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Commission des affaires économiques

Mardi 15 décembre 2015

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 33

Présidence Mme Frédérique Massat, Présidente

– Audition de M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

– Examen de la proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation (n° 3280) (Mme Brigitte Allain, rapporteure)

Mme la présidente Frédérique Massat. La dernière fois que notre commission vous a reçu, monsieur le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, c’était le 22 juillet à l’occasion de la table ronde sur la crise des filières de l’élevage. Vous revenez aujourd’hui pour faire un point sur la situation de l’agriculture.

Je souhaiterais aborder avec vous le thème du foncier, car les questions de financiarisation et de transmission des exploitations suscitent bien des inquiétudes. De ce point de vue, la mission de contrôle de la mise en application de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, conduite par MM. Germinal Peiro et Antoine Herth, commencera ses travaux en début d’année prochaine.

Nous vous interrogerons aussi sur le programme « 4 pour 1 000 » que vous avez annoncé lors de la COP21 et auquel notre commission souhaite être associée, sur le plan de soutien à l’élevage au sujet duquel nous remercions votre cabinet de nous fournir régulièrement des informations, sur la grippe aviaire déclarée dans cinq départements du Sud-Ouest, qui inquiète non seulement les éleveurs, mais aussi les consommateurs, ainsi que sur l’embargo russe et sur la mise en œuvre de la nouvelle politique agricole commune (PAC).

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Permettez-moi de commencer par évoquer le plan de soutien à l’élevage. Notre secteur laitier, fortement exportateur, connaît d’importantes difficultés liées à l’évolution des prix sur le marché mondial, en particulier les prix des produits néo-zélandais sur le grand marché asiatique. Pour faire face, nous avons rencontré aujourd’hui les grands distributeurs afin qu’ils respectent leurs engagements et qu’ils évitent de se livrer en début d’année à une nouvelle bataille sur les prix, qui serait insupportable pour les éleveurs.

Le plan de soutien à l’élevage concerne aussi le secteur de la viande bovine, qui traverse encore des difficultés, ainsi que la fièvre catarrhale ovine qui s’est ajoutée aux difficultés du marché et, enfin, la filière porcine qui, en Bretagne, est un sujet urgent. En effet, après les négociations que nous avons conduites dans ce secteur sur la base d’un prix d’achat de 1,4 euro par kilogramme, deux opérateurs se sont retirés du marché au cadran et le prix ne dépasse désormais pas 1,08 euros par kilogramme – un niveau de prix qui ne permet pas à de nombreux éleveurs de se maintenir en exercice.

Il faut prendre des mesures conjoncturelles, comme le plan de soutien à l’élevage, mais nous devons aussi débattre de questions structurelles. Permettez-moi de préciser les ordres de grandeur des aides accordées aux secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Le pacte de responsabilité, tout d’abord, représente près de 4 milliards d’euros – à raison de 1,8 milliard d’euros pour l’agriculture et près de 2 milliards pour le secteur agroalimentaire – soit autant que le budget de l’agriculture, qui s’élève à 4,2 milliards d’euros. Si l’on y ajoute les aides nationales et européennes, le montant total des aides accordées à ces deux secteurs atteint 19 milliards d’euros. Or, malgré une telle somme, 40 000 dossiers ont été déposés dans les cellules d’urgence.

Tous les républicains qui défendent notre agriculture doivent s’interroger sur cet état de fait. On blâme souvent les charges, mais il faut aussi soulever la question des charges opérationnelles et celle des transferts des gains de productivité en agriculture. Dans la mesure où leurs gains de productivité ne cessent d’être répartis les uns vers l’amont et les autres vers l’aval, les agriculteurs sont contraints de demander des aides publiques. Or, celles-ci, je le répète, s’élèvent aujourd’hui à 19 milliards d’euros. Il est donc essentiel que les agriculteurs conservent le bénéfice d’une part de leurs gains de productivité.

L’État consacre 700 millions d’euros supplémentaires – et indispensables – au plan de soutien à l’élevage, à quoi s’ajoutent 63 millions d’euros accordés par l’Europe suite à la crise.

100 millions sont consacrés aux allégements de charges par le biais du fonds d’allégement des charges, le FAC, et aux mesures de restructuration de la dette via la fameuse « année blanche » reportant tout ou partie des remboursements de prêts, conformément aux arbitrages que le Premier ministre a décidés il y a trois semaines.

D’autre part, la Mutualité sociale agricole (MSA) a accompli en 2015 un remarquable travail permettant de dégager 180 millions d’euros en allégements de charges, à raison de 50 millions d’allégements des cotisations à la MSA, 80 millions liés au changement du mode de calcul des cotisations – désormais fixées en fonction des revenus de l’année n–1 et non du revenu triennal – et 45 millions, qui deviendront 65 millions en 2016, liés à l’alignement à la baisse de l’assiette minimale des cotisations du secteur agricole sur l’artisanat et les métiers. J’ajoute à cela 10 millions de crédits budgétaires consacrés à la promotion de l’exportation, 30 millions consacrés au renforcement du plan pour la compétitivité et l’adaptation des exploitations agricoles (PCAE) dont le budget passe ainsi à 86 millions et que complètent les PCAE régionaux – autrement dit, les « aides du deuxième pilier ». L’ensemble de ces aides atteint 350 millions qui, par divers effets de levier, deviennent 1 milliard ; sur trois ans, les 3 milliards d’investissements demandés sont donc atteints. Cet effort était nécessaire pour améliorer les conditions de production, protéger le bien-être animal et réduire les coûts d’utilisation des bâtiments, dont dépendent les conditions de travail et le bien-être des agriculteurs.

Ensuite, nous mobilisons 30 millions au titre du programme d’investissements d’avenir en faveur des abattoirs, l’un des maillons fragiles de la chaîne de l’élevage dont le coût en termes de compétitivité est élevé. Nous avons également ajouté 30 millions aux crédits consacrés aux mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) afin de les ajuster, notamment lorsqu’elles concernent les prairies permanentes dans les départements touchés par la suppression de la prime herbagère agro-environnementale, la PHAE.

Le projet de loi de finances rectificative en cours d’examen à l’Assemblée prévoit de réformer la fiscalité de la méthanisation et, surtout, de réformer la dotation pour aléas (DPA) de sorte que les agriculteurs puissent, lorsque leurs recettes le permettent, provisionner en prévision d’années moins favorables. De même, la mesure de suramortissement des investissements productifs prévue dans la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques qu’a défendue M. Emmanuel Macron a, lors du débat sur le projet de loi de finances, été étendue aux coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA) ; elle est désormais étendue à l’ensemble des coopératives agricoles. S’il n’était pas initialement prévu de le faire, c’est parce que les coopératives de grande taille auront bien du mal à répartir le bénéfice de la mesure à chacun des sociétaires en fonction de son niveau d’investissement ; toutefois, l’extension de la mesure est générale, même si elle contribuera sans doute plus utilement aux investissements des petites et moyennes coopératives.

Revenons au plan de soutien à l’élevage. Environ 40 000 dossiers ont été déposés, dont près de 30 000 ont déjà été traités par les cellules d’urgence créées en février 2015 pour anticiper les difficultés. Les dossiers des filières porcine et bovine ont été traités en priorité, ceux du secteur laitier suivent. Environ 50 000 dossiers ont été déposés au titre du fonds d’allégement des charges, y compris les dossiers de restructuration de dettes ; parmi eux, 28 000 ont été jugés éligibles, et 5 000 ont déjà été payés, 12 000 autres étant en cours de paiement. Le montant de l’aide du FAC s’élève à 3 100 euros en moyenne, mais il est plus élevé dans la filière porcine. À ce jour, 4 700 exploitations ont fait l’objet d’une restructuration bancaire, dont 312 ont bénéficié d’une année blanche complète.

De l’avis général, tous les acteurs impliqués dans ces cellules d’urgence – directions départementales des territoires (DDT), chambres d’agriculture, centres de gestion et professionnels – ont accompli un travail considérable pour traiter et classer les dossiers puis les transmettre à FranceAgriMer afin qu’ils soient payés. J’espère que ces cellules, dont chacun convient qu’elles ont été fort utiles, n’auront pas à être à nouveau convoquées dans les mois et les années qui viennent.

Dans les secteurs porcin et bovin, nous agissons actuellement en matière de contractualisation et, surtout, nous souhaitons que les cotations soient plus qualitatives – autrement dit, qu’elles reflètent non plus seulement le produit de base, mais aussi la valeur ajoutée. Notre action concernant l’origine France des viandes – nées, élevées, abattues et transformées sur le territoire – porte ses fruits : dans la grande distribution, la progression des ventes de viande fraîche, mais aussi de produits transformés est considérable, et les consommateurs reconnaissent désormais facilement le fameux logo hexagonal tricolore. J’ai demandé aux professionnels de poursuivre leurs efforts d’amélioration de la qualité des produits – je pense au porc sans salmonelle, par exemple, à l’image de ce qui se fait en Allemagne. La qualité de la signature « Viandes de France » ne peut qu’y gagner. Encore faut-il que tous les acteurs concernés en prennent conscience et qu’ils cessent de renvoyer la responsabilité aux autres sans faire eux-mêmes d’efforts ! Je poursuivrai le dialogue à ces fins.

S’agissant du développement des filières locales dont vous allez vous saisir dans un instant avec la proposition de loi de Mme Brigitte Allain, nous avons mobilisé toute la restauration collective hors domicile, qu’elle soit privée ou en régie, afin qu’elle privilégie l’approvisionnement local. L’autonomie de gestion des collectivités territoriales étant un principe constitutionnel, nous ne pouvons en la matière qu’adopter des mesures facultatives et incitatives – même s’il serait parfois plus aisé de prendre des mesures contraignantes.

Je ne reviens pas sur l’enjeu essentiel de la compétitivité et sur l’étude comparative de sept pays européens que nous avons conduite : nous progressons ; il faut persévérer.

L’agro-écologie fait débat. Nous aurons en début d’année une discussion sur l’application de la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. La priorité doit être de faire baisser les charges opérationnelles du secteur agricole afin que les agriculteurs captent davantage leurs propres gains de productivité. C’est pour ce faire que nous favorisons les stratégies d’autonomie fourragère et de couverture de sols et autres solutions agro-écologiques, mais surtout la création de groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE) qui fixent des objectifs collectifs et qui, selon les premiers retours que nous en avons, permettent de mieux gérer les problèmes et de réduire au maximum les charges opérationnelles – même si elles ne disparaîtront jamais vraiment, parce qu’il faut évidemment s’équiper en machines, en drones ou en outils numériques. Cessons toutefois de considérer que chaque exploitant est l’acheteur potentiel d’une kyrielle de services qui, in fine, lui coûtent cher et divertissent une partie de ses revenus au point que, en cas de difficulté, l’État demeure son seul recours. En effet, les banques, y compris le Crédit agricole, ne sont pas toujours bien disposées – malgré leurs efforts – à accepter des restructurations de dette. Je suis donc extrêmement attaché à la réappropriation des gains de productivité par les agriculteurs afin qu’ils renforcent leur compétitivité et leur autonomie. La distribution de ces gains coûte en fin de compte très cher à la puissance publique ; c’est anormal. En clair, les agriculteurs doivent autant que possible capter la valeur ajoutée liée à leurs gains de productivité.

L’accès au foncier a fait l’objet de débats très intenses, et pour cause : la pression foncière est considérable. Les capitaux investis sont souvent importants, ce qui en fait un enjeu majeur de compétitivité. Or la répartition du foncier conditionne la vitalité des installations. Nous avons pris des mesures visant à renforcer le rôle des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les SAFER, pour lesquelles les décrets sont déjà pris ; le décret portant sur les compensations agricoles collectives est en cours d’élaboration et de concertation avec les acteurs concernés. Il faut néanmoins contrôler l’application des schémas départementaux, renforcer le contrôle des structures, veiller à limiter les agrandissements excessifs et faciliter les installations. Ces sujets importants devront être abordés lors de l’évaluation de l’application de la loi d’avenir précitée. Nous avons fait le maximum dans les limites que nous imposent la Constitution et le droit de la propriété, mais je suis tout à fait conscient que la question foncière demeure un enjeu actuel et futur. J’en veux pour preuve la réaction des organisations non gouvernementales et de nombreux pays concernés à la présentation que nous leur avons faite du programme « 4 pour 1 000 » lors de la COP21 : l’accès au foncier pose partout problème, notamment dans les pays en développement soumis au phénomène d’accaparement des terres. Or tous les pays ne se sont pas dotés d’outils de gestion foncière comme les SAFER, dont certains souhaitent d’ailleurs s’inspirer – la Roumanie, par exemple.

J’en viens à la COP21, précisément. Cette réunion très intéressante a abouti à un accord historique et à un Agenda des solutions comprenant notamment le programme « 4 pour 1 000 ». J’en rappelle le principe : la photosynthèse qui se produit dans les arbres et autres organismes végétaux valorise davantage l’énergie solaire que tout autre procédé, y compris les panneaux solaires. Or la photosynthèse permet de fixer dans les plantes du carbone provenant de l’atmosphère – certaines légumineuses pouvant même retenir de l’azote. Une fois fixé, ce carbone est ingéré par les animaux et les humains qui consomment les végétaux en question, ou transformé en carburants, voire, demain, en plastiques – puisque l’interdiction des plastiques chimiques nous obligera à terme à exploiter les amidons pour fabriquer des plastiques biodégradables. On peut néanmoins imaginer de stocker une partie de ce carbone dans les sols, où il devient matière organique, et ainsi faire d’une pierre deux coups en réduisant la concentration en carbone dans l’atmosphère tout en fertilisant les sols – une priorité dans de nombreux pays.

Nous avons donc mis au point cette belle initiative qui est en lien avec le programme de lutte contre la dégradation des sols de l’ONU, et notre objectif est qu’elle se concrétise avant la COP22 de Marrakech avec la constitution d’un comité politique de pilotage et la définition de grands plans d’action. Je me rendrai en Afrique en début d’année pour signer avec l’Union africaine et le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) un projet de mise en œuvre du programme « 4 pour 1 000 » sur le continent, car les délégations africaines ont été très sensibles à cette proposition.

M. Germinal Peiro. L’important plan de soutien à l’élevage s’est déployé en deux phases – en juillet puis en septembre, à la suite des nombreuses manifestations de l’été. Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre : 40 000 dossiers ont été déposés dans les cellules de crise, dont 30 000 ont déjà été traités. C’est dire l’état d’urgence dans lequel se trouvent une grande partie des éleveurs. Les mesures visant à favoriser la contractualisation, à soutenir les exportations et à renforcer l’origine des viandes ainsi que les diverses aides vont dans le bon sens, et les agriculteurs l’ont compris.

