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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 22 novembre 2012

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 03

Présidence de M. Pierre Morange, coprésident

– Auditions, ouvertes à la presse, sur « les arrêts de travail et les indemnités journalières versées au titre de la maladie » :

– Présentation de la communication de la Cour des comptes à la MECSS sur « Les arrêts de travail et les indemnités journalières versées au titre de la maladie » : M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, M. Michel Braunstein, conseiller maître président de section, et Mme Myriam Métais, rapporteure

– Audition de Mme Valérie Delahaye-Guillocheau, chef de service à la direction générale du travail au ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, et Mme Clélia Delpech, chef du bureau de la politique et des acteurs de la prévention

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 22 novembre 2012

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de M. Pierre Morange, coprésident de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition, ouverte à la presse, de M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, M. Michel Braunstein, conseiller maître président de section, et Mme Myriam Métais, rapporteure, sur leur communication sur « Les arrêts de travail et les indemnités journalières versées au titre de la maladie ».

M. le coprésident Pierre Morange. Je remercie le président Durrleman et ses collègues de nous présenter leurs travaux relatifs aux arrêts de travail et aux indemnités journalières versées au titre de la maladie.

Sous la précédente législature, la MECSS a conduit des travaux sur la fraude sociale et, à l’automne 2011, des débats ont eu lieu sur l’instauration d’un jour de carence dans la fonction publique. C’est dans ce contexte qu’en décembre 2011, la MECSS a décidé de se pencher sur la question des dépenses liées au versement de prestations en espèces sous la forme d’indemnités journalières en cas d’arrêt de travail pour maladie ou accident du travail. Dans ce cadre, elle a demandé à la Cour des comptes de lui apporter son expertise. En juillet 2012, la Cour a donc présenté les résultats de ses travaux.

Au cours de la réunion du 17 octobre dernier, la Commission des affaires sociales a désigné Mme Bérengère Poletti comme rapporteure de cette mission qui devrait rendre ses conclusions fin février 2013.

Les indemnités journalières (IJ) représentent une dépense importante pour la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). En 2011, elles ont représenté 6,3 milliards d’euros pour la maladie et 2,5 milliards d’euros pour les accidents du travail, soit un total de 8,8 milliards d’euros. C’est une dépense importante et surtout dynamique puisque les IJ ont progressé de 47 % entre 2000 et 2010 et de 2,2 % en 2011.

J’ai relevé dans le rapport de la Cour des comptes quelques points sur lesquels je souhaite, monsieur le président de la sixième chambre, que vous nous apportiez des précisions et que vous nous fassiez des propositions. Vous constatez l’hétérogénéité des dispositifs de couverture des arrêts de travail liés à la maladie, ce qui génère une inégalité entre salariés. Par ailleurs, vous suggérez de simplifier et d’homogénéiser la réglementation en matière d’arrêts de travail. Enfin, vous soulignez la nécessité d’instaurer un meilleur pilotage des politiques de contrôle par les caisses primaires, ces politiques souffrant, selon vous, d’un ciblage insuffisant, de l’absence d’un référentiel commun et de difficultés à échanger des données avec d’autres administrations.

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Je remercie les représentants de la Cour des comptes pour le travail intéressant qu’ils ont effectué sur ce sujet d’actualité. Nous avons en effet envisagé, l’année dernière, de modifier les modalités d’attribution des jours de carence qui s’appliquent aux indemnités journalières. Notre démarche a permis de relever quelques idées reçues, en particulier s’agissant de la différence entre le secteur privé et le secteur public. Les choses ne sont pas aussi simples qu’elles paraissent. Quoi qu’il en soit, il est intéressant, dans une période de crise et de déficit des comptes sociaux, de chercher à mieux appréhender cette dépense dynamique que constitue le versement d’indemnités journalières.

Le rapport de la Cour des comptes fait apparaître d’importantes différences géographiques : en 2010, alors que le nombre de jours d’arrêts de travail dans notre pays s’élève en moyenne à 9,1 jours par salarié et par an, il est de 2,7 jours en région parisienne et de 13 jours dans le département du Var, et entre certaines villes, on observe un rapport de 1 à 4. Quelle est la raison d’un tel écart ?

Des différences se manifestent également sur le plan de la durée des arrêts de travail : en moyenne, 11 % des arrêts de travail ont une durée supérieure à trois mois, mais en Corse ce pourcentage est de 17 %.

Les pathologies et les prescriptions présentent elles aussi des différences importantes sans que l’on en comprenne toujours la raison. Je note, par exemple, que, pour l’opération de la cataracte – dont je croyais qu’elle apparaissait à l’âge de la retraite –, la durée de l’arrêt de travail est de 6 jours pour 25 % des patients, mais excède 34 jours pour 20 % d’entre eux.

Il nous faudra aussi, dans le cadre de notre mission, aborder la question de la responsabilité des médecins prescripteurs, car si un médecin généraliste prescrit en moyenne 2 700 jours d’arrêt maladie, les 10 % des plus gros prescripteurs prescrivent à eux seuls 7 900 jours d’arrêt maladie !

Enfin, vous soulignez l’insuffisance de la politique de contrôle, bien que le nombre de contrôles soit en légère augmentation depuis 2003.

M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. Ce rapport nous a donné l’occasion de procéder à une analyse complète de la question des arrêts de travail et des indemnités journalières. Celles-ci pèsent lourd dans les finances publiques puisqu’elles représentent 10 % de l’enveloppe des soins de ville et connaissent, depuis plusieurs années, une progression très dynamique, en dépit d’un sensible infléchissement en 2011 et en 2012. Celui-ci est sans doute lié au plafonnement de l’assiette du salaire à 1,8 SMIC, mis en place l’an dernier pour réaliser une économie de l’ordre de 200 millions d’euros par an, et à la détérioration de la conjoncture économique qui incite les salariés à ne pas recourir aux arrêts maladie.

Le sujet des indemnités journalières est effectivement peu documenté et nécessite des investigations complémentaires. Le premier point à approfondir concerne le degré exact de protection des salariés. Nous avons été très frappés du manque de renseignements auquel nous avons été confrontés s’agissant de la couverture réelle des salariés face au risque de perte de rémunération engendrée par une maladie. Ce que nous pouvons constater, c’est qu’une partie de la population salariée est d’emblée exclue de cette couverture particulière parce qu’elle ne remplit pas les conditions de durée d’affiliation nécessaire : 20 à 30 % des salariés ne bénéficient pas, à tout moment, du dispositif des indemnités journalières du régime général d’assurance maladie. Cela dit, ce chiffre est estimatif et le sujet n’a fait l’objet d’aucune étude fine. Or c’est précisément la population la plus précaire de notre pays qui n’est pas protégée contre un tel risque.

Les couvertures complémentaires doivent également faire l’objet d’une étude spécifique. Résultant d’accords de branche, donc de conventions collectives, ou d’accords d’entreprise, elles sont très nombreuses. Or nous ne disposons à cet égard que de sondages. Même la direction générale du travail (DGT) ne dispose d’aucune analyse complète des garanties complémentaires prévues par les conventions collectives au regard de cette question pourtant majeure. Les conventions collectives que nous avons analysées témoignent de l’existence d’importantes inégalités de couverture entre les salariés en fonction de leur secteur d’activité. Une récente étude de la direction de la sécurité sociale (DSS) révèle que, pour 38 % des quelque 13 millions de salariés des plus grandes branches, la totalité des jours de carence est prise en charge, mais que pour 28 % d’entre eux le nombre de jours de carence est supérieur aux trois jours réglementaires, c’est-à-dire que la prise en charge complémentaire de l’entreprise commence plus tard – elle peut, dans certains cas, ne prendre effet que sept à dix jours après le délai réglementaire.

