Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d’évaluation et de contrôle

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Mardi 1er mars 2016

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 11

Présidence de M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur

La transparence et la gestion de la dette publique

– Audition des représentants d’agences de notation : M. Patrice COCHELIN, directeur senior, finances publiques, et M. Jean-Michel SIX, responsable des études économiques pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, de Standard & Poor’s, et M. Tony STRINGER, directeur général et Mmes Maria MALAS-MROUEH et Amélie ROUX de FitchRatings.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Mesdames et messieurs, mes chers collègues, poursuivant les auditions de la Mission d’évaluation et de contrôle sur la transparence et la gestion de la dette publique, nous allons maintenant entendre les représentants de deux agences de notation des dettes souveraines.

M. Patrice Cochelin. Je suis l’un des responsables analytiques de l’agence Standard & Poor’s, chargé de la notation du secteur public, qui comprend les États souverains, les collectivités locales, les émetteurs du secteur parapublic et certains émetteurs à but non-lucratif, notamment le secteur du logement social. Je suis responsable d’une équipe qui couvre une zone géographique comprenant la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Espagne et l’Italie. Dans cette zone, nous notons environ 160 émetteurs, dont quinze États souverains, ainsi que des collectivités locales et d’autres émetteurs du secteur public et institutions multilatérales. Je travaille chez Standard & Poor’s depuis 2001, j’y suis entré en tant qu’analyste de crédit dans le secteur de la notation des entreprises ; auparavant, j’avais passé six ans au sein de la Société Générale, également comme analyste de crédit. Quant à Jean-Michel Six, il est notre chef économiste pour la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique.

Standard & Poor’s est présente en Europe depuis 1984 et en France depuis 1990, date à laquelle elle a succédé à l’Agence d’évaluation financière française (ADEF) – nous sommes donc présents en France depuis un peu plus de vingt-cinq ans. Notre bureau parisien est un établissement important, comprenant environ 80 analystes sur un effectif mondial de l’ordre de 1 400 analystes. Notre société a été fondée en 1860 par Henry Varnum Poor, qui a commencé son activité en émettant des opinions sur les chemins de fer américains, qui cherchaient à lever de la dette auprès d’investisseurs européens, notamment britanniques, afin de fournir à ces derniers des informations financières de nature à les aider à évaluer la solvabilité des compagnies désireuses d’emprunter. Notre activité est réglementée au niveau européen depuis 2009 et notre superviseur est l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF, également connue sous son acronyme anglais ESMA).

La note est l’expression synthétique d’une analyse de crédit. Elle s’adresse aux créanciers de l’émetteur, qui sont des investisseurs et des épargnants. De nature très technique, elle est cantonnée à un risque très spécifique, à savoir le risque de non-paiement en temps et en heure du principal et des intérêts de la dette. Il s’agit d’un avis indépendant sur la qualité future d’une signature, donc une opinion prospective, portant sur la capacité, mais aussi la volonté d’un émetteur à honorer ses engagements en temps et en heure. Il faut dissocier le risque de crédit – le seul qui nous intéresse – de l’opinion que l’on peut avoir sur d’autres types de risques souvent attachés aux mêmes obligations financières, par exemple le risque de liquidité – c’est-à-dire le degré de difficulté auquel sera confronté l’investisseur souhaitant revendre son titre.

Enfin, la notation est relative, c’est-à-dire que nous cherchons en permanence à comparer les différents émetteurs de dette, le plus souvent entre pairs – ainsi la France sera-t-elle fréquemment comparée à d’autres grands États souverains, au sein de l’Union européenne et en dehors –, mais aussi entre différentes classes d’actifs, en prenant pour critère l’identité ou la proximité des notes des émetteurs. La notation est un outil parmi d’autres pour les investisseurs et, en ce qui nous concerne, nous nous efforçons d’offrir le maximum de comparabilité entre les notes et de transparence dans leur utilisation. J’insiste sur le fait que la notation n’est pas un audit des comptes de l’émetteur, ni un exercice de vérification comptable – pour effectuer notre travail, nous nous fondons sur des informations publiques –, ni une garantie de remboursement : à terme, même les obligations notées AAA peuvent, dans des cas exceptionnels, faire défaut.

Nous avons attribué une note à l’État français à partir de 1975. Il s’agissait à l’époque de noter une émission faite par la Caisse nationale des télécommunications, garantie par l’État français. Dans notre travail, la note des États souverains ne sert pas seulement à évaluer la qualité de crédit des gouvernements, mais joue également le rôle de référence pour les emprunteurs du pays, soit parce qu’ils sont considérés comme très proches de l’État, soit parce qu’ils ont une qualité de crédit qui pourrait éventuellement paraître supérieure à celle de l’État – ce qui justifie alors que nous procédions à un exercice de comparaison permettant de déterminer si un emprunteur doit voir sa note rapprochée de celle de l’État concerné.

Standard & Poor’s attribue actuellement à la France une note à long terme de AA, sur une échelle de vingt-deux crans ne comportant que des lettres assorties de plus et de moins – les deux crans les plus bas étant les crans de défaut de paiement ; défaut sur la totalité des obligations (CD) ou défaut sélectif (SD) –, tandis que les vingt autres crans correspondent à des émetteurs à jour sur le paiement de leurs obligations. La note AA de la France est le troisième cran le plus élevé de l’échelle de notation : elle reste donc très élevée. Depuis octobre 2014, cette note est assortie d’une perspective négative indiquant qu’il existe selon nous une probabilité de l’ordre d’au moins une chance sur trois pour que la note soit abaissée à horizon de dix-huit à vingt-quatre mois. En décembre 2015, nous avons maintenu à la fois la note AA et la perspective négative.

