Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d’évaluation et de contrôle

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Comment optimiser les aides à la construction de logements sociaux en fonction des besoins ?

Jeudi 14 février 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 3

Présidence de MM. Olivier Carré et Alain Claeys, présidents

– Audition, ouverte à la presse, de M. Benjamin Dubertret, directeur des fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations, sur le thème « Comment optimiser les aides à la construction de logements sociaux en fonction des besoins ? »

M. Alain Claeys, Président. Nous poursuivons nos travaux relatifs à l’optimisation des aides à la construction de logements sociaux en fonction des besoins en accueillant M. Benjamin Dubertret, directeur des fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations, accompagné de Mme Laure Maillard, responsable des relations institutionnelles des fonds d’épargne, et de Mme Marie-Michèle Cazenave, responsable du pôle Affaires publiques.

Je rappelle que nos auditions se déroulent en présence de membres de la Cour des comptes : je salue M. Jean-Marie Sépulchre et Mme Dominique Malegat-Mély, conseillers maîtres.

M. Benjamin Dubertret, directeur des fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations. Mon propos liminaire portera sur trois points : la connaissance des besoins, la politique publique en matière de logement social et l’optimisation des aides.

Adapter les aides aux besoins de logements sociaux est un truisme : il importe avant tout de déterminer les besoins. Or, tous les acteurs du secteur reconnaissent que le diagnostic est à la fois lacunaire, imprécis et peu partagé.

Ce diagnostic, fondamentalement microéconomique et local, suppose un niveau de granularité très fin dans la connaissance du parc, qui ne porte pas seulement sur les logements sociaux, mais sur tous les logements mis à la disposition de nos concitoyens car il y a une interaction entre les deux. Et tout ce qui dynamise le parcours résidentiel, en dépit des nombreux freins, va dans le sens d’une bonne gestion. Il s’agit également de connaître l’adaptation de ce parc aux besoins, ses caractéristiques, son état, sa vétusté. En face, les besoins de la population sont encore plus difficiles à évaluer car ils doivent prendre en compte des éléments socioéconomiques tels que la démographie, l’âge et la typologie de la population, qui vont déterminer la nature des logements. Ce diagnostic statique, déjà lacunaire, va se révéler encore plus complexe à établir dans son volet prospectif tendanciel, car les besoins sont appelés à évoluer, certaines zones en difficulté étant moins attractives que celles qui connaissent un certain développement économique.

La superposition de deux grilles de lecture des zonages, qui ne sont pas équivalentes – celle de type 1, 2, 3, correspondant à l’aide personnalisée au logement (APL), et celle de type A, B, C, qui résulte des besoins d’accession sociale et sert à répartir les agréments – débouche sur des situations surprenantes, certains territoires se trouvant à la fois en zone A et en zone 3, ce qui gêne notre appréciation des besoins en logements sociaux.

La problématique des besoins fait l’objet de nombreuses discussions locales. La délégation des aides à la pierre semble avoir plutôt facilité la distribution des agréments et des subventions. Mais on reste à une échelle très large. Si nous travaillons à une échelle régionale, qui associe des délégataires, des bailleurs et la Caisse des dépôts dans le cadre des comités régionaux de l’habitat (CRH), permettant une assez bonne adaptation aux besoins, la vision reste assez globale.

Les outils qui permettent de mesurer les tensions et les besoins du territoire sont relativement imparfaits. Dans différents travaux, la Cour des comptes a remarqué que les indicateurs servant à mesurer la tension dans le secteur ne procèdent pas du logement social. Elle a fait le même constat concernant la politique de la ville. Il faut donc améliorer le diagnostic des besoins. De ce point de vue, le travail utile des observatoires locaux de l’habitat sera bientôt complété par celui des observatoires des loyers. Mais le plus important serait de se placer au niveau microéconomique et repartir de l’organisme.

L’État, en tant que puissance publique amenée à jouer un rôle dans l’aménagement du territoire et la répartition spatiale de l’activité, doit avoir une vision stratégique : il lui faut orienter la demande, et non pas se contenter d’accompagner les besoins. Cette problématique dépasse le cadre du logement pour rejoindre celle de la localisation des activités économiques et suppose des actions volontaristes de la part de l’État.

