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Commission des affaires économiques

Mercredi 20 juillet 2016

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 99

Présidence de Mme Frédérique Massat, Présidente

– Audition de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie

La commission a procédé à l’audition de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie.

Mme la présidente Frédérique Massat. M. Philippe de Ladoucette est un habitué de notre commission et de l’Assemblée nationale. Il est venu à plusieurs reprises devant plusieurs autres commissions, dont la commission spéciale pour l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, ainsi que diverses missions d’information et commissions d’enquête. Dès février 2011, nous l’avons entendu en vue de sa nomination au poste de président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), et nous l’avons également auditionné sur les énergies renouvelables.

Monsieur le président, votre mandat de six ans non renouvelable expirant en février 2017, c’est certainement la dernière fois que vous vous exprimerez devant nous dans le cadre de vos fonctions actuelles.

Nous vous remercions de la rapidité avec laquelle vous avez répondu à notre invitation, le rapport que vous avez publié sur les tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité, en application de la loi relative à la transition énergétique, étant parvenu à la commission des affaires économiques le 11 juillet dernier. Je rappelle que l’article 160 de cette loi prévoit qu’au plus tard six mois après sa promulgation, la CRE rend compte au Parlement des orientations qu’elle entend mettre en œuvre pour que les tarifs des réseaux de transport et de distribution d’électricité incitent à améliorer la sécurité d’approvisionnement et la qualité de fourniture, favorisent la limitation des pointes d’injection et de soutirage et contribuent au développement des flexibilités, parmi lesquelles les moyens de stockage d’électricité décentralisée. J’ai souhaité que l’on puisse, avant la fin de cette session extraordinaire, vous entendre non seulement sur ce rapport-ci mais également sur le rapport d’activité de la CRE ainsi que sur les nombreux sujets d’actualité qui concernent votre domaine de compétence.

Juste avant votre arrivée, la commission des affaires économique a examiné le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 10 février 2016 portant sur un dispositif de continuité de fourniture succédant à la fin des offres de marché transitoire de gaz et d’électricité. Je ne doute pas que des questions vous seront posées sur ce point. Pourriez-vous nous donner un retour d’expérience sur votre action en ce domaine ?

La fin des tarifs réglementés de vente (TRV) pour les professionnels est une étape décisive de l’ouverture à la concurrence. Dans votre rapport d’activité, vous avez déclaré avoir dégagé d’importants moyens pour répondre aux enjeux concurrentiels de la fin des tarifs réglementés. Votre action comprenait trois axes : renforcer l’information des consommateurs, assurer le partage des fichiers clients des opérateurs historiques avec les autres fournisseurs, et préparer et surveiller le processus de sortie des tarifs réglementés.

Est également en navette une proposition de loi sur le statut des autorités administratives indépendantes, reconnaissant ce statut à la CRE et ayant permis de soulever les enjeux budgétaires utiles à vos missions. Au-delà, il a été question, dans le cadre de l’examen de ce texte, de la fusion de la CRE et du Médiateur national de l’énergie. Que pensez-vous de cette proposition sénatoriale que n’a pas retenue l’Assemblée nationale ? Que pensez-vous de la solution alternative consistant à regrouper les régulateurs des secteurs économiques en réseau au sein d’une autorité de la concurrence élargie ?

Je dois souligner que votre rapport d’activité et de synthèse est très pédagogique et très lisible ; il permet d’avoir une vision claire de votre fonctionnement. De fait, les enjeux en cause ne sont évidents ni pour les parlementaires, ni pour les professionnels, sans parler du consommateur particulier. Les choses sont complexes, a fortiori en période d’ouverture à la concurrence qui expose les consommateurs à des démarchages abusifs et intrusifs.

Des questions ont également été soulevées au sein de cette commission concernant le changement de nom d’ERDF, devenu Enedis, dont nous avons auditionné récemment le président du directoire. Votre rapport fait état, à cet égard, de plusieurs observations et obligations. Nos travaux étant retransmis en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale et pouvant être visionnés a posteriori, pourriez-vous nous expliquer en quoi cette différence d’appellation entre ERDF et EDF est nécessaire ?

Enfin, vous évoquez dans votre rapport les véhicules électriques et la capacité d’installation de bornes électriques, sujet sur lequel notre commission s’est longuement penchée. Comment comptez-vous faire aboutir et décliner les propositions que vous avez formulées en la matière ? Cela intéresse non seulement les consommateurs, mais aussi bon nombre d’élus qui se sont lancés, à l’aide d’incitations de l’État et d’opérateurs telle l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), dans l’installation de bornes électriques, pour lesquelles des objectifs chiffrés ont été fixés dans la loi relative à la transition énergétique.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. L’année 2016 est, pour la CRE, très particulière. C’est d’abord l’année où elle traite de tous les tarifs de distribution et de transport du gaz et de l’électricité. Ensuite, c’est la première fois que la CRE est chargée de déterminer elle-même l’évolution des tarifs réglementés de vente de l’électricité et les charges de service public de l’énergie, dans le cadre de la réforme de la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Enfin, cette année a vu la disparition des tarifs réglementés de vente de l’électricité et du gaz pour les industriels et la plupart des professionnels.

Le 13 juillet dernier, nous avons délibéré sur l’évolution des TRV d’électricité. Cette délibération a conduit à une baisse des tarifs réglementés de l’électricité de 0,5 % qui sera appliquée dès le 1er août prochain, à la suite d’une décision du Gouvernement qui, sans attendre les trois mois dont il dispose, a souhaité appliquer cette baisse immédiatement. Cette proposition passe d’ailleurs demain devant le Conseil supérieur de l’énergie. Le même jour, nous avons délibéré sur les charges de service public de l’énergie, délibération que nous avons transmises à la ministre chargée de l’énergie. Et c’est le 1er juillet dernier que s’est terminée la période transitoire qui avait succédé à la disparition des TRV d’électricité pour les industriels. La CRE a joué, au cours de cette période, un rôle significatif de facilitateur afin de réussir le basculement dans l’offre de marché.

Ces tarifs bénéficient, en métropole, aux clients de puissance souscrite inférieure à 36 kilovoltampères et, dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental, à l’ensemble des consommateurs. En métropole, ils sont déterminés par empilement des coûts, ce qui leur permet d’être contestables, c’est-à-dire concurrencés par des fournisseurs alternatifs. La baisse de 0,5 % résulte essentiellement de la baisse des prix de marché de l’électricité, quand, dans le même temps, le niveau du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) et celui des coûts de commercialisation n’augmentent que modérément. Il est à noter que cette baisse de 0,5 % en moyenne est de 1,5 % pour les clients bleus professionnels, parmi lesquels beaucoup d’artisans, dont on a un peu moins parlé.

