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Commission des affaires économiques

Mercredi 4 novembre 2015

Séance de 13 heures 45

Compte rendu n° 18

Présidence de Mme Frédérique Massat, Présidente, de M. Jean-Paul Chanteguet, Président de la commission du développement durable, et de Mme Catherine Lemorton, Présidente de la commission des affaires sociales

– Audition, commune avec la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire et la commission des affaires sociales, de représentants de la CFDT Air France et de la CFE/CGC d’Air France

La Commission des affaires économiques a entendu, conjointement avec la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire et la commission des affaires sociales, des représentants de la CFDT Air France et de la CFE/CGC Air France.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Madame, messieurs, à la suite des événements du 5 octobre, la représentation nationale a décidé d’auditionner les interlocuteurs apparemment incapables de dialoguer : la direction et l’intersyndicale d’Air France. Vos organisations ayant souhaité, elles aussi, être entendues, il nous fut difficile de respecter l’horaire initialement prévu. Je vous prie donc d’excuser les nombreux députés qui n’ont pas pu rester pour cette dernière audition – dont ils pourront consulter l’enregistrement – et vous garantis que nous vous laisserons tout le temps nécessaire pour vous exprimer.

M. Ronald Noirot, secrétaire général de la CFE-CGC. Comme le montrent les élections de mars 2015, nos deux syndicats représentent 35 % du personnel d’Air France ; mais nous ne faisons pas partie de la soi-disant intersyndicale dont vous avez vu le nombre pléthorique de représentants. Lors de la précédente audition, vous avez laissé la parole à des représentants de syndicats non représentatifs, qui ne comptent donc pas dans l’entreprise. Certes, en démocratie, chacun doit pouvoir s’exprimer ; mais il est dommage que nous bénéficiions d’une audience de députés bien moindre qu’eux !

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous avais proposé de reporter l’audition afin de rassembler davantage de députés.

M. Ronald Noirot. C’était impossible. Mais nous essayerons malgré tout de faire passer notre message.

Pour la CFE-CGC, trois responsables se partagent les torts. L’État d’abord, ou plutôt le Gouvernement, qui doit être le garant d’une concurrence loyale dans le transport aérien au lieu de laisser perdurer des dispositions aberrantes telles que des taxes qui n’incombent qu’aux compagnies aériennes françaises ou des redevances aéroportuaires bien plus importantes qu’ailleurs. Ainsi, la redevance dont s’acquittent nos amis de KLM – qui font partie du même groupe que nous – à l’aéroport de Schiphol a baissé cette année de 11 % et baissera encore de 11% en 2016 alors que la nôtre augmente largement plus que l’inflation. Certes, les taxes sont injustifiables et l’on ne va pas remettre en cause la taxe carbone à la veille de la COP21 ; mais pourquoi n’y a-t-il que les compagnies aériennes françaises qui la paient, alors que les Américains et les Chinois ont refusé de le faire ? Nous devrions être sur un pied d’égalité avec les autres concurrents, afin de défendre notre savoir-faire.

Le deuxième responsable, c’est la direction générale qui, depuis plus de quinze ans, a fait preuve d’un grand laxisme en matière de relations sociales dans l’entreprise, nous amenant à une situation où un directeur général adjoint chargé des ressources humaines se retrouve sans chemise. C’est une honte pour le syndicalisme d’Air France que d’en arriver à des débordements pareils, alors que tout avait été fait pour encourager le débat. C’est également la preuve de l’incapacité de la direction générale à faire passer ses messages. Le 5 octobre, au comité central d’entreprise (CCE), l’on n’a pas annoncé de licenciements, mais 2 993 pertes d’emplois qui seraient couvertes par des départs volontaires – un procédé pratiqué depuis plus de cinq ans, dans le plus grand respect des salariés. La CFE-CGC s’est toujours battue pour éviter les licenciements secs dans cette entreprise, et a toujours su trouver des solutions. Le 5 octobre, l’on avait également annoncé que l’on reprenait le dialogue social jusqu’à la fin de l’année pour tenter de corriger les écarts avec la concurrence.

