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Commission des affaires économiques

Mercredi 30 mars 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 65

Présidence de Mme Frédérique Massat, Présidente

–  Présentation, ouverte à la presse du rapport de la mission d’information sur l’avenir des filières d’élevage (Mme Annick Le Loch et M. Thierry Benoit, rapporteurs)

Le rapport de la mission d’information sur l’avenir des filières d’élevage a été présenté (Mme Annick Le Loch et M. Thierry Benoit, rapporteurs).

Mme la présidente Frédérique Massat. Notre commission a décidé, à la suite de la table ronde sur la crise des filières d’élevage qui s’est tenue le 22 juillet 2015 et à laquelle assistait le ministre de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt, M. Stéphane Le Foll, de créer une mission d’information sur l’avenir des filières d’élevage. Depuis cette date, notre commission a auditionné le ministre à deux reprises, le 15 décembre 2015 et le 16 février 2016. C’est au cours de cette dernière réunion qu’il nous a présenté le projet de décret sur l’étiquetage.

La mission d’information, présidée par M. Damien Abad, et dont les rapporteurs sont Mme Annick Le Loch et M. Thierry Benoit, a procédé à de nombreuses auditions et effectué plusieurs déplacements.

Votre rapport, chers collègues, tombe à point nommé. Vous y présentez pas moins de 60 propositions qui pourront être introduites dans les véhicules législatifs qui s’offrent à nous dans les semaines à venir, notamment le projet de loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin 2 », présenté ce matin en conseil des ministres et dont nous devrions nous saisir pour avis dans le courant du mois de mai, avant son examen dans l’hémicycle fin mai, début juin. Ce projet de loi comporte déjà des mesures relatives au secteur agricole. Au regard des travaux que vous avez menés, je suis sûre que nous pourrons et que vous pourrez enrichir ce texte grâce à des amendements.

Je remercie tous ceux qui se sont investis dans cette mission d’information : Mmes Brigitte Allain, Marie-Noëlle Battistel, MM. André Chassaigne, Yves Daniel, Mme Jeanine Dubié, MM. Philippe Le Ray, Jean-Pierre Le Roch, Yannick Moreau, Hervé Pellois et, bien sûr, Mme Annick Le Loch et MM. Thierry Benoit et Damien Abad.

M. Damien Abad, président de la mission d’information. J’ai eu l’honneur de présider cette mission d’information, avec, à mes côtés, Mme Annick Le Loch et M. Thierry Benoit, sur un sujet d’actualité marqué par une crise profonde de l’élevage en France mais aussi en Europe.

Nous nous sommes rendus en Allemagne et en Espagne, afin de faire une étude comparative et ainsi d’essayer de comprendre les forces et les faiblesses du modèle français.

Pour ma part, je vous présenterai quelques observations et constats, laissant à Mme Annick Le Loch et M. Thierry Benoit le soin de vous soumettre les propositions que nous avons faites pour agir aux niveaux européen, national et local.

Notre commission a décidé la création d’une mission d’information sur l’avenir de l’ensemble des filières d’élevage – bovin viande, bovin lait, porc, volaille, ovins – car le désarroi de nos éleveurs est profond et le ratio entre la valeur de leur exploitation, leur niveau d’endettement et la faiblesse des revenus qu’ils tirent de leur travail est préoccupant.

Quelques chiffres montrent l’ampleur de la crise. En 2014, le revenu courant avant impôt par actif non salarié était réparti de la façon suivante : 24 700 euros pour les éleveurs de bovins lait, 18 300 euros pour les éleveurs de bovins viande, 24 000 euros pour les éleveurs de volaille, 18 400 euros pour les éleveurs d’ovins et caprins, enfin à peine 12 000 euros pour les éleveurs de porcs, soit une baisse de 60 % par rapport à 2013.

Les chiffres de 2015 ne sont pas encore connus, mais on sait que ces revenus ont encore reculé par rapport à 2014. Les prix de vente des productions étant inférieurs aux coûts de production, ils ne permettent pas aux éleveurs endettés – et ils sont nombreux dans ce cas – de vivre décemment du fruit d’un travail par ailleurs de moins en moins attractif pour les jeunes agriculteurs.

Face à ce constat, nous avons tenté de dégager les forces et les faiblesses spécifiques à chaque filière, ainsi que les difficultés qui leur sont, pour une grande part, communes et qui vont bien au-delà de l’échelle de l’exploitation.

Les produits issus de l’élevage sont, comme tous les produits agricoles, transformés par des industriels et commercialisés par des grandes et moyennes surfaces, avec lesquels il faut négocier. Mais ces produits ne sont pas des produits comme les autres, ils sont soumis à une très forte volatilité de leurs coûts de production – par exemple la part de l’alimentation dans le coût de production du porc représente 60 % – et à une même variabilité des prix des productions qui subissent les fluctuations de l’offre et de la demande mondiale.

Ce constat est partagé par les autres pays européens qui sont devenus aujourd’hui, au gré de la modernisation des exploitations et de leur dynamisme entrepreneurial, nos principaux concurrents. C’est pour cela que la mission s’est déplacée en Allemagne et en Espagne où l’on a constaté que si certaines de nos difficultés sont communes, elles le sont certainement dans une moindre mesure qu’en France.

D’une manière générale, les élevages sont spécialisés et fortement exportateurs. Les éleveurs espagnols de porcs sont fortement intégrés à l’industrie de l’abattage qui contrôle l’ensemble du processus de production. Dans les deux pays, le mot d’ordre est la compétitivité par les économies d’échelle et la contraction des coûts de production, avec une acuité particulièrement forte en Allemagne sur la question du bien-être animal. La filière porcine française est aujourd’hui en déclin et nous avons cherché à en comprendre les causes.

Notre filière viande bovine est la première filière européenne en quantité. Elle se caractérise par des échanges commerciaux importants, notamment en ce qui concerne les bovins vivants. La France dispose d’un cheptel allaitant très important qui donne une viande de qualité très prisée des Français. Mais le prix de ces viandes est aujourd’hui tiré vers le bas du fait de plusieurs facteurs : l’alignement du prix des viandes des races allaitantes sur le prix des vaches laitières de réforme, l’insuffisante valorisation des pièces de qualité faute de segmentation dans la commercialisation et la dispersion de la valeur ajoutée des productions entre une multitude d’acteurs, avec des producteurs peu organisés face à un abatteur qui domine le marché et une grande distribution très concentrée.

La filière laitière est répartie de manière homogène sur l’ensemble du territoire, malgré un mouvement de concentration de la production parallèle à la disparition de nombreuses exploitations ces dernières années. La force de cette filière réside dans l’importance de l’industrie de transformation, qu’il s’agisse des coopératives ou des entreprises privées, qui valorise la production laitière en la transformant en produit à forte valeur ajoutée. Ce secteur a été soumis aux quotas de production européens pendant plus de trente ans, et la fin des quotas, le 1er avril 2015, a fragilisé les producteurs européens, et notamment les producteurs français qui vivent depuis plus d’un an une période de surproduction. Là encore, l’industrie et la grande distribution sont accusées d’accaparer la valeur ajoutée permise par la transformation du lait.

La filière porcine est aujourd’hui dépassée par le dynamisme des productions européennes, notamment allemandes, espagnoles et polonaises. Les exploitations porcines françaises sont bien moins compétitives que les exploitations européennes qui ont soit des structures intégrées à la transformation, soit bénéficient de relations commerciales plus pacifiées que chez nous. Cette filière connaît également une surproduction du fait notamment de l’embargo russe et de l’importance des importations européennes en France. Les producteurs souffrent d’un manque de modernisation de leurs exploitations et, là encore, d’un problème de relations commerciales avec l’aval de la filière.

Même si elle résiste mieux que les autres, la filière avicole souffre d’un manque de modernisation des bâtiments. Toutefois, elle a su s’adapter à la demande intérieure tout en faisant preuve d’un réel dynamisme à l’export, notamment vers les pays tiers.

La filière ovine prend son essor. Il s’agit d’une production à faible rendement et techniquement complexe, mais les produits sont de qualité et la demande est forte.

Certes, les embargos russes et la fin des quotas laitiers ont entraîné une surproduction de porc et de lait, mais ils interrogent à plus long terme sur la résilience des exploitations, c’est-à-dire leur capacité à résister aux crises qui ne cessent d’émailler le secteur et altèrent l’image des élevages – crises sanitaires, conséquences environnementales des exploitations, préoccupations sur le bien-être animal et autres. Le scandale des abattoirs et la résurgence des cas de vache folle en sont une illustration tout à fait récente.

Il ressort des 164 auditions auxquelles nous avons procédé que les filières d’élevage se heurtent à des difficultés structurelles qui touchent toutes nos exploitations. Les coûts de production sont très hétérogènes et difficiles à identifier par les éleveurs, alors qu’ils sont la condition sine qua non de la définition de leurs marges. Les charges fixes et le niveau d’endettement plombent clairement les exploitations en France. Seuls les éleveurs qui ont remboursé leurs emprunts s’en sortent, alors que les besoins d’investissement sont importants, y compris dans les abattoirs. Tous les agriculteurs nous disent qu’ils veulent vivre de leur production et de sa valorisation, mais que les prix ne suffisent pas à compenser des coûts de production élevés.

