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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 30 janvier 2014

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 06

Présidence de M. Jérôme Guedj, rapporteur, puis de M. Jean-Marc Germain, coprésident

– Audition, ouverte à la presse, sur « le financement de la branche famille » :

– Mme Selma Mahfouz, commissaire générale adjointe à la stratégie et à la prospective, membre du Comité de suivi du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), Mme Claire Bernard et M. Antoine Naboulet, chargés de mission

– M. Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) du ministère du redressement productif, M. François Magnien, sous-directeur de la prospective, des études économiques et de l’évaluation, et M. Tristan Diefenbacher, chef du bureau de la compétitivité et du développement des entreprises

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 30 janvier 2014

La séance est ouverte à dix heures trente-cinq.

(Présidence de M. Jérôme Guedj, rapporteur,
puis de M. Jean-Marc Germain, coprésident de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Selma Mahfouz, commissaire générale adjointe à la stratégie et à la prospective, membre du Comité de suivi du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), Mme Claire Bernard et M. Antoine Naboulet, chargés de mission.

M. Jérôme Guedj, rapporteur. Nous recevons aujourd’hui Mme Selma Mahfouz, commissaire générale adjointe à la stratégie et à la prospective, membre du Comité de suivi du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), accompagnée de Mme Claire Bernard et de M. Antoine Naboulet, chargés de mission.

Dans le cadre de son travail sur le financement de la branche famille, la MECSS s’est vu remettre au mois de mai 2013 un rapport de la Cour des comptes sur ce sujet. L’actualité nous invite à poursuivre notre réflexion, le Président de la République ayant annoncé que les cotisations familiales patronales seraient supprimées et que toutes les options étaient sur la table concernant le CICE.

Le Comité de suivi du CICE a remis son premier rapport en octobre 2013. Nous aimerions vous entendre, madame Mahfouz, sur plusieurs questions : les entreprises et les secteurs bénéficiaires du CICE, le coût du dispositif, ses effets sur le comportement des entreprises et, enfin, les pistes d’évolution.

Je précise que le Haut Conseil du financement de la protection sociale doit rendre fin février un premier rapport sur la diversification des ressources de la protection sociale, sur la base de l’analyse d’une quinzaine de scénarios présentant des projections jusqu’en 2060.

Mme Selma Mahfoud, commissaire générale adjointe à la stratégie et à la prospective, membre du Comité de suivi du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Je m’exprimerai aujourd’hui en tant que membre du Comité de suivi du crédit d’impôt compétitivité, et non comme commissaire générale adjointe à la stratégie et à la prospective.

Instauré par l’article 66 de la loi de finances rectificative pour 2012, le CICE est la première des trente-cinq mesures du Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, annoncées par le Premier ministre le 6 novembre 2012, à la suite du « rapport Gallois ».

Entré en vigueur le 1er janvier 2013, le CICE a pour objet « l’amélioration de la compétitivité des entreprises, à travers notamment des efforts en matière d’investissement, de recherche, d’innovation, de formation, de recrutement, de prospection de nouveaux marchés, de transition écologique et énergétique et de reconstitution de leur fonds de roulement ».

Le CICE est calculé à partir de l’ensemble de la masse salariale des salariés dont les rémunérations brutes n’excèdent pas 2,5 fois le montant annuel du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC). Ces rémunérations sont celles qui servent au calcul des cotisations de sécurité sociale.

Le CICE est un crédit d’impôt. Il s’élève à 4 % de la masse des salaires inférieurs à 2,5 SMIC pour ce qui concerne les rémunérations versées en 2013. À partir de 2014, cette proportion sera de 6 %.

Peuvent bénéficier du CICE : les entreprises employant des salariés et soumises à l’impôt sur les sociétés (IS) ou à l’impôt sur le revenu (IR) d’après leur bénéfice réel ; les entreprises dont le bénéfice est exonéré transitoirement, en vertu de certains dispositifs d’aménagement du territoire ou d’encouragement à la création et à l’innovation ; les organismes partiellement soumis à l’IS, comme les coopératives ou les organismes HLM, uniquement au titre de leurs salariés affectés à une activité soumise à l’IS.

Le mécanisme de base du CICE veut que les entreprises imputent le crédit d’impôt dont elles bénéficient au titre des salaires versés une année donnée sur le solde d’impôt qu’elles déclarent l’année suivante. Cependant, un système de préfinancement, sur lequel je reviendrai, a été mis en place.

Conformément à la loi, un comité de suivi a été mis en place le 25 juillet 2013 avec pour mission de suivre la mise en œuvre et d’évaluer les effets de ce dispositif. Il réunit notamment les huit partenaires sociaux représentatifs au niveau national interprofessionnel, les représentants des administrations compétentes, des experts et l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS).

La mission du Comité est double. Il s’agit d’abord de constituer un lieu de concertation et de suivi du CICE et de ses effets immédiats. Il s’agit ensuite de définir, dans la concertation, les modalités d’une évaluation du CICE transparente et indépendante.

La première étape du travail réalisé par les membres du Comité a consisté à répertorier les questions qu’ils souhaitent voir traitées dans le cadre du suivi et de l’évaluation du CICE. Ces questions relèvent de trois registres : quelles sont les entreprises bénéficiaires du CICE ? Quels sont les effets du CICE sur les comportements d’entreprise, en termes d’emploi, de prix, de salaires, d’investissement ? Quel est l’impact du CICE au niveau macroéconomique ?

De premiers résultats partiels pourront être produits en 2014 et 2015, s’agissant de l’exercice d’évaluation microéconomique. Pour ce qui concerne l’analyse macroéconomique, les résultats définitifs des évaluations ne pourront être livrés avant 2016.

M. le rapporteur. L’article 66 de la loi du 29 décembre 2012 a prévu qu’un comité de suivi régional est chargé de veiller au suivi de la mise en œuvre et à l’évaluation du CICE dans chacune des régions. Ces instances ont-elles été mises en place ?

Lors de la création du CICE, la représentation nationale n’a pas retenu les contreparties, mais a voté par voie d’amendement des dispositions interdisant l’utilisation du CICE pour augmenter les bénéfices distribués et les rémunérations des dirigeants. La loi du 14 juin 2013 sur la sécurisation de l’emploi prévoit que le comité d’entreprise est consulté chaque année sur l’utilisation par l’entreprise du CICE. Avez-vous prévu de regarder si ces instances de représentation du personnel se sont d’ores et déjà emparé de cette disposition ?

Je précise qu’une mission composée de parlementaires en mission auprès du Premier ministre a rédigé un rapport en décembre 2013 sur les éventuelles distorsions de concurrence que le différentiel de fiscalité peut entraîner, notamment avec le CICE.

Mme Selma Mahfouz. La loi a effectivement prévu la mise en place de comités de suivi régionaux, afin de permettre les remontées d’information sur la vérification par les représentants du personnel – comités d’entreprise et délégués du personnel – de l’utilisation du CICE. Au mois d’octobre 2013, date de la remise de notre rapport, nous n’avions pas de remontées d’informations. Il faut en effet prendre en compte le temps nécessaire à la montée en charge du dispositif.