Le troisième responsable, ce sont les syndicats. Le dialogue social est en panne non parce que la direction générale est mauvaise, mais parce que pour négocier, il faut être deux ! Nous avons, pour notre part, autant de mal avec les organisations syndicales qu’avec la direction. En effet, en moyenne, par an, chez Air France, l’on signe une centaine d’accords, soit un tous les trois jours en dehors des vacances ; cela montre que, contrairement à ce qu’affirment certains, le dialogue social existe et donne des résultats. Le personnel navigant technique, représenté par le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), n’a pas assisté à dix des seize réunions prévues, optant pour la politique de la chaise vide. Certains syndicats du personnel navigant commercial ont également refusé de siéger alors qu’ils étaient invités dans la négociation. Il faut dénoncer toutes les contre-vérités au profit des faits. Les médias ont abondamment couvert les violences qui ont eu lieu chez Air France au lieu de mettre en avant le dialogue social qui existe dans l’entreprise, mais nous arrivons à travailler avec certains représentants de la direction générale et à leur faire passer des messages.

Mon syndicat, qui appelle à des réformes de structure capables de rendre l’entreprise plus compétitive dans le paysage du transport aérien mondial et défend le principe de négociation, dans le plus grand respect du personnel, est devenu la première organisation d’Air France, toutes catégories confondues. Les salariés d’Air France ont la volonté de trouver, par la discussion, des solutions aux problèmes que nous rencontrons aujourd’hui.

Mme Béatrice Lestic, secrétaire générale de la CFDT. En affirmant qu’on n’a pas de visibilité sur le diagnostic économique de l’entreprise, les représentants de l’intersyndicale s’égarent puisque depuis 2012, on a accumulé une dizaine d’expertises. Les élus au CCE disposent d’un expert qui, tous les ans, passe en revue les comptes et nous fait un point en milieu d’année. Avec le cabinet Secafi Alpha, nous avons conduit des contre-expertises sur à peu près tous les projets de la direction générale. On avait de la visibilité au moment du plan Transform – c’est pourquoi la CFDT s’est engagée dans ce travail – et on en a aujourd’hui. Au mois de juin encore, nous avons eu des informations sur l’analyse des comptes de l’entreprise.

À la CFDT, nous estimons que l’entreprise va mieux ; c’est pourquoi nous avons signé Transform, contrairement à nombre d’intervenants de tout à l’heure, et cet accord commence aujourd’hui à porter ses fruits. L’entreprise avait perdu de l’argent pendant sept années consécutives, mais grâce au dialogue social, il n’y a eu aucun licenciement sec. Arrêtons donc de dire que le dialogue n’existe pas chez Air France ! Cependant, si la situation s’améliore – et nous nous en félicitons –, elle reste moins favorable que celle de nos concurrents, et les gains ne suffisent pas à rétablir les fondamentaux. Tous les élus du CCE le savent : les fonds propres sont négatifs et la dette atteint 4,5 milliards d’euros – sans d’ailleurs en rien être constituée par les amendes. En 2016, il nous faudra financer des échéances importantes de remboursement ; or les résultats d’exploitation actuels n’y suffisent pas, y compris de l’avis de l’expert mandaté par les salariés. Secafi Alpha a estimé, avant la direction, qu’à moins de 750 millions d’euros de résultats d’exploitation, l’on n’arriverait pas à résorber la dette tout en finançant les investissements – un besoin impérieux pour Air France.

