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Commission des affaires économiques

Mercredi 9 novembre 2016

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 21

Présidence de Mme Frédérique Massat, Présidente et de Mme Danielle Auroi, Présidente de la commission des affaires européennes

– Audition, commune avec la commission des affaires européennes, de M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

La commission a procédé à l’audition, commune avec la commission des affaires européennes, de M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques. La présente audition est conjointe avec la commission des affaires européennes. Avec Mme Danielle Auroi, nous ne nous quittons plus, puisque nous avons hier soir auditionné ensemble M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, au sujet des négociations commerciales internationales, important sujet d’actualité. Cela montre que notre Parlement est réactif et nos ministres le sont également car ils répondent immédiatement présents quand il leur est demandé de faire le point avec les parlementaires. De tels échanges n’informent d’ailleurs pas que la Représentation nationale car nos travaux sont suivis de façon assidue et apportent un éclairage à nos concitoyens aussi.

Nous accueillons aujourd’hui M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture. Merci, Monsieur le ministre, de vous être rendu disponible pour cette audition. Je tiens à saluer votre action dans ce Gouvernement, ainsi que votre longévité à ce poste, un record pour un ministre de l’agriculture.

Un certain nombre de parlementaires ont publié des rapports relatifs au secteur agricole, notamment à l’occasion de l’examen de la loi dite « Sapin II » votée hier en lecture définitive et qui comporte de nombreuses dispositions relatives à l’agriculture, issues des travaux du Parlement ainsi que de vos propositions.

Des annonces fortes ont eu lieu récemment, avec plus de 4 milliards d’euros de baisses de cotisations pour l’agriculture et le secteur agroalimentaire. Ces baisses s’accompagnent d’un budget pour 2017 de 5,12 milliards d’euros en crédits de paiement, en hausse de 15 % par rapport à 2016, et vous avez récemment obtenu la mobilisation d’une enveloppe supplémentaire de 50 millions d’euros en faveur de l’agriculture biologique sur le budget du ministère de l’agriculture. Le Gouvernement se mobilise également en faveur de la filière bois-forêt, un secteur d’avenir générateur de valeur ajoutée, notamment dans les territoires ruraux et en montagne. De même, l’agro-écologie a été une grande préoccupation de cette législature, avec des avancées majeures.

Le redécoupage de la carte des zones agricoles défavorisées simples (ZDS), initié par l’Union européenne pour une entrée en vigueur en 2018, nous occupe beaucoup dans nos territoires en ce moment. Nous aurions besoin d’un point sur la procédure. Un premier projet de révision pour la France a été communiqué par vos services et il existe des inquiétudes au sujet des zones qui seraient susceptibles de sortir du zonage.

Le conseil européen « Agriculture et Pêche » du 15 novembre prochain portera notamment sur la présentation d’une étude relative aux effets cumulatifs des accords commerciaux sur le secteur agricole de l’Union européenne. Comme je l’ai indiqué, nous avons auditionné hier M. Matthias Fekl sur les négociations commerciales internationales. Le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) inquiète non seulement les parlementaires mais aussi les éleveurs et les citoyens, notamment en ce qui concerne les indications géographiques protégées (IGP) françaises.

L’ordre du jour du conseil européen comporte en outre un débat d’orientation sur la recherche et l’innovation dans l’agriculture. Nous avons conduit plusieurs auditions en la matière, sur des sujets porteurs d’avenir. Une table ronde a été organisée. Je sais que le ministère y a aussi beaucoup travaillé. Quelles sont les pistes à l’échelle européenne ?

Enfin, Mme Danielle Auroi a été à l’initiative d’un groupe de travail commun à nos deux commissions, créé tout récemment, sur les orientations de la future révision de la politique agricole commune (PAC). Nous souhaiterions connaître les axes que défendra la France pour la future PAC post-2020.

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes. Monsieur le ministre, je vous remercie à mon tour, au nom de la commission des affaires européennes, d’avoir répondu favorablement à notre invitation à venir vous exprimer devant nos deux commissions réunies, avant la réunion du prochain conseil « Agriculture et Pêche » du 15 novembre. Nous sommes attachés à ce type de rencontre qui contribue, modestement mais très utilement, au dialogue entre la Représentation nationale, le Gouvernement, et les instances européennes sur des questions qui concernent le quotidien de nos concitoyens.

L’ordre du jour du prochain conseil fait écho aux nombreux défis auxquels les agricultures française et européenne sont confrontées. Deux sujets en particulier ont fait l’actualité ces dernières semaines : l’accord de libre-échange avec le Canada, le CETA, dont nous avons discuté hier avec M. Matthias Fekl, et la crise des filières d’élevage.

Sur le CETA, vous aurez l’occasion, au cours du prochain conseil, d’examiner une étude que la Commission européenne a produite, sur une initiative de la France, à propos précisément de la question des effets cumulatifs des accords de libre-échange sur l’agriculture. Cette étude vient à point nommé pour réfléchir aux conséquences de la signature et de la négociation en cours de nombreux accords commerciaux. En France, les filières de la viande et de l’élevage ont exprimé de vives inquiétudes sur les conséquences de ces accords sur l’équilibre des marchés. Aussi, comment estimez-vous que l’agriculture française puisse bénéficier du CETA et plus généralement des accords commerciaux dits « de troisième génération » ? Pensez-vous qu’il soit dans l’intérêt des secteurs agricoles français et européens de poursuivre à l’heure actuelle cette politique commerciale expansive, au moment où des agriculteurs canadiens s’inquiètent de l’arrivée des appellations d’origine protégée (AOP) françaises, par exemple sur les fromages ?

Sur la crise de l’élevage, le rapport final du groupe de travail européen (task force) sur les marchés agricoles, présidé par M. Cees Veerman, ancien ministre de l’agriculture néerlandais, vous apportera sans doute des éclairages. Il portera sur la pertinence des mesures de gestion du risque pour pallier la volatilité des prix. Des questions se poseront alors sur les pratiques commerciales déloyales, portées par la présidence slovaque de l’Union européenne, qui se terminera dans quelques jours. La question est posée, par exemple, de savoir si la législation européenne qui pourrait être issue des conclusions de la task force ne conduise pas à une logique de moins-disant, ce qui serait, me semble-t-il, assez catastrophique ?

Vous savez combien la réaction des institutions européennes, et en particulier de la Commission, qui détient un pouvoir important en la matière, a été lente face à la crise laitière que nous venons de subir. La chute des prix, qui commence à peine à s’enrayer, n’a pas été freinée par les premiers instruments en place. Que de temps perdu depuis le moment où la Commission déclarait, en février de cette année, qu’il n’existait pas de crise du lait ! Vous avez naturellement agi pour infléchir la position, non seulement de la Commission, mais aussi de nombre de nos partenaires européens qui souhaitaient avant tout poursuivre l’expansion de leurs productions et gagner des parts de marché, sans se préoccuper de la profession.

Le dernier plan, annoncé le 18 juillet dernier, de réduction volontaire et temporaire de la production laitière sur la base de financements européens, auxquels se rajoutent des financements nationaux, porte désormais ses fruits. Dans quelle mesure pensez-vous qu’il puisse être opportun de mettre en place des mécanismes automatiques qui se déclencheraient en cas de crise et éviteraient les pertes de temps que nous avons connues, parfois à un prix dramatique ?

Enfin, le 15 novembre prochain, après un point factuel sur l’innovation dans le secteur agricole, vous discuterez lors d’un déjeuner informel des orientations de la future PAC post-2020. C’est également l’objet, vous l’avez compris, d’un groupe de travail conjoint à nos deux commissions. L’attachement à une PAC forte, plus juste et plus simple pour les producteurs, que vous avez déjà eu l’occasion d’affirmer, est largement partagé dans notre Assemblée. C’est à ce titre que nous avons proposé un groupe de travail commun entre nos deux commissions.

