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Commission des affaires économiques

Mercredi 10 juin 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 64

Présidence de M. François Brottes, Président

– Audition de M. Philippe Varin, président du conseil d’administration d’Areva

La commission des affaires économiques a entendu M. Philippe Varin, président du conseil d’administration d’Areva.

M. le président François Brottes. Je souhaite la bienvenue à M. Varin, que nous avons déjà auditionné lorsqu’il portait d’autres casquettes ; au reste il en porte encore deux, celle de président du conseil d’administration d’Areva et celle de membre du conseil d’administration d’EDF – sans doute nous expliquera-t-il comment il gère cette situation.

Il y a quelques semaines, monsieur Varin, vous m’aviez promis de lever le voile sur les perspectives d’Areva une fois intervenue la décision des pouvoirs publics sur le rapprochement avec EDF, dont l’État est le principal actionnaire. Nous avons eu l’impression, avec la révélation du déficit abyssal d’Areva, de découvrir ce qui était caché sous le tapis car nous avions plusieurs fois entendu les responsables du groupe. La question des perspectives et de la stratégie se pose de façon d’autant plus cruciale que des milliers de salariés s’interrogent sur leur avenir. Cette audition étant publique, je ne doute pas, d’ailleurs, que bon nombre d’entre eux, comme des fournisseurs d’Areva, la suivront.

M. Philippe Varin, président du conseil d’administration d’Areva. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m’avoir invité en tant que président du conseil d’administration d’Areva. Face à la crise qu’affronte le groupe, le Président de la République a adopté, le 3 juin dernier, une position importante, qui engage les acteurs de la filière nucléaire française à de profondes évolutions. Cet arbitrage était attendu et nécessaire. Pour ce qui me concerne, j’ai découvert, à mon arrivée chez Areva, une situation grave – à vrai dire plus grave que celle à laquelle je m’attendais.

Les raisons de cette crise sont aujourd’hui connues ; Philippe Knoche vous les a exposées ici même il y a quelques semaines. Elles tiennent d’abord à des problèmes de gestion : une maîtrise insuffisante des grands contrats et des grands projets, en premier lieu l’EPR finlandais dont l’impact est majeur sur les comptes du groupe ; des choix d’investissements malencontreux, notamment dans la mine ou dans les énergies renouvelables ; enfin, une adaptation, que l’on peut qualifier de trop lente, de l’organisation et des ressources humaines au bouleversement du marché nucléaire suite à l’accident de Fukushima.

À ces problèmes de gestion s’est ajouté un manque de cohérence dans les stratégies d’EDF et d’Areva, notamment dans deux domaines : les approvisionnements en matières nucléaires et les grands projets à l’international – parmi lesquels celui d’Abu Dhabi, que tout le monde a en tête. De plus, nous avons enregistré en 2014 une forte baisse des prix de l’uranium et des matières du cycle nucléaire en général, et avons constaté le glissement du redémarrage des réacteurs japonais et d’un certain nombre de projets à l’international.

Face à cette crise aigüe de gestion et de compétitivité, qui s’est traduite assez massivement dans les comptes de l’exercice 2014, ma première décision a été de demander à Philippe Knoche d’élaborer un plan de compétitivité – afin d’ajuster nos ressources à la réalité du marché – et de maîtrise des grands projets.

Ce plan à court terme doit stopper l’hémorragie de cash. Il vise également à approfondir les enjeux industriels auxquels la filière nucléaire dans son ensemble est confrontée. À l’heure des décisions, il ne faut pas perdre de vue ces grands enjeux communs à EDF et à Areva, car ils sont l’horizon de notre travail. Il s’agit, pour la filière, de développer une gamme de réacteurs compétitive, c’est-à-dire d’améliorer la compétitivité de l’EPR et de développer la gamme de moyenne puissance. Dans le contexte de la transition énergétique en France, nous devons aussi réussir le grand carénage et nous préparer au renouvellement du parc – nous en saurons plus, à ce sujet, sur la programmation pluriannuelle et sur les objectifs d’ici à la fin de l’année. Enfin, il nous faut conclure un partenariat stratégique avec la Chine, marché au cœur de tous les scénarios de croissance puisque ce pays construira, d’après les estimations, cinq réacteurs par an d’ici à 2030 : cela représente 50 à 60 % de la croissance du parc mondial.

Dans ce cadre, la direction générale d’Areva a présenté, en mars dernier, les grands axes d’une feuille de route stratégique reposant essentiellement sur une refondation du partenariat avec EDF et le développement du partenariat avec la Chine, ainsi que les axes d’un plan de compétitivité. Depuis, nous avons travaillé aux options de financement qui permettront de désendetter le groupe et de le relancer sur des bases saines. Pour ce faire, nous avons examiné un certain nombre de scénarios à l’aune de trois critères : leur sens industriel au regard des objectifs que j’évoquais, les risques d’exécution et le bouclage des besoins de financement d’Areva.

Un jalon essentiel a été posé le 3 juin dernier puisque, sur la base des travaux des industriels et des ministères concernés, le Président de la République a tranché et fixé un cap. Je résumerai les éléments essentiels de sa décision. Le groupe EDF prendra le contrôle d’une nouvelle société dédiée à la conception et à la gestion des projets de réacteurs neufs ; il prendra également le contrôle des activités de service, d’équipements et de combustible pour les réacteurs, logées dans Areva NP – ex-Framatome –, et ce sous réserve de la conclusion d’un partenariat stratégique avec Areva, qui restera minoritaire dans Areva NP pour se recentrer sur les activités du cycle du combustible – soit sur ce qui relevait, pour l’essentiel, des activités de la Compagnie générale des matières atomiques, la COGEMA. L’État s’engage par ailleurs à recapitaliser Areva à la hauteur nécessaire le moment venu, et des garanties ont été apportées sur la qualité du dialogue social, la gestion de l’emploi et la préservation des compétences clés de la filière.

Il y a un temps pour les réflexions et un temps pour la mise en œuvre des décisions. Durant les trois derniers mois, toutes les options ont été étudiées et chacun a pu exprimer son point de vue. À titre personnel, j’ai soumis aux représentants de l’État un scénario différent, sur un seul point, de celui adopté le 3 juin : afin d’assurer l’indispensable cohésion entre les stratégies d’EDF et d’Areva dans le domaine des réacteurs, j’ai en effet proposé de faire d’EDF un actionnaire minoritaire et stratégique d’Areva NP, plutôt que de placer le second sous le contrôle majoritaire du premier. Ce scénario, qui permettait de faire d’Areva un équipementier et fournisseur de matières avait l’avantage, selon moi, de présenter moins de risques d’exécution car il préservait, pour l’essentiel, l’intégrité de la société. Le Gouvernement a tranché en faveur d’un contrôle majoritaire d’Areva NP par EDF, sous réserve du partenariat stratégique que j’évoquais.

Compte tenu de l’urgence, il fallait prendre une décision. Je comprends les attendus de celle qu’a prise l’État ; elle modifiera profondément l’organisation de la filière nucléaire française. Ce changement de logique doit être salutaire. De la comparaison des scénarios, il faut désormais passer à la co-construction d’un partenariat stratégique global entre EDF et Areva, avec le soutien de l’État. Nous n’avons en effet qu’un mois de levée de réserve pour mettre en œuvre les décisions, qui impliquent donc un changement dans la dynamique des relations entre les deux groupes.

Ma responsabilité de président du conseil d’administration est de travailler, au côté de Philippe Knoche, à l’élaboration d’un modèle économique robuste pour le nouvel Areva. J’assume cette responsabilité devant l’actionnaire, bien entendu, mais aussi devant les salariés du groupe et les parties prenantes, dont certaines sont présentes dans cette salle.

Je vois trois conditions au succès, au-delà du plan de compétitivité qu’Areva doit mettre en œuvre, l’effort que l’entreprise doit faire sur elle-même étant essentiel. Un plan et un accord de méthode font l’objet d’une discussion avec les représentants du personnel. L’État doit continuer à apporter son soutien à ce plan. La première condition du succès est la conduite d’une négociation équitable avec EDF sur la valorisation d’Areva NP ; à ce sujet, la proposition d’EDF doit être revue. La deuxième condition est l’ouverture d’une négociation elle aussi équitable sur les contrats relatifs au retraitement – je pense bien entendu au centre de La Hague, dont EDF est client à plus de 90 % – et à la conversion, pour laquelle Areva a lancé un investissement coûteux, avec l’usine de Comurhex, dont le coût atteint 1,3 milliard d’euros ; cette usine étant actuellement en surcapacité, EDF doit nous apporter davantage de volume d’activité. Troisième condition : le partage équitable du risque du chantier finlandais. Cette épée de Damoclès, qui pèse depuis longtemps sur le groupe, peut en effet compromettre les scénarios d’avenir.