Les relations commerciales sont également très difficiles, avec un accaparement de la valeur ajoutée et du pouvoir de marché des industriels – les grands abatteurs, les laiteries – et surtout de la grande distribution concentrée face à des éleveurs encore insuffisamment organisés. Les organisations de producteurs, on le sait, sont en effet encore trop faibles et les éleveurs trop peu investis dans la coopération agricole. Les filières sont un outil important de définition stratégique des filières, mais elles ne fonctionnent pas nécessairement aussi bien qu’elles le devraient. Il y a parfois des mésententes, des absences de la distribution et autres difficultés.

Les rapporteurs vont maintenant vous présenter les 60 propositions qui vont dans un sens que chacun souhaite ici. Ces préconisations, qui concernent les niveaux européen et national, visent à assurer aux exploitants des revenus dignes en améliorant la compétitivité, mais également à renforcer la traçabilité et la qualité des produits français. Nous avons eu de nombreuses discussions, notamment en Allemagne et en Espagne, sur la question de l’étiquetage des produits et sur la capacité de la France à mettre en place un étiquetage sur l’origine, nonobstant les contraintes européennes.

Bien entendu, en tant que président de la mission d’information, je suis favorable à l’adoption de ce rapport, et j’indique que ces 60 propositions ont recueilli un accord unanime de notre part. L’une d’entre elles sera présentée ici même la semaine prochaine lors de l’examen de la proposition de loi de M. Bernard Accoyer, dont l’objet est de redéfinir l’abus de dépendance économique, notamment face aux quatre principales centrales d’achat françaises qui s’adjugent 90 % du marché. Cette situation de concentration contribue aux difficultés que connaissent de nombreux producteurs français.

Mme Annick Le Loch, co-rapporteure. Je suis ravie de vous présenter le fruit du long travail que nous avons mené ensemble. Nous espérons que les 60 propositions que nous formulons permettront d’apporter quelques réponses aux difficultés auxquelles les éleveurs sont confrontés. Et je ne doute pas qu’elles trouveront une traduction réglementaire ou législative.

Depuis deux ans, les éleveurs de ma circonscription m’interpellent sur la situation critique de l’élevage, et je pense qu’il en est de même pour vous, mes chers collègues. Ils sont tous très attachés à leurs exploitations et à leur cheptel et ne peuvent se résoudre à baisser les bras crise après crise.

Le constat de la mission d’information a été présenté à l’instant par le président. En découlent 60 propositions qui témoignent de notre volonté de définir une stratégie pour ces filières au cœur de l’agriculture française, de ses territoires, de ses paysages. Je vous rappelle que les filières d’élevage dégagent un chiffre d’affaires de 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit 37 % de la production agricole française.

Mais ce secteur évolue dans un cadre concurrentiel et normatif européen – droit européen de la concurrence, organisation commune des marchés (OCM), politique agricole commune – rappelons que le budget de la PAC s’élève à 9 milliards d’euros, soit le double du budget national de l’agriculture.

Le déplacement de la mission à Bruxelles s’est imposé à nous. Nous y avons rencontré les services de la Commission européenne, nos collègues parlementaires et des think tanks. Nous avons pris conscience que le problème devait être affronté à cette échelle européenne et que si les difficultés sont partagées par les autres États membres, la France devait faire entendre sa voix, comme l’a fait d’ailleurs récemment notre ministre de l’agriculture.

Nous préconisons d’intervenir à deux niveaux, en prenant d’une part des mesures d’urgence, d’autre part des dispositions qui s’inscrivent sur le moyen ou le long terme.

Dans l’immédiat, nous proposons d’activer les outils de régulation européens dérogeant à l’OCM ; cette intervention est nécessaire compte tenu de l’ampleur de la crise de surproduction actuelle. Nous pensons que le seuil de référence et les prix d’intervention doivent être adaptés aux États membres et à la faiblesse des prix des marchés. Je vous rappelle que ces prix d’intervention sont extrêmement bas. Nous reprenons la proposition de l’European Milk Board de mettre en œuvre un programme de responsabilisation face au marché, permettant d’actionner, en cas de chute des prix, des mesures volontaires, incitatives dans un premier temps, puis éventuellement obligatoires dans un second temps, de réduction de la production. Les observatoires européens du marché du lait et de la viande sont là pour alerter les pouvoirs publics en cas de déséquilibre sur les marchés.

Cette crise justifie aussi de relever le plafond de minimis sur les aides d’État permettant la mise en place d’aides d’urgence nationales plus importantes. De son côté, le Fonds européen d’aide aux plus démunis doit être provisionné de produits alimentaires directement issus des secteurs en crise.

En matière de simplification, il faut obtenir un moratoire des normes agricoles, notamment environnementales, et imposer un recours systématique aux études d’impact préalables à toute adoption de nouvelles normes affectant l’agriculture.

Les Français doivent pouvoir choisir de consommer des produits français. La généralisation de l’étiquetage des produits laitiers et de ceux transformés à base de viande est en bonne voie mais doit être confirmée. Les établissements publics doivent pouvoir choisir des produits locaux pour leur approvisionnement et, bien sûr, les mettre en avant.

L’harmonisation et l’adaptation des règles fiscales et sociales doivent être engagées au niveau européen, notamment celles qui s’appliquent aux travailleurs détachés et à la TVA forfaitaire.

Au niveau commercial, l’Europe doit agir collectivement dans ses rapports aux pays tiers et parler d’une seule voix forte pour lever les embargos russes et surtout exclure certaines productions agricoles sensibles des négociations sur le Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement, le fameux PTCI, notamment pour la viande.

Le maintien de normes de haute qualité et des signes d’identification de la qualité et de l’origine (SIQO), propres aux produits européens et dont la France a fait l’un de ses atouts, est une nécessité.

Un outil de crédit export doit être créé à l’échelle européenne. Le problème de la répartition de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne alimentaire est commun à plusieurs pays européens et a des conséquences bien au-delà des productions agricoles. Une solution européenne doit être trouvée pour stopper la concentration de la distribution et restaurer le pouvoir de négociation des producteurs, conformément aux propositions que nous faisons au niveau national et que va vous présenter M. Thierry Benoit dans un instant. En effet, nous avons constaté que, dans tous les pays, la distribution était concentrée, qu’elle était très puissante et détenait un pouvoir totalement déséquilibré face aux producteurs.

Enfin, dès l’examen, à mi-parcours de la PAC, en 2018, nous devrons réfléchir à sa réorientation vers la promotion de mécanismes assurantiels d’atténuation de la volatilité des prix agricoles. Un mécanisme de sécurisation des prix et des marges des agriculteurs doit être promu dans le cadre d’une action publique et privée à la fois, en s’inspirant du farm bill américain, et ce à budget constant. Il faut « des prix plutôt que des primes », comme aiment à le répéter nos agriculteurs.

Il faut prendre la mesure de la spécificité de ces filières, que ce soit dans leur contribution à l’économie de notre pays, à celle de nos territoires, à l’entretien des paysages mais aussi à notre souveraineté alimentaire.

Face au libéralisme sans limite souhaité par certains, réaffirmons le modèle français ou plutôt les modèles français, que ce soit avec nos champions internationaux ou avec le producteur local, et affirmons notre volonté politique et européenne de sécuriser les exploitations et les éleveurs qui en sont responsables.

M. Thierry Benoit, co-rapporteur. Comme l’ont dit avant moi Mme Annick Le Loch et M. Damien Abad, je me réjouis que nous ayons pu travailler dans un bon état d’esprit et que les préconisations qui figurent dans ce rapport fassent l’objet d’un large consensus. Bien sûr, cela n’empêche pas quelques divergences : pour sa part, le groupe UDI a souhaité insérer une contribution au rapport, en insistant sur la nécessité de réfléchir à la mise en œuvre d’une taxe sur la consommation, que nous appelons la TVA sociale. Nous pensons qu’il y a là un vrai levier et une connexion directe avec les productions agricoles.

Avant de me pencher sur le sujet, j’étais convaincu de la capacité de la France à redevenir un grand pays agricole, en Europe et dans le monde. Avec 28 millions d’hectares, la France est le pays d’Europe qui a la plus grande surface agricole utile (SAU) : c’est 40 % de plus que nos amis allemands. Par comparaison, les Pays-Bas qui sont le premier pays exportateur derrière les États-Unis, n’ont que de 1,9 million d’hectares de SAU. Je suis sûr que la France a vocation à redevenir le grand pays producteur et exportateur qu’elle était.

