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Commission des affaires économiques

Mercredi 27 mai 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 60

Présidence de M. François Brottes, Président

– Audition de M. Patrick Drahi, président-directeur général d’Altice (principal actionnaire de Numéricable)

La commission a auditionné M. Patrick Drahi, président-directeur général d’Altice (principal actionnaire de Numéricable).

M. le président François Brottes. Mes chers collègues, nous avons l’honneur de recevoir M. Patrick Drahi, qui vient pour la première fois devant notre commission… Je le préviens d’ores et déjà que celle-ci n’est pas à vendre ! (Sourires.)

Monsieur le président-directeur général, votre boulimie de magnat des temps modernes est impressionnante, comme le relate quotidiennement la presse. Nous sommes impatients de connaître votre stratégie, parce qu’elle concerne la France, ses emplois, ses services, son rayonnement dans le monde, et touche aux enjeux propres aux télécoms : le déploiement de la fibre, qui se fait un peu attendre – les engagements ne sont pas toujours respectés chez les uns comme chez les autres –, le développement de la 4G et de la 5G, et le rachat d’une partie de la bande 700 MHz, etc., autant de sujets d’actualité. Nous vous recevons au lendemain de l’annonce de l’acquisition par Altice de l’américain Suddenlink – c’est comme cela qu’on devient maître du monde.

Vous avez démarré comme petit câblo-opérateur avec la société Sud Câble Services au début des années 1990 – j’avais démarré le plan câble dix ans avant, mais je n’ai pas eu le même résultat… Vous avez créé un second câblo-opérateur à Marne-la-Vallée. En janvier 2014, vous avez introduit votre holding à la bourse d’Amsterdam – on se demande pourquoi –, avant de procéder, le 5 avril de la même année, au rachat de SFR pour 13,5 milliards d’euros. Un an plus tard, le 2 avril dernier, l’Autorité de la concurrence et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ont placé sous scellés les locaux de Numericable et de SFR.

En 2015, je parle sous votre contrôle, le groupe au périmètre élargi (SFR-Numericable, Portugal Telecom, Suddenlink…) emploie plus de 30 000 personnes pour un chiffre d’affaires de 14 milliards d’euros, une capitalisation boursière de 32 milliards d’euros et une dette nette de 33 milliards d’euros – ce dernier élément interroge forcément. Le premier bilan de Numéricable SFR, sur lequel vous avez communiqué récemment, est encourageant pour les actionnaires, mais, semble-t-il, un peu déprimant pour les salariés et les fournisseurs dont certains se plaignent de ne pas être payés depuis longtemps – on murmure que la méthode Drahi est redoutable : c’est ou moins 30 %, ou la porte… On dit aussi que, d’ici à 2017, vous avez 1,1 milliard d’économies à réaliser, un journal satirique évoquant même la délocalisation programmée des centres d’appel au Maroc ou à Madagascar. Vous aurez tout lieu de confirmer ou d’infirmer ces éléments.

J’ai enfin retrouvé une lettre que vous aviez écrite à M. Montebourg le 8 avril 2014 au sujet du rachat de SFR par Altice-Numericable, dans laquelle vous vous engagiez pour l’emploi, les investissements, le déploiement du très haut débit et enfin sur le patriotisme économique.

Après cette présentation un peu lapidaire et sûrement caricaturale, je vous propose de commencer par un propos introductif, avant de répondre aux multiples questions qui ne manqueront pas de vous être posées.

M. Patrick Drahi, président-directeur général d’Altice. Cest un grand honneur pour moi d’être devant vous aujourd’hui et je répondrai à toutes vos questions, y compris les moins agréables – je n’ai rien à cacher.

Vous présentation est à peu près juste, monsieur le président. J’ai commencé mes études au lycée Lyautey de Casablanca, puis je suis rentré en France en 1978 où j’ai poursuivi mes études à Montpellier, je suis entré à l’X, j’ai fait Sup Telecom et préparé un doctorat d’optique, à l’époque précisément où vous lanciez le plan câble. Passionné par la fibre optique, j’avais visité en 1984 le réseau tout optique de Biarritz, qui était un réseau plan câble. Vous le voyez : on faisait en 1984 ce qu’on essaie de faire en 2015… Mais c’était trop tôt, donc trop cher, et ce n’était pas la bonne technologie. Nous y reviendrons.

J’ai fait toute ma carrière dans les télécoms. Mais comme je ne supportais pas de rester dans des grands groupes, où les décisions mettent beaucoup de temps à produire des résultats, j’ai créé ma propre entreprise à l’âge de vingt-huit ans, puis j’ai très rapidement commencé à déployer des services de réseau câblé dans le sud de la France. En 1994, j’ai créé une deuxième entreprise, Sud Câble Services, SARL au capital de 50 000 francs, somme que j’avais empruntée via un prêt étudiant. J’étais donc criblé de dettes, mais la situation s’est nettement améliorée depuis puisque j’ai aujourd’hui 32 milliards de capital pour 33 milliards de dette – ce qu’il convient de comparer à ce que contractent les ménages français quand ils achètent un appartement où une maison, puisque le banquier leur prête en général entre 50 % et 65 % du prix d’acquisition. Je contrôle 63 % du capital de mon entreprise, étant certainement le seul dans le panorama européen à ce niveau de participation, ce qui me permet d’avoir une gestion différente de celle des grands groupes où le directeur est responsable mais pas forcément coupable. Moi, je développe un groupe international, mais qui reste avant tout familial.

Vous avez donc devant vous quelqu’un qui a démarré de rien – une petite SARL – mais qui détient aujourd’hui un grand groupe qui emploie 38 000 collaborateurs, qui fait sans doute travailler autant de personnes chez ses sous-traitants, coté à la bourse d’Amsterdam, mais dont la filiale française est cotée à la bourse de Paris : Numericable est éligible par sa capitalisation et par son flottant au CAC 40, Altice fait déjà partie de l’indice de la bourse d’Amsterdam. Rappelons que les deux bourses appartiennent à la même entité, Euronext, si bien que personne ne peut douter que nous fassions partie de l’Europe.

Ce groupe n’opère que dans les télécoms. Très jeune, j’ai été convaincu de la pertinence de la fibre optique pour offrir des applications vidéo. En effet, les usages font que la télévision devient interactive – cela s’appelle de la vidéo interactive – en permettant à des milliards d’individus d’échanger entre eux essentiellement à travers des réseaux fixes. Certes ils peuvent le faire avec leur téléphone mobile, leur smartphone, mais celui-ci est utilisé dans 70 % des cas depuis un point fixe : bureau, domicile, etc. Or pour ce réseau fixe, la technologie la plus moderne qui existe au monde est la fibre optique. C’est pourquoi, depuis vingt-deux ans, j’investis l’intégralité des sommes que je peux générer dans mes affaires, sans distribution de dividendes – mes entreprises se sont endettées non pour financer des pertes d’exploitation ni pour distribuer des dividendes, mais pour financer une croissance très forte.

M. François Brottes. J’ai oublié de mentionner dans mon propos introductif votre intérêt pour les médias.

M. Patrick Drahi. Tout à fait, et c’est tout récent. En fait, ce sont plutôt les médias qui se sont intéressés à moi : je n’ai pas demandé à faire la une des journaux pendant trois mois en France.

Cela se sait peu, mais j’ai commencé à investir dans la télévision en 2007-2008, en créant avec un entrepreneur français une dizaine de chaînes de sport, après avoir racheté les droits de la Ligue 2. Ces chaînes sont aujourd’hui en plein développement en offrant des services en dehors du territoire français, en Europe, en Afrique et en Amérique – elles n’existeraient plus si elles étaient restées sur le territoire français.

Quant à mon aventure dans la presse, je vais vous raconter l’anecdote. Lors d’un entretien organisé par Arthur Dreyfuss, assis à ma droite, avec une journaliste de Libération, celle-ci m’a fait remarquer que j’allais dépenser 14 milliards pour racheter SFR et que Libération n’avait besoin que de 14 millions pour être sauvé. À l’issue de l’entretien, j’ai dit à Arthur Dreyfus que nous allions nous saisir du dossier pour sauver ce titre – car enfin ? il s’agissait d’investir un pour mille de l’argent investi dans SFR. Toutefois, vous le savez, la presse écrite est une activité difficile. La seule façon de constituer un groupe pérenne est de le consolider, en l’élargissant à d’autres titres et en l’étendant à d’autres pays. C’est la même logique que celle qui a prévalu dans la consolidation du câble : je suis entré sur le marché français en 1994 en tant que 24e opérateur, mais j’ai consolidé tout le secteur pour aboutir aujourd’hui à une entreprise qui fonctionne – le câble ne fonctionnait pas en France – et qui est rentable. Cette rentabilité, nous l’investissons dans le développement et sur d’autres services : nous avons ainsi financé le rachat de SFR et, à partir de l’entreprise Numericable-SFR, le développement international du groupe.

Mme Corinne Erhel. Le rapprochement entre Numericable et SFR a marqué une nouvelle étape de la restructuration du marché des télécoms et ouvert de nouvelles perspectives. La presse a fait état d’un malaise assez certain chez les salariés du groupe SFR, affectés par des changements de direction importants, mais aussi inquiets face à une stratégie offensive d’acquisitions en France et à l’international.

