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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Mardi 9 février 2016

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 5

Présidence de M. Nicolas Sansu, puis de M. Jean-Pierre Gorges, rapporteurs

La transparence et la gestion de la dette publique

– Audition, ouverte à la presse, de M. Denis Beau, directeur général des opérations de la Banque de France

M. Nicolas Sansu, rapporteur.  Cette mission d’évaluation et de contrôle a pour objet principal l’examen des questions que posent la détention et la gestion de la dette. J’ai demandé la création de cette mission à la suite d’une proposition de résolution européenne relative à la dette souveraine des États de la zone euro, qui n’a pas prospéré, mais qui a suscité la rédaction d’un premier rapport.

L’action de la Banque de France intéresse notre mission à plusieurs égards. La Banque organise, avec l’Agence France Trésor (AFT), les adjudications de titres de dette de l’État ; produit des statistiques relatives à la dette publique, en particulier à sa détention ; met enfin en œuvre le programme d’achats de titres de dette publique décidé par la Banque centrale européenne.

Je vous laisse la parole pour un propos liminaire.

M. Denis Beau, directeur général des opérations de la Banque de France. Merci pour votre invitation. Je commencerai par apporter des éléments de réponse aux questions que vous m’avez posées par écrit.

S’agissant tout d’abord du rôle que joue la Banque de France dans l’organisation des adjudications de valeurs du Trésor, il est celui d’un prestataire pour le compte du Trésor. On peut le qualifier de technique : nous fournissons un système permettant de gérer ces adjudications et nous les animons afin qu’elles se déroulent bien du point de vue technique. C’est important, certes, mais ce qu’il convient de retenir, c’est que nous n’intervenons pas dans la politique d’émission ni dans les critères de choix. Dès lors que le principe d’une adjudication a été validé, nous apportons l’outillage technique requis. Et, dans ce cadre, nous sommes soumis à certaines diligences.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Vous êtes le service des marchés publics de l’AFT ?

M. Denis Beau. Disons que, pour mener des adjudications sur une dette aussi importante que celle de la France, il faut un outil technique performant, et que notre contribution consiste à fournir cet outil à l’AFT.

Vous nous avez interrogés en deuxième lieu sur les statistiques relatives à la détention de la dette de l’État. Ces statistiques sont établies par la Banque de France à partir d’une collecte réalisée auprès d’établissements teneurs de comptes-titres, dans le cadre de l’élaboration de la balance des paiements, pour des besoins qui nous sont propres, pour la stabilité financière et la politique monétaire.

C’est dans ce cadre que nous publions dans la balance des paiements des données concernant la part de la dette française qui est détenue par des non-résidents. Selon le dernier chiffre dont je dispose, qui concerne le troisième trimestre 2015, cette part est estimée à 63 %.

Quant à la part de la dette qui est détenue directement par les ménages, elle était, toujours au troisième trimestre 2015, très faible puisqu’elle dépassait pas 0,01 %, soit 260 millions d’euros, sur 1 900 milliards d’euros de dette totale : c’est marginal.

J’en viens au programme d’achat de titres de dette publique mené par l’eurosystème – la Banque centrale européenne et les banques centrales nationales. Un élément de contexte, d’abord. Trois programmes sont en cours d’exécution : les deux premiers, lancés en octobre et novembre 2014, permettent d’acheter des actifs privés tandis que le troisième, le plus important, vise les titres publics ; il a débuté en mars 2015. Au total, l’eurosystème achète environ 60 milliards d’euros de titres par mois, en valeur de marché. Selon la communication qui a été faite, il est pour l’instant prévu que ces achats durent jusqu’en mars 2017.

C’est le Conseil des gouverneurs de la BCE qui a décidé de ce programme et qui en a arrêté les principes. Les titres éligibles au programme d’achat de titres publics ont une maturité comprise entre deux et trente ans et proviennent de quatre catégories d’émetteurs : les États souverains de la zone euro, les agences reconnues par l’eurosystème, les collectivités territoriales et les émetteurs supranationaux localisés dans la zone euro. Pour sélectionner ces titres, on applique en outre des critères de qualité de crédit.

