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Commission des affaires économiques

Mardi 21 juin 2016

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 89

Présidence de Mme Frédérique Massat, Présidente

– Audition de M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence

– Informations relatives à la commission

La commission a auditionné M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence.

Mme la présidente Frédérique Massat. Nous recevons aujourd’hui le président de l’Autorité de la concurrence, M. Bruno Lasserre, que nous avons le plaisir d’entendre très régulièrement au sein de la commission au cours d’auditions toujours passionnantes. Les sujets traités par l’Autorité et qui concernent la commission sont en effet nombreux et cette audition sera l’occasion de faire le point sur ces dossiers ainsi que sur certains sujets traités par la commission spéciale constituée pour l’examen de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron ».

Je pense, en particulier, à la question de l’implantation des notaires puisque vous venez de publier une proposition de carte pour l'implantation progressive de nouveaux offices notariaux. La question du rapprochement entre Auchan et Système U préoccupe également beaucoup cette commission et, plus généralement, la question du rapprochement des centrales d’achat dans la grande distribution, sujet qui a été traité dans le rapport de Mme Annick Le Loch et de M. Thierry Benoit sur l’avenir des filières d’élevage et dans le projet de loi Sapin II.

Dans le domaine des télécommunications, la question de la couverture des territoires intéresse particulièrement les membres de la commission et nous procédons en ce moment à l’audition des opérateurs sur ce sujet et, plus généralement, sur leurs pratiques commerciales. Vous avez vous-mêmes été saisis de questions liées aux télécommunications à de nombreuses reprises, nous pourrons ainsi faire le point sur ces dossiers.

La fusion Canal + / beIN Sports constitue un autre sujet important même si cela ne rentre pas directement dans le champ de compétence de la commission. Il en est de même pour la question de la publicité en ligne, sujet traité dans le projet de loi pour une République numérique qui va nous revenir du Sénat très prochainement.

M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence. Merci Madame la présidente de m’accueillir dans cette commission ; sous votre présidence, il s’agit d’une première dont je me réjouis. Comme vous l’avez indiqué, les dossiers traités par l’Autorité qui intéressent votre commission sont fort nombreux et il est important que nous rendions compte de nos travaux devant le Parlement. J’articulerai mon propos introductif autour de trois axes : les activités de l’Autorité qui se sont significativement alourdies ces dernières années : ses nouvelles missions dans le domaine des professions réglementées ; et les réformes récentes inspirées par les travaux de l’Autorité.

En 2015 et dans les premiers mois de 2016, l’activité de l’Autorité a été particulièrement soutenue : 39 affaires d’entente ou d’abus de position dominante ont été traitées en 2015, 9 d’entre elles aboutissant à des sanctions pour un montant cumulé de 1,252 milliard d’euros. Rappelons qu’en 2014, ce montant avait été de 1,013 milliard d’euros, montant qui a été recouvré à 100 %, ce qui est un élément notable, ne serait-ce que pour le budget de l’État.

Des affaires particulièrement importantes ont occupé l’Autorité. On peut citer, en particulier, une entente dans le secteur des messageries et des transports de colis impliquant les grands noms mondiaux du secteur. Dans le secteur des télécoms, nous avons sanctionné Orange pour des pratiques anti-concurrentielles sur le marché des entreprises avec une amende de 350 millions d’euros, amende qui n’a pas été contestée par l’entreprise, pas plus que les injonctions visant à mettre un terme à ces pratiques. Signalons qu’il s’agissait de l’amende individuelle la plus élevée jamais prononcée.

Le nombre de plaintes dont est saisie l’Autorité de la concurrence connaît une évolution particulièrement dynamique puisque le nombre de saisines contentieuses a doublé entre 2013 et 2014 et que l’augmentation a été de 50 % en 2015. Cela représente, certes, une reconnaissance de l’efficacité de l’action de l’Autorité mais pose néanmoins des problèmes matériels pour traiter ces dossiers.

En outre, l’Autorité a la possibilité de se saisir d’office pour aller chercher certaines affaires et vérifier que certains secteurs économiques fonctionnent de manière concurrentielle. En 2015, 16 procédures contentieuses ont ainsi été lancées sur ce fondement. Ces décisions sont lourdes à gérer car elles sont souvent contestées devant le juge et c’est pour répondre à cette difficulté que la loi Macron a ouvert à l’Autorité de la concurrence la possibilité de transiger pour éviter un recours contentieux. Je place beaucoup d’espoir dans ce nouvel outil.

À côté des ententes et des abus de position dominante, l’Autorité statue sur les fusions et les rachats d’entreprise pour vérifier que ces opérations ne dégradent pas la concurrence et le choix des consommateurs. Nous constatons une accélération de ces opérations et, en 2015, nous en avons examiné 192 dont 186 ont été autorisées sans condition. 6 n’ont par contre été autorisées que sous réserve d’engagements, acceptées par les entreprises : Total/Antargaz ; SARA/Rubis ; Midi Libre/Dépêche du Midi ; SRPP/Rubis ; Audika/Williams Demant et Quick/Burger King. L’objectif est de répondre le plus rapidement possible à ces opérations de croissance externe : 40 % des décisions sont dites « simplifiées », c’est-à-dire qu’elles sont rendues à l’issue d’un examen de trois semaines.

Nous innovons et nous devons renouveler nos méthodes. Nous tenions aujourd'hui une séance au cours de laquelle nous examinions le projet de rachat de Darty par la Fnac. Ce rachat pose la question de la prise en compte des ventes en ligne réalisées par des entreprises telles qu’Amazon ou Pure Player, qui exercent une pression concurrentielle de plus en plus forte sur les magasins physiques, notamment dans le secteur de l’électrodomestique, regroupant l’ensemble des produits dits « gris » ou « bruns » – les téléviseurs, les chaines Hifi, la téléphonie, les ordinateurs, les périphériques… Nous souhaitons aborder cette question nouvelle.

Dans le secteur de la grande distribution, Auchan et Système U fusionnent dans les faits, mais non du point de vue capitalistique. En effet, chacun reste maître de son capital, et Système U demeure une organisation coopérative. En revanche, les deux entreprises mettent en commun leurs politiques commerciales, notamment leurs politiques d’achat, ainsi que leur logistique. Elles ne seront plus autonomes l’une par rapport à l’autre. En conséquence, nous analyserons cette opération comme une véritable fusion. Au-delà du contexte complexe de cette opération, qui va nous conduire à analyser plus de 300 zones de chalandise dans lesquelles existe un chevauchement, nous regarderons la pression concurrentielle qu’exercent les drive, mode nouveau d’accès du consommateur aux produits alimentaires.

Dans certains cas, nous ne convergeons pas avec les opérateurs. Deux opérations ont été récemment abandonnées en raison de notre désaccord soit sur l’analyse des marchés, soit sur les remèdes à mettre en œuvre en contrepartie des risques concurrentiels que nous avions identifiés. C’est le cas de Decaux/Metrobus, pour l’affichage extérieur. Amazon a également renoncé à racheter Colis Privé, un concurrent de la Poste dans le secteur des colis, parce que nous n’avions pas convergé sur les remèdes.

À côté de la lutte contre les ententes, les cartels et les abus de position dominante qui endommagent la concurrence, et au-delà de l’activité de contrôle des fusions ou des rachats, l’Autorité de la concurrence a travaillé à faire des propositions et à donner des avis, pour inspirer le travail gouvernemental et législatif. En 2015, nous avons rendu 22 avis importants, sur des champs extrêmement vastes, concernant la distribution alimentaire – notamment la question des centrales d’achat – les télécoms, les médias, les transports, le permis de conduire, les taxis, le ferroviaire, l’agriculture, les quotas de pêche, la santé, les laboratoires de biologie médicale ou encore l’énergie. Certains de ces avis sont notamment en lien avec l’activité nouvelle que nous confie la loi Macron en ce qui concerne les professions réglementées du droit. Depuis 2016, pas moins de 13 avis ont déjà été rendus. Cette activité, en pleine croissance, nous mobilise beaucoup.

