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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Mercredi 3 février 2016

Séance de 17  heures

Compte rendu n° 2

Présidence de Mme Eva Sas, rapporteure

Les programmes d’investissements d’avenir (PIA) finançant la transition écologique

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Thierry Francq, commissaire général adjoint, Ivan Faucheux, directeur du programme Énergie, économie circulaire, et Jean-Luc Moullet, directeur du programme Compétitivité, filières industrielles et transports, au Commissariat général à l’investissement (CGI).

Mme Éva Sas, rapporteure. La présente mission d’évaluation a été décidée par la commission des finances en raison des redéploiements assez importants effectués à partir des programmes d’investissements d’avenir (PIA) finançant la transition écologique, au profit notamment de la défense ou des nanotechnologies. Elle a donc pour objet d’identifier les raisons de l’apparente sous-consommation des crédits, et de déterminer comment ce programme pourrait être optimisé afin de répondre aux besoins du secteur.

Nous aimerions que vous nous dressiez un panorama général de la manière dont vous suivez les investissements d’avenir en matière de transition écologique, et que vous nous expliquiez quelle est, derrière les chiffres, la mécanique à l’œuvre dans l’organisation et le suivi des appels à projet.

M. Thierry Francq, commissaire général adjoint au Commissariat général à l’investissement (CGI). Le suivi des investissements d’avenir dans le domaine de la transition énergétique, de la transition écologique ou du développement durable s’organise en cercles concentriques. Au centre, se trouvent les programmes totalement dédiés à la transition énergétique et à la transition écologique. Leur suivi se fait dans le cadre normal des investissements d’avenir. Une deuxième catégorie de programmes ne concerne qu’en partie la transition énergétique. C’est typiquement le cas du programme Véhicule du futur, qui comprend aussi bien des projets visant à réduire le poids des véhicules pour consommer moins de carburant et diminuer les émissions polluantes qu’à développer des véhicules autonomes. Les programmes d’urbanisme, tels que Ville de demain ou Ville durable et solidaire, appartiennent au troisième type de programmes en ce qu’ils servent le développement durable. Les économies d’énergie en sont un élément prévalent, mais l’organisation de la mobilité ou le développement de l’agriculture urbaine y figurent également en bonne place. Je ne sais pas si l’agriculture urbaine contribue à la transition énergétique, mais elle est, en tout cas, considérée comme faisant partie du concept global de développement durable.

D’autres éléments ne sont pas suivis sous le prisme du développement durable. Ainsi, au sein des crédits massifs consacrés à la recherche académique, nous n’avons pas déterminé ce qui relevait du développement durable. Je ne sais pas, du reste, si l’exercice est possible. Lorsque la recherche se situe très en amont, on ne sait pas toujours quelles en seront les applications concrètes mais on se doute qu’une partie de cette recherche va servir au développement durable. Au-delà même du programme d’investissements d’avenir, identifier ces éventuels débouchés pourrait s’avérer intéressant, ne serait-ce que pour le ministère de la recherche.

Certains projets dans le domaine numérique ou des nanotechnologies ont, a priori, un objet sans rapport. Mais prenons l’exemple de l’institut de recherche technologique Nanoelec qui cherche à développer les liaisons photoniques par l’intégration de puces en trois dimensions. Son premier objectif est d’appliquer la loi de Moore en vertu de laquelle les puces sont de plus en plus petites et de plus en plus puissantes. Passer de la puce électronique à la puce photonique permettrait, à puissance égale, de réduire très fortement la consommation des calculateurs. Sachant qu’aujourd’hui la consommation d’énergie liée à ces calculateurs et aux centres de stockage informatiques est devenue un enjeu économique, si cette recherche aboutit, elle aura un effet très positif sur la consommation d’énergie et les émissions polluantes. On peut donc trouver des effets induits sur la consommation d’énergie dans beaucoup d’actions qui ne sont pas centrées sur la transition énergétique.

Enfin, dans le cadre du PIA 2, il a été décidé d’appliquer une éco-conditionnalité à des actions qui n’avaient pas pour objet la transition écologique en tant que telle. Si les programmes de la recherche et l’enseignement supérieur et ceux concernant la défense ne s’y prêtent pas, des critères ont été mis en place dans le domaine des actions industrielles, avec l’aide du Conseil général du développement durable (CGDD) qui participe à la gouvernance de ces actions. Les dossiers n’en sont encore qu’au stade de l’instruction, et nous ne pourrons juger de l’impact réel de ces critères d’éco-conditionnalité que lorsque nous aurons obtenus des résultats concrets.

