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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 17 octobre 2013

Séance de 9 heures30

Compte rendu n° 01

Présidence de M. Jean-Marc Germain et M. Pierre Morange, coprésidents

– Audition, ouverte à la presse, sur « le financement de la branche famille » :

– M. Gilbert Cette, directeur des analyses microéconomiques et structurelles de la Banque de France, membre du Haut Conseil du financement de la protection sociale, M. Gérard Cornilleau, directeur adjoint au département des études de l’Observatoire français des conjonctures économiques, membre du Haut Conseil du financement de la protection sociale, et M. Henri Sterdyniak, directeur du département Économie de la mondialisation de l’Observatoire français des conjonctures économiques

– M. Julien Dubertret, directeur du budget au ministère de l’économie et des finances

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 17 octobre 2013

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de MM. Jean-Marc Germain et Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition, ouverte à la presse, de M. Gilbert Cette, directeur des analyses microéconomiques et structurelles de la Banque de France, membre du Haut Conseil du financement de la protection sociale, M. Gérard Cornilleau, directeur adjoint au département des études de l’Observatoire français des conjonctures économiques, membre du Haut Conseil du financement de la protection sociale, et M. Henri Sterdyniak, directeur du département Économie de la mondialisation de l’Observatoire français des conjonctures économiques.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Votre audition s’inscrit dans les travaux que nous avons lancés il y a plusieurs mois dans le but de faire des préconisations sur le financement de la branche « famille » de la sécurité sociale. La Cour des comptes nous a remis le rapport que nous lui avions commandé sur le sujet.

Dans le même temps, plusieurs chantiers et réformes sont en cours. Le Haut Conseil du financement de la protection sociale mène une réflexion sur les logiques des différentes branches et sur les relations entre les prestations et les modes de financement ; il émettra dans les prochains mois des propositions fondées sur des simulations à très long terme.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2014 prévoit par ailleurs une baisse des cotisations « famille » des entreprises, en contrepartie de la hausse des cotisations « vieillesse » qui résulte de la réforme des retraites.

On le voit, le cadre juridique se modifie en même temps que nos travaux se poursuivent. Nous souhaitons pouvoir apporter notre contribution à la réflexion en février ou mars 2014, avant l’élaboration du PLFSS pour 2015 qui devrait mettre en place les réformes proposées par la majorité.

Pour la branche « famille » comme pour d’autres domaines, la question principale est d’identifier la meilleure assiette de prélèvement, tant pour les entreprises que pour les ménages. Le débat relatif à la taxe sur l’excédent brut d’exploitation (EBE) dans le projet de loi de finances pour 2014 en témoigne : faut-il s’en tenir à des cotisations assises sur la masse salariale, passer à une assiette correspondant à la valeur ajoutée, ou encore adopter une solution mixte ? Concernant les ménages, faut-il basculer vers une contribution sociale généralisée (CSG) progressive ? Dans chaque cas de figure, quelles sont les conséquences sur la situation économique et sur l’emploi ?

S’agissant de la protection sociale, se pose également la question de la conformité des financements avec la logique de chaque branche. Les organisations syndicales sont très attachées à cet aspect que notre mission considère, pour sa part, comme moins fondamental.

La Cour des comptes s’en est tenue à une approche classique – peut-être trop classique – des conséquences des assiettes et des modes de prélèvement possibles sur l’emploi et la croissance. Elle s’en explique d’ailleurs dans son rapport en soulignant les limites des modèles utilisés. C’est pourquoi nous avons souhaité prendre également l’avis d’économistes experts de ces sujets.

La MECSS, je le rappelle, est une instance paritaire où la majorité et l’opposition sont représentées à égalité. Son objectif est avant tout de bien poser les termes du débat et d’ouvrir les champs du possible.

M. Jérôme Guedj, rapporteur. Nous souhaitons recueillir votre avis sur les différentes hypothèses de financement de la branche « famille » examinées par la Cour des comptes : assiette sur la valeur ajoutée des entreprises, utilisation de la fiscalité écologique, recours à la TVA, fiscalisation pure et simple. La réflexion sur ce sujet n’est-elle pas l’occasion de faire avancer l’idée d’une CSG progressive ? Quel est votre sentiment sur les réformes en cours de la branche « famille » ?

M. Gérard Cornilleau, directeur adjoint au département des études de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), membre du Haut Conseil du financement de la protection sociale. Les analyses macroéconomiques du rapport de la Cour des comptes sont en effet classiques. On y retrouve les simulations régulièrement produites par la direction du Trésor. Les variantes proposées pénalisent sans doute le scénario d’un transfert vers une assiette sur la valeur ajoutée : d’autres hypothèses conduisent à des résultats plus favorables.

La Cour reprend également les évaluations menées lors de la mise en place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). L’OFCE a une vision un peu différente puisqu’il estime à 150 000 et non à 360 000 le nombre d’emplois susceptibles d’être créés par ce dispositif.

La situation actuelle est à mon sens très différente de celle des années 1970-1980. À cette époque, il existait un véritable déséquilibre dans le partage du revenu en faveur des salaires, et tout ce qui allait dans le sens d’un allégement du coût du travail était bienvenu. Aujourd’hui, en revanche, l’équilibre général du partage du revenu est plutôt trop favorable au profit. Dès lors, il ne semble pas forcément pertinent de viser systématiquement l’allégement du coût du travail. Mais nous faisons partie d’une Union monétaire dont la gestion laisse à désirer : chaque pays peut s’engager à sa guise dans une politique de déflation salariale. Si nous cédons à cette surenchère avec certains de nos partenaires européens, ce sera, je crois, une politique « perdant-perdant ». Il est néanmoins malaisé, dans le contexte actuel, de soutenir un tel point de vue.

Pour en venir à la structure du financement de la protection sociale, le Haut Conseil a permis des évolutions sur le plan des principes. Désormais, l’accord est quasi général autour de l’idée, ancienne, qu’il faut distinguer les prestations contributives, assises sur des cotisations, et les prestations générales – typiquement celles de la branche « maladie » –, qui relèvent plutôt de l’impôt. Reste à en tirer les conséquences ! Pour l’instant, on envisage des dispositifs très complexes mais pas de véritable rupture. On oppose des arguments juridiques à l’idée d’un « grand soir » des cotisations sociales. Pour ma part, je regrette qu’on n’en parle pas plus.

M. Henri Sterdyniak, directeur du département Économie de la mondialisation de l’OFCE. Il y a quelques années, j’ai déjà eu l’occasion d’intervenir sur ces sujets devant une commission présidée par M. Yves Bur. Celle-ci avait malheureusement recommandé une réduction des dépenses « famille » pour résoudre la question du financement de la branche.

M. le rapporteur. Un peu comme la Cour des comptes aujourd’hui.

M. Henri Sterdyniak. Je crois que cette piste doit être écartée. Les familles ont besoin de plus de prestations. Le nombre d’enfants vivant sous le seuil de pauvreté a augmenté en France. Il faut que les prestations familiales et le revenu de solidarité active (RSA) soient revalorisés et indexés, non pas sur les prix – ce qui aboutit à la paupérisation des familles – mais sur les salaires.

Le Gouvernement a commis une erreur économique, sociale et politique en déclarant au début de l’année qu’il était absolument nécessaire de récupérer 2 milliards sur la branche « famille » et que les familles à revenu moyen étaient favorisées par le système. Il faut au contraire sécuriser les ressources de la branche et le pouvoir d’achat des familles pauvres et au revenu moyen. Quelle que soit la réforme adoptée, on doit prendre des engagements précis pour éviter de soumettre ces ressources aux aléas de l’économie.