Vos relations avec vos sous-traitants, eux aussi inquiets de votre politique, ont fait l’objet d’articles de presse et de témoignages auprès de parlementaires. Un accord a été signé avec le médiateur interentreprises pour une partie de vos sous-traitants. Comment envisagez-vous votre rôle dans l’animation de la filière, qu’il s’agisse du périmètre interne du groupe SFR ou de vos relations avec tout l’écosystème ?

Sans revenir sur l’accord que vous avez signé la semaine dernière avec les trois autres opérateurs pour la couverture des mobiles, je voudrais vous interroger sur le fixe, notamment la fibre, et les accords de partage entre SFR et Orange sur les zones dites « AMII » (appel à manifestations d’intentions d’investissement), et notamment votre souhait de renégocier cette part des 20 %. Quelle est votre stratégie pour le fixe, sachant que le ministre de l’économie a demandé une accélération des investissements afin de rattraper les retards constatés dans le déploiement de la fibre ?

Il y a un peu plus d’un an, les dirigeants de SFR ne paraissaient pas très enclins à enchérir sur les nouvelles fréquences 700 MHz. Quelle est votre stratégie en la matière ? Et quelle est votre ambition en matière d’aménagement du territoire ?

Enfin, le rapprochement entre SFR et Numericable a marqué une certaine consolidation des acteurs des télécoms, y compris dans le secteur des équipementiers avec une fusion-acquisition en cours entre Alcatel-Lucent et Nokia. Comment analysez-vous ce rapprochement ? Quelle est votre politique en matière d’équipements télécom et à quels équipementiers avez-vous recours ?

M. le président François Brottes. Mme Erhel ne vous a pas demandé à quelle heure vous alliez racheter Bouygues Telecom…

Mme Laure de La Raudière. Nous accueillons le président d’un groupe bien implanté en France et qui rachète un grand nombre de sociétés étrangères : cela fait plaisir… Je tenais à saluer cet aspect qui n’a pas été suffisamment mis en avant.

Monsieur Drahi, les différents marchés, que ce soit celui du câble ou de la fibre, dans les autres pays, n’ont aucun secret pour vous. Quel regard portez-vous sur la régulation des télécoms en France, en particulier sur la façon dont nous déployons le très haut débit ? Quelle est votre stratégie en matière de déploiement de la fibre en France – est-ce du FTTH sur les nouvelles zones, le FTTB correspond-il aux exigences du très haut débit ? Quels sont vos délais en termes de déploiement dans la zone AMII ?

Quelle est votre politique en matière de co-investissement dans les autres zones et comment travaillez-vous avec Orange sur ces aspects ? Quelle est votre stratégie en matière de prix ? Allez-vous être, comme cela a été le cas de Free dans le passé, celui qui va attaquer une stratégie des prix, ou pensez-vous que l’on s’oriente vers une revalorisation des tarifs des services de télécom en France ?

Concernant le mobile, les annonces sur la couverture et les mesures de l’ARCEP correspondent rarement au ressenti des usagers. Les opérateurs respectent leurs engagements de couverture, notamment pour la 2G, de 99,6 % de la population, mais beaucoup de personnes ne perçoivent pas leur zone comme étant couverte – sans doute parce que les terminaux captent moins bien le réseau que nos terminaux d’il y a dix ou quinze ans. N’y voyez-vous pas la nécessité d’un réajustement pour un discours de vérité avec les citoyens sur la couverture mobile ?

Pour améliorer cette couverture mobile, il existe de nouvelles technologies, notamment le femtocell ; mais cette technologie très peu mise en avant par les opérateurs car, paraît-il, peu fiable. En tant qu’ingénieur, pensez-vous possible de résoudre bientôt cette équation de continuité du mobile vers le fixe dans les maisons ?

Qu’avez-vous à nous dire sur la neutralité d’Internet, sujet très politique ?

Enfin, pouvez-vous nous parler de vos investissements en IPv6 pour lutter contre le manque d’adresses IPv4 ?

M. le président François Brottes. Notre collègue Laure de La Raudière a parfois un langage d’ingénieur…

M. Franck Reynier. Monsieur Drahi, vous êtes atypique : comme vous l’avez expliqué, vous avez voulu créer votre entreprise, et non rester dans un grand groupe. Aujourd’hui, votre politique de développement acquisition est impressionnante – certains la qualifient de boulimique – et je suis très heureux de pouvoir vous poser quelques questions.

Si l’on ne peut qu’être impressionné par la diversité des entreprises que vous avez acquises, on peut aussi s’inquiéter de cette crise de croissance dans la mesure où trouver des stratégies communes avec ces différents groupes est sans doute un exercice difficile. Pouvez-vous nous en parler ?

Vous avez évoqué l’acquisition de Libération, mais vous possédez beaucoup d’autres titres via la société Altice Media Group (AMG). Avez-vous d’autres projets de développement dans la presse ?

J’ai lu également que vous envisagiez d’acquérir l’américain Times Warner Cable. Pouvez-vous nous parler de ce développement sur le marché américain, plutôt saturé semble-t-il ?

Travailler sur le câble et le tissu urbain, c’est très bien, mais une partie de nos concitoyens dans les zones rurales ne bénéficie pas d’une bonne couverture. Quelle est votre vision en matière de déploiement de la fibre et du très haut débit dans les zones rurales ?

Dernière question toute simple : quand on investit autant et qu’on emprunte autant, quelle est la recette ou la méthode pour obtenir la confiance des investisseurs et des banquiers ?

Mme Michèle Bonneton. Monsieur Drahi, vous êtes un entrepreneur très… entreprenant et très atypique.

Quels seront vos prochains développements en France et en Europe ? Que pouvez-vous nous dire d’un risque éventuel de monopole ? Envisagez-vous d’autres développements aux États-Unis ou à l’international ?

Quelle est votre stratégie par rapport à l’ensemble des salariés de votre groupe ? Comment les faites-vous participer à votre développement ?

Le groupe écologiste estime nécessaire de déployer rapidement le très haut débit partout en France, y compris dans les territoires les plus ruraux, afin de favoriser le travail à domicile tout en diminuant les problèmes de transport, ainsi que le développement économique dans ces territoires. Quelles techniques préconisez-vous et selon quel aménagement du territoire ? Quels sont les coûts prévisibles et quelles actions prévoyez-vous en ce sens ?

Quant aux innovations, j’imagine qu’elles sont importantes pour vos entreprises. Quelles innovations prévoyez-vous à court ou moyen terme ? Que pensez-vous du crédit impôt recherche ? Constitue-t-il une incitation pour vous à développer les recherches, et peut-être certaines innovations, en France ?

J’ai vu dans votre document que vous vous intéressez aux recherches sur le cerveau à l’international. Pouvez-vous nous en parler ?

Que pensez-vous des antennes dont les émissions en puissance sont plus faibles que celles qui sont utilisées actuellement ?

Enfin, de quels atouts dispose la France pour dynamiser son économie et créer des emplois et quels sont ses points faibles ?

M. Patrick Drahi. La question sur le malaise des salariés est sans doute la plus importante, parce qu’une entreprise est constituée de salariés qui travaillent pour développer des services qui sont vendus à des clients.

Créée en 1993 et filiale d’un grand groupe distribuant de l’eau, SFR a connu dix-neuf ans de croissance ininterrompue, essentiellement financée par le développement du marché du mobile ; elle a investi dans le fixe très tardivement en rachetant une entreprise de taille plus modeste, le groupe LDCom qui lui-même avait racheté Neuf Télécom. SFR était donc considérée comme un challenger et une énorme machine à générer du cash – et qui servait fort bien son actionnaire chaque année.

En 2012, l’arrivée de la concurrence dans le secteur du mobile a provoqué un tsunami. Les prix se sont écrasés, ce qui a provoqué certains dégâts sur les salariés de SFR car l’entreprise était habituée à vivre dans l’opulence et la générosité des dividendes monstrueux versés chaque année. Alors qu’elle dégageait 4 milliards de cash par an en 2011, elle était tombée à 2,2 milliards lors de sa reprise par Numericable en 2015 – nous avons clôturé l’affaire le 27 novembre 2014. L’entreprise n’avait plus de stratégie, elle perdait des clients tous les jours et beaucoup d’argent.

Quant aux investissements de SFR au cours des quinze dernières, de l’ordre de 1,5 milliard par an, ils étaient plus au moins constants. Or la beauté du mobile est qu’une nouvelle technologie apparaît tous les quatre ans : après Radiocom 2000 dans les années quatre-vingt-dix, on a eu le GSM, puis la 2G, la 3 G, la 3 G + le EDGE, la 4G, la 4G + on aura bientôt la 5G à laquelle se prépare le nouveau groupe Nokia Alcatel Siemens. Et dans les laboratoires on pense déjà à la 6G ! Du coup, on essaie de vous vendre un appareil mobile tous les trois ans pour être sûr que vous continuiez à dépenser de l’argent pour mettre à niveau votre technologie.

Quand une entreprise commence à dévisser suite au tsunami, en passant en deux ans de 4 milliards de résultat à 2,2 milliards, avec des investissements bon an mal an de 1,5 milliard, il ne lui reste plus que 700 millions. Et quand cette entreprise a l’habitude de verser 1,5 milliard à son actionnaire par an, cela pose un petit problème… Et ce n’est pas nous qui l’avons créé.

