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Commission des affaires économiques

Mardi 24 mai 2016

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 80

Présidence de Mme Frédérique Massat, Présidente

– Audition de Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique, sur la couverture numérique du territoire

La commission des affaires économiques a entendu Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique, sur la couverture numérique du territoire.

Mme la présidente Frédérique Massat. Mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour entendre la secrétaire d’État chargée du numérique, Mme Axelle Lemaire, au sujet de la couverture numérique du territoire. La semaine dernière, nous avions évoqué cette présentation, et je veux rendre hommage à la réactivité de Mme Axelle Lemaire qui a très vite répondu à cette invitation.

La couverture numérique concerne l’ensemble des territoires et, si la fracture numérique a pu être réduite, elle n’en demeure pas moins présente en bien des endroits ; aussi le Gouvernement a-t-il pris des engagements et accru la pression pesant sur les opérateurs.

Le comité interministériel aux ruralités (CIR) qui s’est tenu vendredi dernier a été l’occasion d’annonces supplémentaires. Par ailleurs, la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », ainsi que le projet de loi pour une République numérique, en cours d’examen, comportent des dispositions importantes pour le sujet qui nous occupe aujourd’hui.

De son côté, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a pour rôle de contrôler la réalisation de leurs engagements par les opérateurs ; elle a d’ailleurs récemment rappelé à l’ordre deux opérateurs qui feront peut-être l’objet de sanctions.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique. Cette audition est bienvenue, car le Gouvernement a décidé d’aller encore plus loin que ce qui avait été annoncé précédemment. Par ailleurs, les actions que nous menons sont très mal connues, j’en veux pour preuve le nombre de courriers que je reçois de la part d’élus locaux et de parlementaires. Leurs préoccupations relatives aux difficultés rencontrées dans leurs communes et circonscriptions sont certes légitimes, mais elles ignorent les progrès rendus inéluctables par les politiques que conduit le Gouvernement.

J’avoue éprouver une certaine frustration, due à la difficulté rencontrée pour nous faire comprendre sur certaines questions très techniques, alors même que les demandes de nos concitoyens sont très pressantes. Ainsi, il y a quelques semaines, j’ai participé à l’émission télévisée Envoyé spécial : après deux heures d’échange, ce qui serait la politique du Gouvernement dans ce domaine a été résumé en quelques secondes, et la conclusion a été que l’État serait impuissant à agir !

Ce n’est absolument pas la réalité, et l’une des raisons de ma présence aujourd’hui procède de la volonté de sortir d’une certaine démagogie consistant à prétendre soit que l’État, les collectivités locales et les pouvoirs publics en général ne font rien, soit qu’il suffirait d’implanter un pylône dans chaque territoire. Or le jeu de la concurrence et les partenariats entre acteurs publics et privés font que la réalité territoriale et géographique est tout autre, ce qu’il convient d’expliquer.

Un certain nombre de documents vous ont été distribués (Ces documents sont publiés en annexe au présent compte rendu). Dès demain, ils seront consultables sur le site internet du secrétariat d’État, car nous tenons à ce que nos concitoyens et les élus puissent être informés. Par ailleurs, à l’issue de cette audition, j’animerai avec le Président de l’Assemblée nationale, M. Claude Bartolone, le « mardigital » consacré au civic tech, à la « démocratech » et aux startups très innovantes qui utilisent des outils numériques afin de réinventer le dialogue démocratique.

La méthode à laquelle recourt le Gouvernement pour l’aménagement numérique du territoire est fondée sur un double postulat : l’ensemble du territoire doit être couvert pour des raisons d’équité et d’égalité ; le numérique constitue une chance pour les zones rurales. C’est pourquoi il ne s’agit pas d’une simple phase de « rattrapage » des campagnes par rapport aux villes. De fait, l’e-administration, la télémédecine, l’utilisation du big data, les réseaux d’objets connectés développés par les entreprises innovantes, y compris par les PME, impliquent une bonne connexion. Aujourd’hui, l’innovation peut pénétrer partout dès lors que l’on dispose de deux choses : une bonne idée et une bonne connexion.

Ce pari de l’avenir pour les zones rurales est celui que fait le Gouvernement. Ce n’est pas le cas de tous nos partenaires européens : au Royaume-Uni ou en Allemagne, même si l’état de la couverture mobile ou du réseau cuivre est meilleur dans certains centres urbains démographiquement très denses, il n’est pas prévu de mailler l’ensemble du territoire pour satisfaire les besoins de l’ensemble de la population.

Notre approche est par ailleurs pragmatique, car la transparence est le meilleur moyen de sortir des caricatures et de la démagogie.

J’aborderai les thèmes suivants : l’importance de la couverture numérique des territoires ; la stratégie adoptée autour de principes clés ; les avancées résultant du projet de loi pour une République numérique, adopté à l’unanimité moins une voix à l’Assemblée nationale, à l’unanimité tout court au Sénat, et qui fera l’objet d’une commission mixte paritaire (CMP) le 29 juin prochain, et le plan « France très haut débit », qui concerne les réseaux fixes comme la couverture mobile.

Nous fondons notre action sur le principe que les services numériques innovants doivent se développer, mais que c’est impossible en l’absence du socle que constituent les infrastructures et le réseau. C’est pourquoi l’universalité de l’accès doit être garantie. Pour obtenir ce résultat, il convient de traiter tous les aspects, qu’il s’agisse du téléphone fixe ou de son extension à la couverture mobile, en jouant sur la convergence des technologies. Il est en effet établi que, lorsque la fibre permet l’accès à internet en très haut débit, elle permet aussi la couverture mobile ; des technologies récentes rendent possible le déploiement de la téléphonie fixe à partir d’antennes mobiles.

Il convient donc de combiner toutes les technologies, sachant que ce n’est réalisable qu’avec l’accord des collectivités locales, qui sont nos partenaires et connaissent la réalité des besoins locaux, et des opérateurs privés, qui déploient pylônes et réseaux fixes et investissent massivement pour cela.