Certes, il faut assurer l’autosuffisance alimentaire de la France et donc nourrir 65 millions de Français ; mais on ne saurait pour autant déconnecter la production agricole de la notion d’exportation. Si la production agricole française atteignait le ratio des Pays-Bas
– sans aller jusqu’à dire qu’il faille viser le même degré d’intensification – notre chiffre d’affaires ne serait pas de 65 milliards mais de 778 milliards d’euros… Imaginez quelle serait la croissance française avec un tel chiffre d’affaires ! La France a donc de vraies raisons d’espérer pour ses productions agricoles et ses producteurs.

Pour ma part, je concentrerai mon intervention sur les quatre grands chapitres qui regroupent les préconisations que nous faisons au niveau national.

Mme Annick Le Loch et M. Damien Abad ont évoqué, à juste titre, la question des relations commerciales. Tous ici, nous avions des doutes quant à la qualité des relations commerciales au sein de la filière, notamment entre les commerçants que sont les distributeurs au contact direct des consommateurs, et les industriels, c’est-à-dire les transformateurs. Si la loi de modernisation de l’économie (LME), la loi de modernisation de l’agriculture (LMA) et la loi relative à la consommation ont voulu pointer des anomalies et chercher à corriger un déséquilibre relationnel entre l’amont et l’aval, c’est bien parce qu’il y avait un réel problème. Ce rôle grandissant de l’organisation commerciale en France, et notamment celui des quatre grandes centrales d’achat, n’est pas sans m’interpeller. On peut aller très loin en matière de clarification, de rénovation des relations commerciales, jusqu’à dissiper – j’ose le dire – l’oligopole de ces quatre grandes centrales d’achat. J’ai cru comprendre, à travers les propos des élus qui sont proches du Gouvernement et en lisant la presse, que le Gouvernement souhaitait s’attaquer à ce sujet, notamment à travers la loi Sapin 2. C’est justice que de donner des moyens supplémentaires à l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires et à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), car il y a matière à discussion, à clarification, matière aussi à revoir certaines pratiques qui sont des formes d’abus. Si nous proposons d’alourdir les sanctions, c’est bien parce que celles qui existent ne sont que symboliques pour de grands groupes industriels.

Reconquérir des marchés, c’est reconnaître que la France est un grand pays agricole et qu’il doit rester un grand pays exportateur. C’est pourquoi nous proposons d’exclure certaines productions agricoles des négociations sur le Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement. Nous voulons bien négocier avec nos amis américains, mais sous prétexte que nous vendons de grands Champagne, Bordeaux et Bourgogne, nous ne pouvons pas accepter d’importer des produits agricoles et des denrées alimentaires qui ne respecteraient pas les exigences européennes et françaises dans le domaine sanitaire comme dans ceux du bien-être animal et de l’environnement.

Au-delà de la question de la rémunération des éleveurs, des prix, de la compétitivité et des coûts de production, il faut instaurer un climat de confiance entre l’État et les éleveurs en matière de contrôles et de simplification. Aujourd’hui, les agriculteurs sont systématiquement suspects aux yeux de la puissance publique. Quand un contrôleur débarque chez un agriculteur pour effectuer un contrôle sanitaire, environnemental ou administratif, on sent bien qu’il est là pour chercher la faille. Certes, le contrôle doit s’exercer – il est incontournable et obligatoire – mais il doit être coordonné. On ne peut pas en effet faire chez un même éleveur un contrôle sanitaire au mois de janvier, un contrôle environnemental au mois de mars et un contrôle administratif au mois de juin au motif que cet éleveur a bénéficié d’aides de l’Europe ou de la région. Nous proposons d’instaurer un document unique et un seul contrôle, pour lequel l’agriculteur aura le temps de se préparer et de rassembler ses pièces, en faisant appel au besoin à un médiateur ou à un tiers de confiance qui pourrait s’assurer du bon déroulement du contrôle et veillerait à ce que le but soit de tirer l’éleveur vers le haut, vers l’excellence et non de l’enfoncer et de le pointer du doigt. Il faut renverser la charge de la preuve et créer un lien de confiance entre celui qui exerce le contrôle pour le compte de l’État ou de l’Europe et l’éleveur.

À ce sujet, une proposition me tient tout particulièrement à cœur : celle qui consiste à désarmer les agents de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA) lors des contrôles des exploitations agricoles. Vous me répondrez que cette mesure est symbolique, mais j’estime qu’elle est très importante. Imaginez ce que peut penser un éleveur qui voit arriver un contrôleur sur son exploitation avec un pistolet à la ceinture !

M. André Chassaigne. Il faut désarmer tout le monde, alors !

M. Thierry Benoit, co-rapporteur. Non, mais on peut exiger des agents de l’ONEMA qui se déplacent chez un éleveur pour effectuer un contrôle et signifier des anomalies qu’ils ne soient pas armés. Les éleveurs sont des gens honnêtes et des professionnels, et cela doit se traduire dans les actes.

M. André Chassaigne. Faites-en autant pour les polices municipales !

M. Thierry Benoit, co-rapporteur. Nous encourageons le ministre de l’agriculture dans sa volonté d’avancer sur la question de l’identification et de l’étiquetage. Les choses bougent au niveau européen puisque le ministre a proposé un décret pour défendre l’idée du né, élevé et abattu dans un pays d’origine clairement identifié, en l’occurrence, pour ce qui nous concerne, en France. Nous pensons que cette identification peut s’amplifier au niveau national. Nous souhaiterions que les informations relatives à l’identification soient écrites en mêmes caractères que le prix.

Comme nous sommes convaincus que nos éleveurs, nos industriels et nos transformateurs sont les meilleurs du monde, tout le travail de création de la valeur ajoutée ne doit pas être massacré en bout de chaîne par un distributeur qui n’aurait pour obsession que de vendre des prix. Il faut donc réapprendre au distributeur à vendre des produits. Dans un pays de haute gastronomie et de tradition culinaire comme le nôtre, on ne peut pas vendre une denrée alimentaire comme on vend un abonnement de téléphone portable, un CD-Rom ou du textile ! Nous allons donc poser des exigences dans ce domaine.

M. Jean-Pierre Le Roch. Je veux tout d’abord saluer le président de la mission d’information et nos deux rapporteurs pour la qualité de leur rapport. J’ai eu le plaisir de participer à ses travaux, et notamment lors de son déplacement en Allemagne. La délégation a ainsi pu s’y entretenir avec le président du Conseil scientifique pour la politique agricole qui formule de manière indépendante des recommandations au ministère fédéral de l’agriculture. Dans son rapport du mois de mars 2015, il propose des voies et moyens pour un élevage socialement accepté en Allemagne. L’un des principaux axes concerne le bien-être animal, qui est reconnu comme facteur déterminant d’acceptation du modèle allemand par sa population, préoccupation également relayée au Pays-Bas, au Danemark, en Suède et auprès des institutions européennes. Ce rapport estime les dépenses nécessaires dans ce domaine à hauteur de 3 à 5 milliards d’euros. Pour assurer ce financement, le Conseil scientifique a fait état de plusieurs propositions.

Alors que votre proposition n° 4 fait état de la nécessité de réorienter le premier pilier de la PAC vers la promotion de mécanismes assurantiels d’atténuation de la volatilité des prix agricoles, analyse que je partage, que pensez-vous de l’idée de ce Conseil scientifique d’un transfert massif du premier vers le deuxième pilier de la PAC pour assurer le financement partiel du bien-être animal, mesure qu’il souhaite d’ailleurs faire apparaître dans l’étiquetage ?

M. Philippe Le Ray. Je tiens également à remercier le président de la mission d’information et les rapporteurs pour la qualité de leur rapport qui comprend beaucoup de propositions de bon sens que le groupe Les Républicains partage très largement.

Reste que le silence actuel du monde agricole devrait nous inquiéter. Il a fallu attendre une crise très profonde pour faire ces propositions. On peut aussi se réjouir de voir bientôt arriver le véhicule législatif Sapin 2. Mais je ne sais pas si tout le monde pourra patienter encore quelques mois supplémentaires.

Nous partageons l’analyse qui a été présentée par M. Damien Abad. À mon avis, la situation est peut-être pire encore que ce que l’on veut bien nous dire. La ferme France est la seule ferme d’Europe qui recule depuis des années, et surtout la ferme élevage.

Il a fallu attendre trois, voire quatre ans pour parler enfin des quotas laitiers. Nous avions interpellé le ministre de l’agriculture sur l’après-quotas. On est quand même dans une improvisation totale.

Concernant la viande porcine, nous avions été nombreux il y a trois ans à demander d’aller beaucoup plus loin en matière d’étiquetage. On peut se réjouir que les choses bougent aujourd’hui.

L’ancienne opposition, devenue majoritaire depuis 2012, avait largement critiqué la LME. Mais nous n’avons pas vu grand-chose venir depuis…

Au-delà de ces 60 propositions que nous approuvons et qui concernent environ 80 % de l’agriculture de masse, je souhaite insister sur quelques points, et notamment sur la décapitalisation dans les élevages, sur l’intégration très discrète dans les élevages porcins de plus en plus de salariés déguisés.