La PAC se justifie désormais autant par la nécessaire autosuffisance alimentaire de l’Union européenne, inscrite au cœur de ses objectifs initiaux, que par son bénéfice environnemental. Dès lors, comment pensez-vous convaincre nos partenaires européens de la nécessité d’encourager l’agro-écologie et d’adapter le verdissement, alors même que nos sols souffrent énormément de la surexploitation dont ils sont victimes depuis des décennies ?

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. En ce qui concerne les ZDS, il s’agit d’une décision européenne prise par le Conseil et le Parlement européens en 2010 – j’étais membre du Parlement européen à l’époque –, consistant à revoir les critères d’application, qui dataient tout de même de 1970. Tout le monde était d’accord pour rendre ces critères plus objectifs et se doter, à l’échelle de l’Union européenne, d’une carte qui corresponde à des enjeux géophysiques. L’application définitive doit intervenir en 2018.

Comme toujours sur ce genre de sujets, ceux qui n’en bénéficiaient pas et en bénéficieront ne disent rien. J’aimerais que ceux qui voient leurs communes entrer dans le dispositif le disent, car ce sont évidemment ceux qui n’y seront plus qui se plaignent.

Cette révision a une conséquence sur l’indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN). Plus le nombre d’hectares intégrés en ZDS sera grand, plus il faudra partager l’enveloppe de l’ICHN, qui dépasse tout de même, je le rappelle, le milliard d’euros.

Nous avons défini une première carte appliquant de manière stricte les huit critères géophysiques définis par l’Europe, et nous l’avons présentée, de façon à engager le débat. Dans cette carte, certaines communes ne sont plus intégrées dans les ZDS, mais ce n’est qu’une première étape puisque la France a obtenu une marge égale à 10 % de la totalité de la surface pouvant être ajustée en fonction de critères nationaux. Nous devrons de toute façon faire des choix et certaines communes sortiront du dispositif. Nous avons retiré des ZDS 5 % de la surface, aujourd’hui, et nous avons une marge de 10 %. La tentation serait de prévoir le maximum d’hectares, mais l’enveloppe n’est pas élastique. Nous travaillons au niveau des départements pour fixer des critères, par exemple ceux concernant l’élevage et le recours à l’herbe, des critères objectifs pouvant être justifiés auprès de la Commission européenne.

Il est toujours difficile de trancher. N’oublions pas cependant qu’une ZDS est une zone « défavorisée ». J’ai eu de nombreuses discussions avec la profession agricole sur les zones intermédiaires ayant des rendements céréaliers extrêmement faibles, qui touchaient des aides à l’hectare parfois inférieures à des zones céréalières à gros rendements, et je sais ce que peut être l’injustice. Il faut essayer de faire les choses de la manière la plus juste possible. C’est ce à quoi nous allons veiller en 2017, avec les services du ministère, pour une application en 2018. J’assume cette responsabilité vis-à-vis de l’Europe et de l’État français. L’intégration des critères, dont celui de l’herbe que j’ai cité, donnera lieu à une carte définitive.

Vous avez discuté du CETA avec M. Matthias Fekl, qui vous a expliqué ce qu’il a obtenu au sujet du tribunal arbitral. Il a été efficace et a permis de modifier des règles qui auraient été plus que contestables autrement.

S’agissant de l’agriculture, la vraie question est de savoir si cet accord comporte des risques – il en comporte – et s’il présente des avantages. Il présente un avantage sur un point majeur, à savoir que les IGP, soit quarante-deux AOP françaises, 173 pour toute l’Europe, sont reconnues par le Canada. Cela peut paraître peu de choses mais c’est énorme. Dans le commerce mondial, les grands industriels exportent des marques. Sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP ou TAFTA), les Américains, Mme Hillary Clinton elle-même, refusaient de reconnaître les IGP et ne reconnaissaient que les marques. Ils refusaient, par exemple, de reconnaître la spécificité du Comté, qui n’est pour eux qu’un fromage. Je leur répondais : « Une paire de chaussures, ce n’est aussi qu’une paire de chaussures. Pourquoi pourrait-on avoir des marques sur des chaussures et pas d’indications géographiques sur des fromages ? ». Ils ne répondaient pas. C’est d’autant moins compréhensible que des IGP commencent à apparaître aux États-Unis, par exemple sur une variété de pomme de terre de la côte est.

L’enjeu est colossal. L’agriculture peut-elle valoriser un terroir sur un marché ? Nous savons le faire sur le marché national, et c’est reconnu sur le marché européen, mais quid du marché mondial ? La dernière fois que je me suis rendu en Chine, les Chinois ont reconnu quarante-deux AOP bordelaises. Dans le CETA, les Canadiens acceptent de reconnaître les IGP : c’est important car le Canada est en Amérique du Nord. Si nous enfonçons un coin dans un pays d’Amérique du Nord, nous marquons un point. Ce qui n’empêche pas que l’importation de fromage pose un problème aux producteurs de lait canadiens, qui pensent que cette concurrence sera très dure pour eux.

S’agissant de la viande, le débat – et cela vaudra aussi pour les négociations avec le Mercosur – portait sur les ouvertures de contingents. À ce sujet, j’ai été très clair dès le départ : il ne peut être question d’importer des viandes qui ne respecteraient pas les critères que nous imposons à nos producteurs. Je pense en particulier à l’utilisation d’hormones de croissance. Le CETA ne prévoit pas d’ouverture de contingents pour le Canada si la viande est produite avec des hormones de croissance. Certains, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Florian Philippot, disent n’importe quoi à la télévision, pour faire peur, et cela passe comme une lettre à la poste, mais ce n’est nullement le cas. Les contingents ne seront pas ouverts avant six ans et ils le seront seulement sur des viandes non hormonées.

Ces contingents, dès lors qu’ils respectent les normes européennes, auront certes des conséquences sur le marché. C’est un vrai sujet de structuration de filière et de compétitivité, mais, si les Canadiens sont capables de développer une filière de viande non hormonée, qui n’existe pas aujourd’hui au Canada, la question se posera au mieux dans six ans. En outre, dans la mesure où il s’agit d’un accord mixte, les Parlements des États membres seront consultés. L’accord est signé mais non encore ratifié.

La lutte contre l’antibiorésistance devra devenir une question à l’échelle mondiale. Je pense qu’on ne doit pas lâcher là-dessus. J’ai d’ailleurs vu que le secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en avait fait une cause internationale, et je suis pleinement d’accord avec lui. Les feed lots américains utilisent aujourd’hui des antibiotiques de manière préventive, ce qui est interdit chez nous. L’Europe et la France sont en train de diminuer de 35 à 40 % leur consommation d’antibiotiques. Un jour ou l’autre, la question ne pourra plus être ignorée dans les négociations commerciales internationales. Je le dis pour les États-Unis mais aussi pour l’Amérique latine.

Les peuples ont parfois l’impression que l’on va trop vite sur certains sujets, et ne comprennent pas toujours la nécessité de passer des accords commerciaux. Pourtant, ces accords sont nécessaires. Ainsi, c’est dans le cadre de la discussion sur les « lignes rouges » du TAFTA que la France a obtenu la reconnaissance des indications géographiques protégées – un point essentiel, même si, à l’époque, la question de l’exception culturelle a fait beaucoup plus de bruit médiatique. Si nous n’avions pu imposer cette exigence, c’est tout l’édifice agricole européen et français qui aurait été remis en cause. De même, la bataille qu’a menée et remportée Mme Axelle Lemaire au sujet des noms de domaine numériques attribués au vin était extrêmement importante : une fois de plus, nous avons dû défendre notre droit à mettre sur le marché des produits qui ne soient pas des marques, mais des produits issus d’un terroir et d’une histoire agricole. Sur ce point, j’ai toujours tenu le même discours et vous pouvez compter sur moi pour continuer, à chaque fois que je devrai défendre la position de la France auprès des institutions européennes.