Depuis plusieurs années, le débat s’est focalisé sur la problématique des tensions de zone, avec l’idée que, à travers une politique d’agréments et d’aides publiques mieux ciblée, l’État devrait contrer et soulager les tensions dans certaines zones. Outre que l’appréciation du degré de tension est imparfaite, une politique qui se contente de soulager les tensions est nécessairement lacunaire et en retard par rapport aux besoins.

Prenons l’exemple du Grand Paris. Ce projet exige une forte concentration de moyens publics, en matière de transports comme de logements. En l’absence d’une politique dynamique d’aménagement du territoire, susceptible de mettre en place des métropoles d’équilibre et de rééquilibrer, à moyen et surtout à long, voire à très long terme, la géographie de l’activité économique, nous rencontrerons de réelles difficultés. Les deux éléments peuvent être réconciliés, mais, sur un plan financier, l’équation est complexe : si à court terme, il faut identifier les tensions existantes et chercher à les soulager, il est nécessaire de conserver des marges de manœuvre à moyen terme afin d’éviter les effets pervers. Lorsque le Grand Paris sera réalisé, peut-être sera-t-on tenté par le « Très Grand Paris » ! Il faut rechercher un équilibre plus réaliste, plus raisonnable. De ce point de vue, les fonds d’épargne, qui ne financent pas seulement le logement social, mais apportent depuis des années des financements pour différents équipements – transports, hôpitaux, universités, réseaux d’eau et investissements structurants des collectivités locales –, sont l’un des outils de la politique publique d’aménagement du territoire.

Quels sont les outils qui permettent d’assurer une meilleure adéquation des aides et des besoins, à court et à plus long termes ? Avant d’optimiser les aides, il convient de maîtriser les coûts, faute de quoi nous serons toujours en retard d’une action d’aide ou de soutien. La principale source de tension qui affecte les financements publics provient de la dérive des coûts du foncier, en premier lieu, mais aussi de la construction qui explique l’envolée des prix de revient des logements. De ce point de vue, la province tend à rattraper Paris, même si l’on note de très fortes disparités à l’intérieur d’une même région. La Caisse des dépôts et consignations vient de mener une étude sur ces évolutions. Pour agir sur la maîtrise des coûts de construction, les bailleurs doivent travailler ensemble, et se pencher sur la question des formes juridiques que peut prendre une meilleure intégration de leurs travaux.

La recherche de subventions est la première étape du montage d’un plan de financement, qu’elles soient versées directement par l’État ou par des délégataires d’aides à la pierre, ou apportées en complément par des collectivités locales. Ensuite interviennent les fonds propres que l’organisme s’estime capable d’engager. Les prêts sont donc la variable d’ajustement. Les prêts de la Caisse des dépôts constituent, en moyenne, près de 71 % des plans de financement. Or, avec la tension qui affecte les aides publiques, l’apport en fonds propres ne cesse de croître. La disponibilité de ces fonds propres, comme des subventions, devient un élément crucial. À un moment où nous affichons l’objectif très ambitieux de 150 000 logements sociaux par an, il existe une sorte de « mur des fonds propres » qui risque de faire obstacle au montage des opérations, dès lors que seraient résolues les autres problématiques telles que la disponibilité du foncier et sa viabilisation.

Nous devons donc élargir notre réflexion et envisager de recourir plus encore aux prêts sur fonds d’épargne – ou d’autres types de prêts comme ceux d’Action logement. Dans les années 1980, ceux-ci représentaient 80 %, voire 85 % des plans de financement, et non 71 % comme c’est le cas aujourd’hui. De fait, ces prêts permettent aux emprunteurs – dès lors qu’ils sont solvables et ont démontré leur capacité de remboursement sur la durée – d’amortir le choc et de réduire ce mur de fonds propres en lissant dans le temps la charge financière. La clé est de s’assurer de la capacité de remboursement sur les 10 ou 20 prochaines années. Un prévisionnel sur 30 ou 40 ans est chose impossible, mais on peut mesurer cette capacité sur 10 ans. Nous essayons de centrer notre expertise sur ces évaluations.

