Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d’évaluation et de contrôle

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Mardi 8 mars 2016

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 13

Présidence de Mme Eva Sas, rapporteure

Les programmes d’investissements d’avenir (PIA) finançant la transition écologique

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Claude Andréini, président du PEXE, Mme Florence Jasmin, déléguée générale, M. Guillaume Ayné, délégué aux relations institutionnelles, M. Guy Herrouin, responsable stratégie du pôle de compétitivité Mer-Méditerranée et M. Thomas Toutain-Meusnier, délégué général de Durapole.

Mme Sophie Rohfritsch, rapporteure. Nous poursuivons les travaux de la mission en recevant une délégation des représentants et membres du PEXE (Partenariat pour l’excellence de la filière des éco-entreprises) : M. Jean-Claude Andréini, président et par ailleurs vice-président du comité stratégique de filière « éco-industries », Mme Florence Jasmin, déléguée générale, M. Guillaume Ayné, délégué aux relations institutionnelles, M. Guy Herrouin, responsable stratégie du pôle de compétitivité Mer-Méditerranée et M. Thomas Toutain-Meusnier, délégué général de Durapole, cluster de PME franciliennes éco-innovantes.

Cette audition doit nous permettre de mieux connaître le point de vue des PME et ETI (entreprises de taille intermédiaire) des éco-industries, représentées ici par des structures qui aident leurs membres à conduire des projets collaboratifs et à accéder aux financements.

Nous souhaiterions, madame, messieurs, savoir si les financements et les programmes du PIA vous paraissent adaptés aux besoins des différents secteurs de la transition écologique, et quelles sont les améliorations que vous préconiseriez.

Mme Eva Sas, rapporteure. Notre objectif est d’analyser l’impact des programmes d’investissement d’avenir sur l’activité des entreprises, particulièrement les PME et les ETI, et l’innovation. Nous nous interrogeons notamment sur la sous-consommation qui affecte parfois ces crédits et qui semble indiquer un manque de projets. Nous souhaitons ainsi dégager des pistes d’amélioration en vue du PIA 3, de façon que les programmes soient au plus près des besoins des entreprises.

M. Jean-Claude Andréini, président du PEXE. Nous avons prévu de vous présenter, du bottom-up, c’est-à-dire du vécu, par un panel de nos réseaux : clusters, pôles de compétitivité et fédérations professionnelles. Le PEXE réunit trente-cinq réseaux qui ont chacun des approches et des visions un peu différentes. Les représentants de nos réseaux ici présents vont vous apporter des témoignages concrets.

M. Guy Herrouin, responsable stratégie du pôle de compétitivité Mer-Méditerranée. Il existe deux pôles de compétitivité Mer : l’un pour l’Atlantique, en Bretagne, l’autre pour la Méditerranée. Nous sommes deux pôles jumeaux qui nous concertons pour l’instruction des projets.

S’agissant des PIA, nous sommes concernés par trois sujets : la biodiversité, avec le PIA Initiative PME-Biodiversité, le transport du futur, dont le navire du futur, et l’institut pour la transition énergétique (ITE) France Énergies Marines (FEM).

Les opérateurs en sont l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), la Banque publique d’investissement (BPI France) et l’Agence nationale de la recherche (ANR). L’ADEME, qui agit particulièrement sur les PIA transport du futur et biodiversité, s’est amélioré au cours du temps ; sa gestion est précise et très professionnelle. Nous avons en revanche peu de relations dans ce domaine avec Bpifrance, qui ne s’appuie pas vraiment sur les pôles de compétitivité. Nous sommes enfin partenaires de l’ITE France Énergies Marines – nous accompagnons les appels à projet, nous stimulons les réponses… – mais nous n’avons pas de relations directes avec l’ANR, qui finance les appels à projet. L’ITE est actuellement en phase de transition ; il n’est pas encore abouti, son financement repose sur les régions et les adhérents.

Les crédits sont à notre avis correctement engagés. L’appel à projets pour la biodiversité est récent : la clôture de la première phase a eu lieu en octobre, celle de la deuxième phase en février. J’ai participé à l’élaboration de ce programme, dont la mise en place a été un peu difficile car il a fallu d’abord montrer que la biodiversité pouvait correspondre à un marché. L’engagement des crédits est lui-même très récent.