Pour qu’Areva soit viable une fois recentré sur le cycle du combustible, il faut donc que le plan de compétitivité soit rapidement lancé, que les trois conditions que je viens d’évoquer soient réunies et que l’État participe, comme il s’y est engagé, à l’augmentation de capital. Nous avons un mois pour atteindre l’objectif ; l’État a envoyé un message de confiance en annonçant une recapitalisation d’Areva au niveau nécessaire. Il appartient désormais à Areva, à EDF et à l’État de relever collectivement le défi posé par le Président de la République ; cela suppose un changement radical du niveau de coopération entre EDF et Areva.

En tant que président du conseil d’administration, je dois garantir l’intérêt social d’Areva et assurer la meilleure gouvernance en cette période cruciale. J’ai ainsi décidé la création, au sein du conseil d’Areva, d’un comité ad hoc – comme le président du conseil d’administration d’EDF l’avait fait dans le cadre de son offre –, composé de trois administrateurs indépendants et de l’administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Il formulera des recommandations appropriées sur la valorisation d’Areva NP, sur le partenariat stratégique avec EDF et sur les termes des contrats commerciaux.

Le nouvel Areva pourra alors se doter d’un projet de reconquête et nourrir de solides ambitions, car il dispose d’atouts indiscutables, dont on parle trop peu. Dans tous les métiers du cycle nucléaire – mines, amont et aval –, il dispose ainsi d’un leadership technologique unique au monde et d’usines admirées par l’ensemble de l’industrie nucléaire. Aucun autre pays ne dispose d’un tel capital industriel, ne l’oublions pas.

Par ailleurs, le capital humain du groupe s’appuie sur les meilleurs ingénieurs et techniciens français – d’où la nécessité de mener rapidement les réformes en cours pour les conserver. Les représentants du personnel montrent également un grand sens des responsabilités dans le cadre du dialogue social. Enfin, le management et les salariés ont fait preuve d’un grand professionnalisme : il faut saluer leur capacité de résilience face à des renoncements difficiles.

C’est parce que le nucléaire apporte beaucoup à la France que la France a besoin d’une industrie nucléaire forte et relancée sur des bases assainies. Le nucléaire est un facteur de compétitivité, d’indépendance stratégique et de lutte contre le changement climatique ; il reste une filière d’avenir en France comme à l’international. Cette filière regroupe 450 entreprises en France, lesquelles emploient directement 125 000 personnes, et contribue chaque année à notre balance commerciale à hauteur de 6 milliards d’euros. Pour toutes ces raisons, Areva mérite qu’on lui donne un nouveau départ.

M. le président François Brottes. Merci pour cet exposé dense, court et précis.

Je donne la parole aux porte-parole des groupes, pour une première série de questions.

M. Daniel Fasquelle. Nous sommes inquiets et, pour tout dire, consternés après avoir découvert la situation de cette belle entreprise qu’est Areva. Comment en est-on arrivé là ? Comment le Gouvernement, qui disposait d’informations que nous n’avions pas, n’a-t-il pas pu prendre la mesure de cette situation ? Pourquoi n’a-t-il pas anticipé depuis trois ans ? (Exclamations sur les sièges du groupe SRC.) Conjuguée à la vente d’Alstom au groupe General Electric (GE), la situation a de quoi nous inquiéter sur l’avenir de la filière nucléaire française et sur la volonté du Gouvernement de la défendre.

De surcroît, on ne cesse d’envoyer des messages négatifs, avec le projet de loi sur la transition énergétique ou avec ces déclarations réitérées selon lesquelles le nucléaire appartient au passé : comment voulez-vous, dès lors, que les entreprises françaises vendent des centrales à l’étranger ? Comment le Gouvernement peut-il proposer le nucléaire au reste du monde tout en le critiquant pour la France ?

Quel est l’avenir de l’EPR ? Le rapport dont celui de Flamanville a fait l’objet de la part de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), en avril, est une mauvaise nouvelle : pouvez-vous faire le point sur le sujet ? EDF, d’ailleurs, a régulièrement critiqué l’EPR dans la vision qu’en propose Areva, en soulignant qu’il est d’abord un réacteur de constructeur. On évoque un nouveau modèle d’EPR, sous l’impulsion d’EDF : pouvez-vous nous en dire plus ? Ce nouveau modèle pourrait-il être une solution, dans la mesure où le chantier de l’EPR est aussi à l’origine des difficultés d’Areva ?

Quid de l’ouverture du capital d’Areva à des actionnaires étrangers ?

Quel sera le périmètre final d’Areva, sachant qu’un programme de cession – dont sont exclus les réacteurs – doit être précisé d’ici au mois de juillet ?

Quelle est la position de la Commission européenne, qui a déclenché une enquête sur Alstom au regard des règles de la concurrence, alors que l’opération, nous avait-on dit, ne devait poser aucun problème de ce point de vue ? La recapitalisation d’Areva, à laquelle l’État doit contribuer, soulève bien entendu des questions par rapport à ces règles. Avez-vous pris des contacts avec la Commission ?

Enfin, quelles pourraient être les conséquences, pour EDF, de l’absorption d’une partie de la dette d’Areva, y compris sur ses tarifs ? Les Français n’auront-ils pas à payer, in fine, le prix de l’absence de décision ou des mauvais signaux envoyés depuis quelques années ?

M. le président François Brottes. Au cours de la précédente législature nous avons souvent évoqué Areva au sein de cette commission, M. Fasquelle s’en souvient sans doute : les questions que l’on pose aujourd’hui n’étaient alors pas posées… Je m’étais notamment ému de la vente d’une filiale qui, à l’époque, engrangeait beaucoup de bénéfices. Mais nous n’allons pas réécrire l’histoire…

Mme Clotilde Valter. Nous sommes dans une commission parlementaire, pas dans un meeting électoral. (Protestations sur les sièges du groupe Les Républicains.) Nous avons donc à jouer notre rôle de parlementaire, monsieur Fasquelle.

M. Lucien Degauchy. On n’est pas à l’école maternelle !

M. le président François Brottes. Mes chers collègues je vous prie d’écouter l’orateur : je donnerai la parole à ceux qui souhaitent la prendre.

Mme Clotilde Valter. Nous avons, disais-je, à jouer notre rôle de parlementaires, d’autant que nous parlons d’un dossier important pour notre pays et pour sa filière nucléaire. La mission de contrôle du Parlement, au reste, s’impose à tous : qu’a fait, de ce point de vue, l’actuelle opposition pendant les dix ans où elle était aux affaires ? Les questions qu’elle pose aujourd’hui pouvaient être posées hier et même avant-hier.

L’État, on le sait, a parfois tendance à confondre les rôles et les genres. Pour préparer l’avenir, il importe donc, à un moment comme celui-ci, de porter un regard lucide sur le passé. L’État actionnaire a d’abord à défendre l’intérêt social de l’entreprise ; à ce titre il est directement concerné par les problèmes de gestion dont vous avez parlé.

Il en va de même pour la maîtrise des grands projets, que Denis Baupin avait évoquée dans le cadre d’une commission d’enquête relative aux coûts de la filière nucléaire, s’agissant notamment des coûts d’un projet comme l’EPR : l’État actionnaire, en ce domaine, ne doit-il pas assurer un suivi rigoureux ?

En tant que puissance publique dépositaire des intérêts de la nation, l’État défend aussi des choix stratégiques qui dépassent les entreprises elles-mêmes. On a parlé, par exemple, d’un modèle français d’organisation de la filière nucléaire, qui s’est construit en plusieurs étapes. Quel bilan peut-on en tirer ? La situation actuelle n’invite-t-elle pas à s’interroger sur le modèle le plus adéquat pour préparer l’avenir ? Comment envisager les enjeux de politique industrielle et les perspectives à l’étranger, au vu de l’expérience des dernières années et des difficultés d’organisation de notre filière nucléaire ?

Enfin, qu’en est-il de la transition énergétique pour Areva et de son investissement dans les énergies renouvelables ?