Un principe fondamental de fonctionnement de l’eurosystème est la décentralisation. En vertu de ce principe, ce sont les banques centrales nationales qui procèdent à l’exécution des décisions – en l’espèce, des achats de titres. Cette logique très prégnante est guidée par des considérations d’efficacité : les marchés sont complexes et chaque banque centrale dispose d’équipes spécialistes du marché national. Plusieurs règles permettent de coordonner et d’assurer l’exécution de ces achats comme s’ils étaient l’œuvre d’une seule banque centrale dotée de multiples bras.

S’agissant de l’allocation des achats entre les différentes banques centrales nationales, les montants sont déterminés selon une clé qui correspond à la répartition du capital de la BCE. De ce fait, la Banque de France achète environ 20 % des 60 milliards mensuels. La BCE elle-même procède à des achats, mais pour des montants limités, qui représentent 8 % de l’ensemble des titres à acheter.

Selon les classes d’actifs, ce principe de décentralisation peut être aménagé. En ce qui concerne les titres supranationaux, compte tenu des caractéristiques de ce marché et des compétences des banques centrales nationales, deux banques centrales, dont la Banque de France, procèdent aux achats pour toutes les banques centrales de l’eurosystème.

En outre, un principe de spécialisation s’applique, en vertu duquel chaque banque nationale, en raison de sa connaissance du marché national, est appelée à intervenir sur le marché dont elle est le plus proche. De ce fait, la Banque de France achète au premier chef des titres français, même si nous en achetons aussi d’autres – je viens de mentionner les titres supranationaux.

J’en viens aux modalités d’achat. Lorsqu’il s’agit de déterminer le montant à acheter au cours d’une période donnée, la coordination est un peu plus poussée. Dans ce cas, en effet, l’on s’efforce de peser le moins possible sur le fonctionnement des marchés sur lesquels on intervient. À cette fin, un principe de neutralité est appliqué dans tout l’eurosystème. Ainsi, s’agissant de titres dont la maturité s’échelonne de deux à trente ans, on achète l’ensemble des titres en respectant la maturité moyenne des dettes sur lesquelles on intervient. En outre, les interventions ont lieu tous les jours, tout au long de la journée. C’est aussi ce souhait de limiter leurs conséquences sur la liquidité des marchés qui explique la création de dispositifs permettant de prêter à nouveau les titres achetés dès lors qu’un phénomène de rareté se ferait jour sur le marché.

Au 31 janvier 2016, la Banque de France avait acquis 84,4 milliards d’euros de titres souverains. Sachant que les 8 % achetés par la BCE sont attribués aux différentes dettes de la zone euro en fonction de la répartition de son capital, la dette française achetée dans le cadre du programme depuis son lancement en mars 2015 représente au total 92 milliards d’euros environ, sur 553 milliards de titres publics achetés.

Vous m’avez interrogé sur les conséquences sur les taux d’intérêt des rachats de dette publique par les banques centrales. Leur évaluation précise est un exercice délicat, car de multiples facteurs jouent sur le prix de ces titres sur le marché secondaire ; mais des estimations sont possibles. Je vous renvoie à la récente analyse de l’INSEE à ce sujet, publiée en décembre 2015, et qui tend à montrer qu’à elle seule, l’anticipation du programme par les opérateurs de marché a fait baisser les taux de 80 points de base, ce qui est assez significatif compte tenu du niveau absolu des taux d’intérêt. Il existe évidemment une marge d’erreur. Mais l’on peut considérer que l’effet global des programmes d’achat sur les niveaux généraux des taux sur le marché équivaut à une baisse d’environ 100 points de base des taux directeurs.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Vous donnez l’impression d’être plutôt un sous-traitant, un opérateur extérieur : vous facilitez la gestion de la dette, sans intervenir dans la politique qui la gouverne. Mais quel est votre point de vue sur cette gestion ? Est-ce une routine faite pour durer des années, ou pourrait-elle être compliquée par l’augmentation continue de la dette ?

M. Denis Beau. Je l’ai dit, notre rôle en la matière est technique et c’est de ce point de vue que je vous répondrai. Nous nous efforçons d’apporter les outils les plus performants compte tenu du type de technique d’adjudication retenu par l’AFT. Le fonctionnement de ces adjudications et la qualité technique de la gestion de la dette me paraissent très satisfaisants.