Bien évidemment, nous devrons tenir compte des effets du Brexit dans les discussions à venir. Le Royaume-Uni a en effet l’intention de renégocier seul les accords commerciaux multilatéraux que nous avons passés avec un grand nombre de pays : or, sur quels contingents va-t-on continuer à pouvoir compter si le Royaume-Uni se désengage d’accords négociés par l’Europe avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, par exemple ? Il s’agit là de sujets qui remettent beaucoup de choses en cause et vont nécessiter un travail important. Lors du prochain conseil, je défendrai au nom de la France une position très claire : on ne peut pas discuter de l’avenir sans évoquer les conséquences éventuelles du Brexit sur les accords commerciaux existants. Comme vous le savez, quand le Royaume-Uni est entré dans l’Union européenne, une partie des relations commerciales du Commonwealth a été intégrée au niveau européen – ce qui a eu des conséquences sur l’agriculture européenne, notamment en matière de production ovine. Il est évident que le départ des Britanniques ne sera pas non plus sans incidences, dont il faudra tenir compte.

Je souligne au passage que, selon moi, on ne s’intéresse pas suffisamment à l’effet produit par le cumul des accords successifs : l’Europe enchaîne les accords sans jamais procéder à une évaluation du système que leur entassement finit par constituer. Dans le cadre des négociations à venir, nous exigerons qu’il soit procédé à cette évaluation.

J’en viens à la question des marchés agricoles, sur laquelle la task force mise en place par le commissaire Phil Hogan doit rendre un rapport. A priori, ce document va essentiellement porter sur les grands enjeux de l’organisation commerciale, en évoquant notamment les filières. Nous en prendrons connaissance avec intérêt, tout en sachant pertinemment qu’il ne contiendra rien de révolutionnaire. La France a déjà travaillé à l’organisation de ses filières et accompli de grands progrès dans ce domaine, notamment en matière de traçabilité. Pour ma part, je préfère me pencher très concrètement sur l’étiquetage d’origine des viandes dans les produits transformés, par exemple, plutôt que de m’interroger sans fin sur l’organisation des filières : ce sujet mérite qu’on s’y intéresse, certes, mais il y a plus important en termes stratégiques.

Sur la question de la maîtrise de la production, et de celle du lait en particulier, il nous a fallu plusieurs étapes pour parvenir à ce que des décisions significatives soient prises à l’échelle européenne. La première étape a été le conseil extraordinaire des ministres de l’agriculture en septembre 2015 – que j’avais demandé en juin 2015, face à ce qui m’apparaissait comme une montée de la crise laitière –, qui a abouti à ce que la Commission débloque un premier paquet de 500 millions d’euros d’aides à la trésorerie. Pour la France, c’est une somme de 69 millions d’euros qui est venue s’ajouter au plan de soutien à l’élevage (PSE). Selon moi, la mise en place d’aides, certes nécessaire, ne répondait cependant pas au problème de fond, à savoir un emballement de la production que les marchés nationaux, européens et internationaux ne parvenaient plus à absorber – on commençait d’ailleurs à avoir recours à l’intervention, c’est-à-dire au stockage des surplus de production sous forme de poudre ou de beurre, faute de trouver des débouchés –, et j’ai exprimé très clairement cette position.

Vous savez qu’en 2008, lorsque la fin des quotas a été annoncée pour 2015, les États ont été autorisés à augmenter leur production de 1 % chaque année de 2009 à 2015. Évidemment, certains ont dépassé – parfois très largement – cette augmentation annuelle, et se sont donc vus infliger des sanctions, mises à la charge des producteurs. Les pays concernés, à savoir l’Autriche, l’Allemagne, l’Irlande, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark et la Pologne, sont alors venus me demander le soutien de la France à une procédure de levée des sanctions. Je leur ai répondu que je ne les soutiendrais que s’ils s’engageaient de leur côté à mettre en place des mesures de maîtrise de la production – et, faute d’obtenir un accord de leur part sur ce point, je leur ai refusé mon soutien. Les sanctions se sont donc appliquées, et ont rapporté 700 millions d’euros, ce qui a permis de financer les 500 millions d’euros du plan européen.

D’après les prévisions de la Commission européenne, la crise laitière devait s’arrêter à la fin de l’année 2015, ce qui ne me paraissait pas devoir être le cas si l’on ne faisait pas en sorte de maîtriser la production – hélas, on ne m’a pas écouté ! En février 2016, je suis reparti à l’assaut en déposant un mémorandum qui fixait des règles de maîtrise de la production laitière en recourant à deux articles que nous avions négociés dans le cadre de la politique agricole commune, à savoir les articles 221 et 222 du règlement européen sur l’organisation commune de marché. Si ce mémorandum fut accueilli avec beaucoup d’enthousiasme par la présidence néerlandaise, qui voyait en ma proposition une base de travail intéressante, on me fit savoir que la décision ne serait pas prise immédiatement.

Il me fallut effectivement six mois supplémentaires pour débloquer un accord au Conseil et mettre en œuvre une solution de maîtrise de la production laitière basée sur l’article 221, qui permet de financer une partie des litres qui ne sont pas produits… autrement dit, nous avons perdu six mois, alors qu’il existait une solution toute prête, qu’il ne restait qu’à mettre en œuvre. Pendant ce temps, la production laitière excédentaire a été convertie en poudre et en beurre – on a ainsi stocké plus de 350 000 tonnes de poudre de lait, qui sont toujours stockées aujourd’hui.

Depuis la mise en œuvre des mesures de maîtrise de la production, l’offre laitière a baissé et le marché s’est redressé. Les prix commencent à remonter, ce dont je me félicite, mais ils ne sont pas aussi élevés qu’ils le seraient si on n’avait pas perdu six mois. Malheureusement, c’est le délai qui m’a été nécessaire pour convaincre la Commission et surtout le Conseil et le Parlement européen. Pour trouver une majorité, j’ai été obligé de négocier un accord avec la Pologne et l’Allemagne – et cette dernière a mis un peu de temps avant de s’engager, alors même que les coopératives laitières allemandes voyaient que la production était en train de leur échapper.

Il nous reste maintenant à vérifier que la solution adoptée va vraiment s’appliquer. Pour ce qui est de sa mise en œuvre automatique, qui permettrait d’éviter de perdre du temps à convaincre tout le monde à chaque fois qu’une crise se profile, je n’y suis pas franchement favorable : le recours à l’article 221 doit continuer à procéder d’une décision politique et démocratique. Cela dit, le fait de disposer d’outils identifiés et efficaces va désormais nous permettre d’intervenir d’une manière plus facile, plus régulière et plus rapide, sans attendre d’être au bout d’une crise pour prendre les décisions qui s’imposent.

Pour ce qui est de la PAC 2020, j’ai pris l’initiative de réunir mes homologues à Chambord début septembre 2016 afin de réaffirmer notre engagement en faveur d’une PAC forte, au cœur du projet européen. Vingt pays se sont engagés, ce qui n’est pas rien – je précise que le Royaume-Uni n’était pas invité : « Pas de PAC Brexit ! », avait dit le ministre luxembourgeois, et j’ai repris la formule à mon compte, avec le soutien du ministre allemand.

Cette réunion a été l’occasion d’énoncer collectivement quatre grands principes, qu’il est important de rappeler. Le premier consiste à maintenir un budget à la hauteur de la politique agricole que nous voulons mener.

Le deuxième principe consiste à simplifier la PAC. Vous vous rappelez qu’avec l’orthophotographie, nous avons été obligés de refaire tous les registres parcellaires – 26 millions d’hectares à revoir au mètre carré près – franchement, on ne peut pas continuer à s’imposer de telles choses.

Le troisième principe, c’est que la PAC doit continuer à intégrer les grands enjeux des politiques publiques que sont l’environnement, l’alimentation et la lutte contre le réchauffement climatique – je ne suis pas près de lâcher l’initiative « 4 pour 1 000 », consistant à augmenter chaque année dans cette proportion le stock de carbone dans les sols, ce qui permettrait de stopper l’augmentation actuelle du CO2 dans l’atmosphère.

Le quatrième principe consiste à renforcer notre approche commune de la gestion des crises, ce qui pose la question du système assurantiel. Peut-on créer un troisième pilier de la PAC, qui permettrait de gérer les aléas économiques, climatiques et sanitaires – ou d’autres systèmes seraient-ils plus adaptés ? Le débat est loin d’être tranché mais à Chambord, nous avons trouvé un accord à vingt pour dire qu’il mérite d’être ouvert.