Un écueil majeur demeure néanmoins : celui du prix. Les producteurs de lait, en particulier, sont très inquiets de la nouvelle baisse annoncée des prix du lait en début d’année, même s’ils sont parfaitement conscients des contraintes liées au caractère mondialisé du marché.

L’agro-écologie, que nous avons défendue dans la loi d’avenir, est entrée dans les mœurs. En Dordogne, du moins, nombreux sont les agriculteurs qui y adhèrent, car ils ont compris qu’ils réaliseraient des économies et des gains de productivité considérables en limitant les intrants. Dans ma commune, les couvertures hivernales de moutarde sont prêtes
– et même encore fleuries, car le climat est doux et les gelées tardent. La rotation des sols fonctionne et les agriculteurs adoptent des techniques culturales plus respectueuses qui permettent d’enrichir les sols. Cela se pratiquait déjà dans d’autres régions, mais la crise économique pousse désormais les agriculteurs à rechercher des solutions nouvelles pour rentabiliser davantage leurs exploitations. Je m’attends donc à de bonnes surprises en matière d’écologie – nous en débattrons au colloque que vous organiserez sur ce thème au mois de février.

Malgré les dispositions relatives au foncier que contient la loi d’avenir, je fais le constat suivant : rien ne change. La pression foncière est toujours aussi forte et tous les terrains qui se libèrent sont consacrés à des agrandissements. En Dordogne, j’ai lancé, à l’occasion de la refonte du guide des aides, un plan avec les collectivités territoriales pour les inciter à acquérir des parcelles et à créer des zones d’aménagement différé, car nul autre qu’elles n’endossera ce rôle. Il faut en effet que les élus municipaux s’emparent de cette responsabilité économique – qui échoit actuellement aux agriculteurs – même s’ils peinent souvent à prendre conscience qu’ils ont un rôle économique à assumer. Ils le font pourtant dans d’autres domaines au moyen de dispositifs tels que les multiples ruraux pour maintenir des commerces, les zones artisanales et l’immobilier d’entreprise ou encore les maisons pluridisciplinaires de santé ; dans le monde agricole, en revanche, ils ne parviennent pas à sauter le pas, malgré l’importance du rôle qu’ils ont à y tenir.

Nous pouvons nous réjouir de l’accord obtenu par la COP21 et du plan de stockage de carbone dans les sols, qui enclencherait un cercle vertueux.

Nous espérons, monsieur le ministre, la tenue de la Conférence nationale des retraites agricoles. Vous m’avez indiqué que vous souhaiteriez la réunir avant le salon de l’agriculture ; elle est attendue et correspond à un engagement du Président de la République.

Dernier point : la grippe aviaire. D’abord apparue en Dordogne, elle s’est étendue à la Haute-Vienne, puis au Gers, aux Pyrénées-Atlantiques et aux Landes, et il est à craindre qu’elle ne touche tout le grand Ouest de la France. Faute d’autres options, c’est l’abattage systématique qui est aujourd’hui privilégié. La filière avicole s’en trouve très affectée : comment sera-t-elle indemnisée ?

M. Antoine Herth. Pourriez-vous, monsieur le ministre, préciser ce qu’il en est des « années blanches » ? Quand les discussions avec les organismes bancaires concernés aboutiront-elles et quelles sont les formules retenues ? Vous avez indiqué que 312 exploitations auraient bénéficié d’une année blanche complète, mais j’ai cru comprendre que la mise en œuvre posait problème.

Dans le même esprit, j’entends beaucoup parler de l’assurance risques appliquée au domaine de l’élevage, en particulier aux prairies. Pouvez-vous nous éclairer sur les textes réglementaires que vous envisagez en la matière ?

Une question d’actualité vient de vous être posée sur la grippe aviaire, à laquelle vous avez apporté une réponse précise et technique, peut-être même trop technique
– permettez-moi, par cette critique, de jouer mon rôle d’opposant. J’invite les membres de votre cabinet à relire le compte rendu de votre intervention en se mettant dans la peau d’un consommateur lambda : l’effet n’est pas rassurant. Je suis même convaincu qu’un certain nombre de personnes viennent de découvrir le problème et n’en sont que plus inquiètes. Ce n’est certes qu’un problème de communication, mais il m’appartient de vous en alerter.

Quelles sont la situation et les perspectives du secteur laitier ? L’Assemblée pourrait-elle être prendre connaissance de l’étude comparative que vous avez conduite dans sept pays européens ? J’ai cru comprendre que ces travaux prospectifs portaient sur les coûts : est-ce le cas ?

M. le ministre. Nous avons fondé ce calcul comparatif sur un élément de compétitivité : l’évolution du taux de couverture – c’est-à-dire le rapport entre les exportations et les importations – dans plusieurs filières, à dix ans d’intervalle. En France, par exemple, le taux de couverture de la filière volaille s’élevait à 130 % au début de la période d’étude, et à 30 % seulement l’année dernière. Autrement dit, cette filière exportatrice est devenue importatrice, et elle a même connu la plus forte chute de compétitivité parmi les filières étudiées. En clair, ce simple critère de calcul a permis de dresser un bilan détaillé de la compétitivité des différentes filières.

M. Antoine Herth. Soit ; permettez-moi donc de reformuler ma question. La situation de la ferme France en 2015 est-elle un accident de parcours, ou reflète-t-elle un changement de paradigme ? De nouvelles exigences de concurrence nous sont-elles imposées de l’extérieur ? Si c’est le cas, il faut en effet mener un travail prospectif sur dix ou quinze ans pour décomposer les coûts de production des différentes filières agricoles – et chacun sait qu’elles sont extrêmement diverses en France. Autre question à étudier : celle de la part de pouvoir d’achat que les consommateurs consacrent à l’alimentation. En France, elle s’élève à 12 % ; en Allemagne, à 7 % seulement. Les filières agricoles et agroalimentaires sont prises en étau entre l’ensemble des coûts de production – y compris la valorisation qualitative, que nous aborderons lors de l’examen de la proposition de loi de Mme Brigitte Allain – et la diminution des débouchés, puisque les dépenses d’alimentation sont en baisse.

Enfin, je ne peux qu’approuver la démonstration que vous venez de nous faire concernant la photosynthèse et l’utilisation du carbone stocké dans les végétaux. Un caillou demeure dans la chaussure, néanmoins : pour qu’il y ait photosynthèse, il faut certes du soleil, des plantes et des sols, mais il faut aussi de l’eau. Certains propos tenus au cours de la dernière campagne électorale laissent penser que la marche arrière est enclenchée en matière de maîtrise de l’eau. Or, dans certaines régions, la disponibilité des nappes aquifères pour l’irrigation est une condition sine qua non du développement d’une agriculture plus vertueuse et conforme aux engagements pris lors de la COP21. Que pouvez-vous nous en dire ?

M. André Chassaigne. La filière laitière est confrontée à un grave problème de prix. Je viens de déposer au nom des députés du Front de gauche une nouvelle proposition de loi sur la question. On nous répond invariablement que l’Europe nous empêche de fixer des prix garantis ou tout au moins des prix plancher. Estimez-vous, monsieur le ministre, que la porte est fermée à tout prix plancher en fonction des coûts de production ? C’est pourtant le cas dans certains secteurs comme celui de la betterave, par exemple, où des prix minimaux garantis existent – la rémunération allant à 44 % au planteur et à 56 % au sucrier. Il faut se saisir de cette question à bras-le-corps, en dépit des limites existantes.

D’autre part, ne faut-il pas procéder à une analyse des prix agricoles actuels en fonction des productions, des techniques, des caractéristiques d’exploitation et des zones de production ? Il a notamment été demandé de produire une statistique ne portant que sur les seuls revenus agricoles en excluant les autres revenus comme le salaire du conjoint et autres revenus d’entreprise. Nombreux sont les paysans qui ne vivent que grâce à l’activité salariée de leur conjoint ; ils demandent à cor et à cri une étude permettant de faire toute la lumière sur leurs revenus réels – et les inquiétudes actuelles n’en seront que plus fortes tant la situation est désespérée dans bien des cas.

Ma troisième question – au sujet de laquelle j’ai harcelé le ministère – porte sur l’avance de trésorerie en cas de redressement judiciaire. De nombreuses familles au bord du gouffre appellent au secours. Aujourd’hui, les exploitations les plus en difficulté, celles qui sont le plus gravement affectées par le retard de traitement de leurs dossiers d’aides au titre de la PAC, ne peuvent pas bénéficier de prêts leur permettant d’alléger leur trésorerie. Certes, vous avez, Monsieur le ministre, transmis le 10 décembre des instructions techniques aux directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DRAAF) et aux directions départementales des territoires (DDT) qui devraient être mises en œuvre au plus tôt, mais de solides verrous demeurent dans le secteur bancaire, notamment, qui freine délibérément le déblocage de prêts, alors que l’État garantit la couverture des intérêts d’emprunt. Or il faut accorder une attention prioritaire à ces agriculteurs dont les dossiers doivent être traités en urgence par le FAC. D’autre part, n’est-il pas envisageable de réserver un traitement prioritaire aux dossiers d’aides relevant de la PAC que déposent des exploitations en redressement judiciaire, qui sont plusieurs centaines en France et qui, à défaut, risquent de disparaître ?

J’en viens à la question du foncier. Des avancées ont certes été réalisées en matière de droit des sociétés. Toutefois, si les SAFER sont informées des cessions de parts sociales, leur droit de préemption ne peut s’exercer que sur la totalité de ces parts et elles ne disposent d’aucun moyen d’agir lorsque les parts vendues ne concernent qu’une seule société. Il en résulte un phénomène d’accaparement des terres au profit d’une frange d’exploitations. Je connais les contraintes du droit de la propriété, mais il est indispensable de progresser dans ce domaine.

Enfin, où en est l’appel à projets concernant la labellisation des GIEE ? À cette occasion, votre ministère a sans aucun doute été saisi de propositions intéressantes qui permettraient de donner corps à un volet essentiel de la loi d’avenir. J’ai ainsi pris connaissance d’un projet déposé conjointement par des éleveurs et des céréaliers du
Puy-de-Dôme : les uns, incapables de parvenir à l’autonomie protéique, car leurs surfaces arables sont trop faibles, doivent acheter des protéines, d’autres trouvent des débouchés pour écouler leur production complémentaire, tandis que les céréaliers sont contraints d’acheter des engrais de synthèse – pourtant onéreux – alors que des éleveurs pourraient leur fournir du fumier. Nous devons valoriser ces complémentarités. Le fonds agricole, créé en 2006, fêtera bientôt ses dix ans : il n’était pas de mon point de vue la meilleure des idées, mais il a fait la preuve que certaines lois n’aboutissent à rien ou presque, puisqu’il n’a été utilisé que par 964 exploitants en dix ans. Ce n’est guère une panacée ! Autrement dit, une loi doit se traduire dans les faits. Espérons que ce sera le cas des GIEE !

Mme Brigitte Allain. La multiplication des foyers de grippe aviaire qui touche ma région est inquiétante. Je constate votre pleine mobilisation et vous remercie des informations rassurantes que vous nous communiquez régulièrement concernant la santé humaine. À l’approche des fêtes de fin d’année, je demeure néanmoins préoccupée par les conséquences économiques de ces découvertes sur les ventes de nos producteurs. Les plus gros producteurs et les producteurs hors-sol pâtiront le plus des embargos sanitaires sur le marché d’exportation et subiront d’importants impacts financiers. Les producteurs qui commercialisent en vente directe connaissent leurs clients et peuvent les rassurer. Samedi dernier, pourtant, les producteurs présents au marché de Bergerac constataient déjà avec inquiétude que leurs ventes de volailles et d’œufs chutaient. Les consommateurs sont prompts à faire des amalgames ; une campagne de communication doit être rassurante. Pouvez-vous évaluer l’impact économique concret des mesures actuellement prises pour endiguer l’épidémie et, surtout, pour rassurer producteurs et consommateurs ?

Que pense la France des demandes formulées par les négociateurs américains du traité de libre-échange transatlantique (TAFTA) concernant le traitement chimique à base de javel des viandes à l’importation et à l’exportation ? Ce nouvel assaut ne constitue-t-il pas une raison supplémentaire de s’insurger contre ce projet d’accord négocié loin des citoyens et contre l’intérêt public ? La COP21, qui vient d’adopter le programme « 4 pour 1 000 » avec le soutien du club parlementaire pour la protection et l’étude des sols, que je préside, est-elle conciliable avec le TAFTA ?

Pouvez-vous d’ores et déjà évaluer l’impact des aides à l’élevage ainsi que le nombre d’agriculteurs qui en bénéficient et de ceux qui n’en bénéficient pas, y compris parce qu’ils sont trop fragilisés ? Pensez-vous que l’État pourra soutenir indéfiniment les productions de base à bas prix alors que ces filières trouveront toujours un moins-disant en matière de prix ? Ne vaut-il pas mieux encourager les producteurs à se tourner davantage vers l’agro-écologie en renforçant le soutien aux GIEE qui créent une véritable dynamique locale de développement durable ?

Notre commission examinera dans quelques instants la proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation que j’ai déposée. L’expression d’« ancrage territorial » vous est familière, puisque c’est l’un des axes de la politique nationale de l’alimentation. Je compte sur le soutien du Gouvernement pour que ce texte renforce concrètement la loi d’avenir.

Vous avez, monsieur le ministre, évoqué le principe constitutionnel de l’autonomie de gestion des collectivités territoriales. Toutefois, après avoir rencontré Mme Marylise Lebranchu, je suis plus que jamais convaincue de la nécessité d’imposer une contrainte d’objectifs et de moyens. Il ne faudrait pas que la loi d’avenir subisse le même sort que la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, qui, si elle était ambitieuse, était aussi déclarative. Nos concitoyens nous demandent de faire preuve de courage politique pour concrétiser nos orientations de sorte qu’elles favorisent la création d’emplois non délocalisables et valorisent les savoir-faire locaux.

Enfin, l’association des retraités d’entreprises et organismes professionnels agricoles et agro-alimentaires de la Dordogne est forte et ses demandes sont nombreuses et légitimes.