Le transport aérien est en pleine période de mutation et de nouveaux acteurs entrent sur le marché international. Il y a dix ans, on n’était pas confronté aux compagnies du Golfe, ni à la montée des compagnies asiatiques. Aujourd’hui, nous sommes bien obligés de nous adapter. Les commerciaux – dont je suis – s’y adaptent : notre recette unitaire est quasiment la meilleure de l’industrie, car on sait bien vendre les billets, mais elle s’effrite, comme le savent tous les élus du CCE. Cette question a fait l’objet de multiples expertises et contre-expertises, donc affirmer que nous ne connaissons pas le diagnostic est faux : nous en avons bel et bien une vision partagée. La CFDT estime que nous n’avons pas besoin d’un médiateur pour conduire les négociations, mais nous sommes tout à fait disposés à faire intervenir des personnalités qualifiées pour refaire le point sur le diagnostic économique afin de mettre toutes les parties d’accord sur ce point. Nous sommes également demandeurs d’observateurs de la négociation. On ne peut pas laisser dire aujourd’hui dans tous les journaux et à l’Assemblée nationale qu’il n’y a pas de dialogue social à Air France. C’est faux ; on sort d’une négociation sur l’égalité professionnelle, on entre en négociation sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Les instances du dialogue se réunissent, les discussions se déroulent ; certains syndicats choisissent simplement de ne pas y participer. Ceux qui affirment le contraire sous-entendent que les organisations qui s’engagent dans le dialogue social signent la copie de la direction ; mais nous négocions au contraire point par point. La CFDT n’accepte donc pas des déclarations comme celle-ci. Nous avons porté une bonne partie des accords aujourd’hui en vigueur. Je vous invite à regarder le niveau social de l’entreprise ; on est loin de Germinal, et c’est grâce au dialogue social que le droit social Air France est très largement supérieur à ce qu’on peut observer dans d’autres entreprises françaises. Il faut donc sortir de la caricature.

S’agissant du rôle de l’État, la CFDT avait déjà interpelé le Gouvernement au moment de la sortie du rapport Abraham, puis du rapport Le Roux. Tous les syndicats de l’entreprise sont réunis au sein du collectif intersyndical – indépendant de l’intersyndicale que vous avez reçue aujourd’hui – qui travaille sur ces questions depuis plus d’un an et demi. Nous demandons que soient mises en œuvre toutes ou une partie des mesures indispensables préconisées dans ces deux rapports. Nous souhaitons au moins que l’État travaille sur la question de la taxe de l’aviation civile, qui représente une dérogation à l’universalité de la comptabilité publique dans la mesure où ce sont les compagnies aériennes qui financent une partie de l’administration. Nous voulons également qu’il réfléchisse à la taxe de sûreté ; en effet, dans la plupart des pays, la sûreté est une fonction régalienne, assumée par l’État, alors qu’en France, ce sont les compagnies aériennes qui la prennent en charge, via les taxes payées par les passagers. En matière de taxes aéroportuaires, Ronald Noirot a souligné à juste titre que nos collègues néerlandais bénéficient d’une baisse de 7,7 % cette année, et de 11 % l’année prochaine. Une baisse des taxes bénéficierait à l’ensemble des compagnies, mais profiterait surtout à la compétitivité d’Air France dont Paris est la plateforme principale.

M. Arnaud Richard. Votre présentation apparaît assez complémentaire de la table ronde précédente. Vous affirmez que le dialogue social fonctionne ; c’est peut-être vrai dans votre cas – ce qui est déjà positif –, mais la situation semble toutefois tendue. L’événement du 5 octobre ne nous rend pas très fiers, et il faut en tirer les conséquences. Sans accuser quiconque de déni ou de mensonge, il nous faut préserver ce joyau qu’est Air France. L’histoire des compagnies aériennes dans le monde montre que les choses peuvent aller très vite. Il faut que toutes les parties prenantes reviennent au dialogue pour débloquer la situation. Le secteur est en expansion, Air France est une belle entreprise ; ses salariés sont éminemment compétents et ses avions, pleins. Mais la concurrence voudrait vous voir disparaître ; alors, de grâce, faites ce qu’il faut pour résoudre le problème !

M. Denys Robiliard. Il était important pour nous, parlementaires, d’entendre tous les points de vue : celui de la direction et celui des salariés, à travers leurs organisations représentatives, majoritaires et minoritaires. Si la CGC et la CFDT réunies représentent 35 % du personnel, l’intersyndicale que nous avons reçue comprend également nombre de syndicats représentatifs.

