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Commission des affaires économiques

Mercredi 8 juillet 2015

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 72

Présidence de M. François Brottes, Président, puis de Mme Frédérique Massat, Vice-présidente

– Table ronde sur la situation concurrentielle et l’évolution des prix dans le secteur agro-alimentaire, réunissant M. Philippe Chalmin, président de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, M. Francis Amand, Médiateur des relations commerciales agricoles, et Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale de l’Autorité de la concurrence

La Commission des affaires économiques a organisé une table ronde sur la situation concurrentielle et l’évolution des prix dans le secteur agro-alimentaire, réunissant M. Philippe Chalmin, président de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, M. Francis Amand, Médiateur des relations commerciales agricoles, et Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale de l’Autorité de la concurrence.

M. le président François Brottes. Notre audition débute alors que se tient dans l’hémicycle un grand débat sur l’avenir de l’Europe. Mais l’avenir de l’agriculture en Europe est aussi un sujet majeur.

Je remercie M. Philippe Chalmin, président de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, M. Francis Amand, médiateur des relations commerciales agricoles, Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale de l’Autorité de la concurrence et Mme Annick Le Loch, membre permanente de notre commission qui vient d’être nommée présidente de l’examen des pratiques commerciales, de s’être mobilisés dans un délai de quarante-huit heures pour venir s’exprimer sur un sujet malheureusement d’actualité. Les éleveurs se plaignent de ne pas pouvoir être rétribués à la hauteur du minimum de leurs coûts de production, sachant qu’ils sont soumis à des contraintes sanitaires notamment.

Notre commission est au cœur des questions relatives à l’élaboration des prix. Il faut bien dire que lors de la loi de modernisation agricole nous avons un peu tout cassé. Nous avons dû nous y prendre à deux reprises pour corriger le tir en matière de constitution des prix. La dernière disposition en date visait à intégrer dans une renégociation entre les distributeurs et les producteurs l’évolution du coût des matières premières. Nous avons été également victimes, si je puis dire, du dumping social des pays voisins, notamment de l’Allemagne en ce qui concerne les abattoirs. Mais depuis que l’Allemagne a mis en place un salaire minimum, les choses évoluent plutôt dans le bon sens, la concurrence étant moins faussée.

Beaucoup de gens se demandent où vont les marges. Il y a une grande crispation parfaitement compréhensible de la part des producteurs.

M. Gosselin a demandé une mission d’information sur ce thème au président de l’Assemblée nationale. M. Bartolone ayant considéré que cette demande était du ressort de notre commission, il m’a demandé d’organiser rapidement un débat sur cette question d’actualité. Peut-être faudra-t-il créer une mission d’information. En tout cas, je pense que les représentants des organismes que j’ai convoqués peuvent nous éclairer sur toutes ces questions.

C’est volontairement que je n’ai invité ni la grande distribution ni les producteurs car il s’agit d’analyser la situation entre contrôleurs et observateurs. Je sais que les distributeurs et les producteurs regardent cette audition qui, comme chacun le sait, est publique.

Monsieur Amand, êtes-vous un médiateur comblé et serein ou, au contraire, pensez-vous que les tensions qui s’expriment ont des fondements qui malheureusement ne trouvent pas aujourd’hui l’écho qui conviendrait pour rassurer les producteurs ?

M. Francis Amand, médiateur des relations commerciales agricoles. Monsieur le président, à vrai dire je ne me demande pas si les tensions qui s’expriment ont un fondement. Je ne fais que constater que les tensions existent et je m’efforce de les réduire.

Elles existent, c’est manifeste. Elles se sont d’ailleurs exprimées de manière assez brutale la semaine dernière, ce qui n’est pas vraiment la meilleure méthode pour progresser de manière intelligente en vue d’aboutir à un consensus. Elles se sont exprimées très fortement dans la filière laitière il y a quelque temps – je crains qu’elles ne le fassent à nouveau cet été – puis dans la filière porcine et maintenant dans la filière bovine.

Peu importent les raisons qui conduisent à des tensions, même si nous essayons de documenter les revendications des uns et des autres. Je suis là pour essayer de trouver des accords entre les différentes parties prenantes.

Je sors d’ailleurs à l’instant d’une réunion du comité de suivi des engagements qui avaient été pris le 17 juin devant le ministre pour la filière bovine. On a pu constater que si le relèvement des prix payés aux éleveurs qui avait été envisagé n’est pas aujourd’hui à la hauteur de ce qui était prévu – un relèvement de 5 centimes par semaine pendant plusieurs semaines avait été programmé – un mouvement est en train de se produire. Les choses se mettent en place et les engagements sont relativement bien respectés, compte tenu des délais de construction du dispositif. C’est donc encourageant. Reste à savoir si nous pourrons consolider ce mouvement.

C’est difficile parce que la filière est compliquée : il y a à la fois des éleveurs, des grossistes en bestiaux, des transformateurs – au lieu de construire un produit, ils détruisent de la viande, les différentes pièces issues du bœuf connaissant une grande disparité de valorisation –, enfin des distributeurs qui ont chacun leur modèle de négociation. De plus, il faut trouver des accords sans enfreindre les règles de la concurrence. La position du médiateur est très intéressante et très stimulante mais aussi très compliquée parce qu’il ne faut pas exposer les différentes parties prenantes de l’accord à un risque trop important de condamnation par l’Autorité de la concurrence. Il faut donc savoir jusqu’où ne pas aller trop loin, ce que l’on arrive à faire.

M. le président François Brottes. En vous écoutant, j’ai l’impression d’entendre le Quai d’Orsay ! Jusqu’à présent, il n’y a en effet aucune rugosité dans votre propos.

M. Francis Amand. C’est une déformation professionnelle ! Le médiateur n’est pas un juge. Son rôle n’est pas de savoir qui est coupable mais de montrer quel serait l’équilibre à peu près normal compte tenu des fondamentaux du marché.

La Fédération nationale bovine a des revendications extrêmement fortes pour augmenter les cours. En 2015, les cours sont inférieurs à ceux de 2014, mais la différence n’est pas énorme par rapport à la moyenne des quatre années précédentes. On pourrait donc dire que leur revendication n’est pas nécessaire.

Quant aux coûts de production de la viande bovine, à l’heure actuelle ils ne sont pas particulièrement élevés. Les céréales et les aliments ne sont pas trop chers et le prix des prairies ne varie pas.

M. le président François Brottes. Le prix des terres a baissé.

M. Francis Amand. En fait, dans le milieu agricole il y a de très grandes disparités de situations. Si la moyenne est satisfaisante, il y a toujours 10 à 15 % d’éleveurs qui ne s’en sortent pas pour diverses raisons, parfois parce qu’ils sont mauvais. Je le dis peut-être un peu brutalement : on n’a pas vocation à maintenir sur le marché ceux qui sont mauvais. Il n’est pas anormal que les marchés fassent leur propre discipline. Parfois ils sont très bons mais ils sont dans des situations d’endettement, notamment quand ce sont de jeunes agriculteurs. Ceux-là, il faudrait pouvoir les garder parce qu’ils sont l’avenir de l’agriculture française. Notre jeu est assez compliqué : d’un côté, il ne faut pas faire payer aux consommateurs français via les distributeurs et les industriels les inefficacités de l’amont ; de l’autre, il faut réfléchir à moyen terme et sauvegarder les meilleurs.

On prête beaucoup à la distribution. Les négociations sont rugueuses mais, depuis le 18 juin, la distribution a joué le jeu. Elle a accueilli les demandes de hausses tarifaires que demandaient les fournisseurs dans la mesure où ces mêmes fournisseurs étaient censés acheter plus cher. Les distributeurs n’ont même pas demandé à leurs fournisseurs de prouver qu’ils avaient acheté plus cher. Ils ont seulement vu que la cotation avait progressé.

M. le président François Brottes. Comme le président de l’Autorité de la concurrence n’est pas là, je peux dire que la distribution a été épargnée de certaines dispositions législatives dont j’étais porteur, en contrepartie d’un regard un peu plus conciliant à l’égard des filières.

