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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 13 février 2014

Séance de 8 heures 30

Compte rendu n° 07

Présidence de M. Jean-Marc Germain et M. Pierre Morange, coprésidents

– Auditions, ouvertes à la presse, sur « le financement de la branche famille » :

– M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, M. Noël Diricq, conseiller maître, et Mme Loguivy Roche, conseillère référendaire

– M. Louis Gallois, commissaire général à l’investissement, et M. Jean-Régis Catta, chef de cabinet

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 13 février 2014

La séance est ouverte à huit heures trente-cinq.

(Présidence de MM. Jean-Marc Germain et Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, M. Noël Diricq, conseiller maître, et Mme Loguivy Roche, conseillère référendaire.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Madame, messieurs, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’avoir accepté de vous prêter à cette nouvelle audition.

Nous procédons aujourd’hui à d’ultimes entretiens avant de clore nos travaux avec l’audition de la ministre de la famille : nous rendrons notre rapport au mois d’avril. Si nous avons souhaité vous entendre à nouveau, c’est pour évoquer avec vous le contexte, qui, avec le « pacte de responsabilité », donne une dimension nouvelle à notre réflexion.

M. le coprésident Pierre Morange. La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) se trouve en effet aujourd’hui à la pointe de l’actualité – mais il est de tradition que la sixième chambre de la Cour des comptes vienne clore la série de nos auditions.

M. Jérôme Guedj, rapporteur. Il reste que la présente audition se justifie surtout par le télescopage entre les conclusions du rapport que vous nous avez remis en mai 2013, les annonces faites au début de l’année par le Président de la République et les pistes actuellement explorées.

Dans votre rapport, vous indiquiez qu’il était légitime que les entreprises participent au financement de la branche famille, dans la mesure où les prestations servies contribuent, à hauteur de 10 à 15 milliards d’euros, à la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale. Pourtant, d’aucuns estiment que l’universalisation de la branche famille justifierait la fin d’un financement largement assis sur les cotisations patronales – sachant que la part de ces dernières ne cesse de diminuer.

Vous souligniez également que le dispositif du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) s’articulait mal avec la politique d’allégement des cotisations, avec parfois des phénomènes de superposition. On se demande aujourd’hui si le CICE sera fondu dans la baisse générale des cotisations familiales ou si les deux dispositifs subsisteront en parallèle. Que pensez-vous de ces deux scénarios possibles ?

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Avez-vous réfléchi aux éventuelles contreparties d’une baisse des charges et évalué les effets attendus du pacte de responsabilité sur l’emploi ?

M. le coprésident Pierre Morange. Au-delà de la réflexion quelque peu théorique quant à la légitimité de la participation des entreprises à la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, l’objectif du pouvoir exécutif est prioritairement de renforcer la compétitivité des entreprises. Dans ce schéma, quelle pourrait être la place des partenaires sociaux dans la gestion du régime assurantiel ?

M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. La légitimité de la participation des entreprises au financement de certaines prestations familiales découle de l’intérêt que les employeurs peuvent avoir à la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale. Cette question se pose en termes nouveaux du fait de l’évolution de notre société. Au fondement de la politique familiale mise en place – volontairement – par les entreprises, il y avait l’idée que le versement d’un sursalaire permettrait à la femme de rester au foyer : désormais, il s’agit de faire en sorte que la femme et l’homme puissent concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale, grâce, bien sûr, au système de prestations, mais surtout au développement de l’accueil de la petite enfance, politique continue et ambitieuse qui va connaître de nouveaux développements à la suite de la signature avec la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) de la convention d’objectifs et de gestion (COG) pour la période 2013-2017.

Assez paradoxalement, cette question ancienne revient à l’ordre du jour. Évidemment, les entreprises ont une vision différente, selon laquelle une politique publique universelle devrait être financée dans le cadre d’une redistribution générale, sans fiscalité affectée. Cependant, force est de constater que, dans certains cas, comme en matière de transport, il existe bien un lien direct entre un financement d’entreprise et une politique publique particulière. C’est pourquoi il nous est apparu légitime d’essayer de calculer, sur la base d’hypothèses que nous avons décrites clairement, ce que pourrait représenter le montant de cette contribution : entre 10 et 15 milliards d’euros.

Cette question n’est pas sans lien avec celle soulevée par le président Morange. Maintenir une participation des entreprises, même résiduelle, au financement de la politique familiale, est aussi un moyen d’asseoir la légitimité des partenaires sociaux dans la gouvernance de la branche famille – car l’avis du représentant de l’Union professionnelle artisanale (UPA), qui considère qu’un financement par d’autres sources n’empêcherait pas les partenaires sociaux de participer à la gouvernance des caisses, n’est guère partagé par les autres personnes que vous avez auditionnées.

La question de l’articulation entre le CICE et les allégements généraux de charges est majeure. Techniquement, les administrations ont fait en sorte que les deux dispositifs soient aussi bien ajustés que possible ; néanmoins, ils se superposent largement, sont d’une grande complexité et ont des temporalités différentes ; nous avions d’ailleurs exprimé à demi-mot le souhait que le dispositif du CICE soit réévalué le moment venu – et le plus tôt sera le mieux, car une fois que les habitudes sont prises, il n’est pas aisé de changer les dispositifs. Une réarticulation soulèverait déjà le problème de l’année de transition, puisque le CICE fait l’objet d’une montée en charge progressive sur trois ans et qu’un arrêt brutal du dispositif aurait des effets importants. En outre, il faudrait se poser la question du profilage de ce qu’il restera de cotisations sociales : celles-ci étant presque inexistantes pour les salaires voisins du SMIC dans les entreprises de moins de 20 salariés, c’est en montant dans l’échelle des salaires que l’effet des allégements jouera à plein. Quoi qu’il en soit, la complexité des dispositifs actuels est susceptible de fragiliser la protection sociale, et l’appel à la clarté que nous avions lancé l’an dernier reste d’actualité.

Le Haut Conseil du financement de la protection sociale a saisi à bras-le-corps le sujet ; il en est à l’analyse technique des deux dispositifs, sans exclure a priori aucun scénario.

