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Commission des affaires économiques

Mardi 17 novembre 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 22

Présidence Mme Frédérique Massat, Présidente

– Examen de la proposition de loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire (n° 3052) (M. Guillaume Garot, rapporteur)

– Présentation du rapport au Gouvernement de Mme Fanny Dombre Coste : « Favoriser la transmission d’entreprise en France »

La commission a examiné la proposition de loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire (n° 3052), sur le rapport de M. Guillaume Garot.

Mme la présidente Frédérique Massat. Cela fait plusieurs mois que nous parlons de la lutte contre le gaspillage alimentaire au sein de la Commission des affaires économiques ; nous avons également eu l’occasion d’examiner des amendements en séance publique. Aujourd’hui, nous sommes réunis pour débattre d’un texte cosigné par plusieurs groupes. Je salue le travail mené pour arriver à un texte commun.

Nous avons eu à en connaître certaines dispositions lors de l’examen de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Aujourd’hui, nous espérons arriver au terme du processus législatif afin de disposer d’instruments juridiques concernant la lutte contre le gaspillage alimentaire.

M. Guillaume Garot, rapporteur. La lutte contre le gaspillage alimentaire est d’abord un enjeu économique. Chacun de nous jette vingt à trente kilos de nourriture chaque année, dont sept kilos encore emballés. Cela correspond à près de 100 euros de pouvoir d’achat perdu par personne. À l’échelle de notre pays, chaque année, ce sont 12 à 20 milliards d’euros gaspillés.

C’est ensuite un enjeu écologique. Dans la perspective de la COP21 qui se tiendra à Paris dans les jours à venir, il n’est pas inutile de le signaler. À l’échelle de la planète, le gaspillage alimentaire est l’équivalent d’un troisième émetteur mondial de gaz à effet de serre, après la Chine et les États-Unis. Si l’on veut lutter contre le réchauffement climatique, il faut aussi lutter contre le gaspillage de ressources que représente le gaspillage alimentaire.

C’est enfin un enjeu éthique. Aujourd’hui, plus de 30 % de la production alimentaire mondiale sont jetés, alors que tant de gens meurent de faim partout dans le monde. Cela est d’autant moins acceptable qu’un véritable défi alimentaire nous attend dans les prochaines décennies. Aujourd’hui, nous sommes sept milliards sur la terre ; en 2050, nous serons neuf milliards. Comment nourrir neuf milliards d’habitants avec les ressources d’une même planète ? En commençant par jeter moins, gaspiller moins ce que nous produisons.

Ces principes font certes consensus, mais comment agir ? Quelle est la responsabilité du législateur ? Tout le monde en parle et les initiatives se sont multipliées depuis quelques années. Mais si l’on observe lucidement la situation, on s’aperçoit que la bonne volonté des uns et des autres sur le terrain, dans les collectivités territoriales, les associations ou les entreprises ne suffit pas à faire reculer radicalement le gaspillage à l’échelle d’un pays comme le nôtre. Cela veut dire qu’il nous faut collectivement inventer une politique, donc une action publique contre le gaspillage.

C’est le sens de la proposition de loi que je vous présente au nom d’un collectif. J’ai, en effet, considéré que l’enjeu concernant le gaspillage alimentaire était si important qu’il devait nous rassembler. Ce texte est cosigné par des députés de la majorité dans sa diversité, mais aussi par des députés de l’opposition qui se sont mobilisés sur cette question. Je salue en particulier M. Jean-Pierre Decool qui, depuis plus d’un an, s’est penché sur le sujet et a proposé des solutions que nous avons reprises dans cette proposition de loi.

Nous ne partons pas de rien. En juillet dernier, dans l’hémicycle, nous avons voté à l’unanimité des dispositions, adoptées par le Sénat, qui marquaient un pas en avant en termes d’action publique contre le gaspillage alimentaire. Certaines sont en vigueur, d’autres ont malheureusement été annulées par le Conseil constitutionnel pour des raisons de procédure. Il nous faut donc remettre l’ouvrage sur le métier. Aujourd’hui, nous reprenons in extenso les dispositions votées à l’unanimité au mois de juillet dans les deux chambres.

La loi votée cet été a permis, conformément à une disposition européenne, de supprimer, pour les denrées non périssables, l’obligation d’inscrire une date limite d’utilisation optimale. Cela concerne les produits comme le sel, le vinaigre ou le sucre.

Une deuxième disposition, votée l’été dernier, modifie les compétences de l’Agence de l’environnement de la maîtrise de l’énergie (ADEME). L’ADEME désormais reconnue comme étant le bras armé du Gouvernement pour coordonner l’action contre le gaspillage, en lien avec le ministère de l’agriculture.

Que nous reste-t-il à traiter dans la proposition de loi pour être cohérents et efficaces dans la lutte contre le gaspillage alimentaire ? Trois principes doivent guider notre action.

Le premier est la responsabilisation des acteurs. Elle doit concerner chaque acteur, du producteur au consommateur. La proposition de loi repose sur l’idée que chacun peut agir contre le gaspillage alimentaire.

Le deuxième principe est l’éducation. Je suis, comme vous, convaincu que l’on ne peut rien faire d’efficace si l’on ne commence pas par éduquer à moins gaspiller. C’est une culture nouvelle qu’il nous faut transmettre, en particulier aux jeunes générations, sachant que celles-ci sont parfois les meilleurs éducateurs de leurs parents. Si nous voulons mieux respecter l’alimentation, il faut enseigner la façon de moins gaspiller. La lutte contre le gaspillage passe par le respect de l’alimentation, donc par le respect du travail de celui qui a produit la nourriture.

Le troisième principe est celui du développement durable. La lutte contre le gaspillage accompagne la naissance d’un nouveau modèle de développement. Lutter contre le gaspillage, c’est apprendre à produire et à consommer autrement, et à inscrire notre modèle de développement dans l’économie circulaire. C’est un puissant moteur d’efficacité et de développement économique. Il faut concevoir autrement notre développement économique, social et territorial.

La présente proposition de loi comporte quatre articles.

L’article 1er établit une hiérarchie des actions à mettre en place contre le gaspillage. Il faut, d’abord, prévenir la production d’invendus, la surproduction. Il faut, ensuite, valoriser l’alimentation produite non distribuée en la dirigeant vers une autre consommation humaine. C’est le sens de la convention qui devra lier chaque grande surface à une ou plusieurs associations de solidarité afin de valoriser l’alimentation, au lieu de la jeter. Cela va de soi, encore faut-il l’inscrire dans la loi.

Être dans l’économie circulaire, c’est aussi envisager qu’une alimentation qui n’est pas utilisée à des fins de consommation humaine puisse l’être pour l’alimentation animale. Une filière peut ainsi voir le jour. Toujours pour éviter les pertes sèches, l’utilisation peut être faite à des fins énergétiques. Je pense, notamment, à la méthanisation, mais il existe d’autres formes de valorisation.

Tel est l’ordre dans lequel on doit organiser ces actions pour lutter contre le gaspillage.

L’article 2 modifie le régime juridique de la responsabilité des producteurs du fait de produits défectueux. Je prendrai l’exemple d’un industriel qui produit des yaourts sous marque de distributeur (MDD) pour une grande enseigne. Selon un rapport de forces malheureusement classique, il arrive que celle-ci lui retourne une palette entière pour deux ou trois pots de yaourts ébréchés. Bien que le reste des yaourts soit parfaitement consommable, l’industriel se retrouve avec la palette sur les bras, car, aujourd’hui, il ne peut pas en faire don. En sécurisant juridiquement le don, la loi doit permettre à l’industriel de donner ces yaourts.

L’article 3 prévoit explicitement que la lutte contre le gaspillage alimentaire fait partie intégrante du parcours scolaire, dans le cadre de l’éducation à l’alimentation, dont je rappelle qu’elle a été inscrite dans la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

Enfin, l’article 4 insère la lutte contre le gaspillage alimentaire dans le champ de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Les entreprises engagées dans le développement durable ont aussi un rôle à jouer, car elles sont des partenaires précieux contre le gaspillage. Nous leur donnons, à travers cet article 4, la capacité d’agir pour lever les freins et les verrous qui pourraient exister.

Tel est le sens de l’action que nous voulons collectivement conduire contre le gaspillage alimentaire. Ce texte peut nous rassembler, a fortiori en ce moment. On attend de nous, législateurs, que nous soyons à la hauteur de cette convergence. Le gaspillage ne mérite pas la polémique, mais l’action et la détermination.

M. Jean-Pierre Decool. Je me réjouis que nous arrivions enfin, après un parcours chaotique, à la phase conclusive de cette proposition. Vous avez dit, monsieur le rapporteur, que cette PPL devait être transpartisane. Le contexte actuel ne peut que conforter cette position.