M. Antoine Naboulet, chargé de mission. À ce stade, nous n’avons pas d’informations concernant la mise en place de ces structures, qui devraient faire l’objet d’un décret.

Mme Selma Mahfouz. Outre des études sur les données individuelles, le Comité de suivi a prévu de procéder à des études qualitatives, sous forme de monographies d’entreprises, permettant d’obtenir des informations sur l’implication des institutions représentatives du personnel et sur l’appropriation du dispositif par les entreprises. Il est en effet intéressant de comparer l’impact d’un dispositif sur le processus décisionnel des entreprises, autrement dit de savoir si le CICE et la réduction de cotisations sociales ont les mêmes effets en termes de recrutements ou de décisions financières. À ce stade, nous procédons au recensement des questions.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Le législateur a souhaité un fléchage du CICE vers la recherche, l’innovation, la formation, ainsi que l’interdiction de son utilisation pour financer une hausse des bénéfices distribués et des rémunérations des personnes exerçant des fonctions de direction dans les entreprises. Avez-vous mis en place un système de remontée d’informations statistiques ?

Le ministère des finances et le ministère du travail ont-ils défini une doctrine au regard d’une éventuelle saisine par les délégués du personnel sur une utilisation non conforme du CICE ? En clair, au cas où des représentants du personnel estimeraient que le CICE a été utilisé pour financer une augmentation des dividendes, quelle serait la réponse des administrations concernées ?

Mme Selma Mahfouz. La mise en place des dispositifs de contrôle relève des administrations concernées.

L’utilisation du CICE constitue en effet un nouveau thème d’info-consultation des instances représentatives du personnel, qui disposent le cas échéant d’un droit d’alerte si l’information fournie est jugée insuffisante. Cette obligation s’impose aux entreprises à compter du 1er juillet 2014. En outre, cette information figurera également dans la base de données unique (BDDU) prévue par la loi du 14 juin 2013.

M. Antoine Naboulet. La mise en place des dispositions sur l’information et le droit d’alerte des représentants du personnel est très récente. La base de données unique n’en est qu’au stade de la conception dans les entreprises puisque le décret dont elle fait l’objet est paru le 31 décembre 2013.

La façon dont les élus vont se mobiliser autour du suivi est encore floue, dans la mesure où les entreprises n’ont encore rien perçu. Et la question même de l’évaluation au sein des entreprises n’est pas encore stabilisée.

Nous n’avons pas eu d’échanges avec les administrations, notamment la direction générale du Trésor, sur l’éventualité de sanctions, voire d’une récupération de la trésorerie dégagée, en cas d’utilisation abusive du CICE. J’ignore si elles ont commencé à élaborer des doctrines en la matière.

Mme Selma Mahfouz. Le respect de la loi ne relève pas du Comité de suivi. Sur ce point, je vous renvoie à la direction générale du travail.

Les travaux qualitatifs, sous forme de monographies d’entreprises ou d’entretiens ouverts, permettront d’explorer le volet « info-consultation » du CICE. En outre, des questions pourraient être ajoutées sur l’utilisation du CICE et l’information des représentants du personnel dans l’enquête REPONSE (Relations professionnelles et négociations d’entreprise) menée par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail. Pour l’heure, il nous faut construire tous ces outils d’observation et d’évaluation.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Nous ne pouvons que vous inviter à être offensifs sur ce plan, dans la mesure où l’objectif du CICE est de doper la compétitivité du pays à travers notamment des efforts en matière d’investissement, de recherche, d’innovation, de formation et de développement à l’international. Pour évaluer l’efficacité du dispositif en termes économiques et d’emplois, les remontées d’informations sont fondamentales.

Mme Selma Mahfouz. Cela suppose une certaine stabilité du dispositif. À partir du moment où il se met en place, des analyses complètes ne seront pas disponibles avant quelques années puisque, pour l’instant, nous sommes dans les appels à idées en lien avec l’administration et des équipes de chercheurs.

M. le rapporteur. Sans compter un questionnement sur le devenir de votre comité de suivi si le CICE est dans la « besace » de la remise à plat de la fiscalité.

Mme Selma Mahfouz. Une certaine visibilité est en effet nécessaire.

M. le rapporteur. Des interrogations se sont exprimées sur le fait que les 20 milliards d’euros du CICE bénéficieraient à des secteurs non soumis à la concurrence internationale, comme la grande distribution ou le bâtiment et les travaux publics. Dans le droit fil du rapport de décembre 2013 de la mission parlementaire sur « l’impact de la mise en œuvre du CICE sur la fiscalité du secteur privé non lucratif », je vous invite à regarder si l’effet d’aubaine n’est pas le plus important pour les professions libérales, comme les notaires ou les architectes, qui sont des professions réglementées et non exposées à la concurrence internationale.

Mme Selma Mahfouz. Avec un seuil à 2,5 SMIC, le CICE couvre 65,7 % de la masse salariale des entreprises.

M. le rapporteur. Mais avec des disparités très fortes par secteur et par territoire. En Île-de-France, à peine 45 % de la masse salariale est concernée, contre 65 % en moyenne au niveau national.

Mme Selma Mahfouz. Les micro-entreprises sont celles qui, en proportion de leur masse salariale, bénéficient le plus du CICE, puisque 82,5 % de leur masse salariale déclarée entre dans le champ du CICE, contre 56 % pour les grandes entreprises. Le ciblage du dispositif est donc large.

Les différences sectorielles sont en effet importantes. Néanmoins, la distinction entre secteur exposé à la concurrence internationale et secteur abrité ne reflète pas toute la réalité de la compétitivité qui repose sur le secteur exposé. En effet, le coût du travail dans le secteur abrité pèse indirectement sur le secteur exposé à la concurrence à travers plusieurs intrants, l’énergie, les services immobiliers, les services aux entreprises. Ainsi, le coût du travail élevé d’une entreprise de service se répercute sur les marges et sur la compétitivité d’une entreprise industrielle.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Cet argument est limité si l’on considère que, dans un marché libre, les entreprises françaises peuvent faire appel à des entreprises allemandes, par exemple, dont les « intrants » sont moins chers.

Mme Selma Mahfouz. Peu de services aux entreprises sont délocalisables. Une entreprise industrielle ne fera pas appel à une entreprise de nettoyage allemande. Une distinction trop tranchée entre secteur exposé à la concurrence internationale et secteur abrité passerait sous silence une partie de la compétitivité du secteur exposé.

S’agissant des secteurs, la part de la masse salariale entrant dans le champ du dispositif est de 63 % pour l’industrie manufacturière. Dans la mesure où celle-ci représente une part importante de la masse salariale totale en France (19 %), elle devrait bénéficier de 18 % du montant total de l’effort budgétaire que constitue le CICE, soit 13 milliards en 2013 et 20 milliards en 2014.

Pour le secteur de l’hébergement et de la restauration, 90 % de la masse salariale entrent dans l’assiette. Mais comme il ne représente que 4 % de la masse salariale totale, il devrait bénéficier de 5 % de l’effort budgétaire total du CICE.