Dans ces conditions, quid des contreparties ? D’abord, il convient de rappeler que les allégements de charges sociales sont soumis à des conditions, alors que le CICE ne fait l’objet que d’un contrôle par les comités de suivi. En cas de remise à plat des deux dispositifs, il serait logique de conserver les éléments de conditionnalité liés aux allégements de charges.

M. le rapporteur. Pourriez-vous les expliciter ?

M. Antoine Durrleman. Citons par exemple l’obligation de négocier les salaires, les conditions auxquelles la signature d’un emploi d’avenir est soumise ou la possibilité de revenir sur les allégements de charges en cas de travail illégal au sein de l’entreprise.

Se pose ensuite la question d’éventuelles contreparties en créations d’emplois ; on peut imaginer toutes sortes de conditions possibles, mais la Cour n’a pas étudié la question. En revanche, il est certain que, d’une manière générale, les dispositifs d’insertion dans l’emploi par l’intermédiaire de l’entreprise, par exemple dans le cadre des contrats aidés, débouchent plus certainement sur un emploi durable que d’autres types de mesures.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Quid du crédit d’impôt recherche (CIR) ?

M. Antoine Durrleman. La Cour a examiné ce dispositif, et elle a considéré qu’il avait eu des effets – qui restent à documenter plus solidement. Toutefois, elle n’a pas établi de lien entre le crédit d’impôt recherche et la création d’emplois de chercheurs – si tel est le sens de votre question.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Dans l’objectif d’accroître la performance des entreprises françaises, on dispose actuellement de deux outils : le CICE et le crédit d’impôt recherche, auxquels s’ajoute une extension des allégements de charges.

Une simplification radicale serait de supprimer le CICE et le remplacer par des allégements de charges supplémentaires ; il faudrait alors bien en évaluer les effets sur les bas et les hauts salaires en fonction de la stratégie économique retenue.

Une autre option serait de transformer une partie du CICE en crédit d’impôt recherche, qui fait l’objet d’une forme de contrepartie, puisque n’y sont éligibles qu’un certain nombre de dépenses très précises.

Plus généralement, un des scénarios envisageables serait, vu le retard de la France en matière d’automatisation et de machines à commandes numériques, d’étendre certains dispositifs en jouant sur les effets de seuil ou sur le niveau des aides – tout en luttant contre les risques d’optimisation fiscale de la part des grands groupes –, de remplacer les autres par des exonérations de cotisations familiales patronales et de conserver un socle de cotisations d’une dizaine de milliards d’euros, qui correspondrait à la contribution des entreprises à la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle.

Ce constat illustre ma question – qui, malheureusement, est rarement soulevée dans le débat public. Sur le terrain, les chefs d’entreprise ne cessent de souligner l’importance du crédit d’impôt recherche ; si l’on choisit la France pour investir dans la recherche et l’innovation, c’est qu’il existe chez nous, avec les universités, les laboratoires pharmaceutiques, les hôpitaux et le crédit d’impôt recherche, un écosystème particulièrement favorable.

Voilà qui devrait alimenter la réflexion sur les scénarios possibles et les formes de conditionnalité ou de contrepartie à envisager. Plutôt que des objectifs de résultats, en nombre d’emplois à créer, on pourrait fixer des objectifs de moyens, découlant de l’analyse de nos déficiences par rapport aux autres économies européennes.

M. Antoine Durrleman. Ce qui est certain, c’est que le sujet a un lien avec la politique de recherche et la stratégie d’investissement. L’objectif du CICE est certes l’emploi – son nom même l’indique –, mais aussi la modernisation et l’investissement. Or, dans notre pays, la stratégie d’investissement n’est traditionnellement pas au cœur du dialogue social.

La question des contreparties soulève aussi celle de la modernisation négociée. Le célèbre rapport d’Antoine Riboud, Modernisation, mode d’emploi, mériterait sans doute une relecture de ce point de vue.

M. le coprésident Pierre Morange. Comme vous le rappeliez, monsieur le président, une réforme efficace est une réforme simple et lisible. Vous avez évoqué la possibilité de réorienter le dispositif des emplois d’avenir au profit de l’ensemble des acteurs économiques, y compris le secteur concurrentiel, plutôt que de le limiter aux seuls secteurs associatif ou public. La Cour a-t-elle examiné ce scénario ? Il pourrait être mis en relation avec les conclusions du rapport que Jeanine Dubié et moi-même venons de remettre, au nom du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC), sur l’adéquation entre l’offre et les besoins en matière de formation professionnelle.

M. Antoine Durrleman. La Cour a étudié, non pas les emplois d’avenir spécifiquement, mais l’ensemble des contrats aidés – et cela à plusieurs reprises, puisqu’il s’agit d’une politique continue, qui a un effet anticyclique extrêmement puissant. Toutes les analyses concordent : lorsque les entreprises accueillent des populations fragiles en mettant en œuvre les dispositifs d’accompagnement nécessaires, souvent avec l’aide des pouvoirs publics, cela débouche davantage sur des emplois durables que dans le cas d’autres formes d’aides à l’insertion. Ce n’est pas nouveau : le crédit initiative emploi et ses avatars avaient obtenu le même résultat. Cela suppose toutefois que des entreprises acceptent d’accueillir ce type de populations et qu’elles déploient des dispositifs d’accompagnement spécifiques.

Le constat est le même pour les formations en alternance, qui favorisent l’insertion durable dans l’emploi. La question des contreparties se pose donc non seulement en termes quantitatifs, mais aussi en termes qualitatifs, via la congruence d’un certain nombre d’outils de politique publique.

M. le rapporteur. Comment financer l’exonération des cotisations patronales ? En commençant nos travaux, nous avions envisagé d’autres assiettes que la seule masse salariale, mais vous avez indiqué dans votre rapport qu’il n’existait pas d’assiette miracle et qu’il valait mieux privilégier un « effort méthodique d’économies ». Vous avez ajouté qu’une mobilisation des ressources budgétaires aurait des conséquences « qui ne sauraient être sous-estimées » – sans toutefois les évaluer avec précision.