M. Denis Baupin. La situation d’Areva nous préoccupe tous car elle est un sujet pour l’industrie, l’emploi et la sûreté ; il se pose de façon d’autant plus cruciale que l’État est très majoritairement actionnaire du groupe. Commet en est-on arrivé là ? Pourquoi les signaux d’alerte n’ont-ils pas été déclenchés plus tôt ?

Les Écologistes ont une appréciation différente du modèle d’affaires du nucléaire. Le président Oursel, lors de son audition devant la commission d’enquête relative aux coûts de la filière nucléaire, n’avait d’ailleurs pas caché que ce modèle connaît une érosion, notamment depuis l’accident de Fukushima. Selon nous, Areva – comme une bonne partie de la classe politique française – a toujours surestimé les potentialités de l’électricité nucléaire, dont la part ne cesse de décroître dans le monde alors que celle des énergies renouvelables, elle, est en plein essor. Les propos des responsables de l’entreprise nous laissent à penser que le mythe persiste.

Areva a, en tout cas, un rôle à jouer dans l’avenir du nucléaire, s’agissant notamment du rythme auquel notre pays peut en sortir. En amont comme en aval – par exemple avec le retraitement des déchets –, Areva dispose de compétences qu’il faut maintenir ; pour autant, il doit se diversifier, notamment dans les énergies renouvelables. Comment, d’ailleurs, l’entreprise a-t-elle pu perdre de l’argent aussi dans ce secteur, qui se développe partout dans le monde ?

Le risque d’entraîner EDF dans la chute n’a évidemment pas de quoi nous réjouir. Des agences de notation ont d’ailleurs annoncé que, si l’opération envisagée devait aboutir, le groupe EDF serait dégradé.

Les négociations entre Areva et EDF, avez-vous déclaré, doivent être plus équitables et le niveau de coopération être revu de façon radicale : cela en dit long sur les possibles désaccords quant à l’évaluation par EDF de votre activité « réacteurs », qu’elle chiffre à 2 milliards d’euros alors que vous la chiffrez vous-même à 3,5 milliards. Cet écart tient-il à une évaluation différente du carnet de commandes, estimé à 46 milliards lorsque les premières annonces ont été faites ? Ce chiffre est-il toujours valable ?

Le groupe Engie, dont vous n’avez pas parlé, s’est déclaré intéressé par l’activité de maintenance des réacteurs : qu’en pensez-vous, sachant que ce groupe est un partenaire historique d’Areva, notamment pour l’ATMEA ?

La France, avez-vous dit, possède des installations uniques au monde ; mais, par là même, elle est sans doute la plus vulnérable en matière de sûreté. À cet égard la mise en conformité de bâtiments à La Hague serait, d’après l’ASN, difficile voire impossible compte tenu de leur vieillissement. Quelles garanties pouvez-vous nous apporter sur ce point, notamment sur le fait que la sûreté ne sera pas une variable d’ajustement des plans de restructuration d’Areva, sachant que le maintien en activité de La Hague nécessite des investissements lourds ? L’ASN a notamment appelé l’attention, dans son dernier rapport annuel, sur le risque de saturation des piscines.

Semaine après semaine, nous découvrons dans la presse de nouvelles défaillances dans le chantier de l’EPR. Dans un rapport publié il y a deux jours, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) « estime que la technologie de fabrication retenue pour les calottes de cuve du réacteur Flamanville est en régression technique par rapport à celle utilisée pour le parc en exploitation ». Voilà qui a de quoi étonner, pour un réacteur dont on nous disait qu’il constitue une évolution technologique décisive ! Le jugement de l’IRSN explique-t-il en partie les problèmes constatés sur l’EPR ? A-t-on vu trop grand, sans prendre en compte toutes les exigences de sécurité ?

Enfin, puisque l’on nous annonce un nouveau modèle d’EPR, qu’en est-il du chantier de Hinkley Point, au Royaume-Uni ? Y construira-t-on deux réacteurs « ancien modèle » en dépit des problèmes qu’ils posent ? Ne faudrait-il pas proposer aux Britanniques, sous réserve qu’ils en soient d’accord, un EPR nouveau modèle (NM) ?

M. André Chassaigne. Nous sommes visiblement face à une opération de sauvetage décidée dans l’urgence ; je me concentrerai donc sur les effets des choix qui ont été faits. On a parlé de 6 000 suppressions d’emploi, dont 3 000 à 4 000 en France : qu’en est-il exactement, et quelle est la teneur du dialogue avec les organisations syndicales ?

Quelle est par ailleurs votre vision d’avenir ? Un rapprochement entre EDF et Areva ne répond pas aux questions qui se posent pour d’autres acteurs du nucléaire, tels le CEA, Vallourec, Alstom – racheté par GE – et la chaîne des PME-PMI. Quel est le devenir de cette filière au regard de la restructuration en cours ? La création d’une société dédiée à l’ingénierie et à la conception ne risque-t-elle pas de poser des problèmes pour la mise en œuvre d’une politique industrielle ?

On a évoqué l’ouverture du capital à des électriciens chinois : quel niveau cette recapitalisation atteindrait-elle ? N’aurait-elle pas des conséquences sur la maîtrise publique de l’industrie nucléaire, maîtrise qui représente aujourd’hui quelque 80 % du capital ? D’après la rumeur, la grande forge du Creusot pourrait être vendue à Mitsubishi : qu’en est-il ?

Le nucléaire constitue le cœur de métier d’Areva ; vous y avez insisté, notamment après l’échec des tentatives de diversification, par exemple dans les mines. Quid de la recherche sur des technologies autres que le nucléaire, qu’il s’agisse de l’hydrogène, des hydroliennes, de l’énergie marémotrice, des accumulateurs ou du stockage d’énergie ? Ces orientations stratégiques seront-elles prises en compte dans votre projet industriel ?

Mme Jeanine Dubié. Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir organisé cette audition à un moment stratégique pour l’avenir de l’entreprise, comme je remercie M. Varin des précisions qu’il nous a données.

L’annonce de la suppression de 6 000 emplois en mai dernier ne nous a pas étonnés, car la gravité du ton employé par le directeur général, auditionné le 24 mars, ne nous laissait guère d’espoir. Ce sont 3 000 à 4 000 emplois qui devraient être supprimés en France, avez-vous indiqué, soit près de 15 % des effectifs dans notre pays. Une phase de négociation avec les syndicats a été annoncée, qui doit permettre de structurer le dialogue social sur la gestion des emplois et des compétences entre 2015 et 2017. Cette concertation est-elle engagée ? Envisagez-vous de fermer des usines et, dans l’affirmative, avez-vous mesuré l’impact d’une telle décision sur les bassins d’emploi ?

Engie et Veolia se sont déclarés intéressés par une entrée au capital d’Areva, le premier pour les activités de maintenance, le second pour les activités de démantèlement. Est-il toujours question d’une entrée au capital d’investisseurs chinois ? Où en êtes-vous des discussions et quelle est votre position sur le sujet ?

M. le président François Brottes. Nous parlons, mes chers collègues, d’un sujet d’une extrême gravité, qui doit nous interpeller sur les capacités de contrôle du Parlement et de l’État en général s’agissant des entreprises publiques. L’ensemble des décisions aujourd’hui mises en causes ont été prises au cours des treize dernières années. Je souhaite donc que nous prenions la mesure de cette gravité : les débats politiciens intéressent peu les salariés du groupe et ses fournisseurs. Comment en est-on arrivé là sans que nous ne nous apercevions de rien ? L’État prend aujourd’hui les choses en main, ce qui est bien le moins, mais des interrogations demeurent sur ses capacités de contrôle. M. Baupin n’est certes pas le principal promoteur de la filière nucléaire mais ses questions, même un peu rugueuses, ont le mérite d’interroger la stratégie.

M. Philippe Varin. Je regrouperai les questions par thèmes.

On m’a en premier lieu interrogé sur l’EPR. Le monde, monsieur Fasquelle, a besoin de réacteurs dans la tranche de 1 500 à 1 700 mégawatts, qui intéresse les pays dotés d’une clientèle fournie et, bien entendu, de réseaux de transport suffisants. Je n’ai donc pas de doutes au regard des besoins futurs, y compris en France. Le vrai sujet, dès lors, est la compétitivité de l’EPR, dont la sûreté n’est au demeurant pas mise en doute, en tout cas au niveau de sa conception. M. Baupin a d’ailleurs posé une question sur les EPR NM pour Hinkley Point. Une équipe commune à EDF et Areva travaille actuellement, sur un plateau de la tour Areva, à la conception d’un EPR NM ; pour le chantier Hinkley Point, dans la gamme des réacteurs actuels, il nous faudra tirer les enseignements des expériences d’Olkiluoto 3 en Finlande, de Flamanville et de Taishan. Si la feuille de route est claire, l’enjeu ne doit pas être sous-estimé : la réduction des coûts doit être significative, car il y va de la compétitivité du nucléaire par rapport au charbon et au gaz – dont le coût augmentera inévitablement –, mais aussi par rapport aux énergies renouvelables, en particulier le photovoltaïque, dont le coût va diminuant. Cette dernière source d’énergie aura donc une place importante dans le bon mix énergétique, étant entendu que la place du nucléaire à long terme dépendra également de sa capacité à diminuer ses coûts.