Il existe également des différences régionales. En Île-de-France, 45 % de la masse salariale entrent dans le champ du CICE. Pour toutes les autres régions, ce taux est d’environ 70 %, avec un pic à 81 % pour le Limousin. Cela s’explique par le fait que les salaires sont plus élevés en moyenne en Île-de-France.

Tous ces résultats sont des estimations réalisées par l’INSEE sur la base des données tirées des déclarations annuelles des données sociales (DADS) pour 2011.

Par ailleurs, 46 % de la masse salariale des entreprises exportant plus de 35 % de leur chiffre d’affaires sont éligibles au CICE, contre 80 % pour les entreprises non exportatrices.

Enfin, 38 % du montant total du CICE bénéficieront aux entreprises non exportatrices, 35 % à celles dont les exportations représentent moins de 5 % de leur chiffre d’affaires et 27 % à celles exportant plus de 5 % de leur chiffre d’affaires.

M. le rapporteur. La première imputation du CICE interviendra en avril ou mai 2014 ?

Mme Selma Mahfouz. Oui, à la fin de l’année fiscale pour les entreprises.

M. le rapporteur. Cela signifie que les données sur la distribution du CICE seront consolidées à partir de cette date.

Mme Claire Bernard, chargée de mission. Nous tablons sur des données consolidées à partir de l’été 2014.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Connaissez-vous le montant global des avances au titre du préfinancement ?

M. le rapporteur. Ce montant a-t-il évolué depuis la publication de votre rapport ?

Mme Selma Mahfouz. Le préfinancement est proposé par Bpifrance et les banques commerciales.

Pour l’heure, nous ne disposons que des données concernant Bpifrance. Au 20 septembre 2013, celle-ci a reçu 10 000 demandes de préfinancement, pour un montant total de 920 millions d’euros. Sur ce total, 680 millions d’euros de préfinancement ont été accordés. Pour l’année 2013, nous pouvons donc tabler sur 1 milliard d’euros accordés. Après une période de mise en place, le dispositif est monté en charge avant l’été, notamment à destination des petites entreprises, grâce à des actions de communication. Près de 60 % de l’ensemble des dossiers reçus par Bpifrance concernent des demandes inférieures à 25 000 euros. Celles-ci représentent 7 % des 920 millions d’euros de préfinancement sollicités.

M. le rapporteur. C’est la possibilité du préfinancement en 2013 qui a plaidé pour la création d’un crédit d’impôt.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. L’estimation de 1 milliard d’euros inclut-elle les banques commerciales ?

M. Antoine Naboulet. L’objectif de préfinancement était de 2 milliards pour 2013 : 1 milliard pour Bpifrance, 1 milliard pour les banques commerciales. Il semblerait que la contribution des banques commerciales au préfinancement ait été modeste, pour des raisons qui restent à éclaircir.

Mme Selma Mahfouz. La montée en charge a été tardive et nous n’avons pas de retour d’informations en ce qui concerne la fin de l’année – nos informations sont donc partielles. Au 30 juillet 2013, des certificats de créance ont été délivrés pour 119 dossiers aux banques commerciales, pour un montant de préfinancement d’environ 45 millions d’euros. À ce stade, nous ne connaissons pas les raisons pour lesquelles la contribution des banques commerciales a été très limitée.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. La possibilité d’un financement tout court, c’est-à-dire la perspective d’un crédit d’impôt en mai 2014, a dû permettre aux entreprises d’aller voir leur banque en 2013 en vue d’un financement de leurs projets. Avez-vous des informations à ce sujet ? Cet élément apparaît-il dans leur bilan en 2013 ? A-t-il facilité leur capacité de financement propre ?

Mme Selma Mahfouz. Cela apparaît certainement dans leur bilan, puisqu’il s’agit d’une créance certaine. Mais, à ce stade, nous n’avons pas de remontées permettant de savoir si ce mécanisme a facilité l’accès au crédit des entreprises en 2013.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Le système bancaire étant assez concentré, il est sans doute possible d’avoir une vision de la politique des banques au travers des instructions qu’elles ont données à leurs services commerciaux. Pour l’année 2013, on considère que les entreprises ont été davantage contraintes par leur carnet de commandes que par l’accès au crédit.

Mme Selma Mahfouz. Il peut être, en effet, intéressant de voir si les organismes financiers ont donné des instructions. À l’heure où je vous parle, nous n’avons pas de retours.

M. Antoine Naboulet. Nous avions cherché à entrer en contact avec la Fédération bancaire française pour connaître sa vision, mais n’avons pas eu de retour jusqu’à fin 2013. C’est effectivement un sujet que le Comité de suivi peut inscrire à l’ordre du jour de ses prochaines séances.

M. le rapporteur. Dans son rapport sur le financement de la branche famille de mai 2013, la Cour des comptes souligne une « articulation problématique » entre le CICE et les exonérations de cotisations sociales existantes, essentiellement les « allégements Fillon » jusqu’à 1,6 fois le SMIC, et précise que « la question d’une reconsidération d’ensemble des deux dispositifs ne pourra sans doute que se poser ». Le Président de la République a évoqué plusieurs scénarios, dont une transformation pure et simple du CICE ou encore un maintien de celui-ci. À votre connaissance, certains secteurs ou certains territoires verraient-ils un intérêt au maintien du CICE ?

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Selon le rapport de la Cour des comptes, il existe un consensus pour reconnaître aux allégements de charges ou aux dispositifs analogues des vertus lorsqu’ils sont ciblés sur les bas salaires. Or les hypothèses évoquées induisent des effets contre-intuitifs liés notamment à une réduction ou une disparition des allégements ciblés sur les bas salaires, si bien que la transformation du dispositif reviendrait plutôt à un allégement de charges complémentaire ciblé sur les hauts salaires, donc de moindre efficacité par rapport aux modèles utilisés couramment à Bercy.

Mme Selma Mahfouz. Le Comité de suivi du CICE ne s’est pas interrogé sur ce sujet, qui n’entre pas dans ses missions. Il n’a donc rien à dire à ce stade.

Néanmoins, en changeant de casquette dans le cadre de cette audition, je peux vous dire que le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) réfléchit à ces questions, d’une part, en tant que membre du Haut Conseil du financement de la protection sociale, dont vous avez auditionné des membres, d’autre part, dans le cadre de sa réflexion sur la France dans dix ans, sujet sur lequel il a été chargé de la rédaction d’un rapport. Dans une optique à dix ans, la question de l’évolution des dispositifs de soutien à l’emploi
– allégements de cotisations sociales et CICE – peut être appréhendée d’une façon plus prospective, c’est-à-dire indépendamment des débats immédiats.

Les questions qui se posent sont celles du ciblage en termes de salaire. Comme je l’ai dit, le CICE couvre 65 % de la masse salariale des entreprises ; il n’est donc pas ciblé sur les bas salaires, il va jusqu’à 2,5 fois le SMIC. Pour ce qui est des allégements, qui vont jusqu’à 1,6 fois le SMIC, une grande partie est concentrée sur les salaires inférieurs à 1,3 SMIC. Le point de départ des allégements a reposé sur le constat d’une vraie rigidité à la baisse du coût du travail au niveau du salaire minimum. Ce débat s’est déplacé avec le CICE, pour lequel se posent les questions du ciblage et du champ.