Nous connaissons actuellement une phase de transition au regard du programme très ambitieux lancé en 2012, qui commence à peine à porter ses fruits, alors même que les attentes de nos concitoyens sont plus pressantes que jamais. Or le seul raccordement FTTH
– acronyme de Fiber to the Home – prend douze à dix-huit mois. Je rappelle par ailleurs qu’aujourd’hui nos entreprises sont en sous-capacité de production de fibre optique par rapport à la demande, au point qu’il est envisagé d’en importer. Je pourrais encore évoquer la formation des ouvriers, jusque-là habitués à l’entretien des réseaux de l’ADSL (haut débit) et qui doivent se familiariser avec la fibre. Les dossiers de financement sont parfois très difficiles à monter, car il faut s’entendre avec les partenaires locaux afin d’établir des plans portant sur cinq, dix ou quinze années.

Il n’est donc pas étonnant qu’un programme lancé en 2012 ne fasse sortir de terre les premières prises qu’aujourd’hui, et aucune baguette magique n’existe qui permettrait de supprimer une « zone blanche » en trois mois. La seule implantation d’une antenne demande six à douze mois, avec des injonctions contradictoires, entre lesquelles nous devons trancher : faut-il garantir des prix très bas – les prix du mobile en France comptent parmi les plus bas d’Europe – ou un investissement structurel à long terme de la part des opérateurs ? Faut-il prôner la rapidité d’implantation des antennes, ou la concertation avec l’ensemble des acteurs locaux, notamment les associations qui militent contre ces implantations afin de protéger les personnes électrosensibles ?

La stratégie globale s’articule autour des trois axes que constituent les infrastructures, les nouveaux usages et les nouveaux services ; elle fait l’objet de l’article 35 du projet de loi pour une République numérique, qui, pour la première fois, consacre la notion de stratégie numérique pour les collectivités, désormais à même de décliner des stratégies en fonction des usages et pas uniquement en fonction des réseaux.

La méthode de co-construction avec les collectivités territoriales et les opérateurs est nouvelle : elle procède de l’identification des besoins du terrain, de la confiance dans les acteurs locaux ainsi que de la responsabilisation de tous. L’État est en position de stratège, il est accompagnateur et financeur, mais il n’impose pas d’orientation. J’en veux pour preuve le fait que chacun des quatre-vingt-dix-neuf dossiers reçus de la part des départements a été examiné et construit avec les acteurs locaux concernés. Dans tous les cas, nous avons attendu que la démarche procède des départements et régions qui auront à exécuter les programmes qu’ils décident, mais aussi à les cofinancer.

Dans un souci de transparence, l’article 37 du projet de loi pour une République numérique fait le pari de l’open data, notamment pour la couverture mobile, ce qui signifie que les consommateurs pourront disposer d’un accès direct, en temps réel, aux données relatives à la qualité de la couverture mobile fournie par les opérateurs. À partir de cela, des services innovants seront accessibles, comme une nouvelle application mobile avec laquelle il sera possible de fournir son code postal, l’adresse de son lieu de travail, la localisation de l’établissement scolaire de ses enfants, son lieu de vacances favori, pour savoir quel est l’opérateur dont les prestations correspondent le mieux à ses besoins individuels.

Afin que ce projet soit crédible, il est essentiel d’en garantir la transparence, ce qui justifie le suivi de tous les projets de déploiement du très haut débit dans les territoires, d’ores et déjà consultables sur le site internet de la mission « très haut débit » de l’Agence du numérique ; le même outil sera mis en œuvre pour la couverture mobile des territoires.

L’objectif est d’inclure l’ensemble des territoires, et l’article 45 du projet de loi pour une République numérique prévoit, à cet effet, le maintien de la connexion numérique pour les foyers les plus fragiles. Aussi, dans le cadre du Conseil européen des communications, dont la prochaine réunion se tiendra cette semaine, le Gouvernement a-t-il entamé des négociations afin de défendre l’inclusion des technologies mobiles ainsi que le haut débit des services de base dans la définition du service universel.

Nous avons mis en place des outils opérationnels, telle l’Agence du numérique, dont les moyens ont été accrus, ce qui, au regard des contraintes budgétaires pesant sur les ministères et les administrations centrales, prouve qu’il s’agit d’un objectif prioritaire du Gouvernement. Il convenait à tout prix de faire de l’agence une administration de mission, afin d’éviter la bureaucratie et la technocratie qui l’auraient emporté sur la capacité d’être en phase avec les besoins réels exprimés par les territoires. L’agence réunit en un lieu unique trois missions : le très haut débit, la French tech, c’est-à-dire les écosystèmes d’innovation, et la société numérique, dotée d’un agenda d’inclusion et d’accompagnement de la dématérialisation, notamment des services publics, par la médiation numérique dans les territoires.

Cette action publique s’articule avec le jeu de la concurrence. Trop longtemps, les opérateurs privés nous ont opposé le fait qu’ils étaient en concurrence et devaient donc être totalement libres de leurs choix d’investissement, ce qui justifiait leur absence dans les zones rurales les moins rentables. On ignore trop souvent ce que les investissements coûtent aux opérateurs, et cette contrainte n’est pas prise en compte lorsque des arbitrages peu rationnels sont rendus. Ainsi, un raccordement en fibre optique pour un habitant dans un hameau peut coûter l’équivalent de vingt ans d’abonnement ; pour un domicile isolé à la campagne, ce coût peut s’élever à 4 000 ou 5 000 euros, contre un montant moyen de 300 à 400 euros en ville.

Aujourd’hui, les tarifs, régulés par l’ARCEP, font l’objet d’une péréquation, et les clients des grandes villes paient en quelque sorte pour ceux des campagnes. Nous pratiquons par ailleurs des prix très bas, précisément rendus possibles par le jeu de la concurrence. Il faut toutefois manier la contrainte de la loi dans une logique d’incitation, afin que les investisseurs privés soient conduits à investir plus encore ; c’est ce que nous faisons depuis 2012. Chaque fois que des engagements ont été négociés avec les opérateurs, ils ont été inscrits dans la loi, rendus opposables aux intéressés, contrôlés et régulés par l’ARCEP ; faire défaut à ces engagements est donc susceptible d’être sanctionné.

Le projet de loi pour une République numérique se donne pour impératif l’accélération du déploiement – ce que nous avons fait pour la fibre optique comme pour la couverture mobile.