M. Thierry Benoit. L’été dernier, monsieur le ministre, lors de la crise de l’élevage, vous aviez annoncé une refonte de la fiscalité agricole à l’occasion du projet de loi de finances rectificative. Or, de votre propre aveu, vous n’avez agi que sur trois points : la DPA, les méthaniseurs et l’extension de la mesure de suramortissement à l’ensemble des coopératives agricoles. La fiscalité agricole est pourtant l’un des grands enjeux de notre agriculture. À ce stade, hélas, il n’y a aucune « refonte » de cette fiscalité.

Dans le marché mondialisé que nous connaissons, le prix du lait correspond à 60 % du prix des produits laitiers transformés. Comment nos éleveurs et producteurs laitiers vont-ils vivre les mois et les années à venir alors que le prix du lait est à la baisse ? La fin des quotas, annoncée il y a quelques années, a été mal préparée au niveau européen et au niveau national. L’accompagnement par l’État de la mise en œuvre des contrats sera-t-il aussi méticuleux qu’il est nécessaire ?

Sans doute le problème est-il moins aigu dans les coopératives laitières…

M. le ministre. Vous avez tort !

M. Thierry Benoit. … où les producteurs ont déjà un lien sous forme de contrat avec leur unité de collecte et de transformation.

M. le ministre. Normalement…

M. Thierry Benoit. Comment l’État accompagnera-t-il les associations d’organisations de producteurs ?

D’autre part, quelles sont les propositions que vous formulez au niveau européen comme au niveau national en matière de volatilité des prix ? La France peut sans doute mobiliser l’un ou l’autre des piliers européens, mais il faut peut-être imaginer une régulation européenne des prix.

La production porcine est importante dans ma région. La France produit plus de 20 millions de porcs chaque année ; or la production européenne augmente de 2,5 % par an. Depuis quelques années, certains de nos voisins nous dament le pion dans ce secteur : c’est préoccupant. Il est vrai, comme vous l’avez justement expliqué, monsieur le ministre, que la valeur ajoutée créée par les éleveurs est mal répartie. La France est-elle déterminée à maintenir son potentiel de production agricole, notamment en Bretagne ? La crise de l’élevage n’est-elle pas l’occasion d’afficher en toute clarté notre volonté d’harmoniser les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) ? Certaines avancées ont déjà été réalisées lors de votre prise de fonction ; le temps n’est-il pas venu de les harmoniser à l’échelle européenne ?

Dans le secteur agricole comme dans le secteur agro-alimentaire se pose la question des travailleurs détachés. Les entreprises européennes de travail temporaire qui « fournissent » des travailleurs dont le niveau de rémunération et de cotisations sociales est faible sont à l’origine d’une véritable distorsion de concurrence pour la France et, surtout, créent un problème d’emploi. Les 500 000 travailleurs détachés en France occupent des emplois qui pourraient être confiés à une main-d’œuvre française si les entreprises françaises d’intérim étaient aussi compétitives que leurs concurrentes roumaines et autres.

Une récente mission que j’ai effectuée à Bruxelles avec Mme Annick Le Loch et M. Damien Abad a confirmé mes inquiétudes : le Gouvernement est-il bien déterminé à exiger des avancées sur l’étiquetage ? L’Europe n’y semble guère disposée : la question est pourtant cruciale. Vous avez raison de défendre le « produit en France », mais l’Europe y est opposée.

Où en sont les discussions concernant l’embargo russe ? Le manque à gagner de la filière porcine s’élèverait à 3 milliards d’euros, soit 50 000 tonnes.

Enfin, on parle peu des négociations du traité transatlantique. Il concerne pourtant les consommateurs – qu’il s’agisse de traçabilité, d’étiquetage, de transparence, de qualité des produits et de sécurité sanitaire et alimentaire –, mais aussi les entreprises françaises et européennes à qui l’on doit permettre de se battre à armes égales avec leurs concurrentes. Puisque nous sortons d’une période électorale, c’est sans doute l’occasion d’expliquer à nos compatriotes que la mondialisation des échanges ne permet pas à la France de s’isoler et de fermer ses frontières, car si les productions agricoles sont naturellement liées aux terroirs et aux territoires, elles s’inscrivent aussi dans des flux d’échanges mondialisés.

Mme Delphine Batho. La situation de l’élevage ne correspond plus à une « crise », laquelle désigne une période passagère avant le retour à la normale. Au contraire, la dérégulation actuelle des prix est structurelle. En septembre, monsieur le ministre, vous avez défendu à Bruxelles l’idée d’un prix d’intervention dans le secteur laitier : le sujet est-il clos au niveau européen ou peut-il être rouvert ?

D’autre part, il s’ajoute à la situation que vous avez décrite un climat d’incertitude concernant des questions très concrètes. Tout d’abord, les agriculteurs ne connaissent pas le montant des aides de la PAC pour 2015 et ignorent également quand elles seront versées. Ensuite, les avances versées correspondent à 90 % du montant des aides ; on peut certes considérer que la part restante de 10 % est accessoire, mais, en réalité, elle ne l’est pas – et elle l’est d’autant moins que ni le montant, ni la date du versement ne sont connus.

De même, l’absence de droit à l’erreur pose problème : toute erreur de bonne foi dans la déclaration d’une parcelle est immédiatement sanctionnée.

Dans les Deux-Sèvres, aucun versement n’a été effectué au titre du fonds d’urgence. Je remercie votre cabinet, monsieur le ministre, pour les réponses qu’il apporte régulièrement s’agissant des exploitations en redressement, car, paradoxalement, le règlement européen leur interdit de bénéficier du fonds d’urgence. Nous cherchons donc d’autres solutions. Je connais des agriculteurs à qui il a été répondu qu’ils n’étaient pas assez endettés pour bénéficier du fonds d’urgence ; leur exploitation a été liquidée la semaine suivante. En clair, dans un contexte de déploiement des mesures par les DDT, il y a un manque évident d’accompagnement humain. Relève-t-il des DDT ou des chambres d’agriculture ? Je l’ignore, mais les agriculteurs éprouvent un sentiment de maltraitance administrative et sont proches du burn-out. Ils ont besoin de savoir à quoi s’en tenir.

Enfin, est-il envisageable de réduire la zone réglementée concernant la fièvre catarrhale ovine afin de faciliter les mouvements d’animaux ?

M. Philippe Le Ray. Nous sommes tous attachés à notre agriculture. Je partage le tableau que vous en avez dressé, monsieur le ministre, mais de plan d’aide en plan d’aide, nos agriculteurs ont le sentiment de se rendre aux Restos du cœur. L’impact psychologique est très profond.

Peut-on adresser des signes aux éleveurs en matière d’assouplissement de la réglementation de l’eau – je pense en particulier à l’application de la directive « Nitrates », mais aussi aux restrictions, au niveau national, des produits phytosanitaires et des consultations avec le public ? Peut-on ralentir la mise en œuvre de la réglementation « climat-air-énergie » et des règles concernant les zones de biodiversité et la gestion des déchets ?

Plus globalement, quelle est votre vision de notre agriculture dans dix ans ? Depuis dix ans, l’agriculture française stagne ; tous nos concurrents européens nous doublent. Le projet d’agro-écologie, que je n’approuve pas vraiment, sera peut-être utile, mais ne changera guère notre situation d’ensemble face à nos concurrents. Ne pourriez-vous pas envisager deux ou trois choix politiques forts concernant la régulation des marchés ? Autrement, les variations de prix continueront de provoquer des crises sans précédent. De même, ne peut-on pas prévoir la certification systématique de tous les produits alimentaires ? Allez-vous faire davantage concernant la répartition des aides de la PAC en les consacrant davantage à l’élevage, car ce sont bien les éleveurs porcins, bovins et laitiers qui souffrent le plus aujourd’hui ? Peut-on imaginer de renforcer le système de défiscalisation dans le monde agricole ?

M. Frédéric Roig. Dans les zones de montagne, en particulier dans le sud du Massif central et dans le Larzac, les éleveurs rencontrent des difficultés dans les abattoirs de proximité où le soutien à l’investissement est essentiel, mais aussi dans la constitution de dossiers de demande d’aides de la PAC, compte tenu du risque d’erreur. Vous nous avez déjà répondu concernant l’agro-sylvo-pastoralisme et les fameuses parcelles de sous-bois, mais les inquiétudes demeurent.

De même, le développement des circuits courts et des labels de qualité – qui apportent une incontestable valeur ajoutée, comme en attestent l’AOC Pélardon et l’AOC Lucques du Languedoc, reconnue par un décret récent – doit être accompagné davantage.

Le sud du Larzac a connu il y a dix jours sa première attaque de loup. Ce problème bien connu s’étend désormais au nord de l’Hérault, ce qui est exceptionnel. De nombreux éleveurs m’ont interpellé sur le « plan loup » et m’ont fait part de leurs difficultés en termes de mobilité.

Enfin, le traité transatlantique concerne tout autant les consommateurs que les producteurs ; or son contenu reste opaque. Nous avons pourtant besoin de toutes les informations possibles.

M. Jean-Claude Mathis. La production fermière est l’une des composantes du développement des circuits courts et de proximité. Pourtant, la définition des produits fermiers fait débat parmi les professionnels ; il faut donc tenir compte des spécificités de chaque secteur. Dès 2009, les pouvoirs publics ont pris des dispositions réglementaires visant à définir le qualificatif « fermier » et les mentions « produit de la ferme » et « produit à la ferme » concernant les produits laitiers et les œufs. Ces dispositions ont été contestées par le Conseil d’État. Le Gouvernement a-t-il définitivement fixé les conditions d’utilisation de ces qualificatifs et, le cas échéant, quelles sont-elles ?

Mme Jacqueline Maquet. Le compte pénibilité, entré en vigueur en janvier 2015, repose sur quatre facteurs de risque, dont le travail répétitif. Malgré l’annonce de nouvelles mesures, ce dispositif semble encore inadapté aux exploitations légumières, dont les salariés exécutent un grand nombre de tâches très différentes tout au long de l’année. Il est très difficile d’établir si chacune d’entre elles peut être jugée pénible compte tenu de la définition des différents facteurs de risque. Que se passera-t-il, monsieur le ministre, en cas de contrôle réglementaire ou de contentieux juridique avec un ou plusieurs salariés ? Dans leur grande majorité, les exploitations légumières sont de très petites entreprises qui ne disposent pas des capacités leur permettant d’assurer la mise en œuvre et le suivi d’un tel dispositif. Le résultat risque d’être dissuasif pour le développement des emplois en agriculture, alors que le potentiel existe bel et bien.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Un décret du 9 février 2009 a modifié l’article R. 317-8 du code de la route concernant les plaques d’immatriculation des véhicules à moteur, ce qui se traduit par un certain nombre de contraintes. Tous les tracteurs et automoteurs agricoles attachés à une exploitation agricole, à une entreprise de travaux agricoles, à une CUMA ou à une exploitation forestière doivent être munis d’une seule plaque d’immatriculation fixée en évidence à l’arrière du véhicule, ainsi que d’une plaque d’exploitation complémentaire indiquant le numéro d’exploitation donné en préfecture et mentionné sur le certificat d’immatriculation. Quelles sont les motivations d’une telle mesure ? Seul le numéro d’exploitation pourrait être requis pour éviter des contraintes supplémentaires aux intéressés qui les pénaliseraient – par des amendes, notamment – dans un secteur qui, pourtant, est déjà confronté à d’importantes difficultés. C’est un exemple de contrainte qui nuit à la compétitivité des agriculteurs, lesquels sont des entrepreneurs comme les autres. Certes, les contraintes liées au code du travail et au code de l’environnement échappent largement aux compétences du ministre de l’agriculture, mais elles ne favorisent pas les intérêts des agriculteurs. Lorsque la France aura réglé le problème des entrepreneurs, elle aura quasiment réglé celui des agriculteurs !

M. Jean-Pierre Le Roch. Les réglementations de la PAC, les politiques environnementales et sanitaires et la réglementation en matière de travail et de protection sociale soumettent les agriculteurs à de très nombreux contrôles qui génèrent souvent du stress, de l’incompréhension, voire de l’exaspération et du désespoir, et qui produisent des conséquences économiques, sociales et même politiques qui sont parfois très lourdes. Je cite un responsable agricole : « Les agriculteurs sont à genoux et les contrôles continuent exactement de la même façon ».

Conscient de ces tensions, le Gouvernement a confié en novembre 2014 à notre présidente, Mme Frédérique Massat, une mission sur la mise en œuvre des contrôles dans les exploitations agricoles, dont les recommandations ont été reprises dans une circulaire adressée aux préfets par le Premier ministre le 31 juillet 2015. Ces mesures sont très attendues et plus que bienvenues dans nos campagnes. Pouvez-vous dresser un premier bilan de leur application et de leurs perspectives ?

D’autre part, même si elle est encore circonscrite à quelques départements, la grippe aviaire a des conséquences sur la filière des œufs, en particulier sur la gestion des poules de réforme, puisque plusieurs pays d’exportation se ferment peu à peu. Quelles mesures envisagez-vous de prendre en la matière ?

M. Dominique Potier. J’aurais de nombreuses propositions à vous faire, monsieur le ministre, pour ériger la production intégrée en paradigme de la nouvelle PAC afin de sanctuariser et de dynamiser l’agro-écologie. Il faut, par exemple, supprimer le plafond de verre constitutionnel en matière de régulation foncière. Je pourrais aussi vous parler du plan Écophyto, de votre gestion de la crise, de notre fierté de vous voir proposer des solutions d’avenir en Afrique.

Je me contenterai de vous poser la question qui me préoccupe le plus aujourd’hui : quelle est votre analyse – comme ministre, mais aussi comme responsable politique représentant la République – du vote en faveur de l’extrême droite en milieu rural et de ce désespoir latent qui s’est installé dans une partie de nos campagnes ? Avez-vous examiné la part du vote paysan dans le vote pour l’extrême droite ? Êtes-vous prêts, avec les moyens qui sont ceux du Gouvernement, à envisager l’ensemble des solutions positives existant dans l’agriculture et dans le monde rural pour redonner une espérance à nos territoires ?

M. Yves Daniel. Combien d’exploitations en situation de redressement judiciaire sont concernées par les avances de trésorerie remboursables et ont fait appel aux cellules d’urgence ?

S’agissant des quotas laitiers et de la volatilité des prix, deux rapports étaient attendus à la fin 2015 et en 2016. Le premier, confié au conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, doit analyser la question de la contractualisation ; le second, confié à AgroParisTech, est une étude des déséquilibres des marchés. Où en sont-ils ?

