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Commission des affaires économiques

Mercredi 18 mai 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 77

Présidence de Mme Frédérique Massat, Présidente

–  Table ronde sur les commerces de centre-ville, avec la participation de M. Gérard Atlan, président du Conseil du commerce de France (CdCF), M. Bernard Morvan, président de la Fédération nationale de l’habillement (FNH), M. Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France (CDF), M. David Mangin, urbaniste, et M. David Lestoux, consultant du cabinet Cibles & stratégies

La commission a organisé une table ronde sur les commerces de centre-ville, avec la participation de M. Gérard Atlan, président du Conseil du commerce de France (CdCF), M. Bernard Morvan, président de la Fédération nationale de l’habillement (FNH), M. Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France (CDF), M. David Mangin, urbaniste, et M. David Lestoux, consultant du cabinet Cibles & stratégies.

Mme la présidente Frédérique Massat. Chers collègues, nous allons commencer cette table ronde, qui a pour objet les commerces de centre-ville.

Nous avons le plaisir de recevoir M. Gérard Atlan, président du Conseil du commerce de France (CdCF), M. Bernard Morvan, président de la Fédération nationale de l’habillement (FNH), M. Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France (CDF), M. David Mangin, urbaniste, et M. David Lestoux, consultant du cabinet Cibles & stratégies.

Un certain nombre de nos collègues, dont Mme Annick Le Loch, qui travaillent sur ce sujet, ont souhaité étudier la thématique du commerce de centre-ville, tant du point de vue de la situation des commerces que du point de vue urbanistique.

Il y a une vacance commerciale importante, avec une proportion de magasins vides, qui progresse d’année en année depuis quinze ans. En 2014, le taux atteignait en moyenne 8,5 % pour les 300 plus grandes villes de France, ce chiffre étant plus élevé dans les petites villes et les villes moyennes.

Cette table ronde fait suite à la mission lancée en février dernier par Mmes Pinel et Pinville pour revitaliser les commerces de centre-ville. Cette mission a été confiée à l’Inspection générale des finances (IGF) et au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). Les travaux devraient être terminés fin juin. À cette occasion, notre commission aura à en connaître les résultats.

La présente table ronde a pour but de dresser un état des lieux, mais aussi de faire des propositions.

M. Gérard Atlan, président du Conseil du commerce de France (CdCF). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de votre invitation.

J’ai été bijoutier pendant quarante-cinq ans, à Sceaux, dans un centre-ville qui a beaucoup évolué au fil des ans et qui a fait ce qu’il fallait pour rester présent face aux centres commerciaux, comme Vélizy 2. Il a pu conserver sa clientèle grâce à la qualité de ses commerçants et à celle de l’accueil, qui est primordial pour fidéliser les clients.

Le Conseil du commerce de France est une organisation qui rassemble toutes les fédérations du commerce, de la grande distribution au commerce indépendant de centre-ville, dans le domaine de l’équipement de la personne et du foyer. Toutes les formes de commerce sont représentées au conseil d’administration du CdCF.

Nous sommes aussi présents dans les territoires. Nous nous occupons des centres-villes, des zones rurales, des périphéries, d’internet, et nous représentons toutes les structures juridiques du commerce : commerçants indépendants isolés, commerçants associés, franchisés.

Le rôle du CdCF est de promouvoir et défendre le commerce en travaillant avec le Parlement et les acteurs locaux.

Nous veillons à la bonne et juste prise en compte des intérêts du commerce dans la mise en œuvre des politiques. Nous sommes là pour expliquer ce qu’est le commerce et ce qu’il représente en termes d’emploi : 790 000 entreprises, 3,5 millions d’emplois. Le commerce est une force importante, parfois méconnue en tant qu’intégrateur social. Nombre de collaborateurs n’avaient pas de diplôme lorsqu’ils ont obtenu leur premier emploi. Le commerce forme les jeunes et essaie de les conserver dans ce secteur au moyen de promotions internes.

Le rôle du Conseil du commerce de France est de nous faire connaître des pouvoirs publics, via nos outils de communication, nos manifestations, nos états généraux. Le groupe de liaison Parlement-Commerce s’est réuni hier dans un appartement de l’hôtel de la Questure, où une trentaine de parlementaires ont suivi un débat fort intéressant sur la sécurité dans les villes. Nous sommes présents dans tout ce qui a trait au commerce et aux commerçants.

Pour répondre à la demande de certains élus, nous avons édité le Guide du commerce de centre-ville. Monsieur Bernard Morvan, qui l’a élaboré avec nos équipes, qui vous en parlera tout à l’heure. Sa première qualité est d’expliquer ce que sont les bonnes pratiques, mais, puisque nous sommes des commerçants, je laisserai à M. Bernard Morvan le soin de vous vendre ce guide ! (Sourires.)

Je reste persuadé que l’avenir du commerce appartient d’abord aux commerçants. Bien sûr, il faut que les pouvoirs publics nous aident à mettre en scène la ville, mais la réussite du commerce appartient aux commerçants.

Il y a deux types de commerces : le commerce organisé et le commerce indépendant. Le commerce indépendant a une force : c’est un commerce agile car il doit s’adapter en permanence. Il est tenu par un commerçant qui connaît ses clients qui, eux-mêmes, connaissent leur commerçant. Ce sont des relations personnalisées.

Cela étant, il faut que le commerçant et la ville s’adaptent aux évolutions des clients. Dans ma bijouterie, j’ai toujours rêvé d’avoir peu de clients et de les recevoir sur rendez-vous, mais il faut être présent, à leur écoute. Un commerçant doit écouter les critiques de ses clients, car c’est grâce à ces critiques qu’il pourra évoluer et mieux tenir son rôle.

Notre guide est un mode d’emploi efficace. Pour faire évoluer le commerce, quelle que soit la taille du centre-ville, il faut s’appuyer sur un dialogue constructif et permanent avec les élus locaux, les chambres consulaires, les commerçants et les associations de commerçants.

Le commerce repose sur trois piliers, voire quatre. Il repose sur les associations de commerçants, la municipalité, les chambres de commerce, ainsi que sur le talent des commerçants et leur volonté d’être en phase avec leurs clients.

Le commerçant indépendant a beaucoup de « casquettes » dans son entreprise. Il trouve parfois que les clients le dérangent parce qu’il était en train de faire ses comptes, par exemple, mais, dans un commerce, le client est la personne la plus importante.

Il faut renforcer les associations de commerçants et faire en sorte d’avoir, dans chaque ville, chaque fois que c’est possible, un manager de centre-ville qui soit la courroie de transmission entre la municipalité et les commerçants. C’est l’homme à qui l’on va dire ce que l’on n’ose pas dire au maire ; c’est l’assurance d’une écoute permanente. Il faut également une politique globale d’aménagement de la ville visant à la mixité urbaine.

On a, au siècle dernier, construit trop de centres-villes à la campagne. Ensuite, on a reconstruit des centres-villes en chassant les habitants des villes, parce que les loyers étaient chers et qu’il n’y avait pas assez d’habitations. Le commerce de centre-ville fonctionnera s’il conserve des clients au plus près des commerçants.

Il faut aussi essayer de penser les centres-villes comme des centres commerciaux en plein air. Tout n’est pas rose dans les centres commerciaux, mais ils ont un savoir-faire pour attirer le client – je pense notamment aux parkings. Le client, lui, va où il veut. C’est donc le même qui, un jour, fréquente les centres commerciaux, le lendemain, les centres-villes. De la même façon, il tapera le code de sa carte bancaire chez le commerçant de son choix. On n’éduque pas le consommateur : on le conseille, on l’assiste, on est à l’écoute de ses besoins. Tel est le rôle du commerçant.

Au Conseil du commerce de France, nous sommes très préoccupés par les difficultés que connaissent certains centres-villes. Aujourd’hui, tout le monde est d’accord pour effectuer un diagnostic des centres-villes et essayer de faire progresser les commerces de proximité. Voilà le message que je voulais vous faire passer.

M. Bernard Morvan, président de la Fédération nationale de l’habillement (FNH). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je suis ravi de pouvoir intervenir devant vous. Nous menons des travaux, dans le cadre de la Fédération, depuis plusieurs années, mais au début, nous n’étions pas très écoutés.

Aujourd’hui, nombre d’observateurs et d’acteurs se préoccupent de la situation des centres-villes.

Au départ, nous voulions faire apparaître la difficulté d’exercer son métier normalement dans un centre-ville qui se paupérise. La Fédération nationale de l’habillement est adhérente du Conseil du commerce de France, dont je suis l’un des administrateurs. Le président Gérard Atlan m’a chargé de mener les travaux, qui ont abouti à la rédaction du Guide du commerce de centre-ville.

Je vais vous montrer l’intérêt de disposer d’un tel document, dans les municipalités, pour les adjoints au commerce qui, souvent, n’ont pas d’appétence pour le sujet et se trouvent rapidement confrontés aux attentes des commerçants, lesquels ne sont pas forcément tous des pleurnichards…

Ce guide entend donner aux élus la possibilité d’établir un diagnostic dans la ville, puis d’essayer de le faire partager par tout le monde. Le « diagnostic partagé » est une formulation que l’on entend aujourd’hui dans nombre de débats. À juste titre, car s’il n’est pas partagé, il y aura des oppositions et on ne pourra pas avancer.

La première étape consiste donc à faire partager le diagnostic sur la situation de la ville à l’ensemble des acteurs, qui pourront agir pour faire évoluer favorablement le commerce en centre-ville.

La deuxième partie de ce guide concerne les actions à mener, qui tournent autour de l’aménagement du territoire et de l’attractivité des commerces, car on ne fera pas venir des gens dans le centre-ville si les commerces ne sont pas attractifs, si l’offre ne correspond pas aux attentes du consommateur d’aujourd’hui.

Nous pensons qu’il faut faire de ce consommateur un client « militant » du centre-ville. Il nous faut aujourd’hui promouvoir le commerce de centre-ville et faire en sorte qu’il s’organise autour de la qualité des produits et des services offerts.