La branche « famille » est aujourd’hui financée à hauteur de 34 milliards d’euros par des cotisations sociales patronales, dont 24 milliards sont à la charge des entreprises du secteur privé. Le reversement à la branche « vieillesse » s’élève à 9 milliards d’euros.

Compte tenu de ces données, quatre scénarios de réforme sont envisageables.

Le premier, le plus intéressant sur le plan économique, repose sur l’idée que la branche « famille » doit être financée par un impôt. Si l’on ne veut plus peser sur les salaires, il faut taxer la valeur ajoutée, soit en utilisant l’assiette de la contribution locale sur la valeur ajoutée des entreprises, soit en introduisant un impôt sur l’EBE.

Cette proposition a donné lieu à des travaux contradictoires. Les keynésiens l’applaudissent dans la mesure où cette substitution d’assiette du travail au capital favorise les secteurs utilisant beaucoup de main-d’œuvre. Telle était, traditionnellement, la position de l’OFCE. À l’opposé, la direction de la prévision du ministère de l’économie et des finances considère que, sur le long terme, le taux de chômage équivaut au taux de chômage naturel et que de telles dispositions n’auront pas d’incidence sur l’emploi, réduiront l’investissement et la productivité et, au total, appauvriront la France. On peut néanmoins douter de la pertinence de l’hypothèse du plein emploi à très long terme. En outre, le basculement vers la valeur ajoutée ou l’EBE nuirait à l’industrie, qui, par définition, utilise beaucoup de machines, et ne contribuerait pas à créer des emplois à bas salaire et peu qualifiés comme on le souhaite actuellement. Cette première piste semble donc fragile.

Le deuxième scénario est celui, très sympathique, du recours à la taxation écologique. Le problème est que l’on ignore quel sera le produit de cette taxation, laquelle dépend de décisions prises au niveau mondial ou européen et sera déjà utilisée pour soutenir certains secteurs en difficulté ou pour venir en aide aux ménages les plus pauvres. Par conséquent, mieux vaut disjoindre la question du financement de la branche « famille » et le débat sur l’écologie et la taxe carbone. Si d’aventure cette taxe venait à procurer des revenus importants, je préférerais que l’affectation d’une partie de ces revenus à la branche « famille » ne soit pas directe.

Le troisième scénario est celui de la TVA sociale, c’est-à-dire le remplacement de points de CSG par une hausse de la TVA. Curieusement, les entreprises considèrent que la TVA ne représente pas une charge pour elles, contrairement aux cotisations. La substitution de la TVA aux cotisations patronales pour la famille aurait le grand avantage de fournir à la branche une ressource stable : il suffirait de décider, par exemple, que trois points de TVA lui sont affectés. Mais il s’agit d’une fiction économique. La TVA étant déductible de l’investissement, elle ne pèse pas sur les machines ; elle pèse lourd, en revanche, sur les secteurs qui emploient beaucoup de main-d’œuvre. En économie fermée, donc, il y a très peu de différence entre la TVA et les cotisations sociales des employeurs. Le seul avantage serait un gain de compétitivité pour les entreprises françaises au départ, mais la perte de pouvoir d’achat des retraités et des salariés pourrait l’annuler rapidement.

Notons qu’un tel dispositif existe déjà sous la forme du CICE, financé à hauteur de 20 milliards d’euros l’année prochaine. Une solution au problème serait donc de supprimer le CICE, d’affecter ces ressources ainsi que 30 milliards de TVA à la branche famille et de supprimer les cotisations familiales patronales. Ce serait beaucoup plus simple pour les entreprises. Certes, on ne concentrerait plus la dépense sur les emplois jusqu’à un certain niveau de salaire, mais il me semble néfaste de maintenir des systèmes trop compliqués.

Le quatrième scénario, selon moi excessivement complexe et irréalisable, consiste à remplacer les cotisations familiales par de la CSG, le principe étant que les prestations familiales sont un transfert entre les personnes qui n’ont pas d’enfants et celles qui en ont. Dans ce cas de figure, on supprime les cotisations familiales patronales, les employeurs augmentent les salaires de 5,4 % – de quelle façon, c’est un autre problème ! –, on augmente de 5,4 points la CSG acquittée par les salariés, puis, comme on se dit qu’il n’y a pas de raison que seuls les salaires soient touchés, on rabaisse le taux de CSG qui leur est applicable et on augmente la CSG sur les pensions de retraite et les rentes.

Le dispositif, on le voit, ne rapporte rien aux entreprises. Il pèse encore plus sur les revenus du capital déjà soumis à une CSG de 15,8 %, ce qui est un trait spécifique du système français. Enfin, il prend quatre à cinq points de CSG de plus aux retraités, déjà mis à contribution cette année dans le cadre de la réforme des retraites. C’est la réforme préconisée par la CFDT : prendre de l’argent aux retraités et aux rentiers pour le donner aux salariés, sans aucun effet sur l’emploi.

Certains, qui ont lu de mauvais livres, considèrent que ce serait l’occasion de réaliser une grande réforme fiscale rendant la CSG progressive. Le problème est que le système français est déjà extrêmement redistributif. Les plus pauvres ne paient pas d’impôts, ils reçoivent le produit de différents prélèvements, ils paient de la CSG mais bénéficient du RSA ou de la prime pour l’emploi, ils reçoivent des allocations logement. Dans le même temps, les plus riches acquittent un impôt sur le revenu dont le taux s’est sensiblement accru, paient de la CSG, tandis que leurs employeurs paient des cotisations « maladie » et « famille » importantes, la France taxe les revenus du capital beaucoup plus fortement que les autres pays européens. Dans ces conditions, une grande réforme fiscale accentuant encore la redistributivité du système me semble illusoire.

On l’aura compris, ma préférence va au troisième scénario.

M. le coprésident Pierre Morange. Votre solution consiste à optimiser l’existant, en l’occurrence les dernières mesures gouvernementales, et à offrir à la branche « famille » un financement pérenne à supposer que la consommation reste stable. Quelle serait néanmoins l’incidence macroéconomique d’une augmentation de trois points de la TVA sur le pouvoir d’achat, l’emploi et le chômage à court, moyen et long termes ?

M. Henri Sterdyniak. L’idée n’est pas d’augmenter la TVA mais d’affecter à la branche trois points du taux existant.

Les 20 milliards d’euros transférés aux entreprises au titre du CICE seront financés pour moitié par des économies sur les dépenses publiques et pour moitié par une hausse de la TVA et une affectation de la taxation écologique. L’OFCE a publié une évaluation montrant que l’impact de la réforme sur le produit intérieur brut (PIB) serait nul mais que son effet sur l’emploi serait légèrement favorable, les entreprises étant incitées à utiliser plus de travail et moins de capital. Si, l’année prochaine, on dit aux entreprises qu’elles ne bénéficieront plus du CICE mais que leurs cotisations « famille » seront supprimées, je pense qu’elles s’en trouveront soulagées car cela leur simplifiera la vie. On assistera, certes, à un petit glissement entre les entreprises à bas salaires et les entreprises à salaires plus élevés. Mais il est établi que les entreprises exportatrices versent des salaires relativement élevés. Une baisse des charges en la matière contribuera donc à les aider.

Les réformes actuelles n’ont pas donné aux entreprises l’impression qu’on a allégé leurs cotisations sociales. On l’a pourtant fait, mais en compliquant à l’excès leur fiscalité.