La piste aujourd’hui retenue est une contribution budgétaire via la diminution de la dépense publique. Pensez-vous qu’une telle politique sera sans conséquences sur l’emploi – en d’autres termes, qu’elle sera conforme à l’objectif même de l’exonération des cotisations patronales ?

M. Antoine Durrleman. Question difficile ! Tout dépend de ce sur quoi porteront les économies – ce que l’on ignore encore. Toutefois, le modèle MESANGE – modèle économétrique de simulation et d’analyse générale de l’économie – montre assez clairement que la meilleure façon de favoriser la croissance et à l’emploi est un financement par un effort d’économies. L’idéal serait sans doute d’associer cet effort à une forme de taxation environnementale. Ce fut d’ailleurs, pour une grande part, la stratégie de financement du CICE. Cela étant, le modèle MESANGE n’est pas l’alpha et l’oméga de la pensée économique !

M. le coprésident Jean-Marc Germain. La piste environnementale a fait long feu…

Vous n’êtes donc pas d’accord avec les simulations de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui estime qu’un allégement de 20 milliards d’euros permettrait de créer 500 000 emplois au total, et 350 000 emplois nets en cas de financement par des impôts « intelligents », ou 250 000 emplois nets en cas de financement par une réduction de la dépense ?

D’aucuns considèrent que la stratégie de baisse du coût du travail est une forme de dévaluation compétitive de la France par rapport à ses partenaires européens ; mais l’OFCE craint que si ceux-ci réagissent de la même façon, cela ne provoque une guerre des prix, auquel cas l’estimation serait plutôt de 69 000 emplois créés. Qu’en pensez-vous ?

M. Antoine Durrleman. Nous n’avons pas étudié le travail de l’OFCE. Nous avons travaillé en liaison avec la direction générale du Trésor. Je ne me prononcerai donc pas sur ce point.

Ce qui est sûr, c’est que la compétitivité prix n’est qu’un élément parmi d’autres ; sans relais, son effet est en général limité dans le temps. Il faut mettre en œuvre des stratégies plus fortes, comme le crédit d’impôt recherche, si l’on veut retrouver une vraie dynamique de croissance, au-delà de l’effet éphémère sur les prix qu’aurait un allégement du coût du travail. Voilà pourquoi il convient de veiller à la bonne articulation de l’ensemble des politiques publiques, et pas seulement des outils d’allégement du coût du travail. De ce point de vue, il serait intéressant d’inclure le crédit d’impôt recherche dans la réflexion.

M. le coprésident Pierre Morange. Vous avez fait un inventaire à la Prévert des économies potentielles. Pensez-vous que celles-ci seront suffisantes pour financer les allégements de charges et participer à l’effort collectif de réduction de la dépense publique – sachant que la protection sociale représente 46 % de celle-ci – ou faudrait-il privilégier des interventions plus ciblées, comme celles que la MECSS a promues par le passé – par exemple en matière de lutte contre la fraude sociale –, et qui n’ont été que partiellement mises en œuvre dans les précédentes lois de financement de la sécurité sociale ?

M. Antoine Durrleman. Ce que nous constatons, c’est que le pilotage de la dépense sociale est extrêmement fin et que les objectifs fixés par les pouvoirs publics s’inscrivent progressivement dans les faits. Pourtant, les déficits restent importants. Sans doute est-ce lié à la conjoncture économique et à l’insuffisance des recettes, mais notre système de protection sociale dispose de marges d’efficacité importantes, qu’il serait bon d’utiliser. Nous l’avons montré pour plusieurs secteurs, et nous avons été entendus par les pouvoirs publics, par exemple avec la réforme de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) et le recalage de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM). Il existe en matière d’assurance maladie des gisements d’économies importants, qui concernent aussi bien les soins de ville que la médecine hospitalière ; la Cour vous a notamment présenté des hypothèses sur la chirurgie ambulatoire, qui impliqueraient de changer à la fois de modèle organisationnel et de modèle culturel.

M. le coprésident Pierre Morange. Le développement de la chirurgie ambulatoire permettrait en effet d’engendrer quelque 5 milliards d’euros d’économie, mais cela est réfuté par une organisation représentative du monde hospitalier public. Il existe donc de fortes résistances. Il faudrait une accélération de l’impulsion !

M. le rapporteur. Monsieur le président, parlons clair : estimez-vous qu’il existe encore une marge de manœuvre au sein de la branche famille ?

M. Antoine Durrleman. Je ne sais pas.

La politique familiale est un bloc. Or on examine généralement la situation de la branche famille sous le seul angle des prestations, sans nécessairement articuler celles-ci avec la politique fiscale. Certaines préconisations que la Cour a faites en matière de fiscalité ont déjà été prises en compte ; il ne faut pas penser qu’en matière de politique familiale, les marges d’action soient considérables. On ne peut pas imaginer que la suppression du financement de la branche famille des entreprises puisse être compensée par des économies suffisantes.

Le discours traditionnel sur l’équilibrage automatique de la branche famille, qui serait obtenu grâce à des recettes naturellement dynamiques et à des prestations naturellement étales, est démenti par les faits. Il est erroné de croire que les prestations sont indexées sur les prix tandis que les recettes sont indexées sur le PIB et les salaires, car la part des recettes de la branche famille véritablement indexées sur le PIB et les salaires est de moins en moins élevée. Je comprends que, pour les partenaires sociaux, la compensation de la suppression du financement de la branche famille par les entreprises soit une question importante, mais il s’agit d’un faux problème, dans la mesure où la part du financement de la branche famille assise sur la masse salariale est de plus en plus réduite. Voilà ce que nous souhaiterions mettre en avant.

M. le rapporteur. Le Haut Conseil du financement de la protection sociale a été saisi de quatorze scénarios différents. Tout le champ des possibles est embrassé – y compris la progressivité de la contribution sociale généralisée (CSG) ! Peut-on concevoir une réforme du financement de la branche famille, avec une exonération des cotisations patronales, indépendamment d’une réforme globale du financement de la protection sociale ?