Le Comité de suivi s’est demandé si un crédit d’impôt et une baisse de cotisations sociales avaient les mêmes conséquences en termes de comportements d’embauche des entreprises. C’est un thème que nous aimerions approfondir.

M. le rapporteur. Le CICE est financé par une baisse de la dépense publique, une hausse de la TVA et, à terme, une fiscalité écologique. La suppression envisagée des cotisations familiales patronales le sera par la seule baisse de la dépense publique. De ces différentes modalités, dépendront les effets macroéconomiques. Dans son rapport d’étape sur la clarification et la diversification du financement des régimes de protection sociale, le Haut Conseil du financement de la protection sociale identifie quatre familles de scénarios, assortis de variantes, soit quinze scénarios au total, tout en soulignant la nécessité de tenir compte des modalités de financement de chacun d’entre eux.

Mme Selma Mahfouz. Le Haut Conseil du financement de la protection sociale va s’attacher à éclaircir les effets des différentes modalités de prélèvements. J’attire votre attention sur la difficulté à procéder à ce type de comparaison ; il faut trouver un équilibre entre simplicité analytique et réalisme. Les modalités du nouveau barème résultant d’une fusion éventuelle auront un impact. Ce sera au Haut Conseil de fournir les éléments d’analyse et de compréhension des différents scénarios.

M. le rapporteur. En conclusion, le Comité de suivi est en situation d’attente pour l’instant.

Mme Selma Mahfouz. Le Comité de suivi doit se réunir une fois par trimestre. La prochaine réunion sera l’occasion de dresser un bilan sur ces sujets.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Merci beaucoup de cette audition très utile.

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède ensuite à l’audition, ouverte à la presse, de M. Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) du ministère du redressement productif, de M. François Magnien, sous-directeur de la prospective, des études économiques et de l’évaluation, et de M. Tristan Diefenbacher, chef du bureau de la compétitivité et du développement des entreprises.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Nous vous remercions d’avoir accepté cette audition qui s’inscrit dans le cadre d’une réflexion engagée depuis plusieurs mois par la mission d’évaluation et de contrôle du financement de la sécurité sociale (MECSS) sur le financement de la branche famille, dans un contexte en constante évolution. Il s’agit pour nous tout autant de garantir le financement de la branche famille à l’aide de ressources qui soient conformes à leur usage – et ainsi de favoriser le consentement à l’impôt – que d’identifier le prélèvement le plus favorable à l’économie française et à l’emploi. Nous nous appuyons pour ce faire sur un rapport de la Cour des comptes ainsi que sur les différentes auditions auxquelles nous avons procédé.

Le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) étant étroitement lié à notre thème d’étude – a fortiori depuis que des discussions ont été ouvertes sur son articulation avec les cotisations familiales patronales –, nous avons souhaité examiner de plus près son fonctionnement et en dresser un premier bilan. Il est entendu que nous ne vous demandons pas de formuler des propositions en lieu et place de vos ministres de tutelle mais d’éclairer notre mission d’évaluation qui rendra son rapport dans quelques semaines.

M. Jérôme Guedj, rapporteur. Si nous avons souhaité vous auditionner, c’est que nous souhaitons mesurer l’impact du financement de la branche famille sur la compétitivité des entreprises, sachant que le rapport que nous a remis la Cour des comptes présente plusieurs scénarios de financement alternatifs, ainsi que leur impact sur l’emploi en fonction de l’assiette retenue : TVA, CSG, cotisations sur la valeur ajoutée ou fiscalité environnementale. Nous nous sommes en outre interrogés sur les prérequis du modèle MESANGE (modèle économétrique de simulation et d’analyse générale de l’économie).

Mais notre questionnement va désormais plus loin pour porter également sur les scénarios envisagés depuis les dernières annonces du Président de la République sur la suppression des cotisations familiales pour les entreprises et les travailleurs indépendants d’ici à 2017.

Quel est selon vous l’impact des exonérations de cotisations sociales sur l’emploi et la compétitivité ? Quelle part faites-vous entre l’effet réel et les effets d’aubaine qu’elles sont susceptibles d’induire, en lien avec le CICE ?

M. Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) du ministère du redressement productif. Je commencerai par cadrer mon propos en rappelant, comme vous l’avez fait vous-mêmes, que nous nous trouvons dans un environnement relativement mouvant. De surcroît, des travaux sur le sujet qui nous occupe sont aujourd’hui en cours au sein du Haut Conseil de financement de la protection sociale ainsi que dans le cadre du dialogue sur le Pacte de responsabilité. Nous vous fournirons donc pour notre part des réponses de deux ordres : nous vous présenterons tout d’abord notre vision des déterminants de la compétitivité en général, compte tenu, notamment, des débats sur la compétitivité coût et la compétitivité hors coût. Puis nous aborderons la question des assiettes et plages de cotisation envisageables. Je précise que la DGCIS n’est pas directement compétente sur les sujets liés aux modes de financement alternatifs de la branche famille – tels que la TVA ou la CSG – et au bouclage macroéconomique, même si nous avons apporté notre contribution à la réflexion en cours, notamment en utilisant d’autres modèles que MESANGE. La question centrale pour nous consiste à déterminer sur quelles plages de revenus doivent porter les baisses de coût du travail – l’impact n’étant pas le même sur les différents secteurs d’activité, selon les choix retenus.

Sur le premier point, nous considérons la compétitivité comme un tout : il nous semble en effet simpliste, voire biaisé, de distinguer artificiellement la compétitivité coût de la compétitivité hors coût et de soutenir qu’il ne faut faire porter l’effort que sur l’une ou l’autre, car elles sont extrêmement liées. Nous préférons d’ailleurs parler de compétitivité prix que de compétitivité coût, la première renvoyant à la fois au coût unitaire des facteurs de production et à leur productivité : or, pour obtenir des prix compétitifs, il convient d’agir sur ces deux leviers en même temps. Si le coût du travail constitue une composante importante de la compétitivité coût, je ne reviendrai cependant pas sur le diagnostic établi à ce sujet dans le « rapport Gallois ». Je me contenterai de rappeler qu’à cet égard, la dynamique de ces dix dernières années a plutôt été défavorable à la France, si on la compare à celle de ses concurrents. En tout état de cause, si le coût du travail est un élément déterminant pour la compétitivité des entreprises, le coût des autres facteurs de production, et notamment du capital et de l’énergie, entre également en ligne de compte. La Banque publique d’investissement (BPI) joue d’ailleurs un rôle majeur en la matière, permettant de réduire le coût d’investissement des entreprises qui éprouvent des difficultés à obtenir des crédits bancaires.