Mais ce problème en a entraîné deux autres. D’abord, le malaise des salariés qui se sont soudainement vus passer d’une entreprise leader, en plein développement, à une entreprise qui commençait à perdre de l’argent et, surtout, qui n’investit plus. Ensuite, les problèmes de qualité : il faut bien reconnaître que SFR n’était plus le challenger technologique du marché du mobile, son actionnaire ayant décidé de ralentir les investissements.

Ces problèmes de qualité, on les connaissait bien dans le secteur du câble : souvenez-vous de ce que c’était à Paris, où l’entreprise n’arrêtait pas de changer de nom, parce que cela ne marchait jamais ! Ces problèmes, nous les avons réglés. Depuis huit ans, cela s’appelle Numericable et nous avons la meilleure qualité de service de tous les opérateurs.

La qualité technique sur le réseau SFR n’était plus à la hauteur. Que fait-on quand un champion comme l’OM ou le PSG est rétrogradé en troisième division en gardant les mêmes joueurs, puisqu’on s’est engagé à maintenir les emplois ? On n’a pas d’autre choix que de changer l’entraîneur et le capitaine de l’équipe. C’est ce que j’ai fait : j’ai changé tout le management, et en une semaine. Parce qu’on ne fait pas du neuf avec de l’ancien, on ne gagne pas avec des gens qui depuis trois ans ne gagnent pas. Pour les salariés, évidemment, cela change. Au début, ils sont plutôt contents : ils en avaient marre de l’ancien chef, qui les amenait progressivement dans le mur. Mais ce nouveau chef a une façon de voir les choses un peu différentes. La première chose que je leur ai dite, c’est : on est chez nous, c’est votre entreprise, vous pouvez entrer au capital si vous souhaitez investir, on n’ira pas dans le mur. Enfin, j’ai repensé la stratégie de A à Z en décidant d’orienter l’entreprise vers le fixe. Pourquoi ? Parce que c’est le fixe qui fera la différence, sachant que 70 % de nos usages se font à partir d’un lieu fixe ; et le fixe, ce n’est pas le 2G, le 3G, le 4G, c’est la fibre, point barre ! Et au département commercial, la bonne stratégie n’est pas de se battre pour garder des clients : il faut se battre pour offrir mieux au client. Ce n’est pas en cassant les prix qu’on le gardera : c’est le cercle vicieux infernal, où tout le monde descend à l’étage d’en dessous, qui n’est pas loin du sous-sol… Et qu’offre-t-on de plus au client ? Le très haut débit fixe. SFR est passée d’une entreprise de bradage de mobiles à une entreprise de montée en puissance dans le très haut débit. Cela tombe bien : c’est justement le plan du Gouvernement ! C’est grâce à Numericable-SFR que les 12 millions de foyers en France seront effectivement équipés en très haut débit en 2017. Jamais cet objectif n’aurait pu être tenu avec le SFR de l’époque ou n’importe quel autre acteur.

Certes, les salariés ne sont pas heureux, mais les choses s’améliorent : ceux qui parmi vous sont sur SFR – j’espère que vous êtes nombreux – ont pu s’apercevoir que le réseau marche beaucoup mieux dans Paris.

Mme Laure de la Raudière. Le contrat entre l’Assemblée nationale et Orange a été reconduit jusqu’en juin 2017…

M. Patrick Drahi. Vous avez eu raison de mettre Orange sur le mobile parce que SFR a connu des problèmes de qualité. Vous reconsidérerez votre décision dans un an quand tout fonctionnera parfaitement bien. Dans certaines villes de province, le problème n’est pas encore réglé, mais on ne peut pas régler un problème technologique en trois mois ! Nous investissons massivement, d’autant plus qu’avec le même argent, nous en faisons plus. Imaginiez que vous faites venir un peintre qui vous réclame 10 000 pour repeindre un mur alors que vous savez que cela ne vaut que 5 000, et que vous arriviez à le payer seulement 5 000, cela ne signifie pas nécessairement que vous ne dépenserez que 5 000, mais que vous allez faire repeindre deux murs au lieu d’un… Notre stratégie est de payer le juste prix pour investir davantage

Les fournisseurs et les sous-traitants qui nous suivent sont les vrais bons – je ne dis pas que les autres sont les vrais mauvais, mais ce ne sont pas forcément les meilleurs. Les vrais bons nous suivent et viennent à l’international. Dans tous les pays où j’investis, j’ai amené les équipementiers, les fournisseurs de prestation de service français. Ce n’est pas parce que je veux faire de la politique : c’est tout simplement parce que j’avais commencé en France, et que tous mes contacts étaient français… Ainsi, quand je suis arrivé en Israël, en République dominicaine et au Kenya, j’ai amené Sagem pour les décodeurs, j’ai amené Webhelp pour les call centers : tous ces gens-là ont ouvert leur business dans ces pays où ils n’étaient pas présents.

Évidemment, certains ne veulent pas bouger, et pour cause : ils étaient habitués à se servir sur une entreprise qui gagnait 4 milliards par an. Mais tout cela, c’est terminé. La concurrence a obligé à remettre en question certains modèles. Les fournisseurs qui ont accepté de travailler avec nous dans une logique de modernisation, de numérisation, s’en trouvent fortement récompensés aujourd’hui car ils font plus de business. Ils gagnent peut-être proportionnellement moins d’argent, mais ils en gagnent au bout du compte davantage parce que leur business est beaucoup plus gros. Faites le calcul : mieux vaut faire 20 % de marge sur 100 euros de chiffre d’affaires que 40 % sur 40 euros de chiffre d’affaires !

Cette nouvelle dynamique va créer des emplois en France, mais aussi à l’étranger pour les collaborateurs français. Car le vivier naturel de nos managers est en France. Ces managers, qui avaient un tempérament de perdant au cours des trois dernières années, sont très heureux d’avoir une carrière internationale aujourd’hui.

Voilà ce que nous offrons à nos collaborateurs et à nos sous-traitants.

Certes, nos méthodes de gestion sont différentes de celles des autres, car nous avançons assez vite. Moi, quand je fais une réunion, je prends une décision tout de suite, quitte à organiser une deuxième réunion le lendemain si la décision n’est pas bonne. Rien ne sert de tenir des réunions à l’issue desquelles la décision est d’organiser une autre réunion pour savoir ce qu’on va décider ! Les choses vont donc vite avec moi, mais les gens apprécient. Je peux vous dire que les collaborateurs de SFR qui sont en contact direct avec nos équipes sont beaucoup plus heureux qu’avant.

Reste à faire descendre cette dynamique positive au niveau des 17 000 collaborateurs. Cela prend du temps, cela ne peut pas se faire en trois mois. Nous y travaillons en essayant de conserver la meilleure ambiance, tout en maintenant les emplois, comme nous nous y étions engagés.

Une de vos questions sur les sous-traitants portait sur les conditions de paiement. Auparavant, SFR était une sorte de « fille à papa » qui dépensait de l’argent toute la journée sans payer les factures, car le cash était absorbé au quotidien par la maison mère. À la fin du mois, la fille à papa envoyait le relevé de la carte bleue à la maison mère qui payait rubis sur l’ongle sans regarder les dépenses de la jeune princesse. Mais aujourd’hui, le papa a changé, et ma fille ne se conduit pas comme cela. Avant de payer, je vérifie ses dépenses, et cela prend du temps. À notre arrivée, une centaine de personnes pouvaient dépenser chaque jour entre 100 000 et 10 millions, ce qui fait 12 milliards à la fin de l’année : j’appelle cela un bateau ivre ! Pour remettre de l’ordre, nous avons retiré les pouvoirs d’engagement à l’ensemble des collaborateurs : c’était la seule façon pour nous de savoir ce qui se passait. Deuxièmement, quand un sous-traitant me présente la facture des dépenses de la jeune fille, je prends le temps de vérifier. Vous l’avez compris : nous sommes en train de remettre les choses au carré. Pour être parti de zéro, je sais ce que signifie gérer le cash d’une petite entreprise qui recrute son premier salarié, puis son deuxième salarié. Nous n’avons planté personne – je n’ai jamais planté personne de toute ma carrière. Certes, le processus a pris un peu de temps, car il s’agit d’une entreprise de 17 000 salariés qui dépensait 12 milliards par an. Cela a créé des tensions, et d’abord avec ceux qui n’acceptaient pas de se moderniser dans la façon de traiter la tâche, mais il n’y a pas de problème de fond. J’ajoute qu’il n’y a aucun impayé : s’il y a des retards de paiement, c’est parce que nous n’avons pas eu le temps d’étudier l’affaire, mais nous ne sommes pas les seuls – d’autres en France ont des retards de paiement, y compris à notre égard.

Bonne nouvelle, donc, pour le sous-traitant : premièrement, il est payé ; deuxièmement, nous connaissons son état financier et ne le mettons jamais en difficulté. Ceux qui se sont évertués à se faire entendre via des journaux sont les filiales des très grands groupes, qui n’ont pas de problème de cash, mais davantage un problème de gestion interne parce qu’ils n’arrivent pas à se moderniser. On ne gère pas un réseau mobile en 2015 comme on le gérait en 1993.