L’ASN a pointé une anomalie dans le fond de cuve de l’EPR de Flamanville ; le plan d’essais sera redéfini avec elle cet été. Les équipes sont raisonnablement confiantes sur l’issue des tests, mais il faut bien entendu en attendre les résultats. Plus récemment l’IRSN a fait une observation, dans le cadre de sa revue des soupapes de sécurité, sur la cuve du même EPR ; mais ce commentaire relève du processus normal d’examen.

L’ATMEA, réacteur 1 000 mégawatts développé avec Mitsubishi, a vocation à rejoindre la société dédiée à l’ingénierie, monsieur Baupin ; il est en cours d’expérimentation en Turquie. L’ingénierie générique détaillée est prête ; reste à élaborer l’ingénierie spécifique à chaque projet. Le transfert dans la société dédiée n’aura aucun impact sur le partenariat avec Mitsubishi – sur ce point, le message est partagé avec le président-directeur général d’EDF.

J’en viens à la valorisation d’Areva NP. Aucun changement n’est intervenu sur le carnet de commandes, monsieur Baupin : les vues ne divergent donc pas sur ce point, même si l’appréciation de la marge peut être différente. M. Lévy dit que son offre est attractive, mais je n’ai jamais vu un acheteur dire l’inverse ; il ajoute qu’elle correspond au prix du marché, mais cela relève, là encore, de la tautologie puisqu’EDF est l’acheteur unique. Il est donc normal que les points de vue diffèrent. Notre proposition s’appuie sur une anticipation de la valeur économique d’Areva NP, sur la valeur de quarante ans de savoir-faire et, bien entendu, sur les flux de trésorerie futurs. Le comité had hoc du conseil d’administration d’Areva a notamment pour mission d’apprécier le niveau de valorisation acceptable.

Le dossier sera bien entendu suivi à Bruxelles, Monsieur Fasquelle, puisqu’il porte sur une concentration – en l’occurrence l’intégration verticale d’un équipementier dans un ensemblier. Les premiers contacts ont été pris par l’Agence des participations de l’État (APE), mais nous n’en sommes qu’à la phase préliminaire. Il faut néanmoins tenir compte de ce processus dans le calendrier général de l’opération, dont la conclusion devrait intervenir au second semestre de 2016. La transition sera donc assez longue, même si les éléments clés seront définis cet été.

S’agissant du périmètre d’Areva NP, nous indiquerons les actifs périphériques qui seront cédés lors de la présentation de nos résultats le 31 juillet prochain. Le transfert vers EDF pourra alors intervenir, le groupe Areva conservant l’ensemble des activités du cycle, soit le périmètre de l’ex-COGEMA, en plus de sa participation minoritaire au sein d’Areva NP.

L’État, aux termes du communiqué du 3 juin, viendra recapitaliser la société, monsieur Fasquelle, monsieur Chassaigne. Des investisseurs tiers, en plus d’EDF et d’Areva, pourront aussi entrer au capital d’Areva NP : on peut imaginer qu’ils soient aussi étrangers, même si je ne puis en dire davantage à ce stade. Cela serait au demeurant une bonne nouvelle pour conforter l’activité et les débouchés de cette filiale. En règle générale, le fait qu’un ensemblier s’intègre au capital de son équipementier n’est pas une bonne nouvelle pour le carnet de commandes de ce dernier, puisque cela réduit le champ de la concurrence ; dans le cas d’espèce, une solution peut être trouvée par l’entrée d’investisseurs tiers, potentiellement électriciens. Ces investisseurs pourront aussi être étrangers : aucune décision n’est encore prise à ce sujet.

Engie, ex GDF-Suez, est intéressé par certaines activités d’Areva ; cependant nous nous concentrerons, dans les mois qui viennent, sur le rapprochement avec EDF : nous examinerons les autres opérations envisageables une fois le paysage éclairci.

Mme Valter m’a interrogé sur l’État dans son double rôle d’actionnaire et de stratège. Pendant longtemps, la gouvernance d’Areva a été composée d’un conseil de surveillance et d’un directoire, lequel assurait la gestion exécutive de l’entreprise. Dans les faits, l’État entérine généralement les décisions du management ; mais il s’est rendu compte que cette organisation ne lui permettait pas de suivre les opérations de près ; d’où la création, le 8 janvier dernier, d’un conseil d’administration que je préside, Philippe Knoche assurant de son côté la direction générale. Les contacts et les interactions ne sont évidemment pas les mêmes dans un conseil d’administration à un seul niveau que dans l’ancienne structure à deux niveaux.

Je ne suis pas un adepte des « modèles ». Mon expérience de trente-six ans dans l’industrie me conduit à penser que les bonnes solutions sont à chercher dans différents modèles, non dans un seul. La définition d’un sens industriel suppose des responsabilités claires entre l’ensemblier et l’équipementier, en l’espèce EDF et Areva – lequel se subdivisera demain entre Areva NP et la nouvelle société. Si l’équipementier empiète sur les compétences de l’ensemblier, le résultat, prévisible, est celui que l’on a pu observer en Finlande. À cet égard, la décision du 3 juin clarifie les rôles de chacun.

Une filière suppose aussi un alignement entre les acteurs. La filière automobile, que j’ai bien connue, se structure entre les ensembliers – les constructeurs – et les équipementiers, qui se portent au demeurant fort bien – je rêve qu’Areva soit le Valeo du nucléaire… Des dispositions ont été prises le 3 juin pour assurer cet alignement.

À terme, la santé de la filière nucléaire française passe aussi par une vision internationale. Si EDF se charge de la conception et de la commercialisation des réacteurs, il devra se montrer agressif à l’extérieur de nos frontières.

S’agissant de l’impact de l’opération sur EDF, il revient à M. Lévy de vous répondre.

La sûreté reste un objectif absolument prioritaire : le groupe continuera donc à investir en ce domaine, à hauteur de près de 200 millions d’euros par an.

Quant au dialogue social, j’ai constaté, en arrivant à la tête du groupe, qu’il est de bonne qualité. Je vous confirme en tout état de cause, monsieur Chassaigne, que de 3 000 à 4 000 emplois en France sont en jeu, et de 5 000 à 6 000 au niveau mondial. La direction générale et les représentants du personnel ont conclu, de façon très professionnelle, un accord de méthode sur les conditions de mise en œuvre des procédures du livre 2 puis du livre 1. Les dispositions de cet accord s’appliqueront à l’ensemble des sociétés, et ce jusqu’à la fin du mois de juillet, après quoi les procédures seront déclenchées, entre septembre et octobre.

M. le président François Brottes. Beaucoup d’entreprises, dont certaines sont des fournisseurs uniques, s’inquiètent bien entendu de l’avenir d’Areva.

Mme Frédérique Massat. Sous cette mandature comme sous la précédente, nous avons auditionné à plusieurs reprises les responsables d’Areva et d’EDF. Les échanges, par commissions interposées, entre ces deux leaders ont parfois été musclés, puisque l’on parlait alors de « guerre froide » entre eux. Quoi qu’il en soit nous n’étions pas non plus au courant des problèmes d’Areva, depuis révélés au grand jour. Cela pose bien entendu la question du contrôle parlementaire.

La question de l’adaptation à l’après-Fukushima a-t-elle été posée par Areva ?

Une coopération avec la Chine ne serait pas nouvelle : le site de Taishan en témoigne, même s’il ne s’agit pas d’une entrée au capital. Les Chinois sont « incontournables », auriez-vous déclaré : dans quelle mesure le sont-ils ? Quelle est la position de la France dans le rapport de force de la négociation ?

Une participation minoritaire d’EDF au capital présenterait, avez-vous déclaré, « moins de risques d’exécution » : pourriez-vous expliciter ce point ?