M. le coprésident Pierre Morange. Vous avez parlé des 20 à 30 % de salariés précaires qui ne seraient pas couverts et de l’hétérogénéité de la couverture complémentaire, mais avez-vous des informations complémentaires concernant les non-salariés ?

M. Antoine Durrleman. Notre enquête était centrée sur le régime général. Nous avons simplement mis en lumière l’importance des autres régimes de base du point de vue des indemnités journalières maladie – 1 milliard d’euros à comparer aux quelque 6,3 milliards d’euros du régime général – et avons cherché à inventorier la diversité des formes de prise en charge selon les régimes.

La couverture des arrêts maladie ne fait l’objet d’aucun suivi. Nous savons simplement que 66 % de la population salariée dispose d’une couverture complémentaire et que celle-ci est très hétérogène. Cette hétérogénéité constitue un obstacle non seulement pour le pilotage de la dépense, mais également au regard des problématiques sanitaires.

Nous savons également que l’institution d’un jour de carence dans la fonction publique hospitalière a eu un effet très net sur l’absentéisme lié à un arrêt maladie de courte durée – certains directeurs d’hôpitaux font état d’une diminution de 25 % de l’absentéisme de courte durée.

M. Dominique Tian. Ce qui devrait représenter une économie de 60 millions d’euros.

M. Antoine Durrleman. L’économie n’a pas encore été totalement chiffrée, mais l’effet dissuasif est réel.

Nous avons également constaté que la volonté d’étendre ce jour de carence à certains régimes spéciaux n’a pas prospéré. À la RATP, les organisations syndicales représentatives ont ainsi attaqué la décision de la direction générale de la Régie d’instaurer un jour de carence. Une décision de justice de première instance leur a donné raison, considérant que le régime spécial de la RATP n’était pas couvert par le dispositif législatif. La direction générale n’ayant pas déposé de recours, le jour de carence ne s’applique donc pas à la RATP. Par un effet de contiguïté, la SNCF ne l’a pas mis en place non plus.

Mme Isabelle Le Callennec. Si la crise est de nature à changer le comportement des salariés en matière d’arrêts maladie, y aurait-il moins de risques de maladie lorsque l’on se sent moins menacé dans son emploi – je pense à la fonction publique ?

M. Dominique Tian. Les décisions de justice auxquelles vous faites allusion, monsieur le président, ont souligné que le texte de loi n’était pas assez précis, notamment en ne mentionnant pas expressément la RATP et la SNCF ! C’est à cause de cet oubli du législateur que le jour de carence n’a pu être étendu.

M. le coprésident Pierre Morange. Vous avez dit, monsieur le président, que l’instauration d’un jour de carence dans la fonction publique hospitalière avait eu un effet spectaculaire, mais avez-vous des remontées d’informations sur la fonction publique territoriale et la fonction publique d’État ?

M. Michel Braunstein, conseiller maître à la Cour des comptes, président de section. Des dispositions ont été prises pour la fonction publique d’État, en particulier au ministère de la santé, ainsi qu’à la Cour des comptes.

M. le coprésident Pierre Morange. Avons-nous une connaissance suffisante de la situation dans la fonction publique ?

M. Antoine Durrleman. Non, car la mise en place de ce dispositif est complexe et entraîne de nombreuses modifications, par exemple l’adaptation des logiciels de paie. Je ne suis pas certain que la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) dispose d’un bilan consolidé pour chaque fonction publique et pour chaque ministère. Notre ressenti est encore relativement impressionniste… En juillet, nous ne disposions pas de bilan consolidé, et entre juillet et novembre nous n’avons pas eu connaissance d’un nouvel élément, mais ce sujet fait l’objet d’une discussion au sein du ministère de la fonction publique.

Mme la rapporteure. Avez-vous des informations sur la mise en place d’un jour de carence pour les personnels de la fonction publique territoriale où, selon diverses analyses, se concentre la majorité des arrêts maladie ?

M. Antoine Durrleman. Nous n’avons pas de remontées, mais la direction générale des collectivités locales (DGCL) du ministère de l’intérieur pourrait peut-être vous renseigner. Si nous pouvons évaluer les effets de l’instauration d’un jour de carence dans le monde hospitalier, c’est parce que, en tant que chambre sociale, nous sommes en contact permanent avec les établissements hospitaliers qui nous ont fait remonter les renseignements. Mais nous n’avons pas de données statistiques.

Mme la rapporteure. Il semble que certains établissements prennent en charge le jour de carence.

M. Dominique Tian. Il y a mieux : les directeurs d’hôpitaux publics, dans une déclaration officielle, se félicitent des économies réalisées du fait de l’instauration d’un jour de carence et demandent au Gouvernement de ne pas revenir sur cette mesure !

M. Antoine Durrleman. Notre enquête s’est terminée le 30 juin 2012 et il était alors trop tôt pour apprécier le dispositif puisqu’il était en train de se mettre en place. Nous avons tenté d’éclairer la situation de la fonction publique d’État au regard de la mise en place de ce jour de carence et au regard du dispositif de contrôle des arrêts maladie, qui n’obéit pas aux mêmes règles que celui des salariés du secteur privé. Une expérimentation a eu lieu en vue de déléguer ce contrôle aux caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) et aux échelons locaux du service médical. Cette expérimentation nous paraît intéressante en ce qu’elle traduit la mise en place d’une politique de contrôle unifiée, mais elle a été engagée tardivement, même si elle a été prolongée, et ne concerne qu’un petit nombre d’établissements. Je vous invite à interroger la DGAFP pour en connaître le bilan.

Cela dit, même si nous sommes critiques à l’égard des contrôles médicaux réalisés par les CPAM, il faut reconnaître qu’ils produisent un réel effet de régulation et à ce titre, ils pourraient être accentués. Ce dispositif est en tout cas plus opérationnel que celui qui existe dans la fonction publique.

M. Dominique Tian. Dans un précédent rapport, la Cour des comptes indiquait que les arrêts de travail dans les CPAM étaient plus nombreux que dans le secteur privé. Il semblerait donc que les caisses aient déjà du mal à se contrôler elles-mêmes !

M. Antoine Durrleman. De même que les médecins sont les plus mal soignés !

Le deuxième point que nous avons cherché à éclairer concerne les déterminants de la dépense. Les disparités territoriales sont en effet importantes, madame la rapporteure. Le faible taux d’arrêts de travail constaté à Paris et en région parisienne est atypique, car dans ces zones géographiques les salariés sont jeunes, appartiennent plutôt à des catégories professionnelles supérieures et travaillent le plus souvent dans les services. En revanche, si nous excluons Paris et les Hauts-de-Seine, les disparités dans les arrêts de travail obéissent à un facteur de 1 à 2, et mériteraient d’être mieux éclairées. Pourquoi la Lozère enregistre-t-elle 6,5 jours d’arrêt de travail par salarié, contre 12,8 jours pour le département voisin de la Haute-Loire et 13 jours pour le Tarn ? Nous n’avons pas établi de correspondance entre ces disparités territoriales et les caractéristiques socio-économiques des départements, même si certaines études ont cherché à les mettre en valeur.

Vous avez aussi évoqué les disparités en fonction des pathologies. C’est encore un sujet sur lequel nous disposons de peu de données. La cataracte et le canal carpien sont des exemples très récents, et ce sont à peu près les seuls sur lesquels nous soyons documentés. Cela dit, si l’étude réalisée par la CNAMTS était plus complète, elle révélerait sans doute des écarts du même ordre pour des pathologies plus significatives. La CNAMTS en est d’ailleurs convaincue puisqu’elle a mis en place, avec l’aide de la Haute Autorité de santé, un référentiel de bonnes pratiques de prescription des arrêts maladie. Ce référentiel, qui propose une durée moyenne d’arrêt maladie pour certaines pathologies, présente un double avantage : il invite les médecins à s’autodiscipliner et les aide à résister à la pression de leurs patients.