Nous avons également lancé deux enquêtes sectorielles en 2016. Depuis la loi de modernisation de l’économie, votée en 2008, nous avons en effet la possibilité de nous saisir de notre propre initiative, pour scruter le fonctionnement concurrentiel de marché, et poser un certain nombre de questions : existe-t-il des obstacles à la concurrence dans un secteur donné ? De quelle nature sont-ils ? Viennent-ils des comportements des entreprises ? Viennent-ils de malfaçons de textes qu’il faudrait corriger ? L’Autorité fait alors des préconisations aux entreprises, mais aussi au Gouvernement, pour lever ces obstacles à la compétitivité, secteur par secteur, de manière à favoriser une meilleure concurrence, plus de croissance et plus d’emplois. Nous choisissons chaque année les sujets que nous souhaitons aborder.

Nous avions, en 2014, choisi la question des autocars : la proposition de l’Autorité a été entièrement reprise par la loi Macron, avec un bilan très positif pour la réforme. Deux sujets ont été identifiés pour l’année 2016. Le premier touche aux audioprothèses, enjeu moins anecdotique qu’il n’y paraît. De plus en plus de Français doivent en effet s’équiper d’appareils auditifs, lesquels sont mal remboursés par la sécurité sociale et mal pris en charge par les complémentaires santé, laissant un reste à charge important pour les patients. Les prix, de 1 100 à 1 200 euros par oreille corrigée, sont parmi les plus élevés en Europe. En conséquence, le taux d’équipement des Français est faible, autour de 32 %, seul un million et demi des quatre millions et demi de personnes susceptibles d’être appareillées l’étant effectivement. Au Royaume-Uni, ce taux est de 41 %. L’Autorité s’attachera à regarder toute la chaîne de formation des prix, pour rechercher la cause de leur caractère élevé. Il s’agira de se demander si les prix élevés sont liés à la concentration de la fabrication – 80 % du marché mondial étant partagé entre quatre acteurs – ou éventuellement aux circuits de distribution, qui montrent une certaine dépendance à l’égard des fabricants et pourraient créer un obstacle à l’arrivée de nouveaux entrants.

Il s’agira aussi de rechercher les justifications aux marges très importantes réalisées par les audioprothésistes – la Cour des comptes relevant un rapport de un à trois et demi entre le prix d’achat de l’audioprothèse et le prix de la pose par l’audioprothésiste – ainsi qu’au numerus clausus de la profession d’audioprothésiste. Enfin, nous nous demanderons quel est le rôle des réseaux de soins sélectionnés par les complémentaires santé et s’ils peuvent exercer un rôle de prescription, qui serait un contre-pouvoir à ces prix élevés. Nous lancerons, dans les prochains jours, une concertation publique à partir d’un constat préliminaire et de questions, avant de rendre publics les résultats de notre enquête pour la fin de l’année.

Le deuxième sujet choisi est celui de la publicité en ligne. Il y a quatre ans, nous nous étions déjà penchés sur le secteur et avions identifié le rôle dominant de Google, devenu un acteur incontournable dans la publicité en ligne. Nous souhaitons aujourd'hui prolonger et actualiser les constats que nous avions alors faits. Nous voulons également mettre l’accent sur la question des données, sujet peu traité. En effet, avec le développement du big data, qui irrigue beaucoup de secteurs économiques, les données constituent de plus en plus le « carburant » de la nouvelle économie. Elles permettent à des entreprises traditionnelles de construire des plans d’affaires ou de développer de nouveaux projets. Elles deviennent surtout, en elles-mêmes, la source d’une nouvelle activité économique.

Alors que chacun a le sentiment d’utiliser gratuitement un certain nombre de services – Facebook, Twitter, Google… – nous transférons en réalité, involontairement, toute une série de données personnelles, en particulier celles associées aux traces laissées par nos consultations sur ces réseaux. Ces données sont collectées, triées, hiérarchisées, et revendues ou réutilisées à des fins commerciales. L’Autorité s’interroge : ces données, qui deviennent un intrant de plus en plus important de l’activité économique, sont-elles réplicables ? Ne constituent-elles pas un élément très important du pouvoir de marché ? Les autorités de la concurrence sont-elles en mesure d’appréhender ce phénomène et de mesurer le pouvoir de marché de ces acteurs, qui s’intègrent de plus en plus verticalement ? C’est en effet pour pouvoir collecter une série de données, dont la valeur économique est considérable, que Facebook a racheté WhatsApp et que Microsoft a racheté LinkedIn, réseau professionnel le plus important au monde, comportant un nombre considérable d’informations sur les profils professionnels de ses utilisateurs.

Nous aborderons ces questions dans le cadre de notre étude sur la publicité en ligne, les données permettant justement de mieux cibler les publics auxquels les marques s’adressent. Nous voudrions y voir plus clair, comprendre comment cette industrie fonctionne et s’il existe des risques liés à l’intégration verticale de certains acteurs, ainsi que des risques en termes de discrimination ou de conflit d’intérêts. Nous verrons, en fonction des obstacles que nous aurons constatés, si des modifications législatives sont éventuellement nécessaires. En ce cas, nous les transmettrons aux autorités compétentes.

Nous ambitionnons de faire beaucoup, et nombreux sont ceux qui nous demandent si nous ne sommes pas gagnés par le zèle, si nous n’affaiblissons pas les entreprises en imposant des amendes élevées et tous azimuts. Je voudrais insister sur le fait que les amendes que nous avons prononcées en 2015 n’ont pas été infligées à des petites entreprises, mais à de très grandes entreprises, agissant sur des marchés européens ou mondiaux, telles que DHL, Royal Mail ou Orange. Par ailleurs, et il est très important de le savoir, les personnes affectées par les pratiques que nous sanctionnons ne sont pas seulement les consommateurs individuels, mais aussi les PME, principales victimes des cartels ou des abus de position dominante de leurs fournisseurs. Or, le propre des PME est de ne pas disposer du contre-pouvoir de négociation permettant d’échapper à ces dérives anti-concurrentielles.

Enfin, l’Autorité n’est pas aveugle dans sa politique de sanction : quand nous avons devant nous des entreprises en difficulté, nous en tenons compte ; lorsque le consentement à payer des entreprises est affecté par des difficultés conjoncturelles ou structurelles, nous en tenons compte. Dans l’affaire de la messagerie du transport de colis, nous avons accordé des réductions de sanctions, allant jusqu’à 90 % du montant, pour six des vingt entreprises, petites et affaiblies par la crise dans un secteur qui se porte mal. Nous avons aussi fait preuve de pragmatisme dans le secteur agro-alimentaire : l’affaire de l’entente sur les volailles a fait l’objet d’une mesure bienveillante et clémente de notre part, qui a donné un stimulus à la création d’une interprofession, laquelle manquait cruellement au secteur.

Depuis la création de l’Autorité en 2009, nous avons toujours cherché à accompagner le regroupement des coopératives et ne nous sommes jamais opposés aux regroupements de ces dernières qui nous avaient été notifiés, parce que nous pensons que cette consolidation des producteurs est nécessaire. Les années 2015 et 2016 ont confirmé cette tendance. J’ai également écrit aux présidents de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) une lettre n’opposant pas d’objection à la création d’un fonds transitoire devant permettre de soulager la trésorerie dans la filière porcine, qui souffre particulièrement de la crise.