Mme Eva Sas, rapporteure. Pouvez-vous donner des exemples de ce en quoi la biodiversité est un marché ?

M. Guy Herrouin. L’observation de la biodiversité engendre des besoins de sondeurs, de caméras – c’est-à-dire de capteurs – permettant de juger si elle se dégrade ou s’améliore. De même, la restauration de la biodiversité est possible grâce à des techniques relevant du génie écologique côtier, une filière émergente dans laquelle la France a de très bons acteurs et qui exporte. Il peut s’agir de la restauration de la biodiversité dans un port, par exemple. Tout ceci engendre des marchés, mais il a fallu le prouver et c’est en cours de confirmation.

M. Jean-Claude Andréini. Pour toutes les infrastructures, des travaux compensatoires sont réalisés afin de restaurer l’impact négatif sur l’environnement : crapauducs, reconstitution de zones humides dégradées… De même, le long des rivières, il faut reconstituer les rives. Ces travaux sont nombreux et demandent beaucoup de compétences.

M. Guy Herrouin. Un tel PIA est aujourd’hui bien dimensionné pour les PME. Ce sont des projets courts, d’un an ou un an et demi, avec un budget pouvant atteindre 400 000 euros, ce qui convient bien à des PME, en réalité surtout des TPE. L’aide de l’ADEME correspond à 50 % des dépenses éligibles, soit au maximum 200 000 euros : les entreprises doivent investir à hauteur de l’autre moitié. Ce sont des projets portés par une seule PME, les autres étant sous-traitants. Il ne s’agit donc pas de projets collaboratifs et la responsabilité en est, en réalité, portée par une seule entreprise. Le montant de fonds propres a été abaissé entre le premier et le second appel d’offres car l’ADEME a été à l’écoute de nos réflexions. Vingt projets ont été présentés au premier appel, une cinquantaine au second. Sur le transport du futur également, un apprentissage a eu lieu entre le premier et le second appel d’offres.

M. Thomas Toutain-Meusnier, délégué général de Durapole. Durapole est une association loi 1901 créée en novembre 2009 à l’initiative de cinq chefs d’entreprise, de la ville de Paris et de la structure Scientipôle Initiative qui accompagne l’émergence de projets innovants, dans l’idée de fédérer les entreprises innovantes dans le domaine des écotechnologies en Île-de-France. Elle a deux missions principales : la promotion des innovations auprès des prescripteurs et l’accès au marché de ces innovations pour les PME.

Durapole fédère aujourd’hui une cinquantaine d’entreprises domiciliées en Île-de-France, avec un profil moyen de quinze à trente salariés, pour à peu près 1 million de chiffre d’affaires. Ces entreprises sont toutes reconnues pour leur activité d’innovation, que ce soit par le biais du statut de jeune entreprise innovante, la déclaration de crédit Impôt recherche (CIR) ou des distinctions dans différents concours, tels que celui du ministère de l’enseignement et de la recherche ou encore, dernièrement, une sélection de start-up en faveur de solutions pour le changement climatique, au cours de laquelle 200 PME ont été référencées, dont dix font partie du réseau de Durapole. Nos entreprises sont actives dans diverses filières, que je regrouperai dans les quatre grandes filières eau, air, énergie, déchets. Certaines entreprises, notamment dans les énergies renouvelables et la métrologie environnementale, sont présentes sur les cinq continents.

L’objectif de Durapole est de promouvoir ces acteurs, de leur donner des opportunités de démontrer la pertinence de leur activité, et de les amener à travailler ensemble car ces entreprises développent souvent des briques technologiques ou des solutions qui s’inscrivent dans un procès plus global.

En ce qui concerne le PIA, mon témoignage portera sur le dernier PIA sur l’eau et retracera les retours plus individuels de nos membres.

Nous avons essayé de monter un consortium sur l’appel à projets dans le cadre du PIA sur l’eau. Nous avons reçu un écho très favorable de la part de l’ADEME, depuis la note d’intention jusqu’aux questions complémentaires. L’agence nous semble être un opérateur tout à fait adapté pour le soutien à ce type d’appels.