Enfin, je rappelle que le nombre d’exploitations est divisé par deux tous les dix ans. Jusqu’où ira-t-on ? Ce phénomène s’accompagne d’une augmentation des surfaces et du remplacement de l’élevage par de grandes cultures. Il en résulte une diminution de l’emploi agricole et agro-alimentaire, la disparition du bocage – malgré le succès de la COP21 où ont été abordées les notions d’agro-écologie, de développement des énergies provenant du bois et de l’agriculture, de circuits courts, de développement durable, d’aménagement du territoire et de bassins de vie. Quel est donc le projet agricole français dans l’Europe ? Comment pouvons-nous le partager avec les acteurs pour y travailler tous ensemble ? L’agro-écologie, par exemple, est une excellente initiative, mais n’est-elle pas l’un des leviers d’une véritable politique agricole ?

M. Hervé Pellois. La proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire, examinée la semaine dernière au Sénat, vise à améliorer le dispositif de contractualisation en imposant que les clauses de détermination des prix tiennent compte des coûts de production et fassent référence à des indices publics de prix ou aux travaux de l’observatoire des prix et des marges. À cette occasion, monsieur le ministre, vous avez pris l’engagement de formuler des propositions concernant la cotation et la fixation des prix dans les filières. Pouvez-vous nous en indiquer la teneur ? Quel pourrait être le rôle du fonds de soutien à l’élevage, aujourd’hui en discussion ?

D’autre part, les agriculteurs formulent la demande récurrente de disposer d’un guichet unique traitant tous les dossiers, qu’ils soient relatifs à la PAC, aux ICPE, au bien-être animal ou à la sécurité. Cette mesure de simplification administrative est-elle envisageable ?

Ensuite, les agriculteurs se satisfont que des mesures soient prises pour faire face à la crise, mais les délais de versement des aides accordées au titre du fonds d’allégement des charges sont longs, surtout lorsque les exploitations connaissent des problèmes de trésorerie. Peuvent-ils être réduits ?

Enfin, la mission d’information de notre commission sur l’avenir des filières d’élevage s’est souvent penchée sur le coût de la main-d’œuvre. En Allemagne, la main-d’œuvre employée dans les abattoirs est-elle rémunérée au salaire minimum de ce pays et, sinon, quand le sera-t-elle ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. La Coordination rurale s’inquiète des mesures européennes concernant la filière laitière, qui privilégient trop les exportations, et elle propose de diminuer la production d’un très faible pourcentage en prévoyant une indemnité compensatoire pour l’ensemble des producteurs européens. Estimez-vous que ce soit un remède à la crise actuelle ?

Mme la présidente Frédérique Massat. Je rappelle que notre commission a créé en juillet dernier une mission d’information sur l’avenir des filières d’élevage, dont M. Damien Abad est le président et Mme Annick Le Loch et M. Thierry Benoit les rapporteurs.

Mme Annick Le Loch. En tant que présidente de la commission d’examen des pratiques commerciales, je viens de participer à Bercy à une réunion très instructive du comité de suivi des négociations commerciales. Le représentant d’une grande fédération de syndicats agricoles, qui y participait aussi, a fait part de son inquiétude concernant les filières d’amont et déploré que les productions et les producteurs français servent de variable d’ajustement. La mission d’information sur l’avenir des filières d’élevage est l’occasion de rencontres extrêmement denses, et nous aurons aussi l’occasion de nous déplacer en Allemagne et en Espagne. Nous recueillons de nombreuses demandes, parfois contradictoires. Nous aurons, monsieur le ministre, des propositions à vous faire dans quelques semaines pour améliorer la situation de nos productions dans les secteurs laitier, porcin et bovin, en particulier.

Comment se fait-il que l’étiquetage attestant de l’origine française des produits ne soit pas plus courant ? Certes, les distributeurs prétendent qu’ils ne commercialisent que de la viande fraîche d’origine française ou presque, mais le consommateur mérite d’être informé.

M. le ministre. J’ai déjà plusieurs fois expliqué pourquoi nous ne pouvons pas imposer l’étiquetage. Je rappelle que les produits agricoles circulent librement sur le marché européen ; les informations figurant sur les produits relèvent donc de règles européennes, et je ne peux imposer aucune contrainte en la matière. Allons plus loin : j’ignore quelle est la part des ingrédients français dans les produits de salaison des grandes marques, qui ne tiennent d’ailleurs pas à ce que ce soit su. Une contrainte nationale d’étiquetage ne pourrait pas s’appliquer, car elle ne résisterait pas à une plainte devant un quelconque tribunal européen. Quant à la viande fraîche, tous les produits – porc, mouton, bœuf, et ainsi de suite – sont étiquetés en vertu d’un règlement européen d’avril 2015.

C’est donc dans le secteur des produits transformés que se pose un problème d’étiquetage. Nous avons souhaité un label « Viandes de France » qui s’applique aux animaux nés, élevés, abattus et transformés en France. Nous avons failli aboutir à un système européen d’étiquetage après l’affaire des lasagnes de cheval, mais l’Allemagne ne souhaite pas que le lieu de naissance des animaux soit intégré à l’étiquetage – et pour cause : la plupart des cochons engraissés et abattus dans ce pays proviennent du Danemark et des Pays-Bas. Elle préfère se contenter d’indiquer le lieu de transformation. Nous sommes en désaccord sur ce point. Faut-il que je cède à l’Allemagne et que l’étiquetage portant origine française concerne tous les animaux abattus en France ? D’autres pays soutiennent son point de vue : le Danemark, les Pays-Bas – et je ne parle pas du Royaume-Uni, où nul ne sait ce qui se passe précisément. Or tout règlement européen ne peut être modifié qu’au prix d’un consensus ; il ne suffit pas de prendre une décision ! L’Allemagne a d’ailleurs de bonnes raisons de penser comme elle le fait puisque c’est un pays d’engraissement, et non de naissage.

M. Thierry Benoit. Qu’elle l’assume !

M. le ministre. Certes, il existe en Bretagne une grande coopérative porcine qui estime que le ministre « n’a qu’à » trancher – et je constate que ce point de vue est souvent celui des acteurs les plus libéraux qui souhaitent s’implanter sur les grands marchés. Tout n’est pas si simple, pourtant ! À cet égard, j’aimerais que les députés bretons vérifient auprès de la Cooperl que tous ses produits portent un étiquetage attestant de leur origine française, car, avant de demander au ministre de signer un arrêté, encore faut-il assumer ses propres responsabilités !

En clair, je ne peux pas rendre obligatoire l’étiquetage d’origine qui, néanmoins, figure déjà sur toutes les viandes fraîches. De même, la présence d’un logo hexagonal est le fruit d’une décision prise avec l’interprofession et relève de la responsabilité des acteurs économiques. La pratique progresse, au point que, aujourd’hui, 20 % de la viande est étiquetée de cette manière, y compris dans le secteur des produits transformés. De grandes marques françaises commercialisent ainsi du jambon sous cellophane tantôt en apposant le logo lorsque les produits viennent de France, tantôt sans le faire si ce n’est pas le cas, et la démarche est honnête ; idem pour les rillettes. Je le répète : je ne peux pas imposer l’étiquetage d’origine sur les produits transformés. Je ne peux qu’enclencher un processus qui, en l’espèce, a déjà bien avancé.

Ma vision de l’agriculture française dans dix ans est très claire : la France possède un atout formidable en ce qu’elle parvient à conjuguer les grands enjeux environnementaux avec les enjeux économiques. Songez que, en Russie, il neige si tôt que, à la fin septembre, les récoltes sont achevées et les sols inutilisables. Au même moment dans la Sarthe, chez l’exploitant Philippe Pastoureau – comme l’illustrera en janvier un documentaire télévisé –, treize hectares de sols sont recouverts par plus d’un mètre de féverole, de sorgho et d’avoine, soit plus de dix tonnes de matière sèche. Ce potentiel que nous avons et que n’ont ni la Russie, trop enneigée, ni l’Espagne, trop sèche, est énorme. Encore faut-il l’exploiter ! L’agriculteur que je citais a choisi, entre le blé d’automne et l’orge de printemps, de déposer cette énorme récolte dans le sol plutôt que de la donner à ses vaches laitières, qu’il pouvait nourrir autrement. La quantité de carbone ainsi stockée est considérable et bien supérieure à « 4 pour 1 000 » !

Pour exploiter notre immense potentiel, il faut combiner la production végétale en lien avec l’élevage. Monsieur André Chassaigne présentait un cas de stratégie commune entre un éleveur et un céréalier : ce lien est l’un des fondements de l’agriculture de demain. Il renforcera notre autonomie et notre compétitivité, car la France dépendra moins des marchés internationaux de la protéine fourragère, en particulier le soja, qui coûte cher.

Il existe désormais 147 GIEE, qui couvrent plus de 250 000 hectares, et les DRAAF procèdent actuellement à l’évaluation de 187 projets supplémentaires. Je souhaite que ces groupements puissent dépasser le million d’hectares dès l’an prochain, en s’appuyant sur une grande diversité de combinaisons. Voilà l’avenir ! Les stratégies des exploitations agricoles seront déterminées davantage en fonction d’enjeux collectifs et, surtout, les collectivités territoriales y seront associées. Je tâcherai de convaincre les chambres d’agriculture de m’accompagner et je proposerai à l’Association de maires de France (AMF) de signer un contrat pour que les communes et les intercommunalités puissent participer aux projets agricoles de méthanisation, d’approvisionnement local ou de stockage de carbone.

Monsieur Dominique Potier m’interroge sur le vote rural en faveur du Front national. Il est vrai que l’éloignement et la désespérance existent dans le monde rural, mais « il n’y a pas de territoire sans avenir, il n’y a que des territoires sans projet », disait Édith Cresson. Notre mission d’élus, toutes sensibilités confondues, consiste précisément à redonner des projets aux territoires, car les projets permettent de se tourner vers l’avenir, et non vers le passé, de s’ouvrir, et non de se refermer. C’est pourquoi nous négocions avec les chambres d’agriculture et avec l’AMF.

Comment se fait-il en effet que, en Bretagne, par exemple, certains exploitants parviennent par méthanisation à produire l’équivalent de 30 % des besoins en gaz d’une commune voisine de 4 500 habitants et que la collectivité n’ait pas couvert les travaux de raccordement au réseau – souvent le volet le plus onéreux des projets de méthanisation ? Les GIEE permettent précisément d’associer les collectivités et, de surcroît, de tirer parti des réserves de matière organique verte que les parties prenantes concernées pourront mettre à disposition des méthaniseurs.

Je crois à ces projets de territoire, qui font défaut dans les zones de désespérance où le Front national obtient de bons scores. J’ai ainsi rencontré un éleveur breton installé dans l’Ariège, où son projet de méthanisation a échoué, et j’ai vu son désespoir. Il faut rétablir le dialogue et les outils permettant d’exploiter ce potentiel. C’est l’objet de la convention que je négocie actuellement avec les chambres d’agriculture, que nous proposerons ensuite à l’AMF, afin que les collectivités puissent prendre part à la négociation et dynamiser leurs territoires.

J’en viens à la question des avances de trésorerie : une règle européenne, certes légitime, mais problématique en l’espèce, empêche en effet ceux qui sont confrontés aux difficultés les plus graves – c’est-à-dire à un redressement – de toucher ces avances. Pour contourner le problème, nous avons créé un fonds d’allégement des charges ad hoc, mais je conviens que cette solution n’est pas la meilleure. Nous devons être extrêmement vigilants et entretenir le dialogue non seulement avec les établissements bancaires, mais aussi avec les services déconcentrés pour adapter le dispositif.

De même, 4 700 dossiers de restructuration de dette ont été déposés, dont 400 concernent des années blanches totales. Les autres visent à restructurer une partie des emprunts seulement, en ciblant ceux qui sont liés à des immobilisations, en particulier des bâtiments. Nous allons d’ailleurs recalibrer les aides, qui étaient initialement consacrées aux années blanches totales, ce qui était insatisfaisant. Les banques, notamment l’établissement concerné à titre principal – qui est plutôt en bonne santé – devront faire un effort, comme le fait l’État. Certaines d’entre elles offrent déjà des prêts modulables et renégocient les conditions d’emprunt. Nous leur demandons un effort supplémentaire concernant les années blanches qui, il est vrai, leur posent une difficulté technique liée au calcul des intérêts.

Le comité national de gestion des risques en agriculture a validé le contrat-socle sur les prairies, le 9 décembre. Ce contrat-socle vise à couvrir un certain nombre de risques d’aléas, en particulier le risque fourrager – dont l’évaluation est complexe, puisqu’il faut estimer la production fourragère moyenne en comparaison de la production affectée par un aléa climatique. Le dispositif fonctionne désormais. Hors contrat d’assurance, les sécheresses sont aujourd’hui couvertes au moyen du Fonds national de gestion des risques en agriculture, le FNGRA. Compte tenu de la situation qui prévaut dans certains départements, nous dépasserons le budget initialement prévu en loi de finances, qui serait insuffisant.

J’en viens à la question de l’eau. On ne saurait sans mentir prétendre qu’il faut investir partout dans de petits lacs collinaires pour répondre aux besoins de l’élevage. Dans les régions vallonnées comme le Gers, par exemple, cela supposerait de creuser des bassines sur chaque colline pour irriguer les sols en contrebas ; c’est impossible. Nous sommes donc prêts à recalculer la quantité d’eau devant être retenue pour correspondre aux étiages des rivières tout en satisfaisant les besoins de l’irrigation agricole.

Je précise que les bassins hydrauliques sont les lacs et les cours d’eau dans lesquels le pompage est le plus aisé. Pour répartir la ressource, sachant que le pompage est plus onéreux pour les utilisateurs se trouvant en amont que pour ceux qui sont en aval, les pouvoirs publics pourraient par exemple investir de manière à irriguer des exploitations produisant des protéines fourragères que d’autres, situées plus en hauteur et souvent frappées plus tôt par les épisodes de sécheresse, pourraient utiliser. J’ai demandé que les GIEE puissent trouver des accords entre les exploitants du haut et du bas des vallées, car, je le répète, la puissance publique ne pourra pas investir pour tout le monde.

