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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Mardi 27 mai 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Pierre Morange, rapporteur

– Auditions, ouvertes à la presse, sur « le transport de patients » (M. Pierre Morange, rapporteur) :

– Table ronde réunissant des représentants des transports urgents : médecin-colonel Patrick Hertgen, vice-président chargé du secours d’urgence aux personnes et du service de santé et de secours médical de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, Dr François Braun, président du Service d’aide médicale urgente (SAMU)-Urgences de France, et Pr. Jean-Emmanuel de La Coussaye, secrétaire général adjoint, M. Nelson Nazon, président de l’Union nationale des associations départementales des ambulanciers urgentistes de France (UNADAUF–UNATSU), M. Charles Greiner et M. Thomas Stéphan, conseillers techniques, M. Sébastien Breuil, président de l’ATSU 19, M. Thomas Greiner, président de l’ADRU 67, et Me Sophie Gallet, conseillère technique, avocate

– Table ronde réunissant des représentants des fédérations hospitalières : Dr Catherine Réa, conseillère médicale de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (FEHAP), M. René Caillet, responsable du pôle organisation sanitaire et médico-sociale de la Fédération hospitalière de France (FHF), M. Emmanuel Masson, vice-président de la Fédération de l’hospitalisation privée-soins de suite et de réadaptation (FHP-SSR), et M. Thierry Béchu, délégué général de la Fédération de l’hospitalisation privée-médecine, chirurgie, obstétrique (FHP-MCO), accompagnés par M. David Castillo, responsable des études économiques et des systèmes d’information, et M. Anthony Frémondière, directeur du développement et de la vie institutionnelle de la Fédération de l’hospitalisation privée

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Mardi 27 mai 2014

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Pierre Morange, rapporteur)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition, ouverte à la presse, du médecin-colonel Patrick Hertgen, vice-président chargé du secours d’urgence aux personnes et du service de santé et de secours médical de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, du Dr François Braun, président du Service d’aide médicale urgente (SAMU)-Urgences de France, et Pr. Jean-Emmanuel de La Coussaye, secrétaire général adjoint, et de M. Nelson Nazon, président de l’Union nationale des associations départementales des ambulanciers urgentistes de France (UNADAUF–UNATSU), M. Charles Greiner et M. Thomas Stéphan, conseillers techniques, M. Sébastien Breuil, président de l’association des transports sanitaires d’urgence de Corrèze (ATSU 19), M. Thomas Greiner, président de l’association départementale de réponse à l’urgence du Bas-Rhin (ADRU 67), et Me Sophie Gallet, conseillère technique, avocate.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je vous remercie d’être présents aujourd’hui pour aborder le thème des transports de patients. Les sommes en jeu sont considérables puisque 4 milliards d’euros sont consacrés à ces transports. Comment réagissez-vous à l’idée d’un référentiel de prescription pour encadrer le recours aux transports de patients et à l’idée de mieux contrôler le respect de ces prescriptions et les facturations ? Selon la Cour des comptes, il serait possible d’économiser 450 millions d’euros si les transports étaient gérés de manière plus efficiente.

Dr Patrick Hertgen, vice-président chargé du secours d’urgence aux personnes et du service de santé et de secours médical de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France. Les transports sanitaires ne sont pas au cœur de la mission des sapeurs-pompiers dont la vocation première est le secours aux personnes.

Pour situer les enjeux financiers, je voudrais rappeler que les sommes consacrées aux transports de patients sont du même ordre, soit 4 milliards d’euros, que l’ensemble du budget de fonctionnement de la sécurité civile.

Il me paraît, en effet, important de bien faire la distinction entre ce qui relève des transports sanitaires et ce qui relève du secours aux personnes. Certes, pour des raisons de rapidité et de commodité, ce sont les mêmes professionnels qui portent les actes de secours et qui procèdent à l’évacuation des blessés ou malades. Mais la spécificité des sapeurs-pompiers est d’offrir une assistance médicale et sanitaire en plus de l’évacuation vers un centre hospitalier ou un autre lieu de soins.

Les sapeurs-pompiers n’ont aucun intérêt à multiplier les interventions sur le terrain car leur financement n’est pas lié au volume d’activité, ils doivent plutôt essayer de les maîtriser pour faire face à leurs multiples missions. Leurs ressources en hommes et en matériel sont rares et ils doivent les gérer le plus efficacement possible. C’est pourquoi, les sapeurs-pompiers ne tiennent pas du tout à concurrencer les transporteurs sanitaires qui ont un champ d’intervention bien spécifique.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Comment réagissez-vous à la préconisation de la Cour des comptes qui suggère pour les zones reculées, de faible activité, de transférer aux sapeurs-pompiers la garde ambulancière car celle-ci n’est pas rentable pour les transporteurs sanitaires ? Selon la Cour des comptes, cette substitution permettrait d’économiser 100 millions d’euros, sachant que, pour les sapeurs-pompiers, le secours aux personnes représente 55 % de leurs interventions.