Quatre entreprises de notre réseau souhaitaient répondre, pour un travail sur le traitement in situ des eaux usées en vue d’une réutilisation en activité maraîchère et urbaine. Le premier frein identifié a été le ticket d’entrée à 500 000 euros. Il a donc été créé un groupe de travail, piloté par le pôle, afin de trouver des acteurs complémentaires. Le consortium incluait alors la ville de Paris ainsi qu’un promoteur immobilier. Cependant, nous n’avons pu aller au bout de la réponse pour des questions de délai, la construction de ce consortium ayant pris du temps.

Si les PME ont vu dans ce programme une opportunité de promouvoir leur innovation, elles n’avaient pas la possibilité d’y entrer individuellement et se retrouvaient dès lors en position de sous-traitants pour des acteurs qui avaient, eux, le ticket d’entrée.

Par ailleurs, la formule de l’avance remboursable est également un frein pour les PME, surtout quand elle est à hauteur de 80 % du montant total de l’aide comme c’était le cas dans ce PIA.

Les PME ont donc besoin de plafonds plus bas pour devenir de vrais partenaires des projets. Elles ont aussi besoin d’un accompagnement à la structuration des projets, car elles n’ont pas forcément en interne les ressources nécessaires à ce type de montages qui sont chronophages. Il faut, enfin, continuer d’améliorer les relations avec les donneurs d’ordres.

En ce qui concerne les retours directs des PME, je rejoins ce qu’a dit M. Herrouin : les initiatives PME sont bien mieux dimensionnées, en termes aussi bien de montants que de délais, pour les PME, et nous avons d’ailleurs une PME qui a pu répondre sur le PIA biodiversité. Néanmoins, la question du travail collaboratif reste posée car la responsabilité est portée par une seule entreprise, ce qui peut être un frein à l’engagement de petites structures qui doivent supporter le risque des partenaires.

Mme Sophie Rohfritsch, rapporteure. Votre cluster n’a permis à aucun projet d’émarger à un programme du PIA ?

M. Thomas Toutain-Meusnier. Des adhérents ont répondu de façon individuelle à des initiatives PME mais, au niveau du PIA classique, sur des apports de consortium, aucune PME du cluster n’a réussi à entrer dans des projets.

Mme Eva Sas, rapporteure. C’est à cause des freins que vous avez évoqués : les avances remboursables et la difficulté de s’organiser collectivement ?

M. Thomas Toutain-Meusnier. La notion d’avance remboursable est clairement un frein pour les PME, mais le principal obstacle est le montant du ticket d’entrée.

Mme Sophie Rohfritsch, rapporteure. Comment Durapole est-il financé ?

M. Thomas Toutain-Meusnier. Nos financements proviennent de la délégation régionale de l’ADEME, de la ville de Paris, de la cotisation de nos membres et des services mutualisés que nous mettons en place.

Mme Eva Sas, rapporteure. Sans l’existence de Durapole, les entreprises n’auraient pas essayé de soumissionner ?

M. Thomas Toutain-Meusnier. L’objectif de Durapole est de faciliter la mise en place de projets collaboratifs et nous pouvons en effet considérer que, sans cette aide, il aurait été plus compliqué encore pour ces entreprises de constituer ne serait-ce que les premières étapes du dossier.

M. Guy Herrouin. L’important, pour les PME, c’est de savoir s’il s’agira d’une subvention ou d’une avance remboursable. Dans le PIA biodiversité, ce sont des subventions, à hauteur de 50 %, car il a été considéré que les marchés étaient incertains et que le risque était grand. Je pense que c’est la bonne formule. Dans le PIA transport, c’est un mélange d’avances remboursables et de subventions, en fonction notamment de la taille des entreprises, et nous avons constaté que, dans la mesure où les marchés sont plus identifiables, l’avance remboursable n’était pas un obstacle. Plusieurs entreprises du pôle ont d’ailleurs candidaté et ont été retenues.

Dans le PIA biodiversité, j’ai déjà mentionné le nombre de soixante-dix réponses aux deux appels d’offres, dont une douzaine d’adhérents du pôle. Sur ces derniers, quatre sur quatre ont été retenus au premier appel, et nous attendons les résultats du second.