Monsieur Chalmin, pour vous, tout va bien ?

M. Philippe Chalmin, président de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Non, tout ne va pas bien. Comme l’a dit l’un des membres du comité de pilotage de l’Observatoire, en vérité « il y a des blessés, des morts et quelques survivants ».

Je vous ai fait distribuer deux documents qui sont des extraits du rapport annuel que nous avons remis au mois d’avril dernier au Parlement. C’est une somme d’informations, qui a peu d’équivalents en Europe, voire dans le monde, sur l’évolution des prix à tous les stades d’élaboration, du champ à l’assiette du consommateur pour la plupart des grandes filières agricoles. Ce rapport est actualisé à la fin de 2014, sachant que les marges de la grande distribution sont calculées sur 2013. Il y a parfois quelques décalages.

Le premier document reprend quelques graphiques issus du rapport. Le second, beaucoup plus dense, est une mise à jour d’un certain nombre de séries, de prix pour les principales filières. Le premier graphique de ce document montre l’évolution du prix d’entrée à l’abattoir des carcasses de la vache laitière, de la vache allaitante et de la vache moyenne. La vache moyenne est une création statistique, l’avant étant laitier et l’arrière allaitant ou l’inverse.

Le rapport que nous présentons a été adopté à l’unanimité par les membres du comité de pilotage, donc à la fois la production et toutes les familles de syndicats agricoles – Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), jeunes agriculteurs, Confédération paysanne, Coordination rurale –, les chambres d’agriculture, l’industrie, la grande distribution, les grossistes et détaillants et les consommateurs. L’une des fonctions de l’Observatoire est d’apporter un peu de transparence, d’être un lieu non de médiation mais de déminage antérieur au conflit. La médiation intervient après le conflit, tandis que l’Observatoire est censé être là avant.

Quelles conclusions peut-on formuler ? Nous sommes dans un contexte de prix agricoles par nature instables. La révolution culturelle que le monde agricole a vécue ces quinze dernières années, c’est la fin de la politique agricole commune telle que nous l’avions connue avec des prix administrés, décidés à Bruxelles. Un seul prix est encore administré par Bruxelles, celui du sucre. Or, vous le savez, les quotas sucriers disparaîtront en 2017.

Je disais donc que nous sommes sur des marchés instables. On ne peut pas raisonner uniquement marché hexagonal, on ne peut même pas raisonner uniquement marché européen. Bien souvent, on doit raisonner marché mondial. Si vous demandez quel est le facteur qui intervient dans les négociations sur le prix du lait entre les producteurs et les laiteries, on vous mentionnera le prix des enchères de Fonterra, qui est le grand producteur néo-zélandais dont les prix pour le beurre et la poudre de lait font un peu autorité au niveau mondial. Dans bien des cas, nous avons des problèmes pour avoir un bon benchmark, c’est-à-dire un bon indicateur de prix de référence au niveau mondial. C’est le cas des produits animaux. Nous n’avons pas ce problème pour les céréales ni les oléagineux sur lesquels il existe des marchés. Nous sommes donc sur des marchés totalement instables et on ne peut pas imaginer un quelconque retour à la stabilité, surtout dans le contexte d’instabilité monétaire que nous connaissons.

En 2014 et dans les premiers mois de 2015, il y a eu un décrochage assez général des prix. À l’heure actuelle, certains prix agricoles remontent en raison de conditions climatiques difficiles aux États-Unis et dans la zone du Pacifique pour les oléagineux et les céréales. Par contre, les prix de référence mondiaux sur les produits laitiers ont été divisés par deux sur les douze derniers mois. Ils sont passés de 4 000 à 2 000 euros la tonne sur le beurre ou la poudre de lait. Il est clair que nous sommes plutôt sur une tendance à la baisse sur un certain nombre de marchés. Il y a des tensions sur de petits marchés comme le blé dur ou l’huile d’olive.

Nous sommes dans un contexte général non de déflation mais de désinflation, avec une forte pression à la baisse des prix que l’on retrouvera au stade du consommateur. Ce qui est peut-être le plus frappant dans nos graphiques, c’est cette extraordinaire stabilité des prix pour le consommateur. Nous ne pouvons pas aller plus loin que le fond du panier du ménage qui est constitué de la brique de lait UHT, de yaourts, du steak haché, d’un panier de fruits et légumes, etc... C’est la limite de notre exercice. Or les consommateurs se tournent vers des produits de plus en plus sophistiqués, ceux dont la part agricole est toujours plus faible. Les grands produits de base des consommateurs que nous suivons ont des prix d’une extraordinaire stabilité. Si les prix sont stables pour le consommateur et instables pour le producteur, cela veut dire que l’appareil entre les deux, c’est-à-dire l’industrie et la distribution, jouent un rôle d’amortisseur et se répartissent avec nombre de grincements la charge de cet amortissement.

Quelles conclusions peut-on en tirer ?

Premièrement, personne ne couvre la réalité de ses coûts de production. L’année 2014 a été à peu près à l’étale pour les producteurs de lait, 2012 et 2014 ont été plutôt bonnes pour les producteurs de céréales. Au vu des prix constatés au premier semestre de 2015, tout le monde serait dans le rouge si l’on intègre un prix du travail sans excès à 1,5 SMIC ainsi que le coût du capital employé. Certaines productions sont structurellement négatives, notamment la vache allaitante. Je précise qu’une partie de la viande bovine que nous consommons provient de vaches laitières de réforme, c’est-à-dire un sous-produit du lait.

La filière qui pose problème actuellement est celle de la viande qui dégage une marge nette négative.

Je sais que nos chiffres suscitent la polémique au niveau de la grande distribution. Pourtant ces calculs sont réalisés par l’Observatoire à partir des données qui nous sont fournies par les sept grandes chaînes de distribution – hors Lidl et Aldi. La marge nette d’un certain nombre de rayons est négative parce qu’ils sont composés de produits d’appel. Il s’agit de la poissonnerie, de la boucherie, de la boulangerie. Les rayons qui sont à peu près à l’équilibre sont les fruits et légumes. Quant aux rayons des produits laitiers et la charcuterie, ils affichent des marges nettes positives. Au total, la marge nette globale d’un magasin tourne autour de 1 à 2 % suivant les années.

Je le répète, le producteur de race allaitante ne couvre pas ses coûts de production, l’industrie ne se porte pas bien et affiche des résultats moyens, plutôt négatifs, et le rayon boucherie de la grande distribution dégage une marge nette négative. Qui gagne ? Probablement le consommateur. Mais comme son mode de consommation évolue, il ne s’en rend pas totalement compte.

En France, contrairement à l’Allemagne par exemple, l’accent a été mis sur le maintien des prix à la consommation. Je suis frappé de voir l’extraordinaire stabilité des prix à la consommation. Le prix d’un pack de yaourts nature, de la plaquette de beurre, du kilo de steak haché ou encore de la tranche de jambon est quasiment stable depuis dix ans. Comme les prix ont plutôt baissé dans les premiers mois de 2015, j’imagine qu’il y a actuellement un peu de reconstitution de marges, mais cela n’a pas de grandes conséquences.

Deuxièmement, ce qui me frappe c’est que tous les maillons sont fragilisés. À cet égard, je partage l’interrogation de M. Amand sur la pérennité de certaines exploitations agricoles. Ce modèle admirable d’exploitation familiale fait face aujourd’hui à l’évolution des systèmes d’aide communautaire et, soyons honnêtes, à la montée de nombre de contraintes environnementales au quotidien. Il y a une fragilisation industrielle dans un certain nombre de filières, notamment celle de la viande où le contraste est grand entre les acteurs qui sont sur la scène européenne et les acteurs français. La grande distribution étant attaquée à la fois par le développement du commerce électronique et les grandes surfaces spécialisées dans les produits non alimentaires, elle se replie sur les produits alimentaires et elle a tendance à exacerber les promotions pour attirer le chaland. Ceci est à la racine des tensions constantes que nous connaissons aujourd’hui.