La troisième partie de ce guide a pour objet le dialogue entre tous les acteurs et observateurs pour le bien commun que constitue le centre-ville. S’agissant d’un bien commun, la collectivité doit comprendre qu’un centre-ville qui ne vit pas, ce sont des clients et des habitants qui le fuient.

On sait par ailleurs que 15 % de la population en Europe n’a pas de moyens de locomotion, a un handicap ou une mobilité réduite, ou encore est constituée de seniors. Travailler de façon à répondre aux besoins du quotidien pour cette catégorie de la population est un enjeu économique des centres-villes. L’un des atouts du centre-ville est donc de se tourner vers l’économie du vieillissement. Aujourd’hui, il faut s’en préoccuper, car il y a une véritable attente en la matière.

J’ai oublié de le préciser, mais je suis commerçant en activité depuis quarante ans et j’ai trois magasins. Je connais donc bien le métier de commerçant. La solution, pour nous, passe par le dialogue avec les élus. Je pense que les commerçants tout seuls n’y arriveront pas et que les élus tout seuls auront beaucoup de difficultés à y arriver. Les pouvoirs publics doivent se préoccuper de cette question.

Le deuxième enjeu est social. En tant que président de branche, je négocie la convention collective. Je peux vous dire qu’aujourd’hui, dans les centres-villes, l’emploi salarié diminue. C’était le cas, il y a quelques années, dans toutes les villes de moins de 50 000 habitants. Aujourd’hui, dans notre branche, c’est le cas dans les villes de moins de 100 000 habitants.

Le dernier enjeu est environnemental. La transition énergétique est un sujet qui doit tous nous interpeller. Nous devons aller vers le bas carbone dans les magasins et peut-être réhabiliter du bâti commercial ancien. C’est un enjeu énorme, qui donnerait beaucoup de travail à nos artisans.

M. Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France (CDF). Je suis aujourd’hui devant vous pour vous parler de la frange économique que je représente, c’est-à-dire essentiellement les très petites entreprises : dix-sept branches professionnelles, des fédérations professionnelles alimentaires et non alimentaires, ainsi que des professions libérales. Le commerce est un grand ensemble qui compte 350 000 entreprises, 500 000 points de vente et un peu moins d’un million de salariés. J’accompagne les entreprises, les commerçants dans leurs combats et je transmets leurs doléances au monde politique, que vous représentez.

Notre confédération fête son cent-dixième anniversaire, auquel vous serez d’ailleurs conviés.

Dans un premier temps, cette structure a rassemblé les indépendants, puis, au fil du temps, les indépendants alimentaires.

Pour ma part, je ne représente que des très petites entreprises et des micro-entreprises, qui sont, pour 99 % d’entre elles, situées en centre-ville. Cela étant, je ne limiterai pas mon propos au commerce de proximité. Je vous parlerai également des territoires.

Mes collègues ont évoqué des points essentiels, et je me rallie à leurs propos. Mais il est très important, pour moi, de m’exprimer aujourd’hui devant vous, d’autant que j’ai travaillé, depuis plusieurs années, sur un projet qui est en phase d’aboutissement.

Aujourd’hui, compte tenu de l’état des lieux, on ne peut que constater un dépérissement des centres-villes, que j’explique également par un développement du périurbain depuis les trente dernières années.

Il y a eu les Trente Glorieuses, marquées par l’épanouissement de l’activité économique. Puis des crises économiques sont survenues et un déséquilibre s'est installé. Il faut savoir que 70 % du commerce alimentaire se fait dans les périphéries. La France est le pays qui compte le plus de grandes surfaces au mètre carré. Cela veut dire que le développement urbanistique s’est fait parfois de façon délibérée.

Des commissions de travail se sont réunies. Il y a quelques années, je m’apprêtais à entrer dans l’équipe de travail du député Jean-Paul Charié qui, malheureusement, n’est plus de ce monde.

Mme la présidente Frédérique Massat. Il s’est, en effet, beaucoup investi.

M. Francis Palombi. Comme vous le dites, Madame la présidente, il s’est beaucoup investi. Il a beaucoup travaillé, beaucoup voyagé, et il avait déjà, à cette époque, trouvé la solution pour réorganiser les centres-villes.

Le projet que j’évoquerai plus en détail tout à l’heure n’est pas destiné essentiellement à l’animation des centres-villes. En ce qui concerne la revitalisation des centres-villes, Mme Pinel a fait un très gros travail en dotant notre pays de lois sur le plan du commerce de centre-ville. Rien n’est parfait en ce monde, mais des bases fortes ont été définies au travers de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), ou de dispositifs concernant la ruralité, l’encadrement des loyers, etc.

En tant que président de la Confédération des commerçants de France, j’estime qu’il manque un dispositif. Après l’avoir cherché en Italie, en Espagne, au Portugal, en Belgique et au Royaume-Uni, je suis allé un peu plus loin. Je travaille également dans des commissions européennes, avec les Vitrines d’Europe et avec des confrères belges, entre autres, qui sont très mobilisés. Le modèle que je vais vous proposer, et que j’ai trouvé au Québec, résulte du travail de la CDF, mais aussi de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), de la chambre de commerce et d’industrie et des chambres de métiers, les chambres consulaires jouant un rôle particulièrement important dans ce projet.

Le modèle québécois a vu le jour en 1982 ; il s’inspire d’un dispositif construit dans l’Ontario dans les années 1970. Je ne suis pas venu, comme mes collègues, vous proposer une série de mesures, mais un nouveau modèle d’organisation et de gestion du centre-ville, qui donne le pouvoir aux entrepreneurs.

Mesdames, Messieurs les députés, à chacun son rôle, à chacun sa place. Il y a l’acteur privé, l’entrepreneur, le chef d’entreprise. Les PME, les TPE et les micro-entreprises sont un pan économique de notre société, où elles jouent un rôle dans la qualité, la formation permanente de leurs cadres, de leurs commerçants, de leurs employés.

Pour compléter les dispositifs de la loi Pinel et d’autres lois adoptées ces dernières années, il faut une véritable organisation, un véritable outil de gestion, comme celui que les Québécois ont mis en place. Mais le modèle québécois n’était pas directement applicable en France.

Nous avons travaillé pendant de longs mois, au début en collaboration avec les Québécois. J’ai organisé avec eux un grand colloque international de la francophonie, auquel a participé une délégation française de trente-trois personnes, dont des parlementaires et des représentants professionnels, ainsi que la secrétaire d’État Martine Pinville, qui est venue à Montréal pour y assister.

Je propose aujourd’hui un outil de gestion qui sera mis à la disposition – au travers, je l’espère, d’une loi future qui complètera les dispositifs actuels – de tous les entrepreneurs, pas seulement des commerçants, mais aussi des artisans et des professions libérales, pour retrouver un équilibre et favoriser les échanges permanents avec le périurbain. Car le périurbain fait partie du paysage commercial. Ce n’est pas moi qui vais vous dire : « À bas les grandes surfaces ! Vive les petits commerçants ! ». C’est un discours que nous ne devons plus jamais entendre.

M. David Mangin, urbaniste. Je me suis intéressé aux questions d’urbanisme commercial dans un premier ouvrage, intitulé La ville franchisée, dans lequel j’essaie d’analyser le développement des périphéries, ces trente dernières années, pas uniquement en France.

Je me suis également occupé, pour le ministère, d’un programme sur l’urbanisme commercial, centré sur dix villes. J’ai coordonné ce programme, qui a donné lieu à un petit ouvrage, intitulé Du Far West à la ville.

J’ai été appelé à travailler, dans le cadre de mon activité professionnelle, sur des centres-villes qui ne se portaient pas bien. Nous avons engagé un programme, dans le cadre d’un enseignement que nous faisons à Marne-la-Vallée, sur dix villes moyennes.

Si l’on veut remédier à la situation préoccupante du commerce en centre-ville, il faut la connecter à d’autres questions. M. Gérard Atlan a dit tout à l’heure qu’il fallait parler des clients. Les clients, ce sont des résidents, des visiteurs, des touristes. Par conséquent, outre le fait d’améliorer et de moderniser le commerce, il faut d’abord se demander comment faire pour que ce soit confortable. Est-ce uniquement en parachutant en centre-ville les procédés de la grande distribution et en faisant des rues franchisées qu’on va résoudre le problème ? C’est un peu plus complexe.

Nous avons pris des indicateurs dans la dizaine de villes sur lesquelles nous essayons de construire des projets et de trouver les bons effets de levier. Nous nous sommes aperçus, par exemple, que le chômage, la vacance commerciale, la vacance résidentielle et le modèle économique de la ville pouvaient varier. Certaines villes sont très dépendantes de l’emploi public, tandis que d’autres ne dépendent plus que d’une entreprise. Tout cela est donc extrêmement fragile.

Pour faciliter la discussion, on emploie le terme de « centre-ville », mais il faudrait trouver d’autres termes, parce qu’on est peut-être arrivé à la notion de « péricentres », si l’on tient compte de l’endroit où habitent les gens et de l’endroit où ils consomment aujourd’hui, du rôle des centres, de leur taille.

Du point de vue urbanistique, ces centres peuvent être très compacts ou beaucoup moins, ils peuvent occuper un carrefour routier, ils peuvent aussi être soumis à la question patrimoniale, ce qui peut être un avantage ou un inconvénient. C’est tout cela qu’il faut prendre en compte.

Je vais vous donner quelques pistes simples.

La question de la grande distribution reste centrale. J’essaie de convaincre les grandes surfaces qu’un certain nombre de centres commerciaux, qui sont maintenant gagnés par les faubourgs des villes, doivent se transformer et accepter de sortir du modèle no parking, no business, afin que des logements puissent être construits à la place des parkings.

Ils ont accepté très difficilement que les transports en commun et les tramways arrivent à leurs parkings. Au bout du compte, ils s’y sont faits. Il y a déjà des centres commerciaux qui font ou qui devraient quasiment faire partie du centre-ville, participant ainsi à la synergie des itinéraires commerciaux entre les rues commerçantes et les centres commerciaux.