M. Guillaume Chevrollier. La situation d’Areva, dont l’État détient plus de 85 % du capital, vient d’éclater au grand jour, et l’on parle de plus de 7 milliards de pertes. Cela dit le constat ne suffit pas : il faut aussi chercher les responsables, car il est intolérable de voir ce groupe de 45 000 collaborateurs, fleuron de notre industrie, tomber aussi bas. Comment en est-on arrivé là ? Comment éviter la répétition d’un tel fiasco ? Il faut trouver et faire connaître les raisons qui ont conduit à cette situation dramatique dans un secteur stratégique, que la vision du général de Gaulle avait fait émerger. Qui assumera les responsabilités ? Quel est l’impact de cette crise à l’international, notamment dans les pays émergents et demandeurs de nucléaire ?

M. Yves Blein. Quelles sont les incidences des pertes sur le bilan consolidé de la société en 2014 ? Quel est le montant des provisions et des fonds propres ? Tous les risques sont-ils couverts ? Doit-on attendre d’autres mauvaises nouvelles ?

Par ailleurs, quel est le volume du chiffre d’affaires estimé d’Areva dans son futur périmètre ? Peut-on évaluer ses besoins en matière de recapitalisation ?

S’agissant de la valorisation d’Areva NP, dispose-t-on d’une évaluation indépendante, donc autre que celle d’EDF ?

De quels moyens de reporting disposez-vous en tant que représentant du principal actionnaire ? Comment se traduit la position de l’État actionnaire dans la relation avec le management de l’entreprise ? Qui valide les choix et les orientations ? Comment ont été prises les décisions d’investissements, dont vous avez dit qu’elles étaient peut-être hasardeuses ?

Mme Sophie Rohfritsch. Des erreurs de gestion, avez-vous suggéré, ont été commises par les directions antérieures et par l’État ; je me réjouis donc de la création d’un comité ad hoc et, surtout, de voir les équipes d’EDF et d’Areva travailler ensemble.

Des questions restent néanmoins en suspens. Si EDF s’engage, cela aura nécessairement un impact sur les tarifs de l’électricité, car il faudra bien financer les coûts de reprise, y compris pour l’EPR finlandais.

Quid de l’arbitrage international dont ce dernier fait l’objet ? C’est en effet au terme du jugement que nous connaîtrons le coût de la dépréciation.

Enfin, il faudra bien effacer l’image de la grande braderie d’Areva aujourd’hui servie au public. Quels sont les éventuels dangers du démantèlement de cette entreprise, dont je me félicite de vous avoir entendu rappeler les qualités ?

Mme Delphine Batho. Le premier problème qui se pose tient à l’exercice de la tutelle de l’État, et ce sous tous les gouvernements. S’agissant d’Areva, des alertes précoces ont été balayées du revers de la main : les salariés de l’entreprise font aujourd’hui les frais de cet aveuglement.

La situation actuelle est liée à des causes conjoncturelles mais aussi structurelles, qui n’ont pas été suffisamment prises en compte. Je pense d’abord à l’évolution du marché nucléaire mondial après Fukushima, au renchérissement des investissements liés à la sûreté et à l’obstination stratégique dans l’EPR, alors qu’un retard a été pris dans la gamme de réacteurs de moyenne puissance, laquelle correspond mieux à la demande mondiale. Bref, il faut aller au bout de l’analyse sur ces difficultés structurelles, comme sur la filière de retraitement et sur le MOX, le « mélange d’oxydes ».

Je veux souligner l’importance de votre deuxième point, qui a trait au renouvellement de notre parc nucléaire avalisé par le Président de la République le 3 juin dernier. Cette décision, qui représente un tournant important au regard des engagements de la majorité, n’a encore jamais été débattue.

Je m’inquiète par ailleurs des conséquences du montage pour EDF, dont l’équation économique est déjà délicate compte tenu, notamment, de la lourdeur des investissements auxquels il doit faire face. Mes inquiétudes concernent également, bien sûr, les conséquences d’une augmentation des tarifs de l’électricité pour les consommateurs, ainsi que les conséquences, pour l’État, d’une cession d’actifs d’EDF – au sein duquel la part du capital privé se trouverait dès lors augmentée – qui serait nécessitée par l’opération.

Enfin, s’il existe évidemment des perspectives industrielles en Chine, l’ouverture du capital aux investisseurs de ce pays doit être mûrement réfléchie : le renouvellement, avec la Chine, du scénario que l’on a connu avec Alstom soulèverait des questions pour notre souveraineté énergétique et industrielle.

M. Michel Sordi. Nous sommes nombreux à croire au nucléaire et à son avenir : je ne voudrais pas, monsieur Varin, que vous perdiez le moral après avoir écouté M. Baupin…

On peut critiquer la position de l’actionnaire principal, qui n’a pas su mettre de l’ordre dans la discorde entre Areva et EDF, laquelle fut préjudiciable pour le groupe que vous présidez.

Il y a dix-huit mois, l’État a recapitalisé l’industrie automobile ; je ne comprends pas l’intérêt, non pas financier mais stratégique, de saucissonner Areva, premier opérateur mondial dans le nucléaire.

Enfin, ne craignez-vous pas que le renflouement envisagé ne charge trop la barque d’EDF ? Ne risque-t-il pas de perturber le calendrier du grand carénage ?

Mme Marie-Hélène Fabre. Ma question portera sur l’activité de conversion, dont nous avons déjà eu l’occasion de parler. Un changement devrait intervenir, avez-vous dit, dans la coopération entre EDF et Areva, le plan de charge proposé ne dépassant pas les 3 000 tonnes. EDF s’est par ailleurs engagé, depuis et pour plusieurs années, auprès de fournisseurs étrangers en Russie et au Canada. Areva a consenti des efforts pour l’usine de Comurhex, en décidant une dépréciation d’actifs. L’activité de ces unités sera-t-elle maintenue, alors que la négociation est en cours entre EDF et ses fournisseurs étrangers ? Y aura-t-il un impact sur les emplois ?

M. Jean-Claude Mathis. Merci, monsieur le président Varin, d’avoir répondu à notre invitation en cette période de crise. M. Sapin, ministre de l’économie, a affirmé dimanche dernier que l’État, pour recapitaliser Areva, dégagera des moyens financiers par la vente de participations dans d’autres entreprises, sans autre précision. Il n’a pas non plus donné de chiffres sur le montant de la participation envisagée au sein d’Areva : quel en serait, à vos yeux, le niveau raisonnable ?

Parmi les premières mesures du plan de compétitivité figure la suppression de plusieurs milliers d’emplois. Que comptez-vous faire pour permettre aux salariés visés de retrouver rapidement un emploi ?

Enfin, pensez-vous disposer de tous les moyens utiles pour redresser la barre ?

M. Philippe Varin. Là encore, je regrouperai les questions par thèmes.

M. Blein, Mme Rohfritsch et M. Mathis m’ont interrogé sur la situation financière. Sur les 4,6 milliards de pertes au titre de l’exercice 2014, environ 4,4 milliards correspondent à des écritures exceptionnelles, dont 2,6 milliards en pertes de valeur. Ce dernier chiffre résulte d’une estimation de la valeur comptable de nos actifs rapportée aux projections d’activité, estimation qui nous a conduits à baisser cette valeur pour l’aligner sur les cash flows futurs. Sur ces 2,6 milliards, on compte au demeurant presque 1 milliard d’impôts différés actifs. En somme, le groupe a dépensé 2,6 milliards dans le passé : ce chiffre ne correspond évidemment pas à des dépenses à venir.

Les provisions, elles, sont constituées en vue de débours futurs : 700 millions de perte à terminaison sur l’EPR finlandais, 200 millions sur les énergies renouvelables, 400 millions de provisions pour risques et des provisions de fin de cycle. Pour me résumer, 40 % des 4,4 milliards de pertes correspondent à des débours futurs. La question qui se pose est donc celle du financement. Les analystes ont estimé à 6 ou 7 milliards d’euros les besoins de liquidités du groupe. En fait, nous avons indiqué publiquement que le cash flow négatif serait compris, en 2015, entre 1,3 et 1,7 milliard d’euros, hors dépenses de restructuration, le retour à un cash flow positif ne devant intervenir qu’en 2018. De plus, le groupe doit rembourser les porteurs d’obligations à hauteur de 2 milliards en 2016 et 2017. Au final, les chiffres ne sont donc pas très éloignés de ceux parus dans la presse.