M. le coprésident Pierre Morange. La MECSS a toujours été favorable à la mise en place de logiciels d’aide à la prescription. Les deux pathologies que vous citez ont-elles été étudiées en fonction du mode opératoire, qui va d’une prise en charge ambulatoire à des techniques plus lourdes et qui a une incidence sur le nombre de journées d’arrêt ?

Mme Myriam Métais, rapporteure de la Cour des comptes. Pour l’intervention du canal carpien, la CNAMTS a distingué les deux techniques, et je crois que ses chiffres concernaient l’ambulatoire. En revanche, dans ses statistiques globales sur la cataracte, elle ne procédait pas à une telle distinction.

M. Michel Braunstein. Les chiffres relatifs à ces deux interventions sont frappants, en effet, mais le référentiel n’a pas encore pu être répercuté dans les statistiques. Ce n’est que dans quelques années que nous en verrons les effets.

Mme la rapporteure. Avez-vous superposé les cartes du nombre de jours d’arrêt de travail et des pathologies ?

M. Antoine Durrleman. Nous ne disposons pas de données suffisamment homogènes pour pouvoir superposer les cartes, auxquelles il faudrait ajouter celle illustrant la présence des médecins sur le territoire. Nous pouvons en effet supposer qu’il existe une corrélation entre le nombre d’omnipraticiens et le nombre des arrêts maladie. Il est difficile d’expliquer les disparités en termes socio-économiques, mais nous constatons des changements de comportement, tant de la part des prescripteurs que des patients.

M. Dominique Tian. C’est un sujet récurrent : dans un précédent rapport, la Cour des comptes évoquait l’insuffisance du pilotage des CPAM par la Caisse nationale.

Vos remarques sur la régulation de la dépense et les contrôles administratifs sur la présence à domicile de salariés en arrêt maladie montrent que nous n’avons guère progressé dans le pilotage national que vous appelez de vos vœux depuis des années.

M. Antoine Durrleman. Les progrès existent, mais la CNAMTS a dirigé ses efforts vers les médecins, dans le sens d’une régulation de la prescription médicale, plus que vers les assurés sociaux et les entreprises.

Enfin, l’assurance maladie a ciblé les « hyperprescripteurs », à savoir les 10 % de médecins qui prescrivent 7 900 jours d’arrêts maladie par an – sachant que près d’un millier de médecins dépassent les 10 000 jours.

Mme la rapporteure. La CNAMTS a expérimenté sur les très gros prescripteurs la mise en place d’ententes préalables. Elle a constaté une légère amélioration, qui s’infléchit dès que l’expérimentation cesse.

M. Antoine Durrleman. Il faudrait sans doute responsabiliser davantage les directeurs de caisse et leur donner une certaine liberté sur le ciblage de ces efforts. Certaines caisses peuvent en effet avoir très peu d’hyperprescripteurs, mais beaucoup de gros prescripteurs. Ne cibler que les premiers risque de faire oublier les seconds, qui sont pourtant à l’origine de l’essentiel de la dépense. Il faut donc aussi s’intéresser à ces « moyens-gros » prescripteurs.

Mme la rapporteure. Il est plus compliqué de cibler des gros prescripteurs que des « hyperprescripteurs », parce que les premiers sont implantés dans des territoires qui peuvent impliquer des comportements professionnels différents.

M. Antoine Durrleman. C’est précisément pourquoi il faut le faire.

Les observatoires locaux des indemnités journalières, qui se mettent progressivement en place, devraient apporter des éclairages sur les réalités que vous évoquez et permettre de mieux cibler les contrôles. Ces observatoires contribueront sans doute à l’apparition d’un pilotage décentralisé, qui nous semble le bon niveau d’approche, entre un pilotage centralisé, excessivement bureaucratique, et l’absence de pilotage. Ce pilotage décentralisé devrait évidemment s’inscrire dans le cadre d’une cohérence nationale.

M. Michel Braunstein. Les procédures sont très contraignantes. Ainsi, en cas de mise sous accord préalable, les médecins conseils doivent vérifier la régularité de la totalité des arrêts qui ont été prescrits par les médecins concernés. Il faudrait sans doute assouplir ces procédures, afin de mieux utiliser les médecins conseils.

Mme Isabelle Le Callennec. La mise en œuvre du référentiel de bonnes pratiques est-elle laissée à l’appréciation des directeurs de caisse ou est-elle aujourd’hui généralisée ? À quel échelon les observatoires locaux des indemnités journalières sont-ils mis en place : la CPAM, le département ou la commune ?

M. Antoine Durrleman. Au niveau de la CPAM, donc du département.

La CNAMTS a bien proposé un référentiel de prescription des arrêts de travail aux médecins, mais elle n’est pas allée au bout de sa démarche. Elle n’a notamment pas chaîné cet outil avec les nouveaux dispositifs de rémunération des médecins qu’elle a mis en place – les contrats d’amélioration des pratiques individuelles, les CAPI, en vigueur de 2009 à 2011. De même, la nouvelle rémunération à la performance, issue de la convention médicale de juillet 2011, n’intègre pas la dimension des indemnités journalières dans ses cotations permettant une rémunération complémentaire du médecin. Cela traduit un manque de cohérence. Je rappelle que l’intérêt d’un référentiel est de guider le médecin sans porter atteinte à sa liberté de prescription.

Mme la rapporteure. On pourrait s’inspirer de la régulation de la prescription d’actes de kinésithérapie, qui a bien fonctionné, et qui prévoit une entente préalable dès qu’un certain nombre d’actes est dépassé.

M. Antoine Durrleman. De ce point de vue, la CNAMTS a raison d’inciter à la dématérialisation de la prescription des arrêts maladie, car cela devrait permettre à terme des contrôles mieux ciblés.

On ne peut nier qu’il y a des actions en matière de régulation médicale, dont certaines sont prometteuses même si elles sont insuffisamment chaînées. En revanche, il n’y a quasiment pas de campagne pour sensibiliser les assurés sur l’importance de ces dépenses pour la solidarité nationale. Il faudrait aussi plus sensibiliser les entreprises, car la question de l’arrêt maladie est indissociable de celle des conditions de travail dans l’entreprise. Il manque une coordination entre les caisses primaires et les services de médecine du travail.

Voilà pour les halos d’imprécision, qui nécessitent des investigations complémentaires, au-delà des informations que nous avons obtenues de la DGT, de la DGAFP ou de la CNAMTS.

La liquidation des indemnités journalières est tellement complexe qu’elle est considérée au sein des caisses primaires comme l’exercice le plus noble. Les modes de calcul sont compliqués ; il faut disposer de documents venant à la fois de l’assuré et de l’entreprise ; en outre, les différents types d’indemnités journalières ne sont pas calculés selon des principes homogènes. Il en résulte des coûts de gestion élevés pour l’assurance maladie : nous avons été sidérés de constater que la liquidation des indemnités journalières occupait 5 330 équivalents temps plein (ETP), ce qui est considérable.

Il est vrai que la législation en la matière n’a pas changé depuis 1945. Les quelques tentatives pour la faire évoluer n’ont jamais abouti. Les marges de progression sont importantes en termes de simplification de gestion. Certes, l’arrivée de la déclaration sociale nominative, qui se déploiera sur la base du volontariat à compter du 1er janvier 2013, avant de devenir obligatoire pour toutes les entreprises à partir du 1er janvier 2016, devrait être un progrès. La complexité de sa mise en place permet cependant de s’interroger sur le respect de ces échéances et d’imaginer dès maintenant d’autres simplifications.