Finalement, celui qui s’en met plein les poches, c’est le consommateur. Récemment, il a profité d’un transfert de valeurs mais il ne s’en rend pas compte dans la mesure où son modèle de consommation évolue assez considérablement.

Le rôle de l’Observatoire n’est ni de punir, ce que fait l’Autorité de la concurrence, ni d’être un médiateur. Nous sommes un lieu de débat, de transparence. Nous essayons de bâtir ce qui manque peut-être le plus sur la scène française, que ce soit entre la production et l’industrie ou entre l’industrie et la distribution : la confiance.

M. le président François Brottes. En fait, vous observez si les prix des matières premières bougent. Et c’est vous que l’on sollicite lorsque l’on veut renégocier une convention. Si je caricature un peu vos propos, vous dites que rien n’augmente et que tout baisse.

M. Philippe Chalmin. Tout est instable. Il y a un mois, je vous aurais dit que tout baisse. Mais avec les aléas climatiques, les prix du blé, du maïs et du soja ont augmenté, ce qui risque d’avoir des répercussions sur le prix de l’alimentation animale dans trois ou quatre mois. Si El Niño, cet événement climatique qui nous menace dans la zone du Pacifique, se matérialise vraiment, nous pourrions connaître des fluctuations de prix encore plus importantes. Bien sûr, nous n’en serions pas les principales victimes mais, je vous le rappelle, en 2008 lors du précédent grand épisode d’El Niño, il y a eu dans nombre de villes du Moyen-Orient et d’Afrique des émeutes de la faim, qui en réalité étaient des émeutes de la pauvreté.

M. le président François Brottes. Si je résume, M. Amand écoute tout le monde et essaie d’en dire le moins possible pour ne fâcher personne. Quant à M. Chalmin, il observe. Et Mme Le Loch essaie de faire en sorte que les gens se parlent.

Mme Annick Le Loch, présidente de la commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC). Monsieur le président, je viens tout juste de prendre mes fonctions de présidente de la commission d’examen des pratiques commerciales puisque j’ai été nommée officiellement le 3 juillet dernier. J’ai déjà assisté à une commission d’examen il y a un mois et demi environ. Je réunirai pour la première fois la commission le 17 septembre prochain. Je verrai alors de quelle façon elle fonctionne et, si c’est nécessaire, j’envisagerai une évolution de son fonctionnement.

Avant de vous présenter, en quelques lignes, la commission d’examen des pratiques commerciales, je tiens à vous présenter les excuses de sa secrétaire générale, Mme Becker, qui n’a pas pu se libérer ce soir.

Je pense que cette commission, qui existe depuis très longtemps, n’est pas suffisamment connue et qu’elle mériterait de l’être davantage. Cette instance consultative placée auprès du ministre de l’économie veille à l’équilibre des relations entre producteurs, fournisseurs et revendeurs au regard de la législation de notre pays.

La commission d’examen des pratiques commerciales est composée de deux parlementaires, de deux magistrats de la Cour de cassation, d’un magistrat du conseil d’État, de seize représentants des fournisseurs, des producteurs, des industriels – toutes les grandes fédérations sont représentées dont l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA), Coop de France, la Fédération des industries électriques électroniques et de communication (FIEEC), l’Institut de liaison et d’études des industries de consommation (ILEC), le Comité de liaison des industries de main-d’œuvre (CLIMO), la Fédération des agriculteurs – de seize représentants des grossistes et des distributeurs, de trois représentants de l’administration dont un représentant de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), d’un juriste et d’un économiste.

Cette commission ne rend que des avis, formule des recommandations sur des contrats qui sont conclus, sur des pratiques, sur toutes les questions qui lui sont posées. Elle a aussi un rôle d’observatoire des pratiques de concurrence. Elle favorise le développement des pratiques commerciales les plus vertueuses, les plus transparentes, les plus loyales. Sa saisine est très large puisqu’elle peut être saisie par le ministre, par le président de l’Autorité de la concurrence – à ce jour, je crois que l’Autorité de la concurrence ne l’a jamais fait –, par les entreprises, par les organisations professionnelles ou syndicales, par les associations de consommateurs, par les chambres de commerce, les chambres de métiers, les chambres d’agriculture, par le médiateur. À cet égard, je suis ravie de rencontrer M. Amand avec qui je vais pouvoir échanger sur ce fonctionnement.

L’anonymat de celui qui souhaite interroger la commission sur une pratique quelconque est assuré. La commission peut demander également qu’une enquête soit effectuée par la DGCCRF ou par l’Autorité de la concurrence sur tel ou tel sujet.

Il me semble avoir compris que cette commission était très disponible pour se prononcer, au-delà de ce qu’elle a pu faire jusqu’ici, sur des contrats, des pratiques commerciales dans le secteur agroalimentaire. Elle a toute légitimité et toute autorité pour le faire. Je sais qu’il lui arrive de mettre en place des groupes de travail spécifiques pour traiter d’un problème particulier.

J’aurai l’occasion de vous présenter à l’automne prochain, avec mon collègue Philippe Armand Martin, un rapport sur l’application de la loi Hamon. La loi a essayé de clarifier les choses pour apaiser les tensions qui existent entre l’industrie et le commerce. Pourtant, au vu des auditions auxquelles nous avons procédé jusqu’à présent, il semble que les relations ne se soient pas apaisées, en tout cas depuis un an. Au cours de ces échanges, un certain nombre de représentants de fédérations, d’acteurs nous ont dit que la commission d’examen des pratiques commerciales pouvait en effet peut-être mettre davantage de liant dans les relations entre l’industrie et le commerce, qu’elle s’apparentait un peu trop aujourd’hui à un lieu de débats très pointus entre juristes et qu’elle devait faire davantage d’actions opérationnelles. Mais je le répète, je n’ai pas beaucoup d’expérience en la matière. Je demande donc un peu de temps pour voir ce que cette commission peut faire concrètement.

Monsieur Chalmin, lors des auditions auxquelles j’ai assisté, j’ai entendu à plusieurs reprises qu’aucun producteur ne couvrait ses frais. Cette déclaration est inquiétante. Comment les producteurs peuvent-ils vivre de leur travail, améliorer leur production et surtout faire perdurer une activité agricole, notamment en Bretagne, dans la mesure où ils ne gagnent pas d’argent ? Aujourd’hui, nous sommes à la veille d’une grave crise du lait. Les cotations mondiales sont toutes à la baisse. Le beurre, la poudre de lait et le lactosérum ont baissé de 25 à 30 %, voire de 50 %. Cela veut dire que demain les prix payés aux producteurs seront encore inférieurs à ce qu’ils sont aujourd’hui. On sait qu’un équilibre est atteint lorsque 1 000 litres de lait sont payés autour de 350-360 euros alors que demain les prix seraient autour de 310-315 euros. Cela veut dire que la tension est forte et que la crise risque d’être très grave demain. Il y a une demande très forte de régulation.

M. le président François Brottes. Madame Beaumeunier, le Parlement a le droit de saisir l’Autorité de la concurrence. D’ailleurs, il l’a déjà fait.

L’Autorité de la concurrence est extrêmement proactive dans notre pays, et je m’en félicite. Elle réalise un travail conséquent dans de nombreux domaines, et pas seulement dans celui dont il est question aujourd’hui. Le problème, c’est qu’il y a d’un côté des centrales d’achat qui n’ont pas véritablement d’existence juridique et sur lesquelles il est difficile d’émettre des opinions, voire de prononcer des sanctions puisque ce sont des objets un peu mous sur le plan juridique, et de l’autre des gens qui tentent de se parler pour s’organiser et faire front face à des clients qui se réduisent comme peau de chagrin. Quand il n’y a plus que trois ou quatre centrales d’achat, cela ne fait pas beaucoup de guichets. Et lorsque les filières se parlent un peu trop, surtout si elles le font discrètement, vous pouvez leur reprocher des ententes et cela leur coûte cher.