Mme la présidente Frédérique Massat. Monsieur Philippe Le Ray, vos deux minutes sont écoulées. Ce n’est pas moi qui impose les formats : ils sont décidés en réunion de Bureau et sont les mêmes pour tous. Vous avez choisi de faire une longue introduction, et ce choix est tout à fait respectable. Mais du coup, vous n’avez plus de temps pour parler du rapport.

M. Philippe Le Ray. J’aurais également voulu parler de la fiscalité agricole, qui est aussi un sujet essentiel…

M. André Chassaigne. Je ne reviendrai pas sur le désarmement des agents de l’ONEMA lors des contrôles. Soyons attentifs à ne pas affaiblir ceux qui font respecter la loi. On ne peut pas demander, d’un côté, demander l’armement des polices municipales et, de l’autre, un désarmement, à géométrie variable, de personnes qui sont investies pour faire appliquer la loi, même s’il peut se produire des maladresses de temps en temps ? Je ne peux être très favorable à des propositions de ce genre, qui peuvent faire plaisir à certains, mais qui relèvent surtout du populisme.

Mais revenons-en à l’excellent travail qui nous est présenté. Il me paraît important maintenant de lister très précisément les mesures qui peuvent être considérées non eurocompatibles. Parfois, des blocages annoncés comme réels ne le sont finalement pas. Cela exige un travail très pointu. Qu’est-ce qui empêche de prendre certaines mesures au niveau européen, notamment en matière de garantie des prix payés au producteur ?

Les propositions nos 18, 19 et 22 sont extrêmement intéressantes. Elles exigeront une conférence annuelle nationale ou régionale par filière de production, au cours de laquelle sera défini le prix qui doit être payé aux producteurs afin qu’ils puissent vivre de leur travail, en prenant en compte au final les marges nécessaires à tous les niveaux de la filière.

Enfin, il faudra bien évidemment faite en sorte que toutes ces propositions trouvent leur traduction législative ou réglementaire.

Mme Brigitte Allain. Je vous remercie pour ce rapport très riche qui permet d’avoir une vue d’ensemble de l’élevage en France, surtout pour ce qui touche à l’organisation des filières longues, leurs forces, leurs faiblesses et les marges de progrès.

Si je suis favorable à vos préconisations sur la PAC, je les trouve un peu trop timides en ce qui concerne les nécessaires outils de régulation européenne par rapport aux productions européennes et à la demande. S’appliqueront-ils seulement en cas de crise ? Pourquoi ne pas dire clairement que la guerre des prix et des primes ne fera que s’amplifier sans réelle organisation en amont ? À défaut, la promotion de mécanismes assurantiels semble être la solution, mais on ne se demande pas pourquoi ils ont aussi peu de succès.

Bien sûr, on ne peut qu’être favorable à l’exclusion de quelques productions sensibles des négociations internationales, à une harmonisation sociale et fiscale des exploitations européennes, et, bien sûr, au soutien de l’initiative de la Commission européenne de révision de la directive « travailleurs détachés ». À défaut d’y parvenir rapidement puisque nous savons qu’il y a surtout des gouvernements de droite très capitalistes en Europe, nous proposons de fixer, par voie législative, des prix de référence et d’établir des formules de calcul de prix différenciées en fonction de l’orientation des productions, comme cela existe dans la filière viticole.

J’espère que la loi Sapin 2 nous permettra d’avancer pour parvenir à un meilleur équilibre entre les différents acteurs et faire cesser la guerre des prix et des enseignes de la grande distribution.

Je suis surprise de voir des propositions sans réelle orientation pour notre élevage au regard des enjeux écologiques, économiques et sociaux actuels, et qui s’apparentent de fait à des mesures de déréglementation : l’agro-écologie et les choix stratégiques sont laissés à la seule responsabilité des choix d’orientation politique des interprofessions et des régions.

Mme Jeanine Dubié. Je tiens à féliciter le président de la mission et les deux rapporteurs pour leur rapport qui résume parfaitement l’étendue des travaux que nous avons menés depuis maintenant près de six mois. Je veux saluer l’esprit constructif et positif qui a présidé tout au long de cette mission, sans parti pris et dans le respect mutuel.

Pour ma part, j’ai pris beaucoup de plaisir et d’intérêt à participer aux travaux de la mission d’information, qui a réalisé un diagnostic précis de nos filières d’élevage.

Lors des auditions, nous avons pu voir que si les situations des filières et des éleveurs peuvent être hétérogènes, elles rencontrent des difficultés similaires auxquelles il convient de trouver des réponses. J’espère que les propositions contenues dans le rapport y contribueront.

Nous avons pu mesurer, au fil des auditions, la détresse des éleveurs, leur incompréhension de ne pouvoir recevoir une juste rétribution au regard du travail fourni et des coûts de production. Nous avons rencontré des producteurs épuisés, mais qui ne baissent pas les bras et qui nous ont fait des propositions pour sortir de cette crise multifactorielle.

Cette crise n’est pas seulement franco-française : en Espagne, par exemple, pour le porc, le coût de production à 0,97 euro le kilo ne couvre pas les frais. En tout cas, ce qui est bien français, c’est le modèle de production assis sur un modèle d’exploitation familiale qui fait vivre nos zones rurales et qui contribue largement à y maintenir une ruralité vivante. Cette spécificité doit être prise en compte dans tous les niveaux de réponse que nous pouvons apporter, à l’échelle nationale ou européenne, mais aussi au niveau des interprofessions que nous devons inciter à dialoguer et collaborer entre elles.

Ce travail visait surtout à redonner aux éleveurs des raisons d’espérer et des perspectives d’avenir. C’est un point sur lequel il est important d’insister, car nous avons des raisons d’y croire. J’espère très sincèrement que les préconisations seront suivies d’effets et qu’elles permettront de répondre à la détresse de nombreux éleveurs.

Nous devons tout mettre en œuvre pour favoriser la compétitivité, en valorisant nos atouts que sont notamment la qualité et la traçabilité de nos produits. Sachez que le groupe des radicaux de gauche auquel j’appartiens soutiendra largement les initiatives qui seront mises en place pour que les propositions concrètes de ce rapport soient rapidement appliquées.

M. Hervé Pellois. Je remercie le président de la mission d’information et les deux rapporteurs pour avoir animé cette mission avec beaucoup d’énergie et essayé de répondre aux difficultés que rencontrent nos éleveurs. Nous avons toutefois rencontré aussi des éleveurs heureux, ceux qui sont dans un marché de niches de production, niches qui ne demandent peut-être qu’à grossir ou à se diversifier et qui leur assurent des revenus corrects. Le développement des groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE), que vous préconisez, tout comme la mise en place des projets alimentaires territoriaux, dont nous n’avons peut-être pas suffisamment parlé, sont des points importants qui peuvent nous permettre de progresser.

Nos filières souffrent de leur grande dispersion par rapport à leurs concurrentes européennes. Ne faudrait-il pas développer une taille critique pour un certain nombre de ces organisations de producteurs ?

Vous proposez de promouvoir l’élevage 2.0 en finançant un plan de soutien aux technologies numériques innovantes, mais peut-être n’insiste-t-on pas suffisamment sur l’effort de recherche qui serait peut-être nécessaire pour obtenir davantage de différentiation et de segmentation.

Concernant la diversification des activités, les actuels plafonds de 50 000 euros et 30 % du chiffre d’affaires d’une exploitation agricole sont-ils suffisants pour permettre le développement de l’agro-tourisme ?

M. Dino Cinieri. À mon tour, je tiens à féliciter Mme Annick Le Loch et MM. Damien Abad et Thierry Benoit pour cet excellent rapport d’information sur l’avenir des filières d’élevage.

Les très nombreuses auditions qu’ils ont menées montrent bien l’attente forte des professionnels qui sont légitimement très inquiets de la pérennité de leurs exploitations compte tenu de la crise.

Je salue votre proposition n° 13 qui va dans le sens d’une proposition de loi que j’ai déposée en 2014. Imposer un recours systématique aux études d’impact préalables pour toute adoption de nouvelle norme affectant l’agriculture est en effet indispensable.

Votre proposition n° 55 sur les signes de qualité va également dans le sens des conclusions du rapport de la mission que j’ai conduite avec notre collègue Marie-Lou Marcel sur les signes d’identification de la qualité et de l’origine.

À la page 23, vous évoquez l’embargo russe, en précisant qu’il faudrait apprendre à s’adapter, rebondir, identifier de nouveaux marchés, ce que la France n’a pas su faire jusqu’à maintenant.

Dans le contexte géopolitique actuel, on peut craindre que les embargos se multiplient ou s’installent dans le temps. Les personnes auditionnées ont-elles proposé des pistes précises pour diversifier les débouchés ?

Mme Michèle Bonneton. Je tiens à féliciter toutes les personnes qui ont travaillé sur ce rapport tout à fait remarquable, d’autant que les éleveurs vivent une crise terrible et qu’ils attendent beaucoup des législateurs que nous sommes.