Nous reviendrons sur la question des centrales d’achat à l’occasion de l’examen de l’opération Auchan/Système U. La loi Macron a aussi innové en imposant aux enseignes de nous informer à l’avance des alliances qu’elles concluent en matière d’achats, au-delà d’un certain seuil. Certes, la loi a été votée après la vague des alliances qui a eu lieu à l’automne 2014 (Auchan/Système U ; Intermarché/Casino ; Carrefour/Provera) afin de mettre en commun les achats d’un certain nombre de produits. Nous venons toutefois de recevoir un complément d’alliance signé entre Carrefour et Provera, sur des produits de premier prix. Ce complément devait nous être notifié pour information : nous allons l’examiner avant qu’il soit mis en œuvre, et ce sous deux mois.

Sur la question des professions réglementées du droit, la loi Macron a permis de beaucoup avancer, étape par étape. Nous avons mis en place une équipe spécifique afin de gérer ces problématiques, qui concernent tant la réforme des tarifs que la modernisation du cadre applicable à l’installation de ces professionnels.

En ce qui concerne les tarifs, le Gouvernement a pris des textes d’application qui conduisent à leur baisse – mesurée, certes –, notamment pour les notaires, les huissiers et les greffiers des tribunaux de commerce. Un examen plus économique des coûts supportés par ces professionnels a permis cette régulation, afin qu’ils puissent dégager une marge raisonnable compte tenu de l’investissement en capital, et en temps, qu’ils réalisent dans leurs offices et entreprises.

Pour les notaires, la baisse des tarifs est d’environ 2,5 % ; l’essentiel de cette baisse porte sur l’écrêtement des émoluments perçus pour les transactions de faible montant (10 % du sous-jacent, pour des transactions de moins de 11 400 euros). Aujourd’hui, en effet, dans certaines zones rurales, un certain nombre de parcelles agricoles ou forestières ne sont pas transmises car les frais de notaire excèdent la valeur du bien. C’est un obstacle à la mobilité ou au regroupement des forêts : des transactions, qui pourraient être efficaces pour l’exploitation agricole et sylvicole, ne sont alors pas réalisées. C’est également le cas, dans des grandes villes, pour des lots de copropriété dont le coût de transmission excède la valeur du bien – c’est toutefois moins fréquent qu’en milieu rural.

Sur la question de l’installation de ces professionnels, nous venons de publier la carte d’installation des notaires que la loi nous a chargés de proposer au Gouvernement. Depuis longtemps, la démographie des notaires n’a pas évolué : il n’y a pas eu de vision d’ensemble. Certes, la densité des notaires est honorable, voire satisfaisante par rapport à d’autres pays européens. Mais la vérité commande de dire que certaines zones subissent un déséquilibre entre l’offre et la demande de services notariaux. Il est temps, comme en matière de découpage électoral ou pour d’autres professions, d’ajuster cette offre et cette demande, ce qui n’a jamais été fait auparavant. Notre travail – considérable – a consisté à cartographier la France, à l’aide des zones d’emplois définies par l’Insee, corrigées sur certains points. 307 zones ont été jugées pertinentes pour évaluer l’offre et la demande de services notariaux. Nous avons préconisé que dans 247 de ces zones, de nouveaux notaires puissent s’installer. Il s’agirait, selon nous, d’augmenter le nombre de notaires de 20 %, soit 1 650 professionnels libéraux supplémentaires dans deux ans.

Deux objectifs sous-tendent cette proposition : améliorer le maillage territorial, d’abord, car certaines villes ou quartiers périphériques manquent de notaires ; ensuite, rajeunir la profession et donner des perspectives aux notaires salariés. Beaucoup de ces derniers ne trouvent pas à s’installer, et vivent dans un statut sans perspective de pouvoir s’installer à leur compte, et exercer le métier pour lequel ils ont été formés. Nous avons auditionné beaucoup de jeunes notaires, rarement entendus autrement, qui forment le gros des études. Nous voulions les entendre : ils sont porteurs de projets intéressants, souhaitent utiliser les outils numériques dans leur office, créer des services innovants ou encore effectuer des remises tarifaires dans le cadre offert par la loi Macron. Il faut leur donner des perspectives ; à défaut, la France leur tournerait le dos, ce qu’ils ne comprendraient pas. Nous appelons à un renouvellement démographique, à une ouverture de la profession, à une plus forte différenciation des services grâce à l’installation de ces jeunes – et parmi eux, des femmes. Je rappelle qu’un des objectifs de la loi Macron est de veiller à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes dans l’exercice de ces professions.

Le Gouvernement doit statuer, sous peu, sur la proposition de cartographie que nous avons faite. Je souhaite qu’elle soit approuvée, car elle est raisonnable. Elle est construite de manière à ne pas mettre en péril les offices existants, notamment dans les zones rurales. On nous a reproché de créer des déserts juridiques en zone rurale : c’est l’inverse ! Nous allons mieux couvrir la France en services notariaux. Notre proposition préserve les offices dans des zones pour lesquelles le Gouvernement pourra s’opposer à l’installation de nouveaux professionnels, afin de ne pas mettre en péril la viabilité des offices existants, le plus souvent en milieu rural.

Je terminerai par un exemple intéressant de bonne collaboration entre le Gouvernement, l’Autorité et le Parlement : la réforme du transport par autocar. Une enquête sectorielle menée par l’Autorité de la concurrence l’avait conduite à se saisir de ce sujet. Dans notre pays, l’offre est marquée par des opérateurs puissants – Eurolines est une filiale de la Caisse des dépôts et consignations ; OuiBus a été lancée par la SNCF –, mais, paradoxalement, la France était le pays le plus fermé au niveau réglementaire dans le transport par autocar sur longue distance. Eurolines est présent dans plusieurs pays comme la République tchèque, l’Espagne, l’Allemagne, l’Angleterre, mais le marché domestique ne lui était pas ouvert. Nous avons donc considéré qu’il s’agissait d’une bonne réforme : par induction, une demande nouvelle allait émerger, en provenance de personnes plus sensibles au prix qu’au temps, comme les jeunes ou les seniors. Cette demande de transport allait créer, en amont, la construction d’autocars et la formation de conducteurs ; en aval, entraîner des dépenses de restaurant, de logement, de billets pour des musées, bref, de la croissance et de l’emploi.

Cette réforme a été adoptée par le Parlement sans remise en cause des équilibres que nous préconisions. L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) se voit confier les rênes réglementaires de cette nouvelle activité économique. Quelques chiffres devraient mettre fin aux railleries parfois entendues à propos de cette réforme : près de 1,1 million de voyageurs ont été transportés au premier trimestre de 2016. Depuis huit mois, date d’entrée en vigueur de la réforme, les cinq principaux opérateurs ont transporté près de 1,86 million de personnes, contre 110 000 sur toute l’année 2014. 1 200 emplois ont été créés, principalement des conducteurs. 150 villes françaises sont mieux desservies, grâce à des liaisons qui n’existaient pas auparavant. Loin de se substituer au train, ces liaisons s’y ajoutent, notamment là où le train n’allait pas. 566 départs d’autocars sont à relever chaque jour depuis 204 points d’arrêt. Plus de concurrence et plus d’ouverture peuvent stimuler la croissance économique et l’emploi, au bénéfice aussi – ce qui est important – des jeunes, à qui cette réforme parle. Un billet de train coûte cher : les jeunes n’ont plus à renoncer à voyager.

Voici le type de réformes que l’Autorité souhaite défendre : bonnes pour la France, bonnes pour la compétitivité de secteurs nouveaux, bonnes pour les plus jeunes. Les avis que nous avons rendus sur le transport par taxi ou sur le permis de conduire vont dans le même sens. Pour prendre ce dernier exemple, le permis de conduire est souvent le passeport de l’entrée dans le monde du travail, notamment en milieu rural : il y a beaucoup à faire pour le démocratiser.