En ce qui concerne la grande distribution, à mon avis, c’est toujours la même affaire, quoi qu’on en dise : toujours plus loin, toujours plus grand, ce qui casse toujours plus le centre-ville. En dépit des paroles vertueuses, la pratique reste bien celle-là.

Par ailleurs, l’une des ressources de ces centres est le tourisme. Il faut travailler à élargir les itinéraires touristiques, les rendre confortables, ne pas les limiter aux deux croisées des rues les plus anciennes. Il faut réfléchir à la façon de fabriquer du loisir et étendre la zone de chalandise ou de déambulation.

J’en viens à la question des rez-de-chaussée, qui sont le lieu privilégié du commerce. C’est un sujet de préoccupation, car le commerce a besoin d’un effet de « souk », d’une continuité commerciale. C’est aujourd’hui un problème général d’urbanisme, on ne sait pas bien traiter les rez-de-chaussée. Faire habiter les gens au rez-de-chaussée n’est pas toujours facile, notamment dans les centres compacts. Il faut être très inventif en la matière, trouver des systèmes de baux commerciaux provisoires, faire venir des étudiants, ou des gens de façon temporaire, trouver des activités, y compris celles liées à l’économie numérique, qui donnent une image plus jeune de la ville. L’un des problèmes des centres-villes est que les jeunes partent avec une image vieillotte de la ville. Or s’ils partent faire des études, ils reviendront volontiers s’ils voient que la ville a bougé, même s’ils sont obligés d’aller faire leurs études dans une ville plus importante. La question des rez-de-chaussée est donc cruciale.

J’examine à présent l’attractivité des centres-villes.

Il y a aujourd’hui une crise du financement public des équipements et de leur modèle de fonctionnement : je pense aux maisons de la culture et aux médiathèques. Je pense qu’il faut, sinon les mutualiser, au moins les faire marcher ensemble.

Au Brésil, le SESC, serviço social do comerço, que l’on peut traduire par « service social du commerce », est un modèle intelligent, mis en place dans les très grandes villes. Les commerçants et les entrepreneurs paient une petite cotisation pour monter des ensembles dans lesquels on fait de la restauration, du sport, des loisirs, du théâtre, des expositions. C’est un véritable carrefour où des publics très différents peuvent se croiser dans la journée.

Réussir à mettre en place ce type de structure, à mon avis, générerait des économies, en termes de mutualisation et favoriserait la rencontre de populations diverses, ce qui ne pourrait que profiter aux centres-villes. Cela permettrait aussi de transformer des bâtiments existants, pour un coût inférieur à celui d’équipements neufs, que les Français savent faire, mais dont les frais de fonctionnement sont ensuite difficile à assurer.

Il faut choisir les bons effets de levier, qui diffèrent selon les villes et les situations.

M. David Lestoux, consultant du cabinet Cibles & stratégies. Je codirige le cabinet Cibles & stratégies, basé dans l’Ouest de la France. Nous avons deux ports d’attache, à Saint-Brieuc et à Nantes, mais nous travaillons depuis une vingtaine d’années sur la question de l’urbanisme commercial dans les petites villes et les villes moyennes, partout en France.

Au-delà de l’urbanisme commercial, nous nous sommes davantage intéressés, depuis quelques années, à l’avenir des centres-villes, en travaillant sur des villes comme Aubenas, Montbéliard, La Rochelle, La Roche-sur-Yon, mais aussi sur de plus petites villes puisque nous sommes aussi engagés auprès de douze des cinquante-quatre communes lauréates de l’appel à manifestation d’intérêt sur la question de la revitalisation.

Vous avez introduit cette séance en rappelant le taux de vacance commerciale. En effet, le taux de vacance moyen du commerce dans les centres-villes se situe aux alentours de 8 % ou 9 %, et atteint 12 % à 14 % dans les villes de plus petite taille. Ce taux de vacance commerciale est-il le symptôme d’un commerce qui souffre économiquement, ou bien la conséquence d’un centre-ville qui ne joue plus son rôle de centralité ? La réponse est dans la question.

Depuis une dizaine, voire une quinzaine d’années, les cœurs de ville voient partir les professions médicales, les services au public et les habitants. On se retrouve aujourd’hui avec des cœurs de ville qu’on aimerait voir fonctionner commercialement, mais qui n’ont plus de clientèle de proximité.

Selon les derniers chiffres de l’INSEE, le taux de vacance de l’habitat dans les cœurs de ville franchit allègrement la barre des 20 % dans les villes moyennes. On constate, de surcroît, une paupérisation des habitants de proximité dans les cœurs de ville, où l’on a fait beaucoup de ventes de logements « à la découpe », ce qui fait qu’on n’y accueille plus que des débuts et des fins de parcours résidentiel.

Les cœurs de ville souffrent, selon nous, d’une insuffisance de la clientèle de proximité. Dans des villes de 25 000 habitants, on s’étonne de ne trouver que deux boulangeries dans le cœur de ville. Or sur les 25 000 habitants, seuls 2 500 habitent le cœur de ville. Cette organisation commerciale est assez logique, puisque l’habitat se périphérise.

Un autre facteur expliquant les difficultés des commerces de cœur de ville est la périphérisation des services médicaux.

J'étais, hier soir, dans une commune de la Drôme, pour une réunion sur la revitalisation du cœur de ville. J’ai constaté que la maison médicale allait se retrouver à l’extérieur. Quelques groupes de distribution nous ont expliqué que le commerce de demain se ferait là où il y aurait des médecins et que les galeries marchandes seraient peut-être progressivement remplacées par des cabinets médicaux – cela a d’ailleurs déjà commencé – ou des laboratoires d’analyses. Si l’on veut que le commerce de cœur de ville fonctionne, il va falloir conserver en cœur de ville les équipements qui créent du flux.

La périphérisation du commerce est le troisième phénomène expliquant cette vacance. Je ne placerai pas le débat sur l’opposition entre le commerce de détail et la grande distribution. Selon les études que nous avons menées entre 2014 et 2015 sur une trentaine de villes, le commerce de petite taille, de moins de 300 mètres carrés, n’a pas baissé en nombre. Il y en a même toujours plus. Mais ce commerce de proximité se spatialise différemment. On crée des petits môles commerciaux sur les ronds-points, qui sont devenus les emplacements commerciaux numéro un. La vacance commerciale est souvent liée à une recomposition territoriale du commerce, plus qu’à une baisse notable du nombre de commerces.

Nous invitons les collectivités avec lesquelles nous travaillons à s’interroger sur la maîtrise des implantations commerciales diffuses à l’échelle d’un territoire.

Si on tire le fil, on pourrait retrouver, sans que cela pose de problèmes en termes de consommation, le commerce de demain le long des axes de flux, les trajets domicile-travail étant de plus en plus étirés. Nous sommes vraiment à la croisée des chemins, entre un modèle de commerce centralisé, qui tourne autour du centre-ville, des quartiers et des centres-bourgs, et un modèle de commerce qui pourrait suivre les flux. C’est un vrai choix en termes d’aménagement du territoire, qui renvoie à la question des plans locaux d’urbanisme (PLU) et au rôle du schéma de cohérence territoriale (SCoT) dans la planification du commerce.

Pour moi, le problème de la vacance commerciale, c’est un centre qui n’assure plus ses fonctions de centralité, c’est la périphérisation de petites activités de proximité et c’est une clientèle de proximité insuffisante, le tout amplifié par un changement considérable du modèle commercial.

Depuis la fin des années 2000, les mètres carrés commerciaux en France, hors
Île-de-France, ont globalement augmenté cinq à six fois plus vite que la population. Sur l’ensemble des études que l’on peut traiter, lorsqu’on a 5 % de croissance de population sur un territoire, on a, en général, 30 à 40 % de croissance du nombre de mètres carrés.

Nous sommes passés à un vrai changement de modèle. En économie, il y a deux notions : l’offre et la demande. En dix ans, nous sommes passés, sans nous en rendre compte, d’un modèle où la demande progressait plus vite que l’offre à un modèle où l’offre est devenue supérieure à la demande. Il y a le commerce physique, mais il ne faut pas oublier l’émergence du commerce en ligne. La question de savoir comment organiser, demain, l’urbanisme commercial tourne autour du rôle de la centralité.

À travers un ouvrage que j’ai produit récemment, je propose, en termes de méthode, de remettre la main sur le cœur de ville. Pour commencer, il faut avoir un projet.

Depuis que je fais ce métier, c’est-à-dire depuis une vingtaine d’années, la première chose que l’on me dit, dès que j’arrive sur un territoire, c’est que l’important, c’est le centre. Mais lorsque j’observe l’aménagement réel du territoire – pas seulement commercial, d’ailleurs –, je constate qu’on fait à peu près le contraire de ce qu’il faudrait faire pour revitaliser le centre.

Si l’on veut revitaliser un centre, il faut avoir une vision à 360 degrés, c’est-à-dire agir sur quatre fonctions.

J’ai déjà parlé de la fonction « habitat ».

En ce qui concerne la fonction économique, le tertiaire, qui peut trouver sa place en cœur de ville, part, depuis dix ans, en périphérie. On pourrait créer des pépinières d’entreprises tertiaires en cœur de ville, mais on les crée plutôt en périphérie.

Il y a également la question de l’emploi. Les villes moyennes de 30 000 à 40 000 habitants ont, en général, toutes perdu à peu près 1 500 à 2 000 emplois dans le cœur de ville, non pas du fait de fermetures, de restructurations, ou d’emplois qui seraient partis vers d’autres territoires, mais simplement par des déplacements d’activités vers la périphérie. En ce qui concerne les services, j’insiste à nouveau sur la nécessaire présence des services non marchands, comme les services médicaux et les services publics.

J’en arrive à la question de la fonction « identité ». C’est une question que je pose souvent aux élus : « Êtes-vous fiers de votre cœur de ville ? Est-ce que votre cœur de ville enchante ? » Je crois que le commerce de demain ne sera plus là pour vendre, mais pour enchanter, pour donner envie. Si l’on enchante, on consommera et le commerce fonctionnera. Si l’on enchante pas, il y a toutes les chances que le commerce connaisse des difficultés et que le taux de vacance augmente.