La solution n’est pas forcément de continuer à élever le niveau de subventions – d’importants efforts sont déjà faits en ce sens ; il est préférable de s’attacher à mieux les concentrer. Plutôt que de s’évertuer à rechercher des opérations intrinsèquement équilibrées, peut-être faut-il accepter des opérations individuellement déséquilibrées, mais dont le déséquilibre cumulé - opérations après opérations - est supportable par le bailleur. C’est d’ailleurs ainsi que procèdent de nombreuses régions, notamment l’Île-de-France.

La Caisse des dépôts intervient aussi auprès des collectivités locales, notamment pour soutenir certains investissements structurants qui ont un lien de cohérence avec le logement. Si accompagner les bailleurs non plus à hauteur de 100 000 logements, mais de 150 000, peut également représenter pour les collectivités locales un « mur de subventions », elles peuvent aussi choisir d’amortir ces dépenses sur quinze ans par l’emprunt.

Pour mesurer les besoins, la capacité à faire, le ciblage des aides publiques et la quotité de prêts, il faut être au plus près du terrain et, pour cela, utiliser un chaînage qui n’est pas appliqué de la même façon dans toutes les régions. Le point de départ me semble être le plan stratégique de patrimoine (PSP). C’est en effet le bailleur qui connaît le mieux l’état de son patrimoine, sa typologie, ses besoins de renouvellement, sa capacité d’extension. Lorsqu’il a établi son PSP, le bailleur entame alors avec la puissance publique, par le biais des délégataires des aides à la pierre ou des directions départementales concernées, un dialogue qui doit aboutir - mais cela fonctionne encore imparfaitement - à la signature d’une convention d’utilité sociale censée fixer, sur une durée de six ans, des objectifs partagés en termes de constructions et de démolitions.

La convention d’utilité sociale doit s’accompagner d’une vision prévisionnelle financière. Depuis quelques années, nous confrontons les différents prévisionnels financiers réalisés tant par la Caisse des dépôts que par les bailleurs sociaux, car une vision patrimoniale des subventions et de l’équilibre financier partagée par tous les acteurs permet de calibrer au mieux, dans la durée, les engagements financiers de chacun, qu’il s’agisse des aides de l’État, directes ou intermédiées, ou des collectivités locales, des fonds propres engagés par les bailleurs et de la quotité de prêt. C’est très important ; mais les collectivités ne font encore toutes ce travail de partage avec les bailleurs et de calibrage dans la durée de leurs subventions. Le CRH opère probablement une répartition correcte des agréments à l’échelon infrarégional, mais il y a un hiatus entre cette répartition et la situation propre du bailleur sur son territoire d’intervention. Il est donc important de mieux décliner une vision plus globale, qu’elle soit nationale ou régionale, à partir des remontées du terrain.

La mutualisation entre bailleurs est un serpent de mer de la problématique des aides à la construction. La taxe à laquelle on avait réfléchi n’ayant pas produit les effets escomptés, l’Union sociale pour l’habitat a commencé à élaborer, en son sein, un dispositif, qui ferait consensus, basé sur une mécanique de péréquation du type de celle opérée par la cotisation de la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) – donc sur une assiette plutôt fonction du nombre de logements, corrigé d’éléments relevant notamment des politiques de la ville. Ce recyclage constituerait un important effet de levier et une aide à ceux qui construisent le plus.

Dernier point : convient-il de différencier le taux des prêts sur fonds d’épargne en fonction du degré de tension dans les territoires ? Sur ce point, la position de la Caisse des dépôts n’a jamais varié : en tant qu’outil d’accompagnement et de financement d’une mission de service public – le logement social –, les fonds d’épargne se considèrent comme un élément de mutualisation du risque et des bénéfices. Dans la mesure où les critères de tension restent mal établis, la différenciation du taux des prêts serait délicate à effectuer et pénaliserait les opérations dans les territoires où l’État a délivré un agrément, considérant qu’il y avait un besoin, nonobstant la situation du bailleur. Le degré de modulation des subventions et de différenciation des territoires par l’État lui-même reste relativement limité. Nous restons attachés au principe de non-discrimination en fonction du bailleur, contrairement à un établissement bancaire classique qui différencierait le taux des prêts en fonction des risques encourus, mais également sur les critères géographiques. Nous considérons toutefois que le besoin de différenciation par zone doit être nettement mieux établi qu’il ne l’est aujourd’hui.