En effet, nous ne pouvons pas nous permettre de gaspiller l’eau ; il faut tirer le meilleur parti de cette ressource en déployant des investissements publics abordables. J’ai donc demandé aux préfets d’élaborer un schéma directeur des réserves à faire dans chaque bassin en fonction des niveaux d’étiage des cours d’eau – auxquels les pêcheurs sont très attentifs – et des nappes phréatiques. Les retenues ensuite choisies doivent bénéficier aux agriculteurs du bassin dans son ensemble, en particulier à ceux qui sont le plus éloignés de la ressource. Un schéma est déjà en cours d’élaboration dans le bassin Adour-Garonne. En fonction des résultats de cette expérimentation grandeur nature, nous appliquerons ce modèle dans d’autres grandes régions pour gérer cette précieuse ressource de la manière la plus utile qui soit, en tenant compte des enjeux environnementaux, économiques et urbains.

La réglementation européenne supprime les quotas betteraviers. J’ai averti les exploitants : s’ils ne constituent pas très rapidement une interprofession, ils s’exposent aux mêmes difficultés que le secteur laitier. À ce stade, ils sont incapables de se mettre d’accord, car les deux grandes coopératives obéissent à des stratégies différentes. En l’absence d’interprofession, les exploitants ne pourront pas gérer la filière en défendant leurs intérêts collectifs. Cette filière est encore puissante, mais les décisions prises aujourd’hui produiront leurs effets dans dix ans, et les exploitants seront alors jugés coupables de ne pas avoir pris leurs responsabilités. La profession doit anticiper la suppression du quota sucrier, et je lui apporterai tout mon soutien pour qu’elle trouve un accord, faute de quoi je l’accuserai d’être à l’origine des catastrophes qui ne manqueraient pas de se produire dans quelques années.

Le succès des ICPE en Bretagne dépasse toutes les attentes. Une centaine de projets ont été soumis à la procédure d’enregistrement : aucun recours n’a été déposé dans le secteur porcin et le mécanisme fonctionne très bien. Il n’est plus question pour personne de le dupliquer par parallélisme des formes avec les règles européennes. Autrement dit, nous avons simplifié le dispositif et raccourci les délais d’instruction, qui sont d’environ un an contre deux en Allemagne, tandis que le coût des dossiers oscille en France entre 4 000 et 15 000 euros, contre 10 000 à 100 000 euros outre-Rhin. En outre, les exigences allemandes sont supérieures en matière de lavage et, surtout, de couverture des fosses à lisier. Nous allons devoir anticiper la mise en œuvre de l’accord trouvé lors de la COP21 pour, à notre tour, couvrir ces fosses afin d’éviter les émissions de méthane, lesquelles pourraient du même coup être en partie transformées en énergie. Plusieurs start-up liées à AgroParisTech ont mis au point des projets en ce sens, que nous devons encourager.

L’agriculture française est-elle à la traîne et serait-elle la seule en crise ? Pas du tout. Selon Eurostat, le revenu agricole par actif aura augmenté de 8,8 % en France en 2015 tandis que dans l’Union européenne, il aura diminué de 4,3 %, et même de 37 % en Allemagne, qui souffre beaucoup de la chute des prix du lait et du porc. Certes, la viticulture explique en partie cette hausse du revenu agricole en France – comme en Italie, où elle s’élèverait à 8 %. En Pologne, en revanche, le revenu agricole par actif chuterait de 24 % et, surtout, il diminuerait de 19 % au Royaume-Uni, qui a adopté un modèle industriel de l’agriculture. Or, ce pays pâtit davantage de la crise agricole que la France. Songez que six des syndicats agricoles britanniques, qui ne sont guère revendicatifs, estiment que huit, voire neuf exploitations laitières sur dix ne parviennent pas à couvrir leurs coûts de revient, étant entendu qu’il s’agit pour l’essentiel de grandes exploitations industrielles exigeant un capital élevé. Autrement dit, la question de la compétitivité n’est pas uniquement liée à la dimension des étables !

En clair, la compétitivité française souffre, mais c’est aussi le cas ailleurs. Il existe donc un problème mondial de répartition des gains de productivité que nous devons mieux retenir dans les années à venir pour en faire bénéficier les agriculteurs – d’où la pertinence de l’agro-écologie.

Lors du débat que j’ai eu sur le prix d’intervention du lait avec la Commission européenne, Madame Delphine Batho, je n’ai trouvé que sept alliés, dont l’Irlande, l’Espagne, la Pologne, l’Italie et la Belgique. L’Allemagne, initialement hostile, est restée muette pour ne pas nous heurter, et je n’ai pu trouver aucune majorité qualifiée pour contrecarrer la proposition de la Commission, qui refusait catégoriquement l’instauration d’un prix d’intervention. Si, hélas, la crise s’aggrave encore, je poursuivrai ces discussions, mais je préfère anticiper une sortie de crise. Toutefois, le prix d’intervention serait une mesure plus efficace que celles qui sont prises : elle ne coûte pas 500 millions d’euros et permettrait à la puissance publique de revendre l’excédent de lait sur des marchés où le prix augmente, même si ce déstockage pourrait créer une nouvelle pression sur les prix. La reprise du marché laitier chinois devrait tout de même permettre de valoriser facilement ces stocks. En l’état actuel des choses, cependant, je ne trouverai pas de majorité en faveur de cette mesure, fût-elle plus pertinente.

Les indemnisations liées à la fièvre catarrhale ovine vont être versées. Le plus dur est fait, et la capacité vectorielle de la maladie s’est beaucoup réduite avec l’hiver ; reste à organiser au printemps le retour des animaux à l’herbe. Le resserrement de la zone est envisageable. Le montant des indemnisations devrait s’élever à environ 23 millions d’euros, sachant que nous devons tenir compte des analyses dites PCR déjà effectuées sur les veaux ainsi que des vaccins obligatoires pour les animaux d’exportation.

Le débat concernant les zones de montagne peu productives de l’Hérault ou des Pyrénées-Orientales est très complexe. Pour les valoriser, les aides qui leur sont versées sont calculées au prorata de leur valeur nutritive. La valeur nutritive d’une prairie lisse et herbeuse de plaine est ainsi de 100 %, celle d’un terrain caillouteux du Larzac où la roche calcaire affleure doit s’établir autour de 30 %. C’est en fonction de ce taux de productivité que le montant de l’aide est fixé. Un problème se pose dans les zones agropastorales peu productives de sous-bois où l’on exploite la châtaigne et le gland du chêne : la valeur nutritive est extrêmement difficile à apprécier et les critères innombrables. Les chambres d’agriculture ont cherché à aider les agriculteurs à établir leurs déclarations, mais le problème demeure : l’Europe demande systématiquement de justifier les aides accordées. C’est parce que j’ai obtenu l’inscription des zones agropastorales dans la politique agricole commune que le processus de justification a été introduit en contrepartie. Or nous avons pu justifier ces aides pour des surfaces peu productives bénéficiant d’une appellation d’origine protégée (AOP) comme la châtaigne d’Ardèche, par exemple, mais, sans AOP, il est difficile de justifier que les châtaignes sont des productions destinées à l’alimentation animale.

Je répondrai par écrit à votre question concernant l’immatriculation des véhicules agricoles, Monsieur Jean-Charles Taugourdeau.

Les cotations des viandes ont déjà changé : elles remontent désormais systématiquement à FranceAgriMer. Nous avons adopté de nouvelles cotations pour la viande bovine qui entreront en application au début de l’année prochaine, et je m’engage à en proposer de nouvelles pour le porc également, car la situation ne peut rester telle quelle. L’idée est de définir le bas de gamme, le cœur de gamme et les produits premium. De même, nous tâcherons de définir un indice de cotation pour le steak haché, qui se développe et dont il faut tenir compte pour valoriser la viande bovine.

Nous discutons avec la grande distribution pour que l’accord obtenu en juin dernier sur le prix du lait demeure applicable au début de l’année prochaine, afin d’éviter le déclenchement d’une nouvelle phase de négociations commerciales.

La volatilité des prix est liée à des évolutions : celle de la demande sur un marché comme la Chine où chaque filière a des débouchés potentiels immenses et où toute modification, même infime, du niveau de la consommation pour telle ou telle raison a des conséquences considérables ; celle de l’offre aussi, car une sécheresse survenant en Australie ou un épisode d’El Niño en Amérique latine ont des conséquences immédiates sur le niveau de production et, du même coup, sur les prix. Cette extrême volatilité fragilise les marchés agricoles. Pour y faire face, il faut poursuivre le processus que M. Bruno Le Maire avait engagé dans le cadre du sommet du G20 de Nice avec le système d’information sur les marchés agricoles (AMIS) afin de renforcer la transparence des informations concernant les niveaux de production et les stocks et, ainsi, éviter les spéculations qui ne feraient qu’amplifier les déséquilibres du marché. De même, nous avons créé MED-AMIN, un réseau d’information sur les marchés agricoles dans la zone méditerranéenne. Souvenez-vous en effet que la flambée des prix de l’alimentation, en particulier des céréales – et donc du pain – fut l’un des facteurs de déclenchement des printemps arabes. Nous devons donc gérer ce grand bassin agricole et alimentaire avec la plus grande vigilance.

Un rapport récemment rédigé par deux économistes vous sera transmis : il présente de manière très claire l’évolution de notre compétitivité. Si l’on tient compte du pacte de responsabilité, la France a rattrapé le retard qu’elle accusait par rapport à l’Allemagne en termes de prix horaire en repassant sous les 12 euros, contre 11,80 environ. En Allemagne, le salaire horaire négocié dans le secteur de l’abattage s’élève à 8,60 euros depuis le 1er octobre 2015. Le salaire minimum applicable à tous les travailleurs est entré en vigueur. Les groupes d’abattage que sont Tönnies, Danish Crown, Vion et Westfleisch ont signé un engagement le 21 septembre pour améliorer les conditions de travail, en faisant notamment mieux appliquer la directive « Détachement ». Nous avons ainsi pu rattraper un retard pourtant colossal dans le secteur de l’abattage, et qui était l’un des facteurs expliquant notre perte de compétitivité
– avec les conséquences que l’on connaît.

Nous ne disposons pas encore des retours d’information concernant les contrôles effectués dans les exploitations. Un contrôle est toujours une opération difficile, mais nous appliquons sans ambiguïté les recommandations du rapport de Madame Frédérique Massat.

Je vous confirme enfin la tenue en février prochain de la Conférence nationale des retraites agricoles.

Mme la présidente Frédérique Massat. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour cette audition utile et complète.

*

La Commission examine ensuite, sur le rapport de Mme Brigitte Allain, la proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation (n° 3280).

Mme la présidente Frédérique Massat. Nous abordons l’examen de la proposition de loi de Mme Brigitte Allain, cosignée par l’ensemble du groupe Écologiste, visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation, dont l’examen en séance publique est prévu le jeudi 14 janvier prochain.

Sur les seize amendements déposés, deux ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution, les amendements CE14 de M. Hervé Pellois et CE16 de Mme Annie Genevard.

Mme Brigitte Allain, rapporteure. Notre commission est saisie d’une proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation. Cette proposition de loi résulte du travail effectué avec les membres de la mission d’information sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et alimentaires et du rapport qui en a été tiré, « Et si on mangeait local... », accueilli avec enthousiasme, me semble-t-il, au mois de juillet 2015 par la Commission.

Pourquoi, alors que ce rapport contient cinquante propositions, la présente proposition de loi ne prévoit-elle que cinq articles ? Tout simplement parce que toutes n’étaient pas de nature législative et que, compte tenu des contraintes de temps liées à la seule journée consacrée aux niches parlementaires, nous n’avons pu retenir que les mesures structurantes au plan national.

En s’intéressant à la restauration collective publique et privée, la proposition de loi que nous examinons a pour ambition de concrétiser les avancées de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, mais aussi le programme Ambition bio 2017 et les annonces du ministre de l’agriculture et du Président de la République, à savoir favoriser l’alimentation durable, notamment bio, et de proximité.

Ce texte s’appuie sur la multitude de communes, pays, départements, régions, et entreprises, ou organisations qui se sont mobilisés depuis des années pour soutenir la mise en place d’une alimentation de qualité et de proximité. Le succès de ces expériences montre qu’il est possible et souhaitable de les généraliser à moyen terme dans tout le pays.

Au moment où nos concitoyens déclarent ne pas faire confiance aux politiques pour agir sur l’emploi, sur la qualité de vie ou sur le lien social, il est essentiel de favoriser, par une démarche globale, le respect d’un droit inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. Celle-ci stipule en effet que les États et la communauté internationale doivent garantir à chacun un accès à une alimentation suffisante, de qualité et correspondant aux traditions locales. Elle prolonge les orientations de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui a placé l’ancrage territorial de la production au rang des objectifs de la politique agricole et alimentaire. Elle fait de cet ancrage une solution à la crise de l’élevage, révélatrice de cette impasse agricole généralisée que vient d’évoquer le ministre de l’agriculture lors de son audition par notre commission. Les producteurs commercialisant en circuit court, ceux qui produisent sous un signe de qualité, en appellation ou en agriculture biologique, plus économes en intrants et visant des marchés moins concurrentiels, résistent mieux aux crises liées aux marchés internationaux.

La restauration collective sert annuellement plus de 3 milliards de repas et concerne 78 000 restaurants. Il est nécessaire de fixer des objectifs chiffrés, mais réalisables pour le secteur public d’accompagner aussi bien le secteur public que le secteur privé dans cette démarche.

En 2008, le Grenelle de l’environnement avait fixé à 20 % la part du bio dans la restauration collective pour 2012, et au même pourcentage celle des produits durables. L’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique a révélé que, en 2014, les produits biologiques ne représentaient que 2,7 % des achats alimentaires de la restauration à caractère social. Nous sommes donc loin du compte, alors que les surfaces agricoles utiles certifiées bio et en conversion ne cessent d’augmenter.

L’article 1er de la proposition de loi prévoit l’introduction, dans la restauration collective publique, dès 2020, de 40 % de produits issus de l’alimentation durable, dont 20 % issus de l’agriculture biologique. Il n’est pas possible de définir dans les marchés publics un critère de proximité géographique, mais les acheteurs peuvent viser cet objectif dans leur cahier des charges. Ces taux, relativement ambitieux, sont réalisables. L’État et les collectivités territoriales doivent être exemplaires, et donc contraints, pour engager des dynamiques de territoire. En accompagnant l’organisation logistique de l’approvisionnement local, ils rendent les produits de qualité et durables accessibles au plus grand nombre, en particulier aux personnes les plus fragiles, tels les enfants dans les cantines scolaires. Cela permet de co-construire de vrais objectifs territoriaux et, ainsi, de remédier à l’impasse actuelle qui conduit les collectivités à se plaindre de l’insuffisance de l’offre et les producteurs bio ou les producteurs locaux de l’insuffisance de débouchés.

