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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 21 novembre 2013

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 04

Présidence de M. Jérôme Guedj, rapporteur

– Audition, ouverte à la presse, sur « le financement de la branche famille » :

– M. Christian Saint-Étienne, économiste, professeur titulaire de la chaire d’économie industrielle au Conservatoire national des arts et métiers

– M. Antoine Magnier, directeur de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) au ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, et M. Benoît Ourliac, chef de la mission d’analyse économique

– M. Bertrand Fragonard, président délégué du Haut Conseil de la famille, et Mme Lucie Gonzalez, secrétaire générale

– M. Jean-Louis Rey, directeur de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), et M. Alain Gubian, directeur financier

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 21 novembre 2013

La séance est ouverte à neuf heures vingt.

(Présidence de M. Jérôme Guedj, rapporteur)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition, ouverte à la presse, de M. Christian Saint-Étienne, économiste, professeur titulaire de la chaire d’économie industrielle au Conservatoire national des arts et métiers.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. La MECSS a inscrit à son programme, il y a tout juste un an, un rapport sur le financement de la branche famille. Depuis, le sujet est revenu de plus d’une façon sur le devant de la scène, via la réforme du quotient familial ou les débats sur le financement de la protection sociale. En outre, la Cour des comptes nous a remis en mai un rapport sur le sujet. Nous lui avions notamment demandé de tester plusieurs hypothèses de transfert de financement sur une ressource fiscale – taxe sur la valeur ajoutée (TVA), contribution sociale généralisée (CSG), fiscalité environnementale, impôt sur la valeur ajoutée des entreprises. La Cour a conclu à l’absence de formule miracle et préconise davantage un effort sur les dépenses.

Nous souhaitons donc connaître votre avis sur le sujet. Considérez-vous qu’il faut, comme beaucoup le préconisent, cesser d’asseoir le financement de la branche famille sur les cotisations sociales, compte tenu du caractère universel des prestations qu’elle dispense ? Quelle serait la meilleure assiette, sachant que nous n’avons aucun tabou en ce domaine ? Quel impact la fiscalisation croissante de la protection sociale devrait-elle avoir sur la gouvernance de ses branches ? Enfin, sachant que les mécanismes du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE – viennent percuter les exonérations de cotisations sociales patronales existantes – jusqu’à 1,6 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) –, quelle doit être l’articulation entre le CICE et le financement de la protection sociale ?

M. Christian Saint-Étienne, économiste, professeur titulaire de la chaire d’économie industrielle au Conservatoire national des arts et métiers. Il importe de replacer la question du financement de la branche famille dans une réflexion plus générale. Depuis plusieurs années, je souligne la nécessité d’opérer une distinction fondamentale entre la protection sociale personnelle et la protection sociale universelle. La première ouvre des droits proportionnés aux cotisations versées, et concerne donc les retraites – à l’exception du minimum vieillesse –, le chômage et, dans une certaine mesure, l’invalidité. Il n’est pas envisageable de la financer autrement que par des cotisations sociales. Je sais que pour équilibrer le financement du système de retraite, certains suggèrent de faire appel à des taxes sur l’activité plutôt que d’allonger la durée de cotisation, mais une telle politique serait suicidaire. Il est économiquement, socialement, politiquement et philosophiquement illogique d’asseoir le financement du chômage et de la retraite sur autre chose que les salaires de leurs bénéficiaires directs.

À l’inverse, la protection sociale universelle ne doit pas être financée par des prélèvements sur les salaires. Les dépenses de santé, les prestations familiales, les prestations d’invalidité et de retraite sans lien avec des cotisations et tout ce qui relève de la lutte contre la pauvreté, comme le revenu minimum d’insertion (RMI) et le revenu de solidarité active (RSA), doivent faire l’objet de financements directs et universels.

Dès lors se pose une deuxième question : la protection sociale universelle doit-elle être financée par l’impôt sur le revenu, par la CSG ou par la TVA ?

S’agissant de la santé, de la famille et de l’invalidité, il convient selon moi de ne recourir qu’à des impôts proportionnels comme la CSG ou la TVA. C’est pourquoi l’hypothèse d’une fusion entre impôt sur le revenu et CSG me paraît relever de l’impasse idéologique – j’en débats d’ailleurs depuis des années avec M. Thomas Piketty. Faire de la contribution sociale généralisée un impôt progressif serait une erreur historique.

La CSG finance essentiellement des dépenses à caractère universel comme la santé. Or si, il y a trente ans, on pouvait encore affirmer que les plus éduqués bénéficiaient plus des services de soin, parce qu’ils en connaissaient mieux les portes d’accès, les écarts de consommation entre classes sociales se sont depuis considérablement réduits. La CSG étant proportionnelle, une personne qui gagne dix fois plus d’argent qu’une autre paiera également dix fois plus d’impôt. Elle versera donc dix fois plus pour des services de soins délivrés de façon égale. Dès lors, l’usage de la CSG pour financer une prestation universelle a déjà un caractère extrêmement progressiste.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Selon vous, l’universalité doit entraîner la proportionnalité. On pourrait objecter que les dépenses d’éducation, qui ont un caractère universel, sont financées par l’impôt sur le revenu dans le cadre du budget de l’État.

M. Christian Saint-Étienne. Sur la durée, ceux qui bénéficient des niveaux de salaire les plus élevés sont aussi ceux qui disposent du capital humain le plus élevé. Or ce capital provient en grande partie de l’éducation. Ces personnes n’ayant pas payé pour leur éducation – puisqu’en France, elle est généralement gratuite –, il n’est pas illogique qu’elles sur-financent par la suite une politique dont elles ont tiré plus de profit au départ. Cela justifie donc que l’éducation – et notamment l’éducation supérieure – soit financée par un impôt progressif comme l’impôt sur le revenu. Mais les dépenses familiales et de santé, qui relèvent de la protection sociale universelle, doivent être financées par un impôt proportionnel.

S’agissant de la lutte contre la pauvreté, la question de son financement peut faire l’objet d’un débat. Si on a la volonté de mener une « politique de gauche », entre guillemets, on peut faire le choix de l’impôt sur le revenu. Dans cette perspective, les classes moyennes supérieures, ceux qui ont un revenu ou un capital important, financeraient dans de plus grandes proportions l’aide aux personnes en grande difficulté. Ce serait cohérent dans la mesure où le total des mesures de lutte contre la pauvreté et pour l’insertion dans le marché du travail – RMI, RSA, etc. – ne doivent pas coûter plus de trois points de PIB.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Tout dépend si vous incluez dans ce champ les prestations sous conditions de ressources de la branche famille ?

M. Christian Saint-Étienne. Non, je les place plutôt dans la politique familiale. En tout état de cause, si l’on tient compte des aides accordées par les conseils généraux, les dépenses ne dépassent pas 40 milliards d’euros, soit plutôt deux points de PIB. Dans ces conditions, une mesure emblématique, de gauche, consisterait à financer par les cotisations la protection sociale personnelle – parce que le montant de la prestation dépend de celui de la cotisation –, et par un impôt proportionnel la protection sociale universelle. Dans un tel système, chacun financerait en proportion de son revenu les prestations de santé, qui sont d’un accès égal. Et de toute façon, si elles ne le sont pas, la solution ne viendra pas de la fiscalité mais de l’éducation et de la transparence du fonctionnement du système de santé. Quant à la famille, elle bénéficierait d’une politique redistributrice.

C’est d’ailleurs une autre raison de s’opposer à la CSG progressive : il ne faut pas confondre redistribution horizontale et verticale. La politique familiale relève de la redistribution horizontale, laquelle va des gens sans enfants vers les gens qui ont la charge d’enfants, et doit donc être financée par un prélèvement proportionnel.

Quant aux prestations familiales sous conditions de ressources, leur financement par la CSG aurait également un caractère extrêmement progressiste, au sens qu’il serait très redistributif.

Il résulte de tout cela que la branche famille ne peut être financée que par la contribution sociale généralisée ou par la taxe sur la valeur ajoutée. La mobilisation de toute autre forme d’impôt ne serait en effet pas justifiée.

Une fois ce principe admis, le débat devient plus technique pour choisir entre la CSG, qui ne s’applique qu’aux revenus nationaux, et la TVA, qui a l’avantage de toucher les importations. Même si on a fait un épouvantail de la TVA sociale – que d’aucuns appellent « TVA emplois » –, elle reste une mécanique très efficace. Sa mise en place en Allemagne au 1er janvier 2007 a d’ailleurs bien aidé le pays à traverser la crise survenue à partir de 2008, en permettant aux entreprises d’augmenter leurs fonds propres. Sur les trois points de hausse, un point a été consacré à la baisse des cotisations sociales et deux à la réduction de l’impôt sur les sociétés : on peut donc parler aussi bien de « TVA compétitivité » que de « TVA sociale ». Or l’économie allemande s’est fort bien portée de sa création. L’idée selon laquelle la TVA est un mauvais impôt est donc extrêmement dangereuse.

Quand, en Allemagne, le taux de TVA a été relevé de trois points, l’augmentation des prix qui s’en est suivie n’a pas dépassé 0,4 %. La tentative d’instaurer en France une TVA sociale a souffert d’un manque de pédagogie : on a laissé les gens croire qu’une augmentation de trois points du taux de la taxe équivalait à une hausse des prix de même grandeur. C’est oublier que la mesure pourrait permettre de financer la suppression des 5,4 % de cotisations familiales payées par les entreprises sur les salaires, et donc de réduire les coûts de production de 3 % – sachant qu’en comptabilité nationale, la part des rémunérations dans la valeur ajoutée productive représente 60 %. Cela revient donc à une dévaluation de 3 %. Un tel résultat peut paraître minime, mais dans un contexte où le secteur productif est extrêmement affaibli, il constituerait un message important.

En outre, une telle mesure serait cohérente compte tenu de ce que nous apprennent les statistiques de l’Union européenne : le poids des prélèvements obligatoires sur la consommation, contrairement à ce que pensent les Français, est plutôt plus faible que la moyenne, tandis que leur poids sur la production est nettement supérieur.

Dès lors, un basculement sur la TVA du financement de la branche famille aurait plusieurs avantages. Il permettrait tout d’abord de faire porter sur la consommation une partie du poids de la protection sociale, sans effet négatif sur les consommateurs, sinon une augmentation des prix de l’ordre de 0,3 % – j’y reviendrai. Une telle opération pourrait être dangereuse en période d’inflation, mais aujourd’hui, alors que l’on craint que le pays n’entre dans une période déflationniste, le moment est idéal.