Pour ce qui est de la France, si vous le souhaitez, vous pourrez inviter la mission du conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), qui doit rendre, pour début décembre, un rapport sur les questions d’assurance et de mutualisation. Ce rapport important dans tous les sens du terme – en volume comme par les enjeux qu’il soulève – fera le constat de ce qui existe déjà en termes sanitaires, économiques et d’aléas climatiques, et proposera de revoir l’ensemble des systèmes et des outils – le contrat socle, le Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) et le Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnementale (FMSE), mais aussi la question de la fiscalité, avec la déduction fiscale pour aléas (DPA). Nous allons nous interroger sur la meilleure façon de réorganiser les choses pour que les agriculteurs puissent faire des provisions lorsqu’ils ont de bonnes années, afin d’être en mesure de faire face à une perte de revenus de n’importe quelle origine – sanitaire, économique ou climatique –, pouvant atteindre 30 %. J’insiste sur l’enjeu essentiel que représente ce rapport, qui viendra s’inscrire dans le débat sur l’avenir de la politique agricole commune.

M. Yves Daniel. Monsieur le ministre, je vous remercie pour la présentation très complète que vous venez de faire.

Pour ma part, j’évoquerai surtout la réforme de la PAC post-2020. Ce sujet me tient particulièrement à cœur et je sais que nombre de nos compatriotes, qui s’intéressent à l’agriculture, partagent cette préoccupation. Aujourd’hui, à quelques mois de la fin de la législature, nous venons de commencer les auditions d’un groupe de travail sur le thème de cette réforme.

C’est un beau symbole, car les avancées obtenues par la France pour la PAC 2014-2020 l’ont été de haute lutte, après des discussions parfois vives avec nos partenaires européens, où vous avez su faire preuve de fermeté.

C’est également un vaste chantier, car beaucoup reste à faire. Je caresse le fol espoir (Sourires) que des fondations solides puissent enfin être établies pour la PAC post-2020. La politique agricole commune me semble avoir toujours été envisagée de façon plus conjoncturelle que structurelle. Année après année, réforme après réforme, n’avons-nous pas davantage essayé de suivre et de corriger au mieux les effets du marché dans le contexte européen plutôt que de réfléchir à un ou des modèles d’agriculture que nous voulions vraiment construire ?

Pendant longtemps, nous avons fait de même en France avant, en 2012, de nous orienter vers l’agro-écologie, qui est devenue l’une des caractéristiques de notre modèle d’agriculture. Cela n’a pas toujours été facile et des obstacles demeurent mais, comme le dit le proverbe, « là où il y a une volonté, il y a un chemin ». J’aimerais qu’aujourd’hui, nous fassions preuve de cette même détermination au niveau européen. Membre de la commission des affaires européennes, j’ai eu la chance et l’honneur de travailler sur les appellations d’origine contrôlée, la réglementation de l’agriculture biologique et, tout récemment, la fin des quotas laitiers.

Ces thèmes ne trouveront leur solution et l’épanouissement de leurs acteurs que dans la coconstruction d’un modèle agricole européen cohérent, intégrant les trois piliers du développement durable que sont l’économie, le social et l’écologie. Il est nécessaire, lorsqu’on parle de compétitivité, de prendre en compte ces trois piliers, et non de se référer uniquement à des critères financiers centrés sur le produit intérieur brut ou le volume.

M. Laurent Furst. Monsieur le ministre, on a vu des groupes chinois essayer d’acquérir d’importantes surfaces agricoles en France, après l’avoir fait massivement ailleurs, notamment à Madagascar. Cela peut s’expliquer par le prix peu élevé des terres agricoles françaises, en raison de la politique menée en la matière. La question de la propriété de la terre et de sa transmission est fondamentale, car la terre est l’outil de production des agriculteurs. J’aimerais connaître votre position sur cette question préoccupante.

Vous avez évoqué la question de la pollution des cours d’eau. Pensez-vous que nous soyons dans une perspective d’amélioration de la situation, voire d’un retour à la normale ?

Quand on parle d’agriculture, on parle d’entreprises, mais aussi de familles, d’hommes et de femmes qui traversent des moments très difficiles lorsqu’ils doivent vivre avec des revenus extrêmement faibles. J’ai bien entendu ce que vous avez dit sur la solution consistant à lisser excédents et déficits afin de les amortir, mais force est de constater qu’elle ne peut s’appliquer à certains agriculteurs qui en sont à s’interroger sur leur survie. Que pouvez-vous dire à ces personnes, dont la situation constitue aujourd’hui un enjeu social, voire sociétal ?

Enfin, j’aimerais savoir ce que vous pensez de la possibilité pour les agriculteurs de devenir également des producteurs d’énergie, sous forme d’électricité ou de biogaz : avez-vous l’intention d’initier et de soutenir une véritable politique publique en la matière ?

Mme Jeanine Dubié. Monsieur le ministre, nous avons reçu hier le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, M. Matthias Fekl, qui nous a fait un point d’étape et s’est félicité que le CETA protège 42 IGP françaises. En tant que ministre de l’agriculture, j’aimerais savoir quelles sont vos attentes en termes d’intérêt offensif : dans quelle mesure ce traité
va-t-il pouvoir bénéficier directement à nos agriculteurs ?

Pour ce qui est des producteurs canadiens, ils vont voir leurs quotas sur le marché européen progressivement relevés pour plusieurs produits stratégiques – notamment le bœuf, le porc et le blé. En cas de déséquilibre soudain du marché d’un produit agricole, l’Union européenne pourra toujours activer une clause de sauvegarde pour réduire temporairement les quotas canadiens. Pouvez-vous nous expliquer comment cela se passera concrètement, et qui décidera d’activer ou non la clause ?

Les députés qui ont entamé un travail sur la question de la réforme de la PAC post-2020 – dont je suis – ont relevé que vous aviez fait des propositions visant à lutter contre la volatilité des prix, notamment au moyen du mécanisme d’aide contracyclique. Pouvez-vous nous expliquer la position que vous avez défendue, et comment ont réagi vos homologues ?

Pour ce qui est de la situation des marchés agricoles, en février dernier, lors d’un précédent conseil de l’agriculture, vous aviez obtenu la reconnaissance par le commissaire Phil Hogan de la gravité de la crise agricole à laquelle est confrontée l’Union européenne, et plus particulièrement la France – ce dont nous vous remercions. Vous aviez fait une série de propositions visant à faire face aux crises agricoles des secteurs laitier et porcin : huit mois plus tard, pouvez-vous nous en faire le bilan ?

Enfin, Mme la présidente Frédérique Massat a évoqué la nouvelle carte des zones défavorisées simples, établie sur la base des huit critères biophysiques européens. Je vous sais également attentif à cette question, Monsieur le ministre, et je vous fais confiance pour définir des critères nationaux robustes, qui permettront de conserver dans le zonage des communes dont les caractéristiques justifient qu’elles y soient maintenues. J’appelle cependant votre attention sur le grave impact que la réforme pourrait avoir sur le piémont pyrénéen. Je sais qu’il est question de seuils à ne pas dépasser en termes de production brute standard (PBS) à l’hectare, ainsi que de taux de chargement – ce dernier devant rester inférieur à 1,3 unité de gros bétail (UGB) à l’hectare : pensez-vous qu’il sera possible d’influer sur ces seuils ?

Mme Marie-Lou Marcel. Je voudrais revenir sur le projet de réforme de la carte des zones soumises à des contraintes naturelles et surtout sur le classement de ces zones en zones défavorisées simples et zones de piémont. Cette carte suscite de très vives inquiétudes, tant auprès des syndicats agricoles que des agriculteurs et des élus. Pour l’Aveyron, ce classement est vital pour les exploitations, car il ouvre droit à l’ICHN, aux aides couplées bovins-lait et à l’investissement des bâtiments, et permet d’atténuer les surcoûts de production de ces zones.