En réalité, dans beaucoup de dossiers, ces critères d’éco-conditionnalité s’imposent naturellement du seul point de vue économique. Ainsi, le programme Usine du futur a pour objet de moderniser l’outil de production industriel afin de gagner en compétitivité, or la consommation moindre d’énergie est un élément de compétitivité. L’éco-conditionnalité n’est donc pas forcément une contrainte pour ces projets. L’esprit est plutôt de mesurer les effets induits sur la consommation d’énergie des aides de l’État dans des domaines qui n’ont pas pour objet premier la transition écologique.

Ces critères d’éco-conditionnalité vont nous fournir une matière concrète que nous pourrons mesurer, mais il est vrai que nous n’avons pas essayé de faire un suivi de tous les projets ou de toutes les actions ou parties d’actions qui peuvent y contribuer. Notre dispositif est déjà souvent critiqué pour sa complexité, nous ne voulons pas en rajouter. Mais dans le cadre des évaluations in fine de l’impact des investissements d’avenir, ces études pourraient être utiles : par exemple, caractériser la part de la recherche amont qui contribue au développement durable pourrait être une étude à lancer dans le cadre du PIA.

Mme Éva Sas, rapporteure. La Cour des comptes fait clairement apparaître un redéploiement des crédits supérieur à 30 % sur certains programmes dédiés à la transition écologique – je pense notamment aux démonstrateurs Énergies renouvelables, aux programmes Tri et valorisation des déchets ou Ville de demain. Elle explique que cela peut être dû à un manque de projets ou à une montée en charge assez lente de ces programmes, sans doute attribuable au fait que sont concernés des secteurs peu habitués à répondre à des appels à projet, au niveau élevé des investissements nécessaires et au fait que la recherche développement y soit peu développée.

Quelle est votre appréciation sur ces programmes précis ? Pourquoi les crédits sont-ils sous-consommés ?

Mme Sophie Rohfritsch, rapporteure. De manière plus générale, comment se fait-il qu’il y ait eu des substitutions, notamment au bénéfice de programmes qui, en principe, ne sont absolument pas éligibles aux PIA, tels que des éléments d’infrastructures de transports en commun assez lourdes ? N’est-ce pas là une forme de dérive qui ne devrait pas être possible, quand bien même la transition énergétique et le développement durable sont difficiles à qualifier et les différents acteurs montrent peu d’aptitudes à travailler en commun et à fournir des projets visibles et évaluables ?

M. Thierry Francq. Le PIA est centré sur le développement d’une offre innovante. Dans le secteur énergétique, par exemple, il s’agirait de dispositifs économes en dioxyde de carbone et offrant un prix du kilowattheure raisonnable. Ce que nous finançons, le cœur de cible du PIA dans ce domaine, est donc de la recherche et développement (R&D). Il résulte de l’action du PIA un doublement des crédits d’aide à la recherche et au développement dans ce domaine.

Il faut ensuite que l’industrie suive, car nous ne finançons jamais 100 %. Par exemple, dans les instituts de la transition énergétique, le principe est un euro privé pour un euro public.

Mme Sophie Rohfritsch, rapporteure. Avec un effet de levier.

M. Thierry Francq. Nous parlons de projets en phase de recherche. Dans cette phase, je pense que nous aurions encore moins de projets si nous cherchions à améliorer l’effet de levier. Évidemment, plus le projet se rapproche de l’application concrète, plus l’effet de levier est important.

Il faut croiser les critères d’intérêt écologique avec la capacité de l’industrie française. Ce sont souvent des investissements assez lourds, dans des secteurs qui n’ont pas une très grande appétence pour le risque et la recherche et développement. Le PIA doit donc pousser les industriels pour qu’ils augmentent leurs efforts, et il est vrai que cela ne se fait que progressivement.

Mme Éva Sas, rapporteure. De quels secteurs industriels parlez-vous ?