Ces trous de trésorerie devront être financés grâce à plusieurs blocs, à commencer par les efforts que la société fera sur elle-même à travers le plan de performance – qui, au départ, requiert d’ailleurs des dépenses, de sorte que le solde net ne sera pas considérable – et des désinvestissements périphériques. Le deuxième bloc est constitué par ce qu’EDF mettra sur la table pour Areva NP, le troisième par l’augmentation de capital et le quatrième par des opérations relatives aux nouvelles obligations.

Dans la mesure où je ne connais pas les autres termes de l’équation, monsieur Mathis, je ne puis répondre à votre question sur le niveau souhaitable de recapitalisation. L’État, aux termes du communiqué du 3 juin, mettra néanmoins ce qu’il faut.

Le chiffre d’affaires du futur Areva représentera environ 60 % de celui du groupe actuel. Quant à la valorisation d’Areva NP, je ne puis anticiper les conclusions du comité ad hoc.

Autre sujet d’ordre financier : le risque afférent à la procédure arbitrale pour l’EPR finlandais. Les sommes réclamées par le consortium Areva-Siemens au client Teollisuuden Voima (TVO), société finlandaise, se montent à 3,5 milliards d’euros. Le consortium, lui, se voit réclamer 2,3 milliards par le même TVO. La procédure se poursuit selon le calendrier fixé par le tribunal arbitral. Une sentence partielle doit être prononcée, mais nous ne savons pas quand ; elle livrera aux parties l’opinion des arbitres sur certains aspects importants du litige. La sentence définitive, elle, peut prendre plusieurs années : nous ignorons quand elle interviendra, mais la société reste confiante sur ses capacités à démontrer que les retards du chantier ne sont, pour l’essentiel, pas de son fait.

Avec la Chine, Madame Massat, nous élaborons une feuille de route pour des opérations industrielles. Les projets Taishan 1 et 2 doivent bien entendu être menés à bien, et China national nuclear corporation (CNNC) et China general nuclear power corporation (CGN) s’associeront probablement au projet Hinkley Point, établissant ainsi un lien capitalistique avec EDF. Quant à Areva, il possède huit coentreprises en Chine, dont deux gagnent de l’argent. Des contrats sur l’aval sont également en cours de négociation avec les partenaires chinois. Leurs modalités ne sont pas encore définies sur le plan commercial, mais commencent à l’être sur l’aspect technique. Nous avons d’autres discussions aussi, notamment dans le domaine de la conversion. Taishan 3 et 4 seront envisagés à plus long terme, car les Chinois n’ont pas pris de décision à ce sujet ; ils le feront probablement si Taishan 1 et 2 rencontrent le succès. En tout état de cause, l’option chinoise n’est pas à exclure dans les opérations de capitalisation d’Areva NP ou du groupe.

L’adaptation à l’après Fukushima, madame Massat, est l’un des objets du plan de performance. Cet accident a d’abord rendu nécessaire des opérations de sûreté sur certains réacteurs, et imposé de nouvelles normes d’exploitation pour les réacteurs EPR ; enfin il a eu des conséquences sur le volume d’exploitation – d’où la nécessité d’ajuster nos effectifs aux nouvelles réalités du marché.

Comment en est-on arrivé là et quels enseignements tirer de la situation ? Celle-ci, monsieur Chevrollier, résulte de problèmes de gestion et de décisions malencontreuses. Toute décision est prise dans un contexte précis, sur la base de la meilleure analyse possible. Il appartient ensuite aux organes de gouvernance de se prononcer. La structure actuelle, composée d’un conseil d’administration et d’une direction générale, me paraît être la bonne ; depuis le début de l’année, le comité stratégique du conseil d’administration s’est réuni cinq fois ; cela représente un « challenge » utile pour la direction générale, d’autant que les échanges se déroulent dans un esprit constructif. La qualité du dialogue social est aussi un facteur important, les représentants du personnel étant à même de relayer la réalité du terrain, que l’on a tout intérêt à prendre en compte.

C’est à M. Lévy, madame Batho, qu’il appartient d’évoquer les conséquences de l’opération pour EDF. D’autre part, il faut en effet réfléchir avant de s’engager avec la Chine ; aussi n’y a-t-il aucune précipitation à ce sujet, comme vous le constatez. Toute opération financière vient en support d’un projet industriel ; c’est pourquoi des partenariats industriels bien établis doivent la précéder. Il convient aussi d’avoir une vision à l’échelle mondiale, afin de vérifier l’alignement des planètes sur les intérêts respectifs des parties prenantes.

L’équipe de France du nucléaire, madame Rohfritsch, jouit d’une bien meilleure image à l’étranger qu’en France. Tout doit être fait pour préserver et valoriser cette image, bien entendu. Plutôt que le terme de « démantèlement », qui suggère que les entités ne sont pas coordonnées, je préfère celui de « coopération », qui implique que chacun participe à l’œuvre commune tout en jouant sa partition. Cela suppose un recentrage des activités d’Areva, nous en sommes conscients, mas la partie est jouable.

M. le président François Brottes. Je vous aurais volontiers demandé votre sentiment sur le partenariat avec les Chinois chez Peugeot, mais j’ignore si vous pouvez me répondre… (Sourires.)

M. Philippe Varin. Il faut interroger les représentants de l’État actionnaire… (Sourires.)

M. le président François Brottes. Aussi je ne vous demande pas votre avis, sauf si vous insistez pour le donner… (Sourires.)

M. Dino Cinieri. Votre introduction, monsieur Varin, était bien digne d’un chef d’entreprise : après avoir dressé un bilan, vous avez esquissé les perspectives. Je fais miens les propos de M. Fasquelle et de Mme Massat : nous ne sommes pas ici pour incriminer tel ou tel Gouvernement, mais pour défendre l’intérêt général. Comment accepter, de ce point de vue, que vous ayez trouvé une situation aussi délabrée à votre entrée en fonction ? Problèmes de gestion, manque de cohérence, organisation trop lente, maîtrise insuffisante des marchés, baisse de compétitivité : comment a-t-on pu laisser passer tout cela, surtout en considérant que l’État détient 85 % du capital ? Comment a-t-on pu laisser le déficit se creuser jusqu’à 7 milliards d’euros ?

Vous proposez néanmoins un plan. Sans doute faut-il développer une nouvelle gamme de réacteurs, renouveler le parc existant et conclure un partenariat avec les Chinois, acteurs incontournables ; cependant, avez-vous les moyens de votre politique ? Quel en sera l’actionnaire principal ? L’État français restera-t-il majoritaire, si les cartes sont redistribuées ?

Mme Jacqueline Maquet. L’EPR finlandais a sept ans de retard et fait l’objet de pénalités non plafonnées ; celui de Flamanville présente une « anomalie sérieuse », selon l’ASN. Or EDF, qui investit déjà dans deux autres EPR au Royaume-Uni et dans le grand carénage en France, refuse d’assumer les risques pour les deux EPR en construction. Comment, dès lors, partager ces risques et les coûts ?

Enfin, dans le secteur du démantèlement, des inquiétudes plus vives encore se sont exprimées sur les sites du Tricastin et de Marcoule.

M. Philippe Armand Martin. Je souhaitais vous interroger sur l’engagement de l’État dans la recapitalisation, mais vous n’avez pu répondre à M. Mathis sur ce point. Je me limiterai donc à la sécurité. Depuis plusieurs semaines des drones survolent des installations d’Areva. Ces actes, dont les auteurs ne sont toujours pas connus, mettent en évidence une certaine vulnérabilité des installations, notamment les piscines et les transformateurs ; les élus locaux, comme le président de l’ASN, ont récemment fait part de leurs inquiétudes à ce sujet. Le ministère de la défense, lors d’épisodes précédents, avait mis en œuvre des dispositifs visant à renforcer la sécurité des sites, en particulier celui de la Hague. Le renforcement des mesures vous semble-t-il avoir été suffisamment efficace ?

M. Philippe Baumel. Les quelques milliers de licenciements envisagés dans le cadre du plan de compétitivité suscitent l’inquiétude des salariés, notamment quant à la préservation des savoir-faire dans plusieurs métiers de pointe. Le problème s’est malheureusement posé au cours des années précédentes avec des départs à la retraite anticipés, les successeurs n’ayant pas tous été formés de manière efficiente ; à tel point que certaines commandes, comme celles de générateurs de vapeur, ont dû être confiées à des partenaires étrangers. Qu’envisagez-vous en termes de formation pour éviter ce genre de situation ?