Vous avez rappelé la nécessité d’une éthique. Dans le dispositif, l’éducation a un rôle éminent à jouer. La nécessité de mettre en œuvre une coercition dans le cadre de la convention passée avec les distributeurs a fait débat, mais il faut bien, à un moment donné, envoyer des signaux. Cette convention sera un vecteur de sécurisation, tant pour les donateurs que pour les associations qui bénéficieront des dons. Des partenariats existent déjà, et il convient de saluer les efforts qui ont été faits par certaines enseignes. Mais toutes n’en font pas, et il faut stimuler les bonnes volontés pour mettre en œuvre ce dispositif.

Vous avez évoqué l’écologie comme un des trois prismes à travers lesquels regarder ce texte. Dépenser moins d’énergie est certes un objectif louable. Mais dans une période difficile pour les petites gens, on peut voir les choses sous un autre aspect grâce aux associations qui récupèrent des denrées avec beaucoup de dévouement. C’est le prisme de la solidarité, qu’il faut savoir traduire dans ce texte.

Un autre point important est qu’il faut mettre fin à la dénaturation des denrées alimentaires. J’ai reçu des témoignages, notamment de transporteurs de viande qui, à la suite d’embouteillages sur la route, étaient arrivés avec deux heures de retard devant l’enseigne qu’ils devaient livrer. Étant donné qu’il y a, dans ce cas, des dispositifs de compensation, le camion était passé à l’eau de javel. Cela n’est pas supportable ! Quand des gens ont faim, on n’a pas le droit d’avoir des comportements irrespectueux.

Voilà pourquoi j’ai cosigné cette proposition de loi. Quand on est un élu de la République, il faut parfois savoir mettre un mouchoir sur son ego et se dire que l’on participe à une œuvre collégiale. Le groupe Les Républicains apportera son soutien à ce texte pour qu’enfin, après un long périple, cette démarche aboutisse, en espérant qu’elle pourra être suivie dans d’autres pays.

En Italie, par exemple, des dispositifs intéressants existent. La Belgique, notamment en Wallonie, a mis en place un système coercitif peut-être encore plus pur que notre proposition de loi, car il n’y a pas de défiscalisation. Lorsqu’on veut être suivi, il faut courir plus vite que les autres. D’autres pays européens sauront nous suivre.

M. Hervé Pellois. Nous avons eu l’occasion de réfléchir à de nombreuses reprises aux moyens de lutter contre le gaspillage alimentaire. Je voudrais souligner la persévérance de notre rapporteur et des parlementaires de tous les groupes qui se sont investis pour la réussite de ce projet. La décision du Conseil constitutionnel de censurer les amendements déposés dans le cadre de la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, loin de nous arrêter, n’a fait que renforcer notre conviction qu’il fallait mener à terme ce projet, quel que soit le véhicule normatif utilisé.

La convention signée le 27 août dernier entre la ministre de l’écologie et le secteur de la grande distribution était en ce sens une première étape, qui montre notre envie de réussir. Elle a permis d’engager les grandes surfaces de plus de 400 mètres carrés à donner leurs invendus aux associations habilitées. Il était important d’inscrire ces dispositions dans la loi.

Il existe encore aujourd’hui des lacunes en matière de gaspillage alimentaire. Traiter du sujet dans le secteur de l’agriculture reste un tabou. Or, selon les chiffres de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), pratiquement 30 % de la production agricole mondiale est aujourd’hui perdue. L’ADEME mène actuellement une étude pour quantifier les pertes et les gaspillages tout au long de la chaîne alimentaire, ce qui devrait nous donner un éclairage national plus précis, les chiffres au niveau mondial n’étant pas satisfaisants pour travailler efficacement à l’échelle de notre pays.

La restauration collective est également à l’origine d’un gaspillage considérable. Les dons issus des restaurants cuisinant sur place apparaissent difficiles à mettre en œuvre, compte tenu des contraintes particulières liées au conditionnement et au refroidissement des denrées. Le rapport remis au Gouvernement par Guillaume Garot en avait pleinement mesuré la difficulté. Il est trop tôt pour inclure ces mesures dans la proposition de loi. Je souhaite toutefois qu’on ne les perde pas de vue. La dimension de la restauration collective et commerciale est importante et nous devons inciter les restaurateurs à adopter des pratiques leur permettant de distribuer les repas qui leur restent.

Les grandes et moyennes surfaces ont leur part de responsabilité. On ne peut pas nier qu’elles aient fait des efforts, mais il faut qu’elles continuent en ce sens. Lutter contre le gaspillage alimentaire, ce n’est pas seulement inciter les grandes surfaces à céder leurs invendus aux associations d’aide alimentaire. La proposition de loi comporte également des mesures éducatives, moins médiatisées, mais sur lesquelles il importe d’insister. Ces mesures permettront de faire évoluer les comportements à l’origine du gaspillage alimentaire. Comme le faisait remarquer Angélique Delahaye, députée européenne et présidente de Solaal – Solidarité des producteurs agricoles et des filières alimentaires – lors de son audition, la semaine dernière, à l’Assemblée nationale, c’est tout un usage des produits qui est à reconstruire. Il s’agit, par exemple, de repenser la façon de faire nos courses. On ne peut pas faire ses courses une fois par semaine, alors que certains produits ne sont consommables que deux à trois jours, disait-elle.

L’éducation doit aussi permettre de donner une dimension territoriale à la lutte contre le gaspillage alimentaire en valorisant le développement des circuits courts. La production locale rend le consommateur plus attentif aux contraintes du producteur. C’est encourager l’agroécologie, conforter les produits du terroir et développer la consommation de proximité.

C’est notre propre comportement de citoyens que nous devons interroger puisqu’il nous faut repenser notre façon de consommer. C’est, à terme, à la responsabilisation de chaque acteur dans la chaîne alimentaire qu’il nous faut œuvrer : responsabilité du producteur, de l’industriel, de la grande surface, du commerçant, de l’association qui reçoit les dons, mais aussi du consommateur. C’est seulement ainsi que nous parviendrons à réduire fortement le gaspillage alimentaire en France. C’est un message fort qu’il convient d’envoyer à nos concitoyens, en ces temps de défiance envers les responsables politiques.

Mme Brigitte Allain. Après la censure, cet été, par le Conseil constitutionnel des dispositions adoptées à l’unanimité lors de l’examen de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, voilà enfin cette proposition de loi inscrite à l’ordre du jour ! C’est une satisfaction pour moi, car nous ne pouvions en rester à la convention volontaire avec la grande distribution que la ministre avait proposée au lendemain de la censure, même si c’était un premier pas. Je tiens à saluer le travail de Guillaume Garot, qui a porté ces dispositions avec exigence et qui a su travailler dans un esprit d’union et de coopération.

Ce texte ne résout pas l’ensemble des questions liées au gaspillage, mais il en traite efficacement une grande partie, s’agissant notamment des grandes surfaces. Cela ne doit pas cacher la contribution de celles-ci au gaspillage. Elles en engendrent indirectement par les contraintes qu’elles imposent aux producteurs, comme le calibrage ou la forme parfaite des produits, ou encore les méthodes de marketing qui ont pour cible le consommateur : promotions poussant à acheter plus que de besoin, rayons débordant de produits et conduisant à la surconsommation.

Parmi les pistes d’amélioration de la politique publique en la matière, j’évoquerai plusieurs chantiers : révision des dates limites et des normes de calibrage ; nécessité d’effectuer un meilleur suivi des objectifs et des progrès de la lutte contre le gaspillage alimentaire via une agence, comme en Grande-Bretagne, ou au moins un rapport annuel du Gouvernement sur ce phénomène que chacun identifie comme le scandale de notre siècle ; multiplication des actions de sensibilisation et de prise de conscience, notamment dans les cantines scolaires. Enfin, les associations de solidarité qui récupèrent les denrées et qui sont amenées à se développer ont également besoin d’une clarification des grilles d’évaluation des produits qui leur sont donnés. Ce travail devra se faire dans un cadre interministériel.

À quelques jours de la COP21, il faut rappeler que 30 % de ce qui est produit est jeté. Cela constitue autant de gâchis de ressources que de provocations envers les personnes qui sont mal nourries dans le monde.

Pour moi qui ai travaillé pour favoriser une alimentation de proximité, la lutte contre le gaspillage alimentaire est extrêmement importante. Soutenir une alimentation plus saine et plus durable, c’est aussi former nos jeunes à la citoyenneté. Éviter de jeter 30 % de matière gaspillée, c’est autant d’argent économisé à réinvestir dans la fourniture en produits bio, locaux et de qualité. Par la proximité et la pédagogie, nous pouvons redonner de la valeur à nos aliments et rappeler que la nourriture ne tombe pas du ciel, que nous la devons au respect de la nature et au travail des femmes et des hommes qui la cultivent, la préparent ou la cuisinent.

Le rôle des cantines et de la restauration collective est essentiel pour que la lutte contre le gaspillage alimentaire éduque nos enfants et les adultes au « manger mieux ». La distribution, aidée par la loi, devra savoir répondre à cet appel citoyen.

M. Dominique Potier. Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué une question d’éthique, anthropologique presque. Un homme qui jette est un homme jetable. C’est vrai pour les produits manufacturés, c’est encore plus vrai pour les produits issus de la nature.