Avec le plan « France très haut débit », c’est tout un pays qui s’est mis en mouvement, c’est une dynamique nationale qui s’est créée. Ce phénomène exceptionnel rappelle le déploiement historique des réseaux de téléphonie fixe, de chemin de fer ou d’électricité. Je rappelle que la réalisation du maillage territorial par la téléphonie fixe avait nécessité vingt ans, alors que le plan « France très haut débit » a été lancé en 2012 et que, d’ici 2020 ou 2021, l’ensemble du territoire sera couvert par le très haut débit.

Sur 99 départements concernés, 67 projets ont déjà reçu un accord de principe de la part du Gouvernement pour un financement pas l’État et 18 ont reçu un accord définitif, étant entendu qu’il n’est pas nécessaire d’avoir reçu ce dernier accord pour lancer les travaux. Le site internet de l’Agence du numérique propose une carte permettant de faire le bilan de l’état d’avancement des dossiers étudiés par l’État, selon qu’un dossier initial a été déposé, qu’un préaccord de financement a été obtenu, ou que le dossier consolidé a fait l’objet d’une décision finale de financement par l’État.

Le plan s’est donc concrétisé, et les prises commencent à sortir de terre : 50 000 dans l’Oise en 2015, 100 000 attendues en 2016, 140 000 fin 2017 ; pour les trois mêmes années, ces chiffres s’élèvent respectivement à 10 000, 70 000, et 150 000 en Alsace ; en Bretagne, 40 000 prises seront installées au cours de l’année 2016 et 170 000 en 2017. Ce chantier industriel a déjà créé 3 000 emplois, et 20 000 emplois sont attendus à terme.

Je suis maintenant disponible pour répondre à vos questions.

Mme Marie-Hélène Fabre. Les chantiers concernant la couverture numérique du territoire sont très nombreux.

Aujourd’hui encore, plusieurs centaines de communes en France n’ont pas accès au réseau de téléphonie mobile, et plus de 2 000 n’ont pas accès à l’internet mobile, malgré l’engagement initial des opérateurs à constituer un réseau commun afin de couvrir tout le territoire.

J’entends bien que la question n’est pas simple à régler techniquement, mais on doit s’interroger sur l’émergence dans notre pays d’une véritable inégalité territoriale numérique dont sont victimes les habitants de ces communes.

Dans le cadre de la loi Macron, des engagements ont été pris par les opérateurs, vous les avez rappelés, Madame la ministre ; je n’y reviendrai pas. Mais je vous demanderai : où en sommes-nous à la mi-2016 ? Qu’en est-il du déploiement de ces nouvelles mesures ? Compte tenu de la promesse non tenue par les opérateurs pour 2013, estimez-vous que les nouvelles obligations réglementaires seront suffisamment contraignantes pour atteindre ce nouvel objectif ?

Par ailleurs, j’appelle votre attention sur les zones qui ne sont couvertes que partiellement, et qui ne se situent pas uniquement dans les territoires ruraux ou de montagne : certaines zones urbaines, notamment littorales, sont également concernées.

Sur le terrain, nous constatons une dégradation globale de la téléphonie mobile. Non seulement il y a des zones blanches, mais il n’y a parfois plus de réseau dans des endroits où il y en avait auparavant. C’est le cas dans un très grand nombre de départements. Les opérateurs ont-ils baissé le niveau ? Ont-ils régulé différemment ? De quels moyens dispose-t-on pour contrôler la qualité du réseau sur le territoire ? Qu’en est-il également des zones « grises », dont on parle peu ?

À l’heure où un très grand nombre de services ou de démarches administratives sont dématérialisés, peut-on laisser se creuser une fracture numérique entre, d’un côté, une France du très haut débit, et, de l’autre, des territoires mal, voire pas du tout couverts ?

De nombreuses propositions ont été formulées pour résorber les inégalités d’accès au numérique sur le territoire national, notamment dans le rapport sur le développement de l’économie numérique française présentée par Mmes Corinne Erhel et Laure de La Raudière en mai 2014.

Quel est votre sentiment, par exemple, sur le principe d’une contribution de solidarité numérique entre zones urbaines et rurales, qui pourrait être assise sur les abonnements haut débit et très haut débit ?

Le Gouvernement a lancé le grand chantier de la couverture intégrale de notre territoire en très haut débit d’ici 2022. Ce projet impliquant la bascule du réseau cuivre vers le réseau optique reste complexe. Si l’on ne peut que se réjouir qu’à l’horizon 2022 tout le pays soit équipé de la fibre, on peut s’interroger sur les multiples zones où le réseau de téléphonie fixe a déjà disparu sans être tout à fait remplacé.

Les personnes qui sont privées de lignes fixes vont-elles devoir attendre 2022 pour que les lignes en cuivre soient enfin remplacées ou peuvent-elles espérer que des solutions soient trouvées ?

Mme Jeanine Dubié. Je me félicite que le Gouvernement s’attache à demander aux autorités européennes de reconnaître l’accès à internet comme un service universel ; de fait, si cette démarche avait été entreprise plus tôt, peut-être aurions-nous connu moins de problèmes de concurrence dans le domaine de la construction des infrastructures. Cette situation a conduit des collectivités de zones rurales et de montagne, qui s’estimaient délaissées par l’État, à construire des réseaux d’initiative publique (RIP) dont les coûts grèvent aujourd’hui certains budgets, sans que les recettes escomptées aient été au rendez-vous.

Vous avez considéré que, du fait d’une péréquation des tarifs, l’urbain paie pour le rural. C’est vrai, mais lorsqu’un opérateur privé investit en milieu urbain, il le fait sur ses propres deniers, alors qu’une collectivité investit avec le fruit de l’impôt local. Ainsi, le contribuable acquitte à la fois l’impôt sur le revenu et l’impôt local : il est donc deux fois taxé.

Reprenant des recommandations du rapport de notre collègue Pascal Terrasse sur le développement de l’économie collaborative, le Gouvernement a fait des annonces au sujet des territoires collaboratifs expérimentaux. Un appel à projets destiné à favoriser l’émergence de nouvelles plateformes et d’espaces de coworking sera doté d’une enveloppe de 30 millions d’euros, dont la moitié serait fléchée, nous dit-on, vers les territoires ruraux. Pouvez-vous nous dire quand ces appels à projets seront lancés, et quels seront les critères d’attribution ? Qu’attendez-vous de cette mesure en matière de croissance ?