L’effet net de la mesure est donc facile à calculer. Sur un prix de 100, l’application d’un taux de TVA de 20 % à partir du 1er janvier – si du moins cette décision n’est pas remise en cause – donne un prix toutes taxes comprises de 120. Dans la mesure où la suppression de la part de 5,4 % de la part de cotisation familiale patronale permet de réduire le prix hors taxes à 97, le prix toutes taxes comprises, compte tenu de l’application de la TVA à un taux de 23 %, serait inférieur à 120. L’augmentation du taux de TVA n’aurait donc en réalité pas d’effet sur les prix.

Malgré tout, on peut s’attendre à un effet résiduel consistant en une augmentation générale des prix d’au plus 0,3 %. Mais si l’on considère le panier moyen de la ménagère, cette augmentation, seul effet négatif de la mesure, représenterait un surcoût annuel d’environ 150 euros. Il est donc possible de la compenser en versant aux 10 millions de ménages les plus affectés une prestation d’environ 10 euros par mois, qui coûterait en tout 1 milliard d’euros par an.

L’affectation à la branche famille de l’augmentation de 7 à 10 % du taux réduit de TVA et une augmentation de 3 % du taux normal permettraient donc de compenser la suppression de la part patronale des cotisations sociales familiales, qui représente 34 milliards d’euros. Le surplus éventuellement nécessaire pourrait être apporté par la CSG.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Vous êtes donc favorable à un basculement total des cotisations sociales patronales. Nous avons organisé la semaine dernière une table ronde avec les représentants des organisations de salariés, et certains d’entre eux, au diapason de la Cour des comptes, considéraient qu’en dépit du caractère universel des prestations familiales, leur financement par des cotisations patronales gardait une légitimité dans la mesure où une partie des dépenses de la branche famille – que la Cour des comptes évalue à entre 13 et 15 milliards d’euros – permet la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale. Il est vrai que d’autres ne jugent pas l’argument pertinent, estimant que certaines dépenses en matière de maladie pouvaient avoir la même fonction. Qu’en pensez-vous ?

M. Christian Saint-Étienne. Il est vrai que les principaux bénéficiaires de cet élément de conciliation sont plutôt les classes populaires, dont on dit souvent qu’elles sont frappées de façon plus que proportionnelle par la TVA. Mais aujourd’hui, notre économie souffre de l’effondrement du système industriel, dont un des aspects principaux est la chute de la production automobile, due à la prédilection des consommateurs pour les modèles étrangers. Une augmentation de TVA pèserait essentiellement sur le prix des Mercedes, des BMW et des Audi : je ne vois donc pas en quoi elle nuirait aux classes populaires, surtout si on la compense par une prestation de 100 euros réservée aux 10 millions de ménages ayant les revenus les plus faibles. L’opération serait donc totalement neutre pour les classes populaires, mais pas pour les personnes qui consomment essentiellement des biens importés – alors même que nous produisons désormais des automobiles de qualité. Elle serait donc à fois économiquement efficace et socialement juste. Ce serait en outre le meilleur moment de la réaliser.

Certains proposent de ne consacrer qu’en partie le produit de ces trois points supplémentaires de TVA à une baisse des cotisations employeurs, afin de réduire également celles des salariés, de façon à augmenter leur revenu. C’est oublier que le niveau du chômage est le principal problème auquel est confronté notre pays. La meilleure mesure sociale à prendre est donc de rendre aux demandeurs d’emploi leur dignité en leur procurant un travail.

Vous savez qu’en France, le système favorise largement les insiders. L’intérêt du mécanisme que je propose est aussi qu’il représente une main tendue aux outsiders, à qui la baisse du coût du travail permettrait de retrouver un emploi.

De plus, il s’agit d’une mesure élégante, car claire, lisible, compréhensible. Quelqu’un comme vous, monsieur le rapporteur, pourrait facilement en présenter les enjeux à la télévision. De fait, la pédagogie devrait jouer un rôle central dans cette affaire.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Il ne faudrait en effet pas manquer de pédagogie pour défendre ce qui n’est autre qu’un transfert net, au nom de la compétitivité, de la protection sociale depuis les employeurs vers les ménages.

M. Christian Saint-Étienne. J’allais justement évoquer les contreparties envisageables.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Je serais intéressé de les connaître. Votre collègue M. Henri Sterdyniak, qui se trouvait à votre place il y a quelques semaines, disait qu’une telle mesure devait s’accompagner d’une augmentation du salaire brut…

M. Christian Saint-Étienne. Mais, à nouveau, cela favoriserait les insiders au détriment des outsiders. Je le répète, dans notre monde moderne, le seul moyen de garder sa dignité est d’avoir un travail. À l’heure où le système productif s’effondre, nous devons donc tout faire pour que ceux qui ont encore un emploi ne le perdent pas et que ceux qui n’en ont pas en retrouvent un. Le mécanisme que je propose est favorable aux outsiders, dont personne ne défend jamais les intérêts.

Il reste à éviter que les entreprises ne se contentent de profiter de l’avantage donné sans rien faire d’autre. Cela étant, compte tenu de la puissance des donneurs d’ordre et de la distribution, une part significative de cette baisse des coûts de production se traduira par une réduction des prix hors taxes, qui redonnera de la compétitivité à la France. Je ne crois pas que les entreprises, même si elles le souhaitaient, puissent se borner à augmenter leurs profits.

Pour autant, il faudrait rester vigilant, d’où la contrepartie que je propose. Comme vous le savez, un autre de nos grands problèmes est l’échec depuis vingt-cinq ans de notre système éducatif, qui laisse toujours 20 % des jeunes sans formation et sans diplôme. Le nombre d’apprentis, qui était monté à 400 000, est à nouveau en baisse. Il faudrait se donner pour objectif d’atteindre le million d’apprentis en cinq ou sept ans. C’est pourquoi une baisse des charges de l’ampleur que j’ai évoquée – plus de 30 milliards d’euros, je le rappelle – devrait, en contrepartie, s’accompagner d’un renforcement significatif des obligations des entreprises en termes de formation en alternance et d’apprentissage. Bien entendu, cela exige une réflexion globale sur l’éducation, car les réticences des entreprises ne sont pas le seul frein au développement de l’apprentissage. Nous devons mettre au point un système très incitatif. Malheureusement, le Gouvernement a pris récemment une mesure allant plutôt dans le sens inverse.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Vous parlez de contrepartie, mais elle ne serait pas très contraignante. Les entreprises devraient-elles employer un nombre d’apprentis proportionnel à leur masse salariale ou à leur taille, de la même façon qu’elles doivent recruter un nombre déterminé de travailleurs en situation de handicap ?

M. Christian Saint-Étienne. La mesure revient à réduire de 5 % la masse salariale. Il est donc aisé de calculer le gain « en cash » qu’elle représenterait pour chaque entreprise. On ne pourrait donc, en effet, peut-être pas prévoir une proportionnalité stricte, mais au moins établir un lien entre l’avantage reçu et le nombre d’apprentis à engager.

J’en viens au rôle joué par la CSG. Il est essentiel de mettre fin au déficit de la branche santé : on ne peut pas s’accommoder d’une situation dans laquelle, depuis dix ans, le déficit évolue entre 12 et 15 milliards d’euros. Il faut poursuivre la restructuration du système, voire l’accélérer, mais aussi assumer la demande des Français en matière de santé et consacrer un point de CSG au financement de la branche.

Dans certaines régions, l’accès direct aux services de santé est de plus en plus difficile. De nombreux spécialistes sont favorables à un nouveau maillage du territoire s’accompagnant d’une multiplication des maisons de santé et d’une réduction de la taille du système hospitalier. Il me paraît donc nécessaire de ne pas recourir à la CSG pour financer la branche famille, mais de la garder en réserve comme source de financement des dépenses de santé.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. D’autant qu’il faut tenir compte de la montée en puissance du risque de perte d’autonomie, que vous n’avez pas mentionné en opérant votre distinction fondamentale entre protection personnelle et universelle. Je suppose que dans votre logique, le maintien de l’autonomie relève plutôt de la protection universelle.

M. Christian Saint-Étienne. Absolument.

Quant à la CSG, elle mériterait également que l’on fasse preuve de pédagogie à son sujet. Je ne supporte plus l’affirmation selon laquelle cet impôt étant proportionnel, tout le monde paie de la même façon. Non : une personne qui gagne 10 000 euros par mois paye dix fois plus que celle qui en gagne 1 000 !

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. On ne peut pas le nier, sauf à faire preuve d’une très grande mauvaise foi.

M. Christian Saint-Étienne. Je ne suis pourtant pas sûr que soit aussi clair pour tous les hommes politiques, à gauche comme à droite.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Venons-en au CICE, cette réforme qui, en cherchant à baisser massivement les coûts du travail, touche indirectement au financement de la protection sociale.

M. Christian Saint-Étienne. Si la réforme que je propose était appliquée, ce serait le bon moment pour transformer le CICE en véritable mécanisme de baisse de charges.

Je ne suis pas sûr qu’une augmentation de TVA de trois points soit suffisante pour collecter 34 milliards d’euros.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. En effet, dans la mesure où chaque point de TVA supplémentaire rapporte entre 9 et 10 milliards d’euros.

M. Christian Saint-Étienne. Voilà : 6 milliards d’euros si on augmente le taux général, et 4 milliards d’euros si on augmente le taux intermédiaire. Il manque donc 4 milliards d’euros.

Or le CICE vise à alléger, à terme, le coût du travail de 6 %, pour un montant de 20 milliards d’euros en rythme de croisière. On pourrait le remplacer par une baisse des charges de l’ordre de 4 à 5 %, si bien qu’il ne coûterait plus que 15 milliards d’euros à l’État. Ce dernier pourrait donc employer les 5 milliards d’euros restant pour compléter le financement de la suppression des charges familiales versées par les entreprises, dans le cas où l’augmentation du taux de TVA ne serait pas suffisante.

Dans mon rapport pour le Conseil d’analyse économique de 2005, puis dans un livre sur la fiscalité que j’ai publié en 2011, je me suis interrogé sur les conséquences, en matière de gouvernance, d’une réorganisation du régime général fondée sur la distinction entre protection sociale personnelle et universelle. Dans une telle perspective, et pour ce qui concerne la branche famille, un financement par la TVA implique que l’État redevienne l’acteur principal.

Cela poserait la question du rôle joué par les syndicats. Nous savons que ces derniers sont attachés au paritarisme et à la cogestion du système de protection sociale parce que cela leur permet d’offrir des postes à leurs militants. C’est pourquoi, de même qu’il serait nécessaire de disposer de syndicats puissants, il faudrait s’interroger sur leur financement et, peut-être, imaginer un système de financement public comparable à celui des partis politiques.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Au nom de la mission d’intérêt général qu’ils accomplissent.