La deuxième composante de la compétitivité prix réside dans l’amélioration de la productivité. Or, ici encore, la France accuse un retard relativement inquiétant en matière d’investissement de l’industrie et des services dans les techniques de production les plus efficaces. Différents indicateurs nous permettent de le constater, tels que le niveau d’investissement des entreprises dans la rénovation des matériels ou dans la robotique. Cela s’explique en partie par un manque de capital, mais est également dû à un problème méthodologique. Il conviendrait donc de faire en sorte que les entreprises françaises adoptent les méthodes de production les plus efficaces possible, c’est-à-dire qu’elles procèdent à du lean manufacturing, car il est souvent possible d’accroître sensiblement la compétitivité des entreprises en réduisant la quantité d’intrants et de matières premières nécessaires à la production. Si l’on ne peut séparer ces différentes variables, c’est que le niveau insuffisant des investissements des entreprises industrielles – et, dans une certaine mesure, du secteur des services – s’explique aussi par la faiblesse de leur taux de marge. De fait, les entreprises, parce qu’elles ont « le nez dans le guidon », essaient de produire avec les outils dont elles disposent sans avoir les capacités financières suffisantes pour réinvestir.

Quant à la compétitivité hors prix, elle s’appuie sur l’innovation, domaine dans lequel l’effort public est plus important en France que chez nos partenaires européens et asiatiques, en contraste avec l’effort privé qui est plutôt moins important chez nous. Cet effort public demeure néanmoins trop axé sur l’amont et pas assez sur l’aval si bien qu’en dépit d’une lente amélioration, nous conservons un retard très significatif dans l’intégration amont-aval, notamment vis-à-vis de l’Allemagne ou du Japon. Le crédit d’impôt recherche (CIR) constitue donc un outil de financement public capital pour les entreprises et un facteur crucial de choix d’investissement pour les entreprises étrangères.

Outre la recherche-développement, la compétitivité hors prix dépend également de l’innovation non technologique – c’est-à-dire du design et du marketing : or, une fois encore, nos entreprises sont moins investies en ce domaine que dans d’autres pays, raison pour laquelle le Plan innovation met l’accent sur cet aspect.

En résumé, il nous faut donc progresser sur toutes les composantes de la compétitivité tant elles sont liées entre elles, la capacité des entreprises à investir dans la recherche-développement ou l’innovation non technologique dépendant des marges qu’elles sont en mesure de dégager.

J’en viens à présent au financement de la branche famille et à l’impact des cotisations sociales sur la compétitivité.

Le débat sur le calibrage du CICE, auquel nous avons participé, a notamment porté sur le choix de la plage de salaire sur laquelle le faire porter : il s’agit là d’un débat complexe, ces choix pouvant avoir des effets différents à court, moyen et long termes. À court terme, l’impact sur l’emploi est plus élevé lorsque les baisses de cotisations portent sur les bas salaires. À moyen-long terme en revanche, lorsque l’on intègre d’autres paramètres que l’emploi, tels que l’équilibre de la balance commerciale et la croissance à très long terme, le diagnostic s’avère beaucoup plus mitigé : le fait de faire porter les allégement sur des plages de salaire situées au-delà de 2 ou 2,5 SMIC a un impact important sur la compétitivité externe. L’arbitrage en la matière est donc assez délicat à opérer. Or, si le débat a déjà été tranché en ce qui concerne le CICE, il va être rouvert au sujet des allégements de charges sociales.

La simplicité et la visibilité des dispositifs retenus constituent également des enjeux essentiels, non seulement pour les entrepreneurs français mais aussi pour les investisseurs étrangers, qui raisonnent le plus souvent en termes de taux nominaux et de grands blocs économiques. Or, en dépit des réductions existantes, notre taux d’imposition sur les sociétés nous est défavorable dans les comparaisons internationales et l’on observe le même phénomène en ce qui concerne les cotisations sociales. Le CICE n’affectant pas directement le niveau de celles-ci mais seulement le montant de l’impôt sur les sociétés (IS), il n’a pas été pleinement pris en compte par les investisseurs étrangers ni même par les entrepreneurs français. Il n’est donc pas aussi visible qu’une baisse des cotisations sociales. Voilà qui illustre à quel point la capacité des entreprises à comprendre, à s’approprier et à utiliser un dispositif constitue un facteur-clef de son efficacité.

Il nous paraît difficile de dresser un bilan du CICE dans la mesure où il s’agit d’un dispositif fiscal, c’est-à-dire à effet différé. De fait, les entreprises n’en auront pas forcément perçu les gains financiers immédiats en 2013. Qui plus est, certains entrepreneurs l’ont jugé complexe, croyant qu’il ne les concernait pas ou redoutant qu’on leur en retire le bénéfice au terme de contrôles fiscaux. En d’autres termes, non seulement le CICE est moins visible qu’une baisse de cotisations sociales mais en outre, sa complexité a été surestimée par les entreprises. Quant aux entrepreneurs faiblement assujettis à l’IS, ils ont cru que la mesure ne les concernait pas, ce qui est faux puisqu’il s’agit d’un crédit d’impôt. Il nous paraît donc tout à fait opportun d’envisager l’adoption d’un dispositif plus simple, quitte à bouleverser les circuits de financement de la sécurité sociale. Les masses financières concernées sont d’ailleurs assez comparables puisque le CICE représente une vingtaine de milliards d’euros sur la durée de l’exercice contre une trentaine de milliards pour les cotisations sociales, dont vingt-cinq milliards sur le même champ. Et encore une fois, une baisse de cotisations sociales, même de moindre importance que l’aide apportée par le CICE, aura un effet plus favorable que celui-ci sur celles des entreprises qui ne sont pas aperçues qu’elles pouvaient bénéficier de ce crédit d’impôt. Le nouveau dispositif envisagé suscite d’ailleurs davantage d’intérêt que le CICE en son temps. Il y a, par conséquent, un décalage entre les pronostics que l’on peut réaliser sur les éventuels gagnants et perdants d’une réforme et la réalité du terrain, compte tenu de l’effet psychologique et de l’effet de confiance de ces mesures.

M. François Magnien, sous-directeur de la prospective, des études économiques et de l’évaluation de la DGCIS du ministère du redressement productif. Nous avons évalué les effets que pourrait avoir la suppression des cotisations familiales patronales et du CICE annoncée par le Président de la République. Les masses financières concernées sont effectivement assez comparables sur le champ auquel s’applique le CICE : les cotisations familiales patronales, nettes d’exonération sur les bas salaires, représentent 23 milliards d’euros sur les 500 à 520 milliards d’euros de masse salariale, contre un CICE de 20 milliards. Selon nos calculs, la mesure aurait un effet de transfert vers les secteurs dans lesquels les salaires sont relativement plus élevés, dans la mesure où ils ont assez peu bénéficié du CICE et encore moins d’allégements sur les bas salaires. Les services mixtes destinés à la fois aux entreprises et aux particuliers, tels que les services bancaires et informatiques, de même que l’industrie seraient particulièrement favorisés par le Pacte de responsabilité.

M. Benjamin Gallezot. La substitution de la suppression des cotisations familiales patronales au CICE n’étant cependant que l’un des scénarios parmi d’autres, je ne voudrais pas que vous pensiez que telle est la position définitivement retenue par le Gouvernement.