Conformément à la réglementation, nous publions chaque année un calendrier indiquant les dates de réactualisation des notes des États souverains, qui couvre également tous les émetteurs du type collectivités locales ; ce calendrier précise que les prochaines dates de prévision pour la France seront le 22 avril 2016 et le 21 octobre 2016.

Nous avons publié aujourd’hui une mise à jour de nos actualisations en termes de prévision d’émission de dette pour 2016 pour les 132 États souverains que nous notons. Notre méthodologie, qui est très claire et peut être consultée par tout un chacun, comprend cinq grands piliers : d’une part, le cadre institutionnel et le cadre économique, regroupés en un profil économique et institutionnel, d’autre part, le facteur extérieur, le facteur budgétaire et le facteur monétaire, regroupés en un profil de flexibilité et de performance. Les deux permettent d’aboutir à un niveau indicatif de la note de l’État, pouvant faire l’objet d’ajustements en fonction de facteurs exceptionnels typiques pour certains emprunteurs.

J’en viens à la note AA actuellement attribuée à la France. Lorsque nous communiquons publiquement sur les éléments entrant dans l’explication d’une note, nous indiquons quels facteurs sont considérés comme des forces et quels facteurs sont considérés comme neutres ou comme constituant des faiblesses. En ce qui concerne la France, aucun des cinq facteurs n’est considéré comme une faiblesse à proprement parler : soit ils sont neutres, soit ils constituent des forces.

Le facteur institutionnel est le reflet des institutions et de leur fonctionnement, en particulier de leur stabilité en matière de mise en œuvre de la politique économique. En pratique, nous nous efforçons de déterminer si les institutions sont susceptibles de provoquer des blocages ou des difficultés à exercer le pouvoir, en particulier en matière économique. À ce facteur, nous ajoutons dans certains cas des risques particuliers, par exemple de type sécuritaire ; ces risques ne s’appliquent généralement pas aux États européens. Pour la France, ce facteur est positif. C’est une force.

Le facteur constitué par la structure économique et les perspectives de croissance se fonde en premier lieu sur l’analyse du PIB – son niveau absolu, mais aussi son niveau relatif par rapport à d’autres États –, puis sur l’analyse de la croissance : il s’agit de déterminer des anticipations de croissance pour les deux ou trois prochaines années – c’est le travail des analystes, effectué en étroite collaboration avec les équipes de Jean-Michel Six, qui s’occupe de la prospective macroéconomique à court et moyen terme.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Le facteur économique constitue-t-il un point fort pour la France ?

M. Patrice Cochelin. Aujourd’hui, la structure économique et les perspectives de croissance sont des facteurs positifs pour la France. Nos dernières analyses mettent en évidence une reprise de l’activité qui, si elle ne fait aucun doute, se met en route à un rythme plus lent que chez la plupart de nos voisins européens, y compris ceux qui n’étaient pas parmi les plus affectés par la crise financière.

Le facteur constitué par les comptes extérieurs est neutre. Il résulte de l’analyse de la balance des paiements et de sa construction, notamment en termes de transactions courantes. Il s’agit notamment de la capacité de l’économie à exporter, un ressort qui nous paraît s’être amélioré récemment pour la France, étant précisé qu’il dépend de plusieurs facteurs et a bénéficié d’une part de la conjoncture favorable constituée par le niveau de l’euro par rapport au dollar et par le prix du pétrole, d’autre part de facteurs plus structurels, à savoir l’amélioration de la compétitivité des entreprises françaises. On a noté un léger relèvement du taux de marge des entreprises françaises, en deux étapes : d’abord une stabilisation en 2014, puis un léger relèvement en 2015. Par ailleurs, il est important de noter que la part de la France dans le commerce mondial, qui a fait l’objet d’un déclin structurel pendant plusieurs décennies, s’est stabilisée au cours des douze à dix-huit derniers mois.

Le facteur constitué par le cadre budgétaire, la dette et le risque hors bilan est sans doute celui donnant lieu à l’analyse la plus connue. Il est également neutre. Il s’agit d’examiner les déficits publics et le niveau d’endettement, ainsi que les possibles appels sur le budget de l’État – les risques hors bilan –, en considérant par exemple l’éventuelle fragilité du secteur financier dans certains pays. On utilise pour évaluer les systèmes bancaires une échelle graduée de un à dix, le Banking Industry Country Risk Assessment (BICRA), où 1 est le risque le moins élevé et 10 le plus élevé. Sur cette échelle, les banques françaises sont au niveau de trois, ce qui signifie qu’elles présentent un niveau de risque relativement faible.