M. Christian Saint-Étienne. Dans une telle perspective, une gestion par les syndicats ne se justifierait que pour ce qui concerne la protection sociale individuelle – c’est-à-dire la retraite et les indemnités de chômage. Tout ce qui relève de la protection universelle serait géré par l’État. Nous renforcerions ainsi la cohérence du système en termes de financement, de missions et de gouvernance. La distinction entre protection individuelle et universelle est donc, je le répète, une clé de ce dossier.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Un des points forts de la proposition que vous formulez est son effet attendu en matière de lutte contre le chômage, qui reste la première priorité. Mais au-delà de 1,6 fois le SMIC, êtes-vous certain de l’impact des exonérations de charges sociales sur l’emploi ?

M. Christian Saint-Étienne. Ce qui est certain, c’est que le secteur productif français est exsangue. La France compte 3 millions d’entreprises, mais beaucoup sont des entreprises unipersonnelles ou de petites entreprises artisanales. Quant aux 35 entreprises industrielles du CAC 40, leur capital est détenu à moitié par des étrangers, et elles réalisent 70 % de leur activité et 90 % de leurs profits hors de France. Ces entreprises sont importantes par leur participation à la structuration des filières – et c’est pourquoi il est nécessaire d’en conserver le contrôle –, mais pas en raison de la part qu’elles représentent dans la production française. En réalité, 200 000 entreprises de taille inférieure à celles du CAC 40 font l’essentiel du PIB marchand national.

Or le taux de marge de ces entreprises est inférieur de 40 % à celui de leurs compétiteurs d’Allemagne, d’Angleterre et d’Italie du Nord. Et je ne parle pas de l’Espagne, qui connaît un rebond de ses marges, au point que son taux est devenu supérieur à celui des États-Unis. C’est d’ailleurs pourquoi on voit des entreprises fermer leurs usines en France, en Belgique et en Allemagne pour en ouvrir au-delà des Pyrénées. L’Espagne est en train de devenir la nouvelle Europe centrale et a vu ses exportations connaître un sursaut exceptionnel grâce à la baisse du coût du travail. Certes, celle-ci a eu un coût social colossal, puisqu’elle s’est traduite par un taux de chômage de 28 %. Mais l’exemple espagnol montre qu’une réduction du coût du travail de 3,6 à 4 % peut avoir un impact phénoménal sur la productivité, la profitabilité et les investissements.

La réforme que je propose serait un message très positif adressé aux chefs d’entreprise à l’heure où ils sont plutôt déboussolés : elle prouverait que l’on cherche vraiment à mettre l’accent sur la production. Et par rapport au cas espagnol, elle aurait l’avantage de permettre d’obtenir les mêmes résultats sans passer par une phase de chômage très élevé.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Une autre commission de l’Assemblée a reçu M. Louis Gallois il y a quelques jours, un an après la publication de son rapport sur la compétitivité. La baisse du coût du travail permise par le CICE est tout de même significative, puisqu’elle représentera, à terme, 20 milliards d’euros.

M. Christian Saint-Étienne. Seulement à partir de 2015 ! Pour l’instant, cela ne dépasse pas 5 ou 6 milliards d’euros.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Bien sûr. Mais ce crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi a, depuis l’origine, un caractère ambigu que reflète d’ailleurs son titre : l’objectif prioritaire est-il l’emploi ou la compétitivité ?

M. Christian Saint-Étienne. Les deux sont liés. La solution que je propose aurait, à mon avis, un effet très puissant sur l’emploi, d’autant qu’elle bénéficierait aux outsiders. La compétitivité a certes pour objectif de retrouver des profits, mais pour investir et développer l’emploi.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Mais le théorème de Schmidt a-t-il jamais été vérifié ?

M. Christian Saint-Étienne. En Allemagne, cela a globalement fonctionné. Contrairement à ce que prétendent de nombreux économistes, le gain de compétitivité obtenu par l’Allemagne ne s’explique pas par les réformes Hartz, mais par l’instauration de la TVA sociale et par les mesures prises entre 1998 et 2004 pour réduire la charge fiscale pesant sur les entreprises. Aujourd’hui, l’écart de charges fiscales et sociales entre la France et l’Allemagne équivaut à six points de PIB. Or l’écart de marges entre les entreprises françaises et allemandes est du même ordre. La réforme que je propose permettrait de réduire, en un seul coup, cet écart de près d’un tiers – entre 1,6 et 1,7 point de PIB. Elle serait puissante, non seulement en raison de ses effets directs sur la compétitivité, mais aussi parce qu’elle ferait basculer une partie du poids du financement de la protection sociale sur les importations.

Certes, mes collègues diraient qu’à moyen et long terme, une telle réforme ne changerait rien. C’est vrai dans une économie fermée, mais le basculement de certains coûts sur les importations est bien un élément de compétitivité à court terme.

Il n’existe pas de réponse objective à la question que vous posez de l’effet sur l’emploi du mécanisme évoqué. Permettrait-il de créer 200 000, 300 000, 400 000 emplois ? Personne ne peut le dire. Je pense en tout cas qu’il pourrait en sauver beaucoup.

La suppression de la part patronale des cotisations familiales équivaut à une baisse de charges de 35 milliards d’euros. Si on y ajoute les 15 milliards d’euros résultant de la transformation du CICE en mécanisme d’exonération, on obtient 50 milliards d’euros, soit la moitié de ce que représente l’écart de compétitivité – se traduisant en écart de profitabilité – entre les entreprises françaises et allemandes. Or si l’État fait un effort suffisant pour réduire cet écart de 50 %, ce sera aux entrepreneurs de faire le reste.

Pour être efficace, il n’est donc pas nécessaire de parler de « remise à plat » de la fiscalité, comme l’a fait le Premier ministre pour réaliser un coup politique. Il suffit de prendre la décision que j’ai évoquée : suppression des cotisations patronales finançant la branche famille et financement de la branche santé par la CSG. Ce serait déjà une modification significative du système fiscal, bénéficiant de surcroît aux outsiders et favorable à la compétitivité. Et compte tenu des effets d’une telle réforme sur la production, les entreprises devraient, en contrepartie, s’engager à développer l’apprentissage et la formation en alternance, mais également en matière d’investissement. Une telle politique pourrait donner des effets puissants en deux ou trois ans.

Nous disposons, pour l’engager, d’une fenêtre de tir limitée à environ six mois. En effet, dans une période marquée par un risque de déflation, une augmentation de TVA à hauteur de trois points ne poserait pas de problème. En outre, nous sommes en début de phase de reprise, un moment où il est particulièrement utile de redonner de la compétitivité aux entreprises qui vont bénéficier d’une demande extérieure importante.

D’ailleurs, ce n’est pas la demande qui a manqué aux entreprises françaises au cours des dix dernières années – car si l’on excepte les années de crise, la demande mondiale a fortement augmenté pendant cette période. Le phénomène essentiel est l’effondrement productif : notre économie a atteint son dernier point haut – en termes de parts de marché dans les exportations comme selon d’autres critères – vers 1998 ou 1999. Au cours des quinze dernières années, la part de la valeur ajoutée industrielle dans le PIB a baissé de 30 % et la part des exportations françaises dans les exportations mondiales, de 43 %. Le secteur productif a donc subi un choc d’une violence inouïe. Le CICE a constitué un premier signal, mais une réforme globale comme celle que j’ai évoquée pourrait nous entraîner dans un nouveau cycle, et après quinze années pendant lesquelles la production a chuté, nous faire connaître dix ans de hausse. Le moment est idéal pour agir, en raison du risque de déflation.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Je vous rejoins sur ce point.

M. Christian Saint-Étienne. Cela étant, le Président de la République et le Premier ministre feront ce qu’ils voudront.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. C’est la Ve République !

Monsieur Saint-Étienne, je vous remercie.

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède ensuite à l’audition, ouverte à la presse, de M. Antoine Magnier, directeur de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) au ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, et M. Benoît Ourliac, chef de la mission d’analyse économique.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Dans le cadre de nos travaux sur le financement de la branche famille, nous entendons les directions concernées du ministère des affaires sociales et de la santé et celles du ministère des finances. Après avoir reçu la direction du budget et celle de la sécurité sociale, nous auditionnerons bientôt la direction générale du Trésor et la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services. Nous avons souhaité bénéficier aujourd’hui de l’expertise de la belle direction qu’est la DARES, la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, au sein du ministère du travail.

Messieurs, quels sont, parmi les travaux que vous avez conduits au cours des dernières années, ceux qui peuvent intéresser le financement de la branche famille ? Sur le fondement de ces travaux, quelle serait selon vous la meilleure assiette de financement de cette branche universelle ?

Quel a été l’effet sur l’emploi des dispositifs d’exonération de cotisations sociales instaurés ces dernières années ? C’est l’un des enjeux de notre réflexion, en lien avec le CICE. Plus généralement, la question du financement de la branche famille est indissociable de celle du financement de la protection sociale et même, désormais, de la réforme fiscale. Les réformes du financement de la protection sociale, tournées vers l’emploi, ont-elles atteint leurs objectifs en la matière ?

M. Antoine Magnier, directeur de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) au ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Le champ de compétence de la DARES couvre l’emploi, le travail et la formation professionnelle. Nous ne sommes pas des experts du financement de la protection sociale et ce n’est pas non plus mon cas à titre personnel. Nous nous intéressons donc essentiellement à son effet sur le marché du travail et, en particulier, sur l’emploi. C’est à ce titre que nous participons aux travaux du Haut Conseil du financement de la protection sociale, présidé par Mme Mireille Elbaum.

Les principales études que nous avons menées au cours des dernières années sur ces questions ou en lien avec elles concernent par conséquent l’effet du dispositif d’allégement des cotisations sociales patronales sur les bas salaires. Aux travaux, émanant de différentes équipes de recherche, que nous avons suscités s’ajoutent les synthèses des études existantes auxquelles nous procédons régulièrement avec la direction générale du Trésor. La dernière mise à jour de ce type date du début 2012 ; elle a débouché sur la publication, conjointe avec la direction générale du travail (DGT), de deux documents, l’un assez fouillé, l’autre plus synthétique.