En outre, il nous semble que, en réalité, pour le bailleur, l’impact de la modulation du taux du prêt et de sa durée est beaucoup moins fort que celui de sa quotité. Les bailleurs de la région Île-de-France proposent ainsi d’allonger de dix ans la durée des prêts sur fonds d’épargne destinés à la construction – elle est, aujourd’hui de quarante ans pour la construction et de cinquante pour le foncier. Cette réflexion mérite d’être poursuivie, mais elle peut se heurter au fait que, dans la pureté des principes, la durée d’amortissement doit correspondre à la durée de vie économique du bien : tout dépend donc de la qualité intrinsèque de ce que l’on construit et de la durée de vie constatée des précédentes constructions.

M. Michel Piron, rapporteur. Je vous remercie sincèrement, monsieur le directeur, d’avoir évoqué la vision prospective qui devrait être celle de l’État et la nécessité d’engager une véritable politique d’aménagement du territoire. En région parisienne, par exemple, nous pourrions épuiser toutes les ressources de l’État sans parvenir à répondre aux besoins en matière de logement.

Vous avez souligné que les besoins sont mal connus et qu’il est nécessaire d’affiner les diagnostics. Il est vrai qu’une grande institution nationale de statistiques n’avait pas prévu le phénomène de décohabitation et les mouvements migratoires internes. Comment, selon vous, améliorer ce diagnostic ? Surtout, est-il indispensable, pour l’État central, de connaître de façon exhaustive l’ensemble des besoins ? Pourquoi ne pas établir deux diagnostics, l’un à l’échelle régionale, plus précis, et l’autre, plus synthétique, à l’échelle nationale, diagnostics qui comporteraient une vision prospective ?

Vous évoquez le rôle des fonds d’épargne dans la stratégie à long terme de l’État. Jusqu’où les fonds d’épargne peuvent-ils aller ? D’autres outils pourraient-ils être mobilisés ? Le « 1 % logement » avait beaucoup de défauts, mais il avait le mérite de créer un lien clair entre le territoire, l’emploi et le logement. Quel est votre point de vue sur ce dispositif ?

Quelles sont les causes de la hausse des coûts de construction ? Au-delà du prix du foncier, l’accroissement des normes n’a-t-il pas, en la matière, quelque responsabilité ?

Le plan stratégique de patrimoine prévoit-il la fongibilité dans la gestion ? Il serait utile de sortir de la gestion segmentée opération par opération. Quels sont les obstacles qui s’opposent à cette fongibilité ? Viennent-ils des contrôleurs, ou des contrôlés ?

Comme vous, je crois que la différenciation des taux n’est pas un outil intéressant. En dehors de votre champ d’action, que pourrait-on imaginer comme leviers d’action pour la différenciation territoriale des aides, étant entendu que les marchés moins tendus peuvent correspondre à des zones où le revenu médian et surtout le reste à vivre sont plus faibles ?

M. Christophe Caresche, rapporteur. En vous écoutant, j’ai le sentiment que les choses vont plutôt bien, même si les zones de tension sont mal diagnostiquées. Néanmoins, si l’Île-de-France a un objectif de 70 000 logements par an, elle en construit moins de 40 000. La situation n’est pas tendue, elle est hypertendue ! De nombreux ménages consacrent plus de 50 % de leurs revenus au logement. Certaines situations sont extrêmement dégradées Il n’est pas concevable que l’État ne contribue pas à la construction de logements sociaux, même s’il n’est pas le seul responsable concerné.

La différenciation des taux ne vous semble pas une bonne idée. Je pense pour ma part que cette piste mérite d’être étudiée.

Pourrions-nous savoir comment les prêts accordés par la Caisse sont géographiquement répartis ?

Quant à la mobilisation de l’épargne réglementée, il semble que la Cour des comptes la juge insuffisante. La Cour a pointé une sous-utilisation de 52 milliards d’euros dans son rapport sur le financement de l’économie française. Pouvez-vous nous donner quelques explications à ce sujet ?

Enfin, quel est votre diagnostic sur la situation financière des organismes HLM ? Ne parlons pas de « dodus dormants », mais une mutualisation des ressources peut-elle être envisagée ?