Les décisions du Conseil d’État du 15 juin 2016 ont enjoint aux ministres concernés de prendre deux arrêtés rétroactifs, pour la période comprise entre le 1er août et le 31 octobre 2014, d’une part, et pour la période comprise entre le 1er novembre 2014 et le 31 juillet 2015, d’autre part, qui devront permettre le rattrapage du déficit de couverture des coûts au cours de la période tarifaire précédente. En revanche, aucun rattrapage n’a été prévu pour l’année 2012. C’est la raison pour laquelle, pour le bon fonctionnement des marchés, nous avons décidé de rattraper, dans le cadre de l’évolution tarifaire que j’ai évoquée, environ la moitié des sommes dues, c’est-à-dire 200 millions sur 420. Le total amène à une baisse de 0,5 %.

Un mot de l’état de la concurrence et de l’avenir des TRV. Dans le domaine de l’électricité, la situation reste très restreinte en termes concurrentiels puisque, dix ans après l’ouverture des marchés à la concurrence, 88 % des clients sont encore aux tarifs réglementés chez EDF. On observe depuis un an une timide progression de la part de marché des fournisseurs alternatifs, de l’ordre de 2 %, et 2016 devrait voir apparaître de nouveaux fournisseurs, certains de petite taille, d’autres étant de très grosses entreprises s’intéressant à l’électricité. Ainsi Total a-t-il racheté Lampiris pour devenir un acteur non seulement du gaz, mais également sur le marché de l’électricité.

J’aimerais attirer votre attention sur un point juridique relatif aux tarifs réglementés du gaz. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a été saisie par le Conseil d’État d’une question préjudicielle sur la compatibilité de ces tarifs avec les règles du marché intérieur européen. Elle n’a pas encore rendu sa décision, mais les conclusions de l’avocat général sont négatives. Il est donc relativement probable que la Cour prenne, elle aussi, une décision négative, ce qui conduira probablement le Conseil d’État à demander, dans la foulée, la disparition des TRV de gaz. Cette décision, que l’on considère comme pratiquement acquise, n’aura pas d’effet traumatisant pour les consommateurs puisqu’une grande partie d’entre eux sont déjà passés aux tarifs de marché s’agissant du gaz, ce qui leur a permis de réaliser des économies de l’ordre de 10 à 15 %. En revanche, se posera certainement dans les années à venir la question des tarifs réglementés de l’électricité puisque certains opérateurs souhaiteraient déjà une concomitance entre la disparition des tarifs réglementés du gaz et de ceux de l’électricité.

J’en viens à la CSPE. La loi de finances rectificative pour 2015 du 29 décembre 2015 a introduit une réforme du financement des charges de service public portant, d’une part, sur la budgétisation des charges de service public de l’électricité et du gaz, regroupées et désormais dénommées charges de service public de l’énergie et, d’autre part, sur leur financement par les taxes intérieures sur la consommation finale d’énergie, et la suppression des contributions spécifiques antérieures – la CSPE-électricité devenue CSPE-énergie, la contribution au tarif spécial de solidarité (CTSS) et la contribution biométhane. Dans le cadre de cette réforme, la CRE n’intervient plus dans les opérations de recouvrement – qui relèvent désormais de la direction des douanes – et de compensation des opérateurs. Elle conserve toutefois la mission d’évaluer les charges qui vous seront ensuite présentées en loi de finances.

Le montant prévisionnel des charges de service public de l’énergie pour 2017 s’élève à 8 milliards d’euros, en hausse de 19 % par rapport au montant constaté des charges de 2015. Cette hausse de près de 1,3 milliard d’euros s’explique par l’effet conjugué, d’une part, du développement des filières de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables, accentué par la baisse des prix sur les marché de gros de l’électricité – à hauteur de 1,4 milliard d’euros dont 0,4 milliard lié à la baisse des prix de marché – et, d’autre part, de la diminution des surcoûts liés à la péréquation tarifaire dans les zones non interconnectées, pour un montant de moins 200 millions d’euros. Le soutien aux énergies renouvelables en métropole continentale représente 67 % de ce montant, soit 5,3 milliards, dont 35 % pour le photovoltaïque et 19 % pour l’éolien. La péréquation tarifaire représente 21 % de ce montant, le soutien à la cogénération, 5 %, et les dispositifs sociaux, 5 % également, c’est-à-dire 500 millions d’euros. Le montant total des charges de service public de l’énergie à réellement compenser en 2017 s’élève à 9,7 milliards d’euros, ce qui inclut notamment l’échéancier de remboursement, intérêts inclus, du déficit de compensation d’EDF, qui s’élevait à 5,9 milliards d’euros au 31 décembre 2015.

Madame la présidente, vous avez évoqué la sortie de l’offre transitoire. Comme vous le savez, le 31 décembre dernier, les TRV ont disparu pour l’ensemble des consommateurs industriels et pour une grande partie des professionnels. Une période transitoire de six mois, courant jusqu’au 30 juin 2016, avait toutefois été prévue par le législateur pour accompagner cette disparition. L’ordonnance du 10 février 2016 est venue compléter ces dispositions au-delà de cette échéance, en confiant à la CRE le soin de désigner par appel d’offres un ou des fournisseurs chargés d’assurer la continuité de fourniture des clients qui seraient toujours en offre transitoire au 1er juillet 2016. L’objectif de cette ordonnance était double : éviter de couper l’approvisionnement à plusieurs milliers de clients, tout en veillant à ce qu’ils ne demeurent pas systématiquement chez leur fournisseur historique. En électricité, six fournisseurs ont remporté des lots : Hydroption, Uniper, Direct Energie, Énergies Libres, EDF et Engie. En gaz naturel, six fournisseurs également – Électricité de Strasbourg, Direct Energie, Engie, ENI et Gaz de Bordeaux – ont remporté les lots sur le territoire de GRDF.

Vous avez soulevé le problème des fichiers ; il est incontestable. Globalement, la procédure s’est déroulée dans des conditions convenables. Dans une autre enceinte, j’ai eu l’occasion de dire que cela aurait pu être pire. Cela n’a donc pas été parfait mais je ne vois guère comment on aurait pu mieux faire. Il n’y avait pas de solution idéale. Nous avons fait ce que nous avons pu, compte tenu de la façon dont les choses se présentaient. On peut regretter, alors que la disparition des tarifs réglementés de l’électricité était prévue depuis la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (Nome) de 2010, qu’on ne s’y soit pas pris à l’avance pour la préparer et s’assurer que les fichiers transmis par les opérateurs historiques – EDF et Engie – étaient de bonne qualité. En effet, beaucoup de fournisseurs alternatifs se sont plaints d’avoir eu du mal à joindre les clients. La CRE lancera un nouvel appel d’offres au mois de novembre prochain pour essayer de régler l’ensemble de ces questions. Mais, encore une fois, cela ne s’est pas trop mal passé au regard de ce à quoi l’on s’attendait et compte tenu du nombre de sites concernés.