M. Thierry Francq. Pour certains éléments de la chaîne, on sait que ce n’est pas la peine de financer de la R&D parce que la production n’aura pas lieu chez nous. Nous préparons une action en commençant par élaborer une feuille de route technologique, puis en réfléchissant à une stratégie d’opportunité par rapport aux capacités des filières françaises. Ainsi, dans le domaine du photovoltaïque, nous avons conclu qu’il ne fallait pas investir dans la production de cellules photovoltaïques, car celle-ci ne se ferait pas en France. En revanche, nous investissons dans l’amont et l’aval de la production, par exemple dans des traqueurs solaires qui permettent d’orienter les plaques photovoltaïques. Notre analyse est qu’il est intéressant d’investir dans la R&D, car elle peut se traduire, au bout du compte, par une production. On ne couvre donc pas forcément tout le terrain possible des technologies liées à la transition énergétique.

M. Ivan Faucheux, directeur de programme Énergie, économie circulaire au Commissariat général à l’investissement. Je risquerai de vous lasser si j’énumérais la totalité des secteurs industriels concernés. Parmi les principaux secteurs d’activité sur lesquels le PIA a massivement investi, on trouve celui des énergies marines renouvelables. Il s’agit d’un secteur en émergence où des places industrielles sont encore à prendre et pour lequel il existe un potentiel français de construction maritime. Et bien que nos conditions de vent soient moins favorables que celles de nos voisins du Nord, il existe un marché domestique de lancement, bien qu’il s’agisse avant tout d’une filière à l’export.

Le photovoltaïque solaire est le deuxième secteur dans lequel des investissements importants ont été réalisés, principalement sur l’amont, où exercent les équipementiers, et sur l’aval où se situent les activités qui concourent à la réalisation : systèmes électriques, systèmes de suivi solaire, et autres.

Un troisième secteur est celui de la chimie verte, dont la problématique est très spécifique. Dans un objectif de massification de la décarbonation de l’énergie et de l’économie, le produit final pour lequel la chimie verte est intéressante est évidemment celui des biocarburants. Mais aucun des objets que nous finançons n’est capable d’atteindre un équilibre économique avec des biocarburants ; cela reste un objectif à une quinzaine ou une vingtaine d’années. En attendant, on parle de chimie verte, car les premiers marchés d’application sont ceux de la chimie de spécialité, voire de la chimie des synthons – les molécules standards de la chimie – que nous essayons de biosourcer de façon à les rendre aussi indépendants que possible des variations de prix des matières pétrolières. À cet égard, il est intéressant de voir que les industriels sont plus intéressés par des produits de couverture de la volatilité du prix des matières premières – qu’elles soient d’origine pétrolière ou parapétrolière – que par des paris sur un prix du baril à 60, 80 ou 105 dollars. Les industriels parient sur la volatilité forte du prix des matières minières plus que sur un cours pivot.

Mme Sophie Rohfritsch, rapporteure. Comment pouvez-vous financer la recherche sur des produits biosourcés compte tenu des évolutions du prix des matières premières ?

L’objectif de la transition énergétique, s’agissant des véhicules, pourrait déjà être de travailler, avec les constructeurs et la plateforme, à un appel à projets visant à produire un véhicule conforme aux exigences de la norme Euro 6 en conditions normales d’utilisation. À voir les difficultés qu’il y a à réunir les constructeurs autour d’une table et à les faire travailler sur les vrais sujets, dont font partie les carburants sans énergie fossile, je crains que la tendance à se reposer sur des pôles ou d’autres acteurs ne finisse par diluer le processus et le ralentir. C’est l’impression que je retire des occasions que j’ai eues de travailler avec les pôles et de l’audition de M. Schweitzer qui, dans le cadre de la mission d’information sur la filière automobile, avait été assez critique sur la capacité à agréger l’ensemble. Les choses ne fonctionnent pas très bien, il faut parfois le dire clairement.

M. Thierry Francq. M. Faucheux faisait référence aux incitations des industriels. C’est, en fait, un élément positif : si les industriels se fondaient sur le prix actuel du baril, ce ne serait pas très porteur pour la transition énergétique. Retenons plutôt que la variabilité et l’incertitude sur l’évolution des prix sont une incitation à investir dans des produits biosourcés.

M. Jean-Luc Moullet, directeur du programme Compétitivité, filières industrielles et transports. Dans le secteur automobile, la consommation des enveloppes, en particulier de celle du programme Véhicule du futur, est effectivement relativement faible. Une explication optimiste pourrait être que la somme allouée en premier lieu était excessive au regard des besoins de la profession. Une autre est que nous avons affaire à une profession qui apprend progressivement à travailler ensemble, et qui le fait, du reste, de mieux en mieux, notamment au sein de la plateforme pour la filière automobile. Elle reste néanmoins confrontée à un certain nombre de difficultés, ce qui explique le peu de projets soutenus et la faible consommation des crédits.