Les opérateurs indispensables à la viabilité des RIP tardent à s’y raccorder : comment avancent le plan « France très haut débit » et les négociations avec les collectivités concernées pour l’utilisation de ces RIP ? Ce plan, ainsi que les subventions annoncées, semblent être suspendus à la décision de la Commission européenne qui a émis des doutes sur certaines subventions accordées aux opérateurs : à quel point d’avancement sont parvenues les discussions avec la Commission sur ce sujet ?

Enfin, quels moyens comptez-vous attribuer à l’ARCEP afin qu’elle puisse effectuer les mesures tendant à accélérer la couverture numérique du territoire national ?

M. Jean-Claude Bouchet. Je tiens à saluer l’ambitieux plan « France très haut débit », dont vous dites, Madame la ministre, qu’en accélérant le déploiement et en résorbant le nombre des zones blanches, il permettra de rétablir l’égalité entre les citoyens.

Vous avez indiqué qu’en juin dernier 44 % de l’objectif était rempli. Disposez-vous de chiffres pour le premier trimestre 2016 ? Et ces 44 % correspondent-ils aux subventions attribuées, au nombre de départements ayant déposé un dossier et signé un accord, ou au nombre de réalisations ?

Un grand déséquilibre règne en France entre le monde rural et celui de la ville. De nombreuses administrations de la République ont déserté les petites communes : La Poste, le Trésor public… Il est impérieux de ramener de la vie dans ces zones, et le très haut débit peut y concourir ; ce dont on ne peut que se féliciter. En revanche, certaines petites communes du Luberon, par exemple, disposent tout juste du réseau filaire, qui est parfois indisponible pendant quatre à quinze jours, et l’opérateur n’est guère diligent pour le réparer.

Dans ces conditions, peut-on croire au très haut débit alors que l’on ne dispose même pas du téléphone et que certaines communes ne sont pas couvertes par le réseau de téléphonie mobile ou ne disposent pas d’internet ? Comment se donner les moyens de relever le défi ?

À juste titre, vous avez souligné le rôle des collectivités territoriales et des opérateurs privés dans la réussite de l’opération. Qu’adviendra-t-il si les uns ou les autres viennent à faire défaut ? Votre envie de réussir est louable, mais l’issue ne dépend pas que de vous : ce plan ne devrait-il pas être plus ambitieux en termes de contraintes et d’obligations imposées aux opérateurs ou aux collectivités locales ?

M. Frédéric Roig. Nous prenons acte avec satisfaction de votre engagement en faveur du chantier considérable de la téléphonie et du très haut débit, avec lesquels certains de nos territoires connaissent des difficultés récurrentes. Vous l’avez souligné, le très haut débit constitue un remarquable outil de développement, économique, culturel et touristique, mais aussi un enjeu de santé publique, car la médecine recourt toujours plus à l’imagerie numérisée.

En revanche, lorsque surviennent des problèmes de raccordement, de connexion ou de couverture du réseau, nos concitoyens et nos entreprises, surtout les plus petites d’entre elles, sont pénalisés, notamment du fait de la dématérialisation des procédures administratives ; cela nuit à l’attractivité de nos territoires. Les difficultés sont identifiées : coupures, dysfonctionnements, interventions qui ne règlent pas nécessairement les problèmes, vétusté des réseaux ou débits insuffisants. Mais les maires ont souvent bien du mal à obtenir simplement des informations auprès des opérateurs.

Fort heureusement, vous avez « mis le turbo » pour que le très haut débit et la téléphonie accompagnent le développement de nos territoires, et notre collègue Kléber Mesquida, président du conseil départemental de l’Hérault, s’est beaucoup investi, comme bien d’autres, en faveur de ce projet. Vous avez toutefois souligné vous-même la lenteur des procédures de mise en service des installations, alors qu’il faut tout faire pour réaliser dans les meilleurs délais le beau projet que vous nous avez présenté.

M. Jean-Claude Mathis. Je veux saluer l’enthousiasme avec lequel vous avez présenté ce projet. Au demeurant, ce doit être plus facile et plus confortable pour un ministre lorsque le sujet fait l’unanimité au Sénat, et l’unanimité à une voix près à l’Assemblée nationale…

Le Gouvernement s’était donné pour objectif que l’ensemble des départements aient présenté un dossier avant la fin de l’année ; or, à la fin de 2015, 76 dossiers seulement avaient été déposés, dont une dizaine sont actuellement en phase 1, et deux en phase 2, c’est-à-dire en phase de déploiement. Pourquoi, selon vous, certains départements ont-ils tardé ? La procédure serait-elle trop contraignante ?

Par ailleurs, les rapporteurs du groupe de travail du Sénat sur l’aménagement numérique du territoire, MM. Hervé Maurey et Patrick Chaize, ont dénoncé le décalage existant entre les annonces faites par les opérateurs et la réalité de la pratique, particulièrement pour les réseaux mobiles. Alors que ces entreprises se battent à grands coups de promotion sur les forfaits 4G, chacun sait, et vous l’avez rappelé, que de larges zones du territoire restent encore à couvrir, car cette technologie demeure surtout réservée aux grandes villes et aux axes de communication importants.

De quels moyens de pression l’État pourrait-il user afin de contraindre ces opérateurs à s’exécuter et à garantir le maillage de l’ensemble du territoire national ?

M. Jean-Pierre Le Roch. Je tiens, Madame la ministre, à saluer votre engagement sur le numérique au service de tous les territoires. Un travail d’identification des dernières zones blanches, qui concernent 268 communes, a été entrepris par le Gouvernement ; toutefois, beaucoup reste à faire en faveur de l’accès à un réseau téléphonique de qualité dans nos territoires ruraux, particulièrement dans les zones grises, pour lesquelles je fais mienne la suggestion de Mme Marie-Hélène Fabre.

Il semblerait par ailleurs que, dans des communes bénéficiant de plusieurs relais de communication, ceux-ci aient été réorientés vers les axes routiers, tournant ainsi le dos aux habitants. C’est ainsi que, si ces relais sont bien présents sur les territoires des communes, ils profitent surtout aux usagers de la route.

L’accès à un réseau téléphonique de qualité pour les habitants et les entreprises constitue une condition indispensable à l’attractivité des territoires ainsi qu’au bon développement économique des communes rurales. C’est singulièrement vrai pour l’agriculture, qui vit une révolution numérique lui donnant une chance unique d’accroître sa compétitivité.