On constate ces derniers temps que les coûts de production dans l’élevage sont très souvent supérieurs au prix de vente payé aux agriculteurs. Dans ce domaine, vous faites des propositions. Mais ne serait-il pas possible d’aller plus loin ? Certaines demandes reviennent fréquemment, comme la fixation d’un prix minimal garanti, mesure que je soutiens. Vous parlez de la mise en place d’un fonds de soutien à l’élevage abondé par la grande distribution. Ce fonds pourrait-il y contribuer ?

Autre demande que je soutiens : la mise en place d’un coefficient multiplicateur que la grande distribution ne pourrait pas dépasser – autrement dit, elle ne pourrait pas multiplier par plus de x le prix d’achat à l’agriculteur pour former son prix de vente.

Je propose également d’informer le consommateur du prix auquel le produit a été acheté au producteur en le faisant figurer sur l’étiquette dès lors qu’il ne s’agit pas de produits transformés.

Votre proposition n° 49 vise à diversifier les circuits de distribution avec des circuits courts ou de proximité. J’y souscris pleinement. Je tiens à relier cette proposition avec la proposition n° 39 relative à la surtransposition des directives européennes. Il me semble important de préciser qu’au-delà même de cette surtransposition, il se pose un problème d’adaptation des normes européennes aux spécificités des élevages fermiers par exemple. Ces élevages sont souvent de petite taille et engagés dans une démarche de vente directe ou de circuit de proximité. L’exemple des normes de dépistage des salmonelles dans les élevages de volaille est sur ce point éclairant : elles sont partout les mêmes, que l’on ait 30 000 volailles en élevage industriel qui ne sortent jamais ou 250 en élevage fermier, qui vont prendre l’air plusieurs fois par jour. Il est indispensable de prendre en compte les spécificités de ces petits élevages si l’on veut les encourager. Ne pensez-vous pas que des mesures seraient nécessaires ?

En ce qui concerne le bio qui est bon pour l’environnement et notre santé, quelles propositions supplémentaires pouvez-vous faire ?

Mme Corinne Erhel. Je tiens à vous féliciter pour le travail que vous avez effectué dans un contexte difficile.

Vous proposez d’accroître les aides d’urgence, en relevant le plafond de minimis sur les aides d’État, comme l’a indiqué le ministre de l’agriculture. Avez-vous des préconisations particulières en matière d’accélération du versement de ces aides ? En cas de crise, une aide d’urgence doit par définition être versée rapidement, ce qui signifie que le traitement des dossiers doit être amélioré.

Votre proposition n° 30 vise à faire cesser la guerre des prix entre enseignes de la grande distribution et changer les pratiques et les mentalités dans les relations commerciales. Quelle est votre position sur la publicité comparative ? Je considère que cet élément tend à faire baisser les prix. Il faudrait donc se pencher sur cette question qui, à mon avis, conduit également à une baisse généralisée des prix.

Votre proposition n° 58 tend à exiger des régions, en lien avec les autres collectivités territoriales, qu’elles mettent en œuvre des stratégies territoriales en faveur de la compétitivité des filières d’élevage. Est-ce ce qui se fait actuellement en Bretagne ? Nous l’avons annoncé pour la filière porcine. Le président de la région Bretagne, M. Jean-Yves Le Drian, a déclaré également qu’un travail équivalent serait réalisé sur la filière laitière, en matière d’investissement et d’accompagnement. Vos propositions sont-elles bien dans ce cadre-là ? Si ce n’est pas le cas, quelle est exactement leur nature ?

M. Antoine Herth. À mon tour, je tiens à féliciter nos collègues qui ont œuvré sur ce sujet et proposé des solutions pour sortir de la crise que connaît l’élevage.

Plus que des solutions, c’est le tour d’horizon très complet, très fouillé, et vos études comparatives avec deux pays européens qui me paraissent particulièrement intéressants. Je l’ai souvent dit pour le regretter : lorsque nous légiférons, nous travaillons trop souvent à l’aveugle et nous n’avons pas la possibilité de mesurer réellement les besoins ou les conséquences des dispositifs que nous votons. Ce rapport d’information est une sorte de Guide Michelin qui nous permettra d’alimenter notre travail parlementaire pour l’année qui nous reste à siéger ici.

Je lance une bouteille à la mer en émettant le souhait qu’à l’avenir les commissions de l’Assemblée nationale travaillent davantage sur le modèle qui nous est présenté aujourd’hui. Nous avons besoin en effet, en commission, d’accumuler d’abord de la connaissance, de l’expertise, des informations, de les recouper et de les échanger avant que les différentes formations politiques affichent leur posture.

Madame la présidente, je vous remercie d’avoir donné votre accord pour la création de cette mission d’information car c’est de cette manière qu’il faut travailler.

Mme la présidente Frédérique Massat. Je suis tout à fait d’accord avec vous.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Je tiens à féliciter le président de la mission d’information et les rapporteurs pour leur travail d’expertise très fouillé qui a conduit à la présentation d’un rapport de qualité. Il vise à sortir notre agriculture de la précarité et à l’aider à retrouver sa place de grand producteur agricole en Europe.

Après avoir posé un diagnostic précis et sans appel, vous proposez 60 orientations et préconisations très concrètes et intéressantes pour agir à la fois au niveau européen en passant par l’activation de l’outil de régulation, mais aussi par le relèvement du plafond de minimis sur les aides d’État, permettant la mise en place d’aides d’urgence nationales plus importantes, sur la généralisation de l’étiquetage, l’adaptation du droit pour la commande publique. Au niveau national, vous proposez de modifier la LME, la LMA et la loi relative à la consommation, pour permettre des relations commerciales plus transparentes et plus équilibrées. Au niveau réglementaire et administratif enfin, des adaptations et des simplifications s’imposent.

Reste aussi la question de l’endettement auquel sont confrontés certains agriculteurs qui ne trouvent pas de vraies solutions. Comment peut-on y travailler de manière plus précise ? Pour certaines exploitations, il est question de leur survie.

Membre de la mission, je partage bien évidemment les préconisations qui ont été formulées. Je compte bien, comme chacun ici, contribuer à vos côtés à leur mise en œuvre le plus rapidement possible, et notamment les traduire dans les prochains textes de loi qui seront examinés en séance publique et sur lesquels nous travaillerons collectivement.

M. Éric Straumann. Je remercie le président de la mission d’information et les deux rapporteurs pour leur travail.

L’abattage est une étape importante dans la filière de l’élevage. Les conditions choquantes d’abattage, dénoncées, à juste titre, par l’association L214, risquent d’affecter l’image de la viande française à l’étranger si de tels scandales se répètent. Le Gouvernement doit être sensibilisé sur cette question car ce scandale français peut devenir européen. Une commission d’enquête parlementaire vient d’être créée ; nous devons prendre ce problème à bras-le-corps.

Il faudrait revoir les plafonds des forfaits agricoles, qui ne semblent plus adaptés, et, plus largement, le régime de la TVA agricole, à l’image de ce qui se passe en Allemagne.

Mme la présidente Frédérique Massat. Nous avons effectivement décidé, la semaine dernière, de créer une commission d’enquête sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français, ce qui permet d’aller plus loin qu’une mission d’information.

Mme Delphine Batho. À mon tour, je tiens à saluer nos collègues pour leur rapport.

Députée d’un département rural qui a perdu 30 % de ses exploitations en dix ans, je soutiens la proposition qui consiste à revenir à la régulation au niveau européen, et le fait que cela implique un changement de perspective de la PAC pour passer d’un système de primes à un système de régulation des prix.

Je vous prie de m’excuser des trois remarques que je vais faire après une lecture rapide, donc incomplète, de ce rapport.

S’agissant du désendettement, ne faut-il pas aller beaucoup plus loin et prévoir un vaste plan de désendettement des agriculteurs ?

Je n’ai pas vu de propositions sur la montée en gamme en termes de valeur ajoutée, sur le problème du non-versement des mesures agro-environnementales (MAE), ni sur les aides à la conversion à l’agriculture biologique alors que les filières de qualité font l’objet d’une sorte d’appel d’air lié à la question des revenus.

La maltraitance administrative et de la bureaucratie ne se limite pas aux normes environnementales. Les formulaires administratifs du ministère de l’agriculture sont sans doute les pires de toutes les administrations de France ; or on ne constate aucune évolution sur cette question.

En matière d’environnement, je ne suis pas favorable à un moratoire parce qu’il faut aller beaucoup plus loin et revoir tout le système. La logique européenne sur les questions environnementales est une logique d’obligation de moyens qui se traduit par une bureaucratie qui s’avère inefficace en termes d’objectifs écologiques. Il faut changer de système,
c’est-à-dire passer à une obligation de résultat et faire confiance aux moyens utilisés pour parvenir à des résultats. Cela pose la question du conseil agronomique et du contrôle. Le rapport de Mme Frédérique Massat proposait des contrôles à blanc ; je ne sais ce qu’est devenue cette solution qui paraissait évidente et qui prévoyait une phase de conseil, d’accompagnement, de contrôles à blanc avant de passer à une logique administrative plus lourde.