Je milite, à la limite de la fronde, avec quelques parlementaires, pour une augmentation des crédits de l’aide publique au développement. À la demande du Président de la République, ils seront investis de façon plus conséquente dans les pays les moins avancés, pour favoriser la transition énergétique. L’éradication de la misère à la source et la prévention des migrations économiques passent par la lutte contre le gaspillage alimentaire dans les pays du Sud, où les 30 % de produits non consommés sont imputables à des problèmes dramatiques de stockage et de logistique. Un investissement durable dans des infrastructures agroalimentaires serait une solution tant pour l’économie des pays les moins avancés que pour leur dignité.

Je plaide au niveau local pour que l’esprit civique préside à la lutte contre le gaspillage alimentaire. Mais celle-ci ne sera efficace que si elle est mesurée. Nous devrions expérimenter, par voie réglementaire probablement, une mesure comptable applicable aux établissements publics permettant de comptabiliser le gaspillage et de le réinvestir dans un investissement de meilleure qualité sur le plan nutritif et gastronomique. Une politique se mesure ; il nous faut trouver l’instrument par voie réglementaire. Je suis sûr que vous serez notre allié pour continuer dans ce sens.

Ce débat, qu’il ait lieu avec des gamins, des adolescents ou des adultes, nous fait dépasser le seul aspect quantitatif et monétaire, et nous élève à la question du rapport à l’autre et à la nature. Aujourd’hui, nous avons besoin, autour de l’alimentation, mais aussi autour de nombreux autres sujets, de consolider notre lien républicain et notre lien à la planète.

Mme Sophie Rohfritsch. Ce texte est intéressant, car il marque l’aboutissement d’une réflexion déjà ancienne. À mon sens, il contient encore quelques lacunes qui pourraient être comblées. Pour l’instant, à la lecture des amendements, il ne semble pas ce que soit le cas. Il n’indique pas, par exemple, quelle pourrait être la place des objets connectés pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Je pense qu’il y a des choses à faire à ce niveau, en termes de marquage, de signalétique, d’évolution – ne serait-ce que pour les enfants –, de moyens de traçabilité et de qualité.

Je voudrais être sûre que ce texte intègre bien la charte qu’a signée l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA) cet été, et qui est déjà cosignée par un certain nombre d’industriels de l’agroalimentaire. S’il n’y a pas d’adhésion de la profession, ce texte sera inutile.

Enfin, il fait peu de places à la consigne, intégrée dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, mais qui n’est pas encore entrée en vigueur puisque les décrets ne sont pas encore publiés. Chacun s’interroge sur la façon de réintégrer la consigne dans notre pays, sachant qu’elle relève de la réutilisation et non du recyclage. Je viens d’une région, l’Alsace, qui la pratique depuis longtemps pour la bière. Cela marche très bien. Limitée aux contenants en verre, la consigne pourrait être élargie à tout contenant. Nous pourrions y réfléchir, car il y a aujourd’hui des méthodes qui permettent de réutiliser de nombreux contenants.

Mme Annick Le Loch. Je tiens, moi aussi, à féliciter le rapporteur pour son travail. Il est en effet inacceptable de gaspiller autant de nourriture quand des personnes souffrent du manque de denrées alimentaires. La consommation durable, pour laquelle nous travaillons tous, est porteuse d’un enjeu à la fois économique, écologique et éthique. Nous sommes tous responsables, et l’éducation peut jouer un rôle essentiel.

Ce texte me donne l’occasion de rendre hommage aux associations caritatives qui ne ménagent ni leur courage, ni leur engagement, notamment lors de la ramasse auprès des grandes surfaces pour récupérer de la nourriture. Sait-on si, aujourd’hui, toutes les grandes surfaces donnent leurs surplus alimentaires ? J’ai vu une enseigne, en particulier, détruire des tonnes de marchandises, se contentant, tous les deux ans, d’offrir une palette de cassoulet de marque distributeur. C’est vraiment incroyable !

Au-delà des dons, sans doute y a-t-il aussi des comportements à modifier. Aujourd’hui, dans le cadre de négociations très dures avec les industriels, les distributeurs n’achètent pas un produit mais un prix. Et si le chiffre d’affaires attendu n’est pas atteint, ils font des promotions. Ainsi, ces dernières semaines, on peut parfois acheter six articles au prix de trois. Face à cette façon d’encourager la consommation sans besoin, il faut éduquer le consommateur.

M. Philippe Le Ray. Au départ, je me suis étonné qu’un tel sujet fasse l’objet d’une proposition de loi, car la loi ne fait pas tout. Pour autant, il n’est pas à prendre à la légère, et je tiens à remercier M. Garot pour son travail. Il est temps de retrouver un peu de bon sens. Nous sommes d’ailleurs nombreux, sur ces bancs, à nous souvenir que, dans notre enfance, il n’était pas question de gaspiller de la nourriture. Je voudrais appeler votre attention sur quatre points.

D’abord, les producteurs ne produisent pas pour donner ni pour surproduire. Mais comme nous nous sommes débarrassés de tous les outils de régulation de production, il y a forcément des effets pervers.

Ensuite, il est indéniable que le marketing exerce une pression sur les transformateurs.

Dans la distribution, il y a également une dualité d’objectifs. Les responsables de grande surface cherchent à éviter à la fois le gaspillage et le don des aliments, ce qui peut être à l’origine de conflits entre les salariés de la grande distribution et leurs dirigeants. Cela mériterait d’être étudié.

Enfin, au niveau des consommateurs, il faudrait avoir une approche globale. Le gaspillage ne concerne pas que les produits alimentaires. Il suffit de se rendre dans une déchetterie pour en faire l’effrayant constat. Non seulement la lutte contre le gaspillage s’impose, mais elle doit s’accompagner de la notion de valorisation des produits.

En tout cas, je voterai pour ce texte.

Mme Audrey Linkenheld. Il faut un début à tout, et je me félicite du dépôt de cette proposition de loi, sachant qu’à l’échelle de l’Union européenne, 50 % des produits sains sont gâchés, alors même que certaines personnes sont en situation de sous-alimentation.

J’approuve tout particulièrement les dispositions relatives aux obligations des grandes et moyennes surfaces. Envisagez-vous de les étendre aux supermarchés ? Entre 400 et 1 000 mètres carrés, ceux-ci se situent entre les grandes et moyennes surfaces et les petits commerces indépendants, et sont souvent, d’une manière ou d’une autre, attachés à des grands groupes. On pourrait donc imaginer qu’ils soient un jour concernés par les dispositions que vous proposez.

Par ailleurs, je sais que vous avez aussi réfléchi à la façon d’impliquer le commerce non sédentaire. Déjà, des associations récupèrent des produits à l’issue des marchés. C’est ainsi que la Tente des glaneurs, initiée dans le Nord, a essaimé un peu partout. Où en êtes-vous de vos réflexions ?

M. Christian Franqueville. Je suis moi-même issu professionnellement de l’agroalimentaire et je tiens à dire toute ma satisfaction devant cette proposition de loi. Si tout ce qui a été dit sur la distribution m’a semblé clair, j’aimerais avoir des précisions s’agissant de la fabrication. À cet égard, je citerai le cas d’une entreprise de ma commune qui fabrique des pizzas sous forme de sandwichs destinés à la surgélation. Chaque semaine, cette entreprise produit environ une tonne de déchets qui sont tout à fait adaptés à la consommation humaine. Les dirigeants, ne souhaitant pas les réutiliser de cette façon, ont fait appel à une société de traitement des ordures ménagères. Celle-ci leur demande entre 250 et 300 euros pour traiter une tonne de produit de parfaite qualité.

Cherchant une autre solution, j’avais pensé que ces déchets pourraient être utilisés pour nourrir les porcs d’un élevage qui se trouve à proximité. Mais ce n’est pas possible, dans la mesure où ces porcs sont destinés à la consommation humaine. En fin de compte, nous avons pu nous adresser à autre éleveur de notre secteur, qui élève du petit porc destiné à la science. Avouez tout de même qu’une telle situation n’est pas normale !

Monsieur le rapporteur, j’aimerais avoir une précision, une garantie, voire une certitude que cette question pourra être résolue.

Mme Marie-Hélène Fabre. S’agissant de la part des déchets dans l’alimentation mondiale, on sait que c’est une calorie sur quatre qui est jetée aujourd’hui.

Certaines des associations qui passent des conventions avec les grandes surfaces ont fait état de problèmes de logistique, en particulier de tri et de transport, pour lesquels elles ont besoin de moyens supplémentaires. Elles sont allées jusqu’à demander qu’une partie de la déduction fiscale dont bénéficient les grandes surfaces soit fléchée vers les associations de manière à leur permettre de s’équiper de moyens logistiques. Qu’en pensez-vous ?

M. le rapporteur. Les interventions de MM. Jean-Pierre Decool et Hervé Pellois n’appellent pas de commentaire particulier de ma part, si ce n’est que je me sens parfaitement en accord avec eux, dans la mesure où nous avons travaillé ensemble et où nous avons fait converger nos analyses.