M. le rapporteur. La proposition d’utiliser les recettes correspondant au CICE pour supprimer les 5,4 % de cotisations familles des entreprises rejoint ce que dit en filigrane la Cour des comptes lorsqu’elle relève que la superposition du mécanisme du CICE, qui vise les emplois rémunérés jusqu’à 2,5 SMIC, et de la progressivité du taux de cotisation appliqué aux entreprises – différence entre les entreprises de moins de vingt et de plus de vingt salariés, exonérations successives entre 1 SMIC et 1,6 SMIC – aboutit, en l’occurrence, à une quasi-disparition des cotisations patronales.

Au regard des mécanismes de financement du CICE – à savoir 10 milliards d’euros de baisse de la dépense publique, 6 milliards d’euros d’augmentation de la TVA, 2 à 3 milliards d’euros issus d’une fiscalité écologique putative –, la suppression des cotisations patronales que vous suggérez équivaut à la budgétisation du financement de la branche. Selon vous, cette suppression n’est pas incongrue dans la mesure où les prestations sont universalisées. Pour la Cour des comptes, cela ne va pas de soi. La Cour estime en effet à 12 à 13 milliards d’euros – sur les quelque 50 milliards d’euros versés par la branche « famille » – le montant des prestations destinées à concilier la vie familiale et la vie professionnelle, favorables, on le sait, au taux d’emploi des femmes. Elle considère qu’il n’est pas illégitime que les entreprises, qui retirent un bénéfice de ces dispositifs, continuent à contribuer au financement de la branche famille.

M. Gérard Cornilleau. Le problème est que ce raisonnement peut être tenu sur de multiples sujets : les entreprises profitent non seulement de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, mais aussi de la santé de leurs salariés, des systèmes de transport, etc. On ne peut, sur ce motif, faire financer par les entreprises l’ensemble des dépenses sociales et des équipements publics ! In fine, rappelons-le, les entreprises ne font que transférer la charge soit sur leurs actionnaires, soit sur leurs salariés – sous forme de réduction du salaire net –, soit sur leurs clients. Croire qu’elles paient est une grande illusion. Comme je l’ai dit dans une formule qui m’a été reprochée, l’entreprise est un ectoplasme. Certes, elle crée de la richesse en combinant du travail et du capital, mais on ne peut l’utiliser pour des financements durables.

En revanche, les prélèvements sur les entreprises sont justifiés dès lors qu’ils visent à infléchir leurs comportements. On peut, par exemple, moduler les cotisations « chômage » de manière à encourager les bonnes pratiques. De même, la fiscalité écologique doit être à la charge des entreprises puisqu’il leur est possible d’y échapper si elles adoptent de meilleurs comportements.

En matière familiale, on est loin de ce schéma : il s’agit plutôt, comme l’a dit Henri Sterdyniak, de transferts entre les ménages. Or, du fait de son histoire, le système est complexe et traîne des anomalies que l’on pourrait corriger. Pendant longtemps, par exemple, les pensions de retraites n’ont pas été soumises à cotisations, ce qui permettait, en retour, d’avoir des taux de cotisations « retraite » plus faibles. Si l’on souhaite tout neutraliser, il faudrait annoncer le jour où l’on transfère les cotisations familiales employeur vers la CSG que l’on augmente aussi le montant des retraites, donc les cotisations retraite, et que l’on abaisse les cotisations maladie dont on aura, par le fait, élargi l’assiette.

Je suis conscient qu’une telle remise à plat est très difficile à réaliser. On a maintenu bien d’autres incongruités, comme l’abattement de 10 % pour frais professionnels sur les montants des retraites ! Mais j’espère que le Haut Conseil essaiera de mener ce travail de fond en dépit des réticences.

Pour en revenir à la branche « famille », c’est la sécurisation des prestations, et non celle des ressources, qui a toujours été le sujet principal. Du fait d’une indexation défaillante, cette branche génère structurellement des excédents. Mais cela ne nous exonère pas de trouver le moyen de sécuriser les ressources !

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Votre raisonnement semble implacable si l’on s’en tient à la seule branche « famille ». Mais si l’on considère l’ensemble du financement de la protection sociale, la question de l’assiette des prélèvements sur les entreprises reste ouverte – sans parler du financement des collectivités locales par la cotisation sur la valeur ajoutée. Indépendamment de la question de l’affectation des ressources, comment établir une assiette aussi large et efficace que possible en matière de prélèvements sur les entreprises ?

Par ailleurs, je ne crois pas que les prélèvements soient trop progressifs en France. Les entreprises bénéficient toujours de « niches » fiscales. L’idée qu’elles représentent les intérêts conjoints des salariés et des actionnaires est démentie par les vingt dernières années, durant lesquelles les actionnaires et les très hauts salaires ont capturé 99 % de la valeur ajoutée. L’alternative entre la taxation des entreprises et la taxation des ménages est illusoire. En réalité, soit on taxe les actionnaires et les hauts dirigeants, soit on taxe les ménages, le problème étant plus celui du coût du capital que celui du coût du travail.

J’ai donc un autre scénario en tête : créer une assiette patronale large – valeur ajoutée nette ou addition de la masse salariale et de l’impôt sur les sociétés –, cibler le CICE sur l’industrie et rendre la CSG progressive. On peut bien, comme M. Sterdyniak le préconise, utiliser le financement du CICE pour supprimer la cotisation « famille » patronale, mais il n’est pas possible d’étendre ce modèle à l’ensemble du financement de la protection sociale.

M. le coprésident Pierre Morange. Le rapport de M. Yves Bur sur le financement de la branche famille préconisait une solution médiane, acceptable économiquement et socialement. Quelles seraient les conséquences, dans ces domaines, de la simplification du dispositif que vous proposez et de la nouvelle affectation des ressources du CICE ? Comment ce dispositif pourrait-il s’articuler avec un éventuel élargissement de l’assiette des prélèvements ?

M. Henri Sterdyniak. Nous nous devons de prendre pour point de départ la situation économique de la France et nous demander comment favoriser l’emploi ; dans cette perspective, l’essentiel n’est pas de savoir s’il est légitime que les entreprises participent au financement des crèches. Nous sommes malheureusement dans une zone euro incapable de définir une stratégie macroéconomique cohérente et d’impulser la demande et dont les pays membres doivent se battre les uns contre les autres pour se faire les moins-disants en matières sociale et salariale. Nous sommes aussi à une époque où les capitalistes, devenus de plus en plus gourmands, demandent des taux de rentabilité élevés et n’investissent pas. Tout cela pose évidemment des problèmes difficiles au Gouvernement. Il a choisi de créer le CICE, destinant ainsi 20 milliards d’euros à l’ensemble des entreprises. On peut penser que cette somme aurait été mieux employée en faveur d’une politique industrielle fine, dotée des moyens nécessaires à son objet : rebâtir le tissu industriel en aidant les entreprises industrielles qui en ont besoin. Mais les contraintes européennes amènent à choisir le second best, une solution de repli. Et dans ce cadre, le CICE, étant donné son ciblage douteux, est plus compliqué et sans doute moins efficace que ne l’aurait été la simple suppression des cotisations « famille ».