M. Benjamin Dubertret. En ce qui concerne la connaissance des besoins, l’État ne peut avoir une vision parfaitement détaillée, car le paysage ne cesse d’évoluer. Une vision prospective n’est pas forcément une vision microterritoriale ; il faut travailler à une échelle infranationale. La bonne échelle est sans doute régionale car cette problématique est liée à celle de l’activité économique sur laquelle les régions jouent un rôle important. Il faut voir, ensuite, comment articuler ces travaux régionaux avec un zonage beaucoup plus fin, fondé sur la situation du parc dressée par les bailleurs et sur la dynamique propre et les besoins des départements et des intercommunalités.

Je reviens sur la mobilisation des fonds d’épargne en tant qu’outil de financement du long terme. Dès 2004, les fonds d’épargne ont été mobilisés pour intervenir dans le financement des transports sous forme de prêts de plus de vingt ans. Il s’agissait à l’époque d’aider à construire des lignes TGV, mais, ces projets ayant pris du retard, ces sommes ont permis de financer des équipements – tramways, bus en site propre – dans différentes villes de province. En 2008, en pleine crise, le plan de relance de l’économie a augmenté l’enveloppe consacrée aux transports, la portant de 4 à 7 milliards d’euros pour la période 2009-2013. Le plan a en outre attribué 1 milliard d’euros aux universités, 2 milliards à l’hôpital dans le cadre du plan Hôpital 2012 et 1,5 milliard pour le traitement de l’eau, avec un amortissement à très long terme – plus de vingt ans.

La Caisse des dépôts a parallèlement été mobilisée en 2008, 2011 et 2012, par le biais d’enveloppes exceptionnelles de financement des collectivités locales. Il s’agissait de prêts à moyen terme, d’une durée inférieure à quinze ans, avec des taux correspondant à ceux pratiqués par les banques et donc beaucoup plus élevés que les taux concessionnels pratiqués pour les enveloppes thématiques que j’évoque.

Comme vous le savez, lors du congrès des maires de France du 20 novembre, le Président de la République a annoncé l’ouverture de principe d’une enveloppe de 20 milliards d’euros sur fonds d’épargne destinée à accompagner quelques thématiques prioritaires d’investissement dans les territoires, comme le numérique, les transports et les réseaux d’eau. Nous sommes aujourd’hui occupés, avec les pouvoirs publics, à définir les caractéristiques de ces interventions. Cette enveloppe doit être consommée dans les cinq prochaines années.

Notre capacité à financer sur le très long terme, avec des taux concessionnels, nous place dans une situation proche de celle de la Banque européenne d’investissement et nous permet de jouer un rôle incitatif auprès des bailleurs.

Les équipements que nous finançons – hôpitaux, universités, transports, réseaux –constituent l’environnement du logement, donnent sa cohérence à la politique du logement et contribuent à faire évoluer la géographie des territoires. De ce point de vue, la Caisse des dépôts est bien un outil d’accompagnement. Mais elle n’est pas le prescripteur des opérations éligibles à ces financements : la décision appartient aux pouvoirs publics - de même pour la localisation des agréments à la construction de logements sociaux. Il me paraît dès lors intéressant que des acteurs fassent le lien entre le logement et les problématiques de l’emploi. Serait ainsi un élément plutôt favorable l’apport des fonds d’épargne au « 1 % logement » pour lui permettre de renforcer ses aides au développement de l’offre, sous formes directes ou de prêts bonifiés, et soutenir l’effort de construction sans précédent que nous sommes appelés à faire si nous voulons passer le cap des 150 000 logements - en sus des dispositifs mis en place pour résoudre les difficultés sur le foncier.

Notre étude sur les coûts de construction montre que la problématique des normes et des réglementations, qu’il s’agisse de la réglementation thermique ou de celle liée au handicap, est l’une des composantes de l’augmentation des coûts, même si cette tendance naturelle s’explique aussi, parfois, par des phénomènes liés au fonctionnement microéconomique du marché du BTP dans certaines sous-régions.

M. Michel Piron, rapporteur. Il semble que les conséquences des exigences réglementaires imposées aux bailleurs sociaux en matière de handicap soient très lourdes : on parle d’un surcoût de 8 à 15 %. Disposez-vous de chiffres précis sur ce point ? Plutôt qu’imposer l’adaptation de tous les logements neufs aux handicaps moteurs, pourquoi ne pas prévoir un pourcentage de logements adaptés et un autre pourcentage de logements adaptables ?