Quels éléments des diagnostics établis par la direction et par certains de vos collègues partagez-vous et lesquels contestez-vous ? Quel est votre propre avis sur ce qu’il faudrait faire pour qu’Air France croisse ? Qu’est-ce qui vous paraît important et souhaitable pour le personnel ? Les actions ne sont pas des titres de propriété, mais nous sommes très attachés à cette compagnie nationale.

Une procédure d’alerte a été lancée par le CCE ; quelle est votre position sur cette initiative, son opportunité et l’information qu’elle peut apporter ?

Vos collègues estiment que la qualité du dialogue social laisse à désirer. Vous mentionnez des accords signés. Sur quoi doit aujourd’hui porter la négociation ? Quelles revendications de la direction vous paraissent légitimes ? Sur quels sujets souhaiteriez-vous voir porter le dialogue social ? En effet, le dialogue ne peut être unilatéralement défini par l’une des parties ! Votre demande de dialogue social est-elle satisfaite ? Que peut-on faire à ce propos ?

Mme Isabelle Attard. Arnaud Richard a évoqué, à propos du 5 octobre, l’image déplorable d’Air France ; mais c’est ce qui se passe avant qui est déplorable ! C’est l’exaspération des salariés qui aboutit aux images en question. Ce qui doit nous alerter, en tant qu’État actionnaire, ce sont les annonces faites à la presse et non aux salariés, la manière de la direction de parler aux salariés et le fait de bloquer les décisions du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Je suis donc très gênée qu’on nous rabâche les oreilles avec les images du 5 octobre qui ne renvoient, après tout, qu’à deux chemises déchirées – à mettre en parallèle avec les licenciements, le stress, les suicides et le burn-out des salariés. Je suis triste, mais satisfaite que ces propos aient pu être tenus dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

En tant que syndicalistes, avez-vous compris quelle était la stratégie à long terme de la direction d’Air France ?

M. Henri Jibrayel. Cette réunion nous éclaire. Vos collègues de l’intersyndicale condamnent le manque de dialogue social ; la direction botte en touche quand on lui pose des questions fondamentales en cette matière ; de votre côté, vous insistez sur l’existence du dialogue. Au final, le bilan de l’exercice 2014-2015 est plutôt positif par rapport aux années antérieures où la compagnie était dans le rouge.

Au-delà des images du 5 octobre, que se passe-t-il ? Aujourd’hui, la compagnie est confrontée à la concurrence venant du Golfe et de l’Asie, mais aussi des autres pays européens ; en même temps, elle traverse une mutation et songe à supprimer 2 900 postes. N’est-il pas plus intéressant, pour les syndicats, d’opter pour l’unité ? Je comprends vos différences et vos divergences ; quand une entreprise réunit trois catégories de personnels
– pilotes, personnel au sol, personnel navigant commercial –, la multiplicité des organisations semble normale. Mais la direction ne profite-t-elle pas de la division syndicale pour faire passer des accords ? Ne pensez-vous pas que ce manque de cohésion constitue une faille ? Sans faire de l’ingérence et en respectant votre indépendance, je pense qu’il s’agit d’un handicap pour l’avenir de cette entreprise en pleine mutation.

Mme Marie-Arlette Carlotti. Sachez que nous vous écoutons avec la même attention que vos collègues reçus plus tôt.

Je comprends que vous soyez blessés en entendant dire qu’il n’y a pas de dialogue social chez Air France, puisque vous y travaillez, que vous sollicitez des experts, vous entourez de professionnels et signez des accords. Je vous remercie de pratiquer un syndicalisme constructif et je comprends votre ligne. Mais aujourd’hui, la situation est extrêmement tendue et les discussions semblent rompues. Les représentants de l’intersyndicale nous ont fait part de leur malaise ; dans quelques semaines, des salariés de votre entreprise feront l’objet de procédures disciplinaires, le tribunal est saisi le 2 décembre. Certaines organisations ont affirmé vouloir passer à l’étape supérieure, décidées à résister. Mais il y a bien quelque chose à faire, désormais, du point de vue de l’ensemble des salariés, pour revenir à une situation normale ! Il faut trouver une voie de retour vers l’apaisement. Qu’attendez-vous de la procédure d’alerte ? Que pensez-vous des propositions formulées tout à l’heure ? Si vous condamnez le syndicalisme excessif, l’agression physique et l’image que cela donne de votre entreprise, que pensez-vous de l’abandon des poursuites disciplinaires ? Cela permettrait-il de calmer le jeu ou bien cela encouragerait-il ce genre d’attitudes ? Je respecte, comprends et salue votre position, mais la situation est explosive ; que peut-on faire pour que cela cesse et pour qu’on reparte d’un bon pied ?