Le débat économique de fond est le suivant : faut-il remplacer les cotisations sociales employeur et, éventuellement, diverses autres impositions par une contribution sociale assise sur l’excédent brut d’exploitation ? J’y suis très favorable car cette mesure est la seule qui permette de taxer spécifiquement les entreprises trop capitalistiques et d’aider les secteurs qui emploient beaucoup de main-d’œuvre – ce que la TVA sociale ne fait pas. Mais elle frapperait l’industrie, et elle paraît d’autant plus difficile à « vendre » que la taxation devrait porter sur le brut. Je n’ignore pas que, selon le schéma théorique dans lequel on se place, cette proposition est considérée, au choix, comme stupide ou comme la meilleure qui soit.

Pour ce qui concerne les ménages, on est allé au bout de ce que l’on peut prélever sur les hauts revenus. Des mesures restent à prendre mais, à chaque fois, ce sera très dur. Ainsi, l’absence de taxation des loyers fictifs est scandaleuse, mais comment dire aux propriétaires qu’ils devront désormais régler 15 % de prélèvements sociaux sur le montant du loyer qu’ils ne payent pas ? La mesure est redistributive, mais difficile à faire accepter. Une autre bonne mesure consiste à supprimer les privilèges associés au plan d’épargne en actions (PEA) et à l’assurance-vie, et une autre encore à décider que donations et héritages doivent purger les plus-values. Ces trois mesures procureraient de l’argent qui pourrait être redistribué aux plus pauvres, mais elles sont difficiles à mettre en musique. Une fois ces quelques milliards récupérés auprès des plus riches, il n’y aurait aucun problème à dire que le RSA n’est pas assez élevé pour les familles avec un ou deux enfants et qu’il faut repenser le complément familial en leur faveur parce qu’elles ne demandent pas le RSA auquel elles ont droit. Mais cela suppose pour commencer de procéder à la récupération auprès des plus riches et, dans le contexte actuel, je vois mal les trois mesures que j’ai décrites annoncées.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Vous avez évoqué des solutions qui, pour ne pas avoir un impact négatif sur le pouvoir d’achat, supposent d’augmenter les salaires, ajoutant qu’un tel schéma est impossible. Est-ce si sûr ? Après tout, lors du passage aux 35 heures, on a agi sur les salaires. M. Gilbert Cette, qui vient de nous rejoindre, nous donnera son avis.

M. Gilbert Cette, directeur des analyses microéconomiques et structurelles de la Banque de France, membre du Haut Conseil du financement de la protection sociale. Je tiens à préciser que je m’exprime en mon nom personnel. La question du financement de la protection sociale doit s’apprécier à l’aune de l’équité et à celle de l’efficacité économique. S’agissant de l’équité, assez nombreux sont ceux qui, depuis assez longtemps, jugent logique que les prestations universelles non contributives soient financées sur l’assiette la plus large ; sinon, on aboutit à l’aberration que l’effort contributif diffère selon la structure d’un même revenu, alors que les droits sont identiques. Cela concerne la branche « famille », soit quelque 5,5 % de prélèvements sociaux sur la masse salariale, et aussi l’assurance maladie, soit plus de 13 %.

M. le coprésident Pierre Morange. Permettez-moi d’apporter une nuance : les prestations étaient historiquement universelles, mais la redistribution a été concentrée, ces vingt dernières années, sur les ménages les plus modestes – ce qui se défend parfaitement.

M. Gilbert Cette. C’est exact, mais je brosse le tableau de la situation à grands traits. À raison de dix-huit à dix-neuf points de prélèvements sur la masse salariale – contribution « famille » et contribution « maladie » confondues –, on atteint des sommes considérables, si bien que la modification brutale du mode de financement des prestations universelles non contributives entraînerait des bouleversements phénoménaux. Aborder la chose de manière progressive en se concentrant d’abord sur les 5,5 % de contribution « famille » n’est donc pas une mauvaise approche.

Pour ce qui est de l’efficacité économique, on a cherché récemment à réduire le coût du travail parce qu’on est amené à considérer que les problèmes de compétitivité de notre économie sont pour partie liés au coût du travail et que le manque d’innovation des entreprises françaises tient aussi à une rentabilité moyenne insatisfaisante. La comparaison du taux d’épargne des entreprises des grands pays industrialisés montre que la France est en bas de la liste. Cette orientation date du début des années 2000 ; elle n’est pas due à la crise, le problème est beaucoup plus structurel et inquiétant. Le souci de baisser le coût du travail reflète le désir d’aider les entreprises à financer dans le long terme leurs efforts d’innovation
– c’est la compétitivité hors coût – et, éventuellement, à faire de la compétitivité coût à court terme, sachant que ce que l’on ne fait pas avec l’un, on le fait en partie avec l’autre, mais que l’on ne peut agir sur tous les tableaux simultanément.

Le « rapport Gallois » ayant fortement souligné cette situation, des dispositions ont été prises, dont l’instauration du CICE. Ce dispositif conduit à se poser la question facétieuse « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? », puisqu’un transfert équivalent aurait pu prendre pour forme la fiscalisation d’une partie de la protection sociale. On voit bien l’intérêt du CICE : il a un effet immédiat et son coût pour les finances publiques est décalé à 2014 et 2015. Mais, outre que le dispositif est complexe, il n’est pas certain qu’il remplisse complètement l’objectif visé et que le comportement des agents soit le même que si l’on avait choisi la baisse directe du coût du travail. Il y a par ailleurs un effet de seuil. Le plafond de rémunération conditionnant le crédit d’impôt, parce qu’il est fixé à 2,5 SMIC, complique encore l’édifice, un seul euro versé au-delà de ce plafond majorant le coût annuel du travail de 2 500 euros par salarié concerné. Or la rémunération des chercheurs est généralement supérieure à 2,5 SMIC. Le crédit impôt recherche (CIR) est une bonne mesure, mais il y a une percussion entre ce dispositif, qui aide les efforts de recherche, et le CICE, qui peut les dissuader par cet effet de seuil en faveur des salariés les moins qualifiés et au détriment des salariés très qualifiés, dont les chercheurs.

Fallait-il cibler le dispositif vers l’industrie, productrice de biens exportables directement exposée à la concurrence ? Ce n’est pas très simple à concevoir et, a priori, cela ne s’impose pas. En effet, dans la branche manufacturière, les coûts directs en travail – entre 30 et 35 % des coûts de production – sont égaux au coût indirect en travail, celui des emplois de service mobilisés pour produire des produits manufacturiers. C’est dire que si des mesures réduisent le coût du travail dans les services, la baisse se répercutera dans le secteur manufacturier et sa compétitivité en bénéficiera.

En résumé, le CICE est certes un second best, mais c’est mieux que rien. On pouvait faire un petit peu mieux et j’imagine qu’à l’avenir il faudra simplifier le dispositif, le rendre plus cohérent avec les objectifs d’équité et plus conforme à une stratégie de long terme pour le financement de la sécurité sociale.

Enfin, le CICE comme le basculement d’une partie du financement de la protection sociale vers les ménages ressortissent à la dévaluation fiscale. Or, les dévaluations peuvent avoir un effet favorable sur la compétitivité, mais il n’est que temporaire ; après quelques années, le gain compétitif est perdu et l’on est ramené à la situation dans laquelle on se serait trouvé sans l’avantage lié à la dévaluation fiscale. Cela signifie que le basculement d’assiette et le CICE doivent être articulés avec des politiques d’amélioration structurelle de la compétitivité. Parce que les politiques structurelles ont des effets progressifs, décalés dans le temps, ces dispositifs servent en quelque sorte à faire la soudure, mais en rester là ne procurerait qu’un avantage transitoire.