La nouvelle carte établie sur la base de huit critères biophysiques exclurait 47 communes classées jusqu’à présent en piémont ou classées mixtes piémont-montagne, ce qui aurait un impact direct sur le montant des aides perçues, donc des conséquences dramatiques. Samedi, je me suis rendue sur un élevage en groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) à Villeneuve-d’Aveyron, directement impacté par le déclassement si la réforme s’appliquait sur les critères prévus : 300 personnes – éleveurs, élus et citoyens – s’étaient rassemblées afin de manifester leur inquiétude. Le passage en zone « plaine » de cette exploitation entraînerait une réduction de 25 % de la dotation jeunes agriculteurs (DJA), la perte du bénéfice d’un taux d’emprunt bonifié à 1 % pendant cinq ans – ce qui se traduirait par un surcoût du crédit de près de 10 000 euros pour une somme empruntée de
130 000 euros –, et une baisse de 8 % de la part des aides ICHN dans le total des aides PAC en 2017. Pour l’exploitant, cela signifierait la disparition pure et simple de l’exploitation.

Monsieur le ministre, selon certaines informations, il semblerait que les critères biophysiques ayant conduit à l’exclusion de certaines communes ne soient pas forcément fiables : des agriculteurs qui ont testé plusieurs des critères ont ainsi constaté que le seuil de 60 % serait largement dépassé. Ces critères seront-ils réexaminés ? Par exemple, le mode de calcul du chargement, défavorable à certaines zones du département alors même que celles-ci remplissent les critères biophysiques, sera-t-il revu pour le rendre identique à celui des ICHN ?

Mme Annick Le Loch. Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur la régulation de la production laitière. La semaine dernière, nous avons adopté ici même, à l’unanimité, une résolution européenne portant sur l’après-quotas laitiers, qui propose, entre autres, la mise en œuvre d’une régulation par un programme de responsabilisation face au marché (PRM) proche de celui de l’European Milk Board (EMB). Pour ma part, j’ai souligné qu’il s’agissait d’un système intelligent de régulation, un système vertueux permettant de préserver l’avenir. Vous avez apporté une première réponse en organisant une intense négociation au niveau européen portant sur l’aide à la réduction de la production, qui a rapidement rencontré un vif succès, y compris au-delà de nos frontières.

Aujourd’hui, comment aller encore plus loin, en imposant cette solution au niveau européen ? Vous avez évoqué tout à l’heure les outils qui existent, notamment les articles 221 et 222, et souligné qu’il ne fallait pas attendre que les crises se déclenchent pour agir. Ne pensez-vous pas que ce PRM est une meilleure solution que les articles 221 et 222 et tout ce qui a été fait jusqu’alors ?

Par ailleurs, au sujet des retraites des agriculteurs, vous avez récemment annoncé la tenue, avant la fin de l’année, d’une conférence sur la question. Même si des revalorisations sont intervenues au cours des dernières années, ces retraites sont actuellement à un niveau très bas. Qu’en est-il de l’engagement pris par M. François Hollande lors de la campagne présidentielle de 2012 de porter les retraites agricoles à 75 % du SMIC, et quelles sont les pistes actuellement envisagées pour améliorer la situation des agriculteurs retraités, qui doivent percevoir une pension décente après avoir exercé un métier que l’on sait difficile ?

Mme Chantal Guittet. Monsieur le ministre, vous vous êtes dit sensible à la lutte contre le réchauffement climatique. L’Union européenne est le deuxième importateur d’agrocarburants, 40 % des terres nécessaires à leur production se trouvant hors d’Europe. Or, non seulement cette production soulève d’importants problèmes alimentaires dans les pays producteurs, mais elle contribue au réchauffement climatique. Pourquoi l’Europe ne les interdit-elle pas ?

Ma seconde question porte sur le CETA. Certes, nous n’importerons pas de poulets à l’eau de javel ni de viande aux hormones de croissance, mais avons-nous la garantie que l’alimentation des animaux ne contiendra pas d’organismes génétiquement modifiés (OGM) ?

M. le ministre. On importe déjà des OGM, pour l’alimentation animale.

Mme Chantal Guittet. Par ailleurs, pouvez-vous nous indiquer où en sont les discussions sur la norme applicable à l’agriculture bio en matière de pesticides et quelle est la position de la France sur ce sujet ? Enfin, pensez-vous que les nombreuses résolutions européennes que nous votons ont un effet sur la Commission européenne ?

Mme Marie-Hélène Fabre. Ma question porte sur l’assurance récolte. Depuis de nombreux mois maintenant, nous sommes confrontés à des aléas climatiques de plus en plus importants qui touchent l’ensemble des agriculteurs, notamment ceux des zones viticoles, et qui mettent en évidence un besoin de protection face à ce risque. Or, actuellement, moins de 30 % des exploitants agricoles sont couverts par des contrats d’assurance. Cent millions d’euros relevant de la politique agricole commune sont consacrés à cette question, mais pourrait-on solliciter davantage le deuxième pilier, de façon à inciter les agriculteurs à adhérer au dispositif ?

Par ailleurs, notre commission a voté à l’unanimité une proposition de résolution visant à maintenir la réglementation viticole en matière d’étiquetage, dossier auquel nous vous savons très attaché. Avez-vous des précisions à nous apporter sur la démarche entreprise par M. Phil Hogan dans ce domaine ?

M. Hervé Pellois. Ma première question, identique à celle de
Mme Annick Le Loch, portait sur l’European Milk Board. À cet égard, il me paraît intéressant que l’intervention puisse être plus ou moins forte en fonction de l’intensité des crises.

Par ailleurs, certaines de nos filières, qu’il s’agisse de la production porcine ou de la production bovine, ne fonctionnent pas très bien. Nous espérons donc qu’une réflexion soit menée avec les professionnels à ce sujet. Or, force est de constater qu’une telle réflexion, pourtant souhaitable pour les producteurs français, se fait encore attendre. Des initiatives pourraient-elles être prises dans ce domaine ?

Mme Marilyse Lebranchu. Tout d’abord, le CETA suscite, à propos de la viande de qualité, des inquiétudes que nous ne sommes pas encore parvenus à apaiser. On craint, par exemple, que l’angus écossais soit remplacé par la viande haut de gamme produite dans le nord du Canada et dans les provinces inuites.

Ensuite, nous savons que la France perdra son indépendance alimentaire entre 2035 et 2045, en raison de la disparition d’un grand nombre d’hectares de terres agricoles. Pensez-vous que le dossier de la protection de ces terres puisse être ouvert à l’échelle européenne ? Un jour, il faudra nous interroger sur l’urbanisme rural pour protéger nos terres agricoles et aider les maires ruraux, qui ne résistent pas aux pressions qu’ils subissent, y compris de la part des agriculteurs eux-mêmes. Ce dossier sera sans doute l’un des grands dossiers du XXIsiècle.

M. le ministre. Plusieurs questions ont trait, en fait, à l’avenir de la PAC. Je vous ai indiqué qu’il existait, s’agissant de la réforme de cette politique, quatre pistes communes qui sont autant de points d’appui dans la discussion. Ce n’est pas rien, mais la négociation aura lieu en 2019-2020, et elle dépendra de l’actualité et des rapports de force du moment. Même s’il y a longtemps que je suis là, il n’est pas certain que ce soit moi qui négocie en 2020. Je peux néanmoins formuler des propositions afin de poser les bases d’une politique agricole organisée autour du maintien du verdissement, que certains voudraient supprimer et qui suppose que nous modifiions la façon dont on aborde les enjeux environnementaux.

Si nous voulons sortir du système de normes actuel, il faut en effet que nous passions à des modèles qui puissent être considérés comme vertueux du point de vue environnemental. De fait, si des normes ont été édictées, c’est pour lutter contre les pollutions. Prenons l’exemple de la directive sur l’eau. Lorsque j’ai pris mes fonctions, il existait un contentieux entre la France et l’Europe. Nous avons négocié, cela a été difficile, mais ce contentieux est aujourd’hui réglé : la mise en œuvre des plans d’action est en cours. La Bretagne est d’ailleurs en train de prendre un virage très important, grâce à des mesures telles que la surveillance des flux d’azote total ou la couverture des sols. La chambre d’agriculture régionale considère désormais l’environnement, non pas comme une contrainte, mais comme un enjeu économique de la compétitivité de demain. Cela a bien changé, tant mieux ! On ne va pas s’en plaindre.