Donc, oui, il faut travailler sur le commerce et les cœurs de ville. Mais j’estime qu’on a trop travaillé sur le commerce, ces dix dernières années. On a voulu lancer des opérations, comme celles du Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce (FISAC), en centrant les problématiques sur la seule question du commerce et en faisant pas mal de « désaménagements » autour.

Si vous deviez réfléchir à nouveau à la question du FISAC, il conviendrait de mettre en perspective le projet commercial, en prenant en compte les différentes fonctions que je viens d’évoquer.

Mme la présidente Frédérique Massat. Vous avez rappelé le dispositif centres-bourgs, qui concerne plutôt les communes rurales et qui a été mis en place pour revitaliser le commerce, mais également l’urbanisme et la politique du logement. Les quartiers prioritaires de la politique de la ville ont également un rôle à jouer en la matière.

Avec M. François Pupponi, nous avons commencé à faire une évaluation de ces dispositifs. À nous de continuer, s’agissant notamment de la politique en direction des centres-bourgs, lancée par Mme Sylvia Pinel, et de faire aujourd’hui le point avec Mme Martine Pinville. Nous avons un recul d’un an seulement, mais nous devons prendre en compte les dynamiques qui ont été initiées par les élus, associés aux acteurs du commerce de centre-ville, qu’ils soient commerçants ou consommateurs.

M. Hervé Pellois. Ma première question concerne le FISAC, qui permet de remédier au manque d’entreprises commerciales et de services de proximité dans les zones rurales ou urbaines fragilisées. La loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises lui a donné une nouvelle dynamique en modifiant le mode d’attribution, en passant d’une logique de guichet à une logique nationale d’appels à projets. Le premier appel à projets a été lancé le 17 juin 2015. Un an après, le préfet de mon département, le Morbihan, souligne que ce fonds n’est pas suffisamment connu ou utilisé. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?

Pour avoir été maire d’une commune d’une périphérie en croissance, je me rends compte qu’il faut, bien entendu, avoir un projet harmonieux pour le centre-ville. J’ai apprécié ce qu’a dit Monsieur David Lestoux sur ce point. Il faut aussi, et surtout, du temps, parce qu’on touche à un bâti qui n’était pas destiné au commerce et qu’il faut se réapproprier.

La plupart du temps, les projets sont lourds. Les financements qu’on peut obtenir à ce niveau sont-ils suffisants ou, du moins, satisfaisants ? Ces projets durent souvent dix ou quinze ans et, le temps politique d’une collectivité étant beaucoup plus court, les élus sont là pour prendre les coups.

Vous n’avez pas parlé des commerçants non sédentaires et de l’importance des marchés en centre-ville, qui, j’en suis persuadé, font revenir les gens.

En ce qui concerne le modèle québécois, Monsieur Francis Palombi, vous ne nous avez pas dit grand-chose. J’attends de votre part des précisions sur ce sujet.

M. Yannick Moreau. Face aux défis auxquels sont confrontés les commerçants, et particulièrement les commerçants de centres-bourgs, vous avez parlé du phénomène de périphérisation, du commerce en ligne, de l’expansion des centres commerciaux, du poids des normes qui pèsent sur les commerçants et les entrepreneurs français, de la rigidité de notre code du travail, des difficultés d’accès et du stationnement.

Nous faisons tous ce constat, d’autant plus facilement que nous sommes aussi, pour la plupart, tant que la loi nous y autorise, des élus locaux. Nous comprenons donc bien les problématiques que vous avez exposées.

À ce titre, je voulais vous demander plus précisément quelles nouvelles mesures législatives pourraient, selon vous, favoriser le commerce de centre-ville.

Un an après la sortie du Guide du commerce de centre-ville, Monsieur Bernard Morvan, quel bilan tirez-vous de ce guide ? Avez-vous un premier retour d’expérience sur les préconisations qu’il contient ?

Enfin, pour reprendre l’expression du président Gérard Atlan, selon laquelle il faut penser les centres-villes comme des centres commerciaux en plein air, comment pouvons-nous, en tant qu’élus nationaux ou locaux, vous aider, vous et les commerçants, à faire vivre nos centres-villes comme des centres commerciaux en plein air ?

Manifestement, il y a de bonnes idées à prendre dans les centres commerciaux. Mais comment pouvons-nous travailler ensemble pour redonner vie à nos centres-villes ? Monsieur David Lestoux a esquissé quelques pistes, s’agissant notamment des quatre priorités qu’il a évoquées pour créer un flux vers le centre-ville. Nous aimerions que vous nous sollicitiez plus précisément sur ces propositions, qui sont à la fois du ressort du législateur pour ce qui est du cadre juridique et du ressort des élus locaux que nous sommes pour poursuivre l’objectif commun, qui est de continuer à faire vivre nos commerçants et nos centres-villes.

Mme Jeanine Dubié. Je suis élue d’un territoire rural et je sais combien les commerces de proximité sont un maillon essentiel pour le dynamisme et la vitalité de nos territoires.

Vous l’avez rappelé, Monsieur Gérard Atlan, le commerce est un fort pourvoyeur d’emplois de proximité et contribue quotidiennement à l’attractivité des centres-villes et des bourgs. Au-delà de son rôle économique en matière d’emplois et de valeur ajoutée, il joue aussi un rôle fondamental pour garantir le lien social et rompre l’isolement.

Pourtant, on sait à quel point certains commerçants connaissent d’importantes difficultés face à l’étalement urbain, aux mutations sociales, aux nouveaux modes de consommation, au fort développement commercial en périphérie des villes. Pour éviter de vider les centres-villes, il fallait prévoir des mesures concrètes. C’est ce que nous avons tenté de faire dans le cadre de la loi Pinel, qui visait à apporter des réponses concrètes et équitables pour redonner du souffle et de la confiance à ce secteur.

Ce texte permet notamment de rééquilibrer les relations entre commerçants locataires et bailleurs, en améliorant l’encadrement des baux commerciaux. Pouvez-vous faire un premier bilan de ses effets et nous dire comment ces mesures ont été ressenties sur le terrain ?

Cette loi visait aussi à renforcer les leviers de l’intervention publique pour favoriser la diversité de l’offre commerciale. Il est vrai que les consommateurs ont parfois tendance à préférer les centres commerciaux, pour des raisons pratiques et de diversité de l’offre. Pourtant, les commerçants prennent de nombreuses initiatives sur le terrain pour proposer une offre distincte, basée sur la confiance, le conseil et la qualité. Je peux en témoigner dans ma circonscription où la rénovation de la halle Brauhauban, à Tarbes, a permis de revitaliser le centre-ville en devenant un véritable lieu d’échange, de convivialité et de commerce.

Que pensez-vous du management de centre-ville, ce nouvel outil qui vise à gérer et à développer durablement les centres-villes, grâce à la mise en place de projets, d’actions et d’outils permettant le développement commercial et l’attractivité, en collaboration avec les élus, les services municipaux, les chambres consulaires, les commerçants, leurs représentants ou les représentants d’associations de consommateurs ? Avez-vous des retours d’expérience en la matière ? Quels sont les freins à leur mise en œuvre ?

Ma dernière question porte sur le développement du commerce électronique et sur la concurrence que cela constitue pour les commerces de centre-ville. Si la vente sur internet continue d’augmenter, il ne faut pas opposer les deux modes de distribution, mais trouver la façon d’organiser la complémentarité entre les points de vente physiques et la présence sur internet.

Comment les commerçants voient-ils cette nouvelle opportunité ? Comment vos fédérations travaillent-elles au développement de nouveaux concepts alliant à la fois la force de frappe du numérique et les atouts du commerce physique que sont le conseil, le lien social et la proximité ?

M. Franck Reynier. Je voudrais, à mon tour, revenir sur les grandes lignes du constat qu’ont dressé les intervenants.

Le consommateur a diversifié ses pratiques par rapport aux modes de distribution. Aujourd’hui, tout territoire se doit de disposer d’une offre globale qui part de la grande distribution, des hypermarchés et des moyennes surfaces spécialisées. Il doit aussi avoir un centre-ville dynamique, avec une nouvelle offre qui tienne plus du commerce de proximité. Alors qu’on le connaissait exclusivement dans les centres-villes, il irrigue aujourd’hui l’ensemble des territoires. Puis la vente en ligne est venue bouleverser une grande partie des secteurs d’activité.

Par rapport aux attentes du consommateur en termes d’offre globale, les centres-villes se sont retrouvés dans une situation délicate. D’acteur majeur et privilégié, le commerce de centre-ville est devenu l’un des acteurs de la distribution. L’évolution des usages des centres-villes est une question essentielle pour les années qui viennent. Elle aurait même dû être posée plus tôt pour que des réponses puissent être apportées aujourd’hui.

La présence du commerce est nécessaire. Or le commerce alimentaire a quitté les centres-villes ; 70 à 80 % de la distribution alimentaire se fait aujourd’hui en périphérie. On voit d’ailleurs, dans l’ensemble de nos centres-villes, le commerce alimentaire disparaître petit à petit. Quand il est présent, nous faisons tout notre possible pour le maintenir.

L’offre de logements a eu du mal à trouver sa place car, priorité étant donnée au commerce dans les centres-villes, nous avons fait des zones piétonnes et limité l’accessibilité à certaines zones. Se loger est donc devenu difficile et les centres-villes se sont paupérisés, tant pour ce qui est de leurs commerces que des populations qui y habitent.

Il faut également veiller au confort des usagers. Les usagers, c’est le commerce, mais ce sont aussi les services publics, la médecine, la santé et beaucoup d’autres secteurs qui, eux aussi, ont vécu ces mêmes mutations et ont quitté les centres-villes.

La situation est paradoxale, car le centre-ville est le secteur dans lequel nous investissons le plus d’argent public. S’agissant du commerce, l’argent public ne sert pas à réaliser des ensembles commerciaux dans les autres parties des villes. Ce sont les centres-villes qui ont le soutien, l’engagement et l’investissement des acteurs publics. Ce qui est important, c’est qu’il y ait un vrai partenariat entre les décideurs et les acteurs locaux. Mais travailler ensemble ne suffit pas, car ceux qui sont à convaincre, ce sont les consommateurs, les clients. Il faut leur donner envie de venir consommer davantage en centre-ville, grâce à la qualité de l’accueil et aux horaires d’ouverture, ce qui n’a peut-être pas suffisamment évolué ces dernières années.