Mme Béatrice Santais. L’inégalité de situation entre territoires ruraux et urbains doit constituer une préoccupation majeure pour l’avenir ; vous l’avez d’ailleurs souligné en considérant que la couverture numérique constituerait un levier d’attractivité des territoires. C’est essentiel pour les entreprises comme pour les particuliers et les familles, mais encore plus pour les salariés aspirant au télétravail, ce qui suppose une couverture numérique efficace, particulièrement dans les zones rurales et de montagne.

Vous avez indiqué, Madame la ministre, que les villes paient pour les campagnes. C’est vrai mais, dans les grandes agglomérations, les opérateurs ont pris en charge la couverture numérique, alors que, dans les secteurs ruraux ce sont les communes ou les communautés de communes qui auront à mettre la main au porte-monnaie. Ma communauté de communes compte 30 000 habitants : elle devra débourser 2,5 millions d’euros sur dix ans pour couvrir quarante-trois communes, dont une partie est située en montagne, cela n’est pas neutre pour le contribuable et les collectivités, quand bien même nous apprécions le plan du Gouvernement.

M. Philippe Naillet. Grâce à l’engagement du Gouvernement, il va être mis un terme aux surcoûts dus à l’itinérance pour les liaisons téléphoniques et les SMS émis depuis des téléphones portables outre-mer. Toutefois, cette anticipation du règlement européen ne s’applique pas aux données. Madame la ministre, pouvez-vous nous communiquer des informations relatives à l’itinérance en matière d’accès à internet, alors qu’une directive européenne prévoit la suppression totale de ces surcoûts pour les pays membres de l’Union à compter du 15 janvier 2017.

Par ailleurs, La Réunion n’est absolument pas équipée en 4G ; un appel à projets a été émis fin janvier pour un déploiement prévu en décembre 2016. Est-il envisageable de demander à la mission « Très haut débit » de mener, avec l’ARCEP, une consultation de chacun des opérateurs afin de garantir un déploiement harmonieux sur l’ensemble de notre territoire et d’éviter toute duplication inutile des réseaux ?

M. Frédéric Barbier. Comme l’a souligné Mme Marie-Hélène Fabre, on observe une dégradation du service de téléphonie dans notre pays ; aussi ambitieux que soit le plan « France très haut débit », nos concitoyens sont en attente de résultats aussi concrets que possible.

Je souhaite, par ailleurs, vous poser la question suivante : à quand le wi-fi dans les TGV ? Nous sommes au XXIsiècle, et nous avons besoin que notre économie puisse fonctionner. En 2013, le président de la SNCF avait lancé une consultation ; l’année suivante, il avait déclaré que tous les TGV seraient équipés à la fin 2016, pour finalement repousser cette échéance à l’année 2017.

Je suis originaire du territoire très industrialisé de Belfort-Montbéliard, et je vois les voyageurs au départ ou à destination de Paris dans le plus grand désarroi lorsqu’ils cherchent à se connecter. Les quelque 70 % des usagers – je rappelle qu’il y a plus de 500 personnes dans une rame de TGV – qui ont l’habitude de travailler dans les transports ont besoin de cette connexion, et trouvent très gênant d’en être privé alors que des compagnies aériennes, notamment celles du Sud-Est asiatique, sont équipées de réseaux wi-fi. J’ai conscience que l’opération est coûteuse, mais serait-il possible de convaincre le président de la SNCF de son utilité, alors que nombre de voyageurs passent plusieurs heures quotidiennes dans le train ?

En second lieu, dans beaucoup de pays, parfois moins développés que le nôtre, le wi-fi en accès libre se développe dans les commerces, en particulier dans les centres commerciaux. Disposez-vous de moyens propres à inciter à la généralisation de cet accès gratuit, qui permet de se connecter à internet ainsi que de téléphoner ? Il s’agit, là aussi, de répondre à une attente de la population.

Mme Nathalie Chabanne. Merci, Madame la présidente, de m’accueillir dans votre commission.

Si la logique qui a présidé à la conception du plan « France très haut débit » est perceptible, l’accélération du déploiement de la couverture réseau l’est moins sur l’ensemble du territoire national. L’internet est devenu un outil familier au sein des foyers français, sans que l’on puisse prétendre pour autant que tous ont accès à la télévision par ce moyen. D’autre part, tous les lycées et collèges sont désormais équipés d’un réseau intranet. Ainsi, lorsqu’un cours n’a pu être terminé, les élèves sont renvoyés à la « Toile » pour en connaître la fin ; dès lors, ceux qui ne disposent pas d’internet chez eux sont très pénalisés.

De même, la déclaration de revenus par ce truchement va progressivement devenir obligatoire et la « e-administration », souhaitée par beaucoup, est en passe de devenir une réalité : comment ferons-nous dans les territoires non connectés ? L’intérêt de la couverture numérique pour le tourisme, et pour l’économie en général, est reconnu par tous, mais certains chefs d’entreprise sont condamnés à payer un prix prohibitif, car ils doivent recourir à des abonnements satellitaires s’ils veulent disposer d’une connexion convenable.

La question de la qualité réelle du débit se pose souvent dans nos territoires ; or c’est déjà le cas pour la téléphonie mobile dans nos territoires ruraux, et les vitesses de connexion calculées maison par maison par les opérateurs sont purement théoriques, sans aucun rapport avec les mesures effectuées in situ par des ingénieurs.

Certaines collectivités risquent d’être victimes de leurs propres imprudences : ainsi, dans ma circonscription des Pyrénées-Atlantiques, d’aucunes ont provisionné jusqu’à 800 000 euros alors qu’aucun dossier de raccordement n’est en cours de dépôt ou d’examen. Comment passer outre ces initiatives départementales malheureuses, sans pour autant se priver des financements ? Si je conçois que la mise en œuvre du plan « France très haut débit » a été déterminée à l’échelon départemental, ce choix peut devenir source de contrainte et de handicap.

Mme la présidente Frédérique Massat. Vous avez indiqué, Madame la ministre, que les grands chantiers comme ceux d’électrification ou de développement du téléphone, ont nécessité plusieurs années dans notre pays. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une situation d’urgence, car tous les territoires veulent être connectés à égalité. Par ailleurs, le coût de la couverture des zones de montagne est plus de dix fois supérieur à la norme.