Au-delà de ces travaux de synthèse, nous n’avons pas développé d’outil de simulation permettant d’évaluer l’effet de modifications du financement de la protection sociale. Nous ne disposons pas d’outils macroéconométriques, fins ou lourds, comparables à ceux de la direction générale du Trésor. Nous n’avons pas non plus conçu d’instrument mesurant les conséquences redistributives de telles dispositions ; elles ne relèvent pas directement de notre domaine de compétence.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Au cours des vingt dernières années, la part du financement de la branche famille assise sur les cotisations patronales est passée de 85 %, voire 90 %, à 60 % environ, au gré de la montée en puissance de la CSG et des exonérations de cotisations patronales – en particulier sur les bas salaires, jusqu’à 1,6 SMIC. Est-il possible de mesurer, toutes choses égales par ailleurs, l’effet de ces dernières sur l’emploi, au moment où il est question de transformer le CICE en une exonération plus massive de cotisations sociales ?

M. Antoine Magnier. La principale conclusion des travaux de synthèse à laquelle nous procédons avec la direction générale du Trésor est que ce dispositif a eu un effet favorable important sur l’emploi. Toutefois, les différentes évaluations – certaines ex ante, d’autres ex post, ainsi que des microsimulations – conduisent à des résultats assez dispersés et portent surtout sur la première vague d’allégements de cotisations sociales patronales, entre 1993 et 1997. Il en ressort que cette première vague, mise en œuvre sous le gouvernement Juppé en 1995 et 1996, pour 6,5 milliards d’euros, a permis de créer ou de sauvegarder entre 200 000 et 400 000 emplois.

Il est moins aisé d’évaluer les vagues d’exonérations suivantes. La deuxième a accompagné la réduction du temps de travail afin d’en atténuer ou d’en compenser l’effet sur les coûts salariaux unitaires pour les entreprises, parallèlement aux gains de productivité et à la modération salariale induite qui étaient attendus de la mesure. La troisième a été lancée dans le cadre de la réforme Fillon de 2003, pour tenir compte de la convergence vers le haut des minima salariaux multiples issus de la réduction du temps de travail. Les travaux portant sur cette troisième vague – nous en avons suscités – sont beaucoup moins nombreux et se heurtent à de plus grandes difficultés méthodologiques que ceux qui évaluaient les effets de la première.

Si l’on fait l’hypothèse favorable – sans doute trop favorable – que l’effet sur l’emploi des deuxième et troisième vagues, mises en œuvre entre 1999 et 2005, est équivalent à celui de la première, l’on peut considérer que 600 000 à 1,1 million d’emplois ont bénéficié du dispositif pris dans son ensemble. Si l’on estime – selon une hypothèse plus modérée, étayée notamment par une étude empirique conduite à l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) il y a quelques années – que le rendement des deuxième et troisième vagues a été de moitié inférieur à celui de la première, l’effet global ne concerne plus que 400 000 à 800 000 emplois.

En ce qui concerne le financement de la protection sociale, ces études, comme la plupart des travaux universitaires menés en France et à l’étranger, appellent l’attention sur la progressivité des prélèvements et sur l’effet que pourrait avoir toute mesure de modification de ce financement sur le coin fiscalo-social pesant sur les plus bas salaires. Selon la plupart des travaux empiriques, la sensibilité de l’emploi à son coût est d’autant plus forte que les salaires sont faibles, surtout en France, où il existe un salaire minimum et où celui-ci peut être considéré comme relativement élevé par comparaison avec d’autres pays. Car si le salaire minimum fait obstacle à l’adéquation entre l’offre et la demande de main-d’œuvre touchant certains publics peu qualifiés, la variation des prélèvements fiscaux et sociaux devrait avoir un effet non négligeable sur les possibilités d’emploi de ces publics. Mais ce phénomène s’observe même dans les pays où il n’existe pas de salaire minimum, ou dans lesquels il est jugé relativement bas.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Parmi les éléments de comparaison internationale, disposez-vous de données relatives au financement des politiques familiales, à leur assiette et à leur effet sur l’emploi ?

M. Antoine Magnier. Nous n’avons pas mené de travaux sur le financement de la politique familiale en tant que telle. Sur celui de la protection sociale, vous connaissez nos principales conclusions puisque vous avez entendu certains de nos collègues ainsi que Mme Mireille Elbaum. La France fait partie d’un groupe de pays où le financement de la protection sociale repose encore largement sur les cotisations sociales, même si leur part a sensiblement diminué, par opposition aux pays anglo-saxons, notamment, où le financement repose sur la fiscalité.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. La part des effets d’aubaine que créent ces exonérations est-elle constante ?

M. Antoine Magnier. Si les travaux mesurant les conséquences sur l’emploi de la première vague d’exonérations permettent d’en apprécier du même coup l’effet d’aubaine, nous manquons d’études sur les deuxième et troisième vagues. Sur les trois que nous avions financées, une seule propose des résultats sur lesquels nous puissions nous appuyer.

Lors de la première vague, les allégements ont été plutôt concentrés au niveau du salaire minimum, à une époque où le coût du travail à ce niveau était relativement élevé par rapport à son coût au niveau du salaire médian. Les études suggèrent que ce dispositif a eu un effet significatif sur l’emploi et entraîné moins d’effets d’aubaine que d’autres politiques générales de réductions fiscales ou sociales, notamment sectorielles. Sans aucun doute, le rapport coût-efficacité de cette première vague est satisfaisant, voire très satisfaisant au regard d’autres dispositifs de réduction du coût du travail.

Lors des deuxième et troisième vagues, les allégements ont été moins concentrés au niveau du salaire minimum. Voilà pourquoi on a tendance à considérer que leur rendement a été moindre et les effets d’aubaine plus importants. Le ciblage du dispositif sur les bas salaires explique l’effet sur l’emploi.

M. Benoît Ourliac, chef de la mission d’analyse économique. Il convient de distinguer deux types d’effets d’aubaine. On évalue le premier en se demandant quels emplois auraient été créés ou viables en l’absence d’allégements. Tout porte à croire que ces emplois sont plutôt ceux sur lesquels la demande de travail des entreprises n’est pas contrainte. Elle l’est a priori à proximité du salaire minimum, où, avec les allégements généraux, les entreprises peuvent proposer des postes qui n’auraient pas été créés ou rentables sans eux. En revanche, plus on s’élève dans la distribution des salaires, plus cet effet d’aubaine risque d’augmenter. Pour des salaires équivalents à 1,5 ou 2 SMIC, l’impact des allégements est moindre car la demande de travail des entreprises est moins contrainte : elles peuvent jouer sur les salaires.

Le second effet d’aubaine est lié au rôle de la négociation salariale. La réduction des cotisations patronales entraîne un transfert aux entreprises, mais celui-ci ne se traduit pas par une diminution du coût du travail si les salariés en récupèrent une partie par le jeu de la négociation salariale. Or le pouvoir de négociation des salariés est proportionnel à leur niveau de salaire. Pour le dire de manière caricaturale, un salarié au SMIC ne dispose d’aucune marge de négociation : malgré les allégements, il restera au SMIC, de sorte que l’effet sur le coût du travail d’une baisse de cotisations sociales sera maximal. Dès lors, plus les allégements sont ciblés sur les bas salaires, plus leur impact sur le coût du travail est important et plus leur effet sur l’emploi sera significatif.

M. Antoine Magnier. En d’autres termes, pour les publics pour lesquels le salaire minimum entrave l’ajustement de l’offre et de la demande, l’effet d’une mesure d’allégement du coût du travail est maximal. Dans les autres cas, le fruit de la mesure peut être partagé, par le truchement des négociations salariales, entre hausse de salaires et réduction du coût du travail.

Nous pourrons vous transmettre un document que nous avons préparé pour le Haut Conseil du financement de la protection sociale et où ce phénomène est illustré par des schémas.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Avez-vous commencé à étudier la transformation envisagée du CICE en exonération de cotisations sociales ? À défaut, quel est votre sentiment à ce sujet ?

M. Antoine Magnier. Nous n’avons pas travaillé sur cette hypothèse. Lorsque le CICE a été instauré, il nous a semblé devoir concerner aussi les plus bas salaires, pour les raisons que nous venons d’exposer.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Vous faites partie du comité de suivi du CICE au sein du Commissariat général à la stratégie et à la prospective.

M. Antoine Magnier. En effet, mais nous n’avons pas été sollicités pour conduire des travaux sur une éventuelle adaptation de ce dispositif.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Dans le rapport sur le financement de la branche famille qu’elle nous a remis avant l’été, la Cour des comptes a étudié à notre demande quatre scénarios touchant l’assiette, en s’appuyant sur le modèle MÉSANGE (modèle économétrique de simulation et d’analyse générale de l’économie) développé par la direction générale du Trésor, et en a notamment évalué l’effet sur l’emploi. Le premier transfère l’assiette à la valeur ajoutée des entreprises, le deuxième à la TVA, le troisième à la CSG et le quatrième à la fiscalité environnementale. À vos yeux, quelle est l’assiette qui permet de soutenir la compétitivité tout en créant des emplois, en fonction des différents niveaux de rémunération ?

M. Antoine Magnier. Je rappelle que, sur ce sujet, nous ne disposons pas d’un outil de simulation macroéconomique comparable à MÉSANGE. Il ressort de nos études et de notre participation à différents groupes de travail au cours des dernières années, en particulier dans le cadre du Conseil d’orientation pour l’emploi en 2006 et 2007, qu’il n’existe pas d’assiette miracle, du moins à moyen terme. L’on peut toutefois juger économiquement efficace d’étendre l’assiette de prélèvement au-delà des seules cotisations sociales, notamment en mettant à contribution d’autres revenus que ceux des salariés. Cela permettrait d’atténuer le coin fiscalo-social qui pèse sur le travail et peut entraîner des effets défavorables sur l’emploi lorsque sa hausse n’est pas contrebalancée par une baisse du salaire net, du fait de la négociation salariale.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. D’aucuns estiment que l’avantage de compétitivité dont bénéficie l’Allemagne s’explique par le basculement massif d’une partie des cotisations patronales vers la TVA auquel elle a procédé voici quelques années. Qu’en pensez-vous ?

M. Antoine Magnier. Cela nous paraît être un facteur secondaire. À nos yeux, le redressement de la compétitivité allemande s’explique principalement par la période de forte modération des salaires qui a duré de la fin des années 1990 à ces toutes dernières années. Elle a pris différentes formes et s’est illustrée par l’accroissement de la pauvreté au travail pour certains publics.

M. Benoît Ourliac. En outre, le produit de la hausse de TVA n’a pas été intégralement affecté à la baisse des cotisations sociales : les sommes en jeu, relativement faibles, ne suffisent absolument pas à expliquer l’évolution divergente des coûts salariaux unitaires en France et en Allemagne pendant cette période, qui résulte bien plutôt de l’évolution des salaires, laquelle a été atypique en Allemagne. Ce point ne fait guère débat parmi les économistes.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Merci, messieurs.