J’en viens à présent aux tarifs de réseau et en particulier au TURPE, dont la préparation constitue une part importante de notre activité.

S’agissant du transport, RTE exploite plus de 100 000 kilomètres de lignes à très haute tension, emploie environ 8 500 salariés et réalise un chiffre d’affaires annuel supérieur à 4 milliards d’euros. Dans la distribution, Enedis représente 96 % du réseau national et emploie 38 000 salariés ; son chiffre d’affaires annuel est d’environ 13 milliards d’euros.

J’ouvre une petite parenthèse puisque vous m’avez interrogé sur le changement de nom d’ERDF. Depuis la création de cette entreprise en 2008, la CRE a toujours dit que son nom prêtait à confusion avec celui d’EDF. À mesure que le temps a passé, des interrogations se sont fait entendre de la part de plusieurs acteurs. La Commission européenne a même envoyé une lettre au Gouvernement à ce sujet. UFC-Que Choisir s’en est aussi émue et a saisi directement le comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS). Dans un premier temps, nous avons demandé à ERDF de faire des propositions d’évolution. Nous avons constaté que le distributeur avait effectivement fourni un effort en la matière mais que la confusion demeurait possible. J’ai donc saisi à mon tour le CoRDiS, puisque c’est ma responsabilité en tant que président de la CRE. Après enquête, cette instance, composée de deux membres de la Cour de cassation et de deux membres du Conseil d’État, a demandé à ERDF de changer de nom avant d’entamer une procédure qui aurait éventuellement pu conduire à des sanctions. Tout bien considéré, l’entreprise a proposé le nom d’Enedis – qui, d’ailleurs, avait été déposé en 2007 déjà. J’avais exprimé à l’époque, lors d’une audition devant nous du président d’EDF, M. Pierre Gadoneix, mon espoir que ce nom soit transitoire. Il m’avait répondu que oui – parfois, le transitoire dure longtemps.

J’aborde à présent le problème du TURPE.

Ce tarif intéresse tout le monde, car il représente tout de même quelque 40 % de la facture d’un utilisateur domestique et environ 20 % de celle d’un utilisateur industriel. Est actuellement en vigueur le TURPE 4, depuis août 2013 pour le transport et depuis janvier 2014 pour la distribution. Le nouveau TURPE 5 entrera en vigueur à l’été 2017 de façon coordonnée pour le transport et la distribution. Il s’appliquera pour environ quatre ans, soit jusqu’à l’été 2021.

La CRE a la responsabilité de définir le TURPE. Le ministre chargé de l’énergie peut lui communiquer des orientations de politique énergétique, qu’elle doit prendre en compte dans ses décisions. Le travail d’élaboration du TURPE est extrêmement long ; il demande environ deux ans avant l’entrée en vigueur du tarif. La CRE procède à de larges concertations – elle a ainsi organisé trois consultations publiques en tout pour le TURPE 5 – et réunit beaucoup de tables rondes.

Le principal enjeu du prochain TURPE est la prise en compte des conséquences de la transition énergétique. Le modèle électrique français historiquement centralisé fait face, depuis quelques années, à des évolutions des modes de production et de consommation. Citons tout d’abord l’augmentation de la production à partir de sources d’énergie renouvelable : 350 000 installations de production sont aujourd’hui raccordées au réseau d’Enedis, représentant 20 gigawatts de capacité. Soulignons ensuite la faible croissance de la demande : depuis cinq ans, la consommation française stagne et, pour la première fois, RTE prévoit, dans son bilan prévisionnel 2016, une baisse de 1,5 % de la consommation française à l’horizon 2021. La pointe de consommation, qui demeure très marquée, est estimée par RTE à 100 000 mégawatts (MW) en 2020 contre 102 000 MW lors de la pointe de 2002. Notons, par ailleurs, la mise en place de nouveaux mécanismes de flexibilité tels que les boîtiers d’effacement et le stockage décentralisé. Enfin, on s’attend à un développement de l’autoproduction : celle-ci reste pour l’instant à un niveau très faible dans notre pays, mais elle devrait décoller dans les prochaines années. Toutes ces évolutions doivent être prises en compte dans le TURPE.

À ces évolutions s’ajoute un autre changement majeur : la révolution des données due, comme partout ailleurs dans l’économie, au développement des technologies de l’information qui transforment complètement l’activité des gestionnaires de réseau et offrent des perspectives de gains considérables d’efficacité et de qualité de service.

J’évoquerai à ce moment précis le compteur Linky, projet que la CRE a porté pendant de longues années et qui fait l’objet de nombreux débats, en particulier sur les réseaux sociaux. Un certain nombre de maires se sont émus des conséquences que pouvait avoir Linky sur la vie privée et sur les ondes. Un rapport consacré à ce dernier aspect devrait avoir apporté des éléments de nature à rassurer. Cela dit, il n’est pas anormal que ce type d’outil suscite des interrogations – c’est le cas partout dans le monde, et notamment aux États-Unis. Le tout est d’expliquer les choses encore et encore, car Linky est un très beau projet industriel pour la France, qui permettra de faire face à la transformation du système électrique français.

Le TURPE devra donc s’adapter à toutes ces évolutions, en tenant compte de deux éléments fondamentaux : la péréquation nationale et la non-discrimination.

Abordant les principales évolutions envisagées par la CRE pour le prochain TURPE, j’en viens au rapport que nous avons remis au Parlement concernant la prise en compte de la loi relative à la transition énergétique. L’une des principales préoccupations concerne le renforcement de l’horosaisonnalité, c’est-à-dire la différenciation du prix en fonction du moment où l’électricité est consommée. On recense deux évolutions principales.

La première consiste en l’introduction d’options tarifaires à quatre périodes temporelles en basse tension, c’est-à-dire pour le marché de masse. Il s’agit de superposer au signal heures pleines-heures creuses existant un nouveau signal hiver-été. Il y aura donc désormais quatre périodes : hiver heures pleines, hiver heures creuses, été heures pleines, été heures creuses. Cette fonctionnalité, permise par Linky, est essentielle pour maîtriser les coûts de réseau à moyen et long terme. Il s’agit d’une option au choix de l’utilisateur ou de son fournisseur, qui sera progressivement ouverte au fur et à mesure du déploiement de Linky.