De toute façon, une simplification de la réglementation est un préalable nécessaire pour que la déclaration sociale nominative soit opérationnelle. Il faudra en particulier harmoniser les assiettes du salaire, faute de quoi il sera impossible d’automatiser le calcul des IJ.

M. le coprésident Pierre Morange. Comment les uns et les autres accueillent-ils le principe de simplification de l’assiette fiscale ?

M. Antoine Durrleman. La direction de la sécurité sociale est « tous freins serrés », si vous me permettez l’expression. La CNAMTS en revanche se montre intéressée.

M. Dominique Tian. Votre rapport mentionne « une simplification toujours en devenir » pour laquelle les CPAM ne semblent pas montrer le même enthousiasme. C’est à se demander si la complexité administrative n’est pas une solution arrangeante pour beaucoup de monde dans notre pays. On remarque d’ailleurs qu’il y a autant de gens qui sont exclus du système du fait de sa complexité que de personnes qui en abusent pour la même raison. C’est la raison pour laquelle cette simplification administrative m’apparaît comme une urgence absolue.

M. Antoine Durrleman. C’est notre conviction, à la fois pour des raisons d’équité vis-à-vis des assurés et de bonne gestion. Nous sommes convaincus que la simplification de la réglementation recèle des marges de productivité considérables pour les organismes de sécurité sociale. Notre rapport de septembre 2011 sur la sécurité sociale relevait que l’amélioration de la productivité des caisses d’assurance maladie se limitait encore trop souvent à des économies de constatation : si la dématérialisation a déjà permis de diminuer les effectifs, la CNAMTS ne s’est pas montrée suffisamment volontariste pour dégager des gains de productivité supplémentaires. Cela suppose, non seulement de mener à bien la réorganisation du réseau des caisses qui est en cours, mais aussi de revoir certaines règles, ce qui ne dépend pas que de la CNAMTS.

M. Michel Braunstein. On pourrait ainsi simplifier le calcul des indemnités journalières dans le cas d’une pluralité d’arrêts sur une courte période : actuellement le gestionnaire est obligé de recommencer entièrement la procédure. Nous avions évoqué la piste d’une forfaitisation, mais la sécurité sociale l’a écartée.

Mme Isabelle Le Callennec. Y a-t-il une volonté d’aller vers cette harmonisation de l’assiette que vous appelez de vos vœux ? Qui peut engager cette réforme ?

M. Antoine Durrleman. Il y a eu, l’an dernier, une première tentative dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, mais elle n’a pas prospéré. À la place a été décidée cette limitation à 1,8 SMIC de l’assiette salariale prise en compte dans le calcul des IJ. Il est vrai qu’il est compliqué de passer d’un système à l’autre.

Mme la rapporteure. Cela nécessite donc de passer par la loi ?

M. Antoine Durrleman. C’est en effet un dispositif législatif.

M. le coprésident Pierre Morange. Une modification d’assiette fiscale nécessite à tout le moins une étude d’impact.

M. Antoine Durrleman. La problématique de la lutte contre la fraude nous a laissés assez dubitatifs – je parle de la fraude caractérisée, et non pas des comportements abusifs, qui ne sont pas de la compétence de la Cour.

Compte tenu de l’importance des sommes en cause, nous avons été très étonnés de la faiblesse des fraudes détectées et du nombre des sanctions financières auxquelles elles ont donné lieu : 300 sanctions en 2010, 400 en 2011. Surtout, la plupart des fraudes ne donnent pas lieu à des suites contentieuses : l’assurance maladie ne se montre pas assez ferme. À la suite d’une enquête menée en 2012 auprès des caisses primaires, la CNAMTS a relevé 0,16 % d’arrêts maladie fraudés, pour un coût de 3 millions d’euros. Plusieurs types de fraudes ont été détectés : le cumul d’indemnités journalières et d’une activité salariée qui représente plus de 60 % des fraudes, la falsification des pièces justificatives pour 22 %, l’absence de déclaration du salarié par l’employeur à hauteur de 15 % ou l’absence d’existence légale de l’entreprise.

La CNAMTS ne procède pas à une recherche ciblée de la fraude. Elle ne se pose notamment pas du tout la question de la fraude organisée, c’est-à-dire d’une fraude systématique. Il nous semble qu’elle devrait agir dans deux directions : détecter à la fois la fraude à partir de l’identification des comportements à risque et se poser la question du risque de fraude organisée. Une telle action supposerait notamment des échanges systématiques avec les URSSAF et Pôle emploi. C’est un point sur lequel nous ne constatons guère de progrès de la part de l’assurance maladie.

M. le coprésident Pierre Morange. Vous retournez le couteau dans la plaie de la MECSS, s’agissant d’un sujet sur lequel nous nous sommes beaucoup investis. Nous avons notamment plaidé à de nombreuses reprises pour un croisement des fichiers.

Quel est l’état de votre réflexion sur les difficultés rencontrées par l’assurance maladie pour moderniser ses systèmes d’information ?

M. Antoine Durrleman. C’est le problème des structures importantes que d’évoluer avec lenteur, ce qui explique le retard des systèmes d’information de la CNAMTS. Cela étant, le processus est en route. Nous avons eu le sentiment que notre enquête se situait à un moment où l’assurance maladie commençait à prendre la mesure de ces enjeux. Elle avait déjà eu une action très volontariste en 2003-2004. Il faut dire que le nombre des indemnités journalières avait augmenté de plus de 13 % de 2001 à 2002, et que ce record historique avait poussé la CNAMTS à mobiliser le contrôle médical. Selon elle, les actions menées alors ont permis de limiter durablement la progression. Cependant, la progression du nombre des IJ s’est accélérée à partir de 2010, avec un taux de croissance de 5,6 %. La CNAMTS, sans doute instruite par l’expérience, a aussitôt réagi.

M. Dominique Tian. La Cour se montre assez critique vis-à-vis de l’expérimentation du contrôle par la CNAMTS des arrêts de travail dans la fonction publique. Il semble que les résultats de cette expérimentation, votée par le Parlement, soient décevants, du fait notamment du manque de collaboration de la fonction publique.

M. Antoine Durrleman. Le rapport remis par les ministères du travail, de l’emploi et de la santé et du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État au Parlement relève également la faible mobilisation des administrations. Il s’agit pourtant d’un dispositif assez novateur et intéressant, pourvu qu’on aille plus loin dans l’articulation des résultats du contrôle médical des CPAM et des procédures internes de la fonction publique. Pour l’instant, cette nouvelle procédure s’y est simplement rajoutée, alors qu’il faudrait reconsidérer l’ensemble de la chaîne de contrôle pour en tirer tout le bénéfice. Cette expérimentation, bien qu’intéressante, reste donc, sinon inaboutie, en tout cas inachevée.

M. le coprésident Pierre Morange. La MECSS a quelque difficulté à obtenir ce fameux rapport du ministère. Pourriez-vous nous le communiquer ?

Mme Myriam Métais. Il s’agit du rapport au Parlement préalable à la prolongation de l’expérimentation, qui date de 2011.

M. Antoine Durrleman. Il est étonnant que le Parlement n’en ait pas eu communication alors qu’il en était le destinataire !

Mme Isabelle Le Callennec. Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par fraude organisée ?

M. Antoine Durrleman. Il s’agit de s’interroger sur la possibilité pour les salariés d’entreprises fictives de bénéficier d’arrêts maladie de complaisance. C’est un jeu à plusieurs et qui peut être lucratif en termes d’indemnités journalières. Ce qui nous a frappés, c’est que la CNAMTS n’ait jamais envisagé cette possibilité. Elle se satisfait des résultats de ses contrôles, sans chercher à pousser plus loin ses investigations, se contentant de « ramasser les pommes tombées » au lieu de secouer l’arbre.