Il n’en faut pas moins saluer l’action que vous menez. S’il est vrai que les collectivités ont aussi leur propre rôle à jouer, nous aurions préféré que les opérateurs prennent en charge tous les territoires sans exception, sur un pied d’égalité. Au demeurant, l’initiative du Gouvernement les conduit, parfois par la contrainte, à être plus entreprenants.

Mme la secrétaire d’État. S’agissant, Madame Marie-Hélène Fabre, du déploiement des réseaux fixes dans le département de l’Aude, vous savez probablement que le Gouvernement, au mois de décembre dernier, a apporté son soutien formel à un projet de couverture internet à très haut débit, avec un apport de 37,5 millions d’euros. Il est prévu l’installation de 91 000 lignes arrivant jusqu’aux domiciles, ce qui inclut 68 sites considérés comme prioritaires, qu’il s’agisse d’administrations ou d’entreprises. L’augmentation du débit sera par ailleurs facilitée par l’installation de 3 000 lignes, ce qui garantira une meilleure qualité du réseau existant. Enfin 5 000 kit hertziens satellitaires seront distribués dans les zones particulièrement difficiles d’accès.

Vous m’avez par ailleurs interrogée sur la réalité de l’exécution des engagements pris par les opérateurs en matière de couverture mobile par le programme 2G. Sur 3 500 communes à couvrir, 2 200 n’étaient pas couvertes lorsque nous avons décidé d’introduire ces engagements dans la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ; en moins d’un an, 600 l’ont été, et les 1 600 restantes le seront d’ici la mi-2017. Il y a donc bien exécution des engagements pris, et leur non-respect éventuel fera l’objet de sanctions.

La rétraction du réseau téléphonique constitue effectivement une réalité dans certaines zones ; il faut avoir à l’esprit que les réseaux évoluent comme des organismes vivants et que leur qualité peut se dégrader. C’est pourquoi nous avons lancé des « appels à problème », gérés à l’échelon local par les centres de ressources d’animation numérique territoriale (CRANT), à travers un guichet de couverture mobile ; les opérateurs de téléphonie mobile sont ainsi mis face à leurs responsabilités. Ce dispositif correspond mieux aux besoins concrets qu’un programme de couverture en téléphonie mobile lancé une fois tous les quinze ans – le dernier programme « zones blanches » remonte à 2003 ! Ces programmes deviennent très vite obsolètes, et leurs critères sont difficiles à réactualiser ; nous privilégions donc une politique de réactualisation au fil de l’eau, conduisant les opérateurs à résoudre les problèmes par eux-mêmes.

J’insiste sur le fait que les solutions que j’ai présentées vont bien au-delà de la question des zones grises, qui se caractérisent par la présence d’un seul opérateur. Il sera proposé aux quatre opérateurs de mutualiser leurs équipements, dans le cadre du guichet de couverture mobile qui concernera 1 300 sites.

S’agissant de la contribution de solidarité numérique, la question est de savoir s’il est souhaitable de créer une nouvelle taxe, alors que les Français se plaignent de voir leur pouvoir d’achat diminuer : nous pourrions avoir ce débat, mais une telle mesure ne me paraît pas opportune. Le plan « France très haut débit » ainsi que la couverture numérique sont financés, et nous nous situons davantage aujourd’hui dans une phase d’exécution que de recherche de financements. Nous avons à cœur de faire venir les opérateurs vers les RIP et les pylônes, et la question du financement, particulièrement pour les réseaux fixes, se pose avec moins d’acuité que par le passé, en partie grâce aux engagements de l’État qui sont sans précédent.

Nous répondons très précisément au problème de la dégradation des réseaux de lignes téléphoniques fixes par des dispositions spécifiques introduites dans le projet de loi pour une République numérique, et issues d’une proposition de loi de M. André Chassaigne. Il ne faut évidemment pas attendre 2022 pour garantir que les services relevant du service universel soient correctement rendus. À cette fin, des enquêtes administratives ont été diligentées, et le régulateur a rendu un premier rapport le mois dernier.

À la fin de l’année, l’État lancera un nouvel appel à projets afin de désigner le prestataire du service universel. À cette date, la loi sera entrée en vigueur ; nous serons alors susceptibles de mieux identifier les responsabilités et de nous assurer que l’entretien du réseau fixe est effectué. Il sera aussi possible d’élever le niveau d’obligation du prestataire de service universel s’il est constaté que la loi n’est pas convenablement appliquée.

Mme Jeanine Dubié a évoqué les territoires collaboratifs expérimentaux, annoncés par le Premier ministre lors du troisième comité interministériel aux ruralités ; cela peut sembler quelque peu technocratique, mais un CIR représente le moment où l’ensemble des acteurs publics, privés et associatifs se réunissent pour évoquer les difficultés propres aux zones rurales. Toutes les questions sont ainsi passées en revue, qu’elles concernent l’école, la jeunesse ou l’accès aux services publics, et nous considérons que les zones rurales peuvent faire l’objet d’expérimentations très riches en matière d’économie et de société numériques.

Il s’agit de développer l’économie collaborative, et 30 millions d’euros, prélevés sur la troisième phase du programme des investissements d’avenir (PIA), y seront consacrés. Aussi, l’appel à projets collaboratifs ne sera lancé que l’année prochaine ; il permettra de financer des projets de construction de lieux de travail partagé. Nous savons qu’aujourd’hui le télétravail constitue l’une des réponses à la saturation des transports publics ainsi qu’au manque d’engouement pour certaines zones rurales ; il contribue en outre à la réduction du coût du foncier pour les entreprises. À cette fin, il convient de sortir de l’isolement : un créateur de startup a besoin d’un écosystème, et ces lieux de co-working sont un outil que l’État doit soutenir. Les critères d’attribution doivent être définis avec l’ensemble des acteurs de l’écosystème, et ce travail est en cours ; il n’est pas douteux que ces dispositifs soient source de croissance ainsi que de création de valeur économique et sociale.

S’agissant de la validation du plan « France très haut débit » par la Commission européenne au regard du droit européen, nous avons dû nous livrer à un travail de conviction et de pédagogie au cours d’échanges très denses. Nous avons été conduits à expliquer les subtilités du plan, ainsi que celles du marché français, très concurrentiel. La Commission a été très attentive à cette validation, car ce plan, premier du genre dans l’Union européenne, ne manquera pas de servir de mètre-étalon pour des opérations similaires réalisées dans d’autres pays. Cela explique peut-être la durée, que je considère comme longue, qui a été nécessaire à ces discussions ; les dernières interrogations de la Commission ont fait l’objet de réponses très précises de la part de nos services, et j’espère que nous obtiendrons un accord dans les deux prochains mois.