M. le rapporteur. Il est frustrant d’entendre qu’il serait impossible de réformer le financement de la protection sociale pour soutenir l’activité et l’emploi. La Cour des comptes explique qu’il n’y a pas d’assiette miracle. Laquelle privilégiez-vous ?

M. Gilbert Cette. Je préconise une assiette large allant jusqu’à la fiscalisation. Pour moi, la CSG est le véhicule idéal, et la TVA le second best. Mais, dans tous les cas, quelqu’un doit payer le gain compétitif et, comme il a été dit, le basculement pur et simple de la cotisation employeur vers la CSG pèserait sur le pouvoir d’achat des salariés, des retraités et des revenus du capital. Pour ce qui est des salaires, la dynamique salariale, en France, est relativement bonne au regard de ce qu’elle est dans les autres pays, et plusieurs études font état de sa résistance en dépit de la hausse du taux de chômage. Pour ce qui concerne le niveau de taxation des revenus du capital, je pense, comme Henri Sterdyniak, que la France a fait fort ; nous faisons figure d’exception en ce domaine. Enfin, on sait que la suppression de certaines niches relatives aux revenus du capital créerait des difficultés : ainsi, l’encours élevé de l’assurance-vie en France nous aide à placer plus facilement, et dans des conditions plus favorables, les émissions d’obligations renouvelables du Trésor. Je ne dis pas qu’il ne faut pas faire disparaître les niches, mais il faut garder à l’esprit que, lorsqu’on instaure une taxe, les agents économiques réagissent à cette taxation.

Les 6 milliards d’euros de TVA alloués au financement du CICE sont bel et bien payés par les ménages. On verra quel sera le contour précis de la taxe écologique, mais l’on sait déjà qu’à partir de 2015 les ménages payeront aussi la plus grande partie de ce basculement-là. Ils supporteront encore la réduction de 10 milliards d’euros des dépenses. Ce n’est pas forcément un mauvais choix si l’on partage le diagnostic posé par M. Louis Gallois, que je fais mien. Néanmoins, le basculement vers la CSG aurait, de même, fait payer les ménages, mais de manière plus directe, plus claire et plus transparente, en accord avec une stratégie de très long terme de fiscalisation du financement de la protection sociale.

M. le coprésident Pierre Morange. Les dévaluations fiscales ont, avez-vous dit, des conséquences éphémères. Quelle est selon vous la durée de leurs effets bénéfiques ?

M. Gilbert Cette. Les instruments macroéconomiques dont nous disposons nous amènent à penser que l’effet maximal est atteint en un à trois ans. Après quoi on observe une décrue qui conduit à une quasi-disparition de tout effet après six à sept ans.

M. le rapporteur. La baisse des cotisations patronales pour la branche « famille » est destinée à compenser l’augmentation des cotisations pour la branche « vieillesse ». Comme les dépenses de la branche « famille » ne baisseront pas, il y a un engagement de compensation par le budget de l’État, y compris par le biais de la hausse de la TVA prévue pour s’appliquer le 1er janvier 2014. Cela correspond-il au mouvement que vous appelez de vos vœux ?

M. Gilbert Cette. Nul ne l’ignore, il existe un problème d’acceptabilité de l’impôt pour beaucoup de citoyens. Essayer de réduire ce refus passe par une certaine transparence et par la simplification des dispositifs. Définir des financements spécifiquement consacrés à la protection sociale et affichés comme tels facilite l’acceptation de ces prélèvements par les ménages.

M. le rapporteur. Voilà qui ne plaide pas en faveur d’une fiscalisation « anonymisée ».

M. Gilbert Cette. De fait, les financements fléchés, tels la CSG, amènent les citoyens à comprendre les orientations des grandes masses fiscales. C’est pourquoi il serait sensé de développer des prélèvements redistributifs tels que l’impôt sur le revenu pour financer des politiques spécifiques de réduction des inégalités et de lutte contre la pauvreté, les prélèvements généraux tels que la TVA étant davantage employés à financer les activités régaliennes de l’État. Afficher des prélèvements sociaux finançant des prestations sociales facilite la compréhension d’un système complexe et donc, à terme, une plus grande acceptation de la fiscalité. On en est loin, puisque l’on va vers des dispositifs toujours plus obscurs, dont celui que vous avez décrit.

M. Gérard Cornilleau. Il est paradoxal qu’une redistribution assez forte, comme elle l’est en France, s’accompagne d’une telle incompréhension de cette redistribution. L’une des raisons en est évidemment la complexité du système, et refuser de le simplifier au motif que l’on ne peut plus accentuer la redistribution me paraît erroné. Il faut distinguer système et barème : le système doit être simplifié pour qu’il soit mieux compris et ainsi mieux accepté, mais cela n’empêche pas de revoir le barème. On peut très bien parvenir au même niveau de redistribution avec un système structuré différemment et, par exemple, augmenter la CSG et la fusionner avec l’impôt sur le revenu sans que cela modifie fondamentalement le niveau de redistribution. Je pense également qu’un élément central de simplification est bien l’affectation des cotisations aux prestations contributives. On se félicitera d’avoir échappé
– de peu, semble-t-il – au financement, qui aurait été tout à fait anormal, de la branche « vieillesse » par la CSG ; les cotisations sont versées par les seuls bénéficiaires à terme du dispositif, les salariés.

Je suis très favorable à l’opération consistant à augmenter les salaires bruts et supprimer les cotisations patronales pour que le coût du travail et le salaire net demeurent inchangés. Mais l’on me dit que l’État n’a pas le droit de s’immiscer dans le contrat de travail… Je le déplore, mais je ne suis pas juriste.

Des réformes sont possibles, qui peuvent être menées dans la durée, mais elles doivent se faire à partir d’un schéma de reconstruction d’un système qui a beaucoup vieilli.

M. le coprésident Pierre Morange. J’observe que lorsqu’il s’est agi de réduire le temps de travail, l’État est bel et bien intervenu dans le contrat de travail. Cette rhétorique me semble fragile.

M. le rapporteur. Et maintenant, messieurs, que faire ?

M. Henri Sterdyniak. À mon sens, la situation est ingérable en raison d’une dynamique européenne perverse. La France s’est engagée à réduire de 80 milliards d’euros les dépenses publiques d’ici 2017, ce qui est absolument impossible sans provoquer des drames légitimes. Nous avons signé le pacte budgétaire, mais l’Europe ne réussit pas à repartir et nos contraintes sont si lourdes que l’on ne peut prendre aucune autre mesure d’allégement en faveur des entreprises que celle qui a déjà été prise : le CICE. Il s’agit donc maintenant de faire vivre cette mesure au mieux en disant qu’elle correspond à la suppression des cotisations pour la branche « famille ».

M. le rapporteur. Qu’en est-il alors de la nécessité de favoriser la compétitivité prix des entreprises exposées à la concurrence ? M. Louis Gallois insiste sur ce sujet.

M. Henri Sterdyniak. C’est fait : on a donné aux entreprises 20 milliards d’euros qui s’ajoutent au crédit impôt recherche et à la baisse de la taxe professionnelle. On peut difficilement faire plus, sauf à modifier la politique européenne. L’Union ne peut avoir une stratégie d’austérité et demander en plus aux pays membres de se faire de la concurrence fiscale et sociale ; cela finit par coincer. Il faudra dresser le bilan du CICE et sécuriser les ressources de la branche « famille » en lui fournissant des ressources stables – dire que tant de points de TVA ou de CSG, ou la taxe sur les salaires, lui sont affectés à tout jamais. On peut espérer obtenir des recettes par la montée en puissance de la fiscalité écologique, le renforcement de la lutte contre l’optimisation fiscale à l’échelle internationale et, peut-être, la suppression des quelques niches fiscales injustifiées qui demeurent. Mais, étant donné tout ce qui a déjà été fait, cela ne rapportera pas grand-chose, et les ressources de la branche famille ne doivent pas dépendre de cela.