Mme Chaynesse Khirouni. J’ai rappelé, lors de l’audition de M. Frédéric Gagey, que depuis dix ans, près de 9 000 emplois propres à Air France – sans compter ceux de ses sous-traitants – ont été supprimés par le biais de plans de départ volontaires. Les salariés semblent fortement investis dans leur travail et très attachés à la marque, avec un fort sentiment d’appartenance. Il s’agit d’une grande force qui devrait faciliter le dialogue social. Pourtant, à l’évidence, celui-ci fonctionne mal. Les tensions récurrentes – qui ne datent pas du 5 octobre – menacent la cohésion de l’entreprise. Vous avez évoqué le fait que la direction générale ne sait pas faire passer les messages ; mais au point où nous sommes arrivés, la direction et les salariés ne devraient-ils pas porter une stratégie claire et partagée ? De votre côté, vous faites des efforts et essayez d’engager la coordination pour faire fonctionner le dialogue ; mais quelles sont les limites de la politique des ressources humaines dans le cadre du changement conduit au sein d’Air France ?

Mme Kheira Bouziane-Laroussi. Madame, messieurs, je vous remercie pour votre patience ! Ce matin, j’ai été frappée par la froideur du représentant de la direction d’Air France ; en rencontrant des salariés de l’entreprise, j’ai été marquée par leur souffrance. Votre intervention, monsieur Noirot, montre la tension qui existe entre différents syndicats. Cela me désole car vous poursuivez, au fond, le même objectif : la défense des intérêts des salariés. Notez d’ailleurs que certains syndicats que nous avons auditionnés tout à l’heure sont également représentatifs.

Quel sera l’impact des 2 900 postes supprimés – sans licenciements – sur l’exploitation ? L’entreprise souhaite développer des activités, mais comment le faire avec 2 900 employés en moins ?

Vos collègues auditionnés plus tôt avaient évoqué le profil des dirigeants d’Air France, plus financiers qu’entrepreneurs ; vous avez également indiqué que la faiblesse de l’investissement pouvait se révéler préjudiciable pour l’avenir de l’entreprise.

Quelle est votre position par rapport aux conclusions du CHSCT contestées par la direction ?

Comment pouvez-vous, en tant que syndicats, améliorer le climat social – terme que vous préférez à celui de dialogue – pour qu’on se concentre sur l’exploitation, le fonctionnement et la vie de l’entreprise ?

Mme Annick Le Loch. Les échanges de ce matin n’ont rien pour nous rassurer quant à l’avenir de l’entreprise ! Il est très difficile d’y voir clair lorsque vous affirmez que le dialogue social se porte bien chez Air France, alors que vos collègues soutiennent qu’il n’existe pas, que l’entreprise a grand besoin d’investissements et que la stratégie de la direction est illisible. Vous dites en avoir discuté, accompagnés de cabinets, et disposer de tous les éléments. Ce qui est en jeu, c’est la survie et l’avenir de la compagnie nationale à laquelle nous sommes tous attachés. À ce stade, je suis très inquiète !

Un de vos collègues a affirmé tout à l’heure que le dialogue social, inexistant chez Air France, se portait bien chez KLM. Comment expliquez-vous cette différence ?