J’ai entendu le constat que vous avez fait sur ces questions, et je le partage. Mais il conviendrait que vous nous fassiez des propositions, pour que nous puissions construire avec vous les centres-villes de demain.

Mme Michèle Bonneton. Je vous remercie, Messieurs, de nous apporter votre éclairage sur la question du commerce de centre-ville, qui est malmené depuis des décennies.

Pour nous, le commerce de centre-ville est un élément essentiel de la qualité de vie. Il participe à un environnement de qualité et il fait partie des éléments incontournables de la transition écologique de notre économie.

Le commerce est aussi un moyen de maintenir, voire de développer les emplois dans les centres-villes. Son déclin au profit des zones commerciales et des grandes surfaces a un impact tout à fait négatif sur la vie sociale dans nos villes, tout particulièrement pour les centres-bourgs, dans les territoires ruraux, mais pas seulement : dans la ville de Grenoble, par exemple, on connaît aussi ce genre de problème.

La plupart des centres-bourgs, des petites villes de 5 000 à 10 000 habitants, subissent une crise très grave, alors qu’on favorise par l’urbanisme les zones commerciales périphériques. Malgré tout, une certaine attractivité demeure, grâce aux marchés de centres-bourgs, par exemple, qui drainent beaucoup de consommateurs.

J’en viens aux graves inconvénients du développement des zones commerciales et des grandes surfaces en périphérie.

L’éloignement du commerce et de l’artisanat conduit à la multiplication des déplacements coûteux et polluants et des achats inutiles, sans parler de la perte de temps et des personnes pénalisées par le manque de moyens de transport. À cela, s’ajoutent la consommation importante de terres agricoles, souvent parmi les plus fertiles de la région, et le coût des infrastructures pour les collectivités locales, qu’il ne faut pas sous-estimer. Trop souvent, on fait rêver les gens en leur faisant croire que le bonheur est dans une consommation débridée, qui consiste à acheter toujours plus pour moins cher, quelle que soit la qualité. Je ne parle même pas de la qualité de l’urbanisme, qui est souvent d’une monotonie et d’une tristesse atterrantes.

Nous avons pris conscience de certains de ces problèmes et nous avons tenté d’y remédier par la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) et par la loi Pinel du 18 juin 2014. Je n’oublie pas non plus le FISAC et les projets de revitalisation des centres-bourgs.

C’est avec de l’argent public qu’on répare les dégâts provoqués par le développement des zones commerciales privées. Aussi est-il grand temps de se poser les bonnes questions et d’agir sur d’autres leviers, comme l’urbanisme. Nous aimerions que vous nous en parliez davantage.

Mme Annick Le Loch. La revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs constitue aussi un enjeu national, car ils sont des échelons essentiels de notre organisation urbaine.

Chacun, aujourd’hui, appelle de ses vœux une centralité bien vivante. Nous avons embelli les centres-villes, créé le FISAC, donné quelques moyens nouveaux et pris diverses dispositions législatives. Mais cela n’a pas suffi.

Le constat que vous avez fait reflète la réalité : l’affaiblissement des centres-villes, la vacance commerciale, la dégradation de l’habitat, la paupérisation, le déploiement des zones commerciales en périphérie à la faveur de l’assouplissement des règles, concernant notamment l’urbanisme commercial, mais aussi la révolution numérique, réalité contre laquelle on ne pourra pas lutter.

Or, Monsieur David Lestoux l’a rappelé tout à l’heure, les centres-villes et les centres-bourgs ont des fonctions essentielles en termes de commerce, mais aussi d’identité, de services et d’habitat, sans oublier la fonction économique et la fonction sociale.

Cette prise de conscience se traduit aujourd’hui concrètement. Je pense notamment à l’association Villes de France, qui a présenté un manifeste pour faire vivre les cœurs de ville, ou à la mission de la secrétaire d’État Martine Pinville pour revitaliser les centres-villes. Pensez-vous qu’il s’agisse effectivement d’un enjeu national ? Comment voyez-vous la mise en place d’une stratégie nationale pour que les choses évoluent ?

Bien entendu, on ne reviendra pas aux centres-villes d’hier. Mais faut-il revenir sur des dispositions législatives en matière d’urbanisme, comme l’autorisation des 1 000 mètres carrés ?

Enfin, je souhaiterais avoir de la part de Monsieur Francis Palombi un complément d’information sur la société de développement commercial qu’il a évoquée.

M. Guillaume Chevrollier. Il est légitime de s’inquiéter du sort des commerces de quartier, des boutiques qui animent nos centres-villes et nos centres-bourgs, face au développement de la grande distribution en périphérie. Quant au commerce électronique, qui a progressé de 80 % en trois ans, vous n’en avez pas beaucoup parlé dans vos interventions. Les commerces doivent faire face à cette concurrence, mais aussi à toutes les normes en vigueur. Quelles sont, concrètement, vos attentes en matière de simplification ?

Par ailleurs, le problème des charges du régime social des indépendants (RSI) se pose à tous les commerçants.

Pouvez-vous nous parler de la situation économique de vos commerçants ? Il n’est pas rare, en effet, de rencontrer des commerçants qui ne gagnent même pas le SMIC ou qui se rémunèrent moins que leurs collaborateurs. Comment demander à ces commerçants d’investir pour s’adapter, innover dans leur commerce, alors qu’ils n’ont pas de revenus ? S’ils veulent investir, ils se demandent s’ils obtiendront, à terme, une juste valorisation de leurs investissements ? Quelles perspectives y a-t-il en la matière ? Quels leviers conviendrait-il d’actionner pour encourager ces investissements ?

M. Thierry Benoit. Les cinq intervenants ont posé le bon diagnostic, et je dois dire que la synthèse de Monsieur  David Lestoux me sied bien.

Hier, nous parlions, dans cette commission, de rééquilibrer les relations commerciales entre la grande distribution, les industriels et les producteurs. Pour ce qui est du sujet qui nous occupe aujourd’hui, je dirais qu’il faut rééquilibrer l’offre commerciale entre la périphérie et le centre-ville.

Une première piste pourrait être le remembrement urbain. Monsieur Franck Reynier, député-maire de Montélimar, a exposé sa vision en termes d’aménagement. Messieurs David Lestoux et David Mangin ont parlé de la nécessité de remembrer les centres-villes, de les reconstruire pour améliorer le logement, les offres de surfaces commerciales et le commerce de proximité.

Par ailleurs, il faut fédérer les acteurs et faire venir des enseignes qui soient « moteurs » dans les centres-villes. Je vis près d’une ville moyenne de 20 000 habitants, Fougères. Durant les périodes de fêtes, à Noël, par exemple, il y a beaucoup de monde dans la périphérie, mais malheureusement beaucoup moins dans le centre-ville. Or pour faire du commerce, il faut un vivier de clients.

Il faut également insister sur l’enjeu environnemental et dénoncer la consommation de foncier par la périphérisation de l’urbanisme commercial, qui aboutit à faire du commerce dans des hangars. En quarante ans, les choses n’ont pas beaucoup évolué du point de vue urbanistique… Se pose aussi, du point de vue environnemental, la question des déplacements rendus nécessaires par les emplettes en périphérie.

En ce qui concerne la fiscalité, Monsieur Guillaume Chevrollier évoquait la question des charges supportées par les artisans et les commerçants. L’instauration de zones franches en centre-ville permettrait-elle de relancer l’offre commerciale ?

M. Jean-Pierre Le Roch. Les chiffres publiés par l’Observatoire de la vacance commerciale parlent d’eux-mêmes. Ils montrent une augmentation régulière de la vacance dans les centres-villes, et plus particulièrement dans les petites villes-centres de moins de 20 000 habitants.

Parmi les facteurs d’accélération de la vacance commerciale, je reste intimement persuadé, pour avoir été, pendant une vingtaine d’années, maire d’une ville de 15 000 habitants, avec une zone de chalandise d’environ 80 000 ou 90 000 habitants, que la procédure de création, par les commissions départementales, de commerces en périphérie de ville, basée uniquement sur des critères d’urbanisme et de développement durable, et non plus de densité commerciale, a provoqué le basculement qui a eu lieu à ce moment-là, à la « faveur » de la loi de modernisation économique (LME) du 4 août 2008. Car, même si vous avez créé dans votre ville une instance de concertation et de dialogue avec les commerçants du centre-ville, les chambres consulaires et les organismes de consommateurs, vous ne pouvez pas vous opposer à des créations en périphérie.

La deuxième cause, plus récente, est l’arrivée du commerce en ligne, qui touche les plus jeunes générations.

La loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises comporte un certain nombre de dispositions favorisant le développement du commerce dans les centres-villes, telle la refonte du droit de préemption, et ouvrant la possibilité pour les élus de conclure pour cinq ans des contrats expérimentaux de revitalisation artisanale et commerciale.

Je voudrais connaître votre sentiment sur l’efficacité de ces mesures et savoir si vous avez d’autres pistes à nous proposer. Comme cela a été dit par nombre d’entre nous, il y a une paupérisation des centres-villes et une accélération de la désertification, ce qui pose problème pour les centres-villes, notamment dans les villes de moins de 20 000 habitants.

M. Bernard Reynès. Les notions de grande surface et de commerce de centre-ville ne me paraissent pas très claires. Vous semblez penser que tout cela est compatible, mais force est de constater que la grande distribution a désertifié les centres-villes.

Monsieur David Mangin a parlé de sa volonté d’amener la grande distribution à un urbanisme un peu plus compatible avec l’esthétique des centres-villes, mais j’ai bien compris qu’il était parfois dans l’obligation de lui tordre un peu le bras.