Mme Annick Le Loch. Vous veillez au libre jeu de la concurrence et à la bonne marche des marchés, pour protéger les consommateurs et assurer la loyauté des relations économiques. Vous êtes président depuis un certain nombre d’années…

M. Bruno Lasserre. Douze ans !

Mme Annick Le Loch. Oui, depuis 2004 : vous connaissez fort bien les missions de l’Autorité. Ses attributions nationales et européennes, notamment pour appliquer sur notre sol le droit de la concurrence, sont mises en œuvre grâce à des outils de prévention et de répression efficaces. Nous les avons renforcés sous cette législature, notamment en matière d’amendes. Depuis 2012, l’Assemblée nationale, et la commission des affaires économiques en particulier, ont souvent eu l’occasion de discuter de vos prérogatives : la question épineuse des sociétés concessionnaires d’autoroutes ; les avancées de loi Macron ; ou la proposition de loi relative à l’abus de dépendance économique, encore récemment. Je souhaite insister sur quelques sujets d’actualité.

Dans votre avis du 31 mars 2015, vous avez insisté sur les risques engendrés par les accords de coopération entre centrales d’achat pour les fournisseurs. À la suite de cet avis et conformément à ses propositions, nous avons adopté la notification préalable en cas de rapprochement ainsi que la redéfinition de l’abus de dépendance économique. Le Gouvernement a émis des réserves sur l’articulation entre l’abus de dépendance et le déséquilibre significatif. Les petits fournisseurs, notamment, craignent que la grande distribution ne les évince en raison de leur situation de dépendance. D’après vous, ces craintes sont-elles justifiées ? Par ailleurs, pouvez-vous nous donner des éléments supplémentaires sur le cas Auchan / Système U, alors que vous avez annoncé qu’une enquête approfondie serait menée sur la fusion de fait à laquelle ces deux groupes souhaitent procéder ?

Plus généralement, l’Autorité de la concurrence ne pourrait-elle pas agir davantage pour maîtriser l’oligopsone de la grande distribution ? Notre droit ne devrait-il pas encore évoluer pour rééquilibrer ce rapport de forces ? Est-ce au niveau européen ou au niveau français que nous pouvons le mieux avancer ? Nous nous posons régulièrement cette question au sein de cette commission. Pour autant, nous savons que la grande distribution est aujourd’hui concurrencée par un e-commerce de plus en plus agressif, qui est exempté de taxe sur les surfaces commerciales et d’autorisations devant les commissions départementales d’aménagement commercial. L’Autorité de la concurrence regarde-t-elle cela de près ? Quelles sont les modifications législatives qui pourraient contrer ces abus de position dominante ? Je souhaitais également aborder la question de l’application de la loi Macron, mais vous y avez déjà largement répondu.

Enfin, le 16 décembre dernier, vous avez rendu un avis sur les quotas de pêche à la suite de la saisine d’une organisation de producteurs, proposant de transformer les quotas collectifs en quotas individuels. Je souhaite souligner votre indépendance sur ce point, car vous savez que ce n’est pas l’orientation qui a été prise au niveau européen.

M. Jean-Claude Mathis. La promulgation de la loi Macron a marqué une étape important dans l’évolution du droit de la concurrence. Elle a visé à accorder à l’Autorité de la concurrence de nouvelles fonctions de régulation et à améliorer son efficacité procédurale. Ces objectifs ont-ils été remplis ? Fallait-il réellement accroître les pouvoirs d’une autorité déjà puissante ? Ces améliorations procédurales ne se font-elles pas au détriment du droit des entreprises et de la confiance des justiciables dans cette institution, dont l’emprise sur le monde économique grandit à chaque réforme ?

M. Thierry Benoit. L’essor de la grande distribution a bouleversé le monde du commerce dans notre pays, ainsi que les habitudes d’achat des consommateurs. Je suis surpris du comportement de l’Autorité de la concurrence face aux accords de coopération de la grande distribution. Car à qui profitent-ils ? On a désorienté le consommateur en banalisant les denrées alimentaires, offertes à profusion et à des prix réduits. La question de l’abus de dépendance économique me préoccupe. La loi de modernisation de l’économie devait stimuler la concurrence et faire baisser les prix au bénéfice du consommateur. Mais nous n’avons pas modifié significativement les effets néfastes de cette loi. Quelles sont les pistes pour mettre un coup d’arrêt à cet oligopole, parfois nommé « cartel », de la grande distribution ? J’aimerais aussi avoir votre point de vue sur les possibilités d’action de l’Union européenne, qui devrait pouvoir intervenir sur ce sujet puisque l’abus de position dominante est défini en droit européen. Toute caricature mise à part, je rappelle que nous sommes passés,  en vingt ans, de 30 centrales d’achat à 4 !

M. Hervé Pellois. J’ai reçu dans ma permanence des notaires ruraux, implantés dans des secteurs où le foncier est peu cher et où il y a peu de ventes de maisons. Ils étaient très réticents face aux nouvelles modalités d’installation : alors qu’ils se situent, sur votre carte, dans une zone de potentiel faible, il est prévu d’y installer un notaire de plus. Prenez-vous en compte le nombre d’actes ou le chiffre d’affaires des offices notariaux pour réaliser votre carte ?

Sur les abattoirs, une commission d’enquête est en cours sur les conditions d’abattage mais, en France, le groupe Bigard a une situation quasi dominante, notamment pour la viande rouge. À l’étranger existent également de très grands abattoirs, ainsi en Allemagne où coexistent deux ou trois « géants » de l’abattage. L’Union européenne n’a-t-elle pas un rôle à jouer dans ce secteur ?

Enfin, la loi Macron a prévu la notification à l’Autorité de la concurrence des accords de coopération à l’achat dans la grande distribution. Pensez-vous que cette mesure soit suffisante pour garantir la concurrence dans ce secteur ?

M. Éric Straumann. Les bus « Macron » prennent plus de 8 heures pour rallier l’Alsace à Paris alors que le train met seulement 3 heures. Les collectivités publiques ont investi des milliards d’euros pour la mise en place des infrastructures ferroviaires, et les contribuables les plus modestes sont contraintes de circuler en bus à défaut de pouvoir se payer le train. Je rappelle qu’en milieu de journée les trains circulent quasiment à vide. C’est un gâchis énorme.

Par ailleurs, le 12 juillet 2011, l’Autorité de la concurrence a autorisé la prise de contrôle du groupe Est républicain par le groupe Crédit mutuel. Une décision est attendue pour l’été pour autoriser ou non la fusion des journaux, en particulier L’Alsace et Les dernières nouvelles d’Alsace. La conséquence en serait qu’il n’y aurait plus qu’un seul journal, sans concurrent, dans notre région.

Sur la carte des notaires que vous avez établie, l’Alsace-Moselle est restée grisée. Je crois savoir pourquoi, mais avez-vous des projets particuliers pour cette région ? Je rappelle que la vénalité des charges n’existe pas en Alsace-Moselle : les notaires s’inscrivent sur un tableau et sont nommés en fonction de leur ancienneté d’inscription, ce qui permet aux jeunes de s’installer sans mise de départ. Ce système fonctionne bien, mais j’ai entendu parler de projets de création d’études notariales par l’État en périphérie de Colmar. Ce sujet reste-t-il d’actualité ?

M. Yves Daniel. Je suis chargé par la commission des affaires européennes d’une mission d’information sur l’après-quotas laitiers. La fin de ces quotas, le cartel des yaourts et la baisse continue de la consommation de produits laitiers mettent le secteur laitier dans une situation difficile. Quelles sont votre analyse et vos recommandations pour ce secteur, dans le contexte concurrentiel que nous connaissons ?

Par ailleurs, vous affirmez souvent que la concurrence n’est ni de droite, ni de gauche. J’aimerais savoir ce que vous entendez par là.