Je souscris à la remarque de M. Dominique Potier sur la nécessité de disposer d’un outil de mesure fiable. Il ne suffit pas de dire que l’on va réduire le gaspillage alimentaire ; il faut savoir d’où l’on part pour apprécier, ensuite, les progrès qui seront réalisés. C’est la mission qui est confiée à l’ADEME, qui doit se doter d’outils nouveaux pour lutter contre le gaspillage alimentaire : outils de communication, de sensibilisation, mais aussi outils de mesure du gaspillage.

Aujourd’hui où en est-on ? Pas très loin. Un projet européen, FUSIONS (Food Use For Special Innovation Optimising Waste Prevention Strategies), vise à mettre en cohérence les différents standards de mesure entre les pays de l’Union européenne. Ce projet est très intéressant, mais il va laisser aux États le soin de mettre en œuvre cet outil de mesure. De mon côté, j’ai insisté auprès du Gouvernement pour que l’on soit très allant sur le sujet. Tant que l’on n’aura pas d’outil de mesure, on ne saura pas évaluer les progrès.

Je rappelle qu’en 2012, dans le cadre d’une résolution, le Parlement européen a fixé comme objectif de diminuer de moitié le gaspillage d’ici à 2025. Pour y parvenir, il faut une action publique volontariste, mais aussi des outils de mesure. Il est donc urgent de mettre au point et de généraliser ces outils. Peut-être faudra-t-il, d’ailleurs, travailler avec notre administration fiscale. On pourrait ainsi imaginer que, dans le formulaire rempli par l’entreprise souhaitant bénéficier d’une déduction fiscale au titre du don alimentaire, figure, en plus de la valeur du don, le volume qu’il représente. En agrégeant l’ensemble de ces données, on devrait déjà pouvoir se faire une idée à peu près fiable d’une partie du gaspillage alimentaire.

Madame Sophie Rohfritsch, vous m’avez interrogé, notamment, sur le numérique. Je vous renvoie au rapport que j’ai remis au Gouvernement au mois d’avril, où il est question des moyens permettant de mettre en relation ceux qui donnent, ceux qui peuvent donner, ceux qui reçoivent, tout comme ceux qui souhaitent adopter une attitude vigilante par rapport à leur consommation. De nombreuses applications de ce type sont en train de se développer. Faut-il pour autant légiférer là-dessus ? Je suis convaincu que cela n’aboutirait qu’à une loi bavarde, qui n’amènerait pas grand-chose si ce n’est de nouvelles normes et donc des récriminations. Je crois qu’il faut encourager la multiplication des dispositifs liés aux nouvelles technologies et accompagner la diffusion des bonnes pratiques. Finalement, c’est l’un des rôles de l’ADEME, en tout cas de l’exécutif, d’informer sur ce que ces nouvelles technologies permettent de faire. Je vous rejoins sur un point : en mettant nos nouvelles technologies au service de la lutte contre le gaspillage, nous pourrons faire de grands progrès.

Mme Annick Le Loch se demande si toutes les grandes surfaces donnent. Beaucoup le font, mais pas toutes hélas ! La loi vise simplement à permettre que celles qui traînent un peu des pieds rejoignent le peloton de tête, en rendant obligatoire la signature d’une convention liant une grande surface à une ou plusieurs associations.

Cette convention ne devra régler que les conditions du don. La convention est un acte de liberté, elle doit le rester, sinon, il n’y a pas de défiscalisation possible. La convention traite des aspects logistiques et matériels, et de la qualité du don. Car de nombreuses associations nous ont dit ne pas vouloir recevoir des grandes surfaces un don qu’elles devraient trier à leur place. La convention aura donc pour vocation de régler tous ces aspects matériels ou logistiques, afin de fluidifier le don de denrées alimentaires des grandes surfaces vers les associations.

M. Philippe Le Ray a insisté, à juste titre, sur le rôle et la responsabilité des consommateurs, principaux acteurs du gaspillage puisque sur dix kilos d’aliments jetés, six le sont par les consommateurs. La loi prévoit des actions d’éducation, mais il y a aussi la sensibilisation des consommateurs. Pour ma part, je milite en faveur de campagnes nationales de lutte contre le gaspillage, comme il y en a pour sensibiliser à l’insécurité routière, via la télévision, les radios, les journaux, internet. L’ADEME a commencé à le faire. C’est une tendance à encourager.

Le consommateur doit également être bien informé. Ce n’est pas par plaisir qu’il jette. Parfois, c’est parce qu’il ne sait pas comment réagir devant les dates limites de consommation. En la matière, un travail de clarification s’impose, mais il ne passe pas par la loi. Cela relève d’abord d’une réglementation européenne, qui doit ensuite être mise en œuvre par le Gouvernement. Ce travail relève donc la responsabilité des ministères. Ceux de l’écologie et de l’agriculture ont d’ailleurs mis en place un groupe de travail qui planche actuellement sur ces dates de péremption.

Mme Audrey Linkenheld s’est interrogée sur le champ des acteurs à impliquer dans la lutte contre le gaspillage. Précisons que la proposition de loi fait obligation aux commerces dès 400 mètres carrés de passer une convention – 400 mètres carrés, c’est déjà une supérette. À la différence des grandes surfaces, qui disposent déjà de circuits et traitent des volumes très importants, il est plus difficile de mobiliser aujourd’hui les surfaces moyennes, autour de 400 mètres carrés, où les volumes sont moins importants et où il est plus facile de jeter. L’enjeu est donc plutôt du côté de ces supérettes.

Il y a aussi, parmi les distributeurs, le commerce de détail, avec les épiceries de quartier et, parmi les transformateurs, la restauration commerciale. Ces secteurs ne sont pas traités en tant que tels dans la loi mais, à nos yeux, ils constituent la prochaine étape de l’action publique contre le gaspillage alimentaire. Avec ces acteurs, toutefois, les problématiques sont différentes. Il ne peut pas s’agir uniquement de dons simples. Aujourd’hui, les traiteurs de France travaillent pour que l’on puisse redistribuer dans la journée les denrées des buffets qui n’ont pas été entièrement consommées. C’est passionnant, mais cela implique de gros efforts de pédagogie et, surtout, de formation auprès des professionnels.

Après les grandes surfaces, la prochaine étape consistera donc à mobiliser les autres acteurs de la chaîne alimentaire, en remontant vers les transformateurs et vers les producteurs. On est conscient qu’au niveau de la production, il y a du gâchis, des pertes que l’on a du mal à évaluer aujourd’hui, et qui conduiront, à terme, à modifier les modes de production et de travail. Cela implique, là encore, des efforts de pédagogie et de formation.

M. Christian Franqueville, avec sa pizza vosgienne, nous dit qu’il faut nourrir les cochons vosgiens. Attention ! La réglementation européenne impose la traçabilité de la nourriture animale, et c’est normal. C’est aussi ce qu’attend le consommateur. Néanmoins, le texte prévoit la possibilité d’organiser la réorientation d’un surplus ou d’un invendu non redistribué vers l’alimentation animale. Et sans doute cette dernière filière va-t-elle prendre son essor en France grâce à l’action que nous menons contre le gaspillage alimentaire. Mais cela devra se faire dans le cadre de la réglementation européenne.

Enfin, Mme Marie-Hélène Fabre, les problèmes de logistique sont souvent mis en avant par les associations qui n’ont pas forcément suffisamment de bénévoles pour redistribuer les dons, ni les moyens pour récupérer les denrées dont la grande surface ne veut plus. Depuis longtemps, nous nous intéressons, avec M. Jean-Pierre Decool, à ce maillon logistique. Aujourd’hui, les fédérations nationales d’associations de solidarité, en lien avec les principales enseignes, travaillent à un modèle de convention-type pour que ce texte trouve une application rapide. Et la question logistique peut être traitée dans la convention.

En outre, le maillon logistique peut également bénéficier de la défiscalisation, qui est une force du modèle français : si vous transportez de l’alimentation au titre du don, vous avez droit à la même défiscalisation que la grande surface ou l’entreprise qui donne. Il faut sensibiliser les transporteurs au fait qu’ils peuvent être considérés comme des donateurs dans le cadre de cette chaîne de solidarité.

Une remarque pour terminer : tout n’est pas d’ordre législatif. Nous nous situons dans le cadre de l’article 34 de la Constitution, mais ensuite, il y a ce qui relève du Gouvernement, ce qui relève de la liberté d’association, du contrat entre les acteurs et des partenaires impliqués, le plus souvent localement, dans ce type d’initiative.

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

M. le rapporteur. Après en avoir discuté avec mes collègues MM. Decool, Potier, Pellois et Mme Allain, je suggère que nous nous en tenions au texte voté cet été.

Nous proposons de le nettoyer, notamment dans ses aspects rédactionnels, mais d’en conserver l’esprit et l’économie, de telle sorte qu’après avoir été voté à l’unanimité par notre assemblée, il le soit également par nos collègues du Sénat et qu’ainsi, il y ait un vote conforme dans les deux chambres.