Mme Béatrice Lestic. Certains continuent à faire vivre le dialogue social chez Air France, mais il est clair que le climat social est absolument délétère. Nous ne nions pas ce constat, mais pensons qu’il n’y avait pas de raison d’en arriver aux extrêmes du 5 octobre. Ce jour-là, comme le 22 octobre, 90 % des salariés n’étaient pas en grève et l’exploitation n’avait en rien été perturbée. Une bonne partie du personnel – sans doute proche de nos syndicats – ne partage pas l’outrance dans laquelle on est entré aujourd’hui. La direction porte évidemment une part de responsabilité dans ce blocage, et cette situation dure depuis un an et demi. Les choses ont commencé à se dégrader dans le cadre du dialogue entre la direction générale et les pilotes – personnel central dans une compagnie aérienne. Il nous est difficile d’apprécier la part de responsabilité de chacun dans cet échec car dans cette entreprise, les négociations sont depuis toujours conduites par catégorie : pilotes, personnel navigant commercial, personnel au sol. La CFDT, première organisation syndicale parmi le personnel au sol, ne participe donc jamais aux discussions avec les pilotes.

Vous demandez ce qu’il est possible de faire. Même si nous sommes d’accord sur tout un ensemble de points, nous ne formons pas une intersyndicale, la CFDT comme la CFE-CGC tenant à leur autonomie de fonctionnement, à leur libre arbitre et à leur indépendance de parole. Dès le mois de juin, avons suggéré à la direction d’instaurer des négociations intercatégorielles pour parvenir au moins à un accord de cadrage intercatégoriel, quitte à revenir à des négociations catégorielles pour tenir compte des spécificités de chaque métier. Mais la direction comme les syndicats de pilotes et de personnel navigant commercial refusent le principe de négociations intercatégorielles. Nous y voyons l’une des raisons du blocage. En effet, les négociations catégorielles sont possibles lorsque tout va bien et que chacun récupère un peu du fruit de la croissance et des résultats de l’entreprise ; mais lorsque la situation se corse – et elle est problématique depuis maintenant sept ans –, l’exercice montre vite ses limites. Je ne sais pas si c’est la direction qui monte les salariés les uns contre les autres, mais la grève des pilotes, l’année dernière, quelle qu’en aient été les raisons, fut un séisme pour l’entreprise. Air France n’avait pas connu de grève aussi longue depuis 1998, et un conflit aussi dur laisse forcément des traces. Quant à nous, nous sommes fatigués du rôle de spectateurs observant la discussion entre la direction générale et ses pilotes.

Pour récapituler : oui, la direction générale porte une énorme responsabilité dans ce qui se passe ; non, les salariés n’en comprennent pas la stratégie. Nous sommes suspendus, de mois en mois, voire de semaine en semaine, aux résultats des négociations entre la direction et les pilotes. Cette situation dure depuis un an. Le management est parfaitement démotivé et ne sait plus quoi dire aux équipes. Il y a donc un problème majeur de communication. Mais les raisons de cette détérioration invraisemblable de la situation remontent au blocage entre la direction et les pilotes – personnel essentiel dans une compagnie aérienne. La CFDT n’accepte plus ce rôle de simple spectateur, sachant qu’au final, ce sont nos syndiqués – le personnel au sol – qui serviront de variable d’ajustement.

Nous avons été à l’initiative du droit d’alerte, donc nous l’avons évidemment voté. En effet, la CFDT est absolument opposée au plan B – un plan d’attrition qui consiste à supprimer quatorze avions de la flotte en cas d’échec des négociations. La direction entretient cette menace depuis plus d’un an, mais lorsque la date butoir tombe, le conseil d’administration redonne finalement du temps à la négociation en votant la mise en œuvre du plan B en deux temps : le retrait de cinq avions en 2016, puis le reste en 2017. Pour apprécier les positions de chacun, vous pouvez consulter les procès-verbaux du CCE. Alors que la direction cite l’exemple de British Airways et de Delta – qui ont réussi à rebondir après avoir mis en place des plans difficiles –, ce n’est pas ce scénario-là qui nous attend, mais celui d’Alitalia, inacceptable. Le plan B n’étant pas totalement enclenché, il reste encore du temps pour la négociation, et la CFDT demande précisément à négocier pour parvenir à un accord de cadrage intercatégoriel. À chacun de prendre ses responsabilités et de mesurer sa capacité de dialogue, mais le plan B est inenvisageable pour notre syndicat.