Mme Laure de La Raudière. On m’avait dit que la gauche n’utilisait pas le mot « concurrence » mais ceux de « défaillance de marché », très pudiquement. Monsieur le Président, j’ai une question concernant l’article 22 bis A de la loi pour une République numérique. Cet article, introduit par le Sénat, vous donne une possibilité de prendre toute mesure adéquate pour faire cesser des pratiques de distorsion de concurrence dans le cadre de plateformes en ligne ayant pour finalité d’apporter des réponses à des requêtes de toutes natures. Globalement c’est de l’anti-Google, soyons assez précis. Je voulais savoir si, dans le cadre de la législation actuelle, vous n’avez pas déjà cette possibilité. Est-ce qu’il y a un intérêt pour vous d’avoir cet outil juridique en plus dans la loi ou pensez-vous que vous avez déjà des outils qui fonctionnent ?

La deuxième question concerne également ces marchés de plateforme en ligne : travaillez-vous avec vos homologues des autres pays européens pour bâtir des outils au niveau européen, pour lutter contre une concurrence qui pourrait être déloyale à cause des situations monopolistiques qu’ont certains acteurs américains dans le domaine de l’internet ?

Mme Marie-Lou Marcel. Je voudrais évoquer à mon tour les centrales d’achat et les relations commerciales. Le rapport de nos collègues Annick Le Loch et Philippe Armand Martin sur la mise en application de la loi relative à la consommation pointe les rapprochements des différentes centrales d’achat qui ont impacté fortement les négociations commerciales. Et, c’est notamment vrai pour le rapprochement Auchan et Système U, que vous avez évoqué tout à l’heure et que l’Autorité a considéré comme une fusion de fait. Dans un avis de mars 2015, l’Autorité n’y voyait que des risques d’affaiblissement de la concurrence, avec une pression accrue sur les fournisseurs. Monsieur le Président, j’aurais souhaité que vous nous dressiez un bilan un peu complet de ce travail visant les rapprochements.

Par ailleurs, le 28 avril dernier une proposition de loi a été adoptée en première lecture, réformant l’article L. 420-2 du code de commerce et assouplissant les critères de qualification de l’abus de dépendance économique. Elle permet donc à l’Autorité de lutter plus efficacement contre les pratiques abusives. Comment comptez-vous concrètement mettre en œuvre cette lutte contre ces pratiques abusives ?

Et dernière question, vous avez dit dans vos propos introductifs avoir traité de nombreuses affaires portant sur des abus de position dominante, avec un taux de recouvrement pour 2014 de 100 %. J’aurais aimé vous demander s’il y a une harmonisation européenne dans l’appréciation et l’analyse d’un marché. Est-ce que cette appréciation et cette analyse se font de la même façon dans les différents pays européens ?

M. Jean-Luc Laurent. Monsieur le Président, j’ai envie de vous poser une question d’actualité, une question qui concerne le football, au moment où deux matchs ont lieu en ce moment, Pologne-Ukraine et Allemagne-Irlande du Nord.

Je parle d’une décision qu’a prise l’Autorité récemment, qui a annulé l’accord de distribution entre beIN Sports et Canal +. Ces deux chaînes de télévision se moquent du monde. En matière de concurrence, elles passent de la lutte à mort jusqu’à une entente, qui ne se fait pas, me semble-t-il, dans les règles de l’art de la concurrence. Pour les droits sportifs, il y a une difficulté que l’on voit à l’œuvre et que pointe votre décision. Comment peut-on accepter ces enchères, qui conduisent à acheter hors de prix des droits sportifs avant de les revendre par lots, ou en s’entendant avec un concurrent ou des concurrents malheureux ? Ce modèle n’est pas tenable, Monsieur le Président, et je pense que c’est ce que vous pensez aussi. Il me semble que ces acteurs détruisent le marché avant de le reconstituer à leur avantage, ils en tirent profit, mais ce n’est ni convenable, ni acceptable.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Monsieur le Président, beaucoup de questions ont déjà été posées, je me limiterai donc à une seule concernant les tarifs de péage de sociétés d’autoroutes, qui ont été relevés en février dernier de 1,12 % pour l’année 2016. Nous nous souvenons tous ici des dérives de hausse de tarifs que la Cour des comptes et votre Autorité ont dénoncées.

Mme Frédérique Massat, présidente de la commission. J’aurai une dernière question concernant une sanction récente infligée à TDF à hauteur de 20,6 millions d’euros pour être intervenue abusivement auprès des communes sur le déploiement de la télévision numérique terrestre (TNT). De fait, dans un certain nombre de secteurs, notamment les zones rurales que nous connaissons bien, il peut y avoir une prédominance de TDF. Il serait bon que vous puissiez nous faire le point là-dessus.

M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence. Je répondrai, autant que possible, de manière groupée à ces interrogations, dont certaines se rejoignent, en commençant par les sujets institutionnels et procéduraux.

J’ai été interrogé par M. Jean-Claude Mathis sur l’efficacité procédurale des nouveaux outils que nous donne la loi Macron. Est-ce qu’en réalité cette efficacité accrue ne se fait pas au détriment du droit des entreprises ? Je ne le crois pas : au contraire, sur le plan procédural, cette loi accélère et met nos délais en matière d’examen des concentrations en cohérence avec ce qui se fait au niveau européen. De plus, elle nous donne un nouvel outil, à savoir la possibilité de conclure une transaction avec les entreprises. Nous imposons des sanctions souvent très élevées. Il est donc normal que les entreprises comprennent comment sont calculées nos sanctions, surtout lorsqu’elles s’élèvent à plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de millions d’euros. Nous avons donc publié une ligne directrice qui explique très clairement comment nous calculons les sanctions. Aujourd’hui, les entreprises peuvent obtenir des réductions de sanctions si elles ne contestent pas les griefs, mais elles ne peuvent pas transiger sur un montant de sanction. Ce que nous permettra la loi Macron, c’est de pouvoir converger avec l’entreprise sur un montant de sanction qui ne sera pas contesté. Cela renforcera la clarté et la prévisibilité pour les entreprises, qui seront donc, à mon avis, gagnantes, et cela accélérera le traitement des affaires. Des procès longs et coûteux visant à contester les sanctions que nous avons prononcées devraient ainsi être évités. Je crois donc que c’est une réforme gagnant-gagnant, dont tout le monde profitera.

Une question a été posée sur le lien avec l’Union européenne. Procédons-nous à une harmonisation au niveau européen dans la conduite des affaires, dans l’appréciation des marchés pertinents et dans la définition des sanctions ? Depuis 2004, nous fonctionnons en réseau, la Commission européenne et les 28 autorités nationales, pour appliquer de manière convergente le droit européen de la concurrence. Nous nous répartissons les affaires. Je prends un exemple : nous avons traité, avec nos collègues italiens et suédois le cas des clauses de parité imposées par Booking.com aux hôteliers, mais nous avons laissé à la Commission européenne l’investigation sur le moteur de recherche Google, investigation qui a évidemment une portée européenne, et que nous n’allions pas dupliquer au plan national. Nous nous répartissons les affaires, et veillons à ce que les décisions que nous prenons soient cohérentes les unes avec les autres. La Commission européenne a conduit une consultation publique, à laquelle beaucoup d’entreprises, d’États, d’autorités et de groupes d’intérêts ont répondu, pour franchir une nouvelle étape vers l’harmonisation des outils dont disposent les autorités nationales. Il s’agit également de mieux protéger l’indépendance des autorités nationales, de veiller à ce que les sanctions soient définies de manière plus homogène, à donner aux autorités nationales la même boîte à outils procédurale, pour qu’elles puissent appliquer avec la même effectivité le droit de la concurrence. Nous soutenons cette initiative, qui a d’ailleurs fait l’objet d’un avis favorable de la commission des affaires européennes du Sénat. Il me semble qu’elle doit être soutenue car elle va permettre aux entreprises françaises de bénéficier, notamment lorsqu’elles contestent le pouvoir de marché d’entreprises nationales dans d’autres pays européens, d’avoir recours à des autorités de la concurrence qui auront les mêmes pouvoirs, la même indépendance et les mêmes outils que l’autorité française, ce qui constituera une protection.

