qui sont en désaccord entre elles. Le cas du bar est emblématique : il est dommage d’en arriver à de telles extrémités. Le bar comme le maquereau ont une importance économique réelle. Nous demandons pour notre part un meilleur encadrement de la pêche de plaisance, avec au minimum une obligation de déclaration pour ces deux espèces, afin de permettre une meilleure évaluation des stocks. C’est en cours de discussion.

Le gaspillage ne fait jamais plaisir aux professionnels. Dans le domaine de la pêche, il est en partie dû à la réglementation communautaire – je pense par exemple aux règles relatives à la composition des captures détenues à bord. La France a joué un rôle moteur pour toiletter cette réglementation et lutter contre le gâchis. Nous avons notamment – depuis longtemps – mis en place des programmes de sélectivité, avec la maxime qu’il vaut mieux trier « sur le fond que sur le pont ». Les résultats sont satisfaisants, puisque nous atteindrons les objectifs fixés par l’Union européenne – il est vrai que ceux-ci ne sont pas plus exigeants que ceux que nous nous sommes nous-mêmes fixés depuis une dizaine d’années.

S’agissant du projet européen d’interdiction des filets dérivants, sujet de grande préoccupation, nous nous étonnons du silence des ONG, qui disent défendre les petits métiers, alors que ceux-ci subiraient de plein fouet cette interdiction, en métropole mais aussi en Guyane et en Martinique. Ce serait même leur arrêt de mort ! Nous estimons qu’il faut rejeter définitivement cette proposition. Mais nous craignons que les remèdes soient pires que la proposition initiale de la Commission... Nous sommes donc extrêmement attentifs à ces questions. On nous a reproché de ne représenter que les grands armateurs : cette question montre que nous défendons aussi les intérêts des petits métiers.

M. Gérard Romiti. Notre rencontre avec le commissaire européen a été l’occasion d’une prise de contact, et elle a duré bien plus longtemps que prévu, ce qui montre qu’un rapport de confiance a commencé de s’instaurer. Nous avons notamment évoqué la question des filets dérivants, qui ne sont pas longs, qui servent surtout aux petits métiers... Nous espérons que ces arguments encourageront la Commission à réviser sa position. Nous avons également parlé de la raie brunette, des données et du RMD (rendement maximal durable)...

On disait en 2012 le thon de Méditerranée sur le point d’être épuisé, et voilà qu’aujourd’hui, la Commission en autorise à nouveau la pêche ! Pourtant, certains pensent encore que manger du thon rouge est un péché. La lutte avec nos détracteurs est permanente, mais nous gardons espoir.

Nous, pêcheurs, sommes les sentinelles de la mer, une sorte de brigade bleue… Je vous remercie chaleureusement du soutien que vous nous apportez en nous recevant. La pêche française a besoin de la maritimisation.

M. le président François Brottes. J’organiserai une table ronde pour faire le point sur la cohabitation en mer entre les éoliennes et les pêcheurs. Il est nécessaire que les acteurs se parlent, car les uns et les autres nous sont indispensables. Il est certain que l’éolien offshore a de beaux jours devant lui mais la pêche, moins puissante, ne doit pas être moins entendue.

M. Daniel Fasquelle. Si l’on aborde la question de l’éolien en mer, il ne faut pas oublier ses conséquences pour les paysages, le tourisme, les oiseaux migrateurs et la chasse… sans oublier la question de la sécurité en mer, puisque cela revient à introduire des récifs – il n’y jamais eu de catastrophe en mer dans le détroit du Pas-de-Calais parce qu’il n’y avait pas de récifs.

M. le président François Brottes. Il y a eu des marées noires avant les éoliennes… Mais ce sont de vrais sujets de préoccupation. Il faut trouver des accords.

On parle d’aquaculture « bio », mais existe-t-il une aquaculture « raisonnée » ?

M. Gérard Romiti. Il existe un label rouge, qui est très difficile à obtenir, et qui fixe notamment des critères de qualité de l’eau et de qualité de la nourriture. Une petite aquaculture raisonnée dans une baie peut d’ailleurs apporter le complément nutritionnel que n’apporte plus la rivière. Nous ne ferons pas en France de la grande aquaculture, comme celle qui se pratique en Norvège. Mais il y a vraiment un créneau à prendre. Il faut aider des jeunes à s’installer.

J’ajoute que nous sommes tout à fait prêts à participer à tous les groupes de réflexion sur la pêche.

Mme Brigitte Allain. Je n’ai pas entendu de réponse à la question sur les farines animales.

M. Gérard Romiti. Je ne crois pas que le secteur de l’aquaculture soit revenu sur son engagement. Tout est détaillé et encadré. On utilise aujourd’hui du blé, des huiles…

M. Hubert Carré. Il faut aujourd’hui deux kilos et demi seulement de poisson pour un kilo produit, contre sept kilos naguère. Les scientifiques ont beaucoup travaillé sur l’alimentation, et elle est aujourd’hui de qualité, composée notamment d’huiles et de végétaux, même si les poissons sont carnivores.

Je souligne que la quantité et la qualité de la nourriture sont adaptées en fonction du stade de développement du poisson, et un gros travail a été fait pour éviter les pertes, qui étaient sources de pollution : aujourd’hui, 90 % de la nourriture distribuée est absorbée par les poissons.

M. le président François Brottes. Merci beaucoup, messieurs.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 13 mai 2015 à 9 h 30

Présents. - Mme Brigitte Allain, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Marcel Bonnot, M. Jean-Claude Bouchet, M. François Brottes, M. Yves Daniel, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Franck Gilard, M. Georges Ginesta, M. Joël Giraud, M. Daniel Goldberg, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Henri Jibrayel, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Jean-Marie Tetart, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Damien Abad, M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, M. Denis Baupin, M. Christophe Borgel, M. André Chassaigne, Mme Jeanine Dubié, Mme Pascale Got, M. Jean-Luc Laurent, M. Serge Letchimy, Mme Marie-Lou Marcel, M. Kléber Mesquida, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin

Assistaient également à la réunion. - Mme Laurence Abeille, M. Patrick Lebreton, M. Jean-Pierre Vigier