M. Jean-Claude Buisine, rapporteur. Comment analysez-vous la dette publique ? Sa gestion actuelle ne comporte-t-elle pas des risques ?

M. Denis Beau. À chaque adjudication, concrètement, les spécialistes en valeur du trésor (SVT) soumettent des offres qu’il faut collecter dans un temps donné. Les risques opérationnels que présente l’exécution de cette opération sont très étroitement surveillés. En effet, des procédures de secours renforcées sont prévues, afin que l’adjudication puisse être exécutée dans un très grand nombre de cas, même si le dispositif principal devait être entravé par des difficultés de communication. Ces procédures garantissent un niveau très élevé de sécurité à l’AFT qui peut ainsi conduire ces opérations comme elle l’entend, au moment où elle l’a décidé.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Vous êtes passé rapidement sur la détention de la dette. Or on sait que les statistiques concernant sa répartition entre résidents et non-résidents sont très fortement biaisées. Si j’achète de la dette française à Londres, suis-je considéré comme résident ou comme non-résident ? Et qu’en est-il si un étranger achète un titre de dette française sur la place de Paris ? Comment avoir davantage d’informations à ce sujet, comment mieux catégoriser les détenteurs ? Si ce n’est pas possible, pourquoi ?

Savez-vous à quel rythme les titres de dette publique française s’échangent sur le marché secondaire ?

J’en viens au programme de quantitative easing (assouplissement quantitatif), qui porte sur 1 140 milliards d’euros au total. Vous avez parlé d’un gain de 100 points de base sur les taux, ce qui, rapporté aux quelque 10 000 milliards de dette des États de la zone euro, n’est pas négligeable !

Je suis gêné par le principe de neutralité dont vous avez fait état. Le but du rachat de titres n’est-il pas que nos dettes souveraines ne représentent plus un risque pour les États et pour les peuples ? J’entends bien que c’est une façon de réguler le marché. Mais quel est le rôle des banques centrales, et d’abord de la Banque de France, depuis 1974 ? Comment a-t-il évolué eu égard à la gestion de la dette, à l’émission des titres et à leur gestion ? Depuis cette époque, le circuit du Trésor a disparu et aucun véritable circuit européen ne s’y est substitué. Est-il, à vos yeux, possible d’en créer un afin de mieux contrôler notre dette ? Au Japon, la dette est phénoménale mais elle est détenue par les ménages, ce qui n’est pas le cas en France. N’est-il pas envisageable de relancer des emprunts d’État pour reprendre la main sur la dette  car si celle-ci était directement détenue par les résidents, les enjeux ne seraient pas tout à fait les mêmes ?

M. Denis Beau. Permettez-moi d’abord de clarifier un point concernant l’objectif des programmes d’achat.

Ces programmes relèvent des mesures de politique monétaire dites non conventionnelles : ils ont été engagés alors que l’on avait déjà fait très fortement baisser les taux d’intérêt et mené des politiques dites de credit easing (assouplissement qualitatif), c’est-à-dire de prêt à des maturités de plus en plus longues aux établissements de crédit. Nous avons conduit cette politique monétaire en nous appuyant sur les établissements de crédit et sur leur capacité de transmission, pour une raison essentielle : le rôle majeur que jouent ces établissements dans le financement de l’économie de la zone euro. À un certain stade, nous avons souhaité, compte tenu de l’évolution de l’inflation et des anticipations d’inflation – car c’est là notre objectif fondamental –, continuer de peser sur les conditions monétaires en utilisant des moyens complémentaires. Tel est le sens des programmes d’achat.

Leur but est bien d’intervenir sur les courbes de taux d’intérêt sur le marché secondaire des titres d’État pour les infléchir à la baisse, mais dans le cadre de la politique monétaire, afin, par l’intermédiaire de différents mécanismes de transmission, de soutenir la demande et de faire évoluer l’inflation vers l’objectif de la BCE. La baisse qu’ont subie les taux est le signe que ces mesures fonctionnent. On a fait diminuer les taux souverains et cette baisse des conditions de rémunération s’est transmise à l’économie réelle à travers les conditions auxquelles les différents acteurs empruntent.