Mme la rapporteure. Selon votre rapport, les arrêts de courte durée représentent 80 % des arrêts maladie et ne sont quasiment jamais contrôlés. À en croire des chefs d’entreprise de mon département, il semblerait que la CPAM ne donne pas suite à leurs demandes tendant à faire contrôler les arrêts maladie de salariés soupçonnés d’abus.

M. Antoine Durrleman. Il faut savoir que l’assurance maladie qualifie « de courte durée » les arrêts inférieurs à quarante-cinq jours. Dans ces conditions, on comprend bien que les arrêts d’une semaine sont difficiles à contrôler. Il y a cependant de la marge entre une semaine et quarante-cinq jours. Or le taux de contrôle des arrêts de courte durée est seulement de 4 %.

Les arrêts d’une durée comprise entre quarante-cinq jours et six mois donnent lieu à plus de contrôles, mais ceux-ci se font essentiellement sur dossiers. Au-delà de six mois, les arrêts sont systématiquement contrôlés, et doivent l’être à nouveau au bout d’un an, ce qui n’est pas toujours systématique, semble-t-il, surtout, qu’aucun contrôle n’est effectué en réalité après un an.

M. Michel Braunstein. L’employeur peut en principe recourir à une contre-visite médicale réalisé à son initiative par un médecin contrôleur mandaté par ses soins. L’expérience montre cependant que le système ne fonctionne pas bien, du fait notamment de la complexité des procédures. Et lorsque ces contrôles sont réalisés, les avis des médecins contrôleurs ne sont souvent pas envoyés au service médical de la CPAM.

Mme la rapporteure. Quelles sont les relations entre les médecins du travail et les médecins conseils ?

Mme Myriam Métais. Il semble que les échanges soient très ponctuels et qu’ils aient lieu surtout au moment du passage du salarié en arrêt maladie en arrêt d’invalidité.

M. Dominique Tian. Notre système ne devra-t-il pas de plus en plus être évalué au regard de ce qui se fait dans les autres pays européens ?

M. Antoine Durrleman. Vous trouverez, à la page 80 de notre rapport, un tableau comparant la prise en charge des arrêts maladie dans neuf pays européens, dont la France, en 2003. La comparaison avec l’Allemagne est particulièrement instructive.

M. Dominique Tian. Espérons que depuis 2003 les choses ont évolué dans le bon sens pour notre pays, mais je n’ai pas ce sentiment.

M. Antoine Durrleman. Il est un point que nous aurions dû peut-être approfondir plus que nous n’avons pu le faire : la subrogation des indemnités journalières. Ces dernières sont gérées par l’entreprise qui se fait ensuite rembourser par la CPAM. Si ce dispositif peut apparaître comme une simplification de gestion, certains craignent qu’il ne soit un facteur encourageant les arrêts maladie. Nous n’avons pas tranché entre ces deux approches.

M. Dominique Tian. Cette procédure n’est pas neutre sur le plan fiscal, puisqu’elle contribue à diminuer le résultat de l’entreprise, qui acquitte de ce fait moins d’impôt sur les sociétés. L’État est donc lui aussi perdant.

M. le coprésident Pierre Morange. À combien chiffrez-vous les économies qui pourraient être obtenues en suivant l’ensemble de vos préconisations ?

M. Antoine Durrleman. L’évaluation est difficile s’agissant d’un système complexe qui fait intervenir de multiples acteurs. L’un des moyens d’évaluer les économies possibles serait de se fixer des objectifs de convergence entre les situations les plus extrêmes. La dépense ne doit pas seulement être mieux gérée : sur ce plan, nous avons constaté quelques progrès. Le problème de la dépense d’indemnités journalières est son manque de pilotage, alors qu’il existe pour la dépense de médicaments, et que la dépense en matière de transports sanitaires est en voie de l’être. De ce point de vue, la question des déterminants de la dépense est essentielle. Il est tout aussi essentiel d’améliorer la connaissance de la réalité de la couverture des arrêts maladie de l’ensemble des actifs.

M. le coprésident Pierre Morange. Votre rapport évalue pourtant à 300 ETP les économies attendues d’une rationalisation des procédures de liquidation des indemnités journalières sur les 5 330 ETP qui y sont actuellement affectés.

M. Antoine Durrleman. Au minimum.

M. Michel Braunstein. Ce sont les économies attendues des seuls projets en cours. Si nous allons plus loin, c’est beaucoup plus.

M. le coprésident Pierre Morange. Dans le même ordre d’idée, certains départements ont été clairement identifiés comme ayant des marges de progression en matière de lutte contre la fraude. Pouvez-vous nous donner une estimation des sommes qui pourraient être récupérées de ce point de vue ?

M. Antoine Durrleman. Le coût de la fraude est très difficile à apprécier. Vous trouverez en revanche, dans le rapport, le coût de la complexité de la liquidation. Pour les seules IJ maladie, nous avons estimé le coût des erreurs de liquidation à au moins 50 millions d’euros. Mais ce n’est qu’un aspect du sujet.

Il faut également être conscient que la dynamique des dépenses d’indemnités journalières dépend principalement de l’évolution de la masse salariale et de la structure d’emploi. Même si le plafonnement du salaire à 1,8 SMIC freine légèrement cette tendance, sur le long terme, une partie de l’accroissement de la dépense s’explique par l’indexation automatique sur la masse salariale.

Mme Isabelle Le Callennec. L’agence régionale de santé (ARS) ne serait-elle pas le niveau de pilotage pertinent ?

M. Antoine Durrleman. Ce sujet concerne en effet l’ARS par certains de ses aspects. Ce sont cependant les CPAM qui me semblent les plus légitimes, à condition qu’elles se maillent avec les partenaires. L’échelon départemental me semble pertinent s’agissant de la gestion de ce type de prestations.

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale procède ensuite à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Valérie Delahaye-Guillocheau, chef de service à la direction générale du travail au ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, et Mme Clélia Delpech, chef du bureau de la politique et des acteurs de la prévention.

M. le coprésident Pierre Morange. La thématique de nos travaux a été choisie sous la précédente législature. À la suite du rapport rendu par la Cour des comptes en juillet 2012, nous venons d’auditionner le président de la sixième chambre de la Cour et je vous demanderai, madame Delahaye-Guillocheau, de bien vouloir nous présenter votre réflexion sur ce rapport.

Mme Valérie Delahaye-Guillocheau, chef de service à la direction générale du travail au ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Nous vous prions de bien vouloir excuser M. Jean-Denis Combrexelle, qui présente ce matin à la Commission nationale de la négociation collective (CNNC) le projet de loi sur le contrat de génération. Nous avons bien reçu le questionnaire que vous nous avez adressé dans le prolongement du rapport de la Cour des comptes. En préambule, je présenterai un cadrage général mettant en perspective certaines de vos interrogations sur les indemnités journalières liées à la sécurité et à la santé au travail et sur les arrêts de travail consécutifs à des accidents de travail ou à des maladies professionnelles. La question posée est la suivante : étant donné l’état de nos finances publiques et des comptes sociaux, est-il possible réduire le poids financier des indemnités journalières ?

Les chiffres dont nous disposons en matière de politique de santé au travail sont principalement issus de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) qui relève, pour le régime général, de la direction des risques professionnels. Dans son champ de compétences, la direction générale du travail est bien sûr partie prenante à ces questions car elle participe au conseil d’administration de la branche AT-MP, assure le secrétariat du Conseil d’orientation sur les conditions de travail (COCT) et coopère étroitement avec la direction de la sécurité sociale dans toutes les procédures de reconnaissance des maladies professionnelles.