M. Benjamin Dubertret. Les seuls acteurs qui pourraient vous répondre sont les bailleurs eux-mêmes. Le surcoût peut varier selon la taille et la configuration du logement ; mais il peut aussi être fixe. Je n’ai pas à m’exprimer sur ce point, mais votre suggestion de prévoir un pourcentage de logements adaptés et, le cas échéant, adaptables, est pleine de bon sens. Cela permettrait une flexibilité dans le temps. Si nous ne parvenons pas à stopper la hausse tendancielle des coûts de construction, le coût moyen par logement atteindra bientôt 150 000 euros – contre 140 000 aujourd’hui –, ce qui aurait un impact financier considérable pour les bailleurs.

M. Caresche m’a interrogé sur la situation financière du secteur HLM. En dépit d’une certaine hétérogénéité, elle est globalement bonne, grâce notamment à l’effort important consenti par le secteur et par les pouvoirs publics. Le potentiel financier du secteur, à peu près nul il y a dix ans par rapport au nombre de logements, est aujourd’hui considérable, grâce à la génération des loyers. Étant appelé à produire de plus en plus de logements, le secteur devrait percevoir un plus grand nombre de loyers et pouvoir s’autofinancer. Mais la mise initiale de fonds propres est telle qu’elle peut mettre à terre les équilibres existants. La question du coût de revient est fondamentale. En fonction de l’évolution des coûts, le potentiel financier du secteur peut être majoré ou minoré de 3 milliards d’euros pour une variation de 10 000 euros !

En ce qui concerne la fongibilité des opérations, on constate une certaine inertie des schémas intellectuels. Le bon sens commande que toutes les opérations soient équilibrées ; mais compte tenu de la bonne santé financière du secteur, le raisonnement doit être beaucoup plus global – sinon on n’y arrivera pas. Depuis des années, la Caisse des dépôts développe un jugement global sur l’opérateur, sur le plan rétrospectif comme sur le plan prospectif à dix ans. Nous avons réalisé des prévisionnels financiers que nous confrontons à ceux des principaux bailleurs. Si nous n’entrons pas définitivement et collectivement dans cette logique, personne ne voudra engager une opération qui n’est pas équilibrée. Or, un bailleur peut être capable de supporter un emprunt plus lourd et un plus grand nombre d’annuités, tout en étant incapable d’apporter une mise initiale de 10 % de fonds propres en plus au lancement de l’opération. La problématique de la quotité de prêt sur fonds d’épargne n’est pas encore entrée dans les habitudes et les discussions quotidiennes.

M. Michel Piron, rapporteur. Cela concerne les contrôlés ou les contrôleurs ?

M. Benjamin Dubertret. Les deux. Sur le terrain, notre réflexe est encore de rechercher l’équilibre, malgré les consignes ; mais cela ne va pas dans le sens de l’histoire et nous devons y remédier. Plus généralement, la Caisse globalise ses financements : non seulement elle peut financer l’opération et détendre la contrainte d’équilibre, mais elle propose différentes formes de financement pluriannuel - lettre d’offre globale, convention de financement pluriannuel - qui offrent de la visibilité à l’emprunteur.

S’agissant des leviers pour une différenciation des aides, il faut rappeler que les fonds gratuits, ou subventions, ont un impact financier infiniment plus fort que les prêts. Je pense donc que c’est d’abord sur les quotités de prêts qu’il faut travailler.

M. Christophe Caresche, rapporteur. Sauf que vous financez déjà 70 % de l’opération !

M. Benjamin Dubertret. Je préférerais pour ma part des opérations exigeant une moindre mise de fonds propres et où, grâce à la bonne capacité de remboursement de l’emprunteur, on pourrait lui apporter 80 % du financement sous forme de prêt, car cela produit des effets plus forts que de modifier les taux.

Quels sont les leviers d’action en matière d’aide à la construction ? D’ores et déjà, les collectivités locales ont utilisé la variable d’ajustement de la différenciation en fonction des besoins. Les discussions entre collectivités et bailleurs doivent se poursuivre ; mais je déplore qu’elles soient insuffisamment adossées à des prévisionnels financiers. La Caisse des dépôts, sans chercher à s’interposer, peut conseiller les collectivités sur la manière de doser leur accompagnement.