Article 1er (articles L. 541-15-4, L. 541-15-5 et L. 541-15-6 [nouveaux] du code de l’environnement) : Diverses mesures de lutte contre le gaspillage alimentaire

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CE4 du rapporteur.

Puis elle adopte successivement les amendements de précision juridique CE5 et CE6 du rapporteur.

Elle adopte ensuite successivement les amendements rédactionnels CE7, CE8 et CE9 du rapporteur.

Elle est saisie de l’amendement CE10 du rapporteur.

M. le rapporteur. Dans les dispositions adoptées cet été, le délai pour conclure une convention entre les associations et les grandes surfaces avait été fixé au 1er juillet 2016. Nous avons pris un peu de retard, aussi proposons-nous un délai glissant : au plus tard un an après la promulgation de la loi, les grandes surfaces et les associations devront s’être mises d’accord sur une convention à l’échelle d’un territoire.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements de précision juridique CE11, CE13 et CE12, ainsi que l’amendement rédactionnel CE14, tous du rapporteur.

La Commission examine alors l’amendement CE15 du rapporteur.

M. le rapporteur. C’est la conséquence du vote précédent.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 1er, modifié.

Article 2 (article 1386-6 du code civil) : Don de produits vendus sous marque de distributeur

La Commission adopte l’article 2, sans modification.

Article 3 (article L. 312-17-3 du code de l’éducation) : Sensibilisation à la lutte contre le gaspillage alimentaire à l’école

La Commission est saisie de l’amendement CE16 du rapporteur.

M. le rapporteur. Dans le cadre de l’éducation à l’alimentation et à la lutte contre le gaspillage alimentaire, cet amendement de coordination juridique vise à mieux articuler les dispositions du code de l’éducation et du code rural et de la pêche maritime.

La Commission adopte l’amendement.

Mme Brigitte Allain. Bien évidemment, le groupe Écologiste votera ce texte, sur lequel nous avons travaillé ensemble. Je souhaite toutefois préciser que nous présenterons peut-être des amendements en séance sur certaines des questions abordées. Je pense, entre autres, à la grille d’évaluation des produits donnés, évoquée tout à l’heure par Dominique Potier et par moi-même. À ce propos, monsieur le rapporteur, vous aviez suggéré de passer par l’administration fiscale ; celle-ci pourrait, à cette occasion, vérifier l’évaluation. Enfin, il me semblerait également très important de clarifier cette grille d’évaluation.

Ce seront des amendements d’appel. Il me semblait toutefois utile de le spécifier.

M. le rapporteur. J’entends bien, et nous écouterons avec beaucoup d’attention les réponses du Gouvernement.

La Commission adopte l’article 3, modifié.

Article 4 (article L. 225-102-1 du code de commerce) : Inclusion de la lutte contre le gaspillage alimentaire dans la RSE des entreprises

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CE17 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 4, modifié.

Enfin, elle adopte à l’unanimité l’ensemble de la proposition de loi.

*

Puis, Mme Fanny Dombre Coste a présenté son rapport au Gouvernement : « Favoriser la transmission d’entreprise en France ».

Mme la présidente Frédérique Massat. Notre collègue Fanny Dombre Coste a accompli, sur la transmission d’entreprises en France, un travail très approfondi que beaucoup d’entre vous ont souhaité voir présenté en commission, d’autant que, depuis sa publication, nombre de ses propositions ont été actées. Ce rapport s’appuie sur plusieurs axes, allant de la sensibilisation à la formation, au financement et à la simplification, tous sujets d’actualité, sur ce sujet comme dans d’autres domaines. Les propositions formulées permettront d’accompagner les petites entreprises.

Mme Fanny Dombre Coste. Le 12 janvier dernier, le Premier ministre me confiait une mission sur la transmission d’entreprises, dont le premier volet avait trait au droit d’information préalable des salariés, et le second à la transmission elle-même. Souhaitant que ce travail soit collectif et collaboratif, j’ai mené une soixantaine d’auditions et consulté plus d’une centaine de personnes, représentant trente organisations. Je me suis également déplacée en Alsace. Les acteurs que j’ai rencontrés ont ainsi contribué, en exposant leurs difficultés, à proposer des pistes pour fluidifier le marché de la transmission.

Même s’il faut toujours prendre les chiffres avec la plus grande mesure, je commencerai par en rappeler deux significatifs. Le premier concerne l’emploi. Bien transmettre nos entreprises, c’est sauvegarder 750 000 emplois et potentiellement en créer des dizaines de milliers d’autres. Le deuxième chiffre illustre la défaillance du marché de la transmission : sur les 185 000 entreprises susceptibles d’être transmises chaque année, seules 60 000 sont mises sur le marché et 30 000 finalement cédées. Cela concerne essentiellement les TPE et les PME, certains territoires et secteurs étant plus particulièrement touchés, comme l’hôtellerie, la restauration, le commerce, le bâtiment et les transports. Nous avons tous, dans nos circonscriptions, des exemples d’entreprises saines ayant brutalement fermé sans trouver repreneur, ceci entraînant la destruction de nombreux emplois – entre 37 000 et 40 000 chaque année. Ces disparitions ne sont pas seulement le fait d’évolutions technologiques, d’un problème de localisation ou d’une faible valeur économique, mais bien de freins identifiés du marché de la transmission. Faute de cessions suffisamment nombreuses et anticipées, les entreprises vieillissent avec leurs dirigeants, ce alors même qu’à partir de cinquante-cinq ans, on observe une tendance au renforcement des actifs au détriment des investissements.

Les défaillances de ce marché ont des causes multiples : l’éclatement d’acteurs de qualité inégale ; l’inadéquation entre l’offre et la demande, les repreneurs cherchant plutôt des PME, quand les cédants vendent plutôt des TPE ; le problème récurrent du taux de remplacement, c’est-à-dire de l’écart entre revenus d’activité et montant de la retraite ; les obstacles réglementaires, fiscaux, culturels et psychologiques ; le manque d’anticipation et l’accompagnement insuffisant.

Pourtant, la transmission pourrait être une mine d’or pour notre pays. Elle représente un potentiel économique de première importance de deux points de vue. Du point de vue macro-économique, d’une part, car une activité économique dynamique repose sur un marché de la transmission le plus fluide possible. Le vieillissement des dirigeants a un impact direct sur l’investissement productif, et c’est tout l’environnement macroéconomique qui en pâtit. L’enjeu est de taille au vu de la courbe démographique et des perspectives de départ à la retraite : 700 000 entreprises vont être cédées dans les dix ans. Améliorer le marché de la transmission permettrait donc de favoriser l’investissement, d’accroître le nombre d’emplois et de préserver des savoir-faire. Du point de vue de l’aménagement et de l’équilibre entre les territoires, d’autre part. Une corrélation a été établie entre le dynamisme du taux de cession d’un territoire et celui de son tissu économique. Derrière une entreprise, un commerce ou un artisan qui ferme, se profile le risque de la désertification.

Le marché de la transmission d’entreprise relève essentiellement du secteur privé, mais il peut être encouragé et mieux coordonné par l’action publique. Il faut introduire dans ce marché de la confiance et de la visibilité. J’ai donc suggéré que nous lancions une mobilisation en faveur de la transmission-reprise, comme nous avons su le faire avec succès pour la création d’entreprise. J’ai proposé un objectif réaliste : accroître d’au moins 20 % le nombre de transmissions de TPE-PME dans les cinq ans, dont un tiers pourrait être effectué par des jeunes. On sait qu’aujourd’hui, 34 % des jeunes ont envie d’entreprendre et que deux tiers d’entre eux pensent le faire avant trente ans.

Le rapport que j’ai présenté au Premier ministre présente plusieurs recommandations, organisées en six axes : sensibilisation, anticipation, accompagnement, formation, financement et simplification.

Par sensibilisation, j’entends que la transmission devienne un récit positif et que l’acte de transmission soit considéré comme un acte normal de la vie d’une entreprise. Il s’agit de déconnecter la transmission de la retraite, d’en valoriser la dimension entrepreneuriale. Cela passe par des campagnes médiatiques nationales, relayées localement, mais aussi des actions de sensibilisation.

L’anticipation est le facteur essentiel d’une reprise réussie. Il faut cibler le plus en amont possible les dirigeants cédants mais aussi les repreneurs. Pour cela, il y a quelques étapes préalables à franchir. Nous manquons, tout d’abord, de mesures statistiques à l’échelle nationale. Non seulement nous n’avons aucune base de données précise permettant d’avoir un suivi de la transmission des TPE-PME en dessous de dix salariés, mais les chambres de métiers et de l’artisanat (CMA) n’ont pas non plus suffisamment d’informations. C’est pourquoi j’ai proposé de confier cette mission à l’Observatoire du financement des entreprises. J’ai également proposé de structurer à l’échelle régionale un réseau d’acteurs chargés de conduire des actions de sensibilisation de proximité auprès des dirigeants, en fonction des priorités des territoires. Un tel réseau s’est créé en Alsace, nommé Opérateurs de la création reprise d’entreprises (OCRE), qui s’est donné comme mission de définir et de décliner des stratégies par territoires mais également par filières. Le réseau auquel je pense regroupera des acteurs tels que l’État, les collectivités territoriales, les chambres consulaires, les professionnels du droit et de la comptabilité, tous les acteurs privés et associatifs de l’accompagnement et de la formation, mais également les financeurs et la nouvelle agence France Entrepreneur. Il aura pour mission de définir une stratégie par territoire et par filière et de décliner les orientations définies par le comité de pilotage que j’ai préconisé au niveau national.