Sur les partenariats financiers on a beaucoup parlé de la Chine, ce qui est logique au vu de la taille de son marché ; existe-t-il cependant des pistes françaises ? On peut par exemple penser à la Caisse des dépôts, voire à de grandes collectivités, qui avaient participé à la recapitalisation de la Compagnie nationale du Rhône (CNR).

Comment apprécier l’évolution du marché international ? Le Japon, par exemple, aura à décider de l’éventuelle remise en activité de certains réacteurs. Cela serait-il de nature à créer rapidement un contexte plus favorable pour Areva ?

Enfin, je fais mienne la question de M. Chassaigne sur les rumeurs de rachat, par Mitsubishi, de la grande forge du Creusot, récemment inaugurée par le Premier ministre.

M. Alain Suguenot. Je m’associe à la question sur la grande forge du Creusot. Il y a quatorze ans, l’équipe de France du nucléaire, qui réunissait EDF, Framatome et la COGEMA, était au sommet, avec cinquante-huit réacteurs réalisés en vingt ans, avant que certaines décisions politiques ne changent la donne. L’EPR était alors considéré comme la panacée.

Nul ne remet en cause l’excellence technique d’Areva, mais je m’étonne de la faiblesse du substrat juridique : on a fait preuve de naïveté avec les contrats de l’EPR en ignorant la question des délais de livraison et des pénalités de retard. Nous subissons aujourd’hui les conséquences de ces erreurs.

Le réacteur Jules Horowitz (RJH) est un peu dans la même situation, puisque l’on parle d’une réalisation en 2019 seulement, alors qu’elle aurait dû commencer depuis deux ans. D’où viennent ces nouveaux retards ? Je crains que ce dossier ne ternisse lui aussi l’image d’Areva.

M. Patrice Prat. Merci de nous avoir exposé les enjeux du groupe et les problèmes auxquels il est confronté.

Dans ce contexte, votre présence au conseil d’administration d’EDF constitue-t-elle un atout ou une difficulté ? A-t-elle une utilité pour Areva et pour la filière ? Cette situation a-t-elle vocation à perdurer ?

J’émettrai quelques réserves sur la qualité du dialogue social : si je salue l’intérêt que vous lui portez, je constate également une certaine démobilisation des salariés. On peut notamment craindre une fuite des compétences et, à moyen et long terme, une perte de savoir-faire. Quelles actions entendez-vous mettre en œuvre pour faire renaître la flamme chez les salariés, qui se sentent aujourd’hui désemparés, voire malmenés après la publication de certains niveaux de rémunération et de primes ? Cela alimente chez eux un sentiment d’injustice et de stigmatisation.

J’aimerais aussi avoir des garanties sur la préservation des compétences-clés de la filière. Quelles garanties pouvez-vous nous donner, par exemple, sur la sûreté des installations et sur les activités du cycle du combustible ? Le resserrement du périmètre d’Areva peut en effet avoir des conséquences sur le maintien de certains personnels in situ.

Le flou qui entoure l’avenir du groupe a déjà des effets sur nos territoires, la sous-traitance ayant ralenti ses prévisions de recrutement et de formation. Cette situation ne laisse évidemment pas de nous inquiéter. Y a-t-il un plan de substitution et, le cas échéant, quels en seraient les contours pour les sous-traitants ?

Je conclus sur la stratégie industrielle et ses conséquences pour nos bassins de vie et d’emploi. Je prends acte du transfert de l’activité réacteurs à EDF, mais ne se prive-t-on pas, ce faisant, de ressources financières essentielles au maintien à un haut niveau de l’activité du cycle du combustible ? Quel sort sera réservé, à un horizon de trois ou quatre ans, au site de Melox à Bagnols-sur-Cèze, dans la communauté du Gard rhodanien ?

M. le président François Brottes. Quid du mox, du projet de centre industriel de stockage géologique (Cigéo) et du stockage en subsurface ? Tout n’est pas stabilisé sur ces questions d’aval de cycle.

M. Jean-Luc Laurent. Tout n’est pas stabilisé, en effet.

La lecture du plan de restructuration et votre audition de ce matin me laissent très mitigé. Les salariés et les sous-traitants expriment de vives inquiétudes sur l’avenir de cette filière d’excellence qu’est le nucléaire : en ces temps de disette industrielle, cela doit évidemment retenir notre vigilante attention.

Flamanville et l’avenir du Creusot sont eux aussi des sujets de grande inquiétude. Quand et dans quelles conditions ces deux chantiers seront-ils réalisés ?

Quel est, au regard de la restructuration, l’avenir de l’EPR, avant qu’une nouvelle génération de réacteurs ne prenne le relais ?

Je m’interroge également sur la solidité de la restructuration au regard du double impératif de la préservation de notre industrie et de notre indépendance énergétique. La recapitalisation sera-t-elle suffisante ? Pourquoi abandonner des activités rentables, comme la maintenance ? Comment voyez-vous l’avenir de la filière avec un Areva ainsi amputé ?

Mme Marie-Lou Marcel. Les salariés craignent que le groupe, hors activité réacteurs, ne soit vendu à la découpe. De 3 000 à 4 000 emplois sont apparemment menacés en France ; le coordinateur de la CGT au sein d’Areva, Pascal Evariste, évoque un partage entre les Chinois, les Qatariens et Engie, avec, in fine, la perspective d’un nucléaire low cost. Pourriez-vous nous éclairer sur l’avenir des sites concernés par l’activité réacteurs et sur votre politique de ressources humaines ?

M. Denis Baupin. Je remercie le président Varin de ne pas faire sienne l’idée, véhiculée sur certains médias, selon laquelle les difficultés de l’EPR seraient le fait des commentaires de l’ASN.

L’évocation d’un partenariat avec la Chine peut prêter à sourire au regard des discours sur l’indépendance nationale entendus pendant des décennies ; surtout, on qualifie ce pays d’« incontournable » alors que seulement 2 % de son électricité est d’origine nucléaire : preuve que, pour être incontournable, nul n’est besoin de maintenir cette part à 78 %...

Je m’étonne que vous n’ayez pas répondu à ma question, comme à celle de M. Chassaigne, sur les possibilités de diversification dans les secteurs d’avenir, tels que les énergies renouvelables et le stockage. Le CEA, principal actionnaire d’Areva, conduit en ces matières de nombreuses recherches auxquelles Areva pourrait offrir un débouché industriel.

M. Daniel Fasquelle. Je veux revenir sur la mise en cause dont j’ai fait l’objet. On peut, je l’espère, critiquer la politique du Gouvernement actuel sans se voir reprocher de tenir des propos de tribune. Nous ne faisons, ce me semble, que jouer notre rôle de députés de l’opposition. Je me suis borné à demander comment on en est arrivé là : M. Baupin et d’autres collègues ont utilisé exactement les mêmes termes sans que cela suscite de réaction de votre part.

M. le président François Brottes. Avez-vous une question à poser ?

M. Daniel Fasquelle. J’aimerais savoir comment on en est arrivé là. Nous prenons notre part de responsabilité : que la majorité, qui est aux commandes depuis trois ans, prenne la sienne. Depuis trois ans, vous avez fait certains choix dans le domaine de l’énergie : souffrez que nous les critiquions. Vous n’avez pas, madame Valter, à juger du sérieux de mes questions (Mme Clotilde Valter se lève et quitte la salle) : M. Varin y a d’ailleurs répondu aussi bien qu’aux autres.

Je veux néanmoins revenir, comme l’a fait M. Baupin, sur le périmètre futur d’Areva. Quelle est la nature exacte des cessions annoncées pour le mois de juillet ? Areva entend-il diversifier ses activités, comme l’a suggéré M. Baupin ?

M. le président François Brottes. Si j’ai bien compris, l’analyse de la valorisation d’Areva NP prendra un mois : nous entendrons M. Lévy une fois l’accord conclu.

M. Philippe Varin. Le Président de la République a effectivement demandé que cet accord intervienne d’ici au 3 juillet.

L’État restera l’actionnaire principal, monsieur Cinieri.

La mise en œuvre du plan de performance, une valorisation équitable d’Areva NP et une recapitalisation de l’État significative nous donneront les moyens de notre politique à court terme. Structurellement, sous réserve des éléments que j’indiquais tout à l’heure, le nouvel Areva bénéficiera d’une rentabilité lui permettant d’être un acteur sur la scène mondiale.

Aujourd’hui, monsieur Baumel, aucune option n’est exclue s’agissant des investisseurs, qu’ils soient étranger ou français : c’est tout ce que je puis dire à ce stade.