M. Antoine Durrleman. C’est l’œuf et la poule !

Je pense que la réforme de la branche famille n’entraîne pas nécessairement une remise en cause de l’architecture globale du financement de la protection sociale, mais qu’elle pourrait être l’occasion d’une telle réforme. C’est un choix stratégique à faire.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Si le scénario retenu est de supprimer les cotisations patronales, je vois mal comment cela pourrait servir d’exemple au financement de l’ensemble de la protection sociale !

Merci, monsieur le président, pour votre contribution à nos travaux.

M. Antoine Durrleman. C’est nous qui remercions la MECSS de nous y avoir associés.

La MECSS procède ensuite à l’audition, ouverte à la presse, de M. Louis Gallois, commissaire général à l’investissement, et M. Jean-Régis Catta, chef de cabinet.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Je vous remercie, monsieur Gallois, d’avoir répondu à notre invitation. J’imagine que vous êtes souvent amené à parler de compétitivité devant des commissions parlementaires.

M. Louis Gallois, commissaire général à l’investissement. Mais c’est la première fois que j’évoque le financement de la branche famille, un sujet dont je ne suis pas spécialiste.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Vous l’êtes sans le savoir, d’une certaine façon.

Les travaux de la MECSS sur le financement de la branche famille s’inscrivent dans un mouvement engagé dès la précédente législature et ont connu de nombreux rebondissements. Lorsque nous avons saisi la Cour des comptes de cette question, le « rapport Gallois » n’avait pas encore été remis, et le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) n’existait pas. Il sera d’ailleurs peut-être supprimé avant que nous n’ayons rendu nos conclusions…

Dans ce contexte un peu mouvant, votre audition prend d’autant plus d’importance, car les questions restent les mêmes. L’initiative lancée par le Président de la République sur le « pacte de responsabilité » se situe d’ailleurs au cœur de nos travaux. Nous avons exploré tous les modes de financement possibles pour la branche famille, qu’il s’agisse de redistribuer l’assiette ou d’économiser sur les dépenses, avec la préoccupation d’améliorer la compétitivité du pays et de créer de l’emploi, tout en maintenant un haut niveau de protection sociale et en préservant la politique familiale. Nous souhaitons donc avoir votre avis sur ce sujet.

Le pacte de responsabilité consisterait en une réduction des charges d’environ 30 milliards d’euros pesant sur les entreprises. Quelle serait la meilleure façon de consacrer cet effort à une amélioration de la compétitivité et de l’emploi ? À l’heure où la France connaît un retard dans les domaines de la robotisation ou des machines à commande numérique, par exemple, on peut se demander si un renforcement du crédit d’impôt recherche ne serait pas une solution à privilégier. S’agissant du CICE, la question est de savoir s’il faut en conserver l’existence tout en étendant les possibilités d’exonération ou bien le faire basculer vers une exonération totale de cotisations patronales. Avons-nous vraiment besoin, en effet, de trois instruments différents, sachant qu’il faut également rechercher les moyens de concentrer leurs effets sur tel ou tel secteur ?

L’autre question qui se pose est celle des contreparties. À l’effort demandé aux Français sous la forme d’une réduction des dépenses doit correspondre une politique judicieusement choisie. Certes, il convient de tenir compte de la diversité des entreprises et de leurs besoins – certaines doivent accroître leurs exportations, d’autres développer la recherche, d’autres encore simplement remplacer une machine –, mais il faut aussi éviter que la « subvention » ne soit détournée vers les hautes rémunérations ou les dividendes, voire captée par des tiers – en particulier les donneurs d’ordre dans le cas d’entreprises sous-traitantes.

Enfin, il convient de réfléchir à la place du dialogue social dans le nouveau dispositif. M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, vient de nous rappeler qu’en contrepartie de certains allégements de charges, les entreprises se voient obligées de négocier sur certains thèmes tels que la formation professionnelle, l’égalité entre les femmes et les hommes ou les contrats de génération. Faute d’une telle négociation, dont le contenu est libre, une pénalité est appliquée, sous la forme d’une réduction de l’allégement proportionnelle à la masse salariale. Un tel dispositif vous paraît-il de nature à répondre à la diversité des besoins des entreprises tout en concentrant l’effet du pacte de responsabilité sur l’appareil productif ?

M. le coprésident Pierre Morange. Le chef de l’État a rappelé à juste titre la nécessité de trouver plusieurs dizaines de milliards d’euros d’économies budgétaires. Par ailleurs, il envisage une réduction des cotisations familiales patronales plus drastique que prévu. Mais on sait que les réformes structurelles ne génèrent des économies qu’après un certain délai. Le seul moyen d’obtenir des résultats rapidement est le coup de rabot, avec toute la rusticité et la dureté qui peuvent caractériser une telle méthode. Quelle solution préconisez-vous ? Faut-il modifier l’assiette et financer la politique familiale par les recettes de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ou de la contribution sociale généralisée (CSG) ?

Rappelons que le CICE doit être financé par des économies dont le contour n’a, pour l’instant, pas été précisé.

M. Jérôme Guedj, rapporteur. Au moment même où nous terminons avec vous ce cycle d’auditions, des propositions sont mises sur la table qui s’inspirent largement du pacte de compétitivité – si ce n’est dans leurs modalités, du moins s’agissant des montants considérés. Vous n’êtes pas, dites-vous, un spécialiste du financement de la branche famille, mais la question du financement de la protection sociale et de son impact sur l’emploi et la compétitivité vous concerne.

Pour notre part, nous avons recherché les assiettes pouvant se substituer aux cotisations patronales familiales dans le cas où celles-ci seraient partiellement ou totalement supprimées : CSG, TVA, cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, fiscalité environnementale, etc. Il n’existe cependant pas de recette miracle.

Dans votre rapport, vous avez proposé une baisse de 30 milliards d’euros des cotisations sociales qui concerneraient pour deux tiers les cotisations patronales et pour un tiers les cotisations salariales – pas dans la branche famille, puisque les cotisations salariales familiales n’existent pas, mais peut-être en matière de retraite.