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède ensuite à l’audition, ouverte à la presse, de M. Bertrand Fragonard, président délégué du Haut Conseil de la famille, et Mme Lucie Gonzalez, secrétaire générale.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Bertrand Fragonard, président délégué du Haut Conseil de la famille.

Monsieur le président délégué, il y a un an, nous vous avons auditionné sur le financement de la branche famille. Depuis, le Haut Conseil de la famille (HCF) a rendu son rapport en avril et le Gouvernement a pris des décisions au titre du quotient familial. Parallèlement, des réflexions sont engagées sur l’avenir du crédit impôt compétitivité emploi (CICE) et la réforme de la politique fiscale, notamment sur l’introduction d’une plus grande progressivité.

La Cour des comptes a également remis à la MECSS à la fin du mois de mai le rapport que celle-ci lui a commandé à la fin de l’année 2012 : or, aux yeux de la Cour des comptes, il n’existe pas d’assiette miracle pour financer la branche famille : la seule nécessité est de réduire ses dépenses pour résorber son déficit – le sujet était au cœur de votre rapport. Le Haut Conseil du financement de la protection sociale a également produit un rapport au mois de juin, lequel propose différents scénarios de mécanismes de transfert.

Quel est l’état de la réflexion du Haut Conseil de la famille et de la vôtre sur l’opportunité de maintenir les cotisations patronales comme principale source de financement de la branche famille, compte tenu du caractère universel des prestations, ainsi que sur les taxes qui sont affectées à cette branche ?

M. Bertrand Fragonard, président délégué du Haut Conseil de la famille. Depuis le décret de juin dernier qui a refondu ses missions, le HCF a perdu la compétence que lui avait attribuée le décret d’octobre 2008 en matière de financement. Sa seule mission est désormais de réfléchir à l’avenir financier de la branche. Il est vrai que le haut conseil n’a jamais pu exercer la compétence plus large qui lui avait été initialement attribuée, à savoir réfléchir sur la nature des recettes, en raison à la fois de la publication du rapport de M. Yves Bur sur le financement de la branche famille et de la création du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFi-PS).

Le HCF se préoccupe donc de l’équilibre financier de la branche : l’essentiel de sa compétence consiste à réfléchir aux besoins financiers de la politique familiale.

La seule position officielle adoptée par le haut conseil a porté sur le niveau et le dynamisme de la recette : à ses yeux, en cas de changement d’assiettes, il faut, d’une part, respecter le principe de la compensation pour ne pas affaiblir le potentiel financier de la branche, et, d’autre part, vérifier régulièrement que les recettes qui seront éventuellement substituées aux cotisations patronales auront le même dynamisme de moyen terme. J’ai transmis à Mme la présidente du HCFi-PS la position unanime sur ces deux points des membres du haut conseil, le MEDEF mettant toutefois plus l’accent sur la baisse des cotisations patronales, sans prendre position contre la position du haut conseil.

Certes, l’affectation à la branche famille de 1 milliard d’euros résultant du plafonnement du quotient familial fait bouger en direction de l’impôt sur le revenu (IR) la ligne de partage des recettes entre cotisations, CSG et impôt, mais c’est de manière peu spectaculaire. J’ai transmis aux membres du haut conseil une note sur les mesures de transfert et d’ajustement prévues dans l’article 15 du projet de loi de financement de la sécurité sociale : je n’ai jusqu’à présent été saisi d’aucune observation ni de demande de débat, ce qui pourrait laisser à penser – c’est une hypothèse – que les membres du haut conseil considèrent que le redéploiement opéré dans le cadre de l’article 15 ne contrevient pas à l’idée d’une compensation honorable dont le principe avait été retenu par le Conseil constitutionnel il y a quelques années. C’est d’autant plus remarquable que les partenaires sociaux et les mouvements familiaux sont d’ordinaire inquiets de l’obscurité qui accompagne habituellement tout mouvement brownien affectant les recettes – vous devez le savoir pour avoir auditionné le président de l’Union nationale des associations familiales (UNAF). Je tiens à souligner que, lors du transfert de 0,28 point vers la CSG, le haut conseil avait dénoncé le fait que les recettes affectées, équilibrées en début de période, étaient par la suite destinées à fléchir. Le Conseil constitutionnel a du reste par la suite rappelé qu’il ne convient pas d’affaiblir le potentiel de la branche famille.

Toutefois, alors que, selon les prévisions actuelles, la branche famille est en déficit pour quelques années encore, les décisions sur la reprise de sa dette permettront de la soulager : un apport substantiel de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) est en effet prévu en 2016 et en 2017. La dette que la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) serait amenée à rembourser à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) serait dès lors limitée à quelque 5 milliards d’euros, dans le cadre, évidemment, des prévisions financières actuelles sur la période 2014-2018 – celles-ci peuvent naturellement évoluer. La branche famille reviendra à l’équilibre puis à l’excédent plus rapidement que si elle avait dû assumer directement sa dette.

Quant à la baisse de 0,15 point de la cotisation patronale, elle est compensée exactement par un jeu de recettes.

Il convient de distinguer les réflexions sur la nature de la recette de celles sur le niveau de celle-ci.

S’agissant de la nature de la recette, la tendance actuelle est de réfléchir à la baisse des cotisations patronales : tous les scénarios envisagés comprennent une telle baisse, qui répond à une double motivation, l’une doctrinale, l’autre d’opportunité économique.

Sur le plan doctrinal, il convient de déterminer s’il est possible de déduire de la nature de la dépense la nature idéale de la recette – ce qui rejoint la question, assez ancienne, de l’assiette idéale du financement de la branche famille. Ne serait-il pas plus logique de financer la branche famille par des impôts de solidarité nationale que par des cotisations professionnelles ? En effet, d’une part, les prestations sont généralisées depuis 1976 – les prestations augmentant même de manière inversement proportionnelle à l’activité professionnelle – et, d’autre part, les prestations sont déconnectées du salaire qui sert d’assiette à la cotisation – il en est de même de la branche maladie. La seconde motivation, c’est la baisse du coût du travail grâce à l’allégement des cotisations sociales, l’instrument idéal étant la baisse des cotisations patronales à la branche famille. Les analyses, surtout des organisations patronales, convergent donc en ce sens, alors même que personne ne sait à l’heure actuelle si une telle baisse des cotisations patronales se traduirait par un abaissement du coût du travail ou par des transferts entre branches.

Le récent rapport de l’HCFi-PS évoque cette option qui appelle, à mes yeux, quatre observations.

Premièrement, sur le plan de la doctrine, il faut rappeler que les solidarités nationale et professionnelle se croisent : l’entreprise n’est pas indifférente à la politique familiale. La Cour des comptes précise dans son rapport que le financement de la branche famille doit conserver un socle de cotisations patronales parce qu’une partie des prestations participe à l’amélioration de la conciliation de la vie professionnelle avec la vie familiale. Les chiffrages de l’UNAF ou de la CNAF conduiraient d’ailleurs à une diminution des cotisations patronales très supérieure à ce qui est actuellement envisagé. De plus, pour passer d’une telle conception, somme toute arbitraire, à une analyse factuelle, il conviendrait de décomposer l’ensemble des prestations pour distinguer celles qui ont un lien avec l’entreprise de celles qui n’en ont pas. Où situer, par exemple, la part des recettes qui financent les droits familiaux de retraite ? Les entreprises, faut-il le rappeler, sont indissociables de la construction des recettes. Conviendrait-il de laisser aux cotisations patronales la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) et tout ce qui concerne les modes de garde des enfants ? Ou le congé de paternité ? Ou encore les centres de loisirs sans hébergement (CLSH) ? Une telle piste de réflexion ne me semble pas très productive – je le dis à titre personnel. Toutefois, le HCF pourrait toujours étudier, à la demande du Premier ministre, une hypothèse de reclassement des prestations sur un tel critère.

Deuxièmement, l’option, même compensée, de la baisse des cotisations patronales est contestée par les partenaires familiaux, qui voient dans le glissement vers la budgétisation une double menace. La première concerne la gouvernance : les points de cotisation et leur affectation sont vécus par les partenaires familiaux comme une sécurité alors que le jour où l’État deviendrait le financeur principal, il n’aurait de cesse de baisser le potentiel financier de la branche famille. À mes yeux, cette crainte n’est pas fondée puisque le taux actuel de la cotisation patronale n’offre pas de plus grande sécurité juridique et politique qu’une décision du Parlement. La seconde menace, c’est de voir l’État évincer les partenaires sociaux de la gouvernance de la branche, leur participation au conseil d’administration étant liée, à leurs yeux, à la nature de la recette. Encore faudrait-il pouvoir mesurer le pouvoir réel des partenaires sociaux dans la branche famille : or celui-ci est menu. L’histoire des cinquante dernières années montre que le pouvoir de décision a appartenu au Gouvernement, puis au Parlement, la chronologie des débats du conseil d’administration de la CNAF révélant qu’il n’est saisi que lorsque les décisions sont déjà publiées. Du reste, les partenaires sociaux n’attendent pas la délibération de la CNAF pour discuter des enjeux : ils le font en amont.

Troisièmement, de nombreux partenaires sont partisans d’un recours à la CSG en raison de l’universalité des prestations – toutefois, la non-familialisation de la CSG laisse perplexe l’UNAF. Quant à la TVA, beaucoup estiment qu’elle est antifamiliale car régressive en termes de pouvoir d’achat. Les familles ayant, dit-on, un taux d’épargne plus faible – cela mériterait d’être nuancé –, la TVA pèse directement sur leur budget. Quant aux autres recettes possibles, les partenaires du haut conseil se retrouveraient, à mon sens, sur l’idée que le sujet principal est leur nature et leur dynamisme.

Quatrièmement, la remise à plat fiscale annoncée par le Premier ministre aura un impact direct sur le financement de la branche famille. Si les problèmes considérables posés par la fusion entre l’impôt sur le revenu et la CSG ont déjà été étudiés dans le rapport de M. Didier Migaud, l’instauration d’une CSG progressive non familialisée en poserait tout autant. Quant à l’évolution des charges sociales pesant sur les entreprises, si elle était retenue, elle renverrait à un besoin de financement. Cette remise à plat a en tout cas pour effet de geler toutes les réflexions déjà en cours.

S’agissant du niveau des recettes, à court et moyen termes, le haut conseil s’arc-boute sur l’idée qu’en phase de déficit il ne faut absolument pas perdre de recettes – c’est pourquoi l’opération de reprise prévue dans le PLFSS le rassure.