Troisième question, très importante : la couverture fibre en France. Vous avez évoqué l’accord de partage de la zone AMII entre SFR et Orange, de 20 % – 80 %. SFR va-t-elle remplir son engagement de couverture sur cette zone pour 2,5 millions de foyers ? La réponse est oui, mais conformément à ce que nous a autorisé l’Autorité de la concurrence – qu’il faut du reste féliciter pour son travail remarquable sur ce dossier extraordinairement technique. Nous tiendrons cet engagement, donc, à l’exception des zones où un réseau câblé est déjà en place, car il s’agit d’éviter un double investissement au même endroit.

Nous tiendrons donc notre engagement sans aucun problème. Mais moi, je souhaite en faire plus. Pourquoi n’aurions-nous que 10 % du territoire national quand l’opérateur historique en aurait 90 % ? Vous allez me dire que je ne sais pas compter… En fait, sur 20 millions de foyers zone dense et zone AMII, Orange est en train d’en faire 18 millions, et on me demande si je suis d’accord pour en faire 2 millions. Non seulement, je suis d’accord, mais je suis d’accord pour en faire beaucoup plus, et j’en ferai beaucoup plus ! Du coup, cela permettra à Orange d’en faire un peu moins où elle avait prévu d’en faire et inversement, ce qui est une bonne nouvelle pour les finances du pays – ou pour les finances de France Telecom, ce qui revient un peu au même à hauteur de 26 %… En clair, l’investissement que ferait SFR au-delà de ce qui était prévu va faire économiser de l’argent à Orange ; et cet argent, Orange pourrait le redéployer dans d’autres zones de France. On parle de milliards ! Vous cherchez des économies pour équilibrer les comptes de la nation : moi, je vous ai trouvé 2 milliards et personne ne veut les prendre !

Je reviens sur la régulation. Monsieur le président, le plan câble n’a pas été un succès économique pour le pays. Il faudrait éviter de faire le plan fibre ! Il ne faut pas dire non à ceux qui souhaitent investir dans l’infrastructure au prétexte qu’on a donné l’exclusivité à l’ancien monopole ! Le développement des investissements permettra de créer des emplois et d’abord chez les sous-traitants.

Je rebondis sur la dette. SFR-Numericable a dégagé, dès le premier trimestre, des centaines de millions d’économies, qui deviendront d’ici à quelques mois des milliards que nous allons réinvestir – nous ne les utiliserons pas pour verser des dividendes. À la fin du premier trimestre, la dette de SFR-Numericable s’élevait à 10,5 milliards, pour un EBITDA (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement) annualisé de l’ordre de 3,8 milliards, soit un ratio inférieur à trois. Quand vous parlez de la dette de France Télécom, il faut rajouter les leasings, plus les liabilities au titre des retraites : son endettement est donc proche, voire supérieur au nôtre. Et quand vous rajoutez les 1,5 milliard de dividendes versés chaque année aux actionnaires, vous voyez que mes capacités financières en France sont voisines, voire supérieures à Orange. Par conséquent, je ne vois pas pourquoi je devrais n’en faire que 20 % – ou 10 % comme je vous l’ai expliqué. Je veux donc en faire 50 %. Cela passe-t-il par une renégociation des accords ? Je ne renégocie rien du tout, je dis simplement que je veux en faire plus. Les retards sont liés au gel des investissements sous la période précédente ; mais aujourd’hui, la cadence de modernisation de notre réseau et d’extension en fibre optique sur nos zones non couvertes est la plus élevée de France.

Mme Laure de La Raudière. Cela signifie-t-il qu’il y aura une concurrence dans les zones AMII ?

M. Patrick Drahi. La concurrence est bénéfique pour le consommateur : si 80 % du territoire est chez France Telecom, où est la concurrence ? Si je me retrouve à payer un plan fibre, comme le contribuable, en fait, s’est retrouvé à payer le plan câble, cela ne peut pas marcher, car on se retrouverait dans un monopole ! Je préfère investir et être chez moi, car je bénéficie intégralement de mon choix technologique et d’investissement, et j’ai les moyens de le faire. Cela est également bénéfique à Orange qui, du coup, dégage des moyens soit pour vous verser plus de dividendes, soit pour investir davantage en France afin de couvrir les zones blanches, soit pour investir à l’international. Il serait bon que deux, trois ou quatre acteurs des télécoms français investissent à l’international. On ne parle que de moi, mais j’aimerais qu’on parle des autres ! Pourquoi n’investissent-ils pas ? Le problème n’est pas que j’investis beaucoup à l’international, c’est que les autres n’investissent pas suffisamment à l’international.

Vais-je participer aux enchères des fréquences 700 MHz ? Je vais vous faire plaisir : oui, je vais le faire, parce que c’est un devoir national pour moi, parce que je ne peux pas gagner de l’argent sans l’investir dans le système. C’est un peu comme pour Libération : vous avez besoin de cette bande, et je participerai. Pour autant, ai-je besoin de ces fréquences ? Je ne le pense pas. Si les ingénieurs aiment avoir des fréquences, des fibres optiques, des stocks qui ne servent à rien, moi, je n’ai pas besoin de ces fréquences pour les dix ans à venir – le spectre de fréquences détenu par SFR actuellement est suffisant. Mais comme ceux qui participeront aux enchères, je mettrai l’argent sur la table, nous avons le cash flow nécessaire. Le ministre a exprimé une préoccupation légitime, et j’ai déjà indiqué à l’ARCEP que nous paierons ce qu’il faudra pour avoir notre quote-part des fréquences.

Vous m’avez parlé de la consolidation des équipementiers. En fait de regard, j’ai surtout les larmes aux yeux… En 1987, j’ai déposé des brevets dans la fibre optique au nom de la Compagnie générale d’électricité, devenue Alcatel qui elle-même est devenue Nokia. C’est l’Europe, c’est très bien, mais ce n’est plus Alcatel… Ça me fait mal, mais si on est arrivé là, c’est parce qu’on s’est planté sur la technologie et l’internationalisation. La bonne nouvelle est qu’on achète beaucoup chez Nokia Siemens. En Israël, j’ai choisi Nokia Siemens, car certains équipementiers posent problème. En France aussi, nous travaillons beaucoup avec Nokia Siemens, Alcatel aussi, et cela permettra d’alimenter les équipes qui, j’espère, resteront en France. Cette consolidation a été inévitable, surtout face aux Chinois, qui ont une santé incroyable. La Chine a choisi le DVB, norme européenne de télévision numérique, mais aussi le GSM, la norme de téléphonie mobile pour l’Europe. Nous nous sommes fait totalement déborder, pour la simple raison qu’à Pékin ou à Shanghai, les gens bossent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept ! Dans ces conditions, le retard est vite rattrapé ! Le problème est là, et uniquement là ! Car nous sommes beaucoup plus intelligents, nous avons de meilleures écoles. Aux États-Unis, c’est la même chose : je n’ai aucun complexe face à un ingénieur américain, un manager américain ou un banquier américain, à ceci près que le gars prend deux semaines de congé par an ! Je ne dis pas que nous devons renoncer à nos vacances, mais le résultat des courses est celui-là : nous nous sommes fait déborder et cela va continuer.

L’Europe des quinze comptes 120 opérateurs pour 360 millions d’habitants. Aux États-Unis, pays de 320 millions d’habitants, quatre opérateurs se partagent le mobile et deux opérateurs par zone se partagent le fixe : les gens du mobile ne font pas de fixe, et inversement. Autrement dit, le gâteau, le pie du mobile est partagé entre quatre personnes et celui du fixe par deux. Contre cent vingt en Europe ! L’offre de Numericable tout illimité est vendue 120 dollars à New York : c’est peut-être un peu cher. Mais 46 euros à Paris, ce n’est un peu pas cher : un café de 2 euros pris chaque jour au bar, cela fait déjà 60 euros à la fin du mois ! Un café coûte plus cher que le nec plus ultra de la technologie mondiale ! On marche sur la tête… La consolidation n’est pas le monopole, elle consiste à permettre à des acteurs européens de ne pas se faire dépasser, comme Alcatel l’a été par Nokia qui elle-même se fera dépasser par les Chinois, et à faire en sorte que nos champions nationaux ne terminent pas dans les mains d’acteurs américains ou chinois. Cette concurrence tous azimuts en Europe n’est pas bonne. Je connais pire encore : en Israël, sept opérateurs se partagent un marché dix fois plus petit que la France… Trois sont déjà au bord du dépôt de bilan.

Ainsi, la consolidation européenne est très importante et elle passe par les consolidations dans chacun des pays. On n’y est pas arrivé dans les années quatre-vingt-dix, avec la tentative de rapprochement de France Telecom avec son homologue allemand Deutsche Telekom. C’était une bonne idée – à l’époque, cela aurait pu être un 50/50, mais aujourd’hui ce serait un 20/80 ou un 25/75. Aujourd’hui, je pense que ces rapprochements vont pouvoir avoir lieu. Nos amis allemands ont mieux réussi leur développement international dans les télécoms, car ils ont moins détruit leur marché intérieur : les prix sur le marché allemand ne sont pas les prix américains, mais ce ne sont pas les prix français. Nous avons les prix les plus bas d’Europe, mais quelle en sera la conséquence dans cinq, dix ou quinze ans ?