M. Louis Gallois. Je pensais plutôt à l’assurance maladie.

M. le rapporteur. S’agissant du financement, vous pensiez recourir à la fiscalité pesant sur les ménages : TVA ou CSG. Êtes-vous toujours favorable à ce modèle, partiellement repris par le CICE, ou faut-il privilégier une baisse de la dépense ?

Par ailleurs, l’impact d’une baisse des cotisations sociales sur la création d’emplois et la nécessité de prévoir ou non des contreparties font l’objet d’un débat. Quel est votre sentiment sur ce point ?

M. Louis Gallois. Sur les sujets que vous évoquez, je ne dispose d’aucun mandat et je ne peux donc livrer que le fruit de mes réflexions personnelles.

Comme vous le savez, je n’avais pas proposé le système qui est devenu le CICE, mais un transfert de cotisations sociales sur la fiscalité. J’avais suggéré d’opter pour la CSG, mais uniquement faute de pouvoir exprimer clairement ma préférence en faveur d’une hausse de la TVA, le sujet étant tabou à l’époque.

Par ailleurs, ma proposition différait du CICE sur plusieurs points. Tout d’abord, elle aurait eu un impact sur les finances publiques dès 2013, un exercice budgétaire très difficile à boucler, tandis que le CICE – et cela constitue un de ses avantages – faisait reporter la charge sur l’année 2014. Ensuite, l’allégement que je préconisais devait s’appliquer aux salaires jusqu’à 3,5 fois le SMIC, contre 2,5 fois pour le CICE. En effet, je visais avant tout la compétitivité, tandis que le Gouvernement a davantage recherché un effet sur l’emploi, ce qui est une préoccupation légitime. Enfin, tandis que je suggérais d’appliquer un allégement de charges avant impôt, le Gouvernement a fait le choix du crédit d’impôt.

Il faut souligner que si l’impact net du CICE est bien de 20 milliards d’euros, le gain après impôt, pour les entreprises, d’un basculement des cotisations familiales sur la fiscalité serait, lui, inférieur à 30 milliards. Il serait à cet égard intéressant de demander à la direction générale des finances publiques de le calculer.

À mes yeux, la compétitivité est un élément clé, et l’emploi ne viendra que d’un renforcement de l’offre. C’est pourquoi je suis convaincu de la nécessité de renforcer la compétitivité de notre pays et, dans ce but, de viser un peu plus haut dans l’échelle des salaires que ne l’a fait le CICE. Lorsque j’ai préparé mon rapport, j’ai demandé à l’INSEE de tester l’impact d’une réduction des charges selon le niveau de salaire pris en compte : deux fois le SMIC, deux fois et demie, etc. Le résultat est que la part de l’industrie augmente significativement lorsque l’on passe de 2,5 à 3,5 SMIC – au-delà, le gain est marginal. Or il me paraissait préférable de privilégier l’industrie par rapport à des secteurs employant une main-d’œuvre à faible revenu.

Au moment de la création du système de sécurité sociale, en 1945, l’entreprise était la seule matière réellement imposable, on n’opérait aucune distinction entre l’effort de solidarité nationale et l’effort assurantiel, et l’environnement économique n’était pas du tout marqué par la concurrence internationale. Aujourd’hui, les choses ont changé. Il est normal que les entreprises assument le coût de la protection assurantielle dès lors qu’elle est en lien direct avec leur activité – c’est notamment le cas de l’assurance chômage et d’une partie de l’assurance maladie, à l’exception de la couverture maladie universelle (CMU) –, mais la protection relevant de la solidarité nationale doit, elle, être financée par l’impôt. Or la politique familiale me semble incluse dans cette dernière catégorie. Son financement ne doit donc pas être assuré par les entreprises, sauf à placer celles-ci dans une situation concurrentielle défavorable.

En disant cela, je ne parle pas du « coût du travail » en général – l’expression ne figure d’ailleurs à aucun moment dans mon rapport –, mais des marges des entreprises, qui sont aujourd’hui totalement insuffisantes. On se focalise sur les entreprises du CAC 40, mais celles-ci réalisent la plus grosse part de leurs marges à l’étranger. Dans l’industrie, les niveaux de marge sont parmi les plus faibles d’Europe, et au plus bas depuis 1985, ce qui constitue un obstacle majeur au développement des entreprises. C’est pourquoi j’ai jugé nécessaire de leur donner un ballon d’oxygène en ne faisant pas porter sur elles autrement que par l’impôt le poids des charges de solidarité.

Pour autant, l’impact en termes de création d’emplois d’une réduction du coût du travail me semble impossible à évaluer. On peut certes présumer qu’une entreprise embauchera plus facilement un employé s’il lui coûte moins cher pour un même niveau de salaire net. Mais ceux qui tentent de calculer le nombre de recrutements induits par les allégements de charges se trompent souvent : on l’a vu dans le secteur de la restauration.

L’impact est toutefois probablement plus fort sur les bas salaires que sur les emplois industriels. À cet égard, la suppression des « allégements Fillon » aurait probablement un effet négatif sur l’emploi.

Il ne faut de toute façon pas se faire d’illusions : dans l’industrie, un surcroît d’embauches ne peut venir que d’une augmentation des besoins en main-d’œuvre, laquelle résulterait d’un accroissement de la demande. Et la demande, interne comme externe, n’augmentera que le jour où l’industrie sera capable d’y répondre, ce qui n’est en grande partie pas le cas aujourd’hui.

Dans la mesure où on ne peut mesurer les effets d’un allégement de charges sur l’emploi, il paraît difficile de l’assortir de contreparties, d’autant que le gain pour les entreprises, par rapport aux 20 milliards d’euros nets du CICE, ne serait pas très important, de l’ordre de 5 ou 6 milliards d’euros.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Il est vrai que, sur les 30 milliards d’euros consacrés au pacte de responsabilité, 5 milliards d’euros concerneraient les entrepreneurs indépendants, qui n’emploient aucun salarié. Le gain n’a donc rien de massif.