Dans un premier temps, nous avons défini une stratégie consistant à centrer les appels à projets sur des thématiques précises : la chaîne de traction électrique, l’allégement des véhicules ou des expérimentations de mobilité. Puis nous nous sommes rendu compte que cette segmentation trop fine gênait l’approche industrielle ; les industriels pensaient que les appels étaient trop étroits et ne correspondaient pas vraiment à leurs projets. Nous avons alors pris la direction opposée, en faisant un appel à projets très général et en simplifiant le discours : nous serions contents d’étudier tout projet dans le secteur automobile. C’est ainsi que des projets extrêmement intéressants ont émergé, venant des constructeurs et des équipementiers. Une action spécifique a également été engagée pour permettre aux PME d’élaborer une offre audible par les équipementiers de premier et deuxième rangs.

En ce qui concerne les constructeurs, rappelons que le groupe PSA a été interdit d’aides publiques de 2013 à la fin de l’année 2015. L’un des deux grands constructeurs français n’a donc pas pu participer à nos appels à projets, ce qui a évidemment eu un impact. D’autant qu’avant l’interdiction, PSA s’était montré assez dynamique en présentant des projets ambitieux.

Sans doute peut-on nous reprocher cette première tendance à nous focaliser sur l’automobile au sein du projet Véhicule du futur. Aujourd’hui, nous avons élargi le spectre aux projets qui s’intéressent à l’automobile en tant qu’objet connecté à son environnement ainsi qu’à ceux qui portent sur la route du futur. Il s’agit, non pas de financer des infrastructures, mais des projets de R&D qui concernent l’infrastructure routière – nouveaux types d’enrobés, insertion de capteurs, route solaire –, de manière à placer l’objet automobile dans son environnement et à travailler sur l’ensemble du système qui l’entoure.

Ces appels à projets viennent d’être ouverts, je ne puis donc vous dire si nous recevrons beaucoup de réponses. Ils semblent répondre à un certain appétit de la part des industriels actifs dans le domaine de la route du futur. Dans le domaine du véhicule et son environnement, nous obtenons une bonne réponse de la part de start-up venant du monde du numérique, qui développent des capteurs et des solutions numériques à greffer sur le véhicule ou sur son environnement immédiat.

Mme Éva Sas, rapporteure. La recherche sur le transport collectif n’est pas concernée ?

M. Jean-Luc Moullet. Si. Par véhicule, nous entendons véhicule routier, ferroviaire ou naval, et la catégorie des véhicules routiers comprend les véhicules de transport et les bus. Il y a des projets intéressants sur les bus hybrides, sur des engins de chantier ou d’autres types de véhicules routiers.

En matière ferroviaire, nous avons un très gros projet en cours avec Alstom Transport dans le domaine de la recherche sur les trains à grande vitesse du futur. Mais ce projet très important cache la quasi-absence d’autres projets pertinents. La filière transport a été assez peu encline à nous présenter des projets puisque nous n’en avons financé que cinq. C’est un problème inhérent à cette filière, qui éprouve des difficultés à travailler de manière collaborative, comme ont appris à le faire les acteurs de la filière automobile ou de la filière navale.

Mme Éva Sas, rapporteure. Comment l’expliquer ?

M. Thierry Francq. Cela semble être un sujet mondial. Dans le domaine ferroviaire, nous avons créé un institut de recherche technologique qui est tout de suite devenu l’acteur majeur de la R&D en Europe. C’est bien que le domaine est désertique. Pour l’anecdote, le ballast a été conçu au temps où les trains étaient tirés par des chevaux. Depuis lors, personne ne s’y est intéressé. La taille des cailloux est normée pour convenir idéalement aux chevaux, et nous faisons toujours le même ballast. Nous espérons que l’institut de recherche technologique en question prendra de l’ampleur et remédiera à la faiblesse de la recherche et développement dans ce secteur. Je crois savoir que la SNCF est également soucieuse d’augmenter l’effort de recherche.

Comme vous le voyez, notre stratégie est évolutive : nous essayons de nous adapter à ce qui marche bien et de suivre les évolutions du monde. Dans un certain nombre de domaines très structurés, avec de grands ensembliers, des équipementiers de premier rang, des sous-traitants, nous avons essayé d’aider des start-up et des PME à renouveler l’offre et apporter des innovations dans des systèmes qui peuvent paraître un peu sclérosés. Nous avons été heureusement surpris de constater de leur part une appétence pour l’innovation, y compris dans des secteurs difficiles à aborder pour une PME. C’est là une action qui nous paraît utile et que nous avons envie de poursuivre.