Le travail des pôles de compétitivité est important dans ce domaine. Il faut montrer aux PME en quoi consistent ces aides, leur expliquer que les investissements d’avenir sont un emprunt d’État qui devra être remboursé et qu’il faut donc que l’activité engendre du profit. Elles le comprennent, mais c’est différent des projets du Fonds unique interministériel (FUI) où la part de recherche et développement est importante. Nous aidons les entreprises à accéder à des marchés, à partir de démonstrateurs, et nous avons constaté que l’accompagnement du pôle était fondamental. L’instruction de chacun de ces projets a demandé du temps au pôle. Les pôles de compétitivité sont financés par l’État, les collectivités, les adhérents, mais ce travail d’accompagnement n’est pas identifié en tant que tel, et nous le regrettons.

M. Jean-Claude Andréini. Les pôles de compétitivité sont, sur ce sujet, plutôt bien lotis, si on les compare à Durapole, une initiative d’entreprises.

Mme Sophie Rohfritsch, rapporteure. Durapole n’est pas un pôle.

M. Jean-Claude Andréini. Certes, mais il a la même activité de développement dans le domaine de l’innovation. Il y a dans le PEXE de nombreux clusters conduisant des activités de pôle sans avoir cette dénomination ni recevoir les subventions que reçoivent ceux-ci. Durapole réunit des entreprises performantes mais n’a pas autant de moyens que les pôles pour les faire accéder aux filières.

Mme Sophie Rohfritsch, rapporteure. Les clusters sont souvent des préfigurateurs de pôles. La labellisation des pôles a été la première étape en 2005 pour amener les laboratoires et les entreprises à se parler, et promouvoir les transferts de technologie. Il va falloir réfléchir à un nouveau modèle économique, avec des prestations payantes, l’abandon du tout gratuit, des avances remboursables plutôt que des subventions. Le cluster a sa légitimité dans une phase très en amont mais, une fois que le réseau est devenu pertinent, il faut réfléchir à une transformation en pôle. Ce n’est pas un conseil que je vous donne mais une réflexion macroéconomique. Le cluster n’est peut-être pas le bon moment du réseau pour émarger au PIA.

M. Charles de Courson. Pourquoi ne vous êtes-vous pas intégrés dans un pôle de compétitivité ?

M. Jean-Claude Andréini. La genèse de la filière des éco-entreprises remonte à une vingtaine d’années. Les premiers chefs d’entreprise, dont j’étais, ont créé des clubs parce qu’il n’existait aucun réseau. Je suis par exemple à l’initiative du club ADEME International visant à faire travailler ensemble des entreprises de l’environnement intéressées par l’export. Il n’existait pas à l’époque de pôles de compétitivité.

Le second type d’initiatives, ce sont des initiatives politiques : Mme Blandin dans le Nord, Mme Royal dans sa région, ont considéré que l’écologie était un relais de croissance potentiel. Mme Blandin a créé, avec un petit club d’entreprises, la structure CD2E (Création Développement Éco-Entreprises) rassemblant aujourd’hui 650 entreprises qui ne demandent rien à personne et progressent par le partage de bonnes pratiques et l’ancrage territorial, sans nécessairement faire ce que font les pôles, à savoir un travail sur l’innovation. Le développement de l’innovation ne se résume pas à cette dernière : c’est aussi le financement, l’export, la réglementation…

Dans leurs territoires, les chambres de commerce ont elles aussi décidé que l’environnement pouvait être un relais de croissance, et elles ont créé des clusters : Bretagne Éco-Entreprises, Lorraine Éco-Entreprises, Alsace Éco-Entreprises… L’État, en dernier, a créé des pôles de compétitivité dotés de moyens de fonctionnement.

Le PEXE a voulu rassembler différentes initiatives, qui se sont chacune donné des missions particulières, qui l’innovation, qui l’export, qui la promotion d’un métier spécifique… Les pôles ne sont pas les seuls acteurs. Dans notre système, nous faisons du bottom-up. Nous sommes par exemple à l’origine de la création d’un syndicat sur l’air, de même que du syndicat des entreprises de la biodiversité. Nous sommes partis de la démarche individuelle des entreprises. Les pôles de compétitivité sont une démarche de l’État, d’ailleurs aujourd’hui assez branlante car leurs moyens ont été réduits.

M. Charles de Courson. Puisque vous étiez plus anciens que les pôles, pourquoi, quand ceux-ci ont été créés, n’êtes-vous pas allés voir les représentants de l’État pour demander à être érigés en pôle ? C’est ce que nous avons fait en Champagne-Ardenne.