Madame la rapporteure générale, vous êtes un peu le Père Fouettard de cette table ronde. M. Chalmin vient de nous dire que c’est le consommateur qui est gagnant même s’il ne s’en aperçoit pas toujours. Finalement, l’Autorité de la concurrence n’a pas besoin de travailler puisqu’elle est là pour que le consommateur ne paie pas trop cher.

Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale de l’Autorité de la concurrence. Effectivement, l’Autorité de la concurrence apparaît souvent comme le Père Fouettard, mais c’est évidemment bien plus complexe que cela.

La concurrence pour le consommateur, ce sont les prix mais c’est aussi la qualité. Il ne faut jamais oublier cette dimension. En tout cas, nous y veillons. Si le nombre d’acteurs diminue trop fortement, on peut craindre pour l’innovation et l’amélioration de la qualité des produits.

Nous avons souvent fait preuve de pragmatisme en ce qui concerne les produits agricoles et agroalimentaires, y compris lorsque nous avons sanctionné, parce que nous avons parfaitement conscience de la spécificité de ces produits, notamment leur caractère périssable et la volatilité des cours. Les actions contentieuses n’ont pas été de notre initiative : nous avons toujours été saisis. En matière de produits agricoles, nous ne nous sommes jamais autosaisis, ce qui n’est pas le cas pour d’autres secteurs.

Le rapport de force entre les producteurs et les distributeurs est très souvent au cœur de notre analyse. Par exemple, lorsqu’il y a eu des concentrations dans le secteur agroalimentaire – je pense à la volaille – on a généralement pris en compte le contre-pouvoir de la grande distribution pour autoriser l’opération ou en tout cas réduire la portée des engagements nécessaires.

J’en viens aux centrales d’achat. À l’origine, trois d’entre elles n’étaient pas soumises à notre contrôle. Le renforcement du rapprochement entre Système U et Auchan est en train de se transformer en opération contrôlable qui, à ce stade, va être notifiée à la Commission européenne. Elle fera très probablement l’objet d’un renvoi à l’autorité française puisqu’elle concerne presque exclusivement le marché français. Nous aurons très probablement à examiner cette opération et à procéder, comme nous l’avons fait pour Casino et Monoprix, à un examen à la fois de l’effet de la concentration sur l’amont, donc sur les producteurs, et bien évidemment sur les zones de chalandise.

Nous avons eu également une activité importante en matière de produits agricoles de manière consultative. Vous l’avez dit Monsieur le président, les commissions des deux assemblées peuvent nous saisir, et elles l’ont déjà fait. Effectivement, la ligne jaune peut parfois être franchie. Il y a de mauvais accords, mais il y en a aussi de bons et nous avons beaucoup œuvré pour la contractualisation dans le secteur agricole, ce qui a même été intégré dans le code rural. En droit national, il y a même une sorte d’exception au droit de la concurrence pour le secteur agricole. Mais l’exception qui existe dans le droit de l’Union n’est sans doute pas aussi large. Il faut donc faire attention aux accords qui pourraient être signés. Si l’Autorité de la concurrence n’enquête pas sur ces affaires, il est toujours possible que la Commission européenne le fasse, voire qu’une plainte d’un distributeur soit déposée. Néanmoins, l’Autorité de la concurrence a plaidé auprès de la Commission pour qu’il y ait une adaptation du droit de la concurrence à ces secteurs. Vous savez qu’avec la révision du règlement « OCM unique », un certain nombre de secteurs, dont le lait et la viande bovine, bénéficient d’aménagements qui permettent aux organisations de producteurs, même sans transfert de propriété, d’avoir des accords pour se présenter vis-à-vis de l’aval de manière unie, avec une négociation de prix unique.

Nous avons également plaidé pour que la reconnaissance des organisations de producteurs n’exige plus la condition d’absence de position dominante. Certes, il y a des critères en termes de volumes concernés, mais cette possibilité a été considérablement allégée.

Nous pensons que la bonne réponse, même si cela ne se fait pas du jour au lendemain, c’est la concentration de l’offre, soit par organisation de producteurs même sans transfert de propriété, soit par regroupement au sein de coopératives, voire de fusion de coopératives. J’ajoute que depuis la création de l’Autorité, nous avons examiné beaucoup de fusions de coopératives. Nous avons toujours accompagné ces fusions et regardé ce qui se passait en aval. Lorsque nous avons demandé des engagements, c’était pour protéger les agriculteurs adhérents de ces coopératives, notamment sur les achats des intrants, pour leur laisser la possibilité d’avoir un minimum de choix.

Vous me répondrez qu’il faut que la contractualisation soit mise en œuvre et respectée. Vous avez raison. La contractualisation sera d’autant plus facile qu’il y aura eu une concentration de l’offre en amont. On peut imaginer d’autres mécanismes, par exemple des clauses de révision dans les contrats. Lorsque nous avons émis des avis, nous avons eu l’occasion de dire que ces clauses étaient possibles, qu’elles n’étaient pas contraires au droit de la concurrence et qu’elles permettaient une plus grande confiance sans doute dans les relations contractuelles. On peut aussi imaginer des mécanismes d’assurance contre la volatilité, mais c’est sans doute plus marginal.

Comme l’a dit M. Chalmin, un certain nombre de produits de base sont devenus en quelque sorte des commodités. Ils sont vendus directement au consommateur mais aussi à l’industrie, à la restauration hors foyer. Ce sont des produits pour lequel le prix est un critère essentiel. Sans une compétitivité suffisante de ces produits français, ce type d’acteurs se tournera vers l’importation. Nous l’avons constaté dans le secteur de la volaille. Le consommateur veut manger du poulet français. Mais en ce qui concerne la restauration hors domicile, il s’agit majoritairement d’importations. Les difficultés de certains producteurs français par rapport au poulet brésilien, allemand, etc. portent principalement sur le segment de la restauration hors foyer. Les mauvais accords, même si l’on fait abstraction du droit de la concurrence, sont souvent une mauvaise réponse.

M. Thierry Benoit. Monsieur le président, je vous remercie d’avoir organisé ce débat qui tombe à point nommé. En effet, en Bretagne, nous avons vécu, il y a une semaine, des mouvements violents qui nous interpellent au plus haut point.

Je suis très surpris des propos de nos trois invités. Et j’ai envie de les emmener en Bretagne. Après y avoir passé une nuit, leur discours aura changé.

J’ai entendu que notre agriculture ne serait pas adaptée, que certains agriculteurs ne s’en sortiraient pas parce qu’ils sont mauvais. Monsieur Amand, il faut tordre le cou à cette idée car nous avons les meilleurs agriculteurs du monde. Si les Chinois viennent investir 80 millions en centre Bretagne pour collecter et transformer le lait avant de l’exporter chez eux, c’est bien parce que nous avons en France les meilleurs éleveurs qui garantissent la sécurité sanitaire et la sécurité alimentaire, respectent les exigences sociales et s’adaptent à toutes les conditions environnementales posées par la France et par l’Europe depuis quarante ans. Il ne faut plus nous expliquer que nos agriculteurs ne s’adaptent pas au marché. Au contraire, ils s’adaptent en permanence.

L’un d’entre vous a dit qu’il fallait conserver les meilleurs. Non il faut tous les garder. Nous ne voulons pas des exploitations de plus en plus grandes avec une ou deux personnes seulement, ce qui poserait le problème de la transmission des outils de production.

Monsieur le médiateur des relations commerciales agricoles, votre propos m’a heurté en tant que député d’une circonscription rurale, élu du pays de Fougères, premier bassin laitier de France et d’Europe.