Les mesures de la couverture mobile effectuées dans le cadre des programmes que nous avons lancés relèvent des compétences de la mission « Très haut débit » et de l’Agence du numérique, qui sont en relation avec les représentants de l’État dans les territoires ; elles sont financées par les opérateurs. En revanche, nous souhaitons doter l’ARCEP de nouvelles capacités afin qu’elle réalise des mesures supplémentaires en recourant à des experts indépendants, des ingénieurs, voire – pourquoi pas ? – à des particuliers, dès lors que les instruments de mesure sont rendus facilement accessibles. C’est une demande de l’ARCEP que de pouvoir « puiser dans la foule » les données de couverture en s’appuyant sur des mesures réalisées en externe par la communauté citoyenne, afin de confronter la réalité de la couverture avec les chiffres annoncés par les opérateurs.

Au sujet du réseau filaire, je précise à M. Jean-Claude Bouchet que ce n’est pas parce que nous demandons aux opérateurs d’investir à long terme, dans la fibre optique par exemple, qu’il y a lieu d’abandonner l’ambition d’un service universel de téléphonie fixe. Nous connaissons une phase de transition et, tant qu’elle durera, il est essentiel que le service soit garanti aux habitants des zones rurales les plus reculées – qui sont parfois des personnes âgées – n’ayant accès qu’à la téléphonie fixe.

Que faire lorsque les collectivités locales ou les opérateurs refusent de se plier à l’ambitieux programme du Gouvernement, et comment expliquer les retards constatés çà et là ? Il faut avoir à l’esprit que le maillage relève d’une motivation politique au sein des territoires, et les usagers mécontents doivent se tourner vers les départements et les régions pour demander son accélération. Par ailleurs, nous incitons financièrement les départements à s’entendre entre eux : à partir de deux départements minimum, nous pouvons réaliser des économies d’échelle sur la commercialisation et sur l’harmonisation des standards et des systèmes d’information. Plus les regroupements sont vastes, plus l’incitation est élevée.

Ces coopérations interdépartementales ne sont pas toujours aisées à réaliser, mais elles sont possibles : à l’occasion du CIR, je me suis récemment rendue en Ardèche, qui a passé un accord avec la Drôme, accord qui perdure malgré le changement de majorité dans ce dernier département.

Aujourd’hui, 99 départements sont engagés. Parmi ceux dont on pourrait penser qu’ils sont de « mauvais élèves », figure le département des Bouches-du-Rhône, pour lequel le projet est en réalité de peu d’intérêt immédiat puisque 95 % de son territoire est classé en zone d’appel à manifestation d’intention d’investissement (AMII), relevant donc de l’initiative privée. Sa démographie très dense dispense ce département de constituer un réseau d’initiative publique.

En d’autres endroits, des difficultés techniques et juridiques ont été rencontrées lors du passage des zones « RIP 1 » aux nouvelles zones « RIP 2 ». Ceux qui s’étaient investis dans le numérique dès les années 2000 ont pu avoir le sentiment d’être pénalisés, car il a fallu négocier la transition entre les générations de réseaux. Nous avons pour mission d’aider ces territoires à maintenir les schémas qu’ils avaient mis en place et à garantir la fluidité du dépôt des dossiers présentés dans le cadre du plan « France très haut débit ».

À ceux d’entre vous qui ont considéré que l’unanimité était chose facile à obtenir, je répondrai que celle-ci se mérite : il a fallu deux ans de consultations – y compris via internet – pour co-construire un projet de loi avec des communautés citoyennes, et d’aucuns ont manifesté une certaine impatience ! L’unanimité n’est pas advenue par hasard ni, comme j’ai pu le lire çà et là sous la plume de journalistes quelque peu paresseux, parce que les parlementaires ne comprenaient rien au sujet. J’estime au contraire que les débats ont été d’une grande qualité au sein des deux assemblées, démontrant à quel point les parlementaires sont désormais au fait des enjeux du numérique, lesquels ne sont d’ailleurs pas seulement des enjeux de couverture. Ce sont peut-être les journalistes qui n’ont pas su en apprécier la mesure…

M. Jean-Claude Mathis m’a demandé quels peuvent être les moyens de pression sur les opérateurs lorsqu’un fort décalage est constaté entre la qualité de service qu’ils annoncent et la réalité. Le guichet de couverture mobile constitue à cet égard un excellent outil : il est possible d’imaginer qu’on demande aux opérateurs d’offrir une solution, et que, s’ils font défaut, ce soient l’État et les collectivités qui assurent le financement, mais ce ne serait guère incitatif. Le guichet, au contraire, est une contrainte opposable aux opérateurs, et les 1 300 sites qu’il regroupe sont vérifiables par l’ARCEP ; les opérateurs n’aimant pas que leurs investissements soient contrôlés et régulés par cette administration, ils s’efforcent de l’éviter.

L’existence du guichet prive les opérateurs de leur pouvoir de choisir les lieux de déploiement de leurs antennes ; or, la plus-value procède de la diversité des infrastructures ainsi que de la qualité des réseaux. Cette démarche de parfaite homogénéisation entre tous les opérateurs, tenus d’être présents sur un même pylône, n’est guère prisée des intéressés : leur intérêt bien compris est donc de proposer une solution plutôt que de devoir intégrer le guichet de couverture mobile.

Nous sommes en droit de considérer que le nombre de 1 300 sites couverts sera largement dépassé, car notre démarche se veut très incitative. Ainsi, dans une zone grise, qui n’est couverte que par une seule antenne du fait la présence d’un unique opérateur – vous avez évoqué, Monsieur Jean-Pierre Le Roch, le cas d’antennes réorientées en direction des axes routiers au détriment des zones d’habitation –, cet opérateur souhaitera conserver son exclusivité. Il aura tout intérêt, s’il veut éviter la venue de concurrents et l’obligation de mutualiser ses équipements, à réorienter l’antenne ou à présenter une nouvelle offre garantissant la couverture des résidents : nous développons ainsi une nouvelle logique, jamais mise en œuvre à ce jour.