En quoi consisterait ce verdissement nouveau ? Je propose la création de zones homogènes pour lesquelles on pourrait définir des critères – taux de matière organique dans les sols, biodiversité – et des objectifs de rotation et de couverture des sols et d’utilisation de la photosynthèse. Nous proposerons, le 15 décembre, une base de travail sur ces critères. Ainsi, on pourrait fixer, pour une zone pédoclimatique cohérente et homogène, un objectif chiffré d’augmentation du taux de matière organique dans les sols au cours des cinq prochaines années. Une fois que la zone est délimitée et les objectifs définis, le verdissement accompagne la stratégie des agriculteurs. S’ils n’atteignent pas les objectifs, ils sont sanctionnés ; s’ils les atteignent, il n’y a aucune raison de les embêter en leur imposant de nouvelles normes. Grâce à la couverture des sols, non seulement on conserve la biodiversité existante, mais on en crée : acariens, nématodes, collemboles, carabes, vers de terre… En substituant des objectifs à des normes, on sortirait de la logique actuelle en passant, enfin, du contrôle a priori des moyens à un contrat sur des objectifs. Encore faut-il que les modèles de production puissent répondre aux enjeux environnementaux. C’est l’objet du débat sur la définition des critères. Le groupe de travail que j’ai évoqué collaborera pendant deux ans avec l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) sur ces sujets, afin que nous soyons prêts à faire des propositions en 2018-2019.

En ce qui concerne le CETA, les clauses de sauvegarde sont bien déclenchées au niveau européen. Elles peuvent l’être, pour l’instant, par la Commission, ce qui signifie que si l’on n’exerce pas de pressions politiques sur celle-ci, on peut parfois attendre longtemps... Ce déclenchement n’est pas automatique ; il s’agit d’une décision politique, qui nécessite donc la mobilisation du Conseil et du Parlement européens.

J’en viens à la question de l’épargne de précaution. Lorsque les prix des produits sont élevés, le système actuel d’aides forfaitaires à l’hectare – les fameux droits à paiement de base (DPB), auxquels il faut ajouter les paiements redistributifs – ne modifie pas le niveau de revenus, qui peut être très bon quand le prix de la tonne de céréales, par exemple, est de 250 euros, comme ce fut le cas en 2012. Mais lorsque ce prix chute de 100 euros, et que s’ajoute à cette baisse un rendement faible lié à une inondation ou à un problème de production, les aides ne permettent pas, dans certaines exploitations, de dégager un revenu. Il faudrait donc mettre en place un dispositif contracyclique qui permettrait d’aider les agriculteurs lorsque les prix sont bas et le rendement faible, et de diminuer les aides lorsque les prix sont hauts. C’est ce que font les États-Unis, mais ils ont un budget fédéral, voté chaque année, à la différence de l’Union européenne, dont le budget est pluriannuel et très peu flexible, de sorte qu’il nous est impossible de porter les aides de zéro à 100 d’une année sur l’autre.

Aujourd’hui, on ne vote que les dépenses du budget européen. Les recettes, quant à elles, sont décidées dans le cadre d’un accord qui fixe un cadre financier pour 7 ans. Le budget européen n’a pas de véritables recettes propres. Ses recettes sont constituées des taxes à l’importation – mais plus on signe d’accords commerciaux, plus le produit de ces taxes diminue – et, pour le reste, des contributions des États. D’où le débat sur ce que ceux-ci reçoivent en retour ; chacun se souvient du fameux : « I want my money back » de Mme Margaret Thatcher. Certains États sont contributeurs nets – ils contribuent davantage qu’ils ne reçoivent –, d’autres sont bénéficiaires nets : ils contribuent moins qu’ils ne reçoivent. Cela s’appelle la solidarité, et c’est ce dont ne veulent pas les Anglais.

Le système budgétaire européen ne permet donc pas de faire du contracyclique. C’est pourquoi nous proposons ce dispositif d’épargne de précaution. Il permettrait, lorsque les choses vont bien, de prendre une partie des aides du premier pilier de la PAC – les DPB –, pour alimenter une caisse, une provision, qui permettrait aux agriculteurs de développer des stratégies assurantielles et mutualisées afin de faire face, le cas échéant, aux pertes de revenus liées à des aléas sanitaires, économiques ou climatiques. Il s’agit bien de contracyclique : lorsque les prix sont bons, l’aide, qui n’est pas vraiment utile, est mise de côté pour créer une épargne de précaution qui peut être réutilisée quand les prix baissent. Comme on ne peut pas le faire en modulant le versement des aides, on autorise les agriculteurs à provisionner une partie de celles-ci.

Cette caisse, dont je souhaite qu’elle reste au niveau des agriculteurs, pourrait être – il faut que nous en discutions – individuelle, collective ou prendre la forme d’un système de péréquation générale. Plusieurs formules existent. Je rappelle que, dans le dispositif actuel, qui consacre 100 millions d’euros à soutenir le système assurantiel, un peu moins de 30 % des agriculteurs sont assurés. Comment amorcer le processus ? Si l’on pouvait prendre une partie des aides du premier pilier, on pourrait, par exemple, rendre cette assurance obligatoire.

J’en viens aux mesures laitières. La proposition de l’EMB consiste à créer un tunnel avec un prix plafond et un prix plancher. On peut se demander à quoi servirait un prix plafond ; je ne suis pas certain que les agriculteurs y soient favorables. Le prix plancher, quant à lui, permettrait de déclencher, lorsqu’il est atteint, un système d’intervention ou de réduction de la production. Mais la question est alors de savoir à quel niveau fixer ce prix plancher. Je ne suis pas opposé à un tel système, mais il n’y a, à l’heure actuelle, aucune majorité pour le mettre en œuvre au niveau européen. J’ajoute que le président de l’EMB est bavarois ; or, les relations entre la Bavière et le reste de l’Allemagne sont telles qu’il n’y a pas d’accord sur ce système. Toujours est-il que, si l’on voit bien l’intérêt d’un plancher, on peut se demander en quoi le plafond est justifié et ce qui se passera s’il est atteint.

Le véritable problème réside dans le fait qu’une grande partie du lait européen est exportée hors d’Europe. En effet, une laiterie peut utiliser son lait soit en produit transformé à forte valeur ajoutée, soit en produit peu transformé, du type poudre de lait, qu’elle exporte ; c’est ce que l’on appelle un mix laitier. Plus la part de produit peu transformé est importante dans votre mix laitier, plus vous êtes sensible au prix de la poudre de lait, surtout si vous exportez. Certains développent des stratégies de qualité pour valoriser leur poudre à un niveau plus élevé en exportant de la poudre destinée au lait infantile. Mais il est difficile de définir des prix, car le producteur et l’industriel qui exportent de la poudre dépendent du prix mondial. D’où les tensions. Lorsque, sur le marché Spot Fonterra – Nouvelle-Zélande,
Chine –, le prix baisse, quoi qu’il arrive, cela impacte l’Europe. Nous devons donc en tenir compte pour éviter les crises provoquées par des baisses de prix trop importantes.

S’agissant de la propriété des terres agricoles, la loi d’avenir pour l’agriculture et la loi « Sapin II » ont renforcé le rôle et la place des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER), pour leur permettre de s’intéresser aux mouvements de foncier à l’intérieur des sociétés foncières existantes. On s’est effet aperçu, dans le Loiret ou le Loir-et-Cher, qu’à l’intérieur d’un groupement foncier, les exploitants s’échangeaient des terres et les vendaient ; or cela passait inaperçu. Désormais, tout mouvement devra être justifié par la création d’un groupement spécifique, de sorte que la SAFER saura ce qui se passe.