Le deuxième élément important consiste en l’introduction d’une option à pointe mobile en haute tension A (HTA), qui concerne environ 100 000 clients. Le bon synchronisme entre la pointe de consommation nationale et les heures critiques pour le réseau HTA permettra à un tel signal de contribuer à diminuer les besoins d’investissement sur les réseaux, même si les simulations d’Enedis montrent que les gains sont encore limités. Nous avons d’ailleurs décidé, contrairement à la pratique habituelle, de modifier le TURPE 4 en cours de route pour introduire cette option à pointe mobile dès le 1er janvier 2017.

En revanche, la CRE a choisi de ne pas introduire d’option à pointe mobile pour la basse tension. Il s’agit d’une question éminemment complexe, car, en basse tension, les pics de consommation sont locaux. Si la pointe mobile repose sur un signal national, on risque, du fait des reports de consommation, d’aggraver la pointe réelle et donc d’augmenter les coûts de réseau. Pour l’instant, ni Enedis, ni les fournisseurs ne sont prêts à gérer une pointe mobile sur la base de signaux locaux. Par ailleurs, l’introduction de l’option à quatre périodes temporelles constitue déjà une évolution significative permettant de mieux refléter les coûts de réseau et de renforcer l’horosaisonnalité.

Nous poursuivrons nos réflexions sur cette question avec l’ensemble des acteurs dans les mois et années à venir. Ayant aujourd’hui devant nous des évolutions certaines mais dont on ne voit pas encore totalement la réalité dans les chiffres, nous avons prévu, à la demande des opérateurs gestionnaires de réseau – transporteur et distributeur – une clause de rendez-vous à deux ans : pour une fois, nous prévoyons à l’avance l’établissement d’un bilan dans deux ans, afin de pouvoir faire évoluer le TURPE si nécessaire.

J’évoquerai, enfin, les interconnexions électriques et gazières. Comme nous l’indiquons dans notre rapport, la France est bien interconnectée avec les pays voisins. Nous avons fait, au cours des dix dernières années, énormément d’efforts, à la fois pour optimiser l’existant et pour créer quelques nouvelles liaisons. Par ailleurs, nous veillons attentivement à ne décider la réalisation de certains projets – tels que Medgaz et de nouvelles interconnexions avec l’Espagne via le Golfe de Gascogne – non parce qu’on estime qu’il est bon d’assurer des interconnexions, mais parce qu’ils correspondent à une réalité économique. Il importe que les choix soient opérés en toute connaissance de cause, s’agissant de projets représentant plusieurs milliards d’euros et impliquant des travaux très importants. Nous souhaitons que soient produites des études présentant un bilan coût/efficacité réelle pour que les décisions soient prises certes en fonction des intérêts économiques de l’ensemble de l’Europe, mais pas au détriment des consommateurs français. J’ai eu l’occasion d’expliquer directement à M. Dominique Ristori, directeur général de l’énergie à la Commission européenne, notre position qui, contrairement à ce que certains pourraient penser, n’est pas du tout anti-européenne. Depuis dix ans, nous avons probablement été l’un des régulateurs les plus pro-européens. Mais, à un moment donné, il faut établir le bilan de ce qui a été fait afin de ne pas se lancer à corps perdu dans des opérations sans les avoir analysées.

Enfin, j’ai souvent eu l’occasion, devant vous et dans d’autres instances, de me plaindre du manque de moyens alloués à la CRE pour assurer des missions qui n’ont cessé de croître au cours des cinq ou six dernières années, à la suite de directives européennes ou de décisions prises par vous-mêmes ou sur proposition du Gouvernement. Cela est particulièrement vrai depuis la loi relative à la transition énergétique. Je suis donc très heureux de pouvoir vous dire que ces difficultés sont en voie de résolution grâce à l’action extrêmement résolue de Mme Ségolène Royal qui a décidé d’augmenter nos ressources en emplois de manière sensible. Cet effort particulier n’a jamais été réalisé au cours des seize années passées. Nous aurions gagné un peu de temps s’il avait été fait avant.

Mme la présidente Frédérique Massat. Il était effectivement important que vous preniez quelques minutes de plus pour nous faire part de votre satisfaction.

M. Philippe de Ladoucette. C’est assez peu fréquent pour être souligné.

Mme la présidente Frédérique Massat. Cela n’en a que plus de poids.

Mme Marie-Noëlle Battistel. J’ai examiné avec attention le rapport d’orientation que vous avez transmis au Parlement concernant les tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité. Si je partage totalement le constat que vous faites, je reste un peu sur ma faim quant aux solutions que vous proposez, qui ne me semblent pas couvrir l’ensemble du champ. Le constat est celui d’un monde qui change radicalement : stagnation, voire décroissance, de la consommation ; stagnation de la pointe électrique ; progression très rapide des énergies renouvelables directement raccordées au réseau de distribution ; essor des technologies de flexibilité qui permettent au consommateur d’agir sur sa consommation ; développement de l’autoconsommation, de l’effacement, du stockage et du véhicule électrique, qui arriveront dans les prochaines années. L’ensemble de ces changements entraîne une évolution radicale du rôle des réseaux électriques, qui était prévisible au regard des programmes d’investissement déclinés depuis plusieurs années. Désormais, le réseau sera moins sollicité en moyenne, mais cela ne supprimera pas le besoin de réseaux à des moments où la production intermittente ne sera pas au rendez-vous de la consommation. Les logiques d’investissement seront essentiellement locales. On voit bien que la sollicitation du réseau par les consommateurs sera très différente selon qu’ils seront proches ou éloignés d’une zone de production décentralisée, et qu’il faudra accueillir la production intermittente et permettre aux consommateurs d’être acteurs. Le réseau devra évidemment suivre.

Face à cette évolution en profondeur, vous proposez le renforcement de l’horosaisonnalité de la consommation, en définissant des plages tarifaires prédéfinies, applicables nationalement. Mais vous dites peu de choses sur l’intégration des énergies renouvelables intermittentes, le rôle de celles-ci dans l’évolution du réseau, la nécessité de définir des signaux plus locaux, l’investissement dans les réseaux intelligents, smart grids, la digitalisation des réseaux et le stockage.

Pensez-vous que le tarif que vous proposez sera robuste face aux évolutions qui se préparent et qui se produiront inévitablement au cours des quatre prochaines années ? Vous dites avoir prévu une clause de rendez-vous à l’été 2019 : cela laisse trois ans pour revoir les tarifs en cas d’évolution rapide. Mais puisque l’on sait dès aujourd’hui que cette évolution se produira, pourquoi attendre trois ans au lieu d’anticiper ?