M. Louis Gallois. Pour autant, je peux comprendre que l’on reporte sur le futur système une demande de contreparties qui, dans le cas du CICE, n’avait pas été satisfaite. C’est d’ailleurs en partie de ma faute, puisque j’avais estimé qu’elles seraient très difficiles à mettre en place. En particulier, il paraît malaisé d’exiger un volume global d’embauches. Sur ce point, l’exemple du secteur de la restauration doit nous inciter à rester prudents.

En revanche, le pacte de responsabilité pourrait être employé comme levier pour obtenir, dans chaque branche, une négociation sur ce que j’appellerais des « contrats de progrès » – car ils seraient conclus au bénéfice de tout le monde – sur l’apprentissage, la formation professionnelle, le recrutement de jeunes, de seniors ou de chômeurs de longue durée, etc. L’État pourrait ainsi définir une liste de thèmes sur lesquels il souhaite voir les partenaires sociaux négocier.

Il me paraît en effet plus réaliste d’inciter ainsi chaque branche à négocier sur des sujets précis plutôt que de fixer des engagements en termes de recrutements. En effet, qu’appelle-t-on une création d’emploi dans une branche ? M. Gattaz a évoqué le chiffre d’un million : c’est à peu près le nombre d’emplois créés chaque année en France. Mais dans le même temps, il s’en détruit à peu près autant – le solde net est de 20 000 à 25 000 emplois. Pour définir une contrepartie, il faudrait donc se donner un point de comparaison, par exemple le nombre d’emplois existant au 1er janvier. Mais le connaît-on vraiment ?

Je suis donc personnellement sceptique quant à la possibilité de poser des exigences en matière d’emplois. En revanche, des engagements précis pourraient être pris sur les thèmes que j’ai déjà évoqués, ce qui, de surcroît, irait dans le sens d’un développement du dialogue social, au niveau des branches comme à celui des entreprises.

Dans mon rapport, j’avais suggéré que chaque dirigeant soit amené à expliquer devant le comité d’entreprise ce qu’il compte faire de l’argent obtenu. Bien sûr, dans cette hypothèse, rien ne permettrait aux sceptiques de distinguer les mesures déjà prévues des projets rendus possibles par les allégements de charges supplémentaires. Mais au moins, un débat serait organisé sur ce sujet. Plus généralement, il ne m’apparaîtrait pas malsain de prévoir dans chaque comité d’entreprise une discussion sur l’application à l’entreprise de l’accord de branche.

En ce qui concerne les économies budgétaires, je n’ai pas, sur ce sujet non plus, de compétences particulières. Mais s’il faut les réaliser avant 2017, je ne vois pas comment on pourrait éviter le coup de rabot. Car M. Morange a raison : une réforme structurelle – la fusion entre département et région, par exemple – a des coûts immédiats, mais ses effets en termes d’économies réalisées sont lointains. Le Gouvernement va donc se retrouver dans une situation extrêmement déplaisante, consistant à promouvoir des réformes structurelles désagréables sans espérer pouvoir tirer profit de leurs effets financiers. C’est en tout cas vrai pour les années 2015 et 2016, car il n’est pas impossible que des réformes structurelles engagées dès aujourd’hui puissent porter leurs fruits dès 2017. Mais les seules mesures à effet rapide relèvent du coup de rabot : déremboursement de médicaments, application de conditions de ressources à certaines prestations sociales, plafonnement des primes des fonctionnaires, etc. Ce qui est certain, c’est que nous ne devons pas attendre : les réformes structurelles doivent être lancées, ne serait-ce que pour mettre le pays sur une trajectoire d’économies.

Comment financer la suppression des cotisations familiales patronales si ce n’est par des économies budgétaires ? Je suis frappé de voir s’exprimer en France une telle résistance à l’idée d’augmenter la TVA. Le taux actuel, 20 %, n’est pourtant pas le plus élevé d’Europe, loin de là – la moyenne s’établit à 21 %, me semble-t-il. Or, en tenant compte des 20 milliards d’euros du CICE, il ne faudrait trouver que 6 ou 7 milliards d’euros pour financer le pacte de responsabilité, soit l’équivalent d’un point de TVA. Mais, je le répète, la résistance est très forte. Curieusement, une augmentation de la CSG paraît plus indolore, alors qu’elle n’est pas beaucoup plus juste. Pour en faire un impôt de « plein exercice » et compte tenu de sa puissance, il faudrait sans doute rendre cette contribution plus progressive, et peut-être réfléchir à la façon dont elle s’applique aux retraités.

Encore une fois, la somme à trouver pour compléter le financement de la suppression des cotisations familiales n’est pas très élevée, surtout si on la compare aux plus de 50 milliards d’euros d’économies que la Cour des comptes appelle à obtenir d’ici à 2017.

Pour ma part, et bien qu’il m’ait fallu du temps pour me convertir à cette idée, je crois également nécessaire de réduire la dépense publique, même s’il faut éviter de le faire de façon trop brutale. D’ailleurs, réaliser 50 ou 60 milliards d’économies revient moins à réduire la dépense qu’à enrayer son augmentation. Il est en effet indispensable de maîtriser l’augmentation de l’endettement, car lorsque la dette d’un pays dépasse 93 ou 94 % de son produit intérieur brut, il devient extrêmement fragile, se met dans la main des marchés financiers et perd toute autonomie dans la gestion de sa politique économique. Il faut donc amener le déficit des finances publiques à un niveau tel qu’il n’entraîne plus un accroissement de la dette, soit environ 2 % du PIB.

J’avais d’ailleurs expliqué à M. Gattaz – et cela ne lui avait pas fait plaisir – que les entreprises ne pouvaient espérer bénéficier de la plus grosse part des économies réalisées. Sur les 50 milliards d’économies, au moins 40 doivent en effet être consacrés en priorité à la réduction du déficit plutôt qu’à la baisse des charges. Le Gouvernement n’aura pas le choix. C’est d’ailleurs le schéma qui semble avoir été retenu.