M. Jean-Claude Andréini. L’État ne nous a pas posé la question. Il a créé le Conseil national de l’industrie, avec quatorze filières. Je suis président d’une des filières. Un jour, trente-quatre plans industriels ont été présentés, puis neuf solutions… L’État a une continuité compliquée, chaque nouveau gouvernement entraîne des changements. C’est pourquoi je conseille aux réseaux de ne rien attendre de l’État. Le PEXE travaille avec les moyens que nous trouvons nous-mêmes. L’État ne nous aide pas.

Nos clusters sont souvent de petites entreprises qui se structurent. Ma proposition pour faire évoluer les PIA consiste donc en ceci. Quand les appels à projets sont lancés, y répondent ceux qui ont l’habitude : les grands groupes, les ETI et les grosses PME. Aujourd’hui, ce stock de quelques centaines d’entreprises ayant été épuisé, il faut aller chercher dans le potentiel des milliers d’autres éco-entreprises existantes, et cela devra passer par les réseaux. Plutôt que de créer un guichet, il faudra être proactif. Les bons financiers vont chercher la pépite avec leur loupe. Ce travail de recherche passe par les réseaux. À défaut, on aura toujours les mêmes bénéficiaires.

La deuxième série de freins, ce sont le niveau d’accès et le système de financement. Si les grands groupes ont de la trésorerie, les PME ne trouvent pas d’argent et manquent de trésorerie. Pour atteindre le plus grand nombre, il faut donc diminuer la granulométrie. Il convient donc de ne pas juger les opérateurs seulement sur les volumes engagés, car ils ont alors tendance à décaisser gros et vite, donc à faire de grosses opérations, mais aussi sur le nombre : non plus cent, mais mille entreprises, et ce afin d’industrialiser l’innovation. C’est une autre façon de voir les choses.

M. Guillaume Ayné, délégué aux relations institutionnelles du PEXE. Nous avons composé la présente délégation avec les acteurs qui sont aux côtés des éco-entreprises : pôles de compétitivité, clusters, organisations professionnelles qui ont des perceptions différentes. Le Gimélec s’excuse de ne pouvoir être représenté.

L’objectif du PIA, comme d’une politique d’innovation en général, est de créer de l’emploi et de l’activité économique dans notre pays, donc que des PME deviennent des ETI et que ces ETI deviennent demain des champions mondiaux.

Le premier constat commun, c’est la justesse du positionnement du PIA. La difficulté, en France, c’est que, si la rechercher et développement y est de très grande qualité, il existe entre celle-ci et la commercialisation une véritable vallée de la mort. Le PIA répond en partie à cette problématique.

Le pôle Mer a eu la chance d’être consulté sur l’élaboration des programmes le concernant, mais d’autres, comme Trimatec ou encore le pôle Eau, n’ont été consultés ni sur le périmètre thématique, ni sur le procès. L’initiative PME biodiversité est l’exemple de ce qui marche : une vraie concertation a eu lieu avec l’Union professionnelle du génie écologique (UPGE) et les pôles de compétitivité concernés. En revanche, alors que le Comité stratégique des économie-industries (COSEI) regroupe quasiment tous les acteurs, ni lui, ni le Gimélec n’ont été consultés sur les grands démonstrateurs GreenLys ou Smart Electric Lyon, ni sur l’I-PME SmartGrids. Ce sont pourtant des acteurs qui connaissent leurs entreprises et les accompagneront, et qui connaissent par ailleurs les marchés.

M. Jean-Claude Andréini. Alors qu’il travaille sur le sujet de l’efficacité énergétique depuis longtemps, avec un groupe de travail dédié, le COSEI n’est pas consulté quand un appel à projets est réalisé.

M. Guillaume Ayné. Le sentiment des uns et des autres est que la consultation des acteurs en amont est à géométrie variable, en fonction des gens aux responsabilités, notamment au sein du Commissariat général à l’investissement (CGI). La question d’une normalisation du procès est donc posée.

Une autre question est celle de la reconnaissance des acteurs collectifs. Peuvent-ils être partie aux consortiums ? Pourraient-ils être éligibles aux financements ? La problématique se pose de façon différente selon qu’il s’agit d’une organisation professionnelle, d’un cluster ou d’un pôle, mais elle est nous remontée par tous.