Madame de La Raudière, je vous remercie de saluer notre développement à l’international. La régulation en France n’est pas trop contraignante : il y a pire dans d’autres pays. Mais il y a souvent une petite erreur d’analyse sur les besoins d’intervention financiers de l’État ou des collectivités locales. Car faire une seule infrastructure pour permettre de tirer le plus loin possible n’est pas une bonne chose ; il faut laisser les acteurs investir où ils ont envie de le faire, ce qui leur permettra de couvrir les zones blanches plus rapidement. À cet égard, nous sommes le premier fournisseur en zone d’aménagement du territoire en cofinancement avec les collectivités locales : le département du Rhône a été le seul à être équipé intégralement en très haut débit fixe grâce à une décision visionnaire des années quatre-vingt-dix. Ainsi, la réglementation n’est pas mauvaise, si ce n’est qu’elle devrait permettre plus de concurrence sur les infrastructures pour favoriser les consolidations nationales et internationales.

Chez SFR-Numericable, nous avons du FTTH (fiber to the home, ce qui signifie fibre jusqu’au domicile), du FTTB (fiber to the block ou fiber to building, c’est-à-dire fibre jusqu’au bloc d’immeubles ou jusqu’au bâtiment). Nous avons même du FTTX : nous avons même récupéré des réseaux câblés fibrés à l’envers, c’est-à-dire qui faisait du câble et se terminait en fibre ! C’était une expérimentation unique en France, à Toulon : le fabricant a disparu, nous sommes obligés de tout démonter…

M. le président François Brottes. On avait commencé par le mauvais bout…

M. Patrick Drahi. Exactement… C’est ce que nous appelons le FTTX.

L’important est de savoir quels débits sont offerts au consommateur pour son usage de vidéos ou de données, qui augmente d’année en année. Le FTTB est la technologie la plus répandue au monde, le FFTH le sera dans cinquante ans ; en attendant, il faut être pragmatique, c’est-à-dire faire évoluer ces réseaux. Là où vous n’aviez pas de réseau, c’est comme si vous n’aviez pas de voiture : vous n’allez pas acheter celle de l’année dernière. Il faut tirer du FTTH : c’est ce que fait SFR. C’est aussi ce que fait Orange : il a un réseau, mais ce n’est pas le bon, puisqu’il a vendu le câble… Son réseau téléphonique doit donc être modernisé en FTTH, il n’a pas le choix. Le réseau câblé, lui, n’a pas besoin d’être modernisé, puisque le câble coaxial qui arrive dans votre département est suffisant pour absorber les débits de l’abonné pour les dix à vingt prochaines années. Ainsi, aux endroits où nous avons du réseau câblé, nous tirons la fibre jusqu’à l’immeuble ou jusqu’à un bloc d’immeubles – jusqu’à l’immeuble dans des zones denses comme Paris – et nous maintenons le raccordement existant en câble coaxial. (M. Drahi montre à la commission un câble à fibre optique et un câble coaxial). C’est très simple : dans votre appartement, l’équipement terminal réceptionne une fibre optique sur un petit boîtier, et celui-ci est raccordé à la box grâce à un petit câble Ethernet ou téléphonique ou un câble coaxial. Dans les zones modernisées comme Paris, la différence entre un réseau FTTB et un réseau FFTH représente dix mètres de fibre optique en plus ou en moins, soit la distance entre une cave et le deuxième étage de l’immeuble : nous arrivons en bas de l’immeuble avec la fibre optique et nous maintenons notre câble coaxial.

Aux États-Unis, les déploiements « tout fibre optique » ont commencé il y a une dizaine d’années. Le plus gros opérateur, FIOS (Fiber optic services), filiale de Verizon – l’équivalent d’Orange –, a dépensé 20 milliards pour son plan massif de déploiement de fibre optique. Depuis, ils se sont calmés un peu, et utilisent aujourd’hui la terminaison en câble coaxial dans beaucoup de cas.

S’agissant des co-investissements sur les réseaux d’initiative publique (RIP), nous y répondrons systématiquement.

Alors que depuis des années SFR avait bloqué les investissements, nous n’avons pas rechigné, à la demande de l’ARCEP, à prendre la décision d’investir sur les 3 000 points nécessaires à la couverture mobile. Mais il y a le ressenti du consommateur, qui n’a pas toujours l’impression que son téléphone fonctionne. Il faut savoir que les smartphones sont très « smart » pour faire de l’internet, mais beaucoup moins pour téléphoner : à chaque fois qu’ils perdent le signal, ils mettent quarante-cinq secondes à deux minutes pour le retrouver… Ma propre mère préfère son vieux téléphone 2G au smartphone dernier cri qui vient de lui être offert, et elle a raison ! C’est un problème de technologie, mais je vous rappelle qu’il n’y a pas si longtemps les foyers n’avaient pas Internet, on ne savait pas ce qu’était la data et on utilisait des fax à rouleau papier… Maintenant, on veut tout avoir, et qui fonctionne impeccablement, et le tout pour 14,99 euros… Il faut attendre un peu : le déploiement de la fibre, à la faveur des investissements réguliers des opérateurs, améliorera la situation.

En tant que citoyen, la net neutrality me semble normale. En tant qu’opérateur, c’est un peu comme si j’investissais sur une autoroute que n’importe qui pourrait prendre sans payer ! Or, que je sache, sur une autoroute, un poids lourd paye plus cher qu’une moto… Si vous partagez votre connexion, vous n’avez qu’un seul abonnement et vous partagez les débits. Je pense que les télécoms ne peuvent pas à terme faire 0 % de croissance avec des prix dictés, d’un côté, par le régulateur, et, de l’autre, par les majors de la Silicon Valley. Au demeurant, aux États-Unis, le débat sur ce sujet est très politique en fonction des administrations : les gens du câble sont plutôt républicains et les gens d’internet sont plutôt démocrates…

Vous avez évoqué la boulimie dont je ferais preuve, mais vous constatez que je n’ai pas tellement grossi ! (Sourires.) Je n’ai pas donné suite aux rumeurs diffusées par la presse sur l’opération Time Warner Cable aux États-Unis. Nous n’étions pas prêts. Nous faisons les choses, certes, rapidement et avec ambition, mais de façon conservatrice. Car, je vous l’ai dit, 63 % de l’entreprise sont dans mes mains et, j’espère un jour, dans celles de mes enfants. Je ne vais pas me lancer dans une croissance boulimique au risque d’hypothéquer l’avenir de l’entreprise et donc celle de ma famille.

Les gens qui nous financent sont les mêmes que ceux qui financent la France : ce sont les grands investisseurs. Les montants que l’on nous prête sont calculés au regard de nos résultats des douze derniers mois et de notre évolution au cours des trente-six derniers mois. Vous avez là une entreprise avec une croissance à deux, voire trois chiffres. Je reprends l’image du ménage qui s’endette à hauteur de 60 % pour acheter une maison : ce n’est pas la même chose si papa et maman sont diplômés des meilleures écoles et pleins d’avenir en début de carrière, que lorsque les parents sont beaucoup plus âgés, que l’un est sans emploi et l’autre dans une entreprise en difficulté. Les deux scénarios n’ont rien à voir, et c’est ce que regardent les gens qui nous font confiance. Autrement dit, il ne faut pas regarder notre ratio d’endettement à l’instant T. Sur SFR-Numericable, le Gouvernement m’ayant demandé de ne pas dépasser un certain taux de financement, nous avions volontairement « capé » le financement à 3,7 fois le résultat, ce qui était nettement plus que la moyenne du secteur en France, mais nettement moins que la moyenne du secteur dans le reste du monde. Nous avons donc fait un gros effort, et j’avais d’ailleurs à ce titre procédé à une augmentation de capital de 4,8 milliards d’euros. Nous avons donc ramené 4,8 milliards d’euros dans Numericable, sur le marché français – c’est donc de l’argent capitalisé, et qui reste en France. Quatre mois après avoir pris les affaires en mains, ce ratio de 3,7 est tombé à 2,9. Nous sommes donc redescendus au même niveau d’endettement que nos concurrents, mais nous n’avons pas tout à fait la même trajectoire, ce qui va nous permettre à la fois d’investir et de continuer à réduire notre endettement. Pour autant, l’objectif n’est pas de réduire notre endettement, mais de faire de la croissance. Quand on est focalisé sur la réduction de son endettement, c’est qu’on a un problème de croissance. Si vous êtes en décroissance, votre plus gros problème est votre dette ; si vous êtes en croissance, c’est de savoir quelle va être votre prochaine avenue de croissance – et non pas comment faire pour rembourser votre dette, puisqu’elle se rembourse en cinq ans. Si j’arrête mon développement soi-disant boulimique, dans cinq ans j’aurai zéro dette. Et alors ? Cela serait idiot car je ne ferais pas de croissance pendant cinq ans. Mieux vaut faire de la croissance en gardant le pied près de l’accélérateur et du frein, tout en regardant dans le rétroviseur, c’est-à-dire en conduisant la voiture. Quand j’achète Suddenlink aux États-Unis, je sais ce que je fais ; d’ailleurs, je fais réinvestir le vendeur à hauteur de 30 %, ce qui m’assure un partenariat avec un acteur local parce que je ne peux pas débouler en disant : bonjour, c’est moi le Français… On n’est pas comme ça dans la famille, on arrive modestement, on prend le temps de connaître les gens. Le décret Montebourg existe depuis longtemps aux États-Unis : il faut y aller doucement, apprendre à travailler avec les gens, voir si on est capable d’améliorer les résultats de l’entreprise : c’est mon pari, et je pense que nous allons y arriver, nous avons du temps devant nous. Ainsi, la dette aujourd’hui est relative : une dette 30 milliards avec un potentiel de 7 à 8 milliards de résultat n’est pas pire qu’une dette plus élevée avec un résultat qui n’arrête pas de décroître.