Lorsque je suis aux côtés des éleveurs de ma circonscription, je comprends mieux pourquoi l’on aboutit à cette situation. Monsieur Chalmin, vous nous avez expliqué que c’est le consommateur qui est le grand gagnant. Mais je n’y crois pas du tout. Les quotas laitiers existent depuis 1983. Mais personne ne nous dit que depuis, les centrales d’achat et la grande distribution se sont organisées. Vous nous parlez de sept grandes chaînes. Mais en réalité, elles ne sont que quatre. Tout à l’heure, le président Brottes a expliqué quel était le rôle des centrales d’achat. J’estime pour ma part qu’il est déterminant.

Madame la rapporteure générale de l’Autorité de la concurrence, on devrait encourager davantage les éleveurs à s’organiser. Vous avez parlé de la contractualisation. Pour ma part j’y suis favorable. On devrait être beaucoup plus souple avec des éleveurs qui sont propriétaires de leurs produits et il faudrait corriger le déséquilibre qui existe aujourd’hui entre l’amont et l’aval.

Notre pays autorise-t-il la vente à perte des produits agricoles ? Est-il prêt à mettre en œuvre un dispositif de sécurisation des marges, selon le prix des intrants, des matières premières etc. ?

Monsieur Chalmin, observez-vous l’évolution des marges des centrales d’achat de la grande distribution ? Vous nous avez dit que la grande distribution était attaquée par le commerce électronique. Je vous répondrai que les taxis le sont par UberPop. La grande distribution va faire comme tout le monde : elle va s’adapter. Mais je me fais moins de souci pour la grande distribution que pour les éleveurs de ce pays. Si Leclerc vient d’être condamné à rembourser 61 millions d’euros à ses fournisseurs, c’est bien parce que des anomalies ont été constatées.

Finalement, je n’ai pas le sentiment que le médiateur des relations commerciales agricoles ou le président de l’Observatoire des marges et des prix des produits alimentaires nous aient éclairés aujourd’hui sur les difficultés que rencontrent nos éleveurs. Je n’ai jamais encouragé nos concitoyens à engager des actions contestataires, mais le seul moyen de se faire entendre dans ce pays c’est celui que les agriculteurs ont employé il y a une semaine, c’est-à-dire descendre dans la rue pour faire bouger les choses.

M. le président François Brottes. Monsieur Benoit, votre intervention était un fest-noz en quelque sorte !

M. Yves Daniel. Madame, Messieurs, je vous remercie pour vos exposés qui font suite à une audition du président de la Fédération nationale des coopératives laitières (FNCL). Nous y retrouvons un peu les mêmes propos.

Nous avons souhaité organiser une table ronde car il nous semblait important de faire le point assez rapidement après la disparition des quotas laitiers et la mise en œuvre des outils de régulation.

Monsieur Amand, vous avez dit : c’est compliqué. Vous avez raison. Nous sommes loin de connaître dans le détail le fonctionnement de toutes les filières agricoles. Le président François Brottes, que je remercie d’avoir organisé cette table ronde, a indiqué qu’il n’avait pas invité les producteurs. Comme je suis député de Bretagne mais aussi paysan, je veux vous dire que la question de la transparence est très importante. L’agriculture et le secteur agroalimentaire sont fondés sur la nature, c’est-à-dire le vivant, et contraints par un élément que l’on ne maîtrise pas : le climat. Dès lors, vous avez raison : c’est compliqué.

Avez-vous intégré tous ces paramètres pour créer des outils de communication, des outils pédagogiques qui facilitent la compréhension des choses ? Si nous ne disposons pas de tous les outils nécessaires à la transparence dans cette période de mutation, nous ne pourrons pas parvenir à la vérité des choses. Il existe des produits dérivés dont on ne parle pratiquement jamais. Je prendrai l’exemple de la filière du cuir. Pour avoir participé à l’audition des représentants de la Fédération nationale française du cuir, je me suis rendu compte qu’ils n’intégraient le cuir dans la filière qu’à partir de l’abattage. Ils ont expliqué que la valorisation du cuir est comprise dans le prix d’achat de l’animal à la ferme, ce qui est totalement faux. Il faut prendre également en compte de nombreux produits dérivés, par exemple les produits cosmétiques et médicinaux.

Des outils sont à notre disposition pour créer les conditions de la transparence. Je pense en particulier aux centres de gestion. Comment utilise-t-on leurs chiffres qui sont réels ? À côté de ces chiffres, il existe des indicateurs. Il faut créer un lien entre les activités agricoles et les équipements matériels des exploitations. Lorsque l’on écoute ce que nous disent les vendeurs de tracteurs, de matériels, on s’aperçoit que tout n’est pas dit et que l’on a besoin de déceler la vérité.

Lorsque l’on dit que les agriculteurs ne gagnent pas leur vie, qu’ils ne peuvent plus dégager un revenu, il faut avoir à l’esprit qu’il y a une grande diversité de situations qu’il va falloir analyser.

Vous avez indiqué que c’est le consommateur qui profite de la situation. Je ne sais pas si l’on peut dire les choses de cette façon. La plupart du temps, une augmentation du prix des produits, même très faible, peut avoir de grandes conséquences positives sur la marge du producteur ou des filières. Cet aspect mérite d’être approfondi.

On parle beaucoup de contractualisation. Considérez-vous que le travail que vous nous présentez peut nous permettre d’engager cette mutation ?

Mme Corinne Erhel. Madame, Messieurs, j’ai écouté avec attention vos propos. La situation résulte d’un contexte international fluctuant, qui entraîne une anxiété très forte chez les producteurs. Cette anxiété se focalise en partie sur les pouvoirs publics et sur la grande distribution. Samedi dernier, dans la circonscription de Lannion, la contestation s’est focalisée sur certaines enseignes de la grande distribution. Suite à la table ronde qui a été organisée avec le ministre à laquelle vous participiez, des engagements ont été pris à la fois sur l’encadrement des promotions et sur les prix payés aux producteurs. Dans les relations avec la grande distribution, y a-t-il des disparités d’une région à une autre sur les prix payés aux producteurs ? Y a-t-il des disparités entre les enseignes ? Si oui, lesquelles ? Quelles enseignes ne jouent pas le jeu ?

Pour redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs, la France et l’Europe se sont tournées vers des politiques incitatives de prix bas. C’est le cas dans les secteurs agricole, agroalimentaire et des télécoms. Tout cela n’est pas sans conséquence sur l’ensemble d’une filière. Comment gérer cet aspect ?

Qui fait quoi ? Qui joue le jeu ? Qui ne le joue pas et pourquoi ? Quels sont les modèles économiques qui font que des grandes enseignes ne joueraient pas le jeu ?

Si vous constatez des disparités, à la fois géographiques et entre enseignes, quels moyens d’action peut-on engager pour régler ce problème avant que la situation ne dégénère ?

Mme Frédérique Massat. Je remercie nos invités d’avoir répondu au pied levé à cette invitation, puisque cette table ronde a été organisée très rapidement. Aujourd’hui plus qu’hier, il y a urgence. Nous avons tous été sollicités récemment par l’ensemble des agriculteurs français.

M. Daniel l’a dit, il y a effectivement plusieurs agricultures, plusieurs méthodes, plusieurs réseaux de commercialisation. Il y a aussi plusieurs revenus dans l’agriculture et plusieurs façons de l’exercer. Je suis élue d’un département de montagne qui est également confronté à des difficultés. Le problème, c’est qu’actuellement toutes les agricultures en connaissent. Si certaines ont pu être protégées à un moment donné, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Je suis là pour être aussi la porte-parole des échanges que nous avons eus avec les agriculteurs. La table ronde que j’ai organisée avec eux s’est déroulée dans un respect total, sans heurts ni manifestation. Il est important de le dire pour ne pas stigmatiser une profession qui est actuellement confrontée à de nombreuses difficultés. Leurs demandes sont claires et nettes. Avez-vous des réponses à leur apporter ? Pour notre part, nous connaissons les limites de l’action publique dans ce domaine. La demande consiste à agir sur les prix. Vous l’avez dit, les prix n’ont pas augmenté depuis dix ans. Mais le consommateur s’en rend-il vraiment compte ? Si tout le monde est prêt à une augmentation des prix, certes modérée, il faut que ce soit le producteur qui en bénéficie et non des intermédiaires divers. Nous avons besoin d’une transparence totale sur la formation des prix et sur ce qui reviendra au final au producteur.