L’article 2 transforme l’observatoire de l’alimentation en observatoire de l’alimentation et des circuits courts et de proximité. Il aura pour nouvelle mission de suivre les données qualitatives et quantitatives relatives aux circuits courts et de proximité, en liaison avec les observatoires régionaux et interrégionaux existants, et il s’assurera du respect des objectifs définis à l’article 1er de la proposition de loi. Il est, en effet, fondamental d’acquérir plus de savoirs et de données sur les circuits courts et de proximité.

Si nous montrons que ce modèle fonctionne et crée de la valeur ajoutée, il pourra se diffuser. Il est gagnant pour les producteurs, pour l’emploi, pour la santé des consommateurs, pour le lien social — puisque les citoyens deviennent acteurs des politiques locales —, pour les collectivités territoriales, qui peuvent ainsi prendre la main sur la politique alimentaire. Il est évident qu’il doit s’appuyer sur des indicateurs de bien-être collectifs autres que le seul produit intérieur brut.

Pour le privé, l’idée est d’agir sans contrainte, mais en nous dotant d’outils d’évaluation pour progresser. L’observatoire accompagnera les restaurants collectifs en analysant les données qui manquent aujourd’hui au secteur.

L’article 4 s’adresse spécifiquement aux grandes entreprises qui devront intégrer dans leur responsabilité sociale et environnementale des exigences en matière de consommation alimentaire durable : choix de produits ou plats bio et locaux, cuisine sur place, lutte contre le gaspillage alimentaire et le suremballage.

Avec l’article 5, la faculté de mentionner les plats « faits maison » dans la restauration collective valorise les cuisiniers et les cuisines qui s’impliquent pour la qualité de l’alimentation. Il étend, tout en l’adaptant, un dispositif aujourd’hui prévu pour la restauration commerciale et plébiscité par les professionnels. Lors du déplacement de la mission d’information en Dordogne, les cuisiniers de la restauration collective, fidèles à la réputation du Périgord, ont déploré que leur volontarisme pour favoriser les produits locaux soit totalement ignoré.

Enfin, à l’article 3, les plans régionaux de l’agriculture durable sont amenés à intégrer les politiques alimentaires transversales dans leurs objectifs et dans leur gouvernance. Les plans régionaux de l’agriculture durable (PRAD) deviennent les plans régionaux de l’agriculture et de l’alimentation durables (PRAAD). Les acteurs de l’alimentation, regroupés en région dans les comités régionaux pour l’alimentation (CRALIM) sont intégrés à la gouvernance des PRAAD. L’échelon régional, renforcé dans ses compétences par la loi n° 2013-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) et la loi précitée d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, est le mieux à même de favoriser une alimentation de proximité et de qualité. En effet, à l’échelon régional, accompagner à travers le plan de développement rural le développement de filières complètes et diversifiées est un formidable outil de cohésion sociale et environnementale.

S’appuyer sur les savoir-faire locaux, les productions traditionnelles, les richesses naturelles et économiques locales n’est pas en contradiction avec une ouverture sur le monde extérieur. Bien au contraire, c’est donner envie aux entrepreneurs de créer leur entreprise de production, de transformation et de commercialisation, et de s’appuyer sur des ambassadeurs locaux fiers de promouvoir un patrimoine collectif. Cela renforce l’attractivité des territoires, encourage le développement du tourisme gastronomique et permet de proposer à l’exportation des produits à forte valeur ajoutée, non concurrentiels, liés à l’identité d’un pays.

Je veux saluer ici le Pays basque qui, pour favoriser l’installation en agriculture, s’est engagé depuis plus de vingt ans dans une démarche offensive de valorisation des produits des petites fermes, et dont la dernière appellation -le porc Kintoa- vient d’être reconnue.

Avec cette proposition de loi, nous donnons aux élus locaux les moyens de porter, avec les acteurs économiques de l’agroalimentaire, une ambition politique forte et de créer des synergies de territoire.

Les circuits de proximité et les pratiques agricoles agro-écologiques sont pourvoyeurs d’emplois, économes en intrants et moins polluants, respectueux des sols, sous-sols, de l’eau et de l’air. Quoi de plus passionnant que de s’organiser régionalement pour définir une politique alimentaire, comme nous le faisons pour la santé, la formation, la mobilité et les transports ?

Je proposerai donc à notre Commission d’émettre un avis favorable à l’adoption de la proposition de loi, après un débat que je souhaite fructueux pour reconstruire des territoires de projets.

M. Hervé Pellois. Nous sommes ravis d’examiner aujourd’hui la proposition de loi de Mme Brigitte Allain avec qui j’ai eu le plaisir de travailler dans le cadre de la mission d’information sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et alimentaires. Ce texte reprend certaines propositions du rapport d’information intitulé « Et si on mangeait local… », remis au mois de juillet dernier à la suite des travaux de la mission.

Nous partageons pleinement l’objectif affiché de favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation, d’autant qu’il fait écho au modèle prôné dans la loi précitée d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, à travers la mise en place de projets alimentaires territoriaux, et aux annonces du Président de la République sur le sujet.

Cette proposition de loi intervient une semaine après l’adoption par l’Assemblée nationale, à l’unanimité, de la proposition de loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire. Il est important que ces deux combats soient menés de façon convergente. Inscrire notre modèle de développement dans une logique de circuit court pourrait permettre de réduire considérablement le nombre de denrées alimentaires jetées.

La valorisation des ressources locales est également un facteur non négligeable de développement agricole, économique, écologique et social.

Toutefois, le groupe Socialiste, républicain et citoyen émet quelques réserves et présentera quelques amendements, afin que le texte réponde pleinement à l’objectif qu’il s’est fixé : inscrire notre modèle alimentaire au cœur des territoires et des attentes des acteurs de terrain.

L’article 1er est central puisqu’il vise à introduire 40 % de produits issus de l’alimentation durable dans les restaurants collectifs publics à partir de 2020, conformément à un engagement du chef de l’État. L’amendement que je défendrai au nom du groupe prévoit d’en modifier deux aspects. Il vise tout d’abord à ne pas créer d’obligation, mais à inciter la restauration collective publique à se conformer à l’objectif de 40 %. C’est d’ailleurs ce qui est écrit dans l’exposé des motifs. Nous craignons en effet que, dans certains territoires, il soit impossible de remplir cet objectif de 40 % de produits issus de l’alimentation durable. D’ailleurs, il n’a pas été prévu de sanction si ce plancher n’est pas atteint.

Ensuite, les auditions que nous avons menées ensemble ont montré qu’il faut encore lever quelques incertitudes, notamment en ce qui concerne la comptabilisation de ces 40 %. Doit-on comptabiliser chaque plat servi ou le repas entier ? Doit-on compter le pain ? Donne-t-on le même poids aux entrées, au plat principal, au fromage et au dessert ? Prend-on en considération le prix, le volume ? On a bien vu que, dans les écoles de la ville de Paris, le calcul n’est pas le même d’une cantine à l’autre. Il semble donc nécessaire de clarifier ce point.

La formulation de l’article 1er -« en veillant à la proximité géographique entre les producteurs agricoles, les transformateurs et les consommateurs »- n’intègre pas suffisamment la notion de proximité dans les critères essentiels à la composition des repas servis. Aussi, nous proposerons une nouvelle rédaction.

L’article 2 prévoit de transformer l’observatoire de l’alimentation en observatoire de l’alimentation et des circuits courts et de proximité. Or cet observatoire fait déjà doublon avec le Conseil national de l’alimentation (CNA). Il faut donc clarifier les rôles du CNA et de l’observatoire.

Cet article prévoit également des modalités de recueil des informations. Nous pensons qu’elles devraient être fixées par décret et en liaison avec les observatoires régionaux et interrégionaux.

L’article 3 vise à transformer les PRAD en PRAAD. Si cette idée est louable, il me semble difficile de modifier avant leur prochaine échéance, c’est-à-dire avant 2020, les PRAD qui ont déjà été réalisés ou qui le seront très bientôt.

Nous avions déposé un amendement qui visait à confier aux chambres d’agriculture régionales le soin de concourir au développement de l’ancrage territorial de l’alimentation, notamment via les projets alimentaires territoriaux. Mais cet amendement a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. Nous y reviendrons peut-être ultérieurement.

Enfin, nous sommes favorables aux articles 4 et 5.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Nous sommes heureux de pouvoir débattre des circuits courts et de proximité, même si la distinction entre les deux est parfois sujette à caution.

L’exposé des motifs de la proposition de loi reprend le ton du rapport parlementaire sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et alimentaires. Toutefois, nous regrettons que cela se fasse en opposition avec une agriculture qualifiée de « productiviste et mondialisée ». Il définit les circuits courts comme « un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur -vente à la ferme, marché de producteurs…-, soit par la vente indirecte, à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire entre l’exploitant et le consommateur- commerçants détaillants de type épicier, bouchers ou restaurateur ». Quant aux circuits de proximité, ils doivent ne pas excéder trente kilomètres pour les produits bruts et cent kilomètres pour les produits transformés. On peut regretter que le circuit de proximité prime sur le circuit court, ce qui interdit d’acheter le produit brut de qualité que fait, par exemple, un paysan situé à trente-cinq kilomètres.

Si la volonté de mettre en avant les circuits courts est clairement affichée dans l’exposé des motifs, elle est moins évidente dans les articles de la proposition de loi. Certes, la promotion des filières de proximité est un objectif louable, mais cela ne peut devenir l’alpha et l’oméga de la valorisation de l’agriculture. Du reste, la proximité n’est pas de facto un gage de qualité, et un produit de qualité peut très bien avoir été produit et transformé au-delà du périmètre fixé pour le circuit de proximité.

La distance envisagée -trente à cent kilomètres- ne prend pas en compte la grande variété des productions agricoles de qualité de notre territoire national. Cette proposition de loi devrait avoir une vision plus large de l’ancrage territorial de l’alimentation, en préférant la notion d’alimentation durable qui concernerait les filières garantissant la fraîcheur du produit par une production et une transformation faite en France et en tenant compte des spécificités territoriales en termes de production agricole. Un producteur de Nantes est aussi français et européen qu’un producteur d’Orléans. La Commission européenne a expliqué qu’il était compliqué de fixer des distances, mais que l’on pouvait agir sur la fraîcheur du produit.

Certains articles risquent de compliquer encore un peu plus la vie des entreprises. Nous sommes favorables à l’amendement CE13 rectifié, qui permet de ne pas leur ajouter de contraintes supplémentaires.

L’article 4 vise à intégrer dans la responsabilité sociale et environnementale des entreprises des exigences en matière d’alimentation durable. Nous proposerons la suppression de cet article, car les entreprises ont déjà suffisamment d’obligations.

Dans un esprit constructif, nous avons déposé plusieurs amendements afin de promouvoir l’alimentation de qualité de l’ensemble des filières agricoles, tout comme le « fait maison », qu’il n’est pas facile de définir.

L’article 1er stipule que « Ce taux est fixé à 40 % à compter du 1er janvier 2020, dont 20 % de produits issus de l’agriculture biologique ». Cette rédaction signifierait que vous souhaitez 20 % de 40 % de produits biologiques, soit 8 %. Je crois que vous voulez plutôt que la moitié soit issue de l’agriculture biologique. Il me semble donc nécessaire de revoir la rédaction de cet article.

Mme la présidente Frédérique Massat. Nous y reviendrons lors de l’examen des articles.

Mme Michèle Bonneton. Les écologiques défendent la relocalisation de l’économie depuis de nombreuses années. La mondialisation des échanges conduit à des aberrations économiques, sociales et écologiques que nous payons très cher, aussi bien en termes de balance commerciale que d’emplois et d’environnement -changement climatique, pollution de l’air et des cours d’eau, etc.

La logique du déplacement généralisé des productions et des produits à l’échelle européenne et planétaire affecte fortement le domaine agricole et alimentaire. Le yaourt ou le cochon qui fait le tour de l’Europe avant de finir dans nos assiettes est une réalité que nous devons combattre. Le virage, il y a une cinquantaine d’années, vers une agriculture productiviste a conduit de fait à une généralisation de la monoculture dans de nombreux territoires. Il s’agit aujourd’hui de se redonner les moyens d’un ancrage territorial de l’agriculture en favorisant les circuits courts et l’emploi local, et ainsi de lutter contre le changement climatique dont les enjeux ont été une nouvelle fois posés lors de la COP21.

Comme l’indique très justement l’exposé des motifs de la proposition de loi, « notre alimentation redevient un enjeu politique et un patrimoine culturel à préserver. Face à des accords marchands internationaux générateurs de casse et de dumping social, prendre en main nos politiques alimentaires nous rend acteurs de l’aménagement de nos territoires, de nos emplois, de notre santé, de notre environnement ». Les écologistes constatent que la sphère politique a peu à peu intégré cette dimension, du moins dans les déclarations. Mais, au-delà du discours et des textes déjà adoptés, ils ne sauraient se satisfaire du manque de changements concrets et de moyens pour permettre le recentrage de l’activité agricole et de la commercialisation de la production. Cette proposition de loi est donc la bienvenue.

Ici ou là, comme le souligne le rapport, de belles réalisations ont vu le jour. Dans mon département, par exemple, de nombreux efforts ont été accomplis depuis 2001 en ce qui concerne la restauration dans les collèges. Une centrale d’achats spécifique a été mise en place pour acheter des produits alimentaires bio et locaux. Plus récemment, une légumerie a été créée dans l’agglomération de Voiron pour transformer les légumes bio et locaux à destination de la restauration collective.

Il faut maintenant passer à la généralisation des produits de proximité ou des filières régionalisées. L’enjeu est considérable, puisque 11 millions de repas sont servis chaque jour dans la restauration collective, soit davantage que dans la restauration commerciale.

Madame la rapporteure, vous affirmez dans votre rapport que tous les signaux sont au vert pour développer les circuits courts, de qualité et de proximité. Quels signaux forts vous poussent à un tel optimisme ?

Vous faites une distinction tout à fait justifiée entre circuits courts et circuits de proximité. Quel est le contenu de chacune de ces notions ?

En dehors des pressions économiques exercées par la grande distribution, quel est le frein principal au développement des circuits courts et de proximité ?

Bien entendu, je voterai cette proposition de loi.