Pour être dans les télécoms depuis vingt-cinq ans, je sais ce qu’est une crise de croissance – j’ai déjà connu trois cycles. C’est pourquoi, lorsque nous émettons de la dette, c’est une dette obligataire à long terme. Pendant dix ans, nous n’avons rien à rembourser, nous ne payons que les intérêts, ce qui dégage des marges de manœuvre – on ne peut pas nous en vouloir de profiter des taux bas. À ceci près que ce gain permis par les taux bas est utilisé pour financer, non pas des déficits, puisque nous gagnons de l’argent, mais de la croissance, c’est-à-dire de l’investissement ou le rachat d’entreprises désireuses de rejoindre un groupe plus grand.

Mme Frédérique Massat. Merci, monsieur Drahi, de cette présentation très imagée et dynamique.

Nous ne sommes pas tous ici des ingénieurs, nous sommes avant tout représentants de nos territoires. Les zones rurales ont le plus grand mal à être irriguées correctement en téléphonie mobile comme en internet. Vous avez beaucoup parlé de Paris, mais je ne doute pas que vous ayez prévu des investissements dans nos zones rurales.

Permettez-moi de revenir sur le malaise social, qui a fait l’objet de plusieurs articles de presse. Quand on vous entend regretter que les salariés ne travaillent pas vingt-quatre heures sur vingt-quatre et n’aient pas que deux semaines de congé, on peut comprendre qu’ils soient inquiets ! Vous deviez présenter un projet social le 21 mai. Qu’en est-il ? L’inquiétude des salariés s’expliquerait par des conditions de travail dégradées. Pouvez-vous nous en dire un peu plus, notamment sur la prime d’intéressement envisagée ?

Enfin, quand nos administrés nous disent qu’ils ne captent rien, c’est qu’ils ne captent rien. Entre le ressenti et la réalité, c’est la réalité qui compte.

M. Antoine Herth. Je voudrais d’abord faire amende honorable auprès de François Brottes : j’avais dit que, contrairement à l’Allemagne où il y a une représentation des entreprises familiales à côté de la porte de Brandebourg à Berlin, la France n’avait pas d’entreprises familiales de ce type. En réalité, M. Drahi a sept points communs avec les entrepreneurs allemands : c’est un patron passionné, il engage son capital, il réinvestit les bénéfices dans le développement de son entreprise, il choisit ses collaborateurs les plus efficaces, il est attentif à la fiabilité du produit qu’il vend, ce qui l’amène à fidéliser les sous-traitants, et il fait aussi du mécénat, notamment dans la presse – les Allemands le font également dans d’autres domaines.

Pour les gens, internet est un service public, alors que nous savons tous que c’est un service commercial. Comment mettre un jour tout le monde d’accord – les collectivités, l’État qui investit dans des schémas numériques ? Vous semblez ne pas y croire. Comment recoller les morceaux, sachant que le consommateur a toujours raison ?

M. Kléber Mesquida. Monsieur Drahi, vous privilégiez d’aller vers le réseau fixe. SFR-Numericable enregistre une perte de 440 000 abonnés dans la téléphonie mobile au premier trimestre 2015. Comptez-vous contribuer à l’aménagement du territoire en continuant à irriguer les zones blanches, aujourd’hui délaissées, notamment les zones rurales, qui pénalisent aussi les usagers en transit, dont certains sont vos clients ?

Dans le cadre du projet France très haut débit, enjeu majeur pour notre territoire, quel sera votre engagement hors zone AMII ? Ce problème intéresse l’ensemble du territoire, au-delà de la zone commercialement très rentable.

M. François Sauvadet. Monsieur Drahi, nous vous avons écouté avec grand intérêt – il est toujours intéressant de recevoir un grand patron.

Vous avez répondu sur l’endettement, mais on lit en permanence que votre aventure financière est source de fragilité : vous voyez trop grand, trop loin, dit-on.

Je comprends votre discours sur la concurrence et votre souhait d’investir dans les zones denses, mais notre problème à nous est très simple : il faut investir non seulement dans les zones denses, mais aussi dans les territoires ruraux. Dans mon département, je suis obligé de mettre 220 millions d’argent public dans l’infrastructure pour faire, non pas du FFTH, mais du « FTT-au milieu du village » qui comporte plusieurs hameaux ! Je vous invite donc à venir investir dans mon département de la Côte-d’Or ! Et je ne vous parle pas de Beaune ou de Dijon, mais du reste. Les choses vont devenir extrêmement compliquées pour les collectivités car elles seront propriétaires d’infrastructures pour lesquelles il faudra trouver des fournisseurs d’accès à internet. Le problème de fond de tous les élus, c’est le déploiement et donc la rupture de la fracture territoriale ! Comment faire pour couvrir un grand pays comme la France ?

Vous dites que vous voulez investir dans la téléphonie mobile. Vos prédécesseurs ont pris des engagements pour le développement de la 3G, notamment grâce aux pylônes dans lesquels nous avons investi. Êtes-vous prêt à faire cet effort très rapidement ?

Mme Marie-Hélène Fabre. Monsieur le président-directeur général, la presse fait état des inquiétudes des financiers et des agences de notation sur la situation financière du groupe Altice. L’agence de notation Moody’s vient de placer la note de votre groupe sous revue pour une éventuelle dégradation. Pouvez-vous nous donner des explications sur cette position ?

M. Jean-Claude Mathis. Monsieur Drahi, je tiens à vous vous remercier de votre présence et des propos réalistes que vous avez tenus.

J’ai cru comprendre que vous étiez pour une croissance raisonnée. Vous avez abandonné les négociations de rachat de Time Warner Cable, car une reprise aurait fait passer votre taux d’endettement de 30 à 70 milliards. J’y vois une décision raisonnable.

M. Yves Blein. Monsieur le président-directeur général, je me fais le porte-parole de ma collègue Mme Éricka Bareigts qui m’a demandé d’attirer votre attention sur l’impact de votre politique industrielle sur son département. La Réunion est l’un des territoires les plus pauvres de notre République, avec un taux de chômage de 30 % et un taux de pauvreté de 42 %. La filiale locale de SFR, SRR, est une entreprise appréciée des consommateurs, ce qui en fait le premier opérateur de l’île, malgré des tarifs en moyenne plus élevés. Elle a su se constituer une réputation de qualité, d’entreprise intégrée dans le tissu social réunionnais dans lequel elle a des activités de mécénat importantes. Grâce à cela, cette entreprise pouvait investir 15 % de son chiffre d’affaires à La Réunion. Vos représentants locaux ont pourtant décidé d’appliquer les mêmes objectifs de réduction des coûts en visant 40 % de baisse chez les fournisseurs et sous-traitants. De ce fait, l’association réunionnaise des professionnels des technologies de l’information et de la communication, l’ARTIC, a mis en garde l’État contre un risque de perte de 200 emplois ; les syndicats de salariés parlent, eux, d’un risque de perte de 400 emplois à La Réunion. Pour compenser ces fermetures et ces licenciements, vos salariés sont mis à contribution. Le 19 mai, 55 % de vos personnels locaux se sont mis en grève, suite à un appel intersyndical, et le représentant du personnel pour la CGT a dénoncé dans la presse une surcharge de travail d’environ 25 %. Dans le même temps, vous allez créer 1 000 emplois dans le pays voisin de Madagascar, dans le cadre de la construction d’un centre d’appel, ce qui aurait un impact supplémentaire de 150 emplois répartis entre Mayotte et La Réunion. Monsieur le président-directeur général, votre engagement pour l’emploi dans votre groupe ne vous dédouane pas de pratiques commerciales en amont. Quels engagements comptez-vous prendre pour l’emploi dans les départements de l’océan Indien ?

M. le président François Brottes. Rappelons que La Réunion, c’est aussi en France, et que notre commission est compétente pour tous les textes concernant les questions économiques de l’outre-mer…

M. Éric Straumann. Monsieur le président-directeur général, je crois savoir que votre aventure de développement externe a démarré en Alsace avec le rachat de la société Est Vidéo-communication en 2002.

Je souhaiterais connaître votre avis sur le contrat d’itinérance entre Free et Orange, dont la fin est programmée en 2017 ou 2018. Plus généralement, quel est votre avis sur la stratégie de Free, notamment en matière de prix ?

M. Philippe Kemel. Monsieur Drahi, vous nous avez expliqué très clairement le modèle économique que vous portez à travers votre passion pour la fibre optique. La région Nord-Pas-de-Calais, dont je suis élu, a un partenariat depuis plusieurs années avec Numericable. J’ai cru comprendre les raisons des difficultés que vous rencontrez dans l’entretien du réseau dans nos territoires : pour dire les choses crûment, vous êtes passé en troisième division. Peut-on espérer que vous remontiez en première division en la matière ?

Ensuite, je voudrais vous interroger sur l’utilité sociale de votre réseau. Quelles pistes de développement peuvent être envisagées pour que, dans les zones fortement câblées, à l’inverse des zones rurales, l’utilisation de votre réseau serve la population mais également, pourquoi pas, la formation professionnelle ?