Par ailleurs, Monsieur Bernard Morvan a évoqué l’importance du partenariat entre l’adjoint au commerce et le tissu des commerçants. Il a raison, mais nous autres élus locaux avons beaucoup de difficultés à faire vivre ce partenariat, ainsi qu’avec les chambres de commerce et d’industrie (CCI), qui ne s’impliquent peut-être pas assez dans ces problématiques.

Vous avez très peu parlé du manager de centre-ville, qui participe au partenariat entre les élus, la CCI et l’association des commerçants, mais que nous avons parfois beaucoup de mal à faire vivre. C’est un instrument intéressant, qui n’a sans doute pas été assez développé.

Enfin, nous avons l’impression que le commerce de proximité a parfois du mal à réussir sa mutation, à réinventer sa pratique. C’est le rôle des CCI, mais elles sont plutôt absentes sur le sujet de la formation des commerçants de proximité – je pense notamment au commerce en ligne.

Mme Jacqueline Maquet. Les commerces de centre-ville subissent de plein fouet le problème majeur de la régulation des zones commerciales dans les territoires. En effet, ces zones continuent de se développer aux abords des villes, notamment dans mon département, le Pas-de-Calais.

Cette course à la multiplication des zones de chalandise en périphérie des zones urbaines et des centres-bourgs a, en termes d’emploi, de maillage territorial, de services et de lien social, des incidences dramatiques sur notre territoire. La conséquence directe est la fermeture de nombreux commerces de centre-ville par manque de clientèle, ce qui contribue à la dégradation et à la paupérisation de ces quartiers. Cette concurrence exacerbée a également des incidences directes sur l’emploi : le nombre des salariés a baissé de 10 % en sept ans. Elle fragilise, en outre, la viabilité des commerces restants, qui ont vu leur chiffre d’affaires diminuer d’un tiers pendant la même période.

Certes, le Gouvernement a pris des mesures, comme la création du FISAC ou les contrats de revitalisation commerciale. Vous avez évoqué, les uns et les autres, les ingrédients nécessaires à la reconquête des centres-villes. Je n’en citerai que quelques-uns : les associations de commerçants, la volonté des élus municipaux, la mixité urbaine. J’y ajouterai le stationnement, la politique des loyers et la création de logements au-dessus des commerces, ainsi que les centres commerciaux en plein air.

Devant l’ampleur de cette désertification, ne pensez-vous pas, afin de lancer une réelle dynamique, que l’ingénierie des centres-villes doit se mettre en place d’urgence, un peu à l’image des projets de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) concernant les quartiers en difficulté ?

M. Philippe Armand Martin. L’augmentation des autorisations d’ouverture des grandes surfaces a modifié les comportements des consommateurs. Disposez-vous d’analyses permettant de mesurer, par secteur d’activité, les conséquences de cette mesure sur l’économie des commerces de centre-ville ?

Une étude montre la baisse régulière des revenus des commerçants, depuis 2014. Au regard de cette évolution préoccupante, vous n’avez pas beaucoup parlé des mesures prioritaires qui pourraient être mises en œuvre au profit des commerces de centre-ville.

Cela étant, certains commerces de centre-ville ont su tirer leur épingle du jeu en profitant du développement du commerce en ligne pour accroître leur activité. J’aimerais savoir si une étude a été conduite, visant à mesurer les effets positifs de cette stratégie.

M. Philippe Kemel. Les élus se préoccupent du développement du commerce de centre-ville, car c’est un élément de cohésion sociale.

Cernés par le commerce d’enseignes et de franchises, les magasins indépendants qui exercent dans les cœurs de ville ont une rentabilité particulièrement faible, souvent obérée par le niveau des loyers, qui reste élevé même lorsqu’il n’y a plus de commerces.

Que peut-on faire en matière d’encadrement des loyers ? Peut-on mettre en place, sur délibération municipale ou intercommunale, des dispositifs pour les maîtriser ? Faute de cela, nous serions amenés à municipaliser les centres-villes en préemptant soit des immeubles, soit des fonds de commerce, ce qui engendre des dépenses conséquentes pour les villes. Par ailleurs, le FISAC est insuffisant. Quelle proposition pouvez-vous faire en la matière ?

Dans ma ville, nous avons dépensé, depuis quatre ans, environ 2 millions d’euros pour le cœur de ville. Nous avons développé des pépinières commerciales, innové, proposé aux commerçants une aide à la gestion, mais tout cela reste particulièrement fragile.

Connaissez-vous des exemples de cœurs de ville où la grande distribution serait venue se réimplanter, créant ainsi le lien entre petit commerce et grande distribution, cette dernière ayant l’avantage d’amener la clientèle ?

M. Jean-Claude Bouchet. Je suis député et maire d’une ville de 26 000 habitants, Cavaillon, et je suis confronté à cette problématique depuis 2008. J’ai remodelé le centre-ville, j’ai fait des travaux, j’ai essayé de faire rêver pour attirer des gens en centre-ville, j’ai fait plus de parkings, j’ai lutté contre l’extension d’un hypermarché Auchan. Je rappelle que le Vaucluse est le département qui compte le plus grand nombre d’hypermarchés au mètre carré. J’ai lutté contre l’installation d’un Hyper U et j’ai gagné deux fois devant la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC).

Vous parlez de dialogue entre tous les acteurs. Mais comment faire comprendre aux commerçants qu’ils doivent, eux aussi, agir ? Il y a, à Cavaillon, une association de commerçants, qui ne compte que 40 adhérents sur un peu plus de 300 commerçants. J’ai organisé une réunion avec des commerçants pour établir un agenda en vue de travaux à réaliser dans un quartier. Quatre d’entre eux seulement, sur vingt, sont venus…

À Cavaillon, la fermeture hebdomadaire a été fixée au mardi. Certains ferment le lundi, tandis que d’autres ferment le mardi ou le mercredi. Comment, dans ces conditions, avoir une offre globale homogène ? De plus, les commerçants ferment à midi pile ! Voilà la réalité.

Aujourd’hui, beaucoup de commerçants n’arrivent pas à vivre de leur travail et rejettent la faute sur les autres. Il est épuisant de travailler en faveur des centres-villes. On a l’impression de parler dans le vide. Comment faire acquérir la notion de « service clients » aux commerçants ?

En dehors des grands discours, comment fédérer davantage les commerçants du centre-ville ? Comment les faire évoluer vers de nouvelles dynamiques, en termes de marketing ou de commerce en ligne ? Comment faire en sorte qu’ils arrêtent de se plaindre et qu’ils prennent leur destinée en main ?

M. Éric Straumann. Avez-vous fait des études comparatives avec ce qui se passe en Allemagne ou en Autriche ? De ce point de vue, ces deux pays ont très bien réussi leur politique de centre-ville. Il y a beaucoup de commerces indépendants, même dans les petites villes de moins de 20 000 habitants – je ne parle pas de Fribourg ni des grandes villes.

Cela tient peut-être à l’histoire économique de notre pays, qui a sans doute davantage souhaité privilégier les grands groupes d’envergure mondiale par rapport aux moyennes entreprises que ne l’a fait l’Allemagne.

Par ailleurs, avez-vous travaillé sur le lien entre tourisme et commerce de centre-ville ? En tant qu’élu de Colmar, je peux vous assurer que c’est un élément fondamental et j’estime qu’on n’exploite pas suffisamment les flux touristiques. Quand on va dans un commerce à l’étranger, on vous rembourse la TVA, par exemple. Chez nous, ce n’est quasiment jamais proposé. On ne voit pas d’affichettes proposant le remboursement de la TVA pour les ressortissants extra-européens.

Je reprends l’exemple de l’Allemagne, qui a réussi à créer des flux touristiques en provenance du Moyen-Orient. Les gens viennent faire leurs courses à Munich, en Bavière. On leur rembourse la TVA et on prend en charge le transport de leurs courses jusqu’à leur avion.

M. Alain Suguenot. Nous faisons tous le même constat. Dans les centres-villes, il y a des problèmes de stationnement et une population qui diminue de plus en plus. On a perdu, en quelques années, les commerces dits « de proximité », qu’il faut se réapproprier.

La question du tourisme est importante. Je suis maire d’une commune, Beaune, qui reçoit, bon an mal an, 1 600 000 touristes, qui a une certaine image et des traditions. Il n’empêche qu’il est toujours aussi difficile de faire vivre les unions commerciales. Quand tout va bien, les commerçants ne sont pas mobilisés, et quand ça va très mal, ils arrivent à se mobilisent un peu, pour refuser, par exemple, l’implantation d’une grande surface. J’aimerais savoir comment parvenir à mieux les mobiliser.

Par ailleurs, les pure players du commerce en ligne investissent aujourd’hui les grandes villes. Je pense qu’on pourrait mener une politique plus volontaire pour qu’ils s’installent dans les villes plus petites, dans le cadre des boutiques connectées ou éphémère. Quand il y a des difficultés, on peut imaginer des périodes de location plus courtes pour amener les gens dans les centres-villes. Qu’en pensez-vous ?

On a parlé de zones franches. Ne serait-il pas envisageable de mettre en place des duty free dans les villes touristiques et dans les centres-villes ?

Mme Brigitte Allain. Vous avez tous témoigné du fait que la périphérie des villes avait vidé les centres-villes. Quelles sont vos propositions pour arrêter le mouvement ? On continue, en effet, à travailler sur des grands projets, comme celui du technopôle Agen-Garonne qui, semble-t-il, avance comme un rouleau compresseur.

Vous avez parlé de politique globale d’aménagement, mais le niveau intercommunal est-il la bon échelon ? Ne faut-il pas aller plus loin, et considérer l’ensemble de la zone de chalandise ? L’exemple de Sainte-Foy-la-Grande, à proximité de ma circonscription, donne à réfléchir.

Par ailleurs, la réhabilitation de commerces et de bâtiments, qui sont parfois devenus de véritables verrues dans les centres-villes, se heurte à divers problèmes, comme le coût énorme du désamiantage. Il conviendrait, dans le cadre d’une politique de la ville plus globale, de soutenir davantage ces réhabilitations environnementale et énergétique.

On dit qu’il faut un équilibre entre logement, services publics et activités économiques, mais on oublie trop souvent les activités culturelles. Hier soir, au club Autonomie et Dépendance, il était question de la culture, trop souvent oubliée alors qu’elle peut contribuer à améliorer la vie de tous.