M. Germinal Peiro. Voilà déjà plusieurs années que la commission nationale agricole du parti socialiste prône la relocalisation de l’agriculture. Avant la campagne présidentielle de 2007, nous avions publié un document qui faisait état de vingt-cinq propositions pour une révolution agricole et alimentaire et qui prévoyait une relocalisation de l’agriculture à deux niveaux. Au niveau mondial, il nous semblait que faire venir du mouton de Nouvelle-Zélande à Limoges ou de la viande bovine d’Amérique du Sud dans le Massif central n’était peut-être pas la meilleure façon d’économiser les ressources de la planète. Aujourd’hui, les transports étant reconnus comme des éléments polluants au niveau planétaire, il convient de redevenir raisonnable et de produire au moins sur chaque continent.

M. Jacques Diouf, ancien directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, disait avec raison qu’il faut produire là où les gens ont faim. Aussi faut-il éviter de produire, dans des pays pauvres, une alimentation qui est ensuite acheminée vers les pays riches, à plusieurs milliers de kilomètres de là.

Il y a cinquante ou soixante ans, on trouvait des cultures maraîchères autour de chaque ville. Cela évitait des transports inutiles et créait un lien direct entre consommateurs et producteurs. Ne faudrait-il pas réinventer aujourd’hui ce qui se faisait hier ? C’est certes plus facile à dire qu’à faire, et de nombreux départements français qui se sont engagés dans cette démarche se heurtent à des questions de production. Si la Dordogne n’a pas de mal à produire des céréales et de la viande, car elle possède une grande organisation en matière de viande porcine, bovine, caprine, ovine ou de volaille, les choses sont beaucoup plus compliquées en ce qui concerne la production maraîchère : c’est toute une économie qu’il faut reconstruire.

Bien évidemment, je soutiendrai avec grand plaisir cette proposition de loi.

Mme Annie Genevard. Madame la rapporteure, je vous remercie d’avoir défini précisément les termes. L’exposé des motifs rappelle ainsi que le circuit court évoque le mode de commercialisation -la vente directe ou avec un seul intermédiaire-, tandis que le circuit de proximité fait référence à la question spatiale et à celle de l’alimentation durable.

La question n’est pas celle du bien-fondé de l’ancrage local. Manger local est utile, mais l’avenir de l’agriculture ne peut pas se résumer à la question de la valorisation locale. Nous sommes aussi un grand pays exportateur de produits agricoles, et nous devons nous féliciter qu’il y ait des gens pour les consommer.

L’amendement que j’ai déposé à l’article 1er n’a pas été retenu, puisqu’il créait une charge pour l’État. Je souhaite toutefois revenir sur la réflexion qui l’a inspiré. La norme que vous fixez crée une charge pour les collectivités territoriales : vous exigez que la restauration collective propose 20 % de produits relevant de l’alimentation durable, avec, à l’horizon de 2020, un taux à 40 %, dont 20 % -ou la moitié- de produits issus de l’agriculture biologique. Bien sûr, on peut souscrire à de tels objectifs, mais il semble que vous fixez la barre un peu haut. Vous avez dit tout à l’heure que les pouvoirs publics devaient être exemplaires, donc contraints. Cette contrainte aura un coût pour les collectivités territoriales. Or, vous le savez, leurs finances sont très mal en point. L’Association des maires de France (AMF) s’émeut de cette norme qu’impose votre proposition de loi. Plutôt que de créer une obligation, nous vous proposons de prévoir une incitation. Si l’État oblige, s’il contraint, il doit financer. Sinon, il incite.

M. Dominique Potier. À mon tour, je tiens à saluer l’initiative de Mme Brigitte Allain qui s’inscrit dans les multiples combats que nous menons dans la présente législature en faveur de l’agro-écologie, de l’agriculture de proximité, des circuits courts, des relocalisations et de diverses régulations.

Il y a plusieurs décennies, Fernand Braudel, historien de l’école des Annales, né en Lorraine, avait tranché ce débat en disant que les économies les plus résilientes sont celles qui sont, à la fois, inscrites dans un écosystème local dense et tournées vers le monde. C’est ce que vous proposez, Madame la rapporteure, en renforçant cet enracinement dans la proximité.

Ce qui m’intéresse avant tout dans votre démarche, c’est le processus. Comment l’agriculture, aujourd’hui emprisonnée dans un certain corporatisme et livrée à tous les vents du libéralisme et de la mondialisation sans foi ni loi, peut-elle retrouver, à partir de ses externalités environnementales, un ancrage local ? M. le ministre de l’agriculture a évoqué tout à l’heure, lors de son audition par la Commission, le programme « 4 pour mille » dans le cadre de la COP21 et les contrats internationaux avec l’Afrique. L’agriculture doit retrouver un ancrage local pour contribuer à la lutte contre le changement climatique, à la préservation de la biodiversité et de la qualité de l’alimentation, qui est le premier vecteur de santé. Cette proposition de loi s’inscrit dans ce récit républicain d’une agriculture qui peut à nouveau coopérer avec toutes les forces d’un territoire et créer des passerelles entre la ville et la campagne, réenchanter le dialogue entre le monde rural et le monde urbain et redonner de l’espérance à des campagnes qui en ont bien besoin.

M. Philippe Le Ray. Madame la rapporteure, si je partage la plupart de vos orientations, je suis en désaccord avec vous sur plusieurs points.

La dimension de la consommation locale a quelques limites : il ne faut pas opposer systématiquement l’agriculture de masse et l’agriculture dite de proximité.

La notion de distance est extrêmement dangereuse. Elle n’est pas perçue de la même manière suivant les régions. Il faut prendre en compte la qualité de la terre, la nature du bassin d’élevage, etc.

Votre proposition n’est peut-être pas adaptée aux produits de la mer et aux cultures marines qui sont aussi fortement concernées par la consommation dite de proximité.

Je rejoins Mme Annie Genevard en ce qui concerne la distinction entre circuits courts et circuits de proximité. Consommer local ne veut pas forcément dire consommer bio. On peut également encourager la consommation de produits liés à un territoire, issus de l’agriculture raisonnée ou respectant un cahier des charges défini par des groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE).

Quoi qu’il en soit, il faut laisser un peu de liberté aux collectivités territoriales. L’objectif sera peut-être atteint plus facilement qu’on ne le croit. Malgré la crise, agriculteurs, citoyens et responsables politiques se rejoignent dans leur désir sincère de développer la consommation des produits locaux et de faire de la pédagogie.

Mme la rapporteure. Monsieur Hervé Pellois, les instruments de mesure restent en effet à définir. Nous proposons de confier cette mission à l’observatoire : il remplit déjà un rôle de collecte et d’analyse des données, mais nous prévoyons d’élargir son domaine de compétence à la question des circuits courts et de proximité. Quant au CNA, qui relève du code de la consommation, il joue plutôt un rôle consultatif. Dans une première mouture du texte, j’avais proposé la création d’un nouvel observatoire. Mais il paraît beaucoup plus intéressant de s’appuyer sur celui qui existe déjà.

Monsieur Jean-Charles Taugourdeau, la loi, qui a défini précisément le circuit court, stipule qu’il s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte, à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire entre l’exploitant et le consommateur. Le circuit court n’induit donc aucune proximité : lorsqu’un viticulteur vient lui-même vendre son vin à Paris, il s’agit d’un circuit court. L’objet de la proposition de loi est bien l’ancrage territorial, mais le code des marchés publics nous empêche d’inscrire dans l’article 1er les produits de proximité. Quand nous sommes allés à Bruxelles, on nous a donné des définitions qui sont reconnues officiellement. Il s’agit de trente kilomètres pour les produits agricoles simples, comme les fruits et légumes et quatre-vingts kilomètres pour ceux qui nécessitent une transformation. La référence, mentionnée à l’article 1er, en veillant à la « proximité géographique » permet la souplesse que vous souhaitez.

L’agriculture durable reste à définir. Toutefois, je n’invente rien et je renvoie à des textes qui ont déjà précisé cette notion. On confie aux PRAAD le soin de donner leurs orientations en matière d’alimentation. Ce sont donc les régions qui définiront clairement ce que l’on entend par agriculture durable, sachant que, dans le texte, je me réfère à la notion de produits de qualité –sous signes d’identification de la qualité et de l’origine agriculture biologique. Il n’est fait référence à aucun moment à la seule agriculture biologique.

Je propose de fixer un taux de 40 %, dont 20 % de produits issus de l’agriculture biologique. L’idée n’est bien évidemment pas d’aboutir à 8 % de produits biologiques seulement. Si la rédaction pose problème, nous y reviendrons. M. Hervé Pellois a déposé un amendement qui vise à réécrire l’alinéa 2 de l’article 1er.

Au titre des signaux forts, j’indiquerai à Madame Michèle Bonneton que les travaux de la mission d’information ont montré que toutes les collectivités d’ores et déjà engagées dans l’ancrage territorial de l’alimentation – qu’il s’agisse de communautés d’agglomération, de communautés de communes, de départements ou de régions –, et dont beaucoup témoignent que les coûts n’en sont pas plus élevés, ont besoin d’une bonne coordination. La loi doit donc les accompagner afin que, à terme, elles puissent être reconnues ; les collectivités concernées pourront ainsi mettre en œuvre les préconisations du ministère de l’agriculture, en conformité avec les dispositions du code des marchés publics qui sont contraignantes.

En effet, ce code est redouté, et cette appréhension s’étend bien au-delà de ce qu’il prescrit concrètement. Par ailleurs, depuis plus de cinquante ans, une agriculture verticale totalement séparée de la consommation locale s’est imposée, ce qui donne le sentiment qu’un changement de pratique serait très complexe et que tout est à inventer. Lorsque la coordination est au rendez-vous, ce qui est le rôle des PRAD, on constate que les choses se passent bien.

Monsieur Germinal Peiro a posé la question de la relocalisation à deux niveaux. Notre texte reprend deux éléments de la loi précitée d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt : l’ancrage territorial de notre alimentation, mais, surtout, le principe de la souveraineté alimentaire, qui constitue un droit nouveau de première importance ; il revient ainsi à chaque État de définir le niveau minimal d’autonomie souhaité.

À Monsieur Philippe Le Ray, je réponds que le dispositif de la proposition de loi, pas plus que l’exposé des motifs, n’emporte d’opposition entre l’ancrage territorial -qui constitue l’un des axes de la loi précitée d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt- et la production de masse destinée à l’exportation.

Je rappelle que le débat que nous venons d’avoir avec le ministre a permis l’évocation des crises agricoles qui ne sont pas l’apanage de notre seul pays. Les marchés internationaux, qui ont été laissés parfaitement libres, sont à l’origine de ces crises dans le monde entier. Chaque pays tente aujourd’hui de garantir un minimum vital, et cette sécurité alimentaire s’inscrit dans la problématique de la sécurité des États au sens large. C’est là l’enjeu de l’autosuffisance et de l’indépendance alimentaire : ne pas être dépendant, c’est aussi garantir l’indépendance des autres ; nous avons à conduire une réflexion profonde au sujet des politiques agricoles et alimentaires mondiales.

En réponse aux interrogations de Madame Annie Genevard, je répète que l’objectif de 20 % de produits biologiques pour la restauration collective n’est pas complètement nouveau, puisqu’il figurait dans le Grenelle de l’environnement de 2008. Nous en sommes très loin aujourd’hui, car nous ne nous sommes pas donné les moyens de l’atteindre ; c’est pourquoi notre texte se veut contraignant. Il ne s’agit pas d’édicter des normes relatives aux moyens, mais de faire porter la contrainte sur le but à atteindre.

Dans le cadre de la mission d’information, nous nous sommes rendus dans la petite ville de Mouans-Sartoux qui se fournit à 100 % en produits biologiques, bien au-delà des prescriptions de la proposition de loi ; et il nous a été indiqué que les coûts étaient moindres. J’évoquerai les communautés d’agglomération de Saint-Étienne, de Lille et de Rennes, du pays du Mené en Bretagne qui ont mis ces démarches en œuvre et considèrent que le coût ne fait pas problème. De fait, dans la constitution d’un repas, les denrées de base représentent moins de 25 % ; or, dans les cantines, ce sont parfois jusqu’à plus de 30 % de la nourriture servie qui sont jetés : ces repas sont achetés pour être mis au rebut. La consommation de denrées locales produit un effet vertueux à toutes les étapes du processus ; le recours aux produits issus de l’agriculture biologique n’est pas nécessairement visé au départ, mais il s’impose rapidement au cours de la concertation entre les acteurs.

Les collectivités constatent alors qu’elles réalisent des économies sur le gaspillage, la consommation d’eau et la gestion des déchets. Bien plus, un lien social se crée, de nature à limiter les problèmes de sécurité et à améliorer la réintégration dans le monde du travail, puisque des emplois sont créés. Les collectivités et les protagonistes deviennent acteurs de ces politiques, et, Monsieur Dominique Potier l’a rappelé, ce travail commun redonne de l’espoir. Ces actions permettent encore de s’affranchir des aspects corporatistes caractéristiques des activités agricoles, car l’agriculteur dans son exploitation peut être tenté d’oublier le reste du monde. Aller vers le consommateur est valorisant, c’est l’occasion d’expliquer comment l’on travaille, et l’ensemble de la chaîne en bénéficie, de la cuisine au restaurateur.

Par ailleurs, l’article 3 de la proposition de loi renvoie aux plans régionaux d’agriculture durable, car, lorsqu’elles les élaborent, les régions adoptent des mesures et prévoient des soutiens financiers. Ajouter à l’acronyme PRAD le « A » d’alimentation renvoie encore au développement rural et donne aux régions les moyens de se réapproprier leurs pratiques alimentaires.

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

Article 1er

La Commission examine l’amendement CE11 de M. Hervé Pellois.

M. Hervé Pellois. Cet amendement tend à transformer l’obligation de distribuer 40 % de produits provenant de l’alimentation durable dans la restauration collective en incitation. Il convient de ne pas créer une nouvelle contrainte, mais plutôt d’encourager une dynamique positive en fixant un objectif dans la loi. Il conviendrait de vérifier que cela est applicable dans tous les cas ; en ce qui concerne les produits de proximité, nous mentionnons « les produits à faible impact environnemental, eu égard à leurs conditions de production, de transformation et de distribution ». De fait, les produits de proximité doivent être mis sur le même pied que les produits de saison et les produits alimentaires de qualité.

Mme la rapporteure. Cet amendement concerne divers aspects de la question : cela me gêne, car il modifie l’intégralité de la rédaction de l’article 1er.