Le dernier facteur, celui de la flexibilité monétaire est positif, et prend en compte la capacité de la Banque centrale à gérer la devise et à atteindre ses objectifs, notamment en termes d’inflation et de transmission des flux financiers dans l’économie. Dans ce cadre, nous examinons aujourd’hui les actions de la Banque centrale européenne visant à défendre la croissance et à atteindre ses objectifs d’inflation, ainsi que les différentes actions menées à l’intérieur de la zone euro pour améliorer les processus de transmission de la monnaie via les banques et les différents acteurs de la zone, mais aussi entre les différents pays de la zone euro. Ainsi, la crise des dettes souveraines avait mis à mal la transmission monétaire, qui a aujourd’hui retrouvé un fonctionnement normal, en grande partie grâce à l’action de la Banque centrale.

M. Tony Stringer. (intervention en anglais interprétée par Mme Amélie Roux.) Dans la hiérarchie de FitchRatings, j’occupe le poste de managing director et je suis l’un des adjoints directs du responsable des Etats souverains. En tant que chief operating officer, je supervise toutes les problématiques transversales liées à la réglementation et à son respect.

Mme Amélie Roux. Pour ma part, je travaille depuis cinq ans chez Fitch, où je suis actuellement director, ce qui correspond au grade d’analyste senior, et je m’occupe de la notation des États dans les régions Afrique et Moyen-Orient. Quant à Maria Malas-Mroueh, elle est également director ; basée à Londres, elle est spécialisée dans la notation des pays d’Europe de l’ouest, et analyste principale pour la notation de la France.

M. Tony Stringer. Les notations sont des évaluations prospectives ne portant que sur la qualité de crédit des souverains, qui apprécient la capacité et la volonté des souverains à rembourser leurs dettes en intégralité et en temps et en heure, auprès du secteur privé. Au-delà des souverains, nous notons également des instruments de dette qui, étant généralement non subordonnés, ont la même notation que le souverain – c’est généralement le cas pour la France.

Notre méthodologie de notation est très stable depuis plus de vingt ans, c’est-à-dire depuis que nous notons des souverains. Nos méthodologies sont détaillées, robustes et appliquées de façon uniforme sur tous les souverains que nous notons. Il est important de noter que nos méthodologies définissent des notations qui ne sont pas des probabilités de défaut, mais des classements relatifs entre États – ainsi la note AAA doit-elle s’apprécier essentiellement comme la marque d’une qualité de crédit meilleure que celle d’un autre État moins bien noté : il n’y a pas de probabilité de défaut prédéfinie associée à nos notations.

Nos notations, qui intègrent des éléments quantitatifs et qualitatifs, s’établissent sur la base de quatre grands piliers. Le premier pilier est celui de la performance et des politiques et perspectives macroéconomiques, qui recouvre les perspectives de croissance, la stabilité de l’économie, ainsi que la cohérence et la crédibilité des politiques économiques.

Le deuxième pilier est constitué par les caractéristiques structurelles de l’économie. Nous cherchons à apprécier les risques d’exposition à des chocs d’origine financière, politique ou institutionnelle.

Le troisième pilier est celui des finances publiques : c’est le cœur de notre analyse, puisque la notation a pour objet d’évaluer la capacité d’un souverain à rembourser ses dettes. Dans le cadre de ce critère, nous sommes amenés à analyser le solde budgétaire, la soutenabilité de la dette – donc les projections de dette – et les différentes options de financement qui se présentent aux États.

Enfin, le quatrième pilier est celui des finances externes, qui nous conduit à analyser leur soutenabilité, à la fois du point de vue des flux – la balance courante – et du point de vue des stocks : notre analyse de la dette externe est à la fois publique et privée.

Dans le cadre de ces quatre critères, nous effectuons des peer comparisons, c’est-à-dire des comparaisons avec des pays ressemblant à la France. Pour cela, nous nous référons à un certain nombre d’indicateurs quantitatifs et les comparons à ceux d’autres pays également situés dans la zone euro ou dans l’Union européenne, ce qui nous permet de classer les pays les uns par rapport aux autres.

Mme Amélie Roux. En ce qui nous concerne, nous notons la France AA, avec une perspective stable. Notre dernière notation remonte à décembre 2015. Très schématiquement, nous estimons que la notation de la France reflète avant tout des forces liées aux structures de son économie, une économie riche et diversifiée, marquée par une grande stabilité macroéconomique et des institutions efficaces et présentant un bon niveau de gouvernance. La notation intègre également des facteurs de faiblesse correspondant essentiellement aux soldes budgétaires persistants et au niveau de l’endettement public.

En entrant un peu plus dans le détail, nous avons identifié deux forces principales expliquant que la notation de la France se situe à un niveau élevé. La première réside dans le fait que l’économie française est stable, peu volatile, diversifiée, et présente un bon niveau de productivité ; par ailleurs, elle est dotée d’un capital humain de bonne qualité. Cette richesse de l’économie se traduit pour l’État français par des revenus budgétaires très élevés et très peu volatils. La deuxième force est la flexibilité financière exceptionnelle de la France, c’est-à-dire sa capacité à financer son déficit et à refinancer sa dette. En tant qu’émetteur de référence en Europe, elle a accès à des marchés liquides et profonds, et la structure de sa dette est très favorable car, essentiellement libellée en euros et présentant des maturités très longues, elle a un coût globalement modéré.