Beaucoup de questions ont porté sur la concentration, ou l’oligopole, qui règne dans la grande distribution, et ses centrales d’achat. Il est indéniable que la grande distribution en France est concentrée. Six grandes enseignes se partagent environ les trois quarts du marché français. C’est toutefois moins qu’ailleurs : le marché au Royaume Uni est encore plus concentré. Mais on peut estimer que c’est beaucoup, et nous avons certainement atteint un niveau qui ne peut plus être dépassé. Nous sommes aujourd’hui, à notre avis, à la limite de l’acceptabilité en termes de concentration. Il faut bien reconnaître aussi que cette grande distribution est aujourd’hui exposée à une concurrence qui n’existait pas il y a dix ou quinze ans, en raison du développement de la vente en ligne. Quand Amazon annonce cette semaine qu’il va offrir un service de livraison en une heure ou deux pour ses abonnés, c’est indéniablement une concurrence nouvelle qui va s’imposer à la grande distribution alimentaire, parce que les produits alimentaires font clairement partie des cibles de cette annonce. Nous n’avons donc pas affaire, non plus, à un oligopole figé, qui se trouverait protégé par des barrières à l’entrée. Aujourd’hui, de nouveaux acteurs internationaux sont en train d’entrer sur ce marché et d’exercer une pression concurrentielle.

Comment ne pas dégrader les choses ? D’abord en étudiant et en examinant de manière scrupuleuse les alliances conclues entre ces enseignes pour mettre en commun leurs politiques d’achat. C’est tout le sens de l’avis que nous avons rendu le 31 mars 2015 à la demande du Gouvernement, mais également du Sénat, dans lequel nous avons fait une cartographie très précise des risques concurrentiels associés à ces alliances. Ces risques concurrentiels sont des deux côtés : du côté des marchés aval, qui mettent en relation les consommateurs avec les magasins, parce que ces alliances peuvent conduire à des échanges d’informations sur les promotions ou l’assortiment, et favoriser la collusion entre les enseignes, puisque des informations obtenues lors d’achats en commun on peut déduire des informations sur la politique commerciale menée par chaque enseigne ; mais nous avons aussi identifié des risques concurrentiels sur les marchés amont, qui mettent en relation les fournisseurs et les distributeurs, parce que sur certaines lignes de produits, certaines alliances confèrent à ceux qui les nouent une position de force vis-à-vis de fournisseurs, notamment de PME dans le secteur de l’agro-alimentaire.

Nous avons fait deux propositions sur ce sujet dans notre avis de mars 2015. La première proposition est une proposition de procédure : nous avons constaté que ces alliances n’étaient pas contrôlables ex ante parce qu’il ne s’agissait pas de concentrations mais d’alliances ou d’accords. Nous n’avions pas le pouvoir de regarder les conséquences de ces alliances avant qu’elles ne soient mises en œuvre. C’est l’objet de la loi Macron, qui impose une obligation d’information préalable avec une clause de standstill de deux mois avant que cette alliance ne soit mise en œuvre. C’était d’autant plus choquant que ces alliances ont été conclues en pleines négociations commerciales avec des distributeurs, qui les ont découvertes au moment même où ils entraient dans ces fameux box de négociations, dans lesquelles je n’aimerais pas entrer avec plaisir ! La deuxième proposition que nous avons faite est que si ces alliances à l’achat renforcent les risques d’éviction de certains fournisseurs, notamment des PME, ne faut-il pas revoir les règles qui gouvernent l’état de dépendance économique et permettre à l’Autorité de réprimer non pas les abus de position dominante mais la face inverse de la médaille, c’est-à-dire les abus de dépendance économique subis par les entreprises qui en sont victimes, parce qu’elles n’ont pas le même pouvoir de négociation que les distributeurs avec lesquels elles négocient ?

Malgré l’assouplissement introduit par la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) de 2001, l’état de dépendance économique – qui est une notion qui existe dans notre code de commerce – a fait l’objet d’une définition jurisprudentielle restrictive, au point qu’il est difficile, en droit, de prouver son existence. Les propositions que nous avons faites consistent à assouplir les conditions caractérisant l’état de dépendance économique, notamment parce que la condition exigeant que celui qui se plaint d’un état de dépendance économique doit voir le maintien de son activité mis en cause et ne doit pas avoir de solution de remplacement lorsqu’il se trouve victime d’une rupture de relation commerciale caractérisant l’état de dépendance économique n’est pas très réaliste. En effet, une solution de remplacement n’existe jamais tout de suite. Il faut toujours du temps pour trouver des solutions de remplacement et il serait logique que cette solution de remplacement ne soit mobilisable qu’à moyen terme. Le code de commerce gagnerait donc à être précisé. C’est le sens de la proposition de loi que vous avez citée, mais ce n’est pas la solution miracle. Le ministre de l’économie et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) disposent déjà d’un arsenal de mesures. En cas de déséquilibre significatif, le ministre peut, de sa propre initiative, se substituer aux acteurs de la négociation pour imposer ou demander au tribunal de commerce des sanctions. Je vous le dis franchement, le problème n’est pas tellement de perfectionner notre outil normatif. Quand vous lisez le code de commerce, vous voyez que tous ces problèmes sont traités par des pouvoirs donnés notamment à la DGCCRF. Le problème est que les PME n’osent pas s’en servir par peur des représailles de la grande distribution. Car entre gagner un procès et se voir privées d’un débouché dans la grande distribution, l’arbitrage est vite fait. Elles préfèrent se taire que de se priver d’un débouché qui est vital pour le maintien de leur activité.

On peut certes perfectionner la règle de droit, on se heurtera toujours à cette peur de mobiliser ces outils. Je ne sais pas s’il faut à chaque fois ajouter des couches législatives pour protéger certains acteurs ou encadrer la négociation. La vérité est qu’il faut aussi traiter le problème de fond et accepter un certain regroupement des acteurs parce que c’est cela qui leur donnera du pouvoir. Mais souvent les acteurs ne le veulent pas : ils veulent à la fois être plus forts et rester seuls. Or, c’est comme le mariage, on est plus forts si on accepte de limiter un peu sa liberté pour construire un projet avec une autre personne. Il faut aussi faire passer ce message. On voit que les coopératives agricoles, par exemple, se renforcent. C’est une tendance qu’il faut encourager parce que c’est cela qui donnera le contre-pouvoir nécessaire et non la protection législative, qui ne pourra pas répondre à toutes les situations.

Je parle à mes collègues britanniques, allemands ou néerlandais : je constate qu’il y a aussi en France un problème particulier. Les gens que l’on emploie dans la politique d’achat – et ce n’est pas seulement vrai dans la grande distribution, c’est également une réalité dans l’assurance, dans les industries et les services – sont des tueurs. On envoie des jeunes avec des objectifs démesurés, déraisonnables, ils sont bons et payés avec les réductions de coûts qu’ils obtiennent pour leurs entreprises. Or cette politique est une politique de court terme parce que si on ne respecte pas le partenaire avec lequel on doit vivre et si le prix de la réduction de coûts est la disparition du fournisseur avec lequel on travaille, qui a gagné au bout du compte ? Il y a en France une culture de la politique d’achat qui est mortifère. Je ne comprends pas que l’on ne puisse pas s’en rendre compte. Le respect d’un partenaire et d’un partenariat de long terme qui doit être gagnant-gagnant doit être pris en compte dans le recrutement et les objectifs qui sont donnés aux acheteurs.

On a parlé de beaucoup de sujets, notamment des notaires et des abattoirs. Les notaires seraient furieux si on les traitait dans le même paragraphe que les abattoirs ou les sociétés d’autoroute mais je ne voudrais pas me perdre dans tous ces sujets.

Monsieur Éric Straumann, ne parlez pas de pauvres qui prennent l’autocar. Je ne crois pas, quand même, que l’on mette huit heures entre Paris et Strasbourg. Je l’ai fait en voiture et j’ai mis moins de temps que cela.