M. Jean-Claude Mathis. Lors de la table ronde organisée par la mission d’information sur la filière laitière, qui s’est tenue le 4 novembre 2015, les élus membres de cette mission ont posé de nombreuses questions sur le fameux contrat sans prix. Il est fort étonnant et difficilement compréhensible que l’on puisse acheter un produit sans définir au préalable un prix d’achat.

Face à cette lacune et ce formidable vice de forme, la Fédération nationale des producteurs de lait a donné des explications pour le moins confuses. S’agissant de ces contrats sans prix, quelles étaient les positions et les revendications des différents représentants du secteur présents à cette table ronde ?

Depuis cette date, avez-vous réussi à avoir une meilleure vision quant aux responsabilités vis-à-vis de ces contrats sans prix ?

M. Marcel Bonnot. Je salue à mon tour le travail important et la finesse de l’analyse déployée par les rapporteurs et la commission.

Notre agriculture est en crise. Le problème est grave, têtu et destructeur. Les prix de vente sont inférieurs aux prix de production, l’organisation de la profession est insuffisante, la maîtrise de la production fait défaut et l’embargo russe est là. L’harmonisation sociale et fiscale au plan européen est souhaitée et la situation hégémonique et destructrice des distributeurs et industriels a été soulignée.

Le constat est sans appel. Mais s’arrêter à ce constat serait faire la preuve de son incapacité.

Nous relevons 60 propositions judicieuses. Il n’y a plus de place pour l’attente. Le SAMU est aux portes de notre agriculture…

Parmi ces 60 préconisations, quelles sont celles, rares peut-être sur le plan national et européen, qui peuvent être appréhendées rapidement ? Il ne faudrait pas que votre travail prenne le chemin de l’armoire confortable des rapports classés sans suite.

M. François André. Je vous remercie de m’accueillir ce matin dans votre commission. En tant que commissaire aux finances, j’ai conduit un travail l’année dernière, avec notre collègue Marc Le Fur, sur l’adaptation nécessaire de la fiscalité agricole. Je précise que nous sommes parvenus à faire aboutir un certain nombre de propositions, notamment celle d’une fiscalité qui prenne mieux en compte la volatilité de plus en plus forte des cours, donc des revenus.

Ma première question concerne la contractualisation tripartite qui garantirait des prix et des volumes, que beaucoup décrivent comme la porte de sortie des difficultés que connaissent nos éleveurs. Mais lorsque j’interroge les éleveurs sur ce point, je me rends compte qu’il y a dans leur esprit une certaine contradiction entre, d’un côté, la volonté de bénéficier de prix et de volumes garantis, et, de l’autre, le souci de ne pas devenir dépendants d’un, deux ou trois clients qui leur achèteraient la totalité de leur production. Comment peut-on, à votre avis, surmonter cette contradiction ?

Ma seconde question a trait aux relations commerciales. Il est courant dans le débat public d’incriminer la LME. La DGCCRF de mon département, que j’ai questionnée il y a quelques jours, m’a répondu que ce qui est en cause aujourd’hui ce ne sont pas les discussions annuelles qui sont encadrées et qui sont sous le contrôle des services de la concurrence, mais les éléments périphériques à ces contrats, autrement dit ce qui est hors contrat, et notamment le retour des marges arrière, pourtant interdites, qui imposent des conditions exorbitantes.

Quelles améliorations concrètes peut-on apporter à la LME pour que cessent ces pratiques déloyales ?

M. Thierry Lazaro. J’ai été très sensible aux propos du président de la mission d’information et de nos deux rapporteurs, notamment sur la grande distribution qui, à mes yeux, a un rôle particulièrement déstructurant pour notre modèle économique et social. Il faudra bien avancer un jour sur ce sujet dont on parle depuis de nombreuses années, et pas seulement dans le secteur agricole.

Je suis de ceux qui pensent que la grande distribution sont les seigneurs… et les saigneurs des temps modernes !

On ne peut qu’être sensible à votre proposition n° 13 qui vise à imposer un recours systématique aux études d’impact préalables pour toute adoption de nouvelles normes affectant l’agriculture. Je pense que beaucoup de ceux que vous avez rencontrés ont dû vous dire qu’outre la norme et la directive européenne que l’on transpose en droit français, il y a la surnormalisation française qui est un mal bien de chez nous. Moi qui suis frontalier avec la Belgique, j’ai coutume de dire que les Belges font les affaires d’abord et règlent les problèmes ensuite, alors que nous faisons exactement l’inverse… Et cela a de lourdes conséquences en termes de compétitivité et de concurrence.

M. François Sauvadet. Madame la présidente, qu’envisagez-vous de faire de ce rapport qui contient de nombreuses propositions ? Allez-vous le transmettre au Gouvernement ? Avec ce rapport, qui est le fruit d’un travail transpartisan effectué dans un contexte de crise extrêmement grave où des faillites d’entreprises risquent de se profiler en cascade, la représentation envoie un signal fort. Certaines propositions engagent directement l’action du Gouvernement. Je pense, par exemple, à la levée de l’embargo avec la Russie, qui est un élément de décompression dans le monde de l’élevage, notamment bovin allaitant. Mais ce n’est pas une décision que vous pouvez prendre, madame la présidente.

Mme la présidente Frédérique Massat. En effet !

M. François Sauvadet. Nos collègues concluent leur rapport en parlant de confiance. Mais la confiance suppose d’agir. L’action doit être au rendez-vous du rapport que vous venez de nous présenter.

Nous sommes face à une réalité économique dont nous ne pouvons pas nous abstraire. On parle de relation de confiance entre les opérateurs. Mais que faire quand un opérateur détient 50 % du marché de l’abattage et qu’il ne veut pas se mettre autour de la table ? Quels sont les moyens pour le contraindre ?

La loi portant nouvelle organisation territoriale de la République a placé les grandes régions au cœur de l’action économique. Comment vont-elles s’approprier les enjeux agricoles puisque ce sont elles qui seront chargées des crédits européens ?

Si l’on veut redonner de la crédibilité à l’action du Parlement, il faut procéder à une évaluation régulière des conditions de prise en compte d’un rapport d’information qui concerne un secteur important pour l’avenir de notre économie.

Mme Béatrice Santais. Je souhaite évoquer une forme d’élevage un peu particulière : le pastoralisme, pratique vieille de 10 000 ans, qui n’existe plus guère que dans nos zones de montagne et qui vit des moments très difficiles en raison de la présence de certains prédateurs, et notamment du loup. La coexistence du loup et de l’agneau a toujours été difficile… Au-delà de la passion qu’il permet aux éleveurs d’exercer, le pastoralisme nous permet localement de consommer une viande de qualité et de sauvegarder la montagne, ses paysages.

Je crois qu’il faut aller au-delà des tirs que la ministre a autorisés récemment. Les éleveurs souhaitent entamer des discussions avec l’Europe sur la convention de Berne, afin de savoir s’il faut ou non continuer à protéger le loup qui n’est plus aujourd’hui une espèce en voie de disparition.

M. Damien Abad, président de la mission d’information. Je tiens à remercier l’ensemble des intervenants pour leurs propos.

Plusieurs orateurs, dont M. François Sauvadet, se demandent quelle est l’étape suivante, après l’adoption de ce rapport qui comprend 60 propositions qui recueillent pratiquement l’unanimité.

Comme vous l’avez dit, madame la présidente, un véhicule législatif s’offre à nous avec la loi Sapin 2. Il convient donc que les législateurs que nous sommes l’utilisent au maximum. Je suis favorable au dépôt d’amendements transpartisans en séance si certaines des propositions que nous avons formulées au plan national ne sont pas reprises dans le projet de loi.

La question de la régulation par les prix a été posée par plusieurs intervenants. Nous avons fait le choix de mettre l’accent sur les outils de régulation conjoncturelle qui sont liés à des phénomènes de crise et qui peuvent être acceptés par nos partenaires européens, et en premier lieu l’Allemagne. Nous avons été frappés par le fossé qui existe entre la France et l’Allemagne sur la question agricole. M. Jean-Pierre Le Roch a rappelé que l’Allemagne était très attachée au bien-être animal, sujet qui n’est pas toujours mis en avant par la France. Nous souhaitons un étiquetage qui mentionne l’origine, tandis que les Allemands sont favorables à un étiquetage sur le bien-être animal en tant que tel. Il faut donc réfléchir à des stratégies communes et harmoniser au maximum nos positions. Comme M. André Chassaigne, je considère qu’il faut dresser la liste des mesures eurocompatibles et essayer de les présenter lors de l’examen de la loi Sapin 2.

Au-delà des aspects européens, plusieurs propositions concrètes ont été mises en avant, qu’il s’agisse de la promotion de l’agro-tourisme, l’institutionnalisation d’un fonds de soutien à l’élevage et des relations avec la grande distribution.