La faiblesse principale de la France provient essentiellement de ses finances publiques. Les déficits budgétaires nous semblent persistants et liés à un niveau de dépense élevé qui a graduellement augmenté le montant de la dette publique, jusqu’à ce que celui-ci atteigne 95 % du PIB en 2014. Nous n’analysons pas ce niveau de dette publique dans l’absolu : c’est par comparaison avec les autres pays qu’il nous semble élevé, mais aussi par le fait qu’il est susceptible de limiter la capacité de la France à faire face à des chocs d’origine financière ou économique. Enfin, nous avons quelques incertitudes au sujet des trajectoires d’endettement public, qui vont dépendre de la vigueur de la reprise économique.

La deuxième faiblesse principale que nous soulignons est le chômage, qui se situe à un niveau élevé par rapport aux autres pays de la zone euro et aux pays semblables à la France. Nous estimons également que la dette externe de la France, évaluée sur une base nette, est significativement plus élevée que celle des pays appartenant au même groupe de notation.

Pour nous, la perspective de notation de la France est stable, ce qui signifie que nous n’anticipons pas de changement à court terme.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. En cela, votre appréciation diffère de celle de Standard & Poor’s.

Mme Amélie Roux. Effectivement, nous n’anticipons pas d’éléments pouvant nous amener à améliorer ou abaisser la note de la France à court terme.

En revanche, nous identifions dans notre méthodologie des facteurs pour chacun des souverains qui seraient susceptibles de nous amener à une réévaluation de la note à la hausse ou à la baisse à moyen terme. En ce qui concerne la France, ces facteurs sont au nombre de deux. Le premier est celui de la consolidation budgétaire. Nous estimons qu’une dégradation des finances publiques qui entraînerait une augmentation de la dette publique au-delà de 2017 pourrait avoir un impact négatif sur la notation et qu’à l’inverse, une consolidation budgétaire associée à une réduction de l’endettement public pourrait avoir un effet favorable sur la dette, donc sur la notation.

Le deuxième facteur est celui de la compétitivité et de la croissance. Nous estimons qu’une détérioration de la compétitivité, qui pourrait peser sur les perspectives de croissance à moyen terme, serait pénalisante pour la notation de la France ; à l’inverse, si la reprise que l’on constate actuellement se renforce et si les perspectives de croissance à moyen terme augmentent, cela pourrait constituer un facteur de révision à la hausse de la notation. Notre notation étant revue tous les six mois, la prochaine sera effectuée en juin 2016.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. On entend souvent dire que la notation de la France reste relativement stable grâce à la prise en compte des actifs publics et privés, qui constituerait une sorte de garantie dans l’hypothèse où le niveau de la dette atteindrait un niveau tel qu’il faudrait rendre des comptes, comme cela a été le cas à Chypre. Tenez-vous effectivement compte des actifs des Français, s’élevant à 4 500 milliards d’euros, pour établir votre notation ?

M. Nicolas Sansu, rapporteur. C’est à 12 000 milliards d’euros que s’élèvent ces actifs.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Ce montant correspond au patrimoine financier. Les actifs, eux, s’élèvent bien à 4 500 milliards d’euros.

M. Charles de Courson. Le bilan de l’État français est composé de 1 300 milliards d’euros de dettes, 500 millions d’euros d’actifs et 700 millions d’euros d’actifs nets négatifs. Avec ces chiffres, une entreprise serait en cessation de paiement depuis longtemps. Comment tenez-vous compte de ce bilan pour établir votre notation ?

Par ailleurs, vous nous avez dit tenir compte du niveau d’endettement s’élevant à 96 % du PIB – pour l’État, les collectivités locales et la sécurité sociale. Mais tenez-vous également compte du fait que les ménages français détiennent environ 12 000 milliards d’euros de patrimoine, notamment sous forme d’assurance-vie ? En d’autres termes, faites-vous la différence entre endettement brut et endettement net ?

M. Patrice Cochelin. Le patrimoine de l’État et la richesse du pays correspondent à deux notions distinctes. Quand on observe le niveau d’endettement de l’État, à savoir le ratio dette sur PIB, on prend pour base la dette brute moins les actifs financiers à court terme – il s’agit d’actifs liquides, c’est-à-dire disponibles en vue d’un remboursement. Pour 2015 cela fait une différence de 7,5 points de PIB. Sur le long terme, ces montants ont représenté 5 % à 6 % du PIB.

M. Charles de Courson. Tenez-vous compte de l’ensemble des participations de l’État, que ce soit dans EDF, Gaz de France ou ENGIE ?

M. Patrice Cochelin. Les actifs pris en compte pour le calcul de la dette nette sont uniquement les plus liquides. Les titres de participation détenus par l’État ne sont pas pris en compte dans le calcul de la dette nette mais le revenu produit (les dividendes) vient augmenter les recettes budgétaires non-fiscales.

M. Charles de Courson. En revanche, vous ne tenez pas compte du patrimoine immobilier – le château de Versailles, par exemple – et des collections publiques de l’État ?

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Cela n’est pas monnayable, cher collègue.

M. Patrice Cochelin. Ce qui nous intéresse, c’est d’observer les flux financiers engendrés par le patrimoine d’un côté, la dette de l’autre. Cela nous conduit à examiner la capacité de l’État à lever des impôts, ainsi que les actifs détenus par l’État et les acteurs des secteurs public et privé par rapport à d’autres pays. Du point de vue de l’activité financière, nous observons que les acteurs français rapatrient un volume élevé de fonds de l’étranger grâce à une position favorable par rapport aux autres pays.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Pour être très clair, tenez-vous compte du fait que, dans l’hypothèse où la dette monterait trop haut, on pourrait confisquer une partie des actifs financiers des Français – je pense essentiellement aux 1 600 milliards actuellement investis dans l’assurance-vie, qui constituent une richesse dormante alors qu’ils pourraient éventuellement financer la dette ?