Mme Marie-Lou Marcel. Je voudrais rebondir sur la question des boutiques éphémères, que l’on voit fleurir partout. Ces boutiques, qui permettent de redynamiser les centres-villes, connaissent, pour certaines d’entre elles, un véritable succès pendant leur période d’ouverture. Qu’en pensez-vous ?

M. Lionel Tardy. L’exonération de la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) pour les commerces existant avant 1960 a failli être remise en cause par la majorité lors des derniers débats budgétaires.

Ne faudrait-il pas mener une réflexion sur la fiscalité pour tous les commerces, compte tenu de cette tentation d’augmenter la TASCOM, alors que les commerces sont déjà soumis à d’autres taxes, comme la cotisation foncière des entreprises (CFE), la taxe foncière, la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), elles-mêmes en augmentation ?

Mme la présidente Frédérique Massat. Mes chers collègues, je vous rappelle que cette table ronde concerne les acteurs du commerce et les parlementaires, non les maires. Certains d’entre vous sont maires ou conseillers municipaux, mais sachez que celles et ceux qui, comme moi, n’ont qu’un seul mandat, se sentent également autorisés à avoir une vision du centre-ville.

M. Gérard Atlan. J’ai dit, dès le départ, que l’avenir des commerçants appartenait aux commerçants eux-mêmes. Je suis tout à fait d’accord avec certains députés-maires, qui se rendent compte qu’il est très difficile de susciter l’intérêt des principaux acteurs concernés.

Dans les villes, les commerçants ne s’intéressent pas souvent à ces problèmes. J’ai été commerçant dans ma ville pendant quarante-cinq ans. Quand les choses marchaient bien, tout le monde se trouvait génial. Mais quand elles se sont mises à marcher moins bien, on n’a pas pour autant modifié les horaires, on n’a pas fait de nocturnes, on n’est pas restés ouverts entre midi et treize heures. Il est très difficile de changer les habitudes de mes confrères.

Ils sont indépendants, et donc, isolés. Il faut les regrouper et essayer, avec les managers de centre-ville et les pouvoirs publics, d’intéresser les parties prenantes. Il est vrai que les CCI ne sont pas toujours l’acteur essentiel pour les commerçants, parce que le commerce, c’est compliqué. Voilà pourquoi j’ai dit que le commerce reposait sur trois piliers, voire quatre. Il faut plusieurs acteurs.

D’abord, il faut que les commerçants se prennent en main.

Ensuite, on disait, à une certaine époque, que le commerce, c’était l’emplacement. Je pense que l’avenir des commerçants passe désormais par la formation. Si le commerçant indépendant qui veut évoluer ne l’a pas compris, il lui sera très difficile de faire face à ses frais.

Il ne faut pas oublier que nous subissons tous la crise économique et qu’elle retentit forcément sur le commerce et sur le centre-ville. On a aussi trop tendance à taxer le commerce physique, dans la mesure où on l’a sous la main, par rapport au commerce en ligne.

Auparavant, 100 % des ressources collectées par la taxe d’aide au commerce et à l’artisanat (TACA) venaient abonder le FISAC. Aujourd’hui, malgré l’augmentation de la TASCOM, sur 200 millions d’euros, 42 millions seulement abondent le FISAC.

Vous avez posé une question sur l’instauration de zones franches en centre-ville, ouvertes à tous les secteurs. C’est compliqué. Il faut savoir qu’il y a des commerçants heureux dans des rues difficiles. Ils ont fait en sorte que le client fasse l’effort de venir les voir, parce qu’il sait que, chez eux, il n’aura peut-être pas le meilleur prix, mais il aura le meilleur conseil et le meilleur accueil.

Quant au commerce en ligne, c’est une chance pour les commerçants. Jusqu’à présent, il était pratiqué par des pure players, mais les grandes enseignes s’y mettent de plus en plus. C’est le moment, pour le commerçant indépendant, d’en faire autant. Certaines villes mènent des actions de qualité, comme la création du site « achetezaupuy.com » au
Puy-en-Velay. Si l’on parvient à regrouper les commerçants sur cette démarche innovante, je pense qu’on arrivera à les faire bouger.

Pour faire revenir le commerce là où il existait auparavant, ce n’est pas simple, mais les boutiques éphémères, par exemple, permettent d’éviter les zones de désertification commerciale au milieu d’une rue commerçante.

Commerce et culture, commerce et loisirs, commerce et tourisme fonctionnent bien ensemble. Mais quand on dit aux touristes étrangers, qui ont l’habitude de payer en espèces, que c’est interdit en France au-delà de 1 000 euros, ils vont dans d’autres pays, comme la Suisse ou l’Allemagne. Ma fille vit en Belgique et, toutes les fins de semaine, sa mère va retirer de l’argent à la banque, parce qu’elle veut payer tous ses achats en espèces. C’est la culture dans laquelle baignent certains consommateurs européens et extra-européens. Il ne faut pas y voir je ne sais quelle volonté de maintenir une part d’opacité.

Nous attendons aussi une plus grande stabilité fiscale. Laissez-nous souffler un peu, que nous soyons simples citoyens ou commerçants ! Aujourd’hui, il est difficile de se dire qu’on va investir dans le commerce, parce qu’on ne sait pas quelles seront les lois dans quelques années.

Pour ma part, je vais vous faire une confidence… Je vais arrêter mon activité de président du Conseil du commerce de France pour monter une entreprise qui pourra employer trois ou quatre salariés dans les années à venir. Je crois au commerce indépendant, mais de grâce, Mesdames et Messieurs les députés, donnez aux commerçants indépendants une stabilité fiscale et la possibilité de gagner un peu plus que le SMIC, alors qu’ils font deux fois trente-cinq heures par semaine !

M. Bernard Morvan. Mme Annick Le Loch a parlé d’une cause nationale. Nous sommes effectivement dans cette dimension. La revitalisation des centres-villes doit passer par la volonté de placer le commerce au centre des préoccupations de tous.

En ce qui concerne l’urbanisme commercial, la loi du 27 décembre 1973 d’orientation du commerce et de l’artisanat, dite « loi Royer », avait un objectif, qui n’a jamais été atteint. À ce jour, les outils de régulation que sont les commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) et la Commission nationale d’aménagement commercial n’ont rien régulé. Aujourd’hui, on se retrouve avec un étalement urbain et, s’agissant des zones commerciales, avec un différentiel entre l’augmentation des autorisations annuelles, qui est de l’ordre de 3 % à 4 %, et l’augmentation de la consommation, qui atteint à peine 1 %.

Pour ce qui est des zones franches, nous demandons une législation fiscale et sociale adaptée au monde de la très petite entreprise, et au monde du commerce et des entreprises en général. C’est une directive européenne qui a mis en place les zones franches. Elles ont eu, certes, des effets positifs, mais aussi des effets négatifs. Tout à l’heure, un intervenant a dit que certaines professions libérales s’étaient périphérisées. Alors qu’il y avait des professions libérales installées en centre-ville, certains ont profité de la zone franche et emmené avec eux tous les salariés et, par voie de conséquence, les gens qui venaient consulter. La zone franche a ainsi contribué à vider le centre-ville.

Pour autant, la zone franche en centre-ville est une piste à creuser. Mais, dès lors qu’on aura délimité un secteur, une artère, une ville ou un quartier, il faudra que tous les acteurs du commerce présents sur cette zone soient concernés, qu’on ne fasse pas de différence entre les franchisés et ceux qui ne le sont pas.

Il faut aller vers un allégement de la fiscalité. D’ailleurs, je vous invite à repousser la mise en place de la révision des bases locatives des locaux professionnels et à en reconsidérer les critères. On sait fort bien en effet, compte tenu des études que nous avons menées dans nos commissions départementales, que les magasins de centre-ville vont souffrir davantage que ceux situés en périphérie.

M. Francis Palombi. En 2003, le produit de la TACA a été affecté au budget général de l’État, ce qui a porté un coup au FISAC. À ce jour, la TASCOM, ex-TACA, est une taxe proportionnelle à la surface de vente. J’en parlerai dans quelques instants, comme pouvant être une suggestion, voire une piste.

Comme l’a dit M. Jean-Claude Bouchet, il est difficile de rassembler ses troupes. Partant de là, j’en viens à mon projet inspiré du modèle de société de développement commercial du Québec. Nous avons réuni une commission juridique, avec la CGPME, la CCI et une agrégée de droit spécialisée en la matière. Je tiendrai à votre disposition un rapport complet sur cette question, avec l’élaboration d’un statut et d’une proposition de loi.

Nous proposons, sur le modèle de société de développement commercial du Québec, des coopératives d’intérêt collectif, que nous appellerons « coopératives de développement économique ».

Monsieur Jean-Claude Bouchet, vous avez dit, à propos de Cavaillon, que, sur 300 commerçants, 40 seulement avaient adhéré à l’association des commerçants. Celle de Langogne, en Lozère, compte 23 adhérents, sur 222 entreprises. Cela montre que la représentativité des commerçants, qui doivent agir, coopérer, proposer, est quasiment nulle dans les villes.

C’est pourquoi je vous suggère de prêter toute votre attention à mon projet de coopérative de développement économique, qui disposera d’un conseil d’administration, avec, par exemple, deux voix pour les commerçants, deux voix pour les artisans, deux voix pour les professions libérales, et auquel pourront participer des représentants de la mairie, de la communauté de communes, des chambres consulaires, ainsi que les acteurs constitués.

Je vous propose un modèle qui permettra à toutes les unions commerciales et associations de commerçants de basculer sur le principe de la coopérative.

La coopérative n’est pas un modèle juridique qui fait peur aux entrepreneurs. Dans le monde de l’agriculture, les coopératives sont souvent des organisations fortes. Si Mme la secrétaire d’État chargée du commerce et de l’artisanat donne suite au projet que je vais lui présenter, plusieurs villes sont déjà dans les starting-blocks, prêtes à mettre en place, sur ces bases, un modèle expérimental.