Le problème du niveau de la recette se posera de façon centrale à partir de 2020, lorsque la CNAF, à législation constante, sera revenue à l’équilibre puis dégagera un excédent croissant, qui pourrait devenir massif. Deux grandes options seront alors possibles – le choix qui sera fait rétroagissant sur la nature de la recette : conserver à la branche famille son potentiel financier et la laisser dépenser l’excédent spontané dont elle bénéficiera à législation constante, ou ne lui laisser qu’une partie de son excédent, via une diminution de ses recettes, en vue d’aider au rééquilibrage des finances publiques. L’avenir de la politique familiale se jouera donc davantage à partir de 2020 que dans les prochaines années, dont le cheminement est bien balisé : il ne pourrait être modifié qu’à l’occasion de la remise à plat de la fiscalité.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Il est certain que la remise à plat de la fiscalité – d’aucuns ont évoqué un big bang – ne sera pas sans incidence sur le financement de la branche famille.

Vous avez évoqué les réserves de la Cour des comptes quant à une budgétisation intégrale : les cotisations patronales se justifient à ses yeux au titre de la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale. La cour évoque une fourchette entre 13 milliards et 15 milliards d’euros.

M. Bertrand Fragonard. Le congé maternité est un exemple flagrant d’une telle conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Nous avons reçu les organisations syndicales. Sur les 5,4 points de cotisations patronales en direction de la branche famille, la CFDT souhaite en maintenir 3,2 et augmenter de 2,2 points les cotisations vieillesse. Quid alors de la baisse du coût du travail ?

Partagez-vous la lecture de la Cour des comptes en termes d’absence d’« assiette miracle » ? C’est le modèle macroéconomique MÉSANGE qui a servi de base à la réflexion de la Cour des comptes et de la direction du Trésor.

M. Bertrand Fragonard. La recherche d’une « assiette miracle » me laisse toujours dubitatif. Pour le haut conseil, l’« assiette miracle » est une assiette possédant le dynamisme souhaité. Le Premier ministre a d’ailleurs retenu, dans sa lettre de mission pour mon rapport, le principe d’une progression des recettes sur la période envisagée au moins équivalente au PIB.

Cette assiette ne doit pas non plus être susceptible d’être rapidement mitée : or c’est un des risques de la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu – la mauvaise assiette chassant la bonne. Il faut souligner que le système des recettes est, depuis une trentaine d’années, de plus en plus utilisé pour infléchir la vie économique.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. La logique « pikettyste » a pour préalable l’élagage des niches existantes.

M. Bertrand Fragonard. Quelle est la probabilité politique de l’option « Piketty » alors qu’on se contente de chasser les anciennes niches par de nouvelles ?

Je suis plus intéressé par le montant que par la nature de la recette. Convient-il de flécher toutes les recettes ? Durant très longtemps, les finances publiques ont reposé sur la non-affectation des recettes : or on tourne de plus en plus le dos à ce principe, si bien que chacun croit avoir une créance sur les recettes de l’État, ce qui est discutable en termes de doctrine. Il faut toutefois prendre conscience du fait que les conséquences économiques sur le budget des familles des différentes options – TVA, CSG familialisée ou non, impôt sur le revenu – ne sont pas neutres. Un prélèvement sur le tabac ou l’alcool n’aurait aucune conséquence sur la politique familiale contrairement à une fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, qui se heurtera à la question des quotients conjugal et familial.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Quelques parlementaires, dont je fais partie, ont déposé à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 un amendement visant à mettre en place une CSG progressive, amendement aussitôt complété par un second relatif à la familialisation de celle-ci. Il n’y aucun obstacle juridique. C’est la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les définitions du prélèvement et de la cotisation qui nous a « mis dans la nasse ».

M. Bertrand Fragonard. J’ai été auditionné par M. Migaud dans le cadre du rapport de la Cour des comptes : j’ai alors bien souligné que la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG soulèvera la question de la familialisation du nouvel ensemble puisque la CSG n’est ni conjugalisé ni familialisé, contrairement à l’impôt sur le revenu. Ce serait un problème majeur pour la politique familiale, même si des effets redistributifs peuvent être prévus dans le cadre de l’impôt sur le revenu – c’est ce qui s’est passé avec le plafonnement du quotient familial qui finance l’ensemble des prestations familiales.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Qu’en est-il du débat sur une budgétisation des dépenses de la branche famille relevant de la solidarité ?

M. Bertrand Fragonard. Ou bien les recettes de la branche famille sont directement assurées par le budget de l’État ou bien seulement quelques dépenses sont sorties de la branche famille pour être assurées par le budget « prestations » du ministère chargé des affaires sociales ou de la solidarité. Mais quelles dépenses choisir puisque, comme je l’ai souligné d’entrée de jeu, les prestations familiales n’ont pas de lien direct avec les revenus professionnels ? Toutes peuvent donc être considérées comme l’expression d’une solidarité élargie. Pourquoi les allocations familiales, qui sont déconnectées du revenu, ne ressortiraient-elles pas de la solidarité au même titre que les prestations logement ? Je ne discerne pas bien la logique d’un tel tri. Les partenaires sociaux verraient dans cette opération l’amorce d’une baisse de l’effort, laquelle n’est pas exclue, puisque, comme je l’ai déjà souligné, le vrai problème à partir des années 2020 sera de déterminer si on laisse ou non à la branche son excédent, lequel pourrait être vidé par la diminution de certaines dépenses et des recettes correspondantes. La même opération conduite dans la branche vieillesse créerait des difficultés tout aussi considérables : les minima de pension constituent-il une œuvre de solidarité plus importante que la diminution du taux de remplacement avec le revenu ? Cela revient indirectement à laisser dans l’obscurité les vraies questions : faut-il maintenir à la branche famille ses recettes actualisées à hauteur du PIB ? Conviendra-t-il, à compter de 2020, de lui conserver son excédent ? La budgétisation serait vécue de façon agressive par les milieux familiaux qui n’y verraient, je le répète, que l’occasion d’une diminution des prestations.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. D’autant que cette budgétisation n’évacuerait en rien la question de la gestion de proximité des prestations puisque le réseau des caisses d’allocations familiales (CAF) perdurerait.

M. Bertrand Fragonard. Le RMI, géré par les CAF, dépendait de l’État. Même si les prestations dites de solidarité étaient dans la main de l’État, elles continueraient d’être gérées par les CAF.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. C’est déjà le cas des aides au logement, qui sont assurées sur le budget de l’État, et du RSA – les conseils généraux n’en financent que la partie non compensée. Seules les prestations familiales sous conditions de ressources pourraient faire l’objet d’une forme de budgétisation si on considérait qu’elles relèvent de la solidarité nationale.

M. Bertrand Fragonard. Pour moi, le vrai sujet, c’est le montant et la destination des recettes de la branche famille.

Faut-il déclasser la PAJE et le complément familial, ainsi que l’allocation de rentrée scolaire ? En revanche, l’allocation de soutien familial ne sera pas déclassée alors que, massivement perçue par des ménages aux revenus modestes, elle est un exemple parfait de redistribution au profit des moins aisés. Le critère des conditions de ressources n’est donc pas pertinent. Que deviendrait le complément de libre choix d’activité (CLCA) ?

Pourquoi s’ingénier à faire compliqué quand on peut faire simple ? Cela permettrait-il d’occulter les vrais problèmes ? La gestion par l’État de la politique familiale est à la fois une chance et un risque : une chance s’il gère bien, un risque s’il est obsédé par la baisse des prélèvements obligatoires et se contente de rogner le budget des prestations familiales en raison du poids de l’assurance maladie. La gestion des aides au logement est, sur ce point, loin d’être exemplaire – je pense notamment à leur gel qui a, du reste, fait l’objet d’amendements au projet de loi de finances. La question est : veut-on modifier les prestations familiales à l’intérieur d’une enveloppe donnée ? S’agissant du statut fiscal des familles – les prélèvements portant sur les ménages –, qu’en sera-t-il de la TVA, de l’impôt sur le revenu et de la CSG ? Tels sont les enjeux de la politique familiale. De toute façon, que les prestations soient budgétisées ou non, c’est l’État qui, aujourd’hui, arbitre leur répartition par voie réglementaire, les partenaires sociaux n’ayant aucune prise sur elles. Seule l’action sociale fait l’objet d’un cadrage financier macroéconomique dans le cadre des conventions d’objectifs et de gestion (COG) avant d’être inscrite dans une loi de finances.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. D’aucuns proposent de consacrer le montant du crédit impôt compétitivité emploi à une baisse sèche des cotisations patronales. Sur les 34 milliards d’euros de la politique familiale, 14 milliards d’euros demeureraient alors à la charge des entreprises, les 20 milliards d’euros restants étant compensés par le budget de l’État, via notamment une augmentation de la TVA pour 6 milliards d’euros. Au lieu de baisser, comme prévu, de 6 % l’impôt sur les sociétés, l’État baisserait de 3,2 % ou de 3,5 % les cotisations patronales à destination des familles.

Se trouve évidemment posée la question, soulignée par la Cour des comptes, du cumul, pour l’entreprise, du bénéfice des exonérations de charges sociales jusqu’à 1,6 SMIC et du CICE jusqu’à 2,5 SMIC, sans compter les avantages des entreprises situées en zones franches urbaines.

M. Bertrand Fragonard. Il ne m’appartient pas en tant que président délégué du Haut Conseil à la famille de juger la politique d’exonérations de charges sociales. La seule chose que je soulignerai, c’est que la nature de la recette visant à compenser une baisse très importante des cotisations patronales risquerait d’avoir un impact sur le budget des ménages : 10 milliards d’euros de recettes n’ont pas la même incidence sur le pouvoir d’achat des familles s’ils sont perçus via la CSG ou via la TVA. Les dernières analyses du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) incitent les associations familiales à considérer la TVA comme récessive, même s’il convient de relativiser les conclusions du CPO, qui ne sont pas aussi catégoriques, puisqu’il est toujours possible de jouer sur les taux réduits, majorés ou intermédiaires de TVA.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. La MECSS avait demandé à la Cour des comptes de réfléchir à des assiettes alternatives, comme le recours à la fiscalité environnementale. L’attribution de recettes fiscales complémentaires à la branche famille vous paraît-elle envisageable ?