La santé au travail est au cœur de la politique du travail : la conférence sociale des
9 et 10 juillet derniers, qui s’est traduite par la feuille de route sociale du Gouvernement, a conduit les partenaires sociaux, lors de la table ronde n °4 relative à l’égalité professionnelle et aux conditions de travail, à souligner la nécessité de poursuivre la politique menée en matière de santé au travail. La gouvernance de la santé au travail est un thème de dialogue social que ce soit au niveau interprofessionnel ou dans l’entreprise. Plusieurs structures sont en effet impliquées dans ce domaine : la branche AT-MP, le COCT, certaines structures paritaires, l’Institut national de recherche et sécurité (INRS) et l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) qui fait l’objet d’un groupe de travail. Enfin, les partenaires sociaux ont initié, le 21 septembre dernier, une négociation interprofessionnelle sur la qualité de vie au travail qui a une incidence sur l’absentéisme et les risques professionnels, qu’il s’agisse des accidents ou des risques psychosociaux, particulièrement évidents en ce moment.

Piloté par la direction générale du travail, le deuxième plan Santé au travail a été initié en 2010 et couvrira la période 2010-2014. Il met l’accent sur les secteurs les plus accidentogènes et les plus à risques que sont le BTP et le secteur forestier, les chutes de hauteur demeurant la première cause de risque mortel. Le pilotage de ce plan associe la branche AT-MP et les partenaires sociaux qui le mettent en œuvre au niveau interprofessionnel. Afin d’adapter l’action publique aux situations spécifiques de chaque région, le plan se décline également à l’échelle territoriale sous forme de plans régionaux de santé au travail pilotés par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), en coopération avec les partenaires sociaux, les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) et la branche AT-MP.

Un autre élément de contexte est la mise en œuvre, depuis juillet 2011, de la réforme de la médecine du travail, qui a fait l’objet d’une application réglementaire en janvier 2012 et d’une circulaire adressée par le directeur général du travail le 9 novembre dernier à l’ensemble des acteurs concernés. Cette réforme vise notamment à prévenir la désinsertion professionnelle qui est l’une des causes des arrêts maladie à répétition. Vous vous interrogez sur les liens entre médecins du travail et praticiens conseils des caisses de sécurité sociale. Or, la DGT et la direction des risques professionnels travaillent en étroite coopération afin de mobiliser les inspecteurs régionaux du travail, qui dépendent des DIRECCTE, et les praticiens conseils de la branche AT-MP. Il s’agit de faire en sorte que, dès lors qu’un arrêt maladie dépasse trente jours, quelle qu’en soit la cause, un dialogue s’instaure systématiquement entre le médecin du travail et le praticien conseil afin de faciliter le retour du salarié à son poste dans les meilleures conditions possibles et de faire en sorte que cette reprise n’engendre aucune difficulté lors de la réintégration afin d’éviter des arrêts de travail successifs.

Enfin, la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites prévoit des dispositions en faveur de la prévention de la pénibilité. Outre le volet sur les réparations, que je n’évoquerai pas ici, cette loi comporte également un volet incitatif pour prévenir la pénibilité qui prévoit une pénalité de 1 % de la masse salariale dans les entreprises de plus de cinquante salariés dont plus de 50 % de l’effectif est exposé à des facteurs de pénibilité, et qui impose de négocier ou, à défaut, d’élaborer un plan d’action unilatéral sur la prévention de la pénibilité.

Ces différents aspects que j’ai évoqués visent à approfondir la prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail.

J’exposerai à présent quelques chiffres sur les accidents du travail. Le rapport de gestion 2012 de la branche AT-MP, qui porte sur l’année civile 2011, illustre que la tendance à la baisse de la sinistralité s’est interrompue en 2011, les accidents du travail ayant augmenté de 1,7 % cette année-là, soit une hausse légèrement supérieure à celle de l’activité salariée, qui était de 1,1 %. En légère augmentation, l’indice de fréquence des accidents du travail est désormais de 36,2 accidents du travail pour 1 000 salariés. C’est en 2009 que cet indice a atteint son niveau le plus faible, à 36 accidents pour 1 000 salariés. Les arrêts de travail liés aux accidents du travail retrouvent en 2011 une progression comparable à celle des années antérieures à 2009, avec 3 % de jours d’arrêt de plus que l’année précédente. Le nombre de salariés en incapacité permanente s’est stabilisé en 2011. La même année, on a enregistré 552 décès consécutifs à un accident du travail, soit 23 décès de plus qu’en 2010.

La croissance des indemnités journalières de la branche AT-MP se poursuit au même rythme qu’en 2010, avec une progression de 4,6 % entre 2010 et 2011. Les indemnités journalières versées au titre du risque accidents du travail ont augmenté de 2,9 %, contre 4,7 % pour les accidents de trajet et 11,7 % pour les maladies professionnelles. En 2010, les troubles musculosquelettiques (TMS) ont engendré la perte de 9,7 millions de journées de travail pour un coût de 930 millions d’euros pour la branche AT-MP. Ces troubles demeurent la première cause de maladie professionnelle. Nous ne disposons d’aucune d’étude présentant l’impact des risques psychosociaux sur les dépenses en indemnités journalières de la branche maladie au titre des maladies professionnelles reconnues. En 2007, l’INRS avait bien évalué le coût global du stress pour la société à une somme située entre 2 et 3 milliards d’euros, mais ces résultats doivent être pris avec beaucoup de précaution. Nous ne disposons pas de chiffres aussi précis pour les risques psychosociaux que pour les TMS qui, depuis quelques années, constituent une priorité constante des politiques de prévention menées par le ministère du travail, notamment dans le cadre du deuxième plan Santé au travail. Entre 2009 et 2011, une campagne de communication a été menée en direction du grand public afin de promouvoir la prévention des TMS et à destination des employeurs, afin de promouvoir l’adaptation des postes de travail.

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Quelles sont les relations entre les médecins conseils et les médecins du travail ?

Mme Valérie Delahaye-Guillocheau. De prime abord, les relations du salarié avec le praticien conseil, d’une part, et avec le médecin du travail, d’autre part, obéissent à des logiques différentes. Le praticien conseil se prononce sur des cas d’invalidité alors que le médecin du travail, dans sa relation individuelle avec le salarié – qui n’est qu’une de ses missions parmi d’autres –, se prononce sur son aptitude à un poste de travail. Nous insistons par ailleurs sur l’action de prévention primaire que peut mener le médecin du travail dans sa fonction de conseil auprès de l’employeur. Il peut certes y avoir des liens entre ces deux médecins si une personne reconnue comme invalide a des difficultés à faire reconnaître son inaptitude à un poste. Lorsqu’un médecin du travail déclare l’inaptitude d’un salarié, l’employeur a l’obligation de le reclasser et ce n’est que si toute recherche de reclassement à un autre poste de travail est impossible, compte tenu, soit de la configuration des postes, soit de la situation du salarié, qu’il y a rupture du contrat de travail et licenciement.

M. le coprésident Pierre Morange. Dispose-t-on d’une estimation du montant des indemnités journalières prises en charge par l’assurance maladie, mais qui couvrent en réalité des accidents du travail ? Des mesures correctrices sont-elles envisagées pour mieux répartir la charge de ces indemnités entre les branches de la sécurité sociale, en fonction des motifs d’absence les ayant déclenchées ?