S’agissant des dérives pointées par la Cour des comptes, elles tiennent à deux aspects. Tout d’abord, le développement durable comporte des enjeux en matière d’innovation, mais aussi de déploiement des solutions existantes. L’objet du PIA est de traiter les premiers, pas les seconds. Or il y a une forte demande en ce sens, d’une part, parce que les crédits ne sont pas tous utilisés et d’autre part, parce qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer le moment où une infrastructure innovante, que le PIA peut financer parce que le risque est encore élevé, cesse d’être une innovation. Ainsi, le PIA peut financer la première ferme hydrolienne, car c’est une chose de faire fonctionner les hydroliennes dans un bassin, c’en est une autre de vérifier que le projet fonctionne comme prévu sur l’ensemble de la durée de vie de la machine. À l’inverse, vous avez cité le cas des transports en commun en site propre qui avaient été prévus dans le PIA 1. S’il y avait peut-être un peu d’innovation au début, les choses sont maintenant bien connues dans ce domaine. Dans ce cas, en effet, on peut parler de substitution budgétaire. De même, le PIA a servi à financer des bornes de recharge électriques, certes pour des montants peu importants.

Mme Éva Sas, rapporteure. Les bornes électriques peuvent être financées par le PIA 2 ?

M. Thierry Francq. C’était dans le PIA 1, mais, à vrai dire, nous ne faisons pas toujours la distinction entre PIA 1 et PIA 2. Il y a des enveloppes dans la continuité que nous avons fusionnées.

Il y a du sens à ce que le PIA finance des développements pour améliorer la vitesse de rechargement des bornes, mais dans le cas que j’évoque nous subventionnons les collectivités locales pour mettre en place ces bornes, sachant que nous avons des obligations en termes de déploiement imposées par l’Union européenne.

Donc, en effet, une part des crédits ne va pas vers le cœur de cible du PIA, même s’ils contribuent.

Mme Éva Sas, rapporteure. Ce n’est pas à l’initiative du CGI ?

M. Thierry Francq. Non. Sans doute n’y avait-il pas, à un certain moment, assez d’outils pour financer ce type de déploiement, mais je ne suis pas sûr que tous méritent d’être subventionnés. Il y a une question d’optimisation du financement de ce type d’infrastructure.

Le CGI a aussi la charge de coordonner le plan Juncker en France, et nous essayons d’utiliser ce plan pour favoriser des outils de financement. Par exemple, une loi a permis le tiers financement pour la rénovation énergétique des copropriétés privées. Nous avons utilisé le plan Juncker pour financer ces travaux qui s’avèrent rentables, surtout lorsqu’on a accès à des crédits peu onéreux et à très long terme.

Mme Éva Sas, rapporteur. Vous proposez donc d’utiliser le tiers financement ?

M. Thierry Francq. C’est un exemple, mais le plan Juncker a aussi apporté du capital à plusieurs fonds d’investissement spécialisés dans les méthaniseurs ou les fermes photovoltaïques. De plus en plus, les projets peuvent être financés sans recours aux subventions, ce qui est une victoire pour le développement durable, la preuve que ces investissements commencent à être économiquement viables. Ajoutons que la production d’énergie est déjà subventionnée par les tarifs, ce n’est donc peut-être pas la peine de multiplier les subventions.

M. Ivan Faucheux. Le développement durable est un secteur dans lequel des biens d’équipements sont amortis sur des durées de vingt à soixante ans. Ceci est une raison qui explique la difficulté d’y engager des crédits Les besoins de financement sont, en effet, à très long terme. Plus de la moitié des premiers projets financés en France par le plan Juncker touchent à des infrastructures de production ou de gestion d’électricité, d’énergie ou de développement durable. La caractéristique de ces financements n’est pas tant qu’ils offrent des taux d’intérêt faibles que celle de constituer des outils de très long terme. Intuitivement, on pourrait penser qu’il existait un stock de projets attendant des financements patients et aux conditions du marché en termes de rémunération des capitaux. Quand la brèche s’est ouverte, les projets de développement durable s’y sont engouffrés. Les autres projets dont les temps de retour étaient beaucoup plus courts, par exemple dans des secteurs tels que l’informatique où les cycles et les durées d’amortissement sont plutôt de l’ordre de trois à dix ans, ont trouvé que les crédits bancaires à maturité de sept ans étaient largement suffisants pour se financer.