En ce qui concerne les procédures, l’ADEME a entendu les problématiques des PME. C’est ainsi que les programmes sont passés de 80 % d’avances remboursables et 20 % de subventions, à 50-50 sur les initiatives PME. De même, les contributions de 500 000 euros ont été abaissées à 200 000 euros. Cela a pour effet cependant de cantonner les PME, ou les consortiums, à de petits projets, alors que l’enjeu est de faire croître ces PME pour qu’elles deviennent des ETI.

Parmi les allocataires du PIA, les grands groupes sont surreprésentés, même par rapport à la densité du tissu économique. Les ETI s’en sortent bien, c’est-à-dire quelques grosses PME qui ont en interne les moyens de faire face à la lourdeur de la procédure et au temps requis. Tout le reste du champ du tissu productif – soit 12 000 éco-entreprises, moins les quelque soixante ETI et une cinquantaine de grands groupes – et donc l’écrasante majorité de l’emploi, reste en dehors.

Le PIA a suscité un intérêt extrêmement grand. Dans le domaine du traitement des sites et sols pollués, par exemple, où la Belgique et l’Allemagne captent quasiment tous les marchés, des PIA très ambitieux ont été présentés, ce qui a suscité l’espoir de se repositionner et de rattraper le retard. Cet enthousiasme est aujourd’hui frustré et il est plus difficile de rétablir la confiance dans ces conditions. D’où l’importance de la concertation avec tous les acteurs, et pas seulement avec les pôles.

Mme Eva Sas, rapporteure. Il me semble en effet que rendre l’intégration en pôle obligatoire serait une régression.

Vous dites que le marché des sites et sols pollués est capté par la Belgique et l’Allemagne ?

M. Jean-Claude Andréini. Je parlais du traitement des terres excavées qui sont exportées en Belgique pour y être traitées car c’est moins cher qu’en France. C’est un problème.

M. Charles de Courson. Le constat est le même pour la plupart des grandes aides publiques : elles vont aux grands groupes. Ces derniers ont des structures, certains ont des effectifs dédiés à ces procédures, et en outre les personnes qui instruisent ces dossiers passeront souvent, un ou deux ans plus tard, de l’autre côté.

M. Jean-Claude Andréini. Dans la culture de notre pays, il existe une perméabilité entre la haute administration et les grands groupes. Il y a vingt ans, dans le secteur de l’environnement, il existait deux grands groupes, Veolia et Suez. J’avais créé une PME et je me battais. J’ai cherché à savoir combien nous étions dans le même cas. Le périmètre de l’environnement, ce sont les entreprises qui préviennent ou réparent les atteintes à l’environnement : nous sommes 12 000. En dehors de l’appareil d’État et des grands groupes, qui fonctionnent très bien, notamment pour l’export, il existe une autre France, sur les territoires.

De nombreuses initiatives avaient été lancées. J’ai déjà cité Mme Blandin ; à l’époque, on s’en moquait, on disait qu’on ne ferait pas des métiers avec l’environnement. Nous, nous avons inventé l’économie latérale réelle : nous avons structuré ces acteurs qui étaient sous les radars et qui sont aujourd’hui réunis dans trente-cinq clusters. Nous fonctionnons selon le principe de subsidiarité : nous ne nous substituons à aucun d’entre eux, et nous avons réussi à nous développer sans prendre à aucun moment la mission qu’ils s’étaient donné à eux-mêmes. C’est d’ailleurs nous que vous avez invités aujourd’hui ; c’est une forme de reconnaissance. Nous représentons 6 000 des 12 000 éco-enteprises et nous représentons la filière.

L’État n’a pas encore fait son miel de notre expérience, mais on y est presque. Je suis devenu président du COSEI. Le COSEI et le PEXE se rapprochent. Nous avons produit un Guide du financement des éco-entreprises, parce que, entre le COSEI, les pôles de compétitivité, le plan Montebourg, le plan Macron…, les entreprises n’y comprennent rien. Nous avons un rôle fondamental de structuration de la filière et nous nous débrouillons par nous-mêmes, avec deux salariés, moi-même étant bénévole. Les Allemands auraient mis 10 millions d’euros dans une structure comme le PEXE. Pour développer les filières, il n’y a aucun financement des réseaux, nous nous adressons directement aux entreprises.