Mme Bérengère Poletti. Il serait incontestablement plus clair pour tous que la fraction du produit de la TVA finançant le CICE finance directement les prestations familiales. Le circuit actuel est mal compris parce que peu lisible.

M. Gilbert Cette. C’est vrai, mais il est difficile de faire apparaître sur les factures une TVA ventilée en rubriques. La TVA est une recette fiscale qui se fond dans un ensemble plus vaste. Je souscris aux propos d’Henri Sterdyniak. De toute politique économique on attend des effets par des signaux prix, et l’on sait que l’instabilité des dispositifs est contre-productive : elle entraîne à la fois la démultiplication des effets d’aubaine et l’atténuation des effets de substitution. Or, si l’on prend pour exemple les allégements de cotisations sur les bas salaires, on constate un changement par an en moyenne depuis le début des années 1990 ! Le CICE est un second best, mais maintenant qu’il a été annoncé, on peut se demander si l’on ne perdrait pas plus à le modifier pour l’améliorer qu’à le conserver en l’état. Pour cette raison, il est peut-être opportun d’en faire le bilan dans trois ou quatre ans et d’y revenir alors. On ne doit pas réviser les dispositifs de ce type trop fréquemment. Le CIR a aussi été modifié tous les ans depuis sa création, ce qui complique les investissements en recherche, stratégiques pour les entreprises.

M. le rapporteur. Et ce qui entraîne des effets d’aubaine relevés par la Cour des comptes, et qu’elle relèvera à terme pour le CICE…

M. Henri Sterdyniak. S’il est dit que le CICE s’appliquera à toutes les entreprises et sur tous les salaires, les entreprises seront plus satisfaites qu’elles ne le sont du dispositif prévu, horriblement compliqué et, pour tout dire, ingérable.

M. le coprésident Pierre Morange. Messieurs, nous vous remercions pour ces analyses particulièrement lucides d’un sujet complexe.

La MECSS procède ensuite à l’audition, ouverte à la presse, de M. Julien Dubertret, directeur du budget au ministère de l’économie et des finances.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Julien Dubertret, directeur du budget au ministère de l’économie et des finances.

Monsieur le directeur, la MECSS a déjà effectué plusieurs auditions relatives au financement de la branche famille, sans oublier sa commande à la Cour des comptes d’un rapport d’évaluation comparative des différentes assiettes de prélèvement permettant de financer la politique de la famille. Or telle fut la conclusion en demi-teinte du rapport : comme aucun mode de prélèvement – CSG, TVA, fiscalité écologique – n’offre d’avantage particulier en termes de dynamique économique, il convient, pour résoudre le déficit de la branche famille, de dégager des économies.

M. le rapporteur. Le PLFSS pour 2014 prévoit notamment une baisse de 0,15 % de la cotisation patronale destinée au financement de la branche famille. Pouvez-vous nous présenter en détail les modalités de financement de cette branche prévues dans le PLFSS ? Quelles sont par ailleurs les pistes de réforme du financement de la branche famille sur lesquelles vous travaillez actuellement ? La Cour des comptes évoque une éventuelle fiscalisation pleine et entière de cette branche : serait-elle à vos yeux envisageable, d’autant que le pendant d’une telle évolution serait une budgétisation des dépenses de la branche famille relevant de la solidarité, comme la lutte contre la pauvreté, les aides aux personnes en difficulté ou les aides au logement – la liste n’est pas exhaustive ?

M. Julien Dubertret, directeur du budget au ministère de l’économie et des finances. Je tiens tout d’abord à préciser que je n’ai aucun mandat particulier sur la question délicate de la budgétisation : c’est pourquoi je n’y répondrai qu’en termes de faisabilité.

M. le coprésident Pierre Morange. Votre audition prend la suite d’une table ronde d’économistes réunissant M. Gilbert Cette, M. Gérard Cornilleau et M. Henri Sterdyniak. À leurs yeux, il convient d’opter pour une solution relativement simple : consacrer les sommes aujourd’hui affectées au CICE à une diminution équivalente de la contribution des entreprises au financement de la politique de la famille, contribution qui s’élève à l’heure actuelle à 5,4 %. Une telle solution aurait pour avantage de conférer à ce financement une plus grande lisibilité et une plus grande pérennité tout en créant un mécanisme plus efficace en termes de compétitivité des entreprises.

M. Julien Dubertret. Je commencerai par les grands équilibres.

Il convient tout d’abord de rappeler le fort dynamisme sur le très long terme des dépenses de la politique familiale, qui n’ont pas été bridées, bien au contraire, puisque le déficit du régime perdure en dépit de recettes croissantes. J’arrive donc aux mêmes conclusions que la Cour des comptes : il faut maîtriser les dépenses.

Cette branche est marquée par une universalisation croissante des prestations et une diversification et une fiscalisation également croissantes des recettes. Les prestations familiales ont été universalisées en 1978 avec la suppression de toute condition d’activité professionnelle, ce qui leur a fait perdre toute dimension contributive. Après différentes étapes, l’aide personnalisée au logement (APL) est par ailleurs créée en 1977 : ce « bouclage des aides au logement », qui confirmait l’universalisation des prestations, s’est traduit par un ressaut très important des dépenses. Parallèlement, on a assisté à une diminution de la part des cotisations dans les recettes, à une hausse de la CSG et à l’apparition et à la croissance des impôts et taxes affectés. La branche famille est donc de plus en plus universelle du côté des prestations comme des recettes.

En dépit de la diversification et de la fiscalisation croissante des recettes, le financement de la branche reste très largement assis sur les revenus d’activité – plus de 80 %. Du reste, la CSG est un impôt très largement assis sur les revenus d’activité. Sur le long terme, les recettes de la branche famille évoluent comme le PIB, l’évolution de la masse salariale étant proche de celle du PIB, voire, par moments, un peu plus favorable.

Dans son rapport annuel sur la loi de financement de la sécurité sociale, la Cour des comptes souligne l’apport supplémentaire considérable de la CSG, qui n’est pas une simple recette de substitution, puisque, « toutes choses égales par ailleurs, la création de la CSG procure ainsi à la sécurité sociale des recettes supérieures de 24 milliards d’euros, soit 1,2 point de PIB, à ce qu’elles auraient été tendanciellement à architecture de financement inchangée ». La CSG est une recette excellente, surtout si on la compare aux précédentes. Il n’est pas vrai de dire que les recettes de la branche famille auraient été maltraitées – la Cour des comptes elle-même se risque parfois à l’affirmer.

M. le rapporteur. Quelle est la part des revenus du capital ?

M. Julien Dubertret. Je ne saurais vous le dire avec exactitude : elle est en tout cas minoritaire puisque la CSG est assise à plus de 80 % sur les revenus d’activité.

La CSG a été une « bonne affaire ».