Nous comprenons tout à fait la colère des agriculteurs qui considèrent que les sanctions à l’encontre des distributeurs qui ont des pratiques commerciales abusives ne sont pas assez rigoureuses. Ils demandent également davantage de communication en ce qui concerne les sanctions, et des sanctions plus fortes de façon que cela fasse école. Ils veulent également une application réelle de la clause de renégociation. Nous n’avons peut-être pas assez de recul en la matière, mais il y a urgence.

Nous avons autour de la table ce soir une large palette des acteurs qui peuvent aider la représentation nationale à mettre en place des outils. Avez-vous les moyens de les mettre en œuvre ? Les outils actuels sont-ils suffisants ? La contractualisation est un sujet lancinant. Le secteur agricole a bien conscience que c’est l’un des outils qui leur permettra de se structurer. La transparence sur la formation des prix est une demande forte des producteurs mais aussi des consommateurs.

Nous n’attendons pas de vous des miracles, mais de pouvoir avancer collectivement sur ces dossiers afin que le mal-être de nos agriculteurs disparaisse. Certes, les normes sont des contraintes, mais elles s’accompagnent d’une sécurité alimentaire qui représente une valeur ajoutée pour nos produits. Il faut communiquer sur ce point pour valoriser les produits. Le logo « Viandes de France » permettra certainement d’avancer. Il conviendra sans doute que le consommateur consente un effort pour que l’on aboutisse à un juste prix.

M. Hervé Pellois. Madame, Messieurs, je n’ai pas perçu vos propos de la même manière que M. Benoit. Monsieur Amand, je vous ai trouvé au contraire très prudent et je n’ai senti aucune agressivité de votre part à l’égard des producteurs.

M. Thierry Benoit. Je n’ai pas dit que M. Amand avait été agressif !

M. Hervé Pellois. Monsieur Chalmin, le rôle d’un observatoire est effectivement d’observer ce qui se passe. Mais les filières ont besoin de réactivité. Lorsque le prix de l’aliment augmente de 5 centimes, on sait immédiatement quelle sera la répercussion sur le prix de la carcasse. Si le prix des céréales et plus globalement celui de l’aliment augmente, il sera très difficile de ne pas s’appuyer sur ces chiffres immédiats.

Madame Beaumeunier, ce que vous avez dit sur la concentration des outils est exact. En Bretagne, on sait que le fait de tarder à avoir des fusions de coopératives a certainement conduit à une compétitivité moindre par rapport aux pays nordiques qui ont su s’armer d’outils beaucoup plus performants. Vous avez parlé de la contractualisation. Il y a aussi tout ce qui touche à la différenciation des produits, à la valeur ajoutée et à l’adaptation des marchés à l’export. Le ministre de l’agriculture prend souvent des exemples. Nous avons encore des pistes à explorer. Nous devons trouver des solutions. C’est tout le rôle de la médiation.

C’est la deuxième fois que j’entends M. Chalmin dire que la grande distribution rencontre aussi des difficultés. Pour avoir été maire pendant longtemps, je peux dire que les distributeurs d’eau perdaient de l’argent dans presque toutes les communes, mais que globalement ils en gagnaient. Cela devait donc être plutôt lucratif quelque part. Moi qui connais bien la filière porcine, je sais qu’elle a été pendant longtemps la vache à lait des étals de viande. On voit encore des promotions inacceptables, ce qui nécessite une remise à plat.

Mme Virginie Beaumeunier. Madame Massat, nous avons déjà entendu qu’il y aurait deux poids deux mesures de la part de l’Autorité de la concurrence s’agissant des distributeurs et des producteurs. Non, il n’y a pas d’exception à notre juridiction. Nous avons mis en garde les distributeurs dans notre avis relatif au rapprochement des centrales d’achat. Nous avons tenté d’établir une grille de ce qu’ils pouvaient et ne pouvaient pas faire. Croyez bien que s’il y a des échanges d’informations sur la manière dont ils achètent, les remises qu’ils négocient, nous ne manquerons pas d’enquêter et, le cas échéant, de sanctionner.

Il y a deux manières de concentrer l’offre. La première, c’est de le faire tout en amont. C’est la coopérative qui permettra des gains de compétitivité en achetant de manière groupée tous les intrants. L’Autorité de la concurrence peut se pencher sur les marchés qui sont en amont des agriculteurs pour voir s’ils fonctionnent de manière concurrentielle. Et croyez bien qu’elle ne se prive pas. Je ne peux pas entrer dans le détail en raison du secret de l’enquête et de l’instruction. Si les producteurs ou vous-mêmes avez connaissance d’informations, nous sommes preneurs. La deuxième, c’est lorsque les producteurs se regroupent pour commercialiser leurs produits, soit par le biais de la coopérative, soit sans transfert de propriété c’est-à-dire dans le cadre des organisations de producteurs. Produire de manière plus concentrée, cela veut dire des exploitations plus grandes pour parvenir à des gains de productivité. Il faut savoir que dans les pays qui nous concurrencent, c’est de cette manière que cela se passe sur les produits de base.

M. Pellois a raison d’insister sur la différenciation des produits. Comment faire remonter la valeur ajoutée ? Tous les agriculteurs ne produisent pas la même chose ni de la même manière. Il existe des créneaux intéressants qui permettent d’obtenir une meilleure rentabilité. Peut-être faut-il réfléchir sur la valorisation des marques, des appellations d’origine, des labels. Malheureusement, sur certains produits comme le lait UHT et le steak haché, la concurrence est mondiale. Certains sujets comme les règles sociales et fiscales ne peuvent pas être traités par l’Autorité de la concurrence ou le médiateur des relations commerciales agricoles. C’est le cas de l’absence de SMIC dans les abattoirs allemands ou de la cueillette des fruits et légumes qui est effectuée par des travailleurs clandestins.

M. Philippe Chalmin. Je ne veux pas vous vendre ma salade, mais prenez la peine de feuilleter notre rapport. Vous y trouverez une mine d’informations qui n’a aucun équivalent. De grâce ne me dites pas que nous manquons de transparence. Nous ne pouvons pas aller plus loin. Il y a des différences d’une enseigne à l’autre, mais nous sommes tenus par le secret statistique. La France possède un extraordinaire outil statistique qui fonctionne bien – je veux parler de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), du service statistique du ministère de l’agriculture, de FranceAgriMer – et qui n’a pas d’équivalent en Europe. M. Daniel a parlé de la filière du cuir. C’est ce qu’on appelle le cinquième quartier. Dans le rapport précédent, nous nous étions penchés en détail sur la valorisation du cinquième quartier. Son impact n’est pas énorme, il ne modifie pas les grands équilibres.

Là où vous avez raison, c’est que nous raisonnons en moyenne. Chaque exploitation agricole est une histoire différente des autres. La notion de prix de revient moyen cache des réalités totalement différentes. Mme Beaumeunier dit à juste titre que, dans nombre de cas, les agriculteurs pourront y trouver leur différence. Les modèles de vie évoluant, sans aller vers le gigantisme ni remettre en cause le modèle de l’agriculture familiale qui, sur la longue période, est le seul modèle qui tient bien, on peut tendre vers des modèles beaucoup plus associatifs qui ne sont pas uniquement des GAEC père-fils.

Ce qui me frappe, c’est que beaucoup de gens pensent que si le prix payé par le consommateur augmente, c’est le producteur qui en bénéficiera. Mais ce n’est pas ainsi que cela fonctionne parce que le marché des produits agricoles est totalement indépendant, qu’il s’ajuste sur l’offre et la demande à un moment donné. C’est là que le bât blesse. Il n’y a pas de juste prix. Parfois, le prix sur le marché est inférieur au coût de production.