Le rapport de la CRE de juin 2016 sur les interconnexions électriques et gazières conclut que les réseaux français d’électricité et de gaz sont bien interconnectés et que l’utilisation des interconnexions a été fortement améliorée depuis dix ans. Nous avons entendu, la semaine dernière, lors d’une table ronde sur le sujet organisée par la commission des affaires européennes, que la Commission européenne pousse au développement des interconnexions, alors que celles-ci ne sont considérées ni forcément nécessaires, ni raisonnables dans ce même rapport. J’ai compris de vos propos que la prudence s’imposait ; je vous en remercie puisque je m’interroge de la même façon.

M. Laurent Furst. Les chiffres que vous nous avez fournis sont très importants. Vous avez notamment parlé des 9,7 milliards d’euros de charges de service public de l’énergie, point sur lequel on pourrait se concentrer mais qui est finalement le plus connu.

S’agissant du fonctionnement de votre autorité indépendante, j’entendais vous demander quels étaient vos moyens, s’ils suivaient la courbe des dépenses de l’État et si l’on vous imposait la rigueur. Vous nous avez indiqué que c’était plutôt l’inverse : tant mieux pour vous, mais dommage pour le contribuable !

L’autoconsommation électrique me semble être un sujet particulièrement important, et je suis très heureux que vous l’ayez citée. Quelles en sont, selon vous, les perspectives ? Notre électricien national, dont je lisais récemment la prospective sur le sujet, en prévoit un développement extrêmement modeste à terme. Voyez-vous les choses de la même manière ? Pour ma part, j’ai le sentiment que l’autoconsommation pourrait profondément bouleverser le système électrique français dans les années à venir et permettre des progrès considérables dans le cadre la transition énergétique.

Pourriez-vous présenter un bilan du développement des smart grids en France ? Beaucoup d’entreprises maîtrisent la technologie mais l’installation semble plus lente en France que dans d’autres pays. Suivez-vous cela ? Essayez-vous de favoriser des avancées en la matière ?

Dans la petite ville dont je suis maire, une usine fabrique des ampoules halogènes qui seront interdites à partir de 2018 ; 600 emplois sont en jeu. Lorsqu’on traite des problèmes de réseaux électriques, s’intéresse-t-on à l’industrie et aux emplois qui y sont liés ?

Vous avez évoqué la baisse des tarifs. Notre système électrique présente le problème majeur d’être extrêmement coûteux en investissements, et notre opérateur national n’est pas en bonne santé financière. Mesurez-vous l’impact de la tarification sur l’opérateur national, censé assurer, de manière prédominante, l’avenir du réseau électrique français ?

Enfin, nous accusons dans le secteur du biogaz un retard considérable par rapport à d’autres pays, s’agissant tant des stations d’épuration publiques ou privées que du domaine agricole. Or le potentiel est considérable. Quelle est votre perception du développement de la production de biogaz et de son incidence sur la tarification ?

Mme Jeanine Dubié. Document utile, le rapport d’activité de la CRE pour l’année 2015 nous permet de mieux comprendre le travail du régulateur, et notamment l’évolution de la régulation depuis la création de la CRE en 2000.

Le marché européen de l’énergie me semble relever des missions essentielles du régulateur. Vous avez ainsi largement participé au déploiement de nombreuses infrastructures de transport d’électricité avec nos voisins européens, et notamment à la mise en service d’une interconnexion entre la France et l’Espagne en 2015. Pourtant, vous avez récemment critiqué plusieurs projets d’infrastructures électriques entre ces deux pays, estimant que la France était désormais suffisamment interconnectée avec ses voisins et que l’utilité de ces projets n’était pas avérée. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce point en particulier ? Plus largement, que pensez-vous de l’objectif européen d’interconnexion assigné à chaque État membre, actuellement fixé à 10 % de la capacité de production et susceptible d’être porté à 15 % ?

En juin dernier, l’ADEME a présenté son rapport annuel dans lequel elle démontre que le choix d’un mix électrique fondé à 100 % sur de l’énergie renouvelable pourrait faire bondir notre produit intérieur brut (PIB) dans les trois décennies à venir. Qu’en pensez-vous ?

Mme Marie-Hélène Fabre. À travers ses rapports sur les coûts des fournisseurs historiques, la surveillance du marché, ou encore la CSPE, la CRE a cherché à éclairer le débat sur la transition énergétique en fournissant des éléments d’information et en formulant des propositions dans ses domaines de compétence et d’expertise que sont les prix et coûts de l’énergie. Pouvez-vous dresser un premier bilan du marché de l’énergie ?

Que vous semblent être les conditions pour que les industries électro-intensives européennes, notamment allemandes et néerlandaises, ne se livrent pas à une concurrence tarifaire ?

La mise en place du chèque énergie, à titre expérimental dans quatre départements, est encore très récente, puisqu’elle date du 1er mai 2016. Avez-vous déjà quelques remontées ?

Enfin, possédez-vous des informations sur le chantier de l’éolien offshore, notamment concernant la volonté de Mme Ségolène Royal de l’entreprendre très rapidement ?

M. Lionel Tardy. La ministre de l’environnement communique beaucoup sur la baisse de 0,5 % des tarifs publics de l’électricité ; précisons, sous votre contrôle, que celle-ci est due à l’application pour la première fois de la méthode d’empilement des coûts prévue par la loi Nome de 2010.

La réforme engagée par le Gouvernement dans la loi de finances rectificative de 2015, par laquelle la CSPE devient une composante de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE), permettra-t-elle d’enrayer la hausse exponentielle de la CSPE, que vous avez estimée à 11 % pour 2016 ?

Au sujet du changement de nom d’ERDF, même si je considère que les consommateurs étaient suffisamment informés pour ne pas faire de confusion entre ERDF et EDF, je comprends qu’une question juridique se posait au plan européen. Cependant, sauf erreur de ma part, la question du changement de nom n’a été évoquée que dans votre délibération du 23 juin 2015, alors qu’ERDF avait déjà effectué sa transformation visuelle. Pourquoi ne pas avoir suggéré ce changement de nom plus tôt, ce qui aurait permis d’économiser plusieurs dizaines de millions d’euros engagés dans la refonte du logo ?

M. Jean-Luc Laurent. Au sujet de la suppression des tarifs réglementés pour les entreprises et les collectivités, vous avez indiqué que les choses auraient pu être pires. J’ai tendance à penser qu’avec la construction d’un marché européen de l’énergie ouvert et la mise en cause d’EDF comme ensemblier, nous nous apprêtons à connaître le pire – pour l’indépendance énergétique de la France, pour une énergie bon marché, pour la filière industrielle, en particulier le nucléaire et l’hydroélectricité.