M. Alain Suguenot. Monsieur le président-directeur général, votre démonstration technique a été assez parlante : nous ne sommes pas tous ingénieurs…

J’ai également été convaincu par votre argumentation sur la croissance. Votre abandon de l’opération Time Warner Cable est-il lié uniquement à des problèmes de financement ou est-il dû également au problème de concurrence qui a conduit Comcast à renoncer également au projet de reprise ?

Votre démonstration sur le très haut débit (THD), domaine où vous êtes leader, nous amène à nous poser une question : Numericable pourrait-il s’investir davantage sur des zones moins rentables sur le plan commercial, mais plus importantes sur le territoire ?

Mme Marie-Lou Marcel. Monsieur Drahi, vous avez évoqué différents rachats par votre groupe – Suddenlink, SFR, Portugal Telecom. Le montant de la dette a été évoqué, et vous en avez expliqué votre approche. Certains acteurs du secteur ont fait part de leur surprise face à cette boulimie d’acquisitions dans un laps de temps aussi restreint.

Quelle stratégie avez-vous mise en œuvre en direction des salariés de votre groupe en France, dont les inquiétudes sont relayées par la presse ?

Selon votre document, l’innovation est au cœur de la stratégie de votre groupe. Pouvez-vous nous apporter quelques détails ?

Enfin, quelles actions menez-vous pour l’accessibilité, plus particulièrement dans nos territoires ruraux, afin d’éviter la fracture territoriale ?

M. Yves Daniel. D’après votre document, votre intervention en Israël représente 5 % de la totalité de vos investissements dans le monde. Je me doute que vous participez à l’équipement des colonies israéliennes dans les territoires palestiniens. Comment analysez-vous votre intervention dans le contexte israélo-palestinien ?

Dernière question : à quoi sert réellement votre fondation ?

M. Patrick Drahi. Madame Massat, mon modèle n’est pas celui des deux semaines de congés payés, ce qui du reste est hors la loi. J’ai seulement dit que dans les pays où l’on travaille tout le temps toute l’année, on avance plus vite que dans les pays où l’on travaille moins. Ce sont les lois de la gravitation…

Pour intéresser nos salariés à la réussite et au développement de l’entreprise, nous travaillons à un accord d’intéressement. Un accord d’intéressement est lié à la croissance de l’entreprise, à sa capacité à générer des résultats. Il était difficile, comprenez-le, de parler d’intéressement quand l’entreprise dévissait de 15 % par an… Nous allons donc mettre en place cet intéressement, en complément de la participation, ce qui va donner lieu à des primes dès l’année prochaine puisque l’entreprise est repartie en croissance. C’est la bonne nouvelle : tout le monde va participer à la création de valeur dans l’entreprise.

La deuxième question a porté sur la participation de l’État et des collectivités locales dans le déploiement de l’internet, qui est un service commercial – les publicités sont surtout sur internet ! À mon avis, ce qui va se passer dans le déploiement du très haut débit sera ce qui s’est passé dans le déploiement du haut débit, du réseau téléphonique français, à des degrés divers d’implication de l’État et des finances publiques. Dans le réseau téléphonique, le retard accumulé dans les années soixante-dix a nécessité des investissements massifs. Du coup, nous avons pris de l’avance dans les années quatre-vingt-dix, mais ensuite, nous nous sommes endormis sur nos lauriers, d’où notre retard sur le très haut débit. Sans aller jusqu’à dire que Zorro est arrivé, nous sommes les seuls à investir massivement dans le très haut débit depuis 2005 : cet investissement nous a permis de rattraper le retard et va nous permettre d’atteindre notre objectif de 12 millions de foyers équipés.

Notre intérêt industriel et commercial au sein de SFR-Numericable est de couvrir l’intégralité du pays, car nous avons des clients partout sur le territoire, et pas seulement à Paris, à Dijon, à Beaune ou à Foix : nous avons aussi des clients dans les banlieues de ces grandes villes, mais aussi en zones rurales. Je pense que les opérateurs, notamment Orange et nous-mêmes, n’auront aucun problème à consentir les investissements privés, y compris dans la zone AMII, grâce aux cash flow de nos entreprises. En revanche, l’implication de la puissance publique est indispensable pour les zones excentrées, car les investissements ne seront rentables que dans trente ou quarante ans. Cette implication de l’État est donc nécessaire pour accélérer les choses, et nous répondrons à tous les appels à candidatures – qui étaient il y a encore trois ou quatre ans des appels pour tirer du DSL et qui sont aujourd’hui des appels pour introduire la fibre jusqu’au centre du village, et même jusqu’aux maisons d’ici à quinze ou vingt ans.

M. François Sauvadet. C’est de l’investissement lourd…

M. Patrick Drahi. Effectivement : c’est pourquoi je disais que le fait que SFR-Numericable soit prête à investir dans 50 % de la zone AMII, et non pas dans 20 %, devrait dégager des moyens supplémentaires chez Orange pour aller tirer sur d’autres zones. Auparavant, l’équation était : une entreprise nationale, un petit investissement de SFR, les collectivités locales. Dorénavant, deux champions nationaux peuvent investir massivement, ce qui permettra d’accélérer les choses, mais il est indispensable d’avoir le soutien des collectivités locales dans des zones…

M. François Sauvadet. Mais si la concurrence est plus vive sur la zone AMII, vous mettrez moins de cash pour investir sur les autres zones !

M. Patrick Drahi. Vous avez raison, mais les moyens dégagés chez SFR ne servent pas – bonne nouvelle – les intérêts de la dette, puisque ceux-ci n’ont pas augmenté. Les intérêts de la dette payés par SFR et Numericable ne sont pas plus élevés qu’il y a deux ans, puisque les taux ont baissé. Qui plus est, nos taux ont été fixés sur dix ans. Par conséquent, nous réalisons des économies que nous réinvestissons dans le réseau. Au premier trimestre, nos investissements ont augmenté de 20 % ; à la fin de l’année, nous les augmenterons de 25 % à 30 %. Si les autres acteurs font la même chose, ne se font pas la guéguerre sur les mêmes communes et redéploient les investissements sur un territoire plus élargi, nous serons tous gagnants. Voilà pourquoi je dis depuis plusieurs semaines qu’il faut sans doute repenser – je ne dis pas renégocier – l’accord signé entre Orange et SFR pour en faire quelque chose de plus grand, de plus ambitieux, qui permettra de couvrir plus loin et plus rapidement grâce au réinvestissement des profits dégagés par les économies réalisées.

Je lis dans la presse que nous demandons au fournisseur de nous faire moins 40 %. Ce n’est pas du tout notre méthode. Du reste, si c’était aussi simple, tout le monde en ferait autant. Jusqu’à présent, le travail était sous-traité par petits morceaux : un peu comme si un médecin n’était responsable que de la cheville jusqu’aux genoux, le suivant du genou à la hanche, la troisième de la hanche jusqu’au cou, etc. Nous demandons tout simplement au sous-traitant d’être responsable de A à Z. En fait, nous lui simplifions son travail, et c’est ce que l’on faisait dans le câble. Pourquoi ? Quand une installation chez le client ne fonctionne pas, qui est responsable ? Celui qui a installé le décodeur, celui qui a fait le raccordement, le gestionnaire de réseau ou l’informaticien ? Le client ne veut pas le savoir ; lui, il veut que cela marche. Alors plutôt que de saucissonner le travail, nous demandons au sous-traitant de faire le travail de A à Z sur la zone. De cette façon, si cela ne marche pas, je saurai à qui parler. En se réorganisant ainsi, le sous-traitant sera beaucoup plus efficace, et il aura beaucoup moins peur de la responsabilité qu’il assume. Par conséquent, il peut faire davantage de volume, et donc réduire ses prix. En réalité, le petit chef d’entreprise de 100, 200, 300 salariés, ne fait pas 40 % de marge : il fait dix à quinze points de marge, c’est bien et nous veillerons toujours à ce qu’il les fasse. Nous n’avons aucun intérêt à faire perdre de l’argent à nos sous-traitants, bien au contraire : il faut qu’ils gagnent de l’argent pour pouvoir se développer avec nous. C’est un changement des méthodes de travail.

Vous avez évoqué les call centers. Téléphonez-vous au call centers en cas de problème technique ? Pas forcément, vous allez sur internet et essayez de vous débrouiller. Faut-il maintenir des bataillons de gens pour l’annuaire téléphonique ? Non. Les gens vont sur Internet, trouvent le numéro en quinze secondes, puis appuient sur leur smartphone pour être mis en communication. Donc, les métiers évoluent. Et les entreprises qui savent évoluer trouvent les économies – ce sont ces économies qui font 30 % ou 40 %. Vous verrez : nous allons déployer beaucoup plus de sites 4G en France que ne l’a jamais fait SFR. Nous n’avons pas baissé le tarif de 40 % ; nous avons passé une commande deux fois supérieure aux prestataires grâce à cette façon différente de travailler, cette responsabilisation complète. C’est cela qui nous permet de dégager des marges de manœuvre – ces mêmes marges de manœuvre dégagées dans le câble pour rendre les entreprises bénéficiaires. Et avec ces bénéfices, nous remboursons nos dettes. Nous essayons, non pas de gagner de l’argent en travaillant comme dans les années quatre-vingt-dix, mais de repenser le modèle, la façon de travailler. Aux États-Unis, les sociétés internet, ce sont des jeunes qui travaillent dans des garages pour développer des projets et qui sont payés avec des bouts de chandelle – c’est l’esprit de l’entreprise 2.0, 3.0, XXIsiècle en tout cas. C’est ainsi que nous travaillons, et nous aimons faire monter les jeunes : je recrute très peu de collaborateurs venant de l’extérieur pour les fonctions de management, j’ai pris les jeunes sur place pour changer l’équipe précédente, qui étaient du reste très heureux de voir partir les gens d’avant, et je leur ai dit : nous allons travailler comme on devrait le faire en 2100, pas comme en 1900 !