Monsieur Éric Straumann. J’ai vérifié, c’est huit heures vingt parce que les autocars s’arrêtent à Nancy.

Monsieur Bruno Lasserre. Les autocars, c’est une question de prix. Moi aussi j’ai des enfants ; les jeunes n’anticipent pas, déclenchent leur demande de transport, leur décision de partir en week-end au dernier moment. C’est pour cela qu’ils ne prennent pas le train : un billet acheté au dernier moment est trop cher. La demande d’autocars sert aussi à cette demande de flexibilité. Les autocars ne sont pas le moyen de transport du pauvre. Ils sont budgétairement accessibles, à des prix très compétitifs. Mais les autocars ne sont pas les vieilles machines que l’on imagine, ce sont des véhicules avec du WiFi et des sièges inclinables. Ce ne sont pas les bétaillères ou les chicken bus que l’on peut voir en Amérique centrale. Ce sont des cars modernes qui offrent un certain nombre de facilités et, sur le plan environnemental, avec les nouvelles normes, ils ne sont pas moins défavorables au bilan carbone qu’une locomotive diesel qui fonctionne à moitié remplie.

Madame Laure de la Raudière, sur votre question concernant les plateformes, l’amendement sénatorial n’ajoute rien à l’arsenal existant. Nous avons le pouvoir aujourd’hui d’ordonner des mesures conservatoires, nous l’avons fait dans le cadre de Google, d’Apple ou d’autres géants de l’internet, à trois conditions. Il faut d’abord que la pratique soit susceptible d’être considérée comme anti-concurrentielle, disons abusive pour l’abus de position dominante. Il faut ensuite un risque d’atteinte sérieuse et immédiate aux intérêts du secteur, à la concurrence ou à la situation de l’entreprise plaignante et, enfin, un lien de causalité entre cette atteinte et la pratique jugée ou présumée anti-concurrentielle. Nous ordonnons régulièrement des mesures conservatoires, y compris dans les droits sportifs, dans les télécoms, dans l’énergie ou pour les géants de l’internet. Nous l’avons fait pour Google AdWords et pour Apple pour ce qui concerne la distribution de l’iPhone.

Ce qui me semblerait préférable c’est d’inviter la Commission européenne à utiliser de manière plus active ces mesures. Elle ne l’a fait qu’une fois depuis sa création alors que nous l’avons fait trente fois depuis les années 2000. La vérité est celle-là : il faudrait encourager les autres autorités de la concurrence et notamment la Commission à faire un usage plus intense et actif de ces mesures.

Sur la question des plateformes je voulais vous citer trois initiatives que nous avons prises. Nous nous sommes groupés avec les Italiens et les Suédois pour traiter le cas Booking.com. Booking.com, Expedia ou les autres plateformes de réservation en ligne imposaient des clauses de parité qui contraignaient les hôtels et les autres plateformes à pratiquer les mêmes prix que ceux affichés sur ces sites. C’est par une décision conjointe avec les Italiens et les Suédois que nous avons obtenu la suppression de ces clauses qui vont permettre une meilleure concurrence entre plateformes, au bénéfice des hôtels qui vont retrouver une meilleure concurrence et des consommateurs.

Nous avons publié avec les Britanniques une étude conjointe sur les effets sur la concurrence des écosystèmes ouverts ou fermés et nous venons de publier avec les Allemands – le Bundeskartellamt – une étude sur le rôle des données dans la concurrence : nous voulons prendre mieux en compte la capacité considérable que donne à certaines entreprises la possibilité de collecter de manière massive certaines données qui ont ensuite un usage commercial. Cette étude est conjointe avec les Allemands, elle a été jugée très intéressante par la Commission européenne qui s’en inspire et c’est dans le sillage de cette étude que nous avons lancé cette enquête sectorielle sur la publicité en ligne, parce que cela illustre encore plus profondément le rôle fondamental que jouent les données dans l’animation de l’économie numérique et de la concurrence de manière générale.

J’en viens aux notaires. Monsieur Hervé Pellois, vous êtes inquiet pour les notaires ruraux, à deux titres. À la fois à cause de l’écrêtement à 10 % des émoluments et à cause des propositions trop libérales que l’on aurait pu faire en matière d’installation.

Vous avez raison, cette réforme, qui va générer plus d’efficacité et peut-être permettre un déblocage d’un certain nombre de transactions, touche plus les offices ruraux que les offices urbains. Je suis mille fois d’accord puisque les prix du foncier sont plus faibles dans les zones rurales. Mais je ne crois pas qu’une de ces mesures mette en péril les offices ruraux parce que, d’une part, cela ne concerne qu’une part minoritaire de l’activité. Cela ne touche que les transactions inférieures à 11 400 euros. Et, d’autre part, parce que la loi prévoit un mécanisme de compensation entre les offices les plus rentables et ceux qui ne le sont pas. Soyons clairs, beaucoup d’offices urbains ont bénéficié de l’explosion des prix immobiliers. Dans la mesure où les émoluments sont proportionnels à la valeur des transactions ils n’ont pas eu à se plaindre à la fois de l’augmentation des prix de l’immobilier et de l’augmentation des transactions.

Qu’il y ait une compensation entre les offices notariaux pour que ceux qui – je vais dire un gros mot – bénéficient de la rente liée à cette proportionnalité en reverse une partie aux offices ruraux, c’est la logique de la loi Macron que nous appuyons tout à fait. En matière d’installation, nous avons fait une étude très documentée et très mesurée sur les besoins et, je vous le dis très franchement, nos propositions respectent les offices existants, notamment dans les zones rurales. Il y a des zones où nous préconisons l’augmentation de seulement un ou deux professionnels. Il s’agit souvent de zones mixtes où il existe des petites villes et des zones rurales. Nous avons adapté nos préoccupations à la démographie de ces zones ainsi qu’à une série de données que nous avons collectées : le nombre de mariages, le nombre de décès, l’activité immobilière, l’activité économique parce que ce sont elles qui sont corrélées par le nombre d’actes notariaux générés par ces activités.

Monsieur Éric Straumann, vous m’avez interrogé sur les notaires en Alsace-Moselle. La loi Macron ne s’applique pas à l’Alsace-Moselle. Vous en avez tout à fait expliqué les raisons, qui sont historiques. Mais nous le regrettons parce qu’en réalité la concentration des notaires est la plus forte dans ces départements et le revenu moyen par notaire y est aussi le plus élevé.

Monsieur Éric Straumann. Ils payent aussi plus d’impôts.

Monsieur Bruno Lasserre. Peut-être. Mais s’il y a quelque chose à corriger, c’est dans ces départements. L’égalité commande que l’on traite aussi ces départements et c’est une des préconisations que nous avons faites dans notre avis.

Monsieur Hervé Pellois, sur les abattoirs, nous avons pris une décision de sanction à l’égard de Bigard qui n’avait pas respecté les conditions qui s’attachaient à une décision de concentration dont il bénéficiait. Le Conseil d’État a confirmé cette sanction. Vous avez raison, c’est peut-être un sujet sur lequel une enquête sectorielle serait nécessaire. Mais nous restons prudents en matière agricole. Quoi que nous fassions, nous sommes critiqués : soit nous en faisons trop, soit pas assez. Nous avons donc préféré statuer soit sur les plaintes des agriculteurs, soit sur saisine du Gouvernement. Nous n’avons jamais agi en matière agricole de notre propre initiative, y compris sur le fameux cartel des yaourts. C’est un secteur sur lequel nous agissons avec précaution.