Je finirai par le crédit d’impôt recherche, un mécanisme auquel je suis personnellement très attaché, et dont toutes les analyses montrent qu’il constitue un succès remarquable. Ainsi, sachant que l’industrie, outre-Rhin, est deux fois plus importante qu’en France, l’intensité de recherche des entreprises françaises est comparativement supérieure à celle des entreprises allemandes. En outre, le CIR a permis à notre pays de traverser la crise sans connaître un effondrement de la recherche privée.

Dans les grandes entreprises – comme celle que j’ai dirigée, EADS –, le crédit d’impôt recherche n’a pas tant permis d’accroître l’effort de recherche qu’à le maintenir en France. En effet, dans la compétition très forte à laquelle se livrent les pays pour attirer les centres de recherche, le CIR représente un des rares atouts dont dispose la France. Sans lui, nous aurions été en grande difficulté par rapport à la Grande-Bretagne, qui n’hésite pas à dérouler le tapis rouge : terrain gratuit, formation professionnelle des personnels, etc. Il est donc important de ne pas déstabiliser ce crédit d’impôt – je crois d’ailleurs savoir que le Président de la République s’est engagé en ce sens.

M. le rapporteur. Vous avez jugé – peut-être un peu rapidement – que le financement de la politique familiale par les entreprises ne se justifiait plus dans la mesure où cette politique relève de la protection sociale universelle et donc de la solidarité nationale. Sur ce point, qui fait débat, la Cour des comptes estime qu’une partie des dépenses concernées – à hauteur de 10 ou 15 milliards –, parce qu’elles permettent de concilier la vie professionnelle et de la vie familiale, doivent être assumées par les entreprises.

M. Louis Gallois. Le débat est légitime : dans toute politique sociale, il y a certainement un élément qui concerne les entreprises. J’ai cité le cas de la CMU, qui me semble relever de la solidarité nationale plutôt que de l’assurance, mais pour d’autres politiques, c’est l’inverse.

M. le rapporteur. Les indemnités journalières, par exemple.

M. Louis Gallois. Quant aux allocations familiales, même si elles me semblent relever en grande partie de la solidarité nationale, on peut admettre, en effet, qu’elles permettent à un certain nombre de personnes d’occuper un emploi malgré leurs obligations familiales. Pour autant, en termes d’égalité entre hommes et femmes, nous sommes encore loin du compte : de nombreuses femmes sont conduites à occuper des emplois précaires pour des raisons familiales.

M. le coprésident Pierre Morange. En tant que grand capitaine d’industrie, vous avez été amené, au cours de votre vie professionnelle, à mener des négociations avec les partenaires sociaux. Selon vous, quel rôle devraient jouer ces derniers dans le cas où la politique familiale ne serait plus financée par une participation patronale ? Auraient-ils la même légitimité à assurer la gestion de la branche famille dans le cadre du paritarisme ?

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Vous avez dit que les contreparties pourraient être trouvées sous la forme d’accords de branche. On peut le comprendre s’ils sont d’application directe et visent, par exemple, à fixer des objectifs quantifiés de formation que l’on pourrait atteindre en mutualisant les moyens grâce à une cotisation. Mais il ne faudrait pas se contenter d’engagements comparables à celui de Nicolas Sarkozy lorsqu’il a voulu porter de 400 000 à 800 000 le nombre d’apprentis. On peut toujours fixer un nombre d’apprentis à recruter dans un secteur donné, mais si on ne précise pas les moyens pour y parvenir, à quoi bon ? Quand les PME n’ont pas de commandes, elles n’embauchent pas – ni salariés, ni apprentis.

C’est pourquoi je crains que les accords de branche ne soient verbeux. La négociation doit porter sur les leviers dont dispose la branche, et donc sur des accords d’application directe.

Vous avez par ailleurs évoqué l’obligation, pour le chef d’entreprise, de justifier la façon dont sera utilisé l’argent. Une disposition de cet ordre a été incluse dans le CICE par amendement parlementaire : le chef d’entreprise doit expliquer ses choix devant son comité d’entreprise, qui dispose de moyens d’expertise pour vérifier ses dires. Il lui est même possible de saisir le comité régional de suivi du crédit d’impôt, où siègent des représentants de l’administration du travail et de l’administration fiscale. Cependant, ce système de recours reste peu contraignant, puisqu’il ne prévoit aucune sanction. Écarteriez-vous d’emblée l’idée d’aller un peu plus loin qu’un dispositif d’information et de consultation, et de faire porter la négociation sur l’usage même des capitaux rendus disponibles – modernisation des machines, recrutement de commerciaux ou de chercheurs, etc. ? Ce qui compte, en effet, ce sont les moyens employés pour stabiliser l’entreprise et lui permettre de gagner des marchés.

Dès lors, trois solutions s’offrent à nous. La première consiste à définir des critères très précis de façon à limiter les usages possibles de l’argent obtenu ; la deuxième, à mettre un inspecteur des impôts ou du travail derrière chaque entreprise, mais cela ne semble ni possible, ni souhaitable ; la troisième, à faire confiance à ceux qui font tourner l’entreprise, dirigeants comme salariés, en considérant qu’ils sont les mieux à même de déterminer le bon usage de cet argent.

On pourrait ainsi faire dépendre le bénéfice des allégements de charges complémentaires de la conclusion d’un accord d’entreprise, en recourant au mécanisme, déjà bien rodé, qui a été mis en place en matière d’égalité entre femmes et hommes : négociation avec les syndicats pour les grandes entreprises, accords de branche pour les plus petites, dont certaines options sont directement applicables.

M. le coprésident Pierre Morange. M. Germain a fait allusion aux promesses faites lors de la législature précédente, mais on pourrait également évoquer la baisse de 20 % des crédits affectés à l’apprentissage. Cela montre bien l’importance, dans ce domaine, d’assurer un engagement pérenne.

M. Louis Gallois. Le paritarisme, monsieur Morange, s’est beaucoup sclérosé au fil du temps. Il s’est transformé en ce qu’il n’aurait jamais dû être : un système de cogestion fondé sur le souci de ne déplaire à personne, si bien que chacun laisse faire l’autre. Il faut donc le refonder.