Les zones qui n’auront pas été couvertes feront l’objet de réattributions de fréquences, car la bande des 900 mégahertz sera réattribuée dans quelques années, et les zones demeurées non couvertes feront l’objet d’une obligation de couverture opposable aux opérateurs qui souscriront à l’utilisation des prochaines fréquences.

J’ai bien entendu la remarque de Mme Béatrice Santais sur la charge financière pour les budgets des collectivités, et singulièrement ceux des petites communes. C’est pourquoi la totalité du financement public par l’État vise les territoires ruraux. Nous aurions pu faire le choix de concurrencer les opérateurs dans les zones où règne l’initiative privée, mais nous avons choisi de rationaliser le financement public en l’orientant vers les zones où il est le plus nécessaire. Il n’en demeure pas moins que le coût de l’investissement est lourd pour les petites communes ; l’État les aide donc à hauteur de 50 %, et les départements et régions apportent également leur contribution. Encore une fois, c’est dans cet esprit que nous avons privilégié une logique de concentration de la totalité du financement public sur ces zones rurales ; car ce sont elles qui en ont le plus besoin.

M. Philippe Naillet a évoqué l’accès de La Réunion aux transferts de données. De fait, l’accord européen sur la suppression des frais d’itinérance mobile ne porte pas, à ce jour, sur les données. Je tiens toutefois à rappeler que cet accord, qui prendra effet l’année prochaine, a été rendu possible par l’impulsion très active du Gouvernement français, qui a permis d’aboutir en quelques mois à un compromis, alors que certains pays défendaient des positions radicalement opposées. Les prix de transmission des données ont baissé de 80 %, et cela concerne aussi les territoires ultramarins ; cette diminution sera continue jusqu’en 2017. Dans ce domaine, nous comptons beaucoup sur le jeu de la concurrence, car les opérateurs ont compris leur intérêt à proposer des offres attractives, particulièrement outre-mer.

À Mme Nathalie Chabanne, qui ne constate pas d’accélération du maillage numérique, je rappelle que nous sommes dans une phase de transition. J’ai toutefois tenté de démontrer de façon objective, neutre et impartiale que tout est mis en œuvre pour que les usagers constatent les progrès réalisés dans les meilleurs délais possibles. Il est vrai que cette réalité n’est pas encore pleinement perceptible, alors que toutes les mesures réglementaires, fiscales et budgétaires, comme le suramortissement, le fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) ou le droit à la fibre – l’autorisation du conseil syndical de l’immeuble n’est désormais plus requis – ont été incluses dans la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques et dans le projet de loi pour une République numérique.

Par ailleurs, dans le cadre du plan « France très haut débit », le nombre des dossiers traités a été doublé en l’espace de six mois, car nous avons augmenté le nombre des équipes qui en ont la charge. S’agissant de la perception par le public de la qualité du réseau, j’ai évoqué la possibilité désormais donnée à l’ARCEP de faire pratiquer des mesures par des particuliers indépendants des opérateurs, plutôt que de se fonder sur les seules déclarations de ces derniers.

J’espère avoir répondu à M. Frédéric Barbier sur la dégradation du service de téléphonie fixe. Le Gouvernement est très ferme sur ce point : il n’est pas question que l’accès soit de qualité variable selon que l’on demande de la téléphonie mobile ou de la téléphonie fixe.

Un fait mal connu est cependant que, plus nos téléphones sont « intelligents » et donnent accès à de l’information, moins ils sont performants en tant que téléphones : il y a dix ans, nos bons vieux Nokia offraient une qualité sonore bien supérieure à ce que nous connaissons aujourd’hui. Il faudra compter sur l’offre commerciale des opérateurs pour pallier cette dégradation.

Vous n’êtes pas sans savoir, Monsieur Frédéric Barbier, qu’il y a un an et demi, devant l’exaspération des usagers, j’ai posé la question de la mise à disposition du wi-fi dans les TGV ; cela a permis d’accélérer la prise en considération de ce sujet. Par ailleurs, le président de la SNCF est pleinement conscient de la demande de ses clients en la matière, et souhaite y répondre rapidement.

Il me semble que la solution réside plus dans la technologie 4G que dans le wi-fi, qui suppose le déploiement d’antennes, et cela vaut pour toutes les catégories de trains. Lors des attributions de nouvelles fréquences effectuées l’année dernière, nous avons inscrit l’obligation de couvrir tous les trains du quotidien ; en ce qui concerne les TGV, la SNCF a annoncé la généralisation de la mise à disposition du réseau dans les rames, et c’est devenu une priorité commerciale de l’établissement. Un accord reste toutefois à trouver avec les opérateurs sur le partage des coûts, notamment pour la modernisation des équipements à l’intérieur des trains. Le dialogue est difficile, et l’État et le Gouvernement sont en position d’arbitres et de facilitateurs afin qu’une solution soit trouvée.

J’avoue être moi-même parfois exaspérée par la lenteur avec laquelle certains dossiers sont traités ; s’il le faut, je rappellerai les intéressés à leurs engagements, car aucun retard ne saurait être pris dans cette affaire.

Mme la présidente Frédérique Massat. Merci, Madame la ministre, pour les réponses précises que vous avez su apporter à toutes les questions qui vous ont été posées. Comme vous savez, notre commission suit le dossier du numérique de très près, et nous ne manquerons pas de vous réinviter prochainement, car certains de nos collègues n’ont pas pu vous entendre, étant retenus dans l’hémicycle par un débat sur la modernisation numérique de l’État…

——fpfp——

Les documents annexés au présent compte rendu ont été présentés par Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique, lors de son audition.

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 24 mai 2016 à 17 heures

Présents. - M. Frédéric Barbier, M. Yves Blein, M. Jean-Claude Bouchet, M. Dino Cinieri, Mme Jeanine Dubié, Mme Sophie Errante, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Christian Franqueville, M. Jean Grellier, M. Henri Jibrayel, Mme Laure de La Raudière, Mme Annick Le Loch, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Philippe Naillet, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. Lionel Tardy

Excusés. - M. Laurent Furst, M. Georges Ginesta, M. Bernard Reynès, Mme Catherine Troallic

Assistaient également à la réunion. - Mme Nathalie Chabanne, Mme Annie Le Houerou