Quant à Olkiluoto 3, monsieur Suguenot, le contrat a été signé clés en main, pour un prix de l’ordre de 2 milliards d’euros ; aujourd’hui, plus de 4 milliards de provisions ont été injectés. Il y avait donc de sérieuses lacunes en matière de revue des grands contrats et de gestion des projets. Nous nous efforçons d’y remédier.

Le RJH est un autre contrat difficile, auquel ont été alloué des provisions. Il s’agit d’un réacteur de recherche, sur lequel Areva a dû se prémunir contre d’éventuelles dérives ; d’où l’accord conclu avec le CEA pour plafonner nos risques. Sur le fond du projet, il appartient à l’administrateur général du CEA de se prononcer, étant entendu que le passé récent a montré l’existence de risques significatifs.

Le démantèlement, madame Maquet, est une activité partagée avec EDF, dont la participation atteint 25 %. Cette activité est amenée à se développer à l’avenir : Areva doit y être impliqué sur la base de son cœur de compétences, sans assumer de tâches que d’autres assureront plus efficacement, comme les tâches de main-d’œuvre.

La préservation des savoir-faire, monsieur Baumel, est un enjeu critique pour notre industrie de temps long, où les compétences s’acquièrent aussi avec la pratique. L’absence de grands projets récents en France est, dans ces conditions, un sujet de préoccupation. Les départs en retraite et en pré-retraite contribueront bien entendu, dans des proportions importantes, aux 3 000 à 4 000 suppressions de poste. Le groupe est à même, par son dispositif de gestion de l’emploi et des compétences, de faire l’inventaire des compétences associées aux départs à la retraite, de façon à en assurer le renouvellement. Les dispositifs de pré-retraite pourraient d’ailleurs inclure une obligation, pour les séniors concernés, de transmettre leur savoir-faire. Ce point fait partie de l’accord de méthode en cours de discussion.

Quant au risque de stigmatisation et de fuite des compétences, monsieur Prat, le remède est dans l’action : une dynamique vertueuse, soutenue par des discours positifs, pourra s’installer une fois que nous serons entrés dans la période de mise en œuvre ; c’est en tout cas ce que m’a enseigné mon expérience d’autres opérations de redressement. Le passage du signing au closing avec EDF prendra encore près d’un an, mais si les salariés sont fixés sur les perspectives d’ici à cet été, le moral des troupes s’en ressentira positivement.

Le nucléaire est une filière importante pour la sous-traitance en France : en termes d’emplois, les ordres de grandeur sont comparables à ceux de l’aéronautique. La compétitivité est donc essentielle : Areva doit y prendre sa part, mais les sous-traitants aussi, dans le cadre d’une relation transparente et pérenne : le comité exécutif se penche actuellement sur le sujet, de façon que le volet « achats » du plan de performance s’inscrive dans cet esprit de partage des informations et des objectifs. Mon expérience dans le secteur de l’automobile montre que ce partage, fondé sur une relation pérenne et stratégique, peut profiter aux sous-traitants eux-mêmes. Le développement d’Areva est à l’international : c’est sur la base d’une relation solide qu’il pourra en être de même pour les sous-traitants. Un certain nombre d’entre eux, d’ailleurs, sont d’ores et déjà installés à Taishan, en Chine.

Les services du ministère de la défense, monsieur Martin, sont apparemment satisfaits du dispositif de sécurité, que je ne suis pas à même de juger en tant que tel. Aucun survol de drones n’est en tout cas intervenu depuis plusieurs mois.

Le mox, interface entre l’amont et l’aval de la filière, constituera un sujet important de l’accord de partenariat stratégique entre EDF et Areva, monsieur le président Brottes. Quant à Cigéo, son budget prévisionnel, qui prend en compte la vision des industriels, atteint des niveaux assez astronomiques. La consultation suit en tout cas son cours ; nous reviendrons sur le sujet dans le cadre de la future loi en 2016. D’ici là, nous en discuterons une fois la situation clarifiée.

Areva a consacré beaucoup d’investissements aux énergies renouvelables, monsieur Baupin, monsieur Fasquelle, qu’il s’agisse de l’éolien offshore, du solaire par concentration ou de la biomasse. Les technologies n’ont pas toujours été les bonnes, non plus que la taille critique des projets – même s’il est toujours plus facile de le dire après. Évitons cependant la dispersion. Areva s’est recentré sur l’éolien offshore avec Adwen et Gamesa ; pour le reste, nous cherchons plutôt des désengagements et des partenariats. L’heure, pour la société, n’est pas à la dispersion.

Les rumeurs concernant Le Creusot n’ont pas de substance, pas plus avec Mitsubishi qu’avec un autre acteur. La seule question ouverte est celle des partenaires tiers d’Areva NP.

L’État m’a nommé au conseil d’administration d’EDF et à la tête du conseil d’administration d’Areva dans l’optique d’utiliser tous les moyens susceptibles d’assurer la cohérence de la filière. Jusqu’à une date récente, cette situation ne posait aucun problème du point de vue de la gouvernance. Aujourd’hui, le conflit d’intérêts potentiel est géré de la façon suivante : dès lors que le conseil d’administration d’EDF évoque le dossier Areva, je quitte la salle. La présidence d’Areva est ma priorité, et je prendrai bien entendu toute les dispositions pour éviter tout conflit d’intérêts.

M. le président François Brottes. Quelles sont les perspectives de reprise de l’activité nucléaire au Japon ? Nous avons quelques préoccupations au sujet de La Hague.

M. Philippe Varin. L’objectif du Japon est de remonter la part du nucléaire dans son mix à 20 % ; en pratique, deux réacteurs devraient redémarrer d’ici au mois d’août. Ces décisions, toutefois, se heurteront à des recours judiciaires ; si bien que nous tablons sur le redémarrage de huit à dix réacteurs d’ici à la fin de 2016.

M. le président François Brottes. Observe-t-on un frémissement aux États-Unis ?

M. Philippe Varin. Non, aucun.

M. Patrice Prat. Vous avez omis ma question sur l’usine Melox à Marcoule. Areva disposera-t-il des ressources nécessaires, à un horizon de trois à quatre ans, pour maintenir ce site à un haut niveau ? S’agissant du cycle du combustible, pouvez-vous nous rassurer sur les perspectives commerciales au Japon et dans d’autres pays ?

M. Philippe Varin. Je ne suis pas sûr de pouvoir vous rassurer, mais je vais m’efforcer de vous répondre.

Le site de Melox doit s’adapter à la baisse de la charge telle qu’elle est définie dans le plan de performance. Quant aux contrats de l’aval avec le Japon et d’autres pays, l’âge d’or de la COGEMA est derrière nous : les potentialités d’augmentation des capacités de La Hague resteront assez faibles pendant quelques années – mais pendant quelques années seulement. Un certain nombre de pays, qui arrivent au bout du cycle ouvert, commencent à s’interroger : on peut donc nourrir quelques espoirs. Des perspectives existent aussi avec la Chine, mais la situation restera difficile dans les trois ans qui viennent ; d’où l’importance du contrat commercial avec EDF.

M. le président François Brottes. Monsieur le président, je vous remercie. Nous inviterons le président Lévy une fois conclu l’accord avec EDF.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 10 juin 2015 à 9 heures 30

Présents. – Mme Brigitte Allain, Mme Delphine Batho, M. Denis Baupin, M. Thierry Benoit, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Jean-Claude Bouchet, M. François Brottes, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, M. Jean-Michel Couve, M. Yves Daniel, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Jeanine Dubié, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Franck Gilard, M. Georges Ginesta, M. Joël Giraud, M. Daniel Goldberg, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Henri Jibrayel, M. Philippe Kemel, M. Jean-Luc Laurent, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Yannick Moreau, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, Mme Josette Pons, M. Dominique Potier, M. Patrice Prat, M. François Pupponi, M. Franck Reynier, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Jean-Marie Tetart, Mme Clotilde Valter

Excusés. – M. Damien Abad, M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, M. Marcel Bonnot, Mme Corinne Erhel, Mme Anne Grommerch, M. Antoine Herth, Mme Laure de La Raudière, M. Philippe Le Ray, M. Serge Letchimy, M. Bernard Reynès, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin, M. Fabrice Verdier

Assistaient également à la réunion. – M. Philippe Baumel, M. Guillaume Chevrollier, Mme Sophie Rohfritsch, M. François Vannson, M. Jean-Pierre Vigier