Mme Valérie Delahaye-Guillocheau. Les questions des transferts entre la branche AT-MP et la branche maladie de la sécurité sociale relèvent non pas de la direction générale du travail, mais de la commission d’évaluation de la sous-déclaration des accidents du travail, qui a régulièrement estimé le montant à transférer. Notre direction participe aux réunions de cette commission, mais c’est essentiellement la direction de la sécurité sociale qui gère le sujet et qui analyse les facteurs de sous-déclaration, sachant que la procédure de déclaration des accidents du travail relève de l’employeur.

Mme Isabelle Le Callennec. La loi portant réforme des retraites a prévu une enveloppe de 20 millions d’euros destinés au « fonds pénibilité ». Dans ce domaine, nous menons des expérimentations en Bretagne sur quatre bassins d’emploi avec des entreprises portant des projets d’amélioration des conditions de travail et des postes. Serait-il possible de connaître les montants attribués aux entreprises dans le cadre de ce fonds auquel on ne pourra d’ailleurs plus faire appel au-delà de la date limite fixée par la loi ? Nous avions proposé que des maisons de l’emploi puissent déposer une demande au nom de plusieurs entreprises, mais il semblerait que cela ne soit pas possible. Nous avions par ailleurs demandé que des groupements d’employeurs puissent demander la création d’un poste d’ergothérapeute commun à plusieurs entreprises. Cette question est-elle abordée au niveau du ministère ?

Mme Valérie Delahaye-Guillocheau. Votre question relative au Fonds national de soutien relatif à la pénibilité est tout à fait pertinente. Nous sommes régulièrement en contact avec les équipes qui suivent ce dossier au niveau du bassin d’emploi que vous évoquez. Comme vous le savez, le dispositif expérimental introduit par amendement à la loi portant réforme des retraites arrivera à échéance le 31 décembre 2013. La branche AT-MP assure la gestion du fonds dans le cadre d’un pilotage conjoint avec l’État, mais le cadrage législatif est assez contraignant pour ce qui est de l’éligibilité au dispositif mis en place. Celui-ci est opérationnel depuis le mois d’avril. Actuellement, ce sont les CARSAT qui instruisent les dossiers. Pour un certain nombre de ces dossiers, nous sommes dans une phase de décision, mais le décret d’application du 26 décembre 2011 était lui-même contraint par la loi. Ainsi, même si l’intérêt de l’approche que vous évoquez en termes de prévention des TMS est indéniable, le dispositif actuel ne permet pas à une maison de l’emploi de servir de médiateur pour de petites entreprises, ni à un groupement d’employeurs d’être de la même façon éligible.

La direction générale du travail suit également l’ensemble des négociations de branche. Environ 1 000 accords ou plans d’action ont été passés au cours des derniers mois, sachant que l’obligation de négociation sur la prévention de la pénibilité a pris effet au 1er janvier 2012. Le dispositif commence donc à se déployer dans les entreprises, mais il est complexe car il suppose un travail de recensement dans le cadre du document unique d’évaluation des risques professionnels, en partenariat avec les organisations syndicales. Ce chantier n’aboutira pas avant de longues années.

Ainsi, nous n’avons pas encore attribué de dotations à des entreprises qui seraient éligibles. Notre suivi du bilan mensuel de l’état des dossiers déposés, auquel procède la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles (CATMP), nous amène à dire que le délai est relativement long entre le dépôt du dossier et la délivrance de la dotation. La concrétisation des scénarii que vous évoquez, madame la députée, supposerait de rendre moins contraignant le cadrage relatif à l’éligibilité, tel qu’il est aujourd’hui prévu par la loi.

Mme Isabelle Le Callennec. Les TMS sont fréquents dans le secteur de l’agroalimentaire où de nombreuses entreprises sont affiliées à la Mutualité sociale agricole (MSA), et non à la CPAM. Ce verrou relatif à l’éligibilité des entreprises qui cotisent à la MSA n’a donc pas sauté !

M. le coprésident Pierre Morange. Aujourd’hui, 20 % des salariés ne bénéficient pas véritablement de couverture au titre des IJ, et les indemnités journalières complémentaires versées par les entreprises ne sont pas connues de façon exhaustive. Le volume financier versé au titre des IJ à la fois par l’assurance maladie et les entreprises a-t-il été estimé ? Ne serait-il pas intéressant de constituer une base des conventions collectives établies par les entreprises pour avoir une vision plus pertinente de la question ?

Mme Valérie Delayahe-Guillocheau. Vos questions ont trait à la connaissance des conventions collectives et, plus largement, à la nécessité de rendre obligatoires des dispositifs conventionnels de branche, voire d’entreprise, négociés dans le cadre du dialogue social. Sur ce dernier point, la direction de la sécurité sociale sera plus apte à vous répondre.

M. le coprésident Pierre Morange. Au-delà du caractère obligatoire, les volumes financiers sont-ils connus ?

Mme Valérie Delayahe-Guillocheau. Non. En matière de négociation collective, la compétence de la direction générale du travail s’exerce à deux niveaux : d’abord, la direction recense systématiquement tous les accords de branche signés, notamment ceux destinés à la procédure d’extension visant à rendre l’accord signé obligatoire ; ensuite, les DIRECCTE procèdent à un recensement systématique des accords d’entreprise passés, puisqu’il y a une obligation de dépôt.

Nous sommes garants de la qualité du dialogue social. En particulier, nous nous assurons que l’extension de l’accord est légale et que les dispositions négociées ne contreviennent pas à des règles d’ordre public social. En revanche, les textes actuels ne prévoient pas une obligation d’étude d’impact. D’ailleurs, l’estimation de l’impact d’un accord négocié sur la couverture des IJ, sur la pénibilité ou encore sur un système de prévoyance serait un exercice particulièrement difficile à réaliser. Vous connaissez les obligations que font peser sur les administrations les lois prévoyant des études d’impact, notamment dans le cadre des compétences du commissaire à la simplification vis-à-vis des entreprises.

Ainsi, la DGT ne peut obliger les entreprises ou les branches à lui faire remonter des informations sur le coût induit par tel ou tel volet d’un accord, par exemple sur les indemnités, la prévoyance, la modulation de la durée du travail. Il n’y a donc pas de consolidation financière. Je pense que l’exercice serait très compliqué et il serait intéressant que vous demandiez l’avis des partenaires sociaux sur ce point.

M. le coprésident Pierre Morange. Dans le cadre de la réflexion actuelle sur les compétitivités coût et hors coût, l’intégration de l’impact financier des conventions collectives est un sujet qui ne me semble pas complètement dénué d’intérêt !

Mme Valérie Delayahe-Guillocheau. La politique conventionnelle occupe une place déterminante dans la construction du droit qui encadre les relations sociales au sein des entreprises et au niveau des branches. Dans le cadre du dialogue social, les parties peuvent exprimer leur volonté de négocier un accord qui permette, par exemple, une couverture supérieure à celle prévue par le régime de base en matière d’IJ. Certes, l’amélioration de la couverture IJ crée une distorsion par rapport à d’autres salariés, mais les situations diffèrent d’une branche à l’autre.

Parmi les quatorze conventions collectives de branche examinées par la Cour des comptes – et qui sont disponibles sur le site Legifrance –, figurent celle des branches hôtels cafés restaurants et propreté, où les conditions de travail sont compliquées, et qui peinent à fidéliser leurs salariés et à pourvoir des emplois. Un accord des partenaires sociaux au niveau de la branche prévoyant une amélioration de la couverture complémentaire des IJ peut donc être envisagé comme une contrepartie au regard de la durée et des conditions de travail qui y sont difficiles.

Aborder le sujet à travers le prisme de l’analyse des indemnités journalières peut conduire à des interrogations. Mais si on le replace dans le cadre d’une politique de ressources humaines au niveau d’une branche, voire d’une entreprise – certaines d’entre elles ayant une politique sociale assez généreuse –, c’est toute la logique du dialogue social qui est mise en évidence.