Oui, nous voulons couvrir toute la France. Peut-on le faire en deux dans ? Non, cela prendra dix ans. Avons-nous besoin de l’intervention publique. Oui, dans les zones excentrées, parce que nous n’y parviendrons pas tout seuls.

Au surplus, il est indispensable de se développer à l’international. En effet, en revenant de l’étranger, on ramène des idées neuves, pas forcément meilleures, mais différentes. En mélangeant les idées des uns et des autres, on impulse des innovations. Qui a lancé les 100 MHz en France ? C’est Numericable en 2007. Qui a lancé la première expérimentation du giga sur les réseaux câblés dans le monde ? Numericable et Cisco à Paris en 2010. Qui a lancé la box qui intègre tout ? Numericable. C’est cela, l’innovation. Et le start over – ou « restart » –, idée que j’ai ramenée d’Israël ? Je reviens à la maison, le match a déjà commencé. Qu’est-ce que je fais ? Je rembobine. C’est nous qui l’avons lancé en France. Je n’ai rien inventé : en Israël, cela se faisait depuis dix ans…

Israël représente 5 % de mon business, contre 50 % il y a trois ans, mais 0 % il y a cinq ans quand la France représentait 100 % de mon business. Donc, en fonction de l’évolution de notre groupe, tel ou tel pays pèse plus ou moins. Si je vais aux États-Unis, qui représentent 12 % de mon business, c’est parce que nous vivons dans un monde globalisé où mes concurrents font la même chose et que nous avons besoin d’équilibrer le bilan de l’entreprise. L’euro existera-t-il encore dans dix ans ? On n’en est pas sûr à 100 % ; et moi, je ne veux pas mettre mes 35 000 collaborateurs en péril parce qu’on n’aurait plus d’euros en France, au Portugal ou en Belgique. Que se passerait-il sinon ? On serait très mal, toutes les entreprises françaises seraient dans les mains de ceux qui prêtent l’argent. Or vous savez très bien qui prête l’argent…

M. le président François Brottes. Vous estimez qu’il y aura toujours des dollars, en fait.

M. Patrick Drahi. Oui, la probabilité est supérieure. L’euro est une énorme avancée, mais ce n’est pas moi qui décide de l’avenir et je suis obligé de prendre en compte ce risque en couvrant des territoires.

Vous me dites que notre dette s’élève à 30 milliards. Je vous réponds non. Nous avons 11 milliards de dette en France et 7 milliards de dollars de dette aux États-Unis. Si j’ai un problème sur ces 7 milliards aux États-Unis, je n’en ai aucun sur mes 11 milliards de dette en France – et réciproquement –, car, grâce à nos conseils, nous avons su isoler les risques. J’ai pris l’engagement de ne pas trop endetter la structure française : elle est endettée à même hauteur que celle de certains de mes concurrents, et elle est en croissance. Ce que nous faisons à l’étranger, ce n’est pas de la boulimie : c’est de la prévention à long terme face à des éléments extérieurs que je ne maîtrise pas.

Oui, nous allons couvrir les zones blanches, j’en prends l’engagement. Cela prendra du temps, il y aura toujours des zones bien moins couvertes que d’autres. Quand nous avons repris SFR, sa couverture 4G était de 33 % du territoire national, ce qui nous plaçait avant-dernier de la classe, et même dernier de la classe en décembre. Je n’ai pas été habitué à cela dans ma jeunesse. Vous me demandez comment je peux passer de la troisième division à la première division : ce n’est pas mon objectif. Moi, je veux être dans les deux premiers. Et je n’aime pas être deuxième. Nous avons donc investi massivement et notre taux de couverture est passé, en particulier grâce à l’accord de coopération entre notre groupe et Bouygues, de 33 % il y a deux mois à 56 % aujourd’hui – nous avons annoncé 70 % pour la fin de l’année.

M. le président François Brottes. Et c’est un accord solide et durable ?

M. Patrick Drahi. Solide comme du béton, sans vouloir faire de jeux de mots, et entériné par l’Autorité de la concurrence. Nos équipes y travaillent au quotidien dans l’intérêt des deux parties. Certes, nos concurrents seront à 77-78 % à la fin de l’année, mais en début d’année nous étions à 33 % et eux à 70 %. Donc, nous rattrapons notre retard et, d’ici à la fin de l’année prochaine, nous serons encore plus haut.

La maintenance du réseau est fondamentale. Si j’ai perdu quelques clients au premier trimestre, c’est parce que je refuse de brader les prix. Les clients qui font la stratégie de la porte tournante et qui passent d’un opérateur à un autre, je n’en veux plus ! À quoi sert-il de dépenser 200 ou 300 euros pour gagner un client qui restera chez nous un mois parce qu’il fait les soldes ? Les soldes toute l’année, c’est du grand n’importe quoi ! Je préfère perdre quelques clients et gagner de l’argent plutôt que gagner des clients et perdre beaucoup d’argent ! Il ne faut pas se tromper.

M. le président François Brottes. Vous êtes l’anti-Niel, en quelque sorte.

M. Patrick Drahi. Je ne parle pas forcément de tel ou tel ; je respecte les stratégies des entreprises, j’ai la mienne. Nous avons perdu quelques clients sur le mobile au premier trimestre, mais les choses vont déjà mieux au deuxième trimestre et tout sera reparti dans le bon sens d’ici à la fin de l’année. Vous le comprenez : il n’est pas facile d’intégrer 750 magasins en parallèle des 150 magasins Numericable à côté des 70 magasins Virgin – si nous arrivons à intégrer l’ensemble d’ici la fin de l’année, ce sera un exploit, car quatre à cinq ans sont en général nécessaires pour une entreprise de cette taille. Bref, je suis confiant : je n’ai aucun souci sur la partie endettement.

Vous indiquez que Moody’s nous a placés en perspective négative ; mais ce matin, Standard & Poor’s a maintenu son rating. Lorsque j’ai racheté le câble, sa notation n’existait pas tant sa situation était catastrophique. Ainsi, nous sommes passés de CCC (spéculatif) à BB, avant de redescendre un peu, mais nous allons remonter très bientôt. Mais le rating n’est pas un objectif, l’important est ce que vous payez comme intérêts et donc la façon dont vous négociez votre dette.

Nous n’avons pas fait l’opération Time Warner Cable, pas pour des questions d’endettement, pas parce que je n’avais pas le financement : je l’avais. Sans trahir de secret, de très grandes banques françaises étaient avec moi, de très grandes banques américaines aussi, et même de très grandes banques d’autres pays. Ce qui m’inquiétait énormément, ce n’était pas de passer de 30 milliards à 70 milliards de dette, c’était de passer de 35 000 à 120 000 collaborateurs, parce qu’au moment où il fallait prendre la décision je n’avais pas la structure managériale pour assumer une telle responsabilité. Et le mot responsabilité est le mot le plus important pour moi.

Cela me permet de boucler sur la dernière question qui portait sur ma fondation : cette fondation sert à faire face à ma responsabilité. Quand on a la chance de gagner un petit peu d’argent grâce à son travail, on se doit de participer à des activités à but non lucratif pour aider soit la recherche, soit l’enseignement, soit encore ceux qui en ont besoin, dans tous les pays, quelles que soient la religion, la couleur, la tendance politique. C’est l’objet de la fondation. Et c’est une valeur que j’ai à cœur d’inculquer à mes enfants : on n’est pas là seulement pour gagner de l’argent dans l’industrie, on est là aussi pour aider ceux qui ont besoin de l’être. Nous sommes spécialisés dans trois domaines : la recherche scientifique, l’éducation et la santé, d’où la recherche sur le cerveau. Un tel projet rassemble des chercheurs en France, en Suisse, au Portugal, en Israël, qui travaillent indépendamment des problèmes politiques.

M. le président François Brottes. Monsieur Drahi, merci de vous être livré à cet exercice franc et sincère. La langue de bois n’est pas votre spécialité et ces échanges nous ont beaucoup intéressés.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 27 mai 2015 à 9 h 30

Présents. – M. Damien Abad, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. François Brottes, M. Dino Cinieri,
M. Jean-Michel Couve, M. Yves Daniel, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Franck Gilard, M. Georges Ginesta, M. Daniel Goldberg, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Yannick Moreau, M. Germinal Peiro, Mme Josette Pons, M. Dominique Potier, M. François Pupponi, M. Franck Reynier, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy,
M. Jean-Marie Tetart, Mme Clotilde Valter

Excusés. – M. Marcel Bonnot, M. Jean-Claude Bouchet, M. Joël Giraud, M. Henri Jibrayel, M. Thierry Lazaro, M. Jean-Pierre Le Roch, M. Philippe Armand Martin, M. Hervé Pellois, M. Bernard Reynès, M. Frédéric Roig

Assistait également à la réunion. – M. Philippe Doucet