Un mot sur les relations avec la grande distribution et les pratiques commerciales. Des mesures ont été prises dans la loi relative à la croissance, dite « Hamon » sur les pratiques commerciales abusives et la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances, dite
« Macron », a prévu des sanctions en matière de pratiques restrictives de concurrence. Malheureusement, force est de constater que la relation de dépendance que vous avez soulignée demeure.

La proposition n° 22 vise à redéfinir l’abus de dépendance économique et à rééquilibrer les relations difficiles entre les producteurs, les transformateurs et les distributeurs, et la proposition n° 31 prévoit de renforcer les pouvoirs de l’Observatoire des marges et des prix des produits alimentaires et à demander la publication d’un rapport semestriel sur l’évolution des prix qui ferait l’objet d’un véritable débat au Parlement : on constate parfois de réelles différences entre ce que l’on nous dit dans nos circonscriptions et les évaluations de l’Observatoire.

Mme Brigitte Allain est revenue sur l’harmonisation sociale et fiscale au niveau européen. Disons-le franchement : cela nous paraît impossible à vingt-huit, notamment quand on voit le fossé qu’il y a entre l’Allemagne et la France sur ce sujet. Il faut œuvrer pour des rapprochements, mais peut-être entre des pays de niveau équivalent. L’interprofession et la région sont des instances de dialogue et de décision. En Rhône-Alpes-Auvergne et en Bretagne notamment, il y a une vraie réflexion par filière. Les régions vont désormais contrôler l’ensemble des fonds européens, ce qui signifie qu’elles devront mener une vraie politique de filières et permettre de corriger certaines disparités.

Si nous avons choisi de mener une analyse comparative européenne, notre volonté n’était pas de faire un inventaire à la Prévert, mais plutôt de nous concentrer sur trois ou quatre grandes mesures qui pourraient être prises concomitamment avec d’autres pays pour essayer de créer un effet d’entraînement. Quelques dispositions peuvent être prises en matière de régulation. Plusieurs d’entre vous ont parlé de la montée en gamme et de la valorisation des produits. Effectivement, des éleveurs nous ont dit très clairement qu’il y avait là un moyen de regagner des parts de marché. M. Hervé Pellois a dit avoir rencontré des éleveurs heureux. Ils ne sont pas nombreux mais il en reste quelques-uns…

Enfin, nous proposons de stopper la surtransposition des normes européennes, d’obtenir des institutions européennes un moratoire sur les normes agricoles et d’imposer un recours systématique aux études d’impact préalables pour toute adoption de nouvelle norme affectant l’agriculture. De la même manière, il faut parvenir à un désarmement des agents de l’ONEMA. Si cette mesure est certes symbolique, il n’en demeure pas moins qu’il faut passer d’une logique de contrôle-sanction à une logique de contrôle-conseil – le conseil n’empêche pas le contrôle mais il facilite a priori le contrôle et la sanction a posteriori. C’est cette culture que l’on doit pouvoir faire évoluer. Pourquoi, comme l’a dit Mme Delphine Batho, ne pas reprendre la proposition de contrôles à blanc ?

Notre constat, vous l’avez vu, est très partagé. Il est très important que nous puissions mettre en œuvre au niveau national un certain nombre d’orientations qui ont été fixées dans le rapport. Certaines mesures sont complémentaires les unes des autres. Il conviendrait de les rassembler plutôt que de les détricoter, puis d’élaborer un message européen unique pour essayer de faire face à la crise de l’ensemble des filières d’élevage.

M. Thierry Benoit, co-rapporteur. Je considère que la France doit redevenir le premier pays producteur et exportateur d’Europe. Si l’on est d’accord avec cet objectif, je suis convaincu que les régions, qui ont été redécoupées, recalibrées et qui ont vu leur rôle économique renforcé, seront l’acteur majeur de la politique agricole et agroalimentaire. Quelqu’un a pris l’exemple de la Bretagne. C’est précisément ce cas qui m’a conduit à proposer la définition d’objectifs par région. Si j’étais mesquin, je ferais remarquer que la quasi-totalité des régions de France, à l’exception de l’Alsace, a été gérée pendant plus de dix ans par la même sensibilité politique… Moi qui suis un Breton averti et attentif, madame Corinne Erhel, j’observe que l’exécutif régional assiste impassible, depuis dix ans, à la disparition de la production agricole, à la déstructuration de la filière agroalimentaire. Il faut poser clairement le débat des potentiels de production des régions de France. Les filières ne sont pas les mêmes en Bourgogne, en Franche-Comté, en Bretagne ou en Aquitaine. Ainsi, la filière laitière bretonne est très importante et il y a encore quelques années, la Bretagne produisait 50 % de la production porcine française. Mais comme il se posait un problème environnemental en Bretagne, on a considéré qu’il allait se régler de lui-même avec la baisse de la production, puisque les exploitations fermaient les unes après les autres. Mais c’était oublier que derrière se pose la question de toute la filière agroalimentaire, des outils d’abattage et des outils de transformation. L’État doit définir, avec les régions, des objectifs précis afin que la France retrouve son rang de premier pays producteur et exportateur européen.

S’agissant de l’organisation des filières, nous avons constaté que les interprofessions se parlaient peu, et nous avons même vu certains des acteurs quitter une table ronde que nous avions organisée. Nous proposons dans notre rapport de travailler à des interprofessions « longues » en étendant les organisations interprofessionnelles à la distribution et à l’industrie de la transformation.

Cela m’amène au problème des quotas. Je pense que la France a mal anticipé la fin des quotas laitiers. Les pouvoirs publics, c’est-à-dire les politiques, les services de l’État et l’interprofession, s’y sont mal préparés. En 2007-2008, la contractualisation était vue comme la tarte à la crème. Mais on oubliait d’expliquer aux éleveurs laitiers français que pour avoir une contractualisation efficace, encore fallait-il des parties prenantes structurées et organisées. Depuis cinquante ans, la grande distribution et les centrales d’achat se sont structurées et organisées, de même que les coopératives et les entreprises privées. Par contre, les éleveurs sont plutôt d’obédience entrepreneuriale, libérale et individuelle, hormis celles et ceux qui étaient déjà organisés en coopératives. Certains éleveurs n’étaient donc pas du tout préparés à intégrer une organisation de producteurs. Les représentants des associations d’organisations de producteurs que nous avons rencontrés nous ont demandé une réelle reconnaissance. Nous devons, à travers les textes et les règlements, reconnaître en France les associations d’organisations de producteurs et les aider à se structurer, à s’organiser et à discuter avec les partenaires de la filière, les industriels et les distributeurs pour élaborer à terme des contractualisations tripartites qui prennent en compte la question de la construction des prix des produits agricoles dans les prix de vente.

L’été dernier, M. Stéphane Le Foll a réuni les acteurs de la filière porcine et leur a dit qu’un prix du porc au-dessous de 1,40 euro le kilo ne permettait pas à nos éleveurs de vivre : c’est un peu cela la prise en compte de la construction du prix dans le prix de vente.

Mme Corinne Erhel a évoqué la publicité comparative et le site quiestlemoinscher.com. En fait, on y apprend au consommateur français qui n’a pas un fort pouvoir d’achat comment vivre sans dépenser beaucoup d’argent. Alors, on met sur le marché des produits qui ne sont pas chers. Il faudrait plutôt intégrer dans les relations commerciales une dose d’éthique et de loyauté et proposer des sites tels que « quiestlepluséthique.com » ou « quiestleplusloyal.com ».

Je suis conscient de la qualité de ce rapport, que vous avez tous reconnue – d’autant que je l’ai co-écrit avec Annick Le Loch (sourires), mais comme tous les autres, ce rapport n’est qu’une étape ; les choses ne s’arrêtent pas aujourd’hui. Alors que je vous parle, il fallait bien boucler notre travail, mais j’ai encore des propositions plein la tête, notamment en ce qui concerne la montée en gamme dont a parlé à juste titre Mme Delphine Batho. Pour partager de la richesse, il faut créer de la valeur ajoutée. Elle a parlé, à juste titre, de maltraitance administrative – j’ai apprécié cette expression – et des excès d’une bureaucratie qui ne se résume pas à l’environnement.

J’ai parlé des contrôles sanitaires, environnementaux et administratifs. En fait, dans ce pays on complique la vie de nos éleveurs, de nos artisans et de nos PME-PMI. Bref, on complique la vie de celles et ceux qui entreprennent. Il faut les laisser respirer et leur faire confiance car nous sommes entourés de gens honnêtes, sérieux, professionnels. Si l’on change de postulat, on peut contribuer à réduire les problèmes de prix à défaut de la régler totalement.

Notre rapport fait référence au rapport déposé par MM. François André et Marc Le Fur sur la fiscalité agricole. J’aimerais qu’on ait une fiscalité incitative, ou du moins que l’on encourage, que l’on réfléchisse à exonérer du foncier non bâti toutes les surfaces dédiées aux prairies, à l’autonomie fourragère, et tout ce qui encourage les protéines d’origine végétale ou les oméga 3. Moi qui viens de subir un double pontage, j’ai pris conscience de l’importance des oméga 3 qui sont sains pour les maladies cardiovasculaires.