L’accompagnement, dans un parcours de reprise et de cession complexe et long, est un élément clé pour éviter bien des déconvenues, de l’amont à l’aval. Compte tenu de la qualité inégale des intermédiaires, j’ai suggéré que, sur chaque territoire, le réseau d’acteurs précité élabore une charte de qualité déterminant un socle minimal de prestations. La visibilité de l’offre devra être améliorée en coordonnant l’information et les nombreuses plateformes qui existent. J’insiste sur la nécessité de renforcer l’accompagnement des jeunes, vivier de repreneurs potentiels, en citant la proposition du service civique entrepreneurial ou encore la mobilisation des pôles étudiants pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat (PEPITE).

La formation est le quatrième axe. Quel que soit le profil des repreneurs – cadre de quarante-cinq ans ou jeune sortant d’une formation initiale –, le besoin de formation est réel. Il est nécessaire de mettre en place une offre à la carte et d’organiser des parcours de formation à la reprise à destination des jeunes, des salariés et des demandeurs d’emploi, candidats à un projet de reprise. Cette offre devra être éligible à la formation professionnelle.

Le financement demeure souvent un frein. Si le risque est plus faible pour une reprise que pour une création, le ticket est plus lourd. Il faut donc favoriser la mise en place d’une offre territorialisée de financement de la reprise, tout en optimisant l’effet des dispositifs nationaux susceptibles de déclencher davantage de transmissions en amont. Je pense à des mesures fiscales, mais aussi à l’amélioration du crédit vendeur ou encore à la réflexion sur la location gérance.

Enfin, la politique de simplification en faveur de l’entrepreneuriat doit être poursuivie en veillant à maîtriser le stock et le flux des réglementations qui pèsent sur les TPE-PME. Je retiendrai deux mesures : la simplification de la vente de fonds de commerce et le changement de régime matrimonial, le divorce étant la première cause de fermeture sèche d’une entreprise aujourd’hui.

Voilà, en quelques mots, la substance de ce rapport et quelques-unes des propositions que j’y ai formulées.

Afin de mettre en œuvre l’ensemble de ces propositions, j’ai suggéré qu’un comité de pilotage présidé par le ministre de l’économie se réunisse tous les six mois. À ma grande satisfaction, ce comité s’est réuni pour la première fois la semaine dernière à Bercy, en présence d’Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, de Martine Pinville, secrétaire d’État chargée, notamment, du commerce et de l’artisanat, et de l’ensemble des acteurs concernés, dont l’agence France Entrepreneur, Pôle Emploi et les universités, via les PEPITE. Il est destiné à coordonner l’action publique et privée pour lever les freins à la transmission. Il définira des axes stratégiques et veillera surtout à la cohérence et à la mise en œuvre coordonnée des actions conduites aux niveaux national et local. Par ailleurs, d’autres mesures figurant dans le rapport vont être déclinées rapidement, les préfets ayant déjà reçu pour consigne de réunir les réseaux précités sur les territoires, et d’autres mesures fiscales seront intégrées dans le projet de loi finances rectificative, parmi lesquelles le crédit vendeur.

Je salue la réactivité du Gouvernement et le consensus obtenu sur cette question, qui nous permettront d’avancer rapidement et efficacement. Je ne peux que m’en réjouir tant est important l’enjeu du maillage de nos territoires par les petites et très petites entreprises, les ETI et PME de plus d’une vingtaine de salariés ne se trouvant pas, elles, sur un marché posant des difficultés majeures.

M. Hervé Pellois. Merci, madame Dombre Coste, pour la grande qualité de ce rapport. Je suis heureux de constater que certaines de vos préconisations sont d’ores et déjà appliquées, tel le comité de pilotage pour la transmission et la reprise d’entreprises qui s’est réuni la semaine dernière, et que d’autres sont en passe de l’être, comme la création de l’agence France Entrepreneur.

La transmission et la reprise de PME-TPE sont plus que jamais un enjeu majeur. Dans ma région, par exemple, ce sont 7 700 entreprises de 5 à 200 salariés, soit 50 % du parc des PME de cette taille, qui seront à reprendre en raison, principalement, du départ à la retraite de leurs dirigeants d’ici à 2020. Notre principal objectif est donc de desserrer les freins à la transmission. À cet égard, le facteur psychologique a son importance, la transmission correspondant parfois au dénouement de l’histoire d’une vie pour un dirigeant, à la perte d’un petit bout de soi. En quoi la future agence France Entrepreneur aidera-t-elle à favoriser ce déclic ?

D’après l’enquête menée par le cabinet d’avocats FIDAL en décembre 2014, 9 % seulement des chefs d’entreprises estimeraient que leurs salariés sont des repreneurs potentiels. De fait, la France se caractérise par une faible part de transmission aux salariés et à la famille. Est-ce une exception en Europe ? Analysez-vous une convergence de ces problématiques au niveau européen ?

Je souhaiterais, enfin, soumettre à votre attention la question des règles qui régissent l’imposition des plus-values de cession de PME. Si les conditions de celle-ci sont favorables au cours des premières années, elles ne tiennent pas compte des activités sur plus de vingt-cinq ou trente ans qui constituent une carrière complète de chef d’entreprise. La cession d’entreprise présente ainsi un désavantage fiscal à partir de la seizième année. Par ailleurs, il est à noter que les règles d’imposition des plus-values de cession d’entreprise sont moins favorables que celles applicables aux cessions immobilières pour des durées de détention longue. Quel est votre avis sur cette question ? Comment résoudre ce problème ?

M. Philippe Le Ray. Ce rapport me semble intéressant et complet. Il présente néanmoins des lacunes s’agissant en particulier de la fiscalité, sujet essentiel pour la transmission, tant du point de vue du cédant que du repreneur. Je vous encourage donc à formuler des propositions en la matière.

Aussi essentiel est votre cinquième axe relatif au financement. Lorsqu’une entreprise existe déjà, les banques prennent certes moins de risque mais le capital est bien plus important, ce qui me semble l’essentiel du frein à la reprise.

S’ajoute à cela que le patrimoine de l’entreprise est aujourd’hui fort lié au patrimoine personnel. Vous avez cité le problème du divorce mais se pose aussi celui des successions. Cela me semble constituer le troisième levier à activer. Vous trouverez des points d’accord et suffisamment d’acteurs pour créer une agence, constituer des réseaux et élaborer des chartes de qualité. Mais lorsqu’on se retrouve confronté au cas concret d’une installation ou d’une reprise, je sais, pour avoir passé plusieurs années dans des banques, que ce sont ces trois points qui font frein.

Mme Michèle Bonneton. Je félicite, tout d’abord, Mme Dombre Coste pour son travail qui a déjà débouché sur des réalisations concrètes.

Il apparaît que le taux de survie des entreprises reprises est supérieur au taux de survie des entreprises créées. Il y a donc là des aides à apporter. La reprise des grandes entreprises fonctionne plutôt bien. En revanche celle des petites entreprises, notamment de celles qui appartiennent au monde de l’artisanat et du commerce de proximité, rencontre plus de difficultés. Or ce qui est en jeu, c’est la vitalité de l’ensemble de nos territoires. Bien transmettre nos entreprises permettrait de sauvegarder quelque 750 000 emplois et, potentiellement, d’en créer des dizaines de milliers d’autres.

Dans votre rapport, vous proposez six axes de travail. Quels sont ceux qui vous paraissent les plus urgents à mettre en œuvre ?

Vous vous intéressez à la reprise par les salariés de l’entreprise. Que pensez-vous qu’il faille proposer pour faciliter cette reprise collective par les salariés après l’adoption, dans la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 dite « Hamon » de dispositions relatives à l’information préalable des salariés, qui paraissent tout de même assez timides ? Je me souviens notamment que le délai accordé aux salariés pour réagir était très court.

Les chambres de commerce et d’industrie (CCI), les chambres de métiers et certains services déconcentrés de l’État, voire des collectivités territoriales, participent à l’accompagnement à la reprise d’entreprise, comme ils le font par ailleurs pour la création d’entreprise. Le résultat, au regard de ce que vous indiquez dans votre rapport, ne semble pas à la hauteur de l’enjeu. Ne pensez-vous pas qu’il serait utile de rassembler ces différentes interventions plutôt que de disperser les moyens ? Peut-on envisager une mise en réseau ?

La reprise d’entreprise présente un risque réel pour le repreneur, qu’il soit un particulier, une société ou un groupe de salariés. Les banques font souvent preuve de timidité. Quel rôle la Banque publique d’investissements (BPIfrance) pourrait-elle tenir dans le financement de la reprise d’entreprises ?