Le document que je vous ai remis comporte une actualisation des prix des produits laitiers. Au vu du prix actuel du lait, les Néo-Zélandais s’en sortent. C’est moins vrai des agriculteurs français. Nous savons très bien qu’actuellement une centrale d’achat de la grande distribution achète le lait en Allemagne et en Espagne. Comment l’en empêcher ? Nous faisons partie de l’Europe. Il y a quelque part une relative indépendance entre les prix agricoles et les prix alimentaires. L’exemple le plus frappant est celui du pain. La baguette INSEE est un mélange entre la baguette traditionnelle du boulanger et la baguette de la grande distribution. Dans le quartier où nous nous trouvons actuellement, une baguette doit coûter entre 1 euro et 1,20 euro, contre 40 à 50 centimes dans la grande distribution. La baguette moyenne doit être à 80-90 centimes. Le prix de la farine en représente 10 à 15 % maximum. Le prix du blé est totalement indépendant du prix du pain. Et ce n’est pas parce que vous paierez la baguette de pain plus cher que l’agriculteur aura une rémunération plus grande sur le prix du blé qu’il produit.

Le lait sera sans doute le prochain grand souci de M. Amand. Sur ce dossier, on va dans le mur. Mme Le Loch estime qu’il faut davantage de régulation. C’est un mot que l’on emploie aussi bien en anglais qu’en français. Mais en anglais, cela veut dire que les règles du jeu sont respectées en matière d’offre et de demande. En français, le mot régulation est synonyme de stabilisation.

Mme Annick Le Loch. Il y a trop de lait !

M. Philippe Chalmin. Mais il ne fallait pas démolir la politique agricole commune (PAC) !

À l’époque, j’avais été chargé d’un rapport sur l’avenir de la PAC par le Conseil d’analyse économique. Pour ma part, j’étais partisan du maintien des quotas laitiers. Bruxelles a totalement détricoté la PAC. Nous sommes malheureusement maintenant dans un univers totalement instable.

Monsieur Benoit, je suis tout à fait d’accord avec vous : il y a dans ce pays des agriculteurs remarquables. Ils ont surtout fait preuve d’une extraordinaire capacité de s’adapter à l’instabilité. Ce matin, vous avez reçu M. Pouyanné, le patron de Total. Le secteur pétrolier est passé de la stabilité des prix du temps du cartel à l’instabilité. Pour lui, cela a été un choc culturel. Mais c’était Total, avec tous les moyens qu’il a. L’agriculteur français qui est passé, du jour au lendemain, de la stabilité à l’instabilité s’est extraordinairement bien adapté.

Il y a par nature déséquilibre entre l’amont et l’aval. Dans de nombreuses filières, la concentration de l’aval n’est pas suffisamment importante. Dans la filière viande et la filière laitière, les acteurs ne font pas le poids par rapport aux grandes structures de l’Europe du nord – Allemagne, Danemark, Pays-Bas, etc. Au contraire, la France possède de grandes structures en ce qui concerne les céréales, les oléagineux et le sucre. Vous le verrez, l’abandon des quotas sucriers ne posera pas problème parce qu’il s’agit d’une filière adulte. C’est peut-être là le cœur du problème : en France, nombre de filières ne sont pas adultes. La solution, c’est la contractualisation. Dans un certain nombre de secteurs, il n’y a pas de grandes différences entre les entreprises privées et les coopératives, notamment dans le secteur laitier. Il est nécessaire que la concurrence joue.

Je vous indique qu’un accord dit de swap a été conclu entre Herta, filiale charcutière de Nestlé, et un groupement de producteurs bretons. Ils se sont mis d’accord sur un prix stable pour les six à douze mois à venir. Si le prix au cadran breton est inférieur au prix qu’ils ont négocié, Herta comble la différence. Si le prix est supérieur, les producteurs de porcs remboursent Herta.

M. Thierry Benoit. C’est la sécurisation des marges !

M. Philippe Chalmin. C’est de la contractualisation intelligente, mais c’est quasiment une première.

Les producteurs de lait ne savaient pas, à la fin du trimestre, combien ils allaient être payés pour le trimestre écoulé. C’est totalement anormal. Il faudra que la situation évolue, mais on va avoir du mal à mettre en place des rapports de confiance. À mon sens, l’État ne doit pas s’en mêler.

Présidence de Mme Frédérique Massat, vice-présidente.

M. Francis Amand. Monsieur Benoit, mon intention n’était pas de vous blesser. Je vous prie de bien vouloir m’excuser. Le président Brottes m’avait presque reproché de tenir des propos trop diplomatiques, voire trop mièvres. Je n’imaginais pas que vous réagiriez de la sorte. En tout état de cause, votre réaction est légitime et je la respecte.

L’essentiel de mon activité de médiateur vise à sauvegarder les conditions de la poursuite de l’exploitation des agriculteurs.

La France est un grand pays agricole et les pouvoirs publics font tout leur possible pour qu’elle le demeure. Mais force est de constater qu’elle est désormais concurrencée par un grand nombre d’autres puissances agricoles. Je ne prendrai qu’un seul exemple : il y a dix ans, la France produisait environ 25 millions de porcs par an tandis que l’Allemagne en produisait 20. Aujourd’hui, la France est tombée à 20, alors que l’Allemagne en produit 40. C’est donc bien que les Allemands ont su faire valoir leur compétitivité. Les producteurs français sont excellents, mais ils sont de moins en moins compétitifs sur les marchés internationaux. Cela nous inquiète. Si ce n’était pas le cas, il n’y aurait pas d’importation de viande étrangère qui engendre beaucoup de difficultés dans les filières.

Vous ne pouvez pas contester qu’il y a beaucoup de disparités au sein d’une filière entre les agriculteurs. Il y a d’excellents agriculteurs mais aussi des moins bons. Et même au sein d’une même filière, il y a des modes d’organisation et d’efficacité économique différents. Par exemple, la filière Comté s’est organisée de manière très efficace et sophistiquée, à la fois sur le plan technique et économique. Cela permet aux agriculteurs de vivre de leur production.

Madame Erhel, vous me demandez quels sont les moyens des politiques publiques. Le ministre Stéphane le Foll ne cesse de rappeler que nous ne pouvons pas fixer les prix. Nous ne pouvons pas non plus organiser un accord entre les différents acheteurs pour qu’ils pratiquent tous les mêmes prix. Le médiateur essaie donc de trouver collectivement, au sein des filières, les moyens d’améliorer l’efficacité économique desdites filières. C’est compliqué ; cela nécessite de mobiliser beaucoup d’informations et de travailler sur le long terme.

Le problème, c’est que l’on ne travaille qu’en période de crise. C’est un travers très français. En période de crise, comme il faut aller vite, on mobilise l’information que l’on peut, on y va à la hache et on n’est pas très ambitieux car on risque de favoriser certains et d’en tuer d’autres. Cela pose donc la question de la mobilisation du travail en continu sur l’équilibre des filières. Alors que les statistiques existent, que l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) a mené des réflexions, elles sont peu utilisées. Qui connaît, en France, à l’exception des chercheurs, ce que les Américains ont fait en matière de politique laitière ? Ils ont mis en place des systèmes assurantiels, de garanties de marges. C’est la même chose pour la filière porcine : ce qui est fait au Canada est fantastique.

Quand allons-nous engager une réflexion de long terme dans la filière porcine pour permettre aux éleveurs porcins de dégager des revenus complémentaires grâce à la méthanisation ? On ne le fait jamais, on nous demande toujours de réagir à chaud, cas dans lequel on ne fait jamais bien les choses. Ce sont les interprofessions qui devraient faire ce travail de long terme et d’intelligence économique. De même, les organisations de producteurs devraient réfléchir de manière collective et imposer les bonnes idées des producteurs parce qu’ils en ont beaucoup. Mais individuellement ils ne peuvent pas les soutenir car ils ne sont pas associés au débat.

Par ailleurs, il faut mutualiser les risques et créer des systèmes de solidarité entre producteurs. En la matière, des organisations de producteurs commencent à se mettre en place.