M. Patrice Cochelin. La réponse est non : la note AA actuellement attribuée à la France ne tient pas compte de cette éventualité.

M. Charles de Courson. Il s’agit pourtant d’une hypothèse fréquemment évoquée. Au demeurant, il ne s’agirait pas d’une confiscation totale : l’idée serait de prélever les fonds excédant un certain montant par titulaire – par exemple un million d’euros.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. De mon point de vue, une telle hypothèse est loin d’être farfelue : ce pourrait être un moyen de régler le problème de la dette.

Mme Maria Malas-Mroueh. (intervention en anglais interprétée par Mme Amélie Roux.) Chez FitchRatings, nous prenons en compte les actifs de quatre façons différentes. Premièrement, nous prenons en compte la richesse des ménages français de façon indirecte, c’est-à-dire par le biais de leur effet sur la stabilité de l’économie. Nous estimons en effet que l’une des caractéristiques principales de la France réside dans le fait que les ménages sont peu endettés et ont un niveau d’épargne élevé, ce qui contribue à la stabilité macroéconomique – qui, elle, est directement prise en compte dans nos ratings. Ainsi, durant la crise financière de 2008-2009, la récession française a été beaucoup moins forte que dans d’autres pays, ce que l’on explique par le fait que la consommation privée est restée positive grâce au montant élevé de l’épargne et au faible endettement des ménages français par rapport à leurs voisins européens.

Deuxièmement, nous prenons en compte des actifs liquides dans le calcul de deux types de ratios. Pour le calcul des ratios de dette externe de la France, nous prenons pour base la dette brute externe d’une part, les actifs financiers et liquides d’autre part. Pour ce qui est de la dette publique, nous nous référons à une mesure de la dette nette, obtenue en soustrayant de la dette brute, les actifs liquides : les participations dans les entreprises stratégiques ne seront donc pas prises en compte.

Troisièmement, dans le cadre des discussions que nous avons régulièrement avec les autorités françaises, nous évoquons les plans de privatisation des différents actifs publics, mais nous n’incorporons ces éléments que si les plans de privatisation en question sont détaillés et imminents ; à défaut, nous évitons de prendre ces éléments en compte, dans un souci de cohérence.

Quatrièmement, la richesse des ménages et leur taux d’épargne élevé jouent un autre rôle indirect dans notre notation, dans la mesure où ils ont un impact sur le secteur bancaire : nous estimons que grâce aux dépôts bancaires des épargnants, l’État français n’aura pas besoin de recapitaliser les banques françaises, ce qui constitue une force en matière de notation.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. La Commission européenne n’a pas tout à fait la même analyse que vous au sujet des banques françaises.

M. Charles de Courson. Je vais me permettre de faire preuve d’une certaine insolence en vous demandant à quoi servent vos notations. Vous êtes payés par les entreprises privées, mais vous ne l’êtes pas systématiquement par les États. En l’occurrence, puisque l’État français ne vous paye pas, pourquoi le notez-vous ? Par ailleurs, quelle est votre responsabilité dans la notation ?

M. Patrice Cochelin. Pour ce qui est de notre rémunération, je ne peux malheureusement pas vous répondre, dans la mesure où nous opérons au sein de notre société une séparation très stricte entre ce qui relève du domaine analytique et ce qui relève du domaine commercial – sur lequel je ne peux m’exprimer. Je peux transmettre votre question aux services compétents, mais je ne serai même pas autorisé à connaître le contenu de la réponse qui vous sera apportée.

M. Jean-Michel Six. Tout ce que nous pouvons vous dire, c’est que si l’État français ne nous paye pas, c’est parce qu’il ne sollicite pas la note que nous lui attribuons. Et s’il devait nous payer, les analystes que nous sommes ne sauraient absolument rien des modalités pratiques du contrat qui serait conclu.

M. Charles de Courson. Nous pourrions toujours interroger le ministre compétent.

M. Jean-Michel Six. Plutôt l’Agence France Trésor.

M. Charles de Courson. Vous n’êtes cependant pas un organisme à but philanthropique. De quelle manière couvrez-vous les frais résultant de la notation des États qui ne vous sollicitent pas, donc ne vous payent pas ?

M. Jean-Michel Six. Nous sommes rémunérés par l’ensemble des entreprises et des banques que nous notons, qui constituent l’essentiel de notre chiffre d’affaires, mais aussi par un certain nombre d’États. Si nous notons aussi les États qui ne nous payent pas, ce n’est pas par plaisir ou par patriotisme, mais parce que nous y sommes contraints, dans la mesure où ces États sont garants d’entreprises que nous notons. C’est ce qui explique que nous notions la France depuis 1975 : à l’époque, l’État français était garant d’une caisse importante qui nous avait demandé de la noter.

M. Charles de Courson. Peut-on considérer que vous êtes rémunérés indirectement par les participations que détient l’État dans un certain nombre d’entreprises publiques que vous notez – je pense notamment à EDF ou ENGIE ?