M. Ronald Noirot. Madame Attard, il ne s’agit pas que d’une chemise arrachée : on a bafoué l’honneur d’un homme devant plus de 500 millions de téléspectateurs. Or le respect des salariés – tous les salariés – fait partie des valeurs que défend la CFE-CGC ; ce qui s’est passé nous apparaît donc inacceptable, et les autorités compétentes doivent absolument se prononcer. Aujourd’hui, le procès est en cours, et une décision de justice sera prise le 2 décembre. Je ne ferai donc pas plus de commentaires.

Comme la CFDT, nous sommes contre le plan B qui prévoit l’attrition des lignes d’Air France, alors que d’autres solutions peuvent être envisagées. Mais nous n’en parlons aujourd’hui qu’à cause de l’échec, depuis plus d’un an, des négociations avec les pilotes. Or pour une compagnie aérienne, le refus d’évoluer est bien plus grave lorsqu’il vient des pilotes que du personnel au sol ou du personnel navigant commercial. Par conséquent, si le SNPL, syndicat majoritaire des pilotes, n’est pas capable de trouver des solutions pour revenir à la table des négociations, le blocage perdurera. La CFE-CGC ne fait pas partie de cette intersyndicale précisément parce qu’elle ne souhaite pas joindre sa voix à celle du SNPL. Ce matin, c’est un représentant de ce syndicat qui était le porte-parole de l’intersyndicale ; on peut s’interroger sur sa bonne conscience alors qu’il y a un an, le SNPL expliquait que ce n’étaient pas les pilotes, mais le personnel au sol qui coûtait cher à Air France, et qu’il fallait en virer 5 000 ! Dans l’état actuel des choses, il ne saurait donc y avoir d’unité syndicale. Finissons-en avec la pensée unique : ce n’est pas parce qu’on crie le plus fort, ou que l’on entreprend des actions en dehors de toutes les règles de bienséance, qu’on a raison ! J’ai la prétention de penser que la majorité du personnel d’Air France partage aujourd’hui les positions réformistes et intelligentes que notre syndicat défend depuis deux ans : le refus de tout licenciement sec et de toute baisse de rémunération, en toute transparence et en toute équité. Ce matin, alors que je me rendais à pied à cette audition, les membres d’un autre syndicat m’ont traité de vendu, simplement parce que nous n’avons pas défendu les mêmes positions qu’eux. La direction générale a des torts et doit faire bien des efforts ; mais nous tous, syndicats, devons également nous poser des questions pour savoir si nous sommes là pour défendre les salariés de l’entreprise ou pour tout autre chose.

Ce matin, j’ai entendu des discours très militaires, mais il faut relativiser : Air France, ce n’est pas la guerre, mais une compagnie malade qui, il n’y a pas longtemps, était au bord de la mort. En 2010, lorsqu’on a lancé le plan Transform à l’initiative d’Alexandre de Juniac, l’entreprise était pratiquement en cessation de paiement. Grâce à ce plan, signé par la CFE-CGC, on a sauvé l’essentiel. Aujourd’hui, on est dans la deuxième phase – Perform – qui court jusqu’en 2020 et qui, si l’on exclut l’hypothèse du plan B, doit nous permettre de redevenir la première compagnie mondiale. C’est la place que nous occupions jusqu’en 2008 ; on mesure le déclin survenu depuis. Si l’on n’est pas capable de se poser les vraies questions de la réforme et de la restructuration, on n’arrivera pas à concurrencer Lufthansa et British Airways. Ne nous comparons pas aux compagnies du Golfe, mais aux compagnies européennes voisines. Certes, tout le monde se gausse des bénéfices qu’Air France fait cette année ; mais l’entreprise en réalise trois fois moins qu’International Airlines Group (IAG)
– British Airways et Iberia – et 2,5 fois moins que Lufthansa. Cela montre le chemin qu’il nous reste à parcourir. Ne pas mener ces réformes ne nous empêchera pas de fonctionner ; mais nous fonctionnerons mal, et un jour, dans le cadre des regroupements qui marquent le paysage du transport aérien, nous serons victimes d’une prise de participation hostile, et Air France ne sera plus maître de son destin. C’est ce que nous aimerions éviter en donnant à l’entreprise les moyens de rentabiliser son activité et de la rendre encore plus performante qu’elle n’est aujourd’hui. C’est la seule petite ambition que nous avons, et tout le monde doit en prendre conscience. Ce n’est pas parce qu’on dit le contraire de la majorité de nos collègues – dont certains ne défendent que des avantages corporatistes – qu’on doit être si mal traités !