M. le rapporteur. Qui plus est, le CICE n’est-il pas censé rester en vigueur en 2014, voire en 2015 ?

M. Benjamin Gallezot. Nous saurions d’autant moins nous prononcer pour le moment avec précision sur ce point que le Gouvernement a décidé d’en faire débattre les partenaires sociaux. Il y aura en tout cas des effets de biseau à gérer : le CICE étant un dispositif fiscal, il conviendra, à partir de 2015, d’éviter les effets de double compte d’une année sur l’autre et d’articuler la montée en charge dans le temps du crédit d’impôt avec la baisse de cotisations sociales qui s’appliquera progressivement, elle aussi. En tout état de cause, une fois le dispositif définitivement retenu, il conviendra d’en assurer la visibilité et la lisibilité pour les entreprises.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Comme l’a rappelé Jérôme Guedj, le crédit d’impôt est ouvert au mois le mois depuis le 1er janvier 2014 si bien qu’en mai 2015, sauf à adopter une mesure fiscale rétroactive d’annulation du CICE, il faudra bien verser les quelque 18 à 19 milliards d’euros prévus aux entreprises.

M. Benjamin Gallezot. C’est pourquoi j’ai parlé de dispositif progressif.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Il aurait fallu que la loi de finances prévoie un gel du CICE en 2014 à 12 milliards d’euros, soit à 4 %, afin d’éviter la montée en charge évoquée. Une mesure rétroactive me semble en revanche assez complexe à appliquer car une fois que des entreprise auront annoncé à leur banque qu’elles recevront en mai 2015 une aide liée au CICE au titre de l’exercice 2014 pour pouvoir contracter un emprunt et intégrer les montants en jeu dans leurs bénéfices, le coup sera parti.

M. Benjamin Gallezot. Vous avez raison. C’est pourquoi il nous faudra être capables de gérer l’évolution parallèle de ces deux dispositifs.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Cela représente en effet un taux de 4 % au titre de 2013 et de 6 % au titre de 2014, soit un montant de 19 milliards d’euros en 2015.

M. le rapporteur. J’avais cru comprendre à l’écoute des propos du ministre du travail que le CICE resterait en vigueur en 2015 et que ce ne serait qu’à partir de 2016 que l’on basculerait éventuellement d’un dispositif à l’autre…

M. François Magnien. Ma réflexion portait plutôt sur les masses financières en jeu en rythme de croisière, au-delà de la période transitoire qui vient d’être évoquée.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Quels seront alors les secteurs pénalisés ?

M. François Magnien. Ceux des services aux particuliers, notamment, où les salaires se situent plutôt en bas de l’échelle, de telle sorte qu’ils bénéficient largement des « exonérations Fillon » sur les cotisations familiales ainsi que du CICE.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Malgré le passage de l’aide apportée de 20 à 23 milliards d’euros, ces secteurs verraient donc leurs avantages fiscaux diminuer…

M. François Magnien. En régime de croisière, dans l’hypothèse où le CICE serait supprimé en même temps que les cotisations familiales, il semblerait effectivement que le secteur des services aux particuliers y perde. Je précise toutefois qu’il s’agirait là d’un effet immédiat et spontané, toutes choses égales par ailleurs.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Avez-vous tenu compte du fait que ces aides puissent donner lieu à contrepartie sous forme d’embauche et que, dans ce cas, il n’y aurait d’augmentation ni du taux de marge ni du bénéfice des entreprises ni donc de leur impôt sur les sociétés ?

M. François Magnien. Non car s’il importe d’avoir en tête des grandes masses chiffrées, il reste que nos calculs ne correspondent pas à la réalité économique mais à une simple comparaison. Pour apprécier les effets macroéconomiques de telles mesures, il nous faudrait utiliser un modèle, comme MESANGE par exemple.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Cela n’est pourtant pas négligeable ! Car si la substitution d’une exonération de charges de 23 milliards d’euros à un crédit d’impôt de 20 milliards se traduit purement et simplement par une augmentation du bénéfice des entreprises, compte tenu du fait que le taux d’imposition sur les sociétés s’élève à 30 %, les recettes de l’IS augmenteront de 6 milliards d’euros. Il conviendrait alors de relativiser les hausses dont vous nous avez parlé.

M. Benjamin Gallezot. S’il est vrai que nous n’avons pas intégré cet effet fiscal dans nos calculs, il ne sera cependant pas le même sur toutes les entreprises : certaines amélioreront leurs marges tandis que d’autres baisseront leurs prix. Ainsi celles qui souhaitent récupérer des parts de marché à l’extérieur feront-elles en sorte qu’une partie de cette baisse de cotisations sociales se traduise par une baisse de leurs prix et leurs marges seront alors compressées. Mais encore faut-il que les entreprises aient la capacité de le faire. D’autres paramètres entrant par ailleurs en ligne de compte, je ne suis pas certain que l’on puisse déterminer les effets mécaniques de la mesure sur l’IS.

L’un des facteurs majeurs pour déterminer sur quelles plages de salaire faire reposer la suppression des cotisations familiales est celui de l’exposition des secteurs concernés à la concurrence internationale. Si une exonération sur les bas salaires peut exercer un effet positif sur la création d’emplois, la conjoncture extérieure peut également exercer une certaine influence : une amélioration de la compétitivité n’aura pas le même effet dans des secteurs industriels desservant par essence une demande internationale au taux de croissance élevé que dans des secteurs à plus bas salaires, non exposés à la concurrence internationale et dépendant d’une demande intérieure soumise à la conjoncture française. L’effet étant assez subtil, nous avons pris le parti de proposer plusieurs modèles de simulation au Haut Conseil de financement de la protection sociale afin d’évaluer les différents comportements induits par la mesure selon les différents paramètres pris en compte.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Si je comprends bien, vous estimez que les multinationales sont confrontées à un problème d’offre, leur objectif étant de conquérir des parts de marché puisque la demande est importante, tandis que les petites et moyennes entreprises (PME) font face à un double problème d’offre et de demande…

M. Benjamin Gallezot. La plupart des PME industrielles sont très exposées à la concurrence internationale et très ouvertes sur le marché international. Le cas des grands groupes est différent : leur développement est fortement axé sur l’international mais ils investissent aussi beaucoup dans les capacités de production à l’international. Ce ne sont donc pas forcément eux qui sont les plus sensibles à la baisse du coût du travail, contrairement aux grosses PME et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui sont souvent sous-traitantes de grands groupes français ou étrangers, et qui réalisent souvent 50 à 60 % de leur activité à l’export. Le secteur des services, et notamment des services à la personne, qu’il relève de grands groupes ou de PME, est en revanche beaucoup plus concentré sur la demande intérieure.

M. François Magnien. D’où l’importance d’appuyer nos simulations macroéconomiques sur différents modèles qui prennent en compte les différents secteurs concernés, seul moyen d’apprécier les effets de l’exposition des entreprises à la concurrence internationale.