L’enjeu de l’accès au foncier, c’est celui de l’accès à l’activité agricole de manière générale car il détermine le niveau de capital nécessaire pour pouvoir s’installer, ce capital étant constitué, en plus du foncier, des bâtiments et, lorsqu’on fait de l’élevage, du troupeau. Plus ce capital est élevé, plus sa rentabilité diminuera et plus il sera difficile pour de nouveaux agriculteurs de s’installer. Là est donc le véritable enjeu. Le foncier doit donc être le plus accessible possible et le capital nécessaire à l’exploitation doit être limité au maximum. Je pense en particulier aux bâtiments. Aux Pays-Bas et au Danemark, par exemple, où le hors-sol est très développé, avec des bâtiments très sophistiqués, les exploitants sont de plus en plus endettés. Tant qu’on leur accorde des prêts et que les taux d’intérêt sont bas, cela ira. Mais si les taux d’intérêt remontent, comme ils sont déjà surendettés, on sait ce qui se passera… Nous devons donc développer la stratégie inverse, à savoir un minimum de capital à investir, pour pouvoir installer des jeunes notamment, avec des taux d’endettement plus faibles et des besoins en fonds de roulement de départ moins importants.

Le foncier est donc un enjeu. Faut-il définir des zones de protection des terres agricoles ? Oui, cela existe dans les plans locaux d’urbanisme (PLU). Faut-il modifier en partie l’urbanisme pour consommer moins de terres agricoles ? C’est certain. C’est pourquoi nous avons créé, dans la loi d’avenir pour l’agriculture, les commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, les CDPENAF. Ces commissions doivent émettre un avis conforme sur les zones agricoles AOP, ce qui permet d’éviter la perte de terres à forte valeur ajoutée agricole. Peut-être faudra-t-il, à l’avenir, étendre le dispositif à l’ensemble des terres agricoles. D’autres mesures existent ; je pense à la taxe sur la mutation des terres agricoles, qui nous permet de récolter environ 20 millions d’euros par an ; ce n’est pas assez. Différents outils sont donc disponibles pour nous permettre de maîtriser la consommation des terres agricoles, mais la démarche est globale. Il faut voir la pression que subissent les élus du Sud-est, notamment : la ville de Nice, par exemple, va bientôt occuper l’ensemble des vallées alentour. Toutes les villes s’étendent sur des terres agricoles qui sont souvent, de surcroît, les meilleures. En France, nous avons un avantage stratégique dans ce domaine, car nous avons encore de l’espace, contrairement à l’Allemagne ou aux Pays-Bas où il n’y a plus de sols.

Cela m’amène à évoquer le règlement sur l’agriculture bio. Je ne suis pas d’accord pour que celle-ci puisse se faire hors-sol, même sans pesticides. C’est un point très important. Je pense au maraîchage : l’agriculture verticale peut être entièrement bio. On ferme hermétiquement les bâtiments, de sorte qu’on élimine les problèmes de parasites ou de maladies ; les leds permettent de calculer la luminosité de manière à être toujours au maximum de la production du végétal, et on fait des tomates magnifiques et totalement bio ! Il faut y faire très attention, car cela pourrait être autorisé.

En ce qui concerne la pollution des cours d’eau, nous avons mis en place notre plan d’action et nous sommes sortis du contentieux, alors que l’Allemagne, elle, est en plein dedans, et pour tout le pays.

La production d’énergie par l’agriculture est un véritable enjeu. Quand j’ai pris mes fonctions, le nombre de méthaniseurs agricoles était de 90 ; aujourd’hui, nous en sommes à 150 ou 170, alors qu’en Allemagne, il y en a 4 000. Il ne s’agit pas de copier l’Allemagne, mais c’est tout de même un enjeu important. C’est à ceux d’entre vous qui sont également élus locaux que je m’adresse. La commune de Liffré, en Ille-et-Vilaine, par exemple, a intégré le méthaniseur agricole dans un contrat avec un groupement d’intérêt économique et environnemental (GIEE). En gros, ce méthaniseur est alimenté par les déchets verts de la commune et par ceux des agriculteurs, qui ont contractualisé avec elle. Ils produisent 30 % du gaz consommé à Liffré ! Ces stratégies sont les meilleures. Un méthaniseur de 150 à 500 kilowatts suffit. Les collectivités locales viennent en appui, paient notamment le raccordement au réseau, et on crée ainsi une boucle agriculture-collectivités locales très intéressante. Je vous demande vraiment d’y réfléchir.

J’en viens aux zones défavorisées simples (ZDS) en Aveyron. Je sais que des communes ont été retirées du dispositif. Je sais également que 90 % du territoire aveyronnais est en zone de montagne et, à ce titre, en ZDS – il en reste donc très peu exclu de ce zonage. Et quand j’observe une carte de l’Aveyron, elle est couverte de rouge sauf deux petites zones blanches – sans doute le GAEC qui se trouve dans la zone non couverte. Ce n’est pas moi qui ai décidé des critères géophysiques : nous avons appliqué ceux de l’INRA. Je souhaite bon courage à ceux qui vont venir me contester les critères. J’ai fait établir cette carte parce que c’était une obligation résultant d’une décision prise en 2010 au niveau européen. J’applique donc les règles tout en restant ouvert à la discussion. Et si l’on doit étendre les ZDS, nous devons disposer de critères objectifs, qu’il s’agisse de l’herbe, des chargements… Et même si nous disposons d’une certaine marge, il est évident que les communes qui étaient en ZDS auparavant ne le seront pas toutes à nouveau. J’ai demandé aux préfets d’établir, pour chaque département, des critères permettant de maintenir au maximum les zones actuelles dans le futur zonage.

Pour ce qui concerne les retraites des agriculteurs, nous aurons une réunion sur le fond le 30 novembre prochain. L’objectif fixé par le Président de la République, suivant lequel les retraites agricoles devront représenter au moins 75 % du SMIC, sera atteint. Au-delà, nous devons examiner la manière de rendre le système globalement pérenne. J’ai précisé, lors de l’examen des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » du projet de loi de finances pour 2017, que l’on tiendrait compte des vingt-cinq meilleures années – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Mes propositions vont donc dans le bon sens. La revalorisation de la retraite complémentaire obligatoire (RCO) devait reposer sur trois éléments : les réserves du fonds de roulement de la Mutualité sociale agricole (MSA) ; la sortie des optimisations des paiements de cotisations sociales sur les structures foncières – pour une recette évaluée à 160 millions d’euros –, point sur lequel nous nous sommes complètement trompés puisque les recettes ne sont que de 20 millions d’euros ; enfin, l’augmentation des cotisations de 1,3 point à 2 points afin de financer 75 % de la RCO.

Madame Chantal Guittet m’a interrogé sur les agrocarburants. Quand j’ai pris mes fonctions, en 2012, on imputait la hausse du prix des céréales aux agrocarburants auxquels une trop grande part de la production était, disait-on, consacrée. Or si, aujourd’hui, les prix sont si bas, est-ce parce que la part de la production consacrée aux agrocarburants a baissé ? Non : et nous sommes passés de 230 euros la tonne à 120 euros la tonne. La part de la production de céréales consacrée aux agrocarburants n’est donc pas ce qui détermine le prix des céréales

Mme Chantal Guittet. Je n’ai pas dit le contraire.

M. le ministre. Certes, mais il fallait que je le précise car c’est important.

Ensuite, doit-on considérer l’huile de palme comme un agrocarburant ? Elle a bien d’autres utilités… Le développement de la production d’huile de palme s’est fait, il est vrai, il y a dix, vingt ou trente ans, au prix de la destruction de forêts entières et souvent de forêts primaires. La situation a changé – vous vous rappelez la fameuse histoire avec le Nutella – et les pays producteurs savent qu’il n’est plus possible de procéder ainsi car si l’image de l’huile de palme se résume à cela, ils ne produiront plus rien.