Ma remarque vaut d’ailleurs pour la sécurité sociale d’une manière générale : on ne peut pas dire que les dépenses de la sécurité sociale aient été bridées par un dynamisme insuffisant des recettes. Aussi convient-il de relativiser les critiques sur la mise en place en 2011 du préciput, qui a entraîné un transfert de recettes décroissantes. C’est en toute connaissance de cause que la mesure a été prise, compte tenu du bon dynamisme des autres recettes et du fait que les prestations de la branche famille sont moins dynamiques que celles des branches vieillesse ou maladie.

Les dépenses, quant à elles, ont évolué beaucoup plus vite que l’inflation. Un rapport récent affirme que l’indexation des prestations familiales sur la seule inflation conduirait à une dégradation tendancielle de la part des prestations familiales dans le PIB : je pense que l’analyse est un peu courte. En réalité, la croissance de l’ensemble des dépenses de la branche famille est quasiment égale à celle du PIB sur le long terme. Il n’y a donc aucune raison d’indexer les prestations sur un autre facteur que les prix. En effet, si tel était le cas, compte tenu des nombreuses créations de prestations, on se retrouverait avec une croissance des dépenses très supérieure au PIB.

Si, de 1978 à 1990, la part des prestations légales de la branche famille dans le PIB baisse de 2,3 % à 1,8 %, en revanche, depuis 1990, cette part est constante puisqu’elle est toujours de 1,8 % en 2012. Quant au nombre d’enfants de zéro à dix-neuf ans éligibles aux prestations familiales, il est de 16,2 millions en 1991 et de 16,1 en 2012. La part de la richesse nationale consacrée aux familles est donc stable. Aussi ne saurait-on prétendre qu’il y ait eu un effort particulier de maîtrise de ces dépenses ou que les règles d’indexation utilisées auraient été défavorables à la politique familiale. De nombreuses mesures ont été mises en œuvre successivement. J’en citerai quelques-unes : hausses régulières de l’âge limite d’accès aux prestations familiales – il est passé de quatorze à vingt ans –, fréquentes revalorisations ponctuelles de prestations, majoration des allocations familiales en 1981, hausse de 25 % de l’allocation de rentrée scolaire en septembre 2012, plans de revalorisation jusqu’en 2018 du complément familial de l’allocation de soutien familial lancés dans le cadre du Plan pauvreté, création de la prestation d’accueil du jeune enfant en 2005, croissance très forte du fonds national d’action sociale – la liste n’est pas exhaustive. Notons toutefois que ces nouvelles prestations répondent plus souvent à une politique d’empilement qu’à une redéfinition complète de la branche famille. C’est pourquoi celle-ci mériterait d’être appréhendée selon la méthode de la modernisation de l’action publique, conduisant, pour une plus grande efficacité, à une remise à plat de la politique familiale après évaluation.

Pour résumer, je dirai que la politique familiale se traduit par un fort dynamisme des dépenses, la constance remarquable de leur part dans le PIB, des recettes favorables et, malgré tout, par un déficit qui, sans être négligeable, n’est pas très important si on le rapporte au total de la branche famille – 55 milliards de dépenses. Il pourrait donc être traité sans trop de difficultés via une maîtrise des dépenses, puisque la branche famille fait déjà l’objet de recettes très généreuses.

S’agissant de la fiscalisation de la branche famille, il faut savoir qu’il n’y a pas de miracle en matière de ressources fiscales. En effet, contrairement à la branche maladie, qui peut bénéficier de taxes comportementales, il n’existe pas de recettes qui, par nature, sont destinées à la famille. L’évolution du financement de la branche famille vers une plus grande fiscalisation fait toutefois l’objet d’un relatif consensus, qu’il s’agisse de la Cour des comptes, du Haut Conseil de la famille, des employeurs ou des organisations familiales et syndicales, à l’exception notable de la CGT et de la CGT-FO.

Le débat sur le financement de la branche famille est lié au débat sur le coût du travail en France, les cotisations familiales étant exclusivement acquittées par les employeurs. Quelles ressources conviendrait-il de substituer à ces cotisations alors que, comme je le disais, il n’existe pas de recettes pouvant être par nature affectées à la famille ? Je note toutefois que les différentes propositions de réforme du financement de la branche ont souvent pour dénominateur commun une fiscalisation accrue.

La piste d’un accroissement net des recettes fiscales est à exclure compte tenu des engagements très clairs du Gouvernement en termes de trajectoire des finances publiques. L’article liminaire du projet de loi de finances prévoit le solde structurel et le solde effectif de l’ensemble des administrations publiques et le Gouvernement a déclaré que, dans le retour à l’équilibre structurel d’ici à la fin du quinquennat, l’effort devait porter intégralement sur la dépense. Autant il est possible d’imaginer des redistributions de recettes, autant il est impossible de s’orienter vers une hausse nette des prélèvements obligatoires au profit de telle ou telle administration publique. La création d’un nouveau prélèvement devrait donc s’accompagner de la suppression ou de la diminution équivalente d’un autre prélèvement afin de ne pas augmenter le taux de prélèvement obligatoire (TPO). Or la fiscalité écologique est fléchée vers le CICE et il convient de regarder avec prudence les éventuelles marges de manœuvre offertes par la fiscalité du capital, compte tenu notamment de la décision du Conseil constitutionnel de 2012 et d’une interprétation récente du Conseil d’État, lesquelles invitent à la prudence. La seule solution serait donc de substituer une recette existante à la cotisation des employeurs à la branche famille.

S’agissant des conséquences macroéconomiques de la substitution d’une ressource alternative aux cotisations patronales familiales, il convient de distinguer deux cas : la ressource de substitution a pour origine un prélèvement fiscal ou une baisse des dépenses. Le CICE est financé à la fois par une hausse des recettes et par une baisse des dépenses. Une baisse de prélèvement financée par une diminution des dépenses a incontestablement à long terme un effet favorable sur la compétitivité de l’économie. Une baisse des dépenses est, après tout, une substitution de ressources.

Le gage en recettes, quant à lui, mobilise un modèle économétrique valable uniquement sur le court terme car construit sur l’adéquation de l’offre et de la demande : je ne suis pas certain qu’un tel modèle intègre sur le long terme les effets notamment sur la modification de la compétitivité de l’offre si, par exemple, on substitue la TVA aux cotisations patronales. Je doute qu’il soit pertinent d’utiliser un modèle reposant sur une mécanique de flux valable à court terme pour évaluer des effets structurels qui, par définition, ne peuvent être mesurés que sur le long terme.

M. le coprésident Pierre Morange. Les mécaniques de flux n’ont d’effet positif que sur une période de trois à cinq ans : on retourne au point de départ au bout de six ou sept ans. C’est pourquoi elles ne peuvent servir que de mesures intérimaires, le temps de la mise en œuvre des mesures structurelles.

M. Julien Dubertret. En termes de compétitivité internationale, on peut aussi comparer de telles mesures à une dévaluation, laquelle n’a que des effets transitoires si elle ne s’accompagne pas d’autres dispositions, notamment en termes de contrainte sur l’évolution des prix, de maîtrise de la masse monétaire pour éviter tout risque d’inflation, ou d’accroissement de la concurrence. L’histoire nous invite à réfléchir aux mesures additionnelles qui doivent accompagner nos décisions économiques, afin d’en garantir les effets sur le long terme.

La fiscalisation croissante du financement de la branche famille a franchi cette année une étape supplémentaire. La Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) se voit en effet attribuer environ 2 milliards d’euros de ressources fiscales complémentaires. Un milliard permet de compenser la baisse des cotisations sociales patronales. Un autre milliard contribue à combler son déficit et équivaut aux effets du plafonnement supplémentaire du quotient familial.