M. Patrice Cochelin. Comme je vous l’ai dit, nous ne pouvons pas entrer dans le détail de nos rémunérations.

Dans tous les pays où nous notons des banques, des compagnies d’assurances et d’autres entreprises, la note de l’État est une référence qui, pour nous, constitue souvent un point de départ : elle constitue la base pour déterminer la note d’une entreprise qui serait l’une des meilleures du pays – par exemple, une banque extrêmement solide. Il est très rare qu’une entreprise se voit attribuer une note supérieure à celle de l’État où elle se trouve : cela n’arrive que dans certaines conditions strictement définies. Aujourd’hui, la note AA de la France constitue, de facto, un plafond pour ses entreprises.

M. Charles de Courson. Aucune institution française ne peut donc obtenir la note AAA ? Qu’en est-il, par exemple, de la Caisse des dépôts et consignations ?

M. Patrice Cochelin. La Caisse des dépôts et consignations est effectivement notée AA, comme l’État français.

M. Tony Stringer. Les analystes de chez Fitch sont agnostiques sur le fait que les souverains payent ou non pour leur notation. La relation commerciale relève des attributions d’un département totalement séparé des responsabilités analytiques, à savoir le business and relationship management. Les analystes n’ont jamais à connaître des discussions portant sur les frais que Fitch facture à ses émetteurs. Au sein de notre société, c’est une véritable muraille de Chine qui sépare l’activité d’analyse de l’activité commerciale.

M. Charles de Courson. Vous n’avez jamais rencontré les personnes travaillant de l’autre côté de ce que vous appelez la Muraille de Chine – qui n’est pour moi qu’un mur de papier, comme on a pu le constater à l’occasion de la crise financière de 2008 ? Et il n’est jamais arrivé qu’une personne travaille successivement d’un côté du mur, puis de l’autre ?

M. Tony Stringer. Il arrive que les analystes rencontrent des personnes travaillant du côté commercial, mais s’il arrive, au cours d’une discussion avec des émetteurs, que la discussion porte sur les contrats commerciaux, les analystes quittent immédiatement la pièce. C’est une politique qui est mise en œuvre de manière extrêmement rigoureuse. Il arrive également que certains analystes prennent un poste du côté commercial, mais l’inverse est très rare.

Pour ce qui est de savoir pourquoi nous notons la France alors qu’elle ne nous paye pas, nous estimons que la notation est un service que nous fournissons non seulement à la France mais, d’une manière plus générale, à l’ensemble des investisseurs. En tant qu’agence de notation de référence, il nous est impossible de ne pas noter la France, qui est un émetteur de très grande qualité et émettant des dettes d’un volume important.

Les analyses ne se préoccupent pas de savoir si la notation est sollicitée ou non, donc si les émetteurs payent ou pas. La méthodologie appliquée est la même dans les deux cas, et la charge de travail pour l’analyste est identique.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Quand vous attribuez une note à une entreprise ou à un souverain, vous êtes forcément conscients du fait que la publication de cette note va avoir des conséquences sur le comportement des acteurs économiques, donc sur l’économie elle-même. Intégrez-vous cette incidence dans vos modèles, et assumez-vous le fait que certaines de vos annonces – je pense évidemment aux abaissements de notes – peuvent avoir pour conséquence de mettre un pays à terre ? Par ailleurs, quand vous évaluez la dette française, en discutez-vous préalablement avec le ministre des finances ? Enfin, comment se fait-il que vous n’ayez pas vu venir ce qui s’est produit avec la dette grecque ?

M. Nicolas Sansu, rapporteur. On pourrait citer d’autres ratés survenus au cours des dernières années.

M. Patrice Cochelin. Notre méthodologie est publique et transparente, ce qui permet toujours d’expliquer pourquoi une note a changé, et sur la base de quels critères.

Pour ce qui est de l’incidence que la notation peut avoir sur le comportement de l’émetteur concerné, je rappelle que nous n’exprimons qu’un avis parmi de nombreux autres, et que cet avis est très technique et très ciblé : il se rapporte uniquement au risque de crédit, c’est-à-dire à la volonté et la capacité de l’émetteur de payer en temps et en heure le principal et les intérêts de sa dette. De nombreux autres facteurs entrent en jeu lorsque l’État s’interroge sur sa capacité à se financer et sur ce que cela va lui coûter. Il est clair que la notation n’est pas l’alpha et l’oméga en matière de coût du financement, et qu’elle n’entend pas l’être. On entend parfois dire que le fait d’avoir abaissé la note de la France n’a eu aucun effet sur les modalités de financement de la dette, ce qui est censé démontrer que la notation ne sert à rien. De notre point de vue, ces deux arguments contraires se neutralisent.

Pour ce qui est de la crise grecque, je rappelle que nous avons commencé à abaisser la note de la Grèce en 2004, c’est-à-dire bien avant que n’éclate la crise des dettes souveraines. Ayant mis en évidence des anomalies affectant la présentation des comptes, nous avions attribué la note A à la Grèce, alors que tous les autres émetteurs de la zone euro étaient notés AA ou AAA. Si l’on se réfère aux pays de la périphérie de l’Europe – ceux dont les notes ont le plus évolué, focalisant l’attention des marchés –, on observe que la notation a plutôt joué pour eux un rôle stabilisateur. Certes, ces pays ont subi un affaiblissement de leur crédit, dont nous avons rendu compte, mais leurs notes ont évolué de façon relativement modérée par rapport au coût de financement de leur dette, résultant essentiellement de l’appréciation des marchés, qui affirmaient que la grande majorité de ces pays étaient au bord du défaut de paiement : pour Standard & Poor’s, la plupart se situaient aux environs de BBB-, la dernière note de la catégorie « investissement » – alors que la note BB+, située juste en dessous, fait partie de la catégorie spéculative.