Au-delà du changement de nom d’ERDF, qui a défrayé la chronique à juste titre, et des questions sur son intérêt réel, je pense que la séparation des activités de production, de transport et de distribution de l’énergie a pour conséquence une dépendance accrue des acteurs vis-à-vis de la CRE. Celle-ci intègre-t-elle bien les enjeux industriels de la filière ?

Où en sont les négociations sur le TURPE 5 ? La croissance du nombre de producteurs-consommateurs entraîne une réduction structurelle de l’accès régulier et continu au réseau, donc une baisse du chiffre d’affaires de RTE, lié au TURPE. Enfin, quelle est votre appréciation des évolutions en cours – dans les jours à venir, nous dit-on – en ce qui concerne les aspects industriels du secteur de l’énergie, en particulier l’ouverture du capital de RTE ?

Mme Karine Daniel. Ma question concerne les suites législatives données à la COP21 et la mise en œuvre de la taxe carbone. Celle-ci pose des difficultés pour les centrales à charbon qui restent utiles en cas de pic de consommation. J’ai, dans ma circonscription, la centrale à charbon de Cordemais dont les équipes travaillent sur les enjeux de la mutation du charbon, notamment vers la combustion de biomasse. Je sais que la CRE travaille sur les perspectives de développement de la biomasse. Je pense que cette mutation spécifique des centrales thermiques doit être accompagnée au plan technique et sans doute aussi législatif. C’est important en termes d’emplois – la centrale de Cordemais représente environ 2 000 emplois directs et indirects – et de mutation des infrastructures, car ce sont là des infrastructures lourdes alors que les plans biomasse actuellement développés concernent des unités de petite taille. Il faut travailler sur des unités de plus grande taille, avec la création de filières de biomasse locales afin d’alimenter ces centrales.

Mme Annick Le Loch. Plusieurs conseils municipaux de ma circonscription débattent régulièrement de l’installation des compteurs Linky, qui fait polémique en raison de certains aspects que vous avez évoqués : risques pour la santé, surcoût pour le consommateur, départs d’incendie, transmission de données personnelles… Certains réclament le blindage des câbles, notamment dans les établissements recevant du jeune public. Y a-t-il, au niveau national, un ralentissement de l’installation de ces compteurs du fait de tensions similaires ?

M. Jean Grellier. Je souhaite connaître votre avis sur le développement de la filière de la méthanisation agricole. Cette filière s’interroge sur son avenir, tant pour les structures existantes, quant aux conditions de reprise du prix de l’électricité ou du gaz, que pour les projets, aujourd’hui dans l’attente de l’avis de la CRE et des décisions gouvernementales. Ce stand-by a également des conséquences sur les entreprises industrielles qui se sont engagées dans le développement de cette filière.

M. Yves Daniel. Les élus locaux, dans les communes, travaillent avec un certain nombre d’acteurs et d’opérateurs du secteur énergétique. Nous travaillons ainsi beaucoup avec notre référent, puisque nous somme membres des syndicats départementaux d’électrification, et ERDF. Il existe des conventions, des accords, mais cela reste compliqué pour un élu de commune. Ce système est-il vraiment de nature à faciliter la régulation et la gestion de l’énergie ? J’ai plutôt le sentiment qu’il existe parfois des doublons et que la complexité du système crée des difficultés de gestion.

Mme la présidente Frédérique Massat. Vous avez indiqué que le TURPE 5 introduirait un système à quatre plages temporelles, de manière optionnelle, pour les clients disposant d’un compteur Linky. Sachant que cela aurait pour conséquence de faire baisser la facture, une autre conséquence pourrait être, par la même occasion, de lever un certain nombre de réticences vis-à-vis de l’installation de ces compteurs.

Vous envisagez, dans votre rapport, une prestation de pré-étude de raccordement spécifiquement dédié aux infrastructures de recharge des véhicules électriques. Comment voyez-vous la mise en œuvre de ce nouvel outil afin que le réseau reste à l’équilibre ?

M. Philippe de Ladoucette. Lorsque l’on élabore un TURPE, Madame Marie-Noëlle Battistel, on ne travaille pas en regardant devant, mais dans un rétroviseur, car nous sommes obligés de partir des données qui nous sont fournies par le gestionnaire de réseaux. Nous avons eu cette discussion à plusieurs reprises avec RTE, et je l’ai eue avec M. François Brottes. Nous sommes d’accord sur le fait que ce que vous avez évoqué va certainement arriver, mais nous ne pouvons construire le TURPE à partir de choses sur lesquelles nous n’avons pas de données. Il faudrait que RTE nous en fournisse. C’est la raison pour laquelle, sachant que cela va probablement arriver, on se donne un rendez-vous dans deux ans. Cela ne signifie pas que nous ne ferons rien entre temps. Le TURPE sera mis en place à l’été 2017, mais je suis à peu près certain que nous serons déjà en train de regarder les données dès le printemps 2017 pour travailler sur les évolutions. Cette réponse n’est peut-être pas pleinement satisfaisante mais nous n’avons pas d’autre moyen de faire.

Mme Domitille Bonnefoi, directrice adjointe des réseaux. Le rôle du TURPE est d’envoyer les bons signaux tarifaires aux consommateurs pour optimiser les investissements à moyen terme. Nous regardons la méthode de décision des investissements de RTE et, en fonction de cette méthode, nous examinons quels sont les inducteurs de coûts qui déclencheront les investissements. Le principal inducteur de coûts reste aujourd’hui la pointe de consommation. RTE n’a pas encore fait fondamentalement évoluer ses méthodes de dimensionnement des réseaux. Cela va avoir lieu dans les années à venir mais nous ne pouvons, dans la structure du TURPE, anticiper les évolutions futures.

M. Philippe de Ladoucette. Nous ne pouvons pas inventer quelque chose à partir de rien. N’oubliez pas que le TURPE, comme toutes les décisions de la CRE, est susceptible d’être contesté devant le Conseil d’État. Si nous inventions quelque chose, il faudrait que nous puissions le justifier juridiquement.

S’agissant de la CSPE, Monsieur Laurent Furst, je vous ai donné des chiffres qui n’étaient pas publics jusqu’à présent et dont vous avez donc la primeur. C’est un modèle nouveau. Nous gardons le mécanisme de plafonnement de l’ancienne CSPE, pour l’instant à 22,50 euros, et tout ce qu’il est nécessaire de couvrir au-delà sera réparti entre les nouvelles taxes sur toutes les énergies – gaz, essence, fioul et autres. Nous n’en avons plus la visibilité puisque le recouvrement est assuré par la direction des douanes. Je ne sais pas non plus selon quelles modalités sera reversée la part qui reviendra à EDF, cela n’étant pas de notre responsabilité. Cette nouvelle méthode sera discutée, s’agissant de l’affectation des taxes, dans la future loi de finances. Tout ce que nous pouvons dire aujourd’hui, c’est qu’il faut couvrir 9,7 milliards d’euros.