Les mésaventures du Grenelle de l’environnement, qui, dix ans après son adoption, n’a produit pratiquement aucun effet, faute d’objectifs précis à atteindre, nous ont conduits à recourir à la contrainte ; les objectifs poussent les acteurs à entrer dans le jeu d’un défi commun.

Vous demandez si cela peut être réalisé partout, si l’on regarde l’agriculture telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, la réponse peut sembler négative ; c’est ce qu’ont d’abord estimé nos interlocuteurs de la communauté d’agglomération de Lille. Lorsqu’ils ont entrepris leur démarche, les élus locaux pensaient la chose impossible en avançant que, dans le Nord–Pas-de-Calais, n’étaient produits que du sucre, des pommes de terre et des céréales. Or le but était, dans le domaine de la production maraîchère -base indispensable de l’alimentation-, de renouer avec la proximité de périphérie des villes, qui était la norme il n’y a pas si longtemps.

De son côté, le Grand Paris entre dans ce processus de production locale pour sa propre consommation. Si un rayon kilométrique précis était défini, les choses seraient plus difficiles ; mais je rappelle que la communauté urbaine de Bordeaux s’approvisionne à 40 % en produits biologiques locaux au marché d’intérêt national (MIN) qui sert de plateforme de regroupement pour toute la région. Là où ce type de productions a disparu, il faudra être en mesure de les réintroduire, en recourant à tous les outils utiles, aux légumeries évoquées par Mme Michèle Bonneton et aux abattoirs de proximité. Ce sont les régions qui doivent s’interroger sur l’ancrage territorial de l’alimentation.

L’impact environnemental est insuffisamment perçu, j’en veux pour preuve les difficultés rencontrées pour instituer un affichage alimentaire s’y rapportant ; l’élevage en pâturage extensif a plus d’impact que l’élevage hors-sol. La rédaction que vous proposez pose la question : préférons-nous une production animale issue de production hors-sol ou issue de l’élevage ?

Monsieur Hervé Pellois, je vous suggère de retirer votre amendement afin que nous puissions réfléchir ensemble à la question de la contrainte et réécrire cet article pour la séance.

Mme Michèle Bonneton. Je conçois que cette contrainte puisse sembler pesante. Cependant, elle ne s’appliquera qu’en 2020, ce qui laisse aux territoires le temps de s’adapter. Sans contrainte, les pratiques actuelles ne changeront guère. Heureusement, certaines collectivités se sont engagées d’elles-mêmes dans cette voie. Ainsi, en Isère, il existe des marchés très dynamiques, animés par un grand nombre de maraîchers qui parviennent à vivre de leurs productions sur des surfaces de faibles dimensions. Autour des villes, les petits maraîchers commencent à renaître, ce qui n’est pas à négliger.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CE1 de la rapporteure.

Elle se saisit ensuite de l’amendement CE3 de M. Jean-Charles Taugourdeau.

M. Philippe Le Ray. L’amendement CE3 propose de porter de six mois à un an le délai prévu, à partir de la promulgation de la loi, pour rendre obligatoires dans un premier temps les 20 % de produits relevant de l’alimentation durable. La plupart des collectivités qui sous-traitent certains marchés contractent pour un an : ce délai supplémentaire ne ferait que leur faciliter les choses.

Mme la rapporteure. Je suis plutôt favorable à cette proposition. Il serait aussi possible de jouer sur la date de renouvellement des contrats, puisque certains d’entre eux sont de deux ou trois ans. Cependant, je suggère, dans le cadre de la réécriture de cet article, de privilégier le critère de la date de renouvellement, au moins pour la mise en route de la mesure.

L’amendement est retiré.

La Commission étudie l’amendement CE4 rectifié de M. Jean-Charles Taugourdeau.

M. Philippe Le Ray. Il est proposé d’élargir le champ visé en précisant que les produits concernés sont « issus de filières garantissant une production et une transformation faites en France ».

Mme la rapporteure. Nous disposons déjà de beaucoup de signes de qualité dans le domaine de la viande et de la charcuterie, notamment ; de plus la réglementation européenne et le code des marchés publics empêchent l’adoption de votre proposition. M. le ministre de l’agriculture l’a évoqué : la possibilité est ouverte aux interprofessions d’utiliser la mention « origine France », mais il n’est pas possible de l’inscrire dans la loi. Je vous demande donc de retirer votre amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.

M. Germinal Peiro. Je conçois que, en l’état, l’amendement de M. Le Ray ne puisse être transcrit dans la loi. Il n’en soulève pas moins une vraie question si l’on se limite aux produits de saison et aux divers signes mentionnant la qualité d’origine : je lis dans l’exposé sommaire de cet amendement que seuls 3,3 % des volumes de viandes produites en France répondent à ces critères.

M. Philippe Le Ray. Cette situation est due au très faible nombre d’abattoirs présents sur le territoire national ; dans la production de volailles, par exemple, pour fournir la restauration collective, il faut recourir à des abattoirs éloignés du lieu de production. Nous proposons d’élargir la notion d’alimentation durable, ce qui n’entre pas en contradiction avec votre rédaction.

Mme la rapporteure. La définition pourrait être élargie à l’occasion de la réécriture de l’article 1er : la mention « agriculture biologique », par exemple, fait partie des signes de qualité, et les produits de montagne sont également identifiés, comme les produits fermiers ; nombre de nos produits sont labellisés ; nous pourrions peut-être les mentionner dans le texte. Cependant, la réglementation européenne nous lie.

Mme la présidente Frédérique Massat. Monsieur Le Ray, je vous suggère de retirer votre amendement. Nous avons entendu votre souhait de compléter l’article 1er ; je vous invite à vous rapprocher de la rapporteure afin de procéder à sa réécriture globale. Dans le même esprit, je suggère le retrait de votre amendement CE5.

M. Philippe Le Ray. La question des cultures marines n’a pas été abordée ; par ailleurs, mon amendement CE5 a trait à la question de la proximité.

L’amendement est retiré.

L’amendement CE5 de M. Jean-Charles Taugourdeau est également retiré.

La Commission adopte l’article 1er, modifié.

Article 2

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CE6 de M. Jean-Charles Taugourdeau et CE12 de M. Hervé Pellois.

M. Philippe Le Ray. L’objectif de la proposition de loi est certes louable, mais nous proposons d’adopter une notion beaucoup plus large : certains aliments fournis à la restauration collective ne sont pas produits localement, tels le cacao ou les abricots pour faire des yaourts ou des entremets. La notion de proximité s’avère trop restrictive ; mieux vaut privilégier celle de filières d’alimentation durable.

Mme la rapporteure. L’observatoire de l’alimentation prend déjà en compte la notion de « durable » : nous proposons d’ajouter les circuits courts et de proximité à son champ de compétence, ce qu’empêcherait l’adoption de votre amendement. Or nous aurons précisément besoin d’informations relatives à cette forme de consommation ; en conséquence, je demande le retrait de cet amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.

M. Hervé Pellois. L’amendement CE12 vise à supprimer l’obligation qui serait faite aux gestionnaires des activités de restauration collective de collecter et de transmettre les données qualitatives et quantitatives concernant leur activité selon les modalités voulues par l’observatoire et qui apparaît trop lourde pour les professionnels ; il s’agirait là d’une contrainte trop importante.

Mme la rapporteure. L’adoption de votre amendement aurait pour effet de nous priver d’outils pour évaluer la progression des professionnels du secteur privé dans le champ de l’alimentation durable. La restauration collective privée dispose de moyens de facturation et de gestion analytique, et peut ainsi remplir les objectifs déterminés par l’observatoire.

M. Hervé Pellois. L’article L. 230-5-1 du code rural et de la pêche maritime, introduit par l’article 1er de la proposition de loi, nous semble suffisamment précis ; il n’y a pas lieu d’ajouter de contraintes supplémentaires.

Mme la rapporteure. L’article L. 230-5-1 de ce code ne concerne que la restauration collective publique ; dans ces conditions, votre amendement ferait peser sur le secteur public des contraintes dont le secteur privé serait affranchi. En revanche, nous devrions chercher à rendre applicables les dispositions de l’article L. 230-5-1 à la restauration collective privée, car elle tient une place importante et dégage un chiffre d’affaires non négligeable. Je demande donc le retrait de votre amendement.

L’amendement CE12 est retiré.

La Commission rejette l’amendement CE6.

Puis elle adopte l’article 2, sans modification.

Article 3

La Commission se saisit de l’amendement CE7 de M. Jean-Charles Taugourdeau.

M. Philippe Le Ray. À la lecture de l’article 3 de la proposition de loi, je constate que le troisième alinéa substitue à l’expression « agro-industrielle », le mot « alimentaire » ; or notre amendement propose, au premier alinéa, d’insérer, après le mot « agricole », le mot « alimentaire ». Votre rédaction rend cette substitution inutile.

Nous souhaitons que la notion d’alimentation ne soit pas opposée à celle d’agro-industrie, qui n’est pas contraire à l’objet de la proposition de loi et entre dans le champ de compétence du PRAD.

Mme la rapporteure. La notion d’agroalimentaire excède celle d’agro-industrie, elle englobe aussi les artisans et les producteurs transformant eux-mêmes leurs produits ; notre souhait est d’inclure toutes les entreprises, quelles qu’elles soient. Je demande donc le retrait de cet amendement ; dans le cas contraire, mon avis sera défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle se saisit de l’amendement CE8 de M. Jean-Charles Taugourdeau, qui fait l’objet du sous-amendement CE17 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Je suis favorable à la définition d’un circuit de proximité adapté aux particularités territoriales et aux besoins de la région ; c’est dans ce sens que nous souhaitons faire évoluer les PRAD, en y ajoutant un « A ». En revanche, la mention de « chaque filière de production » met à mal le « choc de simplification » ; dans ce contexte, le plan régional d’agriculture et d’alimentation durables (PRAAD) donnera une orientation correspondant aux besoins alimentaires de la région, mais son rôle ne sera pas de la décliner filière par filière, ce qui serait contraire au modèle d’agriculture horizontale vers laquelle nous tendons. C’est le sens de mon sous-amendement.

M. Philippe Le Ray. Je souscris pleinement à ce sous-amendement.

La Commission adopte le sous-amendement CE17.

Puis elle adopte l’amendement CE8 sous-amendé.

Elle adopte ensuite l’amendement de coordination CE2 de la rapporteure.

Puis elle examine l’amendement CE13 rectifié de M. Hervé Pellois.

M. Hervé Pellois. Cet amendement vise à ne pas demander aux acteurs ayant révisé leur plan de développement de l’agriculture durable, après la promulgation de la loi d’avenir pour l’agriculture, ou dans les six mois après la promulgation de la présente proposition de loi, de le réviser à nouveau pour y intégrer la nouvelle dimension relative à l’alimentation, avant le 1er janvier 2020, leur laissant ainsi un délai raisonnable pour s’adapter.

Mme la rapporteure. Il s’agit d’éviter, au moment de la promulgation de la loi, de demander aux intéressés de redéfinir les plans régionaux d’agriculture durable. Aujourd’hui, peu de régions ont conclu leur PRAD, alors que la date limite était le 31 décembre -il faut toutefois reconnaître que la réforme territoriale a pu perturber l’élaboration des plans.

Je suis favorable à cet amendement, mais nous devrons interpeller le Gouvernement afin qu’il donne des directives anticipées dans le cadre de la préparation des nouveaux plans régionaux d’agriculture et d’alimentation durables.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 3, modifié.

Article 4

La Commission examine l’amendement CE9 de M. Jean-Charles Taugourdeau.

M. Philippe Le Ray. Dans un souci de simplification pour nos entreprises, mon amendement propose la suppression de cet article. Le souhait de consommer davantage de produits locaux est bel et bien présent dans notre pays ; dans ces conditions, pourquoi imposer des contraintes supplémentaires qui seraient contraires au choc de simplification évoqué par la rapporteure ?

Mme la rapporteure. Il ne s’agit pas, dans le cadre de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), de leur compliquer la tâche, mais, au contraire, de leur permettre de mettre en valeur les actions qu’elles mènent -d’ores et déjà, pour la plupart d’entre elles- dans le domaine de l’alimentation durable. Le Medef, que j’ai rencontré la semaine dernière, est bien conscient des bénéfices que l’on peut tirer du développement de ce type d’agriculture. Encore une fois, il faut avoir les mêmes exigences envers le secteur privé et le secteur public. Pour ces raisons, je demande le retrait de cet amendement, faute de quoi mon avis serait défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’article 4, sans modification.

Article 5

La Commission étudie l’amendement CE10 de M. Jean-Charles Taugourdeau.

M. Philippe Le Ray. Étendre le dispositif « fait maison » à la restauration collective constitue une contrainte supplémentaire, alors que, dans la restauration commerciale, ce « fait maison » ne rencontre guère de succès. Pour cette raison, nous demandons la suppression de l’article 5.

Mme la rapporteure. Le « fait maison » n’est pas perçu de façon négative par le milieu de la restauration collective qui, au contraire, réclame la reconnaissance des pratiques vertueuses mises en œuvre. À moins que l’initiative ne soit prise de le signaler, les consommateurs eux-mêmes ne sont pas au fait de ces efforts ; le décret relatif au « fait maison » n’a été pris que l’été dernier, il y a seulement quelques mois. Vous n’êtes pas sans savoir que les acteurs de la restauration commerciale, lorsqu’ils sont aux fourneaux, ne sont pas disponibles pour appliquer le dispositif ; ils mettront à profit la période creuse hivernale pour user de cette possibilité de mise en valeur de la qualité de leur travail.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 5, sans modification.

Elle adopte enfin l’ensemble de la proposition de loi, modifiée.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 15 décembre 2015 à 16 h 15

Présents. – Mme Brigitte Allain, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. André Chassaigne, M. Yves Daniel, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Jacqueline Maquet, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. Frédéric Roig, M. Jean-Charles Taugourdeau, Mme Catherine Troallic, M. Fabrice Verdier

Excusés. – M. Jean-Claude Bouchet, M. Dino Cinieri, Mme Anne Grommerch, M. Thierry Lazaro, Mme Marie-Lou Marcel, M. Bernard Reynès, Mme Béatrice Santais, M. Lionel Tardy

Assistaient également à la réunion. – M. Pierre Aylagas, Mme Michèle Bonneton, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Cécile Duflot, Mme Annie Genevard, M. Christophe Léonard, M. Robert Olive