Il y a clairement une atypicité du développement durable en termes de financement. Ce sont des objets qui s’amortissent sur de très longues durées avec des intensités capitalistiques très lourdes et des conséquences sur les finances des entreprises qui peuvent s’avérer également très lourdes si les choix ont été mal évalués ou malheureux. Pour donner un seul exemple, tous ceux qui ont investi dans des unités de production de gaz en Europe, tels Engie ou Eon, ont subi des pertes de 21 ou 22 milliards d’euros, en chiffres consolidés.

M. Éric Alauzet. Le rapport de François Villeroy de Galhau sur le financement de l’investissement des entreprises analysait les limites à l’investissement dans les énergies renouvelables ou la transition énergétique. Une de ces limites était la très forte intensité capitalistique à laquelle vous venez de faire référence, qui impose de trouver des outils financiers permettant de dépasser les premières années au cours desquelles il n’y a pas de retour sur investissement.

Une autre limite était l’instabilité réglementaire. Vous parliez du tarif de rachat de l’électricité ; il y a eu une valse-hésitation permanente de l’État sur ce sujet, ce qui n’est pas rassurant pour des investisseurs qui doivent s’engager sur vingt ans. Quelle est votre appréciation sur cette analyse ?

M. Thierry Francq. Elle me semble juste. On voit bien que, dans ce secteur, il n’y a pas de certitude absolue. Il existe une trentaine ou une cinquantaine de technologies sur le marché pour produire de l’énergie de manière plus propre qu’aujourd’hui, et, s’agissant de temps longs, la prise de risque n’a rien à voir avec ce qui existe dans le domaine du numérique où il n’y a pas beaucoup d’investissement au départ : si vous échouez, vous pourrez vous refaire deux ans plus tard. Dans le domaine en question, il en va différemment.

Pour aider l’investissement, le sujet n’est donc pas tant de subventionner que de partager le risque. Nous le faisons pour les premiers de série, en investissant des fonds propres dans la première affaire. Pour la suite, je crois que le plan Juncker est un très bon dispositif, puisqu’il vise précisément à réduire le risque pour les autres investisseurs, soit en injectant des fonds propres, soit en proposant des crédits subordonnés pour des sociétés de projet qui investissent dans des sites de production. C’est la bonne approche pour traiter de ce sujet.

Mme Éva Sas, rapporteure. Si je vais au bout de votre raisonnement, pour être opérationnel, le PIA doit être complété par des outils de financement permettant de partager le risque. Un industriel va engager de la recherche dans ce domaine s’il pense qu’il aura l’occasion de développer une infrastructure en partageant le risque avec des outils de financement appropriés ?

M. Thierry Francq. Les choses ne sont pas aussi tranchées. Il y a deux manières de traiter un investissement à risque. Soit l’on considère que le risque est insupportable, et un mécanisme de partage du risque avec la Banque européenne d’investissement (BEI) ou l’État français peut convaincre de franchir le pas. Soit l’on a plus d’exigence de rentabilité ab initio du projet, ce qui incite à subventionner plus fortement les tarifs ou à obtenir des subventions des collectivités locales pour ce genre de dispositif.

Il me semble que la puissance publique a intérêt à privilégier le mécanisme du partage de risque, qui permet de mutualiser – ça peut ne pas coûter très cher au bout du compte – plutôt que de verser des subventions.

Mme Éva Sas, rapporteure. Ce que vous dites vaut pour les infrastructures, pas pour la recherche. Cela n’explique pas pourquoi les projets de recherche ne sont pas développés.

M. Thierry Francq. C’est une chaîne : une entreprise va faire de la recherche si elle considère qu’à la fin, elle pourra couvrir les océans de fermes hydroliennes. Sinon, elle ne se lancera pas.

M. Éric Alauzet. Le rapport de M. Villeroy de Galhau proposait aussi de créer une classe d’actifs dédiés aux infrastructures vertes et d’adapter des facteurs prudentiels à ce type d’investissements.

Il constatait également que nous ne savions malheureusement pas intégrer les externalités sur ce type d’investissement. Les deux façons d’intégrer ces externalités sont de subventionner ou de renchérir les autres projets, et c’est toute l’idée de la taxe carbone : les projets qui en sont exemptés voient s’améliorer leur rentabilité relative.