Dr Patrick Hertgen. Ce que préconise la Cour des comptes est déjà pratiqué dans les zones de montagne ou rurales à faible densité de population. Les transporteurs sanitaires doivent réaliser au moins trois ou quatre transports par période de garde pour que leur rentabilité soit assurée, c’est pourquoi il arrive fréquemment que les sapeurs-pompiers pallient la carence des transporteurs.

Notre Fédération est opposée à ce que cette substitution confiée à des opérateurs privés devienne un principe inscrit dans les textes. Mieux vaut évaluer la carence au cas par cas et laisser les professionnels s’organiser, à l’initiative des médecins régulateurs du centre 15.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Pouvez-vous nous indiquer quelle est la proportion d’interventions que vous réalisez pour pallier la carence des transporteurs sanitaires, sur un total de 3 millions d’interventions de secours aux personnes ?

Dr Patrick Hertgen. Selon les chiffres publiés par la direction de la sécurité civile du ministère de l’intérieur, ces interventions seraient de l’ordre de 338 000 sur 3 millions d’intervention de secours aux personnes, soit 10 %. Le taux d’intervention suite à une carence des transporteurs est très variable selon les départements et ce ne sont pas les départements ruraux qui connaissent le plus ce type de substitution.

Il est vraisemblable que ce chiffre soit sous-évalué pour des raisons budgétaires car la charge financière de l’intervention est à la charge des centres 15 et donc des budgets hospitaliers. C’est donc celui qui détecte la carence qui en assume la charge. Ce système n’est pas satisfaisant car il crée des tensions entre les agences régionales de santé (ARS) et les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). La notion même de carence devrait être revue car les pompiers effectuent aussi des interventions à domicile qui relèvent plus de l’accompagnement social que du secours à la personne.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Que pouvez-vous nous dire sur l’avancée de l’interconnexion entre les plateformes des centres 15 et celles des sapeurs-pompiers ?

Dr Patrick Hertgen. Actuellement on peut évaluer à quinze le nombre de plateformes communes au sens physique du terme avec locaux communs et personnels des deux origines travaillant de concert. Il existe aussi cinq plateformes communes virtuelles c’est-à-dire parfaitement intégrées avec un seul système d’information.

Les autres sites sont interconnectés au sens où les appels sont immédiatement basculés d’un site à l’autre mais les systèmes d’information ne sont pas en phase. Le recours aux liaisons téléphoniques est donc nécessaire. Il faudrait s’orienter vers des plateformes communes interdépartementales car le niveau départemental n’est pas pertinent pour des zones peu peuplées ou sous dotées en matière sanitaire. Il conviendrait d’étendre cette interconnexion à d’autres services intervenant dans les secours à la personne.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Avez-vous connaissance d’études qui auraient étudié l’efficience de ces plateformes communes et analysé les implications financières de cette nouvelle organisation ?

Dr Patrick Hertgen. À ma connaissance, il n’existe pas d’études officielles mais les avis sont très contrastés chez les professionnels. La création de plateformes communes a précédé l’élaboration d’une doctrine opérationnelle sur laquelle les professionnels se seraient mis d’accord. L’interopérabilité des systèmes d’information est une phase nécessaire mais il faut aussi réfléchir à la méthodologie commune d’intervention.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Pensez-vous que le coordonnateur ambulancier doive être présent au centre 15 ?

Dr Patrick Hertgen. Nous estimons, au vu des expériences existantes, que la présence d’un coordonnateur ambulancier dans les locaux du centre 15 est très positive pour coordonner les interventions.

Dr François Braun, président du Service d’aide médicale urgente (SAMU)-Urgences de France. Contrairement à beaucoup d’idées reçues, les professionnels des SAMU ont une analyse identique à celle des sapeurs-pompiers. Nous reconnaissons la spécificité de la mission de secours des sapeurs-pompiers, tandis que la mission de santé et de soins incombe au SAMU.

Les SAMU sont tout d’abord des prescripteurs, notamment de transports sanitaires, tâche qui revient aux médecins régulateurs des centres 15 comme l’indique le référentiel de 2009. À ce titre, nous estimons aussi que la présence d’un coordonnateur ambulancier est très positive. Elle est effective dans la moitié des départements. Un mouvement de réorganisation est déjà à l’œuvre dans certaines régions comme la Franche-Comté où les centres 15 sont interdépartementaux ou dans d’autres régions où le regroupement est limité aux périodes nocturnes.

On peut parvenir à diminuer les carences. En Indre, on constate quatre carences par mois. Dans mon département, la Moselle, qui avait l’un des taux de carence les plus élevés, un travail régulier, conduit avec les transporteurs sanitaires sous le couvert de l’agence régionale de santé, a permis d’améliorer la situation.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quel est le taux de carences dans votre département ?