M. Guillaume Ayné. J’ai mené une étude sur les clusters au niveau européen. Les Allemands, les Autrichiens, les Danois ont des clusters extrêmement puissants, portés par les chambres de commerce, les Länder et l’État. La différence avec notre pays est manifeste. Le plus gros acteur collectif en France est un pôle de compétitivité de vingt-quatre salariés ; en Allemagne, la moyenne est de cinquante salariés. Le cluster est le parent pauvre de notre politique de développement économique.

Mme Florence Jasmin, déléguée générale du PEXE. Mon témoignage concernera les sites et sols pollués. Un appel à manifestation d’intérêt (AMI), clos en novembre 2011, portait sur les solutions innovantes de dépollution et de valorisation des sites et des sédiments, pour un montant global de 6 millions d’euros. Il était assez difficile pour les PME d’y répondre. Seuls trois projets ont émergé et le budget global de l’AMI n’a pas été utilisé. Ce sont pourtant des sujets très intéressants dans une politique d’aménagement durable. L’entreprise EODD qui coordonnait l’un des trois projets, le projet Bioxival, regrette qu’il n’y ait pas d’autre AMI prévu sur les sites et sols pollués. Nous avons d’ailleurs réalisé l’an dernier, à la demande de l’ADEME, une étude sur l’innovation dans ce domaine : il n’y quasiment plus de recherche.

Mme Eva Sas, rapporteure. Il faudrait analyser pourquoi si peu de projets ont été présentés dans le premier AMI. Il est compréhensible que les pouvoirs publics ne relancent pas un AMI si le résultat doit être le même.

Mme Florence Jasmin. Les entreprises n’étaient pas suffisamment mobilisées, il y a eu des problèmes de communication et les montants étaient problématiques.

Le groupe de travail sur la biodiversité du COSEI a engagé, il y a plus d’un an et demi, une étude pour identifier les acteurs du génie écologique au niveau national. Quand le PIA biodiversité a été lancé, nous connaissions les entreprises et cela a été beaucoup plus facile de les informer. Le PEXE a conduit un important travail de relais. Nous avons organisé une réunion, labellisée COP21, sur le littoral en juin dernier, où nous avons invité le ministère de l’écologie. Avant même le lancement du PIA, nous avons pu mettre en relation les pôles, les clusters, les laboratoires de recherche, les PME, et cela a très bien fonctionné car cela a permis aux entreprises d’anticiper. C’est le seul cas où nous avons vraiment travaillé main dans la main avec l’ADEME et le ministère.

M. Charles de Courson. Pourquoi le seul ?

Mme Florence Jasmin. Parce que nous connaissions bien les interlocuteurs du ministère et de l’ADEME qui travaillaient sur ces sujets.

M. Guy Herrouin. Un autre exemple qui marche bien, et pour les mêmes raisons, c’est le navire du futur. Les appels du PIA se sont très bien passés car les entreprises étaient représentées soit directement, soit par le biais du Conseil d’orientation de la recherche et de l’innovation pour la construction et les activités navales (CORICAN), une association professionnelle, ou du pôle de compétitivité. Ces deux exemples montrent que cela marche bien quand les professionnels sont associés dès le départ.

M. Jean-Claude Andréini. Il faut préparer l’écosystème entre les entreprises et les financeurs. La filière du génie écologique n’existait pas il y a deux ou trois ans ; nous l’avons montée de toutes pièces et elle est devenue dynamique. Elle a été efficace sur le PIA car il y a eu symbiose entre les professionnels et les concepteurs du projet.

Vous nous avez envoyé une question sur les besoins auxquels le PIA doit répondre pour les filières éco-industrielles. Le PIA doit répondre à la demande des entreprises, cela doit venir de la base. Il faut donc faire remonter les demandes. Sur les sols pollués, un AMI raté, il faut voir avec les professionnels ce qui s’est passé et comment on pourrait procéder.

Comme je l’ai dit, une fois épuisé le premier stock de sociétés disponibles, pour atteindre le stock suivant, la méthode doit être différente. Il faudrait voir comment un réseau comme Durapole pourrait placer dix de ses PME et TPE dans les PIA. Au lieu de juger les opérateurs par les montants engagés et la vitesse de l’engagement, je propose de les juger par le nombre d’opérations, de façon à industrialiser le processus et à passer à la granularité inférieure. Cela obligera à simplifier encore et à se servir de l’intermédiation, des réseaux, donc à aller dans les territoires. Pour cela, l’ADEME est bien placée car elle est régionalisée.