Enfin, s’agissant de la fiscalité, vous remarquerez que les TPE-PME contribuent nettement plus aux recettes fiscales de l’État que les grandes entreprises, en pourcentage des bénéfices.

Mme Pascale Got. Je remercie, moi aussi, notre collègue, car ce sujet est désespérément d’actualité. Depuis des années, le problème se pose avec force sur chacun de nos territoires. La simplification me paraît, en effet, un élément de réponse important. L’empilement de démarches auxquelles est soumise la transmission n’aide vraiment pas les potentiels repreneurs à franchir le pas.

Vous avez évoqué la formation continue : avez-vous aussi exploité la piste de la formation initiale ? Dans la mesure où l’on évoque la revalorisation des formations techniques, il me paraîtrait bénéfique d’intégrer également dans les programmes de formation initiale une sensibilisation à la transmission.

Enfin, je ne comprends pas comment il se fait que, malgré la couverture des CCI et celle des CMA, les artisans et les dirigeants de PME manquent toujours autant d’information. Alors qu’une masse de mesures est prise au niveau national à destination des artisans, elles peinent à descendre à l’échelon des territoires. Ce n’est pas à la faveur de quelques réunions territoriales que nous ferons parvenir l’information à ce public-là.

M. Guillaume Chevrollier. La transmission d’entreprise est effectivement un sujet majeur. Ainsi que vous l’avez souligné, le marché de la transmission est une mine d’or. Un potentiel de TPE et de PME, représentant six millions d’emplois, sera à céder dans les prochaines années dans des activités économiques très variées qui font la vitalité de nos territoires, ruraux en particulier. Vous avez évoqué les 700 000 entreprises à céder dans les dix ans et les emplois à sauvegarder. N’oublions pas les multiples savoir-faire qui sont, eux aussi, en mutation.

Vos pistes sont intéressantes. Il en est ainsi de la sensibilisation à la préparation en vue de l’échéance. Je reviendrai sur la question fiscale, très lourde pour le créateur d’entreprise. Ce dernier, à force de mobilisation personnelle et de travail, a monté son entreprise et, à l’arrivée, on lui impose une fiscalité confiscatoire. Voilà un point qui mérite d’être discuté. J’évoquerai également la complexité ainsi que les contraintes fiscales et sociales qui pèsent sur les chefs d’entreprise au point qu’aujourd’hui, les entrepreneurs, avant même d’envisager la cession, cherchent à liquider leur entreprise et à la réduire. Il convient donc de réformer, non seulement la fiscalité, mais aussi le droit social. S’agissant, enfin, du pilotage de la transmission, les guichets auxquels il est nécessaire de s’adresser sont nombreux : vous pourriez donc proposer la désignation d’un interlocuteur unique afin de faciliter la tâche du cédant, sans créer une usine à gaz de plus.

M. Frédéric Roig. Je m’associe aux félicitations de mes collègues pour cet excellent rapport dont l’auteur pointe de façon très pragmatique et précise ce que nous entendons sur nos territoires de la part des entreprises. Je voudrais apporter un témoignage du casse-tête administratif que représente la transmission.

J’ai récemment animé, avec notre collègue Laurent Grandguillaume, une rencontre avec les chefs d’une trentaine de TPE. Les questions qui y ont été abordées étaient les mêmes que celles soulevées par la rapporteure : la fiscalité certes, mais en premier lieu la formation dans l’entreprise. Les TPE ont, en effet, des difficultés à former leurs cadres et leurs salariés à l’intérieur de l’entreprise, car elles pratiquent le droit social et le dialogue social de manière directe. Autres enjeux importants, la simplification et les seuils en vigueur. Lorsqu’une TPE grossit et qu’à un certain stade, son dirigeant veut la céder, les effets de seuil peuvent freiner le repreneur. Enfin, on a observé que le micro-crédit, Initiative France et les plateformes d’initiative locale permettaient aux TPE de trouver les quelques milliers d’euros qui rassurent le repreneur. Ces outils peuvent en partie servir d’effet de levier auprès des banques. Deux éléments me paraissent donc essentiels : l’anticipation et le fait de considérer la transmission et la reprise comme des actes normaux.

M. Lionel Tardy. J’ai lu votre rapport avec attention puisque j’ai testé toute la chaîne, ayant été acheteur en tant que salarié de mon entreprise en 2000 pour la revendre à la fin du mois d’avril 2015. Le principal obstacle à la transmission est d’ordre financier avant d’être fiscal. Lorsque l’on reprend une entreprise, il faut déjà en avoir la volonté. Ensuite, on bute souvent sur un problème de financement. Une entreprise de services ne coûte pas très cher, mais comme un fonds de commerce ne vaut pas grand-chose lorsqu’il disparaît, les banques hésitent généralement à financer les repreneurs. Et lorsque ces derniers souhaitent racheter une entreprise industrielle, de nature capitalistique, les établissements prêteurs considèrent que l’opération est trop lourde si les repreneurs ne sont pas accompagnés. Très souvent, les meilleurs repreneurs sont les salariés, mais ceux-ci ont généralement déjà d’autres d’investissements en cours à titre personnel. Les banques sont donc très réticentes à les financer.

Il importe de bien comprendre que le financement et la simplification sont la clé d’une reprise réussie. J’ai failli traiter ce sujet dans mon avis budgétaire sur la mission « Entreprises » mais j’y ai renoncé ayant constaté que le rapport de Mme Dombre Coste était en cours d’élaboration. En France, droite et gauche se battent pour la création d’entreprises et d’emplois dans le domaine des nouvelles technologies, mais cela ne représente pas grand-chose au regard des emplois que nous avons à sauvegarder à travers la reprise d’entreprises. Nous passons complètement à côté du problème alors que nous sommes en plein papy boom et que plus de 700 000 entreprises seront à céder dans les dix ans qui viennent.

Concernant l’information, j’ai été personnellement confronté aux problèmes posés par les dispositions de la loi Hamon. Souhaitant céder mon entreprise, j’ai trouvé un repreneur. Mais la loi m’obligeant à informer mes salariés, et par conséquent tous mes partenaires – banques, fournisseurs et clients –, j’ai dû dévoiler mon projet, ce qui a mis en danger la reprise de l’entreprise et même sa survie. Considérez-vous que les règles en vigueur en la matière doivent être encore allégées par rapport à ce qu’a prévu la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « Macron » ?

S’agissant de la transmission elle-même, il faut certes en faire baisser le coût et bien identifier les potentiels repreneurs pour éviter de devoir rechercher des dossiers. Mais parmi ces propositions de bon sens, quelle est l’utilité d’un nouveau comité de pilotage, surtout s’il agit à l’échelon national ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Je félicite, à mon tour, Mme Dombre Coste pour ce travail d’importance. Nous établissons, dans nos circonscriptions, le même constat qu’elle : 40 000 emplois sont détruits chaque année, faute de repreneurs. J’établirai un parallèle avec la transmission d’exploitations agricoles en milieu rural, qui connaît des difficultés similaires par manque d’anticipation. Très souvent, en zone rurale, c’est le dernier commerce qui n’est pas repris et la vie économique d’une commune qui s’éteint. C’est parfois aussi l’artisan travaillant seul dans son entreprise qui peine à la céder. Après études et plans de financement, les repreneurs – lorsqu’ils existent – reportent souvent leur choix sur la création, à quelques kilomètres, d’une nouvelle entreprise du même type plutôt que sur la reprise. Compte tenu des dispositifs aujourd’hui en place, il y a lieu de se demander quel est le maillon faible dans la chaîne de la transmission d’entreprises. Comment améliorer l’anticipation, l’accompagnement et le soutien des banques pour qu’un nombre beaucoup plus important de TPE soit reprises ? Comment les dispositifs que vous préconisez vont-ils s’insérer dans le cadre actuel et le rendre enfin efficace ?

Mme Annick Le Loch. Je félicite, moi aussi, notre collègue pour ce travail conséquent, précis et utile. Nos territoires perdent beaucoup d’emplois à cause de l’impossibilité ou de l’absence de volonté de transmission d’entreprise.

Des secteurs précis de notre économie ont-ils été identifiés ? Dans l’agriculture, le problème va bientôt se poser, avec le vieillissement des chefs d’entreprise. Dans ma circonscription, je suis particulièrement concernée par la transmission d’activités maritimes. La moitié des patrons pêcheurs partiront en retraite d’ici à trois ans, avec un capital important à céder, en bateaux mais aussi en quotas de pêche qui y sont attachés. Faute de pouvoir être transmis aux jeunes, ces bateaux partiront à l’étranger. Les Espagnols, par exemple, sont très friands de nos quotas de pêche.

Il existe dans notre pays des réseaux, souvent sous la forme d’associations, qui accompagnent les chefs d’entreprise en région pour la transmission de leur entreprise. Vos propositions permettent-elles d’accroître cet accompagnement, qui me semble essentiel ?