M. Charles de Courson. Vous n’avez pas répondu à ma question portant sur votre responsabilité, une question que nous avions déjà posée lors de la grande crise de 2008. Une agence de notation nous avait alors répondu n’avoir aucune responsabilité, mais une simple obligation de moyens, consistant à émettre une opinion en fonction des éléments existants. Pourtant, sur les marchés, ce n’est pas ainsi que votre notation est perçue : elle est bel et bien utilisée pour sécuriser les investisseurs, surtout les particuliers. De ce point de vue, votre responsabilité sociale et économique est nulle, contrairement à celle d’un expert-comptable qui, s’il a certifié des comptes qui se sont révélés faux, doit en répondre et en subit les conséquences : de grands cabinets d’audit en sont morts !

M. Jean-Michel Six. Précisément, nous ne sommes pas commissaires aux comptes, donc pas responsables de la véracité des comptes publics sur la base desquels nous établissons nos notations. Ainsi, Eurostat a révélé que les comptes soumis par la Grèce pour entrer dans la zone euro en 2000, qui avaient été examinés par cet organisme ainsi que par la Banque centrale européenne, contenaient un certain nombre d’inexactitudes. J’insiste sur le fait que notre travail ne consiste pas à vérifier les comptes qui nous sont soumis.

Par ailleurs, comme l’a dit Patrice Cochelin, nous ne sommes pas le seul indicateur de marché auquel les investisseurs puissent se référer pour obtenir un avis sur la qualité de crédit de tel ou tel émetteur, qu’il s’agisse d’un souverain ou d’une entreprise. Il nous arrive d’ailleurs fréquemment d’être en désaccord avec d’autres indicateurs de marché au sujet de la note attribuée à un émetteur. Vous nous avez demandé quel était notre rôle : il est modeste, et consiste essentiellement à essayer de fournir aux investisseurs – qu’il s’agisse d’institutionnels ou de fonds de gestion – des indications sur ce que nous estimons être la qualité de crédit de certains émetteurs.

Vous avez évoqué les particuliers, or nous ne nous adressons qu’aux marchés obligataires : le marché des actions ne nous concerne absolument pas.

M. Charles de Courson. Les particuliers peuvent acheter des obligations.

M. Jean-Michel Six. Certes, mais essentiellement en passant par des intermédiaires financiers.

M. Charles de Courson. Pas forcément.

M. Jean-Michel Six. Si c’est théoriquement possible, c’est compliqué en pratique, donc rare : la très grande majorité des particuliers passent par des fonds obligataires, qui se basent sur les évaluations de risques disponibles pour acheter ou non tel ou tel titre. Il existe des fonds intéressés par l’achat de titres présentant un haut niveau de risque, et certains sont même spécialisés dans ce type d’achats spéculatifs. Quand un particulier souscrit une assurance-vie – ce qui est le moyen le plus courant d’acheter des obligations –, il lui est demandé de préciser quel niveau de risque il est prêt à accepter. Un fonds risqué, c’est un fonds dont la note est relativement basse. La notation n’est pas un processus binaire, aux termes duquel on décrète que telle dette est bonne et telle autre mauvaise : échelonnée sur vingt crans, elle est le reflet d’une évaluation précise – granulaire, comme disent les analystes – et s’adressant à différents investisseurs, correspondant chacun à un niveau de risque spécifique. Certains investisseurs ont pour spécialité d’acheter « au fond du panier », c’est-à-dire qu’ils achètent de préférence des produits très risqués, donc très spéculatifs, qui pourront constituer d’excellentes affaires s’ils ne font pas défaut. La question de notre responsabilité doit donc s’apprécier sans perdre de vue que nous nous adressons à des investisseurs avertis : nous ne conseillons pas les particuliers, qui ont généralement une connaissance de la notation assez limitée.

M. Charles de Courson. Savez-vous si une agence de notation a déjà été condamnée pour défaillance dans la notation ? Je me suis laissé dire que cela n’était jamais arrivé. Confirmez-vous n’avoir qu’une obligation de moyens ?

M. Tony Stringer. FitchRatings n’a jamais eu d’amende à payer en raison de ce qu’elle aurait pu faire ou ne pas faire durant la crise. D’une manière générale, on assiste actuellement à une augmentation des poursuites judiciaires envers les agences de notation, mais cette tendance concerne les États-Unis plutôt que l’Europe.

M. Jean-Michel Six. Des agences, dont Standard & Poor’s, ont fait l’objet de procédures judiciaires concernant des notations de dette publique, mais leur responsabilité n’a pas été retenue.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Au moment de procéder à la notation d’un souverain, prenez-vous contact avec les ministres concernés et, plus généralement, avec les personnes ayant un haut niveau de responsabilité ?