En 2014, grâce à un mécanisme de compte d’avances sur le budget de l’État, des recettes de TVA nettes sont réaffectées à la sécurité sociale et fléchées vers la seule branche maladie qui en cède une partie à la CNAF. Cette dernière récupéra globalement 2 milliards d’euros grâce à l’affectation de la taxe sur les véhicules de sociétés, pour un montant atteignant presque 900 millions d’euros, aux contributions sur les stock-options, pour près de 500 millions d’euros, aux prélèvements sur les jeux et paris, pour 230 millions d’euros, et à la modification de la répartition de la CSG entre branches qui lui rapportera quasiment 800 millions d’euros – dans le même temps, le prélèvement social sur le capital est recentré sur la branche maladie au détriment de la branche famille pour plus de 450 millions d’euros.

M. le rapporteur. Ce financement est-il lié aux effets de la hausse de la TVA à partir du 1er janvier 2014 ?

M. Julien Dubertret. Les deux questions sont distinctes. La répartition des ressources entre les administrations publiques ne dépend pas du surplus de TVA attendu du fait du relèvement des taux.

Dans le cadre de la mise en place du CICE, le partage de recettes entre l’État et la sécurité sociale, et entre les branches de la sécurité sociale, doit faire l’objet d’une clarification. Une part de TVA était jusqu’à présent affectée directement à la sécurité sociale ; désormais, elle transite par un compte de concours financier retracé au budget de l’État, ce qui permet à la représentation nationale et aux Français de disposer d’une information complète.

M. le rapporteur. Je crois que 3 milliards d’euros de recettes sont dirigés vers le PLFSS à la suite de la hausse de la TVA. Un lien peut donc être établi entre cette dernière et les transferts dont bénéficie la CNAF.

M. Julien Dubertret. L’augmentation de la TVA permet de financer le CICE. Sans rapport avec cela, il a paru opportun de compenser les pertes de recettes de la sécurité sociale. Il est vrai que, pour des raisons de lisibilité, la TVA a été retenue comme unique outil de transfert, et qu’elle a été fléchée vers la seule branche « maladie » dans un souci de simplification. Ces opérations ont été inscrites dans un compte de concours financier soumis au vote du Parlement. Si vous le souhaitez, je pourrai vous transmettre la liste détaillée des transferts vers la CNAF en 2014.

M. le coprésident Pierre Morange. Vous nous avez montré que les solutions résidaient dans la maîtrise des dépenses. Où se trouvent selon vous les gisements d’économies ?

M. Julien Dubertret. Nous travaillons sur le sujet et nous explorons de nombreuses pistes, mais il est encore prématuré d’en faire état.

J’en viens à la budgétisation qui est, en quelque sorte, la forme ultime de la fiscalisation. Le caractère non contributif et universel des prestations n’est-il pas le fondement de l’universalité budgétaire ? Cela dit, il ne m’appartient pas de me prononcer en opportunité.

Trois éléments peuvent toutefois justifier à mon sens une budgétisation.

La budgétisation améliore la lisibilité des comptes publics. Pourquoi maintenir dans une cellule séparée une dépense presque comme les autres, qui peut être pilotée comme le budget de l’État ? Je note d’ailleurs qu’en disposant de deux textes financiers distincts, un PLF et un PLFSS, la France fait figure d’exception parmi les pays développés. En général, les régimes assurantiels, vieillesse et accidents du travail, sont retracés dans des caisses séparées, sans même parfois être couverts par un projet de loi. La maladie et la famille sont en revanche couramment prises en charge dans le budget des États.

La budgétisation simplifie la conduite de la politique fiscale. Le partage d’un impôt entre plusieurs types d’administrations rend son éventuelle réforme complexe. La concentration des recettes et des dépenses dans le budget général faciliterait la réflexion et les évolutions fiscales.

La budgétisation est susceptible de permettre un meilleur pilotage. En tout état de cause, aujourd’hui, la dynamique des dépenses familiales est beaucoup plus rapide que celle des dépenses budgétisées. Cela dit, la question reste politique et il faut savoir quelle part de la richesse nationale nous voulons attribuer à la politique familiale.

À ma connaissance, la budgétisation partielle ou totale ne rencontre pas d’obstacle juridique. Aucun principe constitutionnel ou organique ne s’y oppose, sous réserve qu’un financement suffisant soit garanti pour assurer la pérennité des missions. Cette évolution peut passer par une loi ordinaire sans qu’il soit nécessaire de modifier une loi organique. Un objectif de dépenses serait toutefois maintenu dans le PLFSS.

En termes de finances publiques, il ne me semble pas que la nature des dépenses de la CNAF soit un obstacle à un pilotage sous une norme de dépense ou sur le budget de l’État. Ce dernier pilote déjà un très grand nombre de dépenses de guichet sous norme pour un montant d’environ 40 milliards d’euros – certains dispositifs, comme les aides au logement, sont même cofinancés par la CNAF. La variété de dynamique et de nature des dépenses de la caisse permet d’envisager, si on le souhaite, une forme de contrainte gérée en interne. De plus, si l’on ne tient pas compte des choix de dépenses supplémentaires, la dynamique naturelle des dépenses de la branche famille n’est pas très rapide, même si elle l’est plus que celle du budget de l’État.

La budgétisation pourrait utiliser trois types de supports : le budget général, les budgets annexes ou les comptes spéciaux.

La création d’un budget annexe des prestations familiales nécessiterait une modification de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Cela dit je ne vois guère le sens qu’aurait le choix d’un cadre assez rigide qui correspond à des opérations industrielles et commerciales.

On pourrait penser à un compte d’affectation spéciale (CAS) si l’on voulait créer une sorte d’« isolat », et maintenir une dynamique de dépenses liée à celle des recettes. Dans ce cas, il faudrait également modifier la LOLF car, en l’état, les CAS supposent l’existence d’un lien direct entre recettes et dépenses.

Sans modifier la loi organique, il est enfin possible de créer un programme ou une mission au sein du budget général. Cette solution ne remettrait pas en cause fondamentalement la gouvernance actuelle de la branche. La modification du support ne ferait pas de la CNAF un opérateur de l’État, et elle est compatible avec sa gestion paritaire. Quelle contrainte sur l’évolution des dépenses familiales les gouvernements voudront-ils imposer dans ce cadre ? La question n’est plus technique ; elle relève de choix politiques.

M. le rapporteur. Durant la campagne qui a permis son élection, le Président de la République s’est engagé à fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG d’ici à la fin du quinquennat. L’introduction d’une progressivité de la CSG à rendement constant peut constituer une étape préalable à son rapprochement avec l’impôt sur le revenu. Quelle réflexion cette progressivité vous inspire-t-elle ?

M. Julien Dubertret. Nous ne nous interdisons de réfléchir à aucun sujet mais je ne mène actuellement aucune réflexion spécifique sur cette question. Il est demandé au directeur du budget que je suis de travailler au redressement des finances publiques sur les trois prochaines années en actionnant uniquement le levier de la dépense. Si la réforme que vous décrivez devait être mise en œuvre, ce serait pour des vertus proprement et uniquement fiscales, afin de répartir différemment l’impôt, et non pour dégager des ressources supplémentaires. Le ministre délégué chargé du budget lui-même ou la direction de la législation fiscale seront plus à même que moi de répondre à vos questions sur la réforme fiscale.

M. le coprésident Pierre Morange. Je vous remercie pour votre présence et pour les réponses que vous nous avez apportées.

La séance est levée à douze heures vingt.