Certaines centrales syndicales se livrent aujourd’hui à une manipulation pour essayer de faire passer des messages fallacieux : le 5 octobre, on a ainsi annoncé qu’il y aurait 2 993 licenciements. Cette annonce, qui a mis le feu aux poudres, était fausse. Je ne défends pas la direction générale, mais la vérité. M. Frédéric Gagey est dans l’entreprise depuis trente ans ; le classer en tant que politique mis en place par les pouvoirs publics est donc pour le moins abusif. Issu d’Air Inter, comme lui, je sais de quoi je parle : ce n’est pas un technocrate parachuté selon le bon vouloir des politiques. MM. Frédéric Gagey et Alexandre de Juniac ont commis deux erreurs : dire au SNPL qu’il ne cogérerait plus l’entreprise avec la direction générale, puis annoncer qu’on allait s’attaquer frontalement à un bastion de la CGT, Marseille. Cette escale – la seule du réseau où l’on n’a pas pu faire les mesures de modernisation et de restructuration introduites partout ailleurs – pose aujourd’hui d’énormes problèmes à la lumière des comparaisons avec la concurrence parce qu’elle fonctionne toujours comme il y a trente ans. D’où vient la différence, du simple au double, du coût de la touchée entre Marseille et d’autres escales telles que Bordeaux ? Une fois qu’on l’a constaté, on peut choisir l’inaction, mais en tant que syndicaliste, je me dois de dire la vérité même quand elle est difficile à entendre pour les salariés. Il faut absolument se poser les bonnes questions, car sinon, un jour, c’est la totalité de l’entreprise que l’on perdra.

Mme la présidente Frédérique Massat. Nous vous remercions pour vos réponses et vous renouvelons nos excuses pour ce retard ! Des auditions auront également lieu au Sénat. Les parlementaires vous ont entendus ; ils peuvent désormais se faire leur opinion au regard de l’ensemble des témoignages.

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 4 novembre 2015 à 13 h 45

Présents. – M. Damien Abad, Mme Brigitte Allain, M. Frédéric Barbier, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Philippe Bies, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Marcel Bonnot, M. Christophe Borgel, M. Jean-Claude Bouchet, M. Florent Boudié, M. Dino Cinieri, M. Yves Daniel, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Daniel Goldberg, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Yves Jégo, M. Henri Jibrayel, M. Philippe Kemel, M. Jean-Luc Laurent, M. Thierry Lazaro, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Hervé Pellois, M. François Pupponi, M. Bernard Reynès, M. Franck Reynier, M. François Sauvadet, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Marie Tetart, Mme Catherine Vautrin

Excusés. – M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, M. Denis Baupin, M. André Chassaigne, M. Franck Gilard, Mme Laure de La Raudière, M. Serge Letchimy, M. Yannick Moreau, M. Germinal Peiro, M. Dominique Potier, M. Thierry Robert, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais

Assistaient également à la réunion. – Mme Isabelle Attard, Mme Fanélie Carrey-Conte, Mme Virginie Duby-Muller, M. Patrick Hetzel, M. Bruno Le Roux, M. Olivier Marleix, M. Paul Molac