M. Patrice Cochelin. Compte tenu de sa complexité, la notation souveraine est l’exercice au cours duquel nous prenons le plus d’opinions différentes. L’AFT est un interlocuteur permanent pour nous et, au besoin, il arrive que nous entrions en contact avec le ministre des finances, le ministre de l’économie, les responsables de la Banque de France, voire les partenaires sociaux.

M. Charles de Courson. Les propriétaires de Standard & Poor’s et de FitchRatings exercent-ils une influence sur le comportement de vos agences respectives ?

M. Patrice Cochelin. Je suis formel : la famille McGraw, qui est notre actionnaire historique, mais très minoritaire aujourd’hui, n’exerce aucune pression sur le fonctionnement de notre agence.

M. Charles de Courson. Qui sont vos actionnaires ?

M. Patrice Cochelin. Standard & Poor’s est une filiale de la société McGraw-Hill, qui est cotée en bourse – sans actionnaire dominant.

M. Tony Stringer. Pour Fitch, c’est un peu différent. Historiquement, nous étions détenus par la société FIMALAC, dirigée par Marc Ladreit De Lacharrière, mais FIMALAC s’est partiellement retirée de Fitch, dont elle ne détient plus que 20 % aujourd’hui. Les 80 % restants sont détenus par Hearst Corporation, un conglomérat de médias américains. Nous n’avons jamais subi la moindre interférence de nos actionnaires : ni FIMALAC, ni Hearst ne sont autorisés à participer à nos comités de notation, dont ils ne connaissent d’ailleurs pas à l’avance le lieu et la date.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. En ce qui concerne la méthodologie, vous vous référez aux facteurs objectifs que sont le niveau de dette ou la croissance du PIB, mais aussi à d’autres facteurs beaucoup plus subjectifs, notamment ce que vous désignez par l’expression la crédibilité des politiques économiques. J’aimerais savoir de quelle manière vous abordez ces facteurs subjectifs, en prenant un exemple volontairement caricatural. Si, par un heureux hasard, le Gouvernement décidait d’augmenter le SMIC de 5 % du jour au lendemain, quel effet cela aurait-il sur la notation : y verriez-vous un facteur positif ou négatif ?

De même, quand vous évoquez la flexibilité monétaire – il s’agit en fait de l’indépendance totale de la politique monétaire –, est-ce pour vous la seule politique susceptible d’avoir un effet positif, ou admettez-vous que d’autres politiques puissent avoir un effet bénéfique ? J’ai l’impression que vous effectuez vos notations en restant dans un couloir idéologique très étroit, ce qui s’est vérifié quand des alternances politiques se sont produites dans certains pays : on a alors pu constater que les agences de notation étaient très peu enclines à considérer favorablement d’autres propositions que celles constituant la doxa actuelle en Europe et dans le monde.

M. Patrice Cochelin. La crédibilité des politiques économiques ne fait pas partie des critères que nous prenons en compte.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Effectivement, c’est M. Stringer qui a utilisé cette expression.

M. Patrice Cochelin. Pour notre part, nous nous intéressons à la crédibilité de la politique monétaire, essentiellement afin d’évaluer l’efficacité de la politique de la Banque centrale européenne, qui fait partie des critères auxquels nous nous référons pour effectuer la notation des pays de la zone euro, notamment la France.

Pour ce qui est des évolutions politiques, elles ne sont pas de notre ressort : nous n’avons pas vocation à prendre part au débat public. Le politique est le principal moteur des changements survenant dans le pays, puisque les décisions prises par le Gouvernement ont un impact sur l’économie, et c’est seulement en ce sens que nous sommes amenés à nous y intéresser.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Quand vous dites dans la presse qu’il faudrait dérigidifier le marché du travail en France, n’est-ce pas la marque d’un choix politique ?

M. Patrice Cochelin. En disant cela, nous sortirions de notre rôle, c’est pourquoi nous ne l’avons jamais fait. Nous nous bornons à faire des constatations objectives, par exemple le fait que le chômage ne diminue pas en France.

M. Jean-Michel Six. Selon les chiffres publiés par Eurostat, au quatrième trimestre 2015, sur les vingt-huit pays de l’Union européenne, quatre pays – parmi lesquels la France est le plus important – n’ont pas connu de baisse du chômage. C’est ce type de constatation que nous pouvons être amenés à faire publiquement.

M. Tony Stringer. Un certain nombre de facteurs qualitatifs sont pris en compte dans les analyses auxquelles nous procédons. Aucun modèle de notation purement quantitatif ne pourrait apprécier l’ensemble des éléments utiles à la détermination de la note, c’est pourquoi il est inévitable que notre évaluation comporte un élément de jugement. Quand on évalue les politiques publiques, qu’elles soient monétaires, fiscales, ou économiques au sens large, ce qui nous intéresse, ce ne sont pas les politiques en elles-mêmes, mais leurs résultats. Cela dit, nous disposons d’un historique d’analyses des souverains dans le temps et l’espace, qui nous permet parfois d’illustrer le fait que certaines politiques sont plus susceptibles que d’autres d’apporter certains effets. En tout état de cause, nos analyses auront toujours pour focus le résultat des politiques mises en œuvre. De ce point de vue, nous n’avons pas de vision idéologique sur la relance ou la consolidation budgétaire, sur le laxisme monétaire ou la contraction de la politique monétaire.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Nous vous remercions pour vos interventions qui vont utilement éclairer les travaux de notre Commission.

——fpfp——