M. Tristan Diefenbacher, chef du bureau de la compétitivité et du développement des entreprises de la DGCIS du ministère du redressement productif. Nous avons été saisis par plusieurs secteurs fortement bénéficiaires du CICE, tels que les transports et la construction, qui se sont plaints du fait que le CICE et les baisses de charges ne produisaient pas d’effets sur leurs marges dans la mesure où leurs prix de vente étaient contractuellement indexés sur l’évolution de leur masse salariale.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Le CICE n’a pourtant aucun lien avec les salaires, grâce à un amendement dont je suis l’auteur.

M. Tristan Diefenbacher. Toutefois, d’un point de vue statistique, il s’agit d’une baisse de charges.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Il est vrai, en revanche, que les contrats, de délégation de service public par exemple, comprennent généralement des clauses de répercussion en cas d’évolution réglementaire de la fiscalité, qu’elle soit favorable ou défavorable au groupe concerné.

M. Tristan Diefenbacher. Le CICE ayant été pris en compte dans l’indice du coût du travail de ces secteurs, ceux-ci ont été contraints de les répercuter sur leurs prix, ce qui n’est d’ailleurs pas forcément une mauvaise chose dans la mesure où il ne s’agit pas toujours de secteurs qui investissent beaucoup mais où la compétitivité prix est importante. Ces secteurs ne sont cependant pas exposés à la concurrence internationale.

Par ailleurs, une grande entreprise qui a le choix d’investir en France ou à l’étranger tiendra compte de la notion de rentabilité qui dépend des charges à supporter et donc en grande partie du coût du travail. Cela étant, si ce paramètre a un impact sur son arbitrage, il n’en aura pas sur la création d’emploi ou d’activité en France, du moins, pas à court terme. L’entreprise aura plutôt à choisir soit de moderniser son usine française, soit de la laisser tourner telle quelle, soit encore de moderniser ou de créer une usine à l’étranger.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Nous vous remercions d’avoir clarifié les termes du débat sans vous abriter derrière le fait que des arbitrages soient actuellement en cours. Nous allons à présent vous poser quelques questions.

On nous indique que les taux de marge sont de 28 % en France contre 40 % en Allemagne. Or, j’ai cru comprendre que ces chiffres étaient largement exagérés. D’ailleurs, s’ils correspondaient à la réalité, plus aucun investisseur, pas même français, n’investirait le moindre euro dans notre pays. Mais à force de répéter nous-mêmes ces chiffres, nous contribuons à dissuader les investisseurs internationaux d’investir chez nous, du fait de cet effet psychologique sur lequel vous avez vous-mêmes insisté tout à l’heure. Disposeriez-vous par conséquent de chiffres précis sur ce point ?

Je partage d’autre part en grande partie votre vision de la compétitivité, n’ayant jamais guère cru aux effets prix du coût du travail dans les secteurs industriels : sans doute pourrait-on exporter davantage ou mieux servir la demande nationale si l’on parvenait à diviser par deux le coût du travail. Mais l’on parle ici de faire baisser de 4 à 6 % les salaires bruts, soit de 4 % la masse salariale. Or, compte tenu du poids des salaires dans la valeur ajoutée, le gain obtenu ne représenterait qu’1 ou 2 % de baisse à répercuter sur les prix, ce qui n’augmentera pas le niveau des ventes. Il est en revanche évident que nous accusons un retard important en matière de recherche-développement et de design, éléments auxquels j’ajouterais la formation, alors même que l’effet de levier qu’ils permettraient de créer est considérable : une aide de 30 milliards d’euros en ce domaine nous permettrait ainsi de passer du dixième ou du quinzième au troisième rang européen en la matière. Je crois beaucoup à une telle mesure, raison pour laquelle j’ai insisté en tant que parlementaire pour que le CICE soit clairement orienté vers des dépenses de formation, d’investissement et de recherche, même si nous n’avons pas assorti cette préconisation de sanctions.

Vous nous avez dit grand bien du CIR, et d’ailleurs, toutes les entreprises technologiques étrangères que nous rencontrons sur le terrain nous disent elles-mêmes que c’est grâce à lui qu’elles viennent s’installer en France. Ce crédit d’impôt fait en effet de la France l’un des pays les plus compétitifs pour faire de la recherche, dans la mesure où le coût du travail y est à peine plus cher et que l’on y bénéficie d’un microclimat tout à fait favorable à l’innovation technologique. Il fait donc consensus, même si le Parlement s’interroge sur les dérives auxquelles il a pu donner lieu. C’est pourquoi la MECSS a envisagé l’hypothèse d’un rapprochement entre le CICE et le CIR, en fléchant certaines dépenses. On pourrait alors cibler les allégements de charges sur d’éventuelles évolutions des cotisations familiales patronales, qu’il s’agisse de les réduire, de les supprimer ou de les transférer sur d’autres assiettes. Avez-vous comparé l’efficacité du CICE à celle du CIR ?

M. le rapporteur. Vous avez parfaitement raison d’insister sur les facteurs de compétitivité prix et hors prix. Quelle proportion du coût de production le coût du travail
– qui s’élève environ à 700 milliards d’euros, salaires et cotisations confondus – représente-t-il, compte tenu du coût de l’énergie et du capital ?

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Le CICE ayant probablement été pris en compte dans la comptabilité de 2013 des entreprises, il a sans doute dû leur permettre – au-delà de ce que la BPI a pu préfinancer – d’accéder plus facilement au crédit et donc d’améliorer leurs résultats de l’an dernier. Disposez-vous d’éléments microéconomiques et macroéconomiques sur ce point ?

M. Benjamin Gallezot. Nous vous transmettrons un graphique dont les chiffres proviennent de la Banque de France, présentant l’évolution des taux de marge entre 1996 et 2012 pour les PME, les ETI et les grandes entreprises. Le dernier chiffre dont nous disposons date de 2012 et s’élève à 22 % en excédent brut d’exploitation sur la valeur ajoutée. Si je ne dispose pas ici des taux de marge observés dans d’autres pays sur ce même périmètre, nous pourrons bien sûr vous les communiquer. Je ne me prononcerai pas sur l’écart précis que vous nous avez présenté mais toutes les sources confirment en effet l’existence d’un écart et d’une dynamique défavorable à la France.

En ce qui concerne les effets d’amélioration du CICE sur le bilan comptable des entreprises, nous ne disposons pas encore de chiffres pour 2013 mais nous les établirons au fur et à mesure que les informations nous parviendront.

Vous avez raison de souligner que le CICE a exercé un effet positif sur l’accès des entreprises au financement, même si nous n’avons pas encore constaté de changement radical dans la perception qu’ont les entreprises de leur difficulté à y accéder. Ce sujet est d’ailleurs très controversé, les entreprises et les banques se livrant à un dialogue de sourds – les premières accusant les secondes de trop « serrer la vis » c’est-à-dire de trop baisser le crédit, ces dernières répondant que ce n’est pas le cas mais que la demande qui leur est adressée est plus faible. Nous constatons pour notre part l’importance de la dimension qualitative : les ratios ont certes leur importance, mais l’on peut en dire autant du type d’entreprise concerné. Une entreprise industrielle œuvrant dans un secteur de production difficile car exposé à la concurrence internationale, même si elle a des ratios de solvabilité corrects, comparables à ceux d’une entreprise de services, aura plus de mal à obtenir un crédit : le banquier se dira en effet qu’elle dépend d’un ou deux marchés et de grands donneurs d’ordres susceptibles de les remettre en cause tandis qu’une entreprise de services travaille sur un marché plus stable.