Par ailleurs, en ce qui concerne les allocations familiales, dès lors que l’État en assume le coût, il devient nécessaire de trouver de nouveaux modes de gestion. Certes, il paraît important que les partenaires sociaux y restent associés, mais avec une marge de manœuvre réduite par rapport aux branches financées par des cotisations patronales et salariales. Il revient à l’État de réorganiser le système.

S’agissant des accords de branche, monsieur Germain, je suis un peu moins pessimiste que vous sur leurs résultats. Tout d’abord, dans les domaines qui relèvent de la branche, comme la formation professionnelle, l’impact d’un accord est direct. Quant à l’apprentissage, il s’agit d’une question plus vaste et qui reste pour l’instant sans réponse. Dans ce domaine, nous ne savons pas où nous allons : 8 % de baisse en 2013, alors que le pacte de compétitivité s’était donné des ambitions relativement modérées en termes de croissance de l’apprentissage. J’avais proposé le recrutement de 800 000 apprentis, mais Mme Parisot, alors patronne du Medef, avait jugé cet objectif irréaliste. À ce niveau, nous serions pourtant encore loin des ratios allemands.

En tout état de cause, il convient de régler ce problème de manière globale, et l’accord de branche pourrait nous y aider. Mais il faudrait aussi éviter de prendre des mesures fiscales dissuasives telles que la suppression de l’indemnité compensatrice, et résoudre les problèmes de logement ou de transport des apprentis. Une mobilisation est également nécessaire pour que les jeunes de seize ans n’aient pas à chercher eux-mêmes une entreprise d’accueil. Il est en tout cas essentiel que ce thème fasse partie des contreparties – ou plutôt des accords de progrès – négociées dans chaque branche.

Par ailleurs, rien n’empêche de fixer dans chaque branche des quotas d’embauche, ou du moins des valeurs indicatives sur lesquelles pourraient s’appuyer les négociations menées au sein des entreprises. Le dialogue social fonctionne à deux niveaux : celui de la branche, qui donne les orientations, et celui des entreprises, qui permet de les concrétiser.

En revanche, je suis sceptique quant aux sanctions, car je ne vois pas comment elles pourraient être appliquées à des millions d’entreprises. Il est facile de sanctionner les entreprises de plus de 5 000 salariés, qui ne sont guère nombreuses. Mais il en va tout autrement pour la multitude de PME et de TPE françaises, sauf à mobiliser une armée de contrôleurs. Je n’ai rien contre l’idée de faire planer l’ombre de sanctions, mais je crains que leur généralisation ne puisse être effectuée qu’au prix d’une énorme bureaucratie.

Cela étant, les entreprises resteront soumises à ce qu’Arnaud Montebourg appelle le « jugement de l’opinion publique », un jugement dont les représentants du secteur de la restauration ont mesuré l’importance depuis que tout le monde a compris à quel point le Gouvernement s’était fait « rouler » en acceptant de réduire le taux de TVA. Si les conditions sont réunies, une pression s’exercera pour que soient respectés les engagements négociés dans les branches.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Pourquoi ne pas négocier à l’échelle de l’entreprise, plutôt que de se contenter d’une information-consultation ?

M. Louis Gallois. La négociation dans les branches doit être déclinée dans les entreprises, ce qui n’empêche pas une négociation au sein de l’entreprise elle-même. Certains sujets s’y prêtent, d’autres non.

Par ailleurs, on ne peut laisser le chef d’entreprise complètement désarmé. Vous avez cité l’embauche d’un chercheur ou d’un responsable des ventes : de telles décisions relèvent de la responsabilité du chef d’entreprise, elles ne se négocient pas avec les syndicats. À chacun son métier. On peut négocier sur l’apprentissage ou la formation professionnelle, demander que les allégements de charges ne servent pas à augmenter les dividendes ou les rémunérations des dirigeants, mais pas entrer à ce point dans le détail.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Il est cependant possible de demander aux entreprises de négocier, dans le cadre donné par la branche, sur les moyens d’améliorer leur compétitivité, avec obligation de parvenir à un accord. C’est ce qui se passe avec les contrats de génération : la négociation ne vise pas à désigner les salariés concernés, mais à rechercher comment faire de la place aux jeunes, garder les seniors – quitte à adapter leur poste – et organiser la transmission des connaissances. L’obtention d’un accord d’entreprise serait la condition posée à l’accès aux 10 milliards d’euros d’effort public supplémentaire. C’est en effet ex ante qu’il faut discuter de leur usage, plutôt que de critiquer ex post les décisions prises par les chefs d’entreprise.

M. Louis Gallois. Ce qui me rend hésitant, c’est l’expression : « accord d’entreprise ». Tout d’abord, et vous l’avez admis vous-même, un tel accord a un sens dans les grandes entreprises, mais beaucoup moins dans les TPE et PME, qui constituent l’essentiel du tissu industriel français. Non seulement il ne fait pas partie de leur tradition, mais elles ont besoin, pour toute négociation, d’aller chercher les partenaires sociaux à l’extérieur. Je serais favorable à une obligation de consultation s’appuyant sur l’accord de branche – car les branches constituent le bon niveau pour de telles discussions, même si leur nombre est beaucoup trop élevé en France –, voire à une déclinaison de ces accords dans les entreprises sous le regard des partenaires sociaux, mais je ne sais pas s’il faut aller jusqu’à réclamer la conclusion d’un accord d’entreprise, sans parler d’en faire la condition pour bénéficier des allégements supplémentaires. La sanction serait de toute façon difficile à appliquer, puisque, dans une telle hypothèse, certaines entreprises devraient payer les cotisations familiales et d’autres non. Mais ce n’est qu’une opinion personnelle.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Merci, monsieur le commissaire général, pour cet entretien très utile qui conclut, avec l’audition de la ministre concernée, nos travaux sur le financement de la branche famille.

La séance est levée à dix heures vingt-cinq.