M. Bertrand Fragonard. À titre personnel, je réponds non, en raison de l’absence de toute marge. La priorité pour le haut conseil est de consolider le niveau de recettes actuel. Le président de l’UNAF, lors de son audition, a émis le vœu d’un arbitrage plus favorable aux familles : je formule le même vœu mais ce ne peut être qu’à prélèvements constants – une contrainte que les partenaires sociaux et familiaux esquivent généralement. Si des fonctions sont sous-développées, comme la dépendance, il convient, pour trouver des marges et en l’absence de toutes recettes dégagées par une éventuelle croissance, de se tourner vers la branche maladie. Si la branche famille peut redevenir excédentaire, c’est que les prestations familiales sont indexées sur les prix alors que les recettes évoluent comme les salaires : mais cela revient à accepter l’appauvrissement relatif des familles. Il appartient au Gouvernement et au Parlement d’arbitrer entre les priorités. Il est évident que la législation actuelle appauvrit en termes relatifs les familles, d’où la revendication de l’UNAF. Plus le pays s’enrichit, plus les familles doivent supporter la charge financière d’élever leurs enfants. Les allocations familiales ne représenteront plus rien en 2060 – nous faisons des projections pour le HCFi-PS à cet horizon –, voire dans vingt ou trente ans seulement. Conviendra-t-il de continuer de verser des prestations, dont la valeur relative en équivalent salaire diminue comme neige au soleil, ou de les restructurer ? Vaudra-t-il mieux indexer la totalité des prestations ou construire plus de crèches et augmenter le nombre des actions en direction des jeunes ? Le budget social est loin d’être à l’optimum ! Je le répète : la dépendance me semble prioritaire.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Je vous rejoins sur ce point.

Bertrand Fragonard. Oui, mais la clé du budget social, chacun le sait, c’est la dépense maladie. Si nous n’arrivons pas à la maîtriser, il faudra arbitrer entre le taux de prise en charge de l’assurance maladie et d’autres priorités. Dans le rapport que j’ai remis au précédent gouvernement sur la dépendance, je m’étais astreint à ne pas formuler de propositions de dépenses trop importantes : j’ai été déçu qu’aucune n’ait été reprise. J’attends donc avec beaucoup d’intérêt le projet de loi sur la dépendance.

En l’absence de recettes additionnelles, il ne sera pas possible de faire l’impasse d’une redéfinition des prestations familiales. À quoi, notamment, faudra-t-il consacrer un excédent éventuel : à des services, à des prestations universelles mieux indexées ou aux familles les plus modestes ? N’oublions pas qu’un enfant sur cinq vit en France sous le seuil de pauvreté.

M. Bertrand Fragonard. Je vous remercie, monsieur le président.

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède enfin à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Rey, directeur de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), et M. Alain Gubian, directeur financier.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Dans le cadre du débat sur la recherche d’un financement optimum de la branche famille, nous avons le plaisir de recevoir MM. Jean-Louis Rey, directeur de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), et Alain Gubian, directeur financier.

Merci, messieurs, d’avoir répondu à notre invitation. Il nous apparaissait important, au-delà des réflexions théoriques, voire doctrinaires, de demander à l’acteur concerné au premier chef par les sources de financement de la branche son avis sur la question.

Pourriez-vous nous présenter rapidement la mission de l’ACOSS dans ce domaine ? Quel regard portez-vous sur l’évolution des recettes, notamment celles issues des cotisations sociales ?

M. Jean-Louis Rey, directeur de l’ACOSS. L’ACOSS pilote le réseau des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), actuellement en cours de régionalisation : au 1er janvier 2014, les 22 URSSAF seront toutes régionales.

L’ACOSS a une triple mission : recouvrer les cotisations et les contributions sociales, répartir les fonds collectés entre les différentes branches du régime général, gérer la trésorerie de la sécurité sociale. En 2012, elle a collecté 441 milliards d’euros, dont 80 % au titre des recettes du régime général et 20 % pour le compte de tiers – l’UNEDIC étant notre principal client extérieur. Elle compte 9,6 millions de cotisants – entreprises, travailleurs indépendants, particuliers employeurs – et 900 partenaires attributaires. Il s’agit d’un petit réseau, qui emploie 14 000 personnes, pour un coût de gestion très faible : 0,29 %. L’année dernière, nous avons géré 1 850 milliards d’euros de flux de trésorerie.

Nos résultats en matière de recouvrement sont tout à fait honorables : les restes à recouvrer sont très faibles, et ce malgré la conjoncture.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Pour ce qui concerne le financement de la branche famille, vous assurez le recouvrement des cotisations patronales, mais aussi celui de la CSG. Avez-vous des observations à faire sur les aspects proprement techniques ? Un type de prélèvement pose-t-il plus de difficultés qu’un autre ?

M. Jean-Louis Rey. Deux données doivent être prises en considération : l’évolution de l’assiette, c’est-à-dire la masse salariale, et le reste à recouvrer.

En 2013, la croissance de la masse salariale sera relativement faible : 1,3 %, contre 2,2 % en 2012 et 3,6 % en 2011 ; nous sommes sur une pente descendante, mais la situation n’a rien à voir avec celle de 2009, quand on a observé, pour la première fois dans l’histoire de la sécurité sociale, un recul, à hauteur de 1,3 %.

Ce résultat recouvre deux composantes : l’emploi est en baisse de 0,6 % ; en revanche, le salaire moyen par tête a augmenté de 1,8 %. Notre référence, c’est la moyenne des dix années qui ont précédé la crise de 2008, durant lesquelles le taux de croissance de la masse salariale a oscillé entre 3,7 % et 4 %, principalement sous l’effet de la hausse des rémunérations, mais avec une composante « emploi » positive, de 1,2 à 1,3 % par an en moyenne. Nous en sommes très éloignés.

Le reste à recouvrer est mesuré quinze mois après l’échéance, dans le seul secteur privé ; il sera cette année de 0,87 %, après avoir été de 0,83 % l’année dernière et de 0,74 % en 2011. Malgré l’épisode récessif, sa dégradation reste donc réduite. Cela signifie que les entreprises ont abordé cette séquence avec une trésorerie bien plus favorable qu’en 2008-2009.

Cela va-t-il durer ? Rien n’est moins évident. Il faudrait que la reprise se fasse sentir. Toutefois, les chiffres restent satisfaisants. Cela découle aussi d’une politique de recouvrement efficace, grâce à un comportement adapté des URSSAF, qui accompagnent les entreprises en difficulté.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Vous êtes le premier collecteur de prélèvements obligatoires du pays, devant l’État. Qui vient ensuite ?

M. Jean-Louis Rey. L’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO) et l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC), pour 54 milliards d’euros. Ensuite viennent les structures de financement de la formation professionnelle, tels les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) ou les organismes collecteurs de la taxe d’apprentissage (OCTA).

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Afin d’optimiser le système, pourrait-on envisager de confier la collecte de ces fonds à d’autres organismes ?

M. Jean-Louis Rey. Je sais que, dans le cadre de la discussion sur la réforme du financement de la formation professionnelle, une partie du patronat souhaiterait nous confier le recouvrement des contributions.

J’en viens au financement de la branche famille. Elle est essentiellement assurée par les cotisations patronales, à hauteur de 64 % en 2012. Mais attention : tout n’est pas versé par le secteur privé ; seuls 22 milliards d’euros le sont, auxquels s’ajoutent quelque 4 milliards d’euros de cotisations des travailleurs indépendants. L’ensemble représente moins de 50 % du financement de la branche ; on est loin de la situation d’il y a vingt ans, lorsque le financement était presque totalement assuré par les cotisations patronales du secteur privé.

Ce financement a deux légitimations : la participation du patronat, à travers la politique familiale, à la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale, essentielle pour les entreprises ; et les répercussions positives de la politique familiale, qui permet, même si c’est un handicap en termes d’emploi, de faire entrer chaque année 200 000 jeunes sur le marché du travail.

En tant que directeur de l’ACOSS, je n’ai pas d’opinion sur le mode de financement de la politique familiale. En revanche, en tant que gestionnaire de la trésorerie de la sécurité sociale, je me dois d’insister sur le fait que toutes les recettes ne se valent pas.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Lesquelles vous permettraient de remplir au mieux vos missions ?

M. Jean-Louis Rey. L’idéal, c’est d’utiliser une assiette dynamique et relativement indifférente à la conjoncture. Deux répondent à cette exigence : la masse salariale et la consommation. En revanche, l’impôt sur les sociétés est un chiffon rouge, en raison de son extrême volatilité, très dangereuse pour un financement de trésorerie. Pour pouvoir honorer nos engagements, nous avons besoin d’une recette régulière, prévisible et stable.

Cela signifie qu’affecter une partie des recettes de la TVA à la sécurité sociale – nous devrions bénéficier de 9 milliards d’euros pour l’exercice 2013 – ne pose aucun problème en termes de gestion de trésorerie. En revanche, la contribution sociale sur les bénéfices, assise sur l’impôt sur les sociétés, était pour nous un sujet de préoccupation, dans la mesure où nous ne savions jamais avec certitude quel serait son rendement ; heureusement, elle ne pesait que très peu dans notre financement.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. La TVA est collectée par le canal de l’État ; mais les 9 milliards d’euros utilisés pour financer les organismes de protection sociale transitent-ils par vous ?

M. Jean-Louis Rey. Oui ; la TVA est recouvrée par la direction générale des finances publiques (DGFIP) et une fraction nous est versée, que nous introduisons dans nos circuits de trésorerie. Nous en assurons la répartition.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Un financement principal de la protection sociale par la TVA ou par la fiscalité d’État déposséderait-il l’ACOSS d’une partie de ses prérogatives ?

M. Jean-Louis Rey. Oui, bien sûr. Les réseaux sont spécialisés par assiette : l’ACOSS s’occupe de l’assiette sociale, essentiellement salariale, et le réseau de la DGFIP des autres assiettes. Nos réseaux ne sont pas concurrents, ils sont complémentaires. Si l’on change de mode de financement, cela aura forcément des répercussions sur l’ACOSS.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Une fiscalisation du financement de la protection sociale aurait par conséquent une incidence sur l’organisation du recouvrement ?

M. Jean-Louis Rey. C’est à tort que l’on parle de « fiscalisation du financement de la protection sociale ». La CSG est un impôt, et pourtant il a été créé pour financer la sécurité sociale – j’en sais quelque chose, puisque je suis l’un des auteurs de cette réforme, il y a vingt ans. Tout le monde l’assimile à une cotisation sociale, mais, juridiquement, c’est un impôt, qui pèse 92 milliards d’euros, soit le tiers des recettes du régime général !

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Dans son rapport daté du mois de juin, le Haut Conseil du financement de la protection sociale estime que la nature juridique de la CSG a souvent été un obstacle à son évolution. Les récentes annonces du Premier ministre relatives à la convergence de l’impôt sur le revenu et de la CSG, ainsi qu’à la conjugalisation et à la familialisation de l’impôt, conduiront peut-être à une clarification que d’aucuns jugent nécessaire, eu égard à la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour de justice de l’Union européenne. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Louis Rey. Je ne peux qu’être d’accord avec cette opinion, puisque c’est moi qui ai écrit cette partie du rapport !