Mme Marie-Lou Marcel. Vous évoquez, en page 7 de votre rapport, la structuration de l’offre d’accompagnement par les réseaux d’acteurs, avec l’intervention des régions qui pourraient élaborer une charte de qualité. Quel pourrait être, plus précisément, le rôle des régions dans cet accompagnement de la transmission d’entreprise et peut-être aussi la formation des repreneurs ? Quelles sont les attentes des régions, dont vous avez auditionné les représentants, face au problème de la transmission ? Quel serait le contenu de la charte de qualité ? Je m’interroge, par ailleurs, sur le rôle que pourraient jouer les autres acteurs, chambres consulaires, experts-comptables, mais aussi les financeurs, dont la BPI ?

Mme Fanny Dombre Coste. Merci pour ces questions, qui montrent que le sujet vous intéresse. C’est, en effet, un sujet majeur, sur lequel il faut que tous se mobilisent, de la même façon que sur la création d’entreprise.

L’agence France Entrepreneur a toute sa place dans les propositions que j’ai formulées. Ses représentants, que j’ai rencontrés à plusieurs reprises, seront autour de la table pour la composition des réseaux d’acteurs, puisqu’il entre dans leurs fonctions de définir et d’accompagner sur chaque territoire les stratégies économiques en termes de création mais aussi de transmission d’entreprise. Ils sont très volontaires sur la question et ont participé au comité de pilotage, à Bercy.

La reprise par les salariés n’est pas dans la culture de notre pays, et nous devons donc changer de paradigme. Il est important pour un chef d’entreprise d’identifier un de ses salariés et de l’accompagner dans la formation, ce qui peut prendre quelque dix ans. Les chambres consulaires, CCI ou CMA, organisent des formations professionnalisantes très intéressantes sur la gestion et le management. Les salariés ont besoin d’être formés avant de prendre les rênes d’une entreprise.

Le droit d’information préalable des salariés, tel qu’il avait été conçu par M. Benoît Hamon, était très vertueux : l’idée était de changer le regard sur la transmission de l’entreprise aux salariés, en envisageant de leur donner l’information en amont de la cession. Cependant, la sanction était disproportionnée, et il a donc été proposé de remplacer la nullité de la cession par des dommages et intérêts. L’article 18 de la loi Hamon a mis en place une information des salariés tous les trois ans sur la reprise de leur entreprise. J’ai souhaité coordonner le dispositif avec celui de la loi Macron, et permettre que les chefs d’entreprise vertueux, qui informeraient régulièrement leurs salariés, soient dispensés d’appliquer le droit d’information préalable des salariés.

Les salariés sont en filigrane dans toutes les propositions de mon rapport, y compris sur les questions financières : quand je propose, par exemple, d’alléger la fiscalité sur les donations partielles, c’est bien pour permettre à un chef d’entreprise de céder gratuitement un fonds de commerce ou un fonds artisanal et de mieux solvabiliser le repreneur.

Les réformes fiscales demandent beaucoup de doigté. J’ai recherché en la matière des solutions qui soient soutenables pour les finances publiques. Les mesures proposées permettent ainsi de déclencher l’anticipation chez le chef d’entreprise le plus en amont possible, sans crisper les services de Bercy.

La mise en réseau des acteurs sur les territoires est aussi importante qu’au niveau national. Les acteurs de la transmission ont demandé à participer au travail collaboratif, lequel va se poursuivre. Ce rapport n’est qu’une première étape. Si les freins ont été identifiés, ce n’est pas encore le cas de toutes les possibilités d’action. C’est un travail qui sera accompli par les acteurs eux-mêmes, notamment au niveau du comité de pilotage. Les acteurs devront également veiller à ce que ces politiques publiques soient mises en œuvre. Les territoires sont inégaux en matière de transmission d’entreprise. Certaines régions sont très engagées et ont pris les devants. Le comité de pilotage doit aussi veiller à ce que les régions qui n’ont pas pris cette question à bras-le-corps le fassent.

Le problème ne concerne pas seulement les territoires ruraux, mais aussi les territoires périurbains. Dans ma circonscription, une entreprise de menuiserie de quinze salariés a fermé ses portes brutalement ; elle se situait pourtant à dix kilomètres de la métropole de Montpellier.

La mise en réseaux dans les territoires doit conduire à la définition de stratégies adaptées à chacun d’entre eux. La question de la pêche, par exemple, ne se pose pas dans toutes les régions. Le sujet majeur, c’est que la transmission d’entreprise doit être anticipée le plus en amont possible, pour trouver les moyens de la formation, de l’accompagnement et aussi du financement. Il faut vraiment déclencher, chez le chef d’entreprise, la volonté d’anticipation et lui faire comprendre qu’il vaut mieux s’y prendre cinq ans à l’avance. Certaines propositions en matière de fiscalité ont précisément cet objet.

La BPI était au tour de table et est mobilisée sur la question. Les solutions de financement sont diverses : prêts d’honneur, garanties – la BPI est présente sur ces produits, de même que la Société interprofessionnelle artisanale de garantie d’investissements (SIAGI) –, avances remboursables et autres dispositifs « nouvel accompagnement pour la création et la reprise d’entreprise » (NACRE) ou « aide aux chômeurs créateurs ou repreneurs d’entreprise » (ACCRE). La BPI a également annoncé, lors du comité de pilotage, qu’elle allait développer des contrats spécifiques pour la transmission d’entreprise.

Un chef d’entreprise, dans une TPE, est seul. Il est régulièrement sollicité par des intermédiaires de qualité inégale, parfois peu vertueux, qui lui proposent de déterminer le prix de son entreprise. Ces études sont assez onéreuses, et la valorisation proposée toujours excessive par rapport au prix auquel le chef d’entreprise peut prétendre. Il est donc urgent, sans aller jusqu’au label, de garantir un socle de prestations de qualité minimale. C’est l’objet de la charte de qualité.

La question de la transmission d’entreprise concerne essentiellement des chefs d’entreprise de plus de cinquante-cinq ans, qui ont une représentation de l’entreprise différente de celle des générations suivantes, avec un attachement affectif tel qu’ils ont énormément de difficultés à passer la main. C’est cette tranche générationnelle qu’il faut accompagner afin que le marché de la transmission fonctionne au mieux dans les années à venir.

M. Jean-Luc Laurent. J’ai examiné le sujet de la simplification à l’occasion de mon avis budgétaire sur l’industrie. La nouvelle gouvernance économique qui va intervenir implique de bien articuler les acteurs. De manière légitime, la demande pour un interlocuteur unique est forte. Je pense qu’une telle simplification est nécessaire et que cet interlocuteur unique pourrait être les CCI. Quel est votre point de vue à ce sujet ? Je n’ai pas non plus trouvé mention dans le rapport du levier de l’économie sociale et solidaire (ESS).

M. Lionel Tardy. Les organismes tels que les CCI et CMA, financés par l’argent des entreprises, sont censé être le guichet unique en matière de création et de reprise, mais la plupart de leurs prestations, y compris la formation, sont payantes, en concurrence directe avec les entreprises privées. Elles sont d’ailleurs souvent moins professionnelles que le privé, où les dossiers sont suivis dans le temps par des conseillers qui ne changent pas sans arrêt et qui connaissent leur affaire. En tant que chef d’entreprise, je ne suis jamais passé par leurs services, et je n’étais pas le seul dans ce cas. Du fait de cette désaffection, nous manquons d’indicateurs, alors que ces organismes sont là pour en recueillir. Il faut conduire une réflexion sur le fonctionnement de nos chambres consulaires.

Mme Dombre Coste. L’ESS est en filigrane dans le rapport complet, qui se trouve en ligne. La confédération générale des sociétés coopératives et participatives (SCOP) était au premier comité de pilotage. Elle a évoqué l’exemple très intéressant de SCOP d’amorçage, qui démarrent.

La question du rôle des chambres consulaires déborde largement celle de la transmission d’entreprise. J’ai émis l’idée d’un réseau d’acteurs au niveau territorial, accompagné par les régions et l’État. C’est ce qui s’est mis en place en Alsace, avec le réseau OCRE, très bien organisé, qui rassemble les financeurs, les chambres consulaires, les réseaux associatifs. Avant d’imaginer un guichet unique, une nouvelle strate, dont on ne mesure pas bien quel accueil lui serait réservé par les acteurs, il m’a semblé intéressant, dans un premier temps, de passer par cette mise en réseau dans les territoires.

Mme la présidente Frédérique Massat. Merci. Notre commission suivra avec intérêt ce dossier, ainsi que les suites données à vos propositions.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 17 novembre 2015 à 17 heures

Présents. - Mme Brigitte Allain, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Philippe Bies, Mme Michèle Bonneton, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Christian Franqueville, M. Guillaume Garot, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. Lionel Tardy, M. Fabrice Verdier

Excusés. - Mme Jeanine Dubié, M. François de Mazières

Assistaient également à la réunion. - M. Guillaume Chevrollier, M. Dino Cinieri, M. Jean-Pierre Decool, Mme Sophie Rohfritsch