Je voudrais aussi rebondir sur la question concernant le secteur du lait. Soyons clairs, la France n’a pas assez anticipé la suppression des quotas laitiers, qui a été annoncée, mais jamais intégrée dans les esprits. Aujourd’hui, on s’aperçoit qu’elle change en profondeur le fonctionnement de ce secteur économique, sans qu’on ait pris des mesures suffisamment drastiques pour préparer ce changement de fond. Je ne vais pas revenir sur toutes les mesures que nous avons proposées, sur la contractualisation, qui est un élément important de sécurisation et de plus grande prévisibilité des revenus, sur la création des organisations de producteurs qui a été assouplie, ni sur les plus grandes facilités qui doivent être données aux organisations de producteurs. Nous soutenons toutes ces mesures car nous pensons que dans ce secteur comme dans d’autres secteurs agricoles, le rôle des organisations communes de producteurs doit être renforcé et la contractualisation avec les industries de transformation et la distribution en aval mieux formalisée pour guider sur le long terme la formation des prix.

Sur les quotas de pêche, Madame Annick Le Loch, nous souhaiterions procéder à une modernisation, même si ces quotas répondent à un vrai besoin : la ressource n’étant pas extensible à l’infini, on comprend qu’on régule de manière quantitative les droits de pêche. Ce qui nous choque, ce n’est pas l’existence de quotas ou de droits de pêche mais le fait qu’aujourd’hui, ils sont attribués de manière collective, et davantage en fonction des droits historiques qui sont figés qu’en fonction de l’efficacité. Ce que nous proposions, c’est donc une meilleure émulation entre les acteurs. Nous privilégions une régulation qui tiennent plus compte des efforts d’efficacité menés par chacun des pêcheurs.

Monsieur Jean-Luc Laurent, sur les droits sportifs, nous n’avons rien annulé, mais nous avons refusé de lever une injonction qui aurait permis la signature d’un accord exclusif de distribution entre Canal et les chaînes beIN Sports. Nous avons estimé que les risques concurrentiels étaient trop importants. En particulier, les deux entreprises auraient détenu en duopole 80 % des droits sportifs, d’où des risques de collusion. Dans la mesure où ces injonctions doivent être revues dans leur ensemble en juin 2017, nous avons considéré que nous ne pouvions pas examiner ces sujets indépendamment des autres sujets que pose la télévision payante. Personnellement, je suis d’accord avec vous : dans cette réflexion collective que nous allons mener, il faut garder à l’esprit que derrière le sujet de la télévision payante, il y a ceux du financement du cinéma et de la création mais aussi du sport, qui aujourd’hui se rémunère grâce à la vente de droits télévisés. On voit que, d’une certaine manière, l’inflation et l’explosion des droits sportifs conduisent aussi à un épuisement des acteurs. TPS a été vendu à Canal + parce qu’il n’arrivait plus à suivre cette surenchère. Orange Sport a jeté l’éponge, beIN Sports est en perte et prévoyait donc de signer un accord de distribution exclusive avec Canal +. Ne faut-il donc pas réfléchir aussi à des modèles de financement du sport qui ne dépendent pas uniquement de contrats négociés directement, avec tous les risques que cela suppose, entre des clubs et des télévisions ? En effet, il n’est pas sûr qu’on trouve une émulation suffisante entre chaînes pour pouvoir assurer le financement du sport. Il est clair que c’est un des sujets sur lesquels nous allons faire porter notre réexamen.

Madame Marie-Noëlle Battistel a posé la question des péages des autoroutes. Cela a été un sujet « sanglant » sur lequel l’Autorité de la concurrence a été encensée d’un côté, très critiquée de l’autre. Je n’ai pas besoin de vous dire qui critiquait et qui encensait, vous l’avez deviné. Mais c’est un sujet sur lequel, nous avons fait des propositions qui n’ont été qu’en partie écoutées, notamment sur la meilleure régulation des autoroutes. La loi Macron reprend un certain nombre de nos propositions pour renforcer les pouvoirs de l’ARAFER, notamment sur les déterminants économiques des péages et sur le contrôle de l’attribution des travaux pour la construction et l’entretien des autoroutes, car le sujet est aussi celui de l’intégration verticale. Ces concessions sont détenues par des groupes de BTP intégrés dont la tentation est de faire réaliser les travaux par leurs propres filiales plutôt que par des groupes de BTP indépendants. Cela peut être de nature à enchérir les prix. Le message que nous avions fait passer au Gouvernement, et qui n’a été qu’en partie entendu, c’était de dire que la négociation de ces contrats avait été dans l’ensemble défavorable à l’État et aux usagers. Nous avons dit qu’il y avait une occasion inespérée de reprendre le contrôle et de bâtir un accord plus équilibré, en profitant de la demande de prolongation des contrats que demandent les sociétés d’autoroutes en échange du plan autoroutier. Malgré ses imperfections, cette discussion a eu lieu. Pour moi, la page est close, nous n’allons pas relancer une enquête et le débat. Nous nous sommes exprimés, de manière forte, car je crois qu’il fallait que cette parole soit portée. Nous avons dit ce que nous pensions de ce dossier, c’est maintenant à l’État d’en tirer les conséquences.

Madame la présidente Frédérique Massat, ce que nous avons reproché à TDF, c’est d’avoir joué sur la confusion des genres. Vous savez que la TNT a permis l’émergence de nouveaux acteurs dans la télédiffusion au bénéfice des territoires. TDF a abusivement, en tout cas c’est le sens de notre décision, joué sur l’ambiguïté de son statut : elle a fait croire aux communes qu’elle était toujours une personne publique qui devait émettre un avis sur les servitudes nécessaires pour l’installation de pylônes concurrents, alors qu’elle est une entreprise privée, qui appartient aujourd’hui à des fonds d’investissements. Elle a écrit aux communes pour jouer sur cette ambiguïté, en laissant penser qu’elle détenait toujours un pouvoir régalien et que les communes devaient toujours la consulter pour savoir si des servitudes étaient nécessaires. C’est pour cela que nous avons dit que TDF avait induit en erreur les collectivités et créé un obstacle artificiel à l’arrivée de concurrents. C’est cela que nous avons sanctionné.

Sur la presse et l’Est Républicain, vous savez que la presse régionale s’est beaucoup concentrée parce qu’elle se porte mal. Le territoire français est désormais partagé entre des groupes intégrés. Le groupe Crédit Mutuel a pris le contrôle d’un grand nombre de titres. Nous ne nous y sommes pas opposés pour des raisons de réalisme. Nous pensions que sans repreneurs, ces titres n’auraient pas pu survivre, et nous avons donc accepté la concentration parce que nous pensions que c’était le seul moyen de faire survivre ces titres qui se portent mal. Mais nous avons négocié avec le Crédit Mutuel et imposé, pour les informations qui ne sont pas mutualisables, à savoir celles qui donnent lieu à une création journalistique, le maintien d’une rédaction séparée et une présentation différente des titres afin que chacun conserve une ligne éditoriale distincte des autres, dans l’intérêt des lecteurs qui sont habitués à préférer un titre par rapport à un autre. Mais ces engagements prennent fin. Quand nous négocions des conditions pour une fusion ou un rachat, nous négocions des conditions qui ne sont pas éternelles mais pour une durée déterminée. Je pense que ce à quoi vous faites allusion, c’est l’expiration du délai de cinq ans pendant lequel ces engagements étaient valables et qui doivent trouver leur fin bientôt.

Mme la Présidente Frédérique Massat. Monsieur le Président, je vous remercie d’avoir été très complet et clair dans vos réponses aux interrogations des parlementaires. Au vu du nombre de sujets abordés, je pense que nous aurons l’occasion de vous auditionner à nouveau, peut-être même prochainement.

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Informations relatives à la commission

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 21 juin 2016 à 17 h 15

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, Mme Karine Daniel, M. Yves Daniel, M. Joël Giraud, M. Jean Grellier, M. Henri Jibrayel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Hervé Pellois, M. Martial Saddier, M. Éric Straumann, M. Fabrice Verdier

Excusés. – M. Bruno Nestor Azerot, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Laurent Furst, M. Thierry Lazaro, Mme Béatrice Santais, M. Lionel Tardy

Assistaient également à la réunion. – M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Claude Mathis