M. Christophe Caresche, rapporteur. Avez-vous procédé à des simulations pour évaluer l’effet de levier que représentent différentes quotités de prêt ?

M. Benjamin Dubertret. Je peux, si vous le souhaitez, vous transmettre des simulations de principe. Depuis peu, nous réalisons des simulations prévisionnelles que nous présentons aux bailleurs au vu de leur plan stratégique de patrimoine et nous envisageons le financement des opérations. Si la situation présente des déséquilibres, nous en discutons et nous choisissons la quotité de prêt optimale.

M. Olivier Carré, Président. Un effet de cliquet apparaît au moment du paiement de la taxe foncière : une opération relativement bien équilibrée en cash-flow – car, les premières années, les équilibres sont généralement bien respectés, avec des quotités d’emprunt assez importantes – commence alors à déraper et est bientôt rattrapée par l’effet d’inflation des loyers. Le fait de reculer l’échéance à vingt-cinq ans permet aux bailleurs de refinancer une partie des opérations et de compenser une première partie des surcoûts. Les hypothèses actuelles se fondent sur une échelle de temps déraisonnable, de seulement 25 ans, et obligent à substituer au cash flow manquant des subventions et des fonds propres. Sur les cinquante dernières années, les déséquilibres les plus significatifs n’ont pas résulté de ces durées rallongées ou d’une gestion opération par opération, mais étaient liés à des éléments financiers beaucoup plus structurants – augmentations de loyer ou de taux. Cela doit nous inciter à nous montrer plus imaginatifs sur les modes de financement.

M. Benjamin Dubertret. Pour illustrer la ventilation géographique des prêts accordés, je vous transmettrai des tableaux statistiques.

Les besoins de l’Île-de-France et de la province ne sont effectivement pas les mêmes et l’Union sociale pour l’habitat suggère de les distinguer. Le bilan 2011 de financement des logements PLUS – acquis grâce à un prêt locatif à usage social – montre que 24,5 % des PLUS sont construits en Île-de-France alors qu’ils ont mobilisé 67 % des subventions de l’État accordées à ce titre. Pourtant, la demande de la région Île-de-France n’est toujours pas satisfaite. Ce système présente un risque d’effets pervers d’éviction des autres besoins et perpétue les déséquilibres. Quant aux logements acquis grâce au prêt locatif aidé d’intégration (PLAI), 24 % d’entre eux sont construits en Île-de-France mobilisant 42 % des subventions de l’État. C’est une équation complexe. La seule façon de concilier les intérêts de tous les acteurs est de poursuivre un effort de rattrapage dans les zones où le besoin est pressant, tout en adoptant une stratégie de rééquilibrage, dont nous savons qu’elle ne portera ses fruits qu’à long terme.

M. Michel Piron, rapporteur. Le rapport entre le nombre de logements et le nombre de bureaux est particulièrement alarmant en Île-de-France, et les taux de vacance des bureaux sont vertigineux. Or, cette concurrence n’est pas sans conséquence sur les prix du foncier ou l’occupation du territoire, et donc sur le logement. Quel votre sentiment sur ces arbitrages ?

Quant au diagnostic, grâce à la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU), aux plans locaux de l’habitat (PLH) et aux observatoires locaux de l’habitat, nous disposons de nombreux diagnostics théoriquement fins, mais la région n’est-elle pas le périmètre le plus adapté à leur synthèse ?

M. Benjamin Dubertret. Sans doute y a-t-il eu, en Île-de-France, des effets d’éviction, mais cela n’a probablement pas fait l’objet d’arbitrages conscients. Certes, une vision régionale peut donner de la fluidité à l’ensemble ; mais la grande densité de la région Île-de-France et les problématiques très différentes qu’elle regroupe obligent à travailler à un niveau plus fin : celui de l’intercommunalité, par exemple, a du sens.

M. Michel Piron, rapporteur. Si je traduis bien votre pensée, nous sommes là devant un défaut d’arbitrage, et donc de gouvernance.