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. On dit communément que la CSG est un impôt dont l’assiette est vertueuse, parce qu’elle est très peu mitée par les exonérations et les niches fiscales. Existe-t-il néanmoins des marges de progression ?

M. Jean-Louis Rey. La CSG résultait d’un compromis politique : à sa création, en 1990, le contexte n’était pas favorable à une très large assiette. Cependant, un consensus politique est rapidement apparu sur la nécessité d’élargir progressivement celle-ci. Cette trajectoire linéaire n’a jamais été contrariée, contrairement à celle de l’impôt sur le revenu, né mité et qui a eu une histoire chaotique.

Que reste-t-il à faire ? Dans le domaine des prélèvements sur les revenus du capital, il conviendrait d’intégrer l’épargne dite « populaire » – l’épargne subventionnée. Pour ce qui concerne la contribution sur la masse salariale, il ne reste plus grand-chose à faire depuis que l’on a mis en place le forfait social. En revanche, il faudrait aligner les taux appliqués aux revenus de remplacement, et notamment aux pensions de retraite.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Combien y en a-t-il aujourd’hui ?

M. Jean-Louis Rey. Sur les pensions de retraite, trois : 0 %, 3,8 % et 6,6 %. Cela pose deux problèmes.

D’une part, il existe des effets de seuil importants, d’autant plus qu’ils dépendent d’un critère exogène, en l’espèce du niveau de l’impôt sur le revenu. Dans mes précédentes fonctions, j’avais d’ailleurs participé à la conception d’un système susceptible d’y remédier.

D’autre part, il faudra tôt ou tard aligner les taux, et que les retraités versent la même contribution que les actifs, à parité de revenus. La question aurait dû être réglée depuis longtemps !

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Pour en revenir à la branche famille, collectez-vous la totalité de ses ressources, hormis les taxes affectées ?

M. Jean-Louis Rey. Nous recouvrons 90 % de la CSG ; le reste, qui provient des revenus du capital, est collecté par les services de la DGFIP.

La CSG ne dispose pas d’une assiette unique. En réalité, il s’agit d’un concept politique, qui n’a pas d’existence juridique. Le terme n’est d’ailleurs pas utilisé dans le texte du code de la sécurité sociale ; il n’apparaît que dans l’intitulé du chapitre. Ce qu’on appelle « CSG » recouvre quatre contributions différentes, dont les taux varient : la contribution sur les revenus d’activité et sur les revenus de remplacement ; celle sur les revenus du patrimoine ; celle sur les produits de placement ; celle sur les sommes engagées et les produits réalisés à l’occasion de jeux.

M. Alain Gubian, directeur financier de l’ACOSS. L’ensemble des versements sont toutefois centralisés à l’ACOSS, puis répartis entre les différentes branches de la sécurité sociale, dont la branche famille.

M. Jean-Louis Rey. Nous sommes en effet le seul interlocuteur de celle-ci.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Êtes-vous concernés par les exonérations de cotisations patronales ?

M. Jean-Louis Rey. C’est nous qui les gérons. Nous procédons aux recouvrements en appliquant les exonérations, et nous produisons toutes les données statistiques sur le sujet. Nous faisons aussi des simulations : l’annualisation de la réduction « Fillon » a ainsi été décidée sur la base de simulations produites par le service de M. Alain Gubian.

M. Alain Gubian. Autre exemple : le recentrage des exonérations dans les départements d’outre-mer, prévu par le projet de loi de finances pour 2014, a fait l’objet de simulations de notre part.

Les données individuelles sur les cotisants fournies par les entreprises sont des outils qui n’ont pas d’équivalent ailleurs. Notre capacité à répondre aux demandes est de ce fait très grande.

C’est la même chose pour le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi : les données nous remontent automatiquement via les déclarations des entreprises, soit dans la version agrégée, soit dans la déclaration automatisée des données sociales (DADS). Cela permet d’évaluer l’impact d’une mesure en examinant quelles catégories de cotisants seront concernées. Nous réalisons les études de simulation à la demande des administrations intéressées.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Quel est votre rôle en matière de CICE ?

M. Jean-Louis Rey. Nous sommes chargés de tout ce qui concerne les obligations déclaratives, puisque l’assiette du CICE a pour référence la masse salariale.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. C’est vous qui transmettez les données aux services fiscaux ?

M. Jean-Louis Rey. Oui.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Et vous vérifiez qu’elles sont cohérentes avec les DADS ?

M. Jean-Louis Rey. Oui.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Et c’est également vous qui allez étudier l’effet de seuil des 2,5 SMIC et les conséquences que celui-ci pourrait avoir sur les salariés ?

M. Jean-Louis Rey. Tout à fait.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. La gestion du CICE a-t-elle un coût pour vous ?

M. Jean-Louis Rey. Non, mais c’est une source de difficultés, dans la mesure où les modalités de déclaration ont changé à cette occasion. Pour les cotisations sociales, les entreprises font des déclarations mensuelles non cumulatives ; pour le CICE, en revanche, les déclarations sont cumulatives : en octobre, l’entreprise doit déclarer la masse salariale concernée sur les dix premiers mois de l’année. C’est une approche qui n’est pas toujours bien comprise – même si la situation tend à s’améliorer.

M. Alain Gubian. Pour nous, c’est une assiette de plus à gérer – mais ce serait la même chose s’il s’agissait d’une exonération de cotisations sociales. Nous transmettons chaque mois les informations à la DGFIP. Le dernier mois, on cumule l’ensemble des données de l’année : le montant figurant sur le bordereau de cotisation doit être le même que celui indiqué ultérieurement sur la déclaration d’impôt sur les sociétés ; Bercy peut vérifier que les chiffres concordent.

Une seule et même politique de communication est menée par nos deux institutions, afin que les cotisants n’aient pas d’hésitation sur la procédure à suivre. Les difficultés que nous rencontrons devraient être transitoires.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. On envisage une réforme du CICE, voire son remplacement par un allégement des cotisations patronales. Cela vous paraîtrait-il plus simple ?

M. Jean-Louis Rey. Sur le plan de la gestion, oui. En revanche, il faudrait impérativement compenser cette perte de 20 milliards d’euros par des prélèvements stables et prévisibles.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Et s’il y avait une compensation incluse dans le budget de l’État ?

M. Jean-Louis Rey. Cela passera nécessairement par des recettes affectées, sinon il faudrait augmenter les prélèvements obligatoires de façon exponentielle. 20 milliards d’euros, c’est une somme considérable : il faut prévoir des recettes solides.

M. Alain Gubian. Il ne faudrait surtout pas que la perte de recettes soit compensée par une augmentation de l’impôt sur les sociétés, car cela nous mettrait en grande difficulté !

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Les cotisations patronales représentaient, avant la montée en puissance de la CSG, jusqu’à 90 % des recettes de la branche famille ; aujourd’hui, leur part n’est plus que des deux tiers. Cela a-t-il eu des répercussions sur la trésorerie ? Y a-t-il des incidents de trésorerie dans le financement de la branche famille ?

M. Jean-Louis Rey. Non, mais c’est parce que nous menons une politique préventive. Par exemple, à la suite du transfert de dettes à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) et de la reprise par celle-ci des déficits de la branche vieillesse du régime général, il avait été prévu que la CADES nous verserait les sommes correspondantes très précisément le 10 juin. Jusqu’au dernier moment, nous sommes restés dans l’incertitude ; or l’enjeu était l’échéance d’un versement des pensions de vieillesse. Voilà le type de problèmes de « back-office » auquel nous pouvons être confrontés, mais dont personne n’a connaissance ; je ne sais pas comment on pourrait gérer, politiquement, un tel incident. Notre trésorerie demande une gestion extrêmement fine et attentive, en raison des fortes contraintes qui pèsent sur elle, puisqu’il faut que l’ensemble des caisses qui versent des prestations soient alimentées au bon moment et à la bonne hauteur.

Nous avons donc mis en place une politique de financement, pour l’essentiel par le marché. Nous empruntons en moyenne 20 milliards par jour, à des taux d’intérêt extrêmement bas – 0,1 % –, ce qui nous permet de limiter le coût du crédit à quelque 20 millions d’euros sur l’année. Les deux tiers des opérations se font sur le marché ; plus de 60 % de notre financement est assuré soit par des billets de trésorerie, soit par des euros commercial papers. La Caisse des dépôts et consignations ne prendra en charge cette année que 10 % de notre financement : c’est un instrument cher et peu flexible ; nous préférons aller sur le marché, qui est beaucoup plus rentable et efficace.

Une partie du financement est également assuré par la mutualisation des trésoreries sociales, les acteurs de la sphère sociale n’ayant pas toujours au même moment la même situation de trésorerie ; nous captons les excédents pour financer la trésorerie du régime général.

Il s’agit donc d’un univers complexe et fragile. Avant d’en réformer le financement, il faut toujours penser aux conséquences sur la trésorerie, c’est-à-dire sur le versement des prestations.

M. Alain Gubian. Les enjeux en termes de prévision sont très importants : tous les jours, nous devons savoir ce qui entre et ce qui sort. Quand une recette est incertaine, cela nous oblige à emprunter davantage et à avoir des soldes excédentaires inutilement élevés : c’est coûteux. C’est pourquoi il est important que les baisses de cotisations sociales soient compensées par des recettes stables. Nous devons pouvoir garantir toutes les échéances, au premier rang desquelles le versement des prestations de vieillesse, soit 9 milliards d’euros à débourser en un jour ; si la recette correspondante était aléatoire, cela poserait un problème ! Il nous faudrait alors emprunter des sommes considérables.

M. Jean-Louis Rey. Les taux d’intérêt sont très bas depuis environ deux ans, mais cela n’a pas été toujours le cas : en 2008, nous avions ainsi dépensé 800 millions d’euros en intérêts pour financer la trésorerie.

M. Alain Gubian. Aujourd’hui, le stock de dettes est de l’ordre de 20 milliards d’euros. Lorsque les taux d’intérêt sont de 0,1 %, le coût n’est que de 20 millions d’euros, mais s’ils grimpent jusqu’à 4 % – ce qui n’est pas rare –, la facture atteint alors 800 millions. Or tout peut bouger très vite.

M. Jérôme Guedj, président, rapporteur. Messieurs, je vous remercie. Nous tiendrons compte de votre invitation à préserver la trésorerie.

La séance est levée à douze heures quarante-cinq.