M. Thierry Francq. Sur la question de la régulation bancaire, le CGI n’est pas compétent et je ne peux pas vous répondre.

Les mécanismes de partage du risque offrent une solution. Nous ne les développons pas seulement dans le domaine du développement durable, mais aussi dans des secteurs comme la santé dans lesquels, pour passer de la recherche à la première industrialisation, les montants à investir peuvent être considérables. Et au stade de la première industrialisation, il y a encore énormément de risques : si vous ne trouvez pas le bon prix de revient pour le nouveau produit, l’investissement sera perdu.

Au sein du PIA, nous utilisons les avances remboursables, qui sont un mélange de subvention et de partage de risque, et nous cherchons de plus en plus à utiliser les fonds propres en créant des joint-ventures avec des industriels, afin de ne pas partager que le risque, mais aussi le rendement. C’est équilibré et cela permet de réaliser un investissement avisé. Certains projets ne vont pas prospérer, d’autres marcheront bien, mais, en moyenne, ils ne pèseront pas sur les finances publiques au sens maastrichtien du terme.

M. Ivan Faucheux. Vous demandiez si les industriels accepteraient de se lancer dans le développement des infrastructures sans un outil de partage de risque. C’est un débat récurrent au sein de la Commission européenne, qui avait lancé la Risk Sharing Finance Facility, censée partager le risque sur de grandes infrastructures. Elle a relancé un nouvel exercice sur le partage de risque pour le financement d’infrastructures d’énergie. Lorsque l’on en dresse le bilan, cet outil a surtout financé des infrastructures non risquées ; il n’était donc pas forcément adapté. Fondamentalement, cela interroge sur la capacité des équipes de gestion qui vont gérer ces outils à apprécier des risques qui sortent clairement du champ classique du financement bancaire.

Du point de vue de la gouvernance plutôt que de la finance, il est absolument nécessaire que ces outils soient mis en œuvre en poussant le risque un peu plus loin, tout en restant évidemment dans les limites du raisonnable.

M. Thierry Francq. La Banque européenne d’investissement, qui gère le plan Juncker, présente une particularité intéressante à cet égard, puisque les dossiers sont d’abord étudiés par des ingénieurs avant d’être soumis à des financiers. C’est un point positif.

Mme Éva Sas, rapporteure. La Cour des comptes nous a dit que si peu de projets étaient soumis, c’était peut-être dû à la maille retenue, le PIA étant plutôt destiné aux projets de grande taille. La complexité de la contractualisation pourrait également effrayer certains industriels.

M. Thierry Francq. Nous essayons d’utiliser les PME et les start-up pour aiguillonner le système dans certains secteurs. Dans le domaine des démonstrateurs de l’énergie, nous espérons augmenter la consommation de crédits : les industriels sont en train de s’approprier peu à peu le PIA et ces outils, et nous sommes en train de passer à la phase démonstrateurs à grande échelle, ce qui coûte cher. La consommation de crédits devrait donc s’accélérer un peu.

En ce qui concerne la maille des projets, il est vrai que nous cherchons des projets structurants. Les hydroliennes sont nécessairement de gros projets. Mais nous nous sommes adaptés de plusieurs façons. Dans le domaine de l’économie circulaire, par exemple, nous utilisons, comme dans d’autres secteurs, les avances remboursables. Au début, la consommation était très faible ; nous en avons conclu que, s’agissant d’un secteur à faible rentabilité intrinsèque, il fallait réduire nos exigences de remboursement. Et nous en voyons les effets. Nous nous sommes également adaptés à la taille des projets. En matière de biodiversité, qui en est à ses balbutiements en termes économiques, si l’on avait décidé de fixer un minimum de 2 millions d’euros aux projets, rien ne se serait fait. Nous nous sommes donc résolus à financer des projets à hauteur de 400 000 euros.

En règle générale et dans la mesure du possible, nous souhaitons que nos projets aient des effets de structuration. Il est clair que ce n’est pas possible à obtenir en visant trop petit mais nous savons quand même adapter la maille en fonction des secteurs et des objets.

Enfin, la Cour des comptes a dit une chose et son contraire, ce qui n’est pas si surprenant dans une matière où tout est question d’équilibre. Elle nous disait que le dispositif devait être plus simple ; pour passer moins de temps, lors de la phase de contractualisation, à discuter des clauses de remboursement de l’avance remboursable, et pour faire plus simple, nous l’avons standardisé. Mais la Cour des comptes nous dit aussi de ne pas trop standardiser pour garder de la souplesse. Les deux conseils sont justes, et nous espérons avoir trouvé le bon équilibre.