Le prix du lait est fixé selon une formule qui valorise le lait en fonction de ses débouchés sur les marchés internationaux. Les débouchés sur le marché national ne sont pas pris en compte dans le prix payé aux producteurs. Mais quand les producteurs ont-ils décidé que c’était le bon modèle de tarification ? Les producteurs, regroupés ou non, ont-ils été associés à la politique d’expansion sur les marchés internationaux de l’entreprise qui les collecte ? Non. On leur impose donc une formule tarifaire à laquelle ils n’ont pas pris part et qui ne correspond pas nécessairement à leur souhait. Les collecteurs de lait font porter aux producteurs le risque qu’ils ont pris sur les marchés internationaux. Il y a donc un transfert de risques. C’est à l’occasion de la deuxième génération de contrats qu’un dialogue commence à s’engager entre les organisations de producteurs et les collecteurs pour qu’ils fixent ensemble la formule tarifaire qui conviendra aux deux. C’est un peu ce qu’ont fait les coopératives avec le quota A, le quota B et le quota C. Le quota A apporte une garantie sur le marché intérieur tandis que la rémunération est aléatoire sur le quota B, voire le quota C. S’il ne veut pas d’aléas, le producteur sait qu’il ne doit pas prendre le quota B. C’est cette intelligence collective que l’on est en train de mettre en place.

L’obligation de contractualiser a été un outil pédagogique fantastique. C’est ce qui a permis à tout le monde de progresser. Lorsque dans un contrat on discute sérieusement des choses, on arrive à s’intéresser à l’optimum économique collectif. Il faudrait généraliser le contrat partout. Mais ce n’est pas facile. Demandez à un éleveur porcin de Bretagne s’il souhaite que les achats soient contractualisés. Il vous répondra qu’il ne veut pas se lier, qu’il veut être tout seul pour pouvoir profiter des opportunités et que par ailleurs le marché au cadran de Plérin marche bien. Mais ce n’est pas vrai, et Mme Beaumeunier en sait quelque chose. Il faut donc faire un effort de pédagogie pour changer les modalités.

Les gens ne pourront travailler ensemble que si des rapports de confiance s’instaurent. De ce point de vue, le médiateur sert de tiers de confiance entre les uns les autres. C’est à partir de cette confiance que l’on pourra bâtir un système, mais c’est difficile.

En France, nous sommes dans une culture de l’affrontement. Je comprends les colères qui sont parfois légitimes. Mais une fois que la colère est passée, il faut se mettre autour de la table et sortir de l’affrontement. Au contraire, dans les pays anglo-saxons et les pays nordiques, il y a une culture du travailler ensemble. Il faut donc passer de la culture française de l’affrontement, de l’épopée, de l’héroïsme, à une culture beaucoup plus modeste mais bien plus efficace du travailler ensemble.

Mme Annick Le Loch. La loi de modernisation de l’économie (LME) votée en 2008, que nous avons tenté de faire évoluer avec la loi Hamon relative à la consommation, a consacré la libre négociation. Cette loi a généré une baisse des prix par la négociation, peut-être même aussi une guerre des prix entre les distributeurs. Faites-vous la même analyse ? La guerre des prix est-elle synonyme de perte de marge, donc de fragilisation du tissu industriel ? On s’aperçoit que les partenariats n’existent pas vraiment ou en tout cas qu’ils ne sont pas suffisamment forts.

M. Francis Amand. Je vous répondrai à titre personnel. On a assisté à une baisse des prix. La négociation est un bon principe. Lorsque la négociation est équilibrée, c’est que l’on travaille collectivement pour aboutir à un objectif gagnant-gagnant. Mais son application est assez contestable. D’un côté, on vous donne la liberté, mais de l’autre on tape fort si vous faites les idiots.

En France, il y a une culture du prix bas. On a conforté les distributeurs dans leur modèle de distribution qui consiste à vendre des prix et non des produits. Pourtant, c’est plutôt de la valeur qu’ils devraient vendre. Ils ne font pas leur travail consumériste au sens large. La loi, qui est bonne dans son principe, les a peut-être confortés dans ce modèle économique. Il existe peut-être d’autres modèles économiques de niches ou de création de valeur.

Mme Virginie Beaumeunier. Je suis tout à fait d’accord avec Francis Amand sur l’essentiel. En fait, aujourd’hui la grande distribution vend des promotions. En Allemagne, elle vend du prix bas mais de fond de rayon, c’est-à-dire de panier courant. C’est possible parce qu’il y a des accords de plus long terme, une contractualisation, davantage de confiance. En France, les distributeurs se battent sur des promotions. S’ils font une marge négative sur des produits d’appel, c’est bien parce qu’ils se rattrapent ailleurs. Mais ce n’est pas transparent pour le consommateur. Dans le secteur des fruits et légumes, nous avons favorisé la contractualisation. Lorsque les prix sont bas, le producteur a intérêt à avoir contractualisé, mais dès qu’ils augmentent il veut en sortir pour bénéficier d’opportunités. Il faut donc que tout le monde joue le jeu.

Il faut parvenir à un nouveau modèle, tant en matière de production que de distribution. Ce qui est difficile, c’est la période de transition. C’est cela qui crée les crises.

M. Philippe Chalmin. Nous sommes probablement le pays qui a le plus légiféré en matière de relations commerciales. Pourtant, nous sommes le pays où les relations commerciales se vivent le plus difficilement. Je me demande parfois s’il n’y a pas un rapport de cause à effet. C’est vrai, nous ne sommes pas un pays de confiance. Nous sommes le seul pays où, chaque année, les négociations donnent lieu à des psychodrames avec du sang sur les murs. Cette idée selon laquelle les négociations doivent être complétées le 28 février est un peu absurde surtout lorsque l’on sait que quelques semaines plus tard on trouve toujours une façon pour ouvrir le grillage qui protégeait le poulailler. Comme nous ne sommes pas un pays de confiance, le législateur a eu tendance à fixer des contraintes. En Allemagne – c’est un peu l’esprit de la Mitbestimmung, c’est-à-dire de la cogestion – l’accord signé n’est pas remis en cause. L’année dernière, nous avions comparé l’évolution des prix des produits laitiers en France et en Allemagne. Nous avions constaté qu’en Allemagne les prix étaient beaucoup plus instables pour le consommateur, ce qui n’est pas le cas en France.

M. Pellois a dit en quelque sorte que je suis totalement vendu à la grande distribution.

Mme Frédérique Massat, présidente. Ce n’est pas ce qu’il a dit !

M. Philippe Chalmin. Le rayon qui accuse la marge nette négative la plus forte est la poissonnerie. La boucherie et la boulangerie affichent également une marge nette négative. Globalement, la grande distribution dégage une marge de 1,5 %, ce qui est considérable. Cela explique un processus d’accumulation capitaliste qui n’est pas négligeable, quelles que soient les structures de ladite grande distribution, qu’elles soient associatives ou capitalistes. L’art de la grande distribution, c’est de dégager une marge moyenne relativement faible, bien plus faible qu’elle ne l’est au Royaume-Uni, avec des rayons qui gagnent et d’autres qui perdent.

Je pense que les tensions sur le secteur alimentaire ont augmenté depuis que la concurrence est plus forte sur le secteur non alimentaire.

Mme Frédérique Massat, présidente. Madame, Messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à nos questions.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 8 juillet 2015 à 18 heures

Présents. – M. Thierry Benoit, M. François Brottes, M. Yves Daniel, Mme Corinne Erhel, Mme Annick Le Loch, Mme Frédérique Massat, M. Hervé Pellois

Excusés. – M. Jean-Claude Bouchet, Mme Jeanine Dubié, M. Franck Gilard, M. Joël Giraud, Mme Anne Grommerch, M. Antoine Herth, M. Kléber Mesquida, M. Yannick Moreau, M. Bernard Reynès, M. Jean-Charles Taugourdeau