Quant à la main-d’œuvre, elle représente environ 30 % des coûts de production des moyennes et grandes entreprises. On a donc tendance à se dire que faire baisser ces 30 % de 5 points ne représente pas grand-chose. Mais, fort heureusement, ces entreprises réalisent encore une partie de leurs achats dans le tissu industriel français. Or, ces achats représentent eux aussi une part importante des coûts de production. C’est pourquoi, si l’on prend en compte la part de la main-d’œuvre sur l’ensemble de la chaîne de la valeur ajoutée, on s’apercevra qu’une baisse de 5 points du coût du travail n’est pas négligeable, sachant que les entreprises se battent sur les marchés à quelques pourcents près. Il est vrai qu’elles se battent aussi sur le type de produits qu’elles offrent. Mais une baisse d’1 ou 2 % du coût du travail n’est pas négligeable pour une PME qui, offrant une production standard – même de bonne qualité –, aura à se battre avec un concurrent espagnol ou allemand.

Il convient également de prendre en compte la dynamique de long terme qu’une telle baisse peut entraîner : perdant quelques pourcents année après année, nous avons peu à peu creusé un écart important. Au cours des dix dernières années, l’évolution des salaires, y compris dans l’industrie, a été plus dynamique en France que chez certains de nos concurrents qui, à l’inverse pour certains, comme les Allemands, ont accompli un réel effort sur leurs charges sociales.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Cela était vrai jusqu’en 2011. Mais, en 2012, les choses se sont sensiblement inversées en Allemagne.

M. Benjamin Gallezot. Certes, mais il s’agit pour nous d’appréhender des processus de long terme, surtout dans le secteur industriel. Et s’il est vrai que le mouvement s’est inversé en Allemagne, il importe que nous renversions nous aussi la tendance.

Nous n’avons pas particulièrement songé à rapprocher le CICE du CIR car nous sommes très attachés à la stabilité du CIR, dont les investisseurs tiennent vraiment compte dans leurs arbitrages. Sans doute peut-on l’améliorer mais je ne pense pas qu’il soit opportun de le bouleverser. Encore nous faudrait-il d’abord nous assurer que la nouvelle configuration retenue sera vraiment effective avant de transformer un dispositif aussi connu et aussi efficace.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Vous nous dites qu’il y a moins de robots en France qu’en Allemagne. Si l’on réallouait 5 milliards d’euros du CICE au CIR pour financer la robotisation des usines françaises, ne démultiplierait-on pas considérablement l’efficacité de la dépense fiscale ?

M. Benjamin Gallezot. C’est d’une certaine manière ce qui a été fait puisque le CIR a vu son champ étendu à des dépenses d’innovation et que la loi de finances pour 2014 prévoit des dispositions spécifiques en faveur de la robotisation. Nous plaidons par ailleurs en faveur d’un élargissement du CIR à la recherche-développement aval. Quant aux arbitrages budgétaires à opérer entre CICE et CIR pour y parvenir, ils nous dépassent. Et si le CICE est conduit à évoluer dans le cadre du Pacte de responsabilité, il ne sera plus possible de l’appareiller avec le CIR.

M. le rapporteur. J’ai aussi compris la remarque de Jean-Marc Germain comme une invitation à appliquer au CICE les conditions d’obtention du CIR, soit la justification de dépenses de recherche.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Je songeais effectivement à cela mais aussi à simplifier les choses, puisqu’à l’exception d’une évolution du CIR, toutes les hypothèses sont sur la table, qu’il s’agisse de maintenir le CICE et de le compléter par un nouvel allégement de charges, de remplacer l’ensemble par un allégement de charges ou encore d’étendre le CICE. Ne nous interdisons pas d’envisager un scénario alternatif consistant à doubler le CIR pour soutenir l’innovation dans les domaines du design et de la robotique, où toute aide aura un impact majeur sur l’industrie française, compte tenu des écarts flagrants qui nous séparent de nos partenaires. On pourrait alors simplifier les autres dispositifs existants via des allégements de charges, compte tenu de l’importance de la lisibilité de ces mécanismes sur le plan international. Si je présente moi-même cette hypothèse, c’est parce qu’elle est assez peu souvent évoquée, y compris au Parlement – le débat sur le CIR ayant été pollué par la question de l’optimisation fiscale, alors même que nous sommes tous convaincus de l’utilité de ce dispositif pour notre pays.

M. Benjamin Gallezot. Nous serons bien entendu amenés à adresser des propositions à nos ministres sur ce sujet. Cela étant, il nous faut toujours trouver un bon équilibre entre la simplicité, la sécurité et la prévisibilité des mesures proposées. Or, les systèmes faisant l’objet d’un contrôle a posteriori présentent des inconvénients de ce point de vue. S’ils nous permettent de nous assurer de la bonne affectation de la dépense, ils induisent a contrario une forte insécurité pour les entreprises, qui risque d’annihiler leur effet d’entraînement. La tâche des fonctionnaires chargés d’effectuer ces contrôles n’est d’ailleurs pas toujours aisée. Il conviendrait donc de trouver un équilibre entre le recours au contrôle et la conclusion – au sein des entreprises, au niveau des branches et dans l’ensemble de notre économie – d’un pacte entre les employeurs et les organisations syndicales. Dans un système idéal, la qualité même du dialogue social devrait nous permettre de nous assurer de la pertinence des investissements réalisés sans pour autant entraîner d’insécurité pour les entreprises.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Lorsque nous avons présenté au patronat l’idée de subordonner le bénéfice d’allégements de charges ou la suppression de cotisations patronales à la conclusion d’un accord d’entreprise, de branche ou des deux à la fois, il ne s’est guère montré enthousiaste, alors même que cela permettrait aux employeurs et aux organisations syndicales de déterminer ex ante, par codécision, de la meilleure manière d’utiliser l’aide fiscale, plutôt que de subir un contrôle ex post.

M. Benjamin Gallezot. On se heurte cependant à une difficulté : si la France a une tradition bien rodée de dialogue social sur les salaires et les conditions de travail, il nous reste bien du chemin à parcourir en ce qui concerne la stratégie d’investissement de l’entreprise, contrairement à ce qui se passe en Allemagne, par exemple. C’est pourquoi nous essayons pour notre part de mettre tout le monde d’accord sur ces questions d’investissement industriel au sein du Conseil national de l’industrie, qui réunit les organisations syndicales et professionnelles.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Nous vous remercions de vos éclaircissements très précis et argumentés. Ils nous seront très utiles, compte tenu du contexte évolutif dans lequel nous nous trouvons.

La séance est levée à douze heures quarante.