M. le coprésident Pierre Morange. Il s’agit pour nous de permettre à l’État stratège, dans sa légitime réflexion sur le coût du travail, de connaître l’impact financier des conventions collectives. En effet, quelles que soient les majorités, les règles relatives à l’organisation du travail ont été modifiées et le seront encore à l’avenir pour des raisons de compétitivité internationale.

Mme Valérie Delayahe-Guillocheau. Encore une fois, je pense que vous devriez aborder cette question avec les partenaires sociaux. En effet, la mesure de l’impact des accords qu’ils négocient ne poserait pas de problème dans les branches très structurées, mais il n’en serait pas de même pour la totalité des 800 branches professionnelles qui existent en France. Certes, l’étude d’impact que vous souhaitez serait pertinente, mais elle représenterait un défi pour les branches, qui ne sont pas outillées pour cela.

Je répète, car il y a une ambiguïté sur ce point dans le rapport de la Cour des comptes, que les conventions collectives de branche étendues sont accessibles sur le site Legifrance en version consolidée. Il y a donc une totale transparence en la matière. Et celles qui ne sont pas étendues, mais qui couvrent un grand nombre de salariés, sont également accessibles sur ce site.

En revanche, la base dans laquelle figurent les accords d’entreprise n’est pas publique, malgré une obligation de dépôt auprès des DIRECCTE. Nous mettons régulièrement cette base à la disposition de chercheurs et d’organismes de contrôle lorsqu’ils souhaitent mener des recherches ciblées, par exemple, sur des accords en matière d’égalité professionnelle hommes-femmes, sur les conditions de travail ou encore sur la politique en faveur des seniors. Si les données ne sont pas consolidées dans une base publique, c’est tout simplement parce qu’un accord d’entreprise peut révéler une politique sociale propre à l’entreprise et articulée autour d’une stratégie commerciale et de productivité. S’il vous arrive de lire dans Liaisons sociales un résumé sur l’accord passé par telle entreprise, c’est que celle-ci l’a transmis de sa propre initiative.

M. le coprésident Pierre Morange. Qui détient cette base de données ?

Mme Valérie Delayahe-Guillocheau. C’est la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère chargé du travail qui détient cette base. Intitulée « base d’accords », elle nous permet, à partir d’une recherche par mot-clé, de procéder à des analyses thématiques, par exemple sur les conditions de travail, la pénibilité, etc.

M. le coprésident Pierre Morange. Connaissez-vous la proportion du travail dissimulé dans les arrêts de travail injustifiés ?

Mme Valérie Delayahe-Guillocheau. Dans le cadre de la lutte contre le travail illégal, des campagnes de contrôle ciblées sont menées par les inspecteurs du travail aux côtés d’autres corps d’inspection, notamment les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF).

Ce sont plutôt les URSSAF qui sont en capacité d’effectuer un rapprochement entre les identifiants des personnes contrôlées en situation de travail dissimulé et les bases de données détenues par la branche maladie, notamment pour vérifier si ces personnes sont simultanément en arrêt maladie. L’inspection du travail n’a pas accès à ces éléments. Ces contrôles communs sont bien souvent réalisés sous l’égide des comités opérationnels départementaux anti-fraudes (CODAF).

M. le coprésident Pierre Morange. Vous ne disposez donc pas d’une base d’informations relative au travail dissimulé.

Mme Valérie Delayahe-Guillocheau. Nous ne détenons pas une telle base. La Commission nationale de lutte contre le travail illégal se réunira la semaine prochaine, mais je ne pense pas que nos sources nous permettent de faire ce rapprochement.

M. le coprésident Pierre Morange. La Cour des comptes a souligné, dans la deuxième partie de son rapport, la complexité du système pour le versement des indemnités journalières et la nécessité d’une simplification de certaines procédures.

La DGT mène-t-elle une réflexion en la matière, en particulier sur la déclaration sociale nominative (DSN), la subrogation, ou encore la modification de l’assiette fiscale pour les IJ ?

Mme Valérie Delayahe-Guillocheau. Sur ce sujet, j’ai bien lu les propositions de la Cour des comptes, mais le périmètre de compétences de la direction générale du travail ne la place pas en première ligne. Cela dit, la DGT étant partie prenante du travail réalisé en faveur d’une déclaration unique, elle l’est également sur le chantier de la DSN, dans un souci de simplification pour les salariés et les employeurs.

M. le coprésident Pierre Morange. Privilégiez-vous une piste, au moins pour les indemnités journalières ?

Mme Valérie Delayahe-Guillocheau. À ce stade, nous n’avons pas d’élément précis à faire valoir en la matière. Les questions relatives à l’assiette sont compliquées. Elles renvoient d’ailleurs au problème de la diversité des conventions collectives, puisque des salaires réels éloignés des minima conventionnels contrarient la logique de simplification. Ainsi, le souci légitime de la branche maladie de simplifier la liquidation des indemnités journalières se heurte à la complexité du paysage conventionnel.

À titre d’illustration, s’agissant de l’homologation d’une rupture conventionnelle, qui relève des DIRECCTE, nous déploierons au début de l’année prochaine un outil de simplification qui visera, par quasi-téléprocédure, à faciliter le contrôle. Il permettra à l’employeur à la fois de présaisir son formulaire de rupture conventionnelle avec une assistance en ligne, de contrôler le calcul de l’indemnité de rupture et le délai entre la signature de la rupture et sa transmission à la DIRECCTE, et d’obtenir les références des conventions collectives applicables.

Pour nos services eux-mêmes, nous avons étoffé un outil en y intégrant un plus grand nombre de références conventionnelles, afin de procéder à des contrôles plus systématiques et rapides selon la convention collective de branche applicable.

Dans la mesure où il y a 800 conventions collectives, nous avançons progressivement pour essayer d’avoir des bases de références qui fournissent les minima conventionnels. Cela implique de travailler sur la structure des systèmes d’information.

M. le coprésident Pierre Morange. Avez-vous fixé un calendrier sur la montée en puissance de ces téléprocédures ?

Mme Valérie Delayahe-Guillocheau. Pour la rupture conventionnelle, il ne s’agit pas d’une téléprocédure qui aurait nécessité la signature des 16 millions de salariés potentiellement éligibles à une rupture conventionnelle. Il s’agit d’un ersatz, notre pays n’étant pas encore engagé dans le « tout informatique ».

Je précise qu’un travail est actuellement mené sur la dématérialisation de la déclaration mensuelle de main-d’œuvre. Dans ce domaine également, les choses progressent.

Dans un souci de simplification pour les entreprises, la DGT s’efforce de s’orienter vers une logique de portail chaque fois que cela est possible. Mais ces chantiers sont lourds et supposent de très gros investissements.

M. le coprésident Pierre Morange. Aucun cadre n’a donc été défini par le ministère ?

Mme Valérie Delayahe-Guillocheau. La construction d’un outil pour la totalité des conventions collectives, qui permette d’avoir très rapidement toutes les informations, y compris pour calculer automatiquement les indemnités, est un chantier sur lequel la direction générale du travail a de grandes difficultés à avancer. Par contre, comme je l’ai souligné, nous nous travaillons à la poursuite de chantiers de dématérialisation, en particulier pour la rupture conventionnelle.

Mme Isabelle Le Callennec. Les indemnités journalières dans les trois fonctions publiques font l’objet d’un débat. La journée de carence des régimes spéciaux est-elle remise en cause ? Des annonces ont-elles été faites à ce sujet ? La DGT est-elle sollicitée pour travailler dans ce domaine ?

Mme Valérie Delayahe-Guillocheau. Ce sujet relève du ministère de la fonction publique.

La séance est levée à douze heures cinq.