M. Benjamin Dubertret. Monsieur Caresche, vous avez évoqué la non-utilisation de 50 milliards d’euros dénoncée par la Cour des comptes. Dans son rapport sur le financement de l’économie, publié l’été dernier, la Cour a examiné la problématique des fonds d’épargne, qui a fait l’objet d’un rapport particulier consacré à la question de la liquidité. En 2012, la collecte du livret A et du livret de développement durable a été spontanément dynamique – alors qu’elle continue de décroître sur le livret d’épargne populaire –, la décision de relever les plafonds ayant encore renforcé cette tendance naturelle. La Cour des comptes a relevé que, si l’on considère la situation de liquidité du fonds d’épargne, c’est-à-dire sa taille de bilan par rapport à ce que représentent les prêts à l’intérieur de ce bilan, il y a, par rapport au minimum fixé par la loi – non à la cible ou aux objectifs -, c’est-à-dire 1,25 fois les prêts au logement social et à la politique de la ville, un écart de 50 milliards d’euros qui ne seraient pas employés. Nous avons fait savoir à la Cour que, de par la volonté du législateur, ce plancher de référence n’était pas une cible à atteindre. Il serait même difficile de se placer à cette cible car le coefficient de 0,25 de liquidités supplémentaires correspond au minimum de supplément d’actifs financiers dont nous avons besoin pour assurer la transformation d’une épargne à vue en prêts à très long terme, remboursables en quarante ou cinquante ans. Aucun acteur financier ne procède à une telle transformation. Aujourd’hui, les banques prêtent sur des maturités plus courtes en réponse à leurs contraintes prudentielles. Comme nous sommes soumis aux mêmes contraintes, nous avons besoin d’un certain coefficient de liquidité.

La Cour des comptes s’interroge sur la légitimité du surcroît de 50 milliards. Aujourd’hui, la liquidité est abondante ; mais on ne peut se contenter d’un instantané. Depuis 2008, chaque année, le stock de prêts dans le bilan des fonds d’épargne s’accroît d’environ 10 milliards d’euros. La situation évolue donc très rapidement. Dans les prochaines années, le bilan présentera de moins en moins d’actifs financiers et de plus en plus de prêts.

Que la ressource soit disponible aujourd’hui, c’est un fait. Elle aurait probablement pu arriver plus progressivement, mais elle nous permet de faire face aux trois objectifs ambitieux des fonds d’épargne : le logement social, qui fait l’objet d’une augmentation des objectifs de construction de 50 %, les prêts aux collectivités locales et la ligne de crédits de 10 milliards d’euros de crédits ouverte à la Banque publique d’investissement (BPI). Cette ligne de crédit est le prolongement du prêt de 5 milliards d’euros consenti sur les fonds d’épargne à Oséo, qui en tant qu’institution financière particulière n’est pas adossée à des dépôts et n’a pas accès au livret de développement durable.

Le cumul de ces masses financières – le supplément de financement du logement social, les 20 milliards d’euros accordés aux collectivités locales, les 10 milliards destinés à la BPI pour les cinq prochaines années – permettra d’employer le supplément de liquidités. Ces 50 milliards ne représentent donc nullement une surliquidité, car, si les fonds d’épargne se trouvaient réduits au minimum, ils ne seraient plus manœuvrants et nous ne pourrions plus faire face à d’éventuelles demandes. Je rappelle que, en 2004, la Caisse prêtait chaque année 4 milliards d’euros aux bailleurs sociaux ; en 2012, le montant des prêts atteint 24 milliards d’euros en flux.

M. Olivier Carré, Président. Il est vrai que, depuis 2004, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine a augmenté les besoins d’emprunt. Disposez-vous des prévisionnels prenant en compte la fin des prêts consentis dans les années 1970 et 1980, et dont le capital, entièrement remboursé, rentre dans les fonds d’épargne ? Le tableau des prêts à l’habitat pour 2011 montre que 14 milliards d’euros ont été versés au titre du logement social pour près de 6 milliards de remboursements, montant qui est destiné à s’accroître.

M. Benjamin Dubertret. L’accroissement de l’encours de 10 milliards d’euros tient compte des versements appelés à croître – entre 14 et 16 milliards par an –, mais dont il faut défalquer l’amortissement naturel de la dette. Nous en anticipons aussi la progression.

M. Olivier Carré, Président. L’effort net en faveur du logement social se situe donc entre 10 et 20 milliards d’euros.

M. Benjamin Dubertret. Cette somme correspond en effet à l’ensemble des thématiques d’intervention.

M. Alain Claeys, Président. Je vous remercie.