La question des échanges de titres de dette sur le marché secondaire excède notre mission de soutien technique à l’AFT. D’une manière générale, il est difficile d’obtenir des statistiques concernant les échanges de dettes obligataires sur le marché secondaire, dont des pans entiers correspondent à des opérations de gré à gré. Avec ce que l’on appelle l’électronification des marchés, c’est-à-dire le développement des plateformes électroniques sur lesquelles les acteurs se connectent pour échanger, ces échanges sont devenus un peu plus faciles à mesurer. Mais la Banque ne dispose pas de statistiques à ce sujet.

En ce qui concerne la détention par les non-résidents, les données que nous connaissons sont publiées : je ne peux que vous y renvoyer. S’agissant plus précisément de la classification d’un achat de titres selon que celui-ci se déroule à Londres ou à Paris, nous pourrons interroger nos spécialistes. Il me semble, mais c’est à confirmer, que le critère est l’origine du détenteur et non le lieu de la négociation, puisque, je l’ai dit, les statistiques sont issues d’une enquête menée auprès des établissements qui tiennent les comptes-titres. Il peut dès lors y avoir des subtilités qui nécessitent un travail particulier et peuvent expliquer qu’il soit difficile d’obtenir des statistiques fines.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Pourriez-vous nous expliquer le mécanisme des taux d’intérêt négatifs ?

M. Denis Beau. Il faut partir des conditions auxquelles les établissements de crédit se refinancent auprès de la banque centrale – BCE et banques centrales nationales, sachant que, je l’ai dit, ce sont ces dernières qui interviennent du point de vue opérationnel auprès des établissements bancaires. Il existe des taux directeurs, ceux auxquels la banque centrale prête aux établissements de crédit, et un taux de dépôt, qui est aujourd’hui négatif, de 30 points de base. Cela signifie qu’une banque privée qui dispose d’un excédent de liquidité peut déposer cet argent à la banque centrale et que cela lui coûtera 30 points de base. C’est une incitation à placer cette liquidité ailleurs pour obtenir un meilleur rendement. C’est l’un des objectifs que poursuit une banque centrale en proposant des taux négatifs : il s’agit d’une incitation de politique monétaire à acheter des actifs, par exemple des titres d’État, ce qui, si de nombreuses banques font de même, crée une demande de ces titres, laquelle entraîne une baisse des taux qui va s’étendre à d’autres classes d’actifs à travers des mécanismes dits de portfolio rebalancing (rééquilibrage du portefeuille). Ainsi, l’ensemble des conditions monétaires dans l’économie s’oriente à la baisse, ce qui soutient la demande et crée un supplément d’activité qui contribue à relancer l’inflation vers l’objectif de la banque centrale.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Ce n’est peut-être pas à vous de répondre à cette question, mais un pays dont la dette est détenue à plus de 50 % par des non-résidents est-il dans une situation à risque ? Dans le cadre des opérations que vous conduisez, avez-vous eu la consigne de faire en sorte que la proportion de résidents augmente ? À quels critères vous conformez-vous, au fond ? Ne s’agit-il que d’acheter l’argent le moins cher possible, sans considération du porteur ? Avez-vous seulement des consignes ?

M. Denis Beau. Comme vous le suggérez vous-même, ce n’est pas à moi de répondre à votre question.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Dans les opérations que vous menez, savez-vous avec qui vous traitez ?

M. Denis Beau. Du point de vue de la banque centrale qui achète des titres dans le cadre des programmes dont je vous ai parlé, les achats permettent de poursuivre les objectifs de politique monétaire que je vous ai décrits. Comme prestataires de service pour le compte de l’AFT, nous ne nous posons pas cette question. Nous fournissons un service technique afin que l’adjudication se déroule conformément au souhait de l’AFT.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Vous n’êtes que techniciens ? Vous ne prenez aucune initiative ?

M. Denis Beau. Nous ne sommes que des opérateurs. J’ai défini la prestation que nous fournissons à l’AFT : nous lui apportons un outil pour gérer des soumissions et nous organisons la séance d’adjudication de sorte que tous les ordres soient bien transmis en temps et en heure et que l’AFT dispose des informations nécessaires pour décider du prix d’émission de la dette qu’elle a soumise à adjudication à tel moment. Voilà notre rôle ; il ne va pas plus loin.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Merci.

——fpfp——