Je souhaite une continuité entre PIA 1, PIA 2, PIA 3. Il ne faut pas inventer un nouvel opérateur à chaque fois, ce qui nécessiterait un nouvel apprentissage des uns et des autres. L’ADEME, au début, n’était pas bonne, mais elle arrive aujourd’hui à prendre une décision en trois mois, à contractualiser en deux mois et à payer la redevance de démarrage de 15 % en quinze jours : c’est un gain de temps de plus de cinq mois. Cela fait toujours six mois mais ce n’est déjà pas mal.

Ce sont des professionnels du secteur. L’ADEME a un comportement différent de celui de la BPI. Elle travaille sur la filière alors que la BPI s’interdit de définir des filières. L’ADEME a plutôt une vision de long terme alors que la BPI se comporte comme un banquier et demande un retour sur quatre ou cinq ans comme n’importe quel financeur. Les deux sont parfois en compétition, notamment sur des opérations de montée en capital mais ce n’est pas très grave du point de vue des entreprises. L’ADEME a appris ce qu’étaient la finance et le capital. Dans le financement de l’innovation, il y a aussi le financement du capital, et elle a créé des sociétés de projet. C’est une excellente chose ; l’ADEME prend le risque avec les entreprises. C’est à développer.

En ce qui concerne l’ANR, je ne vous cache pas que je n’ai pas du tout apprécié les ITE. Sur les sols pollués, dans le traitement nouvelle version par les ITE, l’approche est uniquement académique : les entreprises sont absentes. J’ai été président, à l’ANR, du programme ECOTECH ; je faisais en sorte que les entreprises émargent beaucoup à l’ANR et soient proactives. Dans la nouvelle version, le contact avec le monde industriel a disparu, au point que j’ai même vu une feuille de route émanant d’un ITE sans le mot « entreprise ».

Le COSEI, une structure déjà ancienne, vient des états généraux de l’industrie, d’où est née l’idée qu’il fallait travailler avec trois parties prenantes : les syndicats, les entreprises et les pouvoirs publics. Quatorze filières ont été créées, dont la filière des éco-entreprises, mais, au lieu de poursuivre dans cette voie, trente-quatre plans ont un jour été présentés. J’ai compris par la suite que ce qu’on appelait des plans industriels étaient en fait non pas des plans mais des projets. On m’avait confié le « plan » industriel Énergies renouvelables et j’ai donc fait un plan, c’est-à-dire j’ai interrogé les entreprises – certaines m’ont dit qu’elles voulaient de l’augmentation de capital, d’autres qu’elles voulaient aller à l’export, d’autres demandaient un changement réglementaire… – et j’ai produit quarante et une actions, dont la principale était l’export et la prise de parts de marché. M. Macron a alors annoncé que les trente-quatre plans étaient transformés en neuf solutions, et il m’a demandé de réintégrer mon plan dans le COSEI. Le plan industriel a donc trouvé sa vraie place, il est géré par le COSEI énergies renouvelables, qui est centré sur l’export.

Parmi les autres activités des trente-quatre plans de M. Montebourg, certaines se développent autour de la ville durable, comme la solution ville durable dans laquelle on trouve l’eau, les déchets, les bâtiments… Je me rends demain, au titre du COSEI, à une réunion de ce qu’on appelle la Nouvelle France Industrielle ; je cherche à comprendre qui fait quoi. Heureusement que nous nous parlons bien avec les industriels et que l’administration fait bien les liens, car il faut éviter les doublons. De nombreuses initiatives existent sur la ville durable ; le COSEI, par exemple, est à l’initiative de Vivapolis, ville durable, à l’export.

Mme Eva Sas, rapporteure. Merci pour la clarté de vos apports et la nature concrète des pistes que vous dégagez. Je pense que cela nous aidera beaucoup dans nos recommandations. Nous avons mieux compris les besoins des PME et des ETI, la nécessité de les associer en amont dans la construction des appels à projet, le besoin de rationalisation et de mise en cohérence des plans d’action. Si vous avez des documents supplémentaires, n’hésitez pas à nous les adresser.

——fpfp——