Vous vous êtes félicité de l’augmentation de nos moyens. Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas au détriment du consommateur : il s’agit d’un transfert d’emplois. Nous n’en avons pas gagné pendant des années alors que nous avons reçu des missions de plus en plus importantes. C’est une question d’efficacité.

Les choses se mettent en place progressivement s’agissant de l’autoconsommation électrique. Le ministère de l’énergie prévoit un appel d’offres spécifique et, d’ici à la fin de l’année, une ordonnance sur l’autoconsommation, qui vient d’être soumise pour avis à la CRE. Nous n’avons pas de compétence pour établir une trajectoire de développement de l’autoconsommation. Les conditions de ce développement sont toutefois de plus en plus favorables, et je pense qu’on peut difficilement imaginer développer les énergies renouvelables sans développer en même temps l’autoconsommation et le stockage. Cela posera des questions en ce qui concerne le réseau. Si l’on souhaite devenir une sorte de village gaulois et si l’on est certain de n’avoir jamais besoin de la sécurité du réseau, on ne payera pas le TURPE. Mais je ne vois pas grand-monde se dire, même dans un quartier : « Nous n’aurons jamais besoin du secours du réseau ».

Les smart grids sont des technologies que nous soutenons depuis de nombreuses années puisque nous avons été parmi les premiers à lancer ce thème, lors d’un colloque de 2009. Depuis lors, la CRE tient un colloque régulier avec de nombreux acteurs sur tous les thèmes concernant les smart grids, et nous avons une plateforme qui leur permet de disposer de l’ensemble des informations sur le sujet et sur ce qui se passe à la fois en France et dans le monde. Le compteur Linky est l’un des premiers éléments de ce qui peut s’appeler le réseau intelligent.

Quand nous établissons nos tarifs, nous ne nous intéressons pas nécessairement à l’usine d’ampoules de votre commune, Monsieur Laurent Furst. C’est sans doute dommage, mais ce serait peut-être discriminant. Nous avons déjà pris une mesure un peu discriminante, il y a quelque temps, concernant les électro-intensifs, en décidant de notre propre chef une exonération partielle du TURPE. Nous l’avons fait car nos voisins immédiats, notamment les Allemands, l’avaient fait. C’est désormais passé dans la loi. En outre, les électro-intensifs bénéficient d’un certain nombre d’avantages puisque la loi a considérablement augmenté le champ et le montant de l’exonération, pour les mettre à égale concurrence avec leurs voisins allemands. Mais nous n’avons pas la responsabilité de la politique industrielle, pas plus, d’ailleurs, que celle de la politique énergétique.

Nous n’avons pas non plus la main pour dire quel est l’avenir du biogaz, ce qui est de la responsabilité du Gouvernement. Nous instruisons des appels d’offres. Cela dit, nous sommes à peu près certains que le biogaz a un avenir, et GRDF place beaucoup d’espoir dans cette énergie.

Madame Jeanine Dubié, nous avons déjà réalisé une interconnexion ; sa réalisation a pu énerver un peu nos voisins, car nous avons mis vingt ans, ce qui pouvait rendre suspicieux quant à notre volonté d’avancer. Je ne dis pas que la nouvelle interconnexion envisagée – il y en a trois, en réalité, mais je n’évoquerai que celle passant par le golfe de Gascogne – est inutile, mais simplement qu’avant de se précipiter pour la réaliser, même si c’est pour obtenir des subventions de la Commission européenne, il serait intéressant de connaître son tracé, son coût, la répartition des coûts entre les Espagnols et nous, et surtout son utilité. Elle peut s’avérer tout à fait utile mais ne plaçons pas la charrue avant les bœufs. Je reconnais que c’est un sujet complexe. Si l’on critique l’interconnexion, on donne le sentiment d’être anti-européen, mais si nous ne la critiquons pas, nous ne jouons pas notre rôle, qui est aussi de veiller aux intérêts des consommateurs français.

Nous devons certes nous interroger sur les pourcentages d’interconnexion de 10 % ou 15 %. C’est une vraie question, car, à l’époque où nous avons prévu 10 %, le mix énergétique européen n’avait rien à voir avec ce qu’il est aujourd’hui, depuis l’introduction des énergies renouvelables. Nous pensons qu’il serait utile de pratiquer un retour sur expérience. A priori, un objectif de 15 % nous paraît tout de même un peu exagéré.

Le rapport de l’ADEME « Vers un mix électrique 100 % renouvelable » est théorique. Le mieux placé pour vous en parler serait M.  Bruno Léchevin, président de l’ADEME.

Madame Marie-Hélène Fabre, l’ouverture du gaz à la concurrence, en France, ne se passe pas mal, même si une grande partie des gens qui sont allés sur le marché sont restés chez Engie. Sur le marché de l’électricité, les tarifs réglementés de vente pour les professionnels ont disparu mais EDF a conservé près de 74 % de ses consommateurs. C’est une ouverture extrêmement faible, ce qui fait l’objet d’une des critiques qui nous sont adressées par la Commission européenne.

Nous n’avons pas de retour sur les expériences concernant le chèque énergie.

La ministre est décidée à lancer quelque chose pour l’éolien offshore, sous une nouvelle formule qui s’appelle le dialogue compétitif, dans la région de Dunkerque, je crois, mais je n’ai pas plus d’informations pour l’instant.

Nous n’avons plus, je l’ai dit, Monsieur Lionel Tardy, de visibilité sur le nouveau système de CSPE. Un comité spécial a été créé, comportant deux parlementaires, pour examiner cette question.

Le coût du changement de nom d’ERDF est minime car, au moment du premier changement de logo, j’avais dit à M. Philippe Monloubou, président du directoire d’ERDF, ce que j’allais faire. Ils n’ont donc pas investi beaucoup d’argent dans la première partie, et le coût global du changement de nom sera de l’ordre de 25 millions, ce qui sera intégré dans le TURPE.

Je suis parfaitement conscient, Monsieur Jean-Luc Laurent, de la situation très compliquée dans laquelle se trouve EDF, avec des éléments nouveaux qui n’existaient pas il y a un an : problèmes d’Areva, mise en place de la loi Nome et du système par empilement qui ne couvre plus les coûts comptables parmi lesquels figurait un coût moyen pondéré du capital (CMPC) supérieur à 10 % pour les tarifs réglementés. EDF a aujourd’hui de vrais problèmes mais ce n’est pas du fait du régulateur.