D’autres agrocarburants sont réalisés avec de l’éthanol – à base de canne à sucre, surtout en Amérique latine et en particulier au Brésil. Avec la fin des quotas sucriers, je préfère que tout le sucre brésilien consacré à la production d’éthanol, continue de l’être. En effet, si ce sucre revenait sur le marché, ce serait une catastrophe : le potentiel de production est tel par rapport aux besoins qu’il vaut mieux en utiliser une partie pour la production d’éthanol. Ce raisonnement vaut également, dans une certaine mesure, pour la betterave.

Pour ce qui est des agrocarburants de première, deuxième et troisième générations, quand je suis arrivé au ministère de l’agriculture j’en avais plafonné l’incorporation obligatoire dans les carburants à 6 % alors que certains voulaient porter cette part à 10 %. Cette politique a été si bien perçue que la Commission européenne a alors complètement changé sa stratégie, voulant passer de 10 % à 5 %. Nous en sommes aujourd’hui à un taux de 7 %. Pour l’heure, en la matière, nous maîtrisons la production donc le système et c’est ce qui m’importe.

Qu’il s’agisse des céréales ou du sucre, les prix en sont tellement bas du fait de productions élevées que leur utilisation à d’autres fins qu’alimentaires permet de rééquilibrer le marché. Quand l’Ukraine, la Russie, l’Australie et les États-Unis, voire certains pays d’Amérique du Sud, sont en situation d’avoir de bonnes récoltes, les capacités de la demande sont tellement dépassées que les prix chutent. Quand, en Amérique latine ou aux États-Unis, une sécheresse ou une inondation fait plonger une partie de la production, à l’inverse, les prix montent.

Nous devons donc nous montrer très vigilants concernant les agrocarburants. Si l’on développe des systèmes de couverture des sols, avec des rotations plus importantes, des couvertures plus continues, une partie de ces éléments peuvent contribuer à l’alimentation animale ou à développer des stratégies de production énergétique. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait avec le plan « Énergie, méthanisation, azote, autonomie » (EMAA), en particulier en Bretagne où nous avons recherché l’autonomie azotée, la méthanisation via des cultures intercalaires. Nous ne voulions pas du système allemand où l’on produit du maïs pour le mettre dans un digester. Plus je couvre mes sols, je le répète, plus j’obtiens des rotations longues et plus je peux développer des stratégies alternatives.

En ce qui concerne la viande alimentée avec les OGM, il se trouve que nous importons déjà du soja génétiquement modifié qui sert à nourrir une partie des porcs produits en France. En revanche, nous avons interdit les hormones de croissance : ils ne peuvent pas être importés en Europe.

Un rapport scientifique a été rédigé sur les avantages, les « aménités positives » de l’agriculture biologique. J’ai augmenté le budget accordé aux mesures agro-environnementales (MAE) biologiques et, avec 50 millions d’euros, je suis arrivé au maximum de ce qu’il était possible d’obtenir sur le plan budgétaire.

J’ai dit, concernant l’assurance récolte, que le contracyclique valait également pour la viticulture. L’organisation commune du marché (OCM) vitivinicole, le jour où l’on adopte un système d’épargne de précaution, devra, en tant que telle, mettre le même système en place avec une partie des fonds consacrée à une épargne de précaution pour que les viticulteurs soient ensuite assurés. Il reste tout de même possible de s’assurer aujourd’hui – à 9 euros par hectare…

Je suis très attaché à l’étiquetage d’origine sur les produits transformés et nous allons y parvenir. Nous serons même les premiers et, dès la fin de l’année, vous pourrez acheter de la viande dont l’origine sera indiquée.

Nous sommes par ailleurs très vigilants sur les travaux de la Commission européenne concernant les appellations d’origine et indications géographiques protégées. Nous en reparlerons.

Mme Marylise Lebranchu m’a interrogé sur le foncier agricole. Il reste beaucoup à faire en la matière pour éviter de gaspiller de l’espace agricole. Le moindre rond-point consomme un, deux ou trois hectares ! En même temps, les gens demandent des ronds-points…

Mme la présidente Frédérique Massat. Ils veulent manger aussi !

M. le ministre. Nous devons protéger nos terres agricoles, qui, de plus, et vous le savez, sont stockeurs de carbone : plus vous les retournez, plus vous rejetez de protoxydes d’azote. Il est donc important de garder des terres pour produire, mais il est important de garder des sols agricoles pour stocker du carbone. J’irai la semaine prochaine à Marrakech participer à la COP 22 afin de plaider en faveur de l’augmentation du stockage du carbone dans les sols à hauteur de 4 pour 1000, pour permettre d’augmenter leur fertilité et stabiliser la concentration en dioxyde de carbone dans l’atmosphère.

Mme la présidente Frédérique Massat. M. Yves Daniel souhaite poser une dernière question – dont il a été frustré tout à l’heure.

M. Yves Daniel. Comment construire la PAC 2020 de façon plus politique que technique ? Autrement dit, comment envisager de façon plus politique le rôle de l’agriculture, qu’il s’agisse de nourrir la planète, de protéger la santé, de fournir des emplois… ? En somme, ne pourrait-on pas considérer l’agriculture comme une sorte d’exception culturelle puisqu’elle représente l’enjeu le plus important qui soit ?

M. le ministre. Cette question nécessiterait qu’on ouvre un nouveau débat. J’ai tâché de fixer les grandes lignes des prochaines négociations européennes. Les ministres européens de l’agriculture, à Chambord, ont du reste évoqué la PAC 2020 également sous l’angle politique. Ensuite, certains sujets sociaux et environnementaux relèveront d’autres politiques publiques. Nous nous acheminons en effet de plus en plus vers une politique publique différenciée selon les objectifs et les territoires.

Ainsi, l’approvisionnement local et le développement des circuits courts, pour aller vite, c’est une stratégie en soi. Tout ce qui touche aux zones de montagne, à l’indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN)…, c’est une politique en soi.

Mme la présidente Frédérique Massat. Eh oui !

M. le ministre. La question est ici de savoir comment trouver à ces zones les moyens de poursuivre des activités agricoles avec des débouchés rémunérateurs.

Les grands enjeux internationaux répondront à d’autres problématiques.

Aussi la politique publique doit-elle intégrer les grands enjeux transversaux : pour ce qui nous concerne, les grandes questions d’alimentation et les grandes questions liées à l’environnement et, en particulier, à la lutte contre le réchauffement climatique, à la diminution du recours à la chimie et aux produits phytosanitaires. Il y aura ensuite de nombreuses politiques beaucoup plus ciblées selon les objectifs que l’on se fixe. Et celui concernant les zones où l’on développe des stratégies de localisation de la production consiste à créer des tissus agricoles socialement solides.

J’en profite pour signaler qu’aux États-Unis, le nombre d’agriculteurs a plutôt augmenté et selon un double processus : une augmentation des installations autour des villes pour tout ce qui concerne le nouveau maraîchage, notamment, et, dans le même temps, un maintien des grandes exploitations dans le Middle-West qui ont continué de se structurer et de s’agrandir. Ce double phénomène n’est pas celui que nous allons connaître. En France, certains endroits seront caractérisés par une forte densité agricole – parce qu’ils correspondent à des besoins – alors que d’autres seront moins denses mais nécessiteront une diversification en matière énergétique. Nous devrons sur cette question mener une réflexion de fond.

Mme la présidente Frédérique Massat. Nous vous remercions, Monsieur le ministre, pour vos réponses et pour votre disponibilité.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 9 novembre 2016 à 16 h 45

Présents. – Mme Delphine Batho, M. Yves Daniel, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Sophie Errante, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Laurent Furst, M. Jean Grellier, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Hervé Pellois, M. Lionel Tardy

Excusés. – M. Damien Abad, M. Denis Baupin, M. Jean-Claude Bouchet, M. Yannick Moreau, M. Bernard Reynès, Mme Béatrice Santais, M. Jean-Marie Tétart, Mme Catherine Troallic

Assistaient également à la réunion. – Mme Danielle Auroi, M. Jean-Luc Bleunven, Mme Isabelle Bruneau, Mme Nathalie Chabanne, Mme Françoise Dubois, Mme Chantal Guittet, Mme Marylise Lebranchu, M. Pierre Lequiller