En partant d’un modèle avéré, qui sera consolidé par un texte de loi, nous aurons enfin une organisation forte. Autrement dit, tout ce que vous avez évoqué sur le plan de l’urbanisme, de la fiscalité, de l’animation, des échanges avec les pouvoirs publics, se trouvera concentré parce qu’on aura rassemblé les acteurs économiques qui portent le système.

Les managers de centre-ville sont essentiels, comme peut l’être un directeur dans une société privée, pour faire tourner l’appareil. Nous pouvons nous inspirer du modèle canadien, qui a permis de maintenir des centres-villes forts, malgré des périphéries largement pourvues de grands groupes américains de la distribution. Ce sont tout de même des pays dits « libéraux » qui nous offrent ce modèle économique.

Vous avez dit, Monsieur Jean-Claude Bouchet, que vous ne saviez pas toujours à qui vous adresser, sauf à une ou deux unions commerciales. Pour peu qu’elles ne s’entendent pas entre elles… Vous n’aurez plus ce problème avec la formule de coopérative de développement économique que je vous propose. Cela étant, je tiens à vous rassurer, si le principe permet l’adhésion d’un maximum d’organismes, il n’y a pas d’obligation. Nous sommes en France, et cette notion serait rejetée par le Conseil constitutionnel.

Il s’agit simplement d’une incitation à se rassembler, car plus on est nombreux, plus on est à cotiser. Il faut donc réfléchir à un modèle de cotisation pour ces futures coopératives d’intérêt économique. Pourquoi pas un pourcentage de la CFE, par exemple, que définiraient ensemble, dans leur ville, les acteurs économiques ? S’agissant de la TASCOM, rien n’empêche non plus les collectivités locales de flécher un certain pourcentage de son produit vers la structure que je vous propose.

Puisque ce système fonctionne au Québec depuis 1982, pourquoi ne pas le faire nôtre ? Nous règlerions ainsi beaucoup de problèmes. Je suis à votre disposition, avec l’équipe juridique, pour répondre à vos questions.

Quant à l’adoption de la vente en ligne par les commerces de centre-ville il doit, bien sûr, être accompagné par l'acteur public, mais celui-ci, qu’il s’agisse de la commune ou de l’intercommunalité, ne doit pas se contenter de donner des moyens financiers. Son rôle est aussi de faciliter, de coordonner, de proposer des aménagements.

J’ai constaté avec satisfaction que vous étiez au fait des problèmes des centres-villes et de l’urbanisme commercial. Je pense que, de notre côté, le projet que je viens de vous proposer sera bouclé avant la fin de juin, et que le modèle sera mis à la disposition du ministère et, peut-être, des parlementaires.

M. David Mangin. Il y a des pays étrangers qui ont résisté à la grande distribution, et où l’on continue à résister. Cela étant, il y a depuis quarante ou cinquante ans une spécificité française : le poids très important des six majors de la grande distribution, qui perturbent le jeu en faisant du chantage à l’emploi, alors qu’ils provoquent parallèlement une destruction d’emplois. Cela ne sert à rien de se cacher derrière son petit doigt, c’est là qu’est le problème central.

Les centres commerciaux à ciel ouvert dans les centres-villes existent déjà. Il suffit de mettre une « locomotive » au début d’une rue, une à l’autre bout, et une troisième au milieu.

Il est très difficile de répondre globalement à la question sur les rues piétonnes car, si elles ont des effets pervers, elles ont aussi des avantages. À mon avis, dans certaines villes, le logement est le problème principal. Il s’agit, en l’occurrence, d’un enjeu national, car nombre de villes risquent de se transformer en mouroirs, en ghettos, ou d’être ruinées, abandonnées. Nous le voyons physiquement dans certaines des villes que nous visitons.

Si les gens quittent les centres-villes, c’est qu’ils ne trouvent pas de logements assez grands, ou bien qu’ils veulent un jardin ou une terrasse. Les architectes savent faire cela, ce qui suppose d’accepter qu’on détruise telle ou telle maison, qu’on agrandisse une cour, que cette cour devienne un jardin, ou encore une place, sur laquelle il y aura un certain type de services et de commerces.

Avec de très bons architectes, on y arrive. Toutefois, il faut être conscient qu’il s’agit, en quelque sorte, d’acupuncture. On va ranimer progressivement tel et tel îlot et, petit à petit, l’image ne sera plus aussi négative que celle de centres à l’abandon.

En ce qui concerne les problèmes d’ordre réglementaire, l’efficacité de la CNAC et des CDAC est dérisoire. On gagne du temps ou on prend des positions par rapport aux concurrents, rien de plus. C’en est presque choquant. Le problème s’est même accentué avec la nomination de représentants du ministère de l’économie, qui acceptent quasiment tous les projets. Mon slogan, c’est plutôt : « Pas de transports en commun, et pas de permis de construire pour les centres commerciaux qui s’ouvrent en périphérie ».

La question des rez-de-chaussée, des baux et des boutiques éphémères peut être une piste, la limite de l’exercice étant la concurrence par rapport aux baux des commerçants « réguliers ». Je ne suis pas un spécialiste de la fiscalité, mais les marchés et les baux éphémères sont sans doute un moyen d’empêcher la situation de se dégrader.

M. David Lestoux. C’est par le biais d’un projet qu’on donnera envie aux commerçants d’innover et d’investir. Si le commerçant ne sait pas où va le centre-ville, il n’y investira jamais. Avant tout, il y a le projet. Mais le projet de centre-ville, ce n’est pas seulement faire un centre commercial à ciel ouvert, c’est aussi mettre en place un volet « commerces », un volet « services » et un volet « habitat ».

La protection du centre-ville est un autre élément essentiel. Si les CDAC ne régulent rien, c’est que, dans les documents d’urbanisme que sont les PLU et les SCoT, il y a une très faible volonté d’utiliser leur rôle régulateur. Dans les travaux que nous menons sur les volets « commerces » de SCoT, nous nous demandons s’il est bon d’imposer des règles. Car dans ce cas, le taux de concrétisation en CDAC est bien moindre. Je rappelle que les évolutions législatives ont donné au SCoT un rôle intégrateur en matière de commerce.

À mon avis, les difficultés que nous avons, lorsque nous travaillons sur des volets « commerces » de SCoT, à faire accepter des mesures qui permettraient de réguler, et donc, de protéger les centres-villes, ne sont pas toujours dues aux règles qui nous sont imposées, mais à l’utilisation que l’on en fait. Il y a là un enjeu essentiel.

Les évolutions législatives ont transformé le document d’aménagement commercial (DAC) en document d’aménagement artisanal et commercial (DAAC), mais, ce faisant, elles l’ont rendu facultatif. La faculté de ne pas faire rend aussi moins prégnante la question de la régulation au niveau territorial.

Pour rester dans le domaine réglementaire, nous avons, au-delà de l’outil SCoT, l’outil PLU. Lorsque j’assiste une collectivité pour l’élaboration d’un PLU, je constate que la tendance est de rajouter des règles en cœur de ville et de les alléger en périphérie, non seulement en matière de commerce, mais dans l’ensemble des secteurs. Si on veut que le cœur de ville fonctionne, il faut alléger les règles au niveau du PLU pour favoriser l’investissement. Ne fixons pas de règles supplémentaires là où l’on aimerait voir venir l’investisseur.

Quant aux zones franches urbaines, c’est un sujet fiscal important. Les centres-villes ont aujourd’hui les mêmes caractéristiques en termes de population et de paupérisation que nos zones urbaines sensibles.

J’en arrive à la question de l’innovation.

Outre la formation, il y a la question du coaching individuel des commerçants. Ce qu’attend le commerçant, c’est qu’on vienne dans sa boutique réfléchir avec lui, non pas aux grands principes de merchandising ou de développement, mais à la façon de l’aider à évoluer. Certes, il y a une crise économique, mais, à mon avis, la crise économique joue seulement – si j’ose dire – un rôle amplificateur par rapport au changement de modèle commercial.

Si l’on pense que la crise économique est responsable de tout, on met la tête dans le sable et on attend que ça passe. Je crois, au contraire, qu’il faut comprendre qu’il s’agit d’un changement de modèle et trouver les moyens d’accompagner individuellement les commerçants. Le financement de l’accompagnement individuel des commerçants, au-delà de la question de la formation, est un vrai sujet dont il faut se saisir et dont les chambres de commerce doivent aussi se saisir.

Le commerce en ligne est-il un atout ou une menace pour les centres-villes ? Je pense qu’il peut s’agir d’un réel atout, à condition de faire évoluer le modèle commercial et de connecter les centres-villes. Le wi-fi dans les centres-villes peut être une très bonne chose !

Mme la présidente Frédérique Massat. D’importantes pistes de réflexion s’offrent à nous – ce sera ma conclusion – pour préserver les commerces de centre-ville. Nous pouvons, le cas échéant, prendre des mesures législatives, et le Gouvernement, de son côté, faire usage de son pouvoir réglementaire. Enfin, comme cela a été dit, il faut encourager tous les acteurs à se réunir afin de bâtir le projet du commerce de centre-ville de demain. Je vous propose d’entendre prochainement Mme Martine Pinville sur ce sujet.

Je vous remercie, Messieurs, pour ces échanges très intéressants.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 18 mai 2016 à 9 h 30

Présents. – Mme Brigitte Allain, M. Frédéric Barbier, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. Philippe Bies, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Christophe Borgel, M. Jean-Claude Bouchet, M. Yves Daniel, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Laurent Furst, M. Franck Gilard, M. Georges Ginesta, M. Daniel Goldberg, M. Antoine Herth, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Jacqueline Maquet,
Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. François Pupponi, M. Bernard Reynès, M. Franck Reynier, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy,
M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Marie Tétart, M. Fabrice Verdier

Excusés. – M. Damien Abad, M. Bruno Nestor Azerot, Mme Delphine Batho, M. Denis Baupin, M. Dino Cinieri, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Serge Letchimy, Mme Josette Pons, M. Thierry Robert, Mme Catherine Troallic, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin

Assistait également à la réunion. - M. Guillaume Chevrollier