Il s’agit de sujets anciens, décidés il y a très longtemps, depuis les premières directives européennes. Je pense que nous aurions évité beaucoup de problèmes avec la Commission européenne, nous aurions bien moins de contentieux si nous avions moins traîné les pieds. L’hydroélectricité, par exemple, Madame Marie-Noëlle Battistel, fait partie des sujets de contentieux. Plusieurs parlementaires, notamment européens, ont écrit à la Commission européenne, s’interrogeant sur ce qu’ils appellent une forme de discrimination à l’égard de la France. La réponse est très simple : il n’y a d’EDF qu’en France, avec un monopole qui détenait 100 % de la production et des clients et qui reste encore de très loin le principal producteur. L’ouverture a été votée par les gouvernements français successifs, et il n’est pas surprenant de voir la Commission européenne s’agacer de la lenteur des évolutions.

Le Gouvernement serait mieux placé que moi pour répondre sur l’ouverture éventuelle du capital de RTE. Nous aurons à intervenir après l’évolution de l’actionnariat, s’il faut recertifier RTE, mais nous ne sommes pas interrogés directement sur l’opportunité de cette ouverture. Je rappelle simplement que lors de la création de RTE en 2004, le ministre de l’époque, M. Patrick Devedjian, avait déjà annoncé l’ouverture du capital ; cela fait donc douze ans que l’on en parle.

Madame Karine Daniel, je comprends d’autant mieux vos préoccupations que j’ai été président de Charbonnages de France. La taxe carbone risque d’avoir un effet extrêmement négatif sur les centrales à charbon, et je le regrette, personnellement, pour ces centrales et pour les emplois concernés, mais la CRE n’est pas dans la boucle de cette opération. J’ai lu, dans le rapport écrit sur le sujet, que l’on souhaitait un système européen, et cela me paraît s’imposer en effet. Dans les années 2004-2005, le problème n’était pas le bas prix mais le prix élevé de la taxe carbone, qui avait un effet significatif sur les prix du marché. Pour répondre aux prix hauts, a été inventé le tarif réglementé et transitoire d’ajustement au marché (TaRTAM) qui a provoqué des poursuites de la Commission européenne, puis la loi Nome ; tout se tient !

Madame Annick Le Loch, il faut, sur les compteurs Linky, répondre aux inquiétudes. Enedis fait un gros effort de pédagogie. Le compteur Linky n’est pas intelligent, il est seulement communiquant ; on a un peu trop fantasmé sur ce compteur qui permettra simplement au réseau de savoir ce qui se passe en cas de panne et rendra possible un certain nombre de choses telles que la relève automatique de facturation et le paiement de la consommation réelle, mais est incapable de dire si quelqu’un prend une douche ou un bain. Cependant, les réactions des consommateurs sont à peu près les mêmes quel que soit le pays et nous devons apporter des éléments d’information qui permettent de les rassurer. Mais vous aurez toujours des gens qui y seront hostiles, comme il existe peut-être encore des gens hostiles au téléphone portable.

La CRE, Monsieur Jean Grellier, pense qu’un tarif de soutien n’est pas adapté au développement des installations de méthanisation agricole, et l’histoire l’a démontré, car de nombreuses installations ont rencontré des difficultés financières par le passé. Nous pensons qu’il faut privilégier la voie des appels d’offres.

Je suis parfaitement conscient, Monsieur Yves Daniel, de la difficulté de s’y retrouver, dans ce maquis qu’est le système énergétique français. C’est compliqué pour tout le monde. Nous sommes dans une phase de transition, avec une effervescence dans tous les domaines. Il y a, en outre, la rencontre de deux logiques : une logique traditionnelle française, centralisatrice, et la volonté des collectivités territoriales de prendre une part dans les initiatives. Très souvent, d’ailleurs, les initiatives les plus intéressantes partent du terrain. Par ailleurs, il existe également une certaine volonté européenne de centralisation, par le biais de l’agence de coordination des régulateurs européens. Ces logiques potentiellement contradictoires devront être conciliées dans les années à venir.

Madame la présidente, le développement des véhicules électriques est un vrai sujet. Des initiatives sont lancées un peu dans tous les sens, par beaucoup d’opérateurs. Un point de vue consiste à dire qu’il faut planifier tout cela, mais c’est infaisable. Il faut, en réalité, trouver un équilibre pour que le développement des bornes électriques ne fasse pas peser un risque sur le réseau électrique.

Mme Domitille Bonnefoi. Le TURPE s’appliquera également à ces bornes. C’est un des enjeux de ce tarif d’assurer que l’ensemble des consommateurs, y compris pour ces nouveaux usages, paient bien les coûts qu’ils génèrent. Nous sommes en train de regarder quelles prestations annexes les gestionnaires de réseaux pourraient proposer pour permettre ce développement. Nous avons annoncé des choses pour le second semestre. Nous savons, par exemple, que, dans certains endroits, le raccordement coûtera moins cher s’il est assuré de manière privée ; il faut, dans ce cas, prévoir une prestation de décompte, mais, si nous la généralisons sans condition, cela peut remettre en cause la péréquation. Une des questions posées est donc celle des critères qui ouvriraient droit à cette prestation de décompte.

M. Philippe de Ladoucette. Je souhaite répondre, Madame la présidente, à la question que vous avez posée au début sur le Médiateur de l’énergie. Je n’ai jamais été favorable au regroupement du Médiateur et de la CRE, car nous avons des missions et des métiers différents. Le Médiateur s’intéresse essentiellement à la défense des consommateurs et je ne crois pas que les associations de consommateurs seraient favorables à son intégration au sein de la CRE.

Mme Frédérique Massat. Merci, Monsieur le président. Merci également pour votre action à la CRE. Nous auditionnerons votre successeur, qui devrait a priori prendre ses fonctions en février. Le mandat est de six ans, mais vous êtes à ce poste depuis 2006.

M. Philippe de Ladoucette. Oui, je suis un cas particulier : la loi Nome ayant remis les compteurs à zéro, j’aurai passé pratiquement onze ans à ce poste.

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 20 juillet 2016 à 11 h 30

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Karine Daniel, M. Yves Daniel, Mme Jeanine Dubié, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Laurent Furst, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Dominique Potier, M. Frédéric Roig, M. Lionel Tardy

Excusés. – M. Bruno Nestor Azerot, M. Jean-Claude Bouchet, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Pascale Got, M. Thierry Lazaro, M. Serge Letchimy, M. Philippe Naillet, M. Hervé Pellois, M. Thierry Robert, Mme Béatrice Santais, M. Jean-Marie Tétart, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin

Assistait également à la réunion. – Mme Virginie Duby-Muller