M. Antoine Herth. Et comme le bon vin !

M. Thierry Benoit, co-rapporteur. Tout à fait !

Dans ma circonscription de Fougères sont implantées l’association
Bleu-Blanc-Cœur et l’entreprise Valorex qui travaille sur des produits à base de lin.

On pourrait exonérer totalement de foncier non bâti les éleveurs qui augmenteraient leurs surfaces de prairies ou développeraient la culture de légumineuses, par exemple de trèfle, de luzerne, de lupin ou de lin.

Monsieur Hervé Pellois, comme vous, nous avons rencontré des agriculteurs qui s’en sortent bien car ils sont dans des filières structurées, organisées. Ce sont souvent des circuits courts, là où il y a de l’éthique et de la loyauté, là où le producteur est en contact avec le consommateur et où il n’y a pas trop d’intermédiaires.

Dans notre pays, la profession agricole s’est bien structurée. C’est le cas notamment du secteur coopératif. Nous souhaiterions que les coopératives soient éligibles au crédit d’impôt recherche, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. On pourrait peut-être ajouter cette proposition qui ne figure pas dans le rapport dans ma contribution annexe. Il y a là un vecteur possible de création de valeur ajoutée, de produits nouveaux à mettre sur le marché.

Mme Annick Le Loch, co-rapporteure. Les contributions des uns et des autres enrichissent les propositions sur lesquelles nous avons travaillé depuis des mois.

Effectivement, il convient de trouver un prolongement au rapport que nous avons effectué, car on ne peut pas admettre qu’un travail aussi conséquent et enrichissant et qui recueille un large consensus s’arrête là. Mais je ne sais pas comment il pourrait être prolongé. Peut-être pourrions-nous le faire par le biais d’un comité de suivi. Les choses n’ont pas été faciles pour nous car la crise est profonde et elle perdure. Il s’est passé des choses entre le mois d’octobre, au moment où nous avons commencé nos travaux, et aujourd’hui, puisque des décisions fortes ont été prises par le Gouvernement en matière de baisse des charges, d’aides d’urgence, même si M. Philippe Le Ray n’est pas d’accord sur ce point.

M. Philippe Le Ray. Je n’ai pas dit que c’était mal !

Mme Annick Le Loch, co-rapporteure. Vous avez dit que c’était insuffisant.

Nous souhaitons prolonger les initiatives qui ont été prises par le Gouvernement. Plusieurs intervenants souhaitent la régulation, qui n’est plus considérée aujourd’hui comme un gros mot. Quand une filière est en surproduction, il faut parler régulation ; car les prix sont mondiaux, ils dégringolent et nos producteurs ne s’en sortent pas.

J’ai découvert qu’il existait, dans le cadre de l’OCM, des outils de régulation qu’il suffisait d’activer. S’agissant du lait, le ministre français a été le premier à aller discuter avec ses homologues européens et à demander l’activation des outils de régulation de la production existants – il s’agit des articles 219, 221 et 222 de l’OCM. Il existe différents niveaux d’intervention par l’intermédiaire de ces articles.

La filière laitière, par exemple, est favorable à la réduction de la production, qui n’a augmenté que de 1,5 point en 2015, alors que l’Allemagne et les Pays-Bas, qui sont de gros producteurs de lait, ont augmenté la leur dans des proportions beaucoup plus importantes. On le voit, c’est par le dialogue et les échanges divers au niveau européen que les choses se passent. Nous pouvons faire confiance à la détermination et à la volonté du ministre de l’agriculture pour faire en sorte que ses homologues l’entendent. Nous préconisons d’agir plus en profondeur afin de permettre à nos producteurs d’anticiper les crises. Il ne s’agit pas seulement d’être confronté aux crises de surproduction, encore faut-il pouvoir les anticiper pour que nos producteurs s’en sortent économiquement et que leur activité perdure.

Il se passe tout de même quelque chose dans ce pays. Nous ne sommes pas encore totalement déclassés, cher collègue rapporteur : nous restons le premier pays producteur de viande bovine et de volaille, et nous pouvons retrouver des marges de manœuvre. La grande distribution accepte enfin de s’asseoir autour de la table. Elle s’est rendu compte que s’il n’y a plus de production, il n’y aura plus de produits agroalimentaires, donc plus de produits. La France a une industrie laitière et une industrie agroalimentaire de très haut niveau avec des produits de qualité présents dans les rayons des supermarchés. La guerre des prix doit cesser car elle est destructrice de valeur et d’emplois sur le territoire. J’espère que l’on pourra y mettre fin prochainement. Je ne sais pas si on y parviendra par la loi, car la loi ne règle pas tout. On l’a bien vu avec la loi relative à la consommation : on a voulu formaliser les choses de manière que les distributeurs respectent la loi ; or aujourd’hui ils ne la respectent pas.

Certaines organisations de producteurs ont signé des contrats tripartites tandis que d’autres n’en ont pas du tout. Le fonctionnement est très variable d’un secteur à l’autre, d’une région à l’autre. Tout cela nécessite d’être examiné de près. Mais il ne faut pas critiquer l’un pour encenser l’autre. Les négociations commerciales durent de décembre à février. C’est un moment compliqué pour les chefs d’entreprise, les fournisseurs et les PME, mais un moment important. Il faut regarder ce qui se passe en France. La réalité est la même à l’échelle de l’Europe, c’est-à-dire que partout les distributeurs sont très puissants et très concentrés. Il faut en effet les interpeller à nouveau, leur expliquer qu’ils sont en train de détruire notre économie nationale et que cela ne peut pas durer.

Enfin, n’oublions pas que nous faisons des propositions en direction des professionnels. Tout à l’heure on a dit que les interprofessions ne fonctionnaient pas bien dans les secteurs du lait et la viande bovine. Les professionnels doivent eux aussi se prendre en main, s’organiser pour peser davantage. Les organisations de producteurs doivent être renforcées.

Mme la présidente Frédérique Massat. Des pistes ont été évoquées par les rapporteurs et par le président de la mission d’information sur les suites à donner à ce rapport. Il est évident que le véhicule législatif qu’est la loi Sapin 2 sera l’occasion de porter des amendements. Si ce n’est pas suffisant, nous pouvons éventuellement travailler sur une proposition de loi, mais le temps législatif qui nous reste jusqu’à la prochaine législature est fort court.

Je proposerai l’organisation d’une table ronde avec les régions…

Mme Jeanine Dubié. Très bien !

Mme la présidente Frédérique Massat.… afin d’évoquer l’ensemble de ces problématiques et voir comment, avec les nouvelles compétences qui sont dévolues aux régions, faire le lien entre le travail du territoire et le travail national. Je proposerai donc l’organisation de cette table ronde au bureau dès la semaine prochaine, afin qu’elle soit mise sur pied rapidement.

Je considère que ce rapport est une étape. Si vous le souhaitez, je peux le transmettre de façon officielle aux différents acteurs que vous avez cités, aux niveaux européen et national, et instaurer des relations de travail à travers le groupe que vous avez formé avec le Gouvernement afin de faire avancer certains sujets. Comme vous l’avez dit tout à l’heure, toutes les mesures ne sont pas d’ordre législatif ; un certain nombre relève du domaine réglementaire. Il faut voir comment on peut travailler avec la profession, comment on peut structurer un travail de fond qui puisse prendre en compte toutes nos propositions et peut-être en ajouter d’autres car ce rapport doit continuer à vivre jusqu’à la fin de notre mandat. Nous trouverons toujours un moyen, sous une forme administrative ou une autre, pour vous accompagner afin que vous puissiez poursuivre votre travail. Pour peu naturellement que notre Commission en autorise la publication…

La Commission autorise, à l’unanimité, la publication du rapport d’information.

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 30 mars 2016 à 9 h 30

Présents. – M. Damien Abad, Mme Brigitte Allain, M. Frédéric Barbier, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. Philippe Bies, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Marcel Bonnot, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, M. Yves Daniel, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Christian Franqueville, M. Franck Gilard, M. Georges Ginesta, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Yves Jégo, M. Henri Jibrayel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Thierry Lazaro, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Yannick Moreau, M. Philippe Naillet, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, Mme Josette Pons, M. Dominique Potier, M. Franck Reynier, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Jean-Marie Tétart, Mme Catherine Troallic, M. Fabrice Verdier

Excusés. – M. Bruno Nestor Azerot, M. Denis Baupin, M. Jean-Claude Bouchet, M. Daniel Fasquelle, M. Daniel Goldberg, Mme Pascale Got, M. Philippe Kemel, M. Serge Letchimy, M. François Pupponi, M. Bernard Reynès, M. Thierry Robert, M. Frédéric Roig, M. Michel Sordi, M. Jean-Charles Taugourdeau, Mme Catherine Vautrin

Assistaient également à la réunion. – M. François André, M. Guillaume Chevrollier, Mme Sophie Rohfritsch, M. François Vannson