M. Jean-Luc Moullet. Pour illustrer ce propos, dans le secteur automobile, nous avons fait revoir les clauses contractuelles par les avocats des entreprises participant à la plateforme de la filière automobile. Au terme d’un travail d’échanges, les termes génériques des contrats ont été stabilisés ; les entreprises les connaissent avant d’entrer dans le processus. Les demandes de l’industrie sur ces termes contractuels ont donc été prises en compte.

Je voulais également souligner la complémentarité du PIA avec d’autres dispositifs. De manière générale, les domaines d’application des autres dispositifs, tels que fonds unique interministériel (FUI) ou les différentes aides régionales, amènent des concours de montants plus faibles que le PIA. Nous avons donc le souci de positionner le PIA en complémentarité avec l’existant.

M. Thierry Francq. Ce travail de standardisation des aspects juridiques et du mécanisme financier des avances remboursables n’est pas étranger au fait que nous avons divisé par trois ou quatre, selon les actions, les délais des projets soutenus par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).

Mme Éva Sas, rapporteure. Quel est le processus de décision qui a conduit aux redéploiements effectués au profit de la défense ? La nécessité de dégager des financements rapides au profit de cette dernière a-t-elle pris le pas sur la temporalité plus longue du développement durable ?

La sous-consommation de crédits n’est pas seule en cause, puisque les redéploiements ont eu lieu alors même que des programmes étaient à peine engagés ; certains ne l’étant même pas du tout. Il y a donc clairement eu un choix entre plusieurs priorités budgétaires.

M. Thierry Francq. Vu du CGI, les choses sont très simples : c’est une décision du Gouvernement. Et il est tout à fait clair qu’il y avait une urgence budgétaire puisque ces crédits ont été très vite consommés. Nous n’avons d’ailleurs pas caché à la Cour des comptes que nous considérions que cela faisait partie des actions qui relevaient plutôt de la substitution budgétaire.

Nous avons, par ailleurs, du mal à faire comprendre aux nombreuses personnes qui viennent nous voir avec des idées que ce n’est pas parce qu’un projet est très intéressant qu’il doit être financé par le PIA, que le PIA ne fait pas tout.

Mme Éva Sas, rapporteure. La Cour des comptes préconise la création d’une instance d’évaluation. Quel est votre avis sur cette question ?

M. Thierry Francq. Les conventions entre le Gouvernement et les opérateurs, qui sont le support premier des programmes du PIA, prévoient les crédits nécessaires pour évaluer in fine, par une évaluation indépendante effectuée par des experts externes. Le dispositif est donc déjà écrit dans les principes.

Le CGI a suggéré de faire un bilan à mi-parcours, ce qui n’était pas prévu. La quasi-totalité des projets n’étant pas terminés, il ne s’agira pas d’une vraie évaluation, mais il nous semblait difficile d’attendre dix ans avant de pouvoir dire quoi que ce soit. Cela nous a semblé d’autant plus nécessaire que l’on évoque la perspective d’un PIA 3. Nous avons donc demandé à France Stratégie d’organiser ce bilan de façon indépendante, et ils ont désigné un comité d’experts.

La Cour des comptes indique qu’il faudrait que ce bilan se fasse dans une enceinte interministérielle. À mon sens, on ne peut pas demander une évaluation indépendante aux ministères alors qu’ils participent au processus. Nous n’avons donc pas bien compris cette suggestion. Cela ne signifie pas que les ministères ne contribuent pas, comme nous, à organiser cette évaluation. Ainsi, le Commissariat général au développement durable a été très actif pour définir les critères et les éléments de mesure de l’éco-conditionnalité. Et, dans le cadre de la préparation des évaluations finales, nous avons déjà travaillé sur les méthodologies d’évaluation dans un certain nombre de domaines. Tout cela se discute en comité de pilotage, avec les ministères concernés, afin de définir la méthodologie que devront observer les experts indépendants le moment venu.

Les ministères participent donc à l’organisation de l’évaluation, mais l’évaluation elle-même, si l’on souhaite qu’elle soit indépendante, ne doit pas être faite par des fonctionnaires.

Mme Éva Sas, rapporteure. Je vous remercie beaucoup de vos réponses.

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