Dr François Braun. La statistique annuelle établie pour l’année 2012 par le ministère de la santé indique que la Moselle connaît un taux de carence élevé, de 838 pour 100 000 habitants. Par comparaison, on observe un taux de 77 carences pour 100 000 habitants dans le département de Loire-Atlantique et plus de 1 000 dans le département du Doubs. Ce ne sont pas les départements ruraux qui ont le plus de difficultés. Ce taux dépend des organisations locales qui sont de la responsabilité des ARS. Les carences ne sont pas seulement imputables à la période de garde ambulancière. Elles se produisent aussi en dehors des périodes de garde. Nous devons réfléchir avec les transporteurs sanitaires à la manière de répondre aux besoins de prise en charge en dehors des heures de garde. Pendant la période de garde, une ambulance est affectée à un secteur. Quand les ARS l’ont prévu, cette ambulance intervient dans des conditions fixées dans un cahier des charges. Pour éliminer la majorité des carences, nous devrions pouvoir recourir, de la même façon, aux services des transporteurs sanitaires en dehors des périodes de garde. Nous avons commencé à réfléchir au lancement d’appel d’offres sur les territoires en dehors des horaires de garde.

Les missions des SAMU et des sapeurs-pompiers sont parallèles. Le ministère de l’intérieur reconnaît, selon les chiffres avancés par le docteur Patrick Hertgen, 338 000 carences de leur part en 2013. Le ministère de la santé, selon les chiffres de l’année 2012 de la statistique annuelle des établissements de santé (SAE), concernant 98 des 120 SAMU, reconnaît pour sa part 163 000 carences. La différence entre les deux est manifeste et conduit à mettre en cause l’usage indifférencié du terme de carence ambulancière, sans tenir compte de l’urgence. Les besoins de transports sanitaires urgents peuvent être couverts de plusieurs manières, par les sapeurs-pompiers ou par des associations de secouristes comme la Croix-Rouge. Je souhaite distinguer nettement, dans les transports sanitaires, les secours et les soins. La brigade des sapeurs-pompiers de Paris, toujours innovante, a recours, dans ses interventions, à des secouristes spécialisés, dont nous louons l’efficacité, qui sont à même de constater, sur place, qu’une personne n’a pas besoin d’un transport sanitaire urgent et obtiennent l’accord du médecin régulateur du SAMU, qui reste le prescripteur en la matière, pour qu’une ambulance privée vienne la prendre en charge. Cette répartition des rôles libère les secouristes pour qu’ils se consacrent à leur mission première, celle de porter secours, en évitant d’immobiliser leurs véhicules puis de les affecter à un transport sanitaire sans urgence qui les rend indisponibles dans le même temps pour des interventions plus urgentes.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Vous avez été interrogé, lors d’une audition conduite par la présidente de la commission des affaires sociales, Mme Catherine Lemorton, sur l’idée de mettre en place des plateformes téléphoniques communes avec celles des sapeurs-pompiers afin de mutualiser les moyens de transport sanitaires pour assurer la permanence des soins et l’unité des parcours de soins suivis par les patients ?

Dr François Braun. Les sapeurs-pompiers, qui portent secours, et les SAMU, qui prodiguent des soins de santé dans les mêmes conditions d’urgence, coopèrent de manière exemplaire. Il est rare de trouver deux services publics qui travaillent aussi étroitement en commun. Ces deux services publics ont des missions et des obligations différentes et complémentaires, les uns de secours, les autres de soin, qui leur sont confiées par le législateur. Dédier les plateformes téléphoniques de chacun de ces deux services publics à la mission qui lui incombe est une garantie d’efficience, de sécurité et de qualité. Je rejoins le souhait, exprimé par le docteur Patrick Hertgen, que la plateforme des sapeurs-pompiers soit dédiée au secours et couvre aussi les services de police, de gendarmerie, de sécurité civile et de secours en montagne, tandis que la plateforme des soins regrouperait le SAMU-centre 15, les centres antipoison, les médecins généralistes et la télémédecine. Les missions des deux services ne sont pas fongibles. Les interventions transmises aux centres 15 par les centres de traitement de l’alerte des centres opérationnels départementaux d’incendie et de secours (CTA-Codis) représentent 20 % de l’activité des SAMU. Ce sont certes des interventions qui concernent les malades les plus graves mais les soins que leur état requiert sont bien décrits dans le référentiel du secours à personne et de l’aide médicale urgente de 2009. Ils sont prodigués par les sapeurs-pompiers avant même l’intervention du médecin régulateur. L’interface entre le logiciel de régulation et celui des alertes des sapeurs-pompiers est essentielle. Les SAMU réfléchissent depuis un an et demi à un système de régulation national qui simplifierait la mosaïque des logiciels que les SAMU départementaux utilisent actuellement. La ministre de la santé rendra un arbitrage à ce sujet. Il sera alors facile de l’« interfacer » avec le logiciel des sapeurs-pompiers, comme avec ceux de nos autres partenaires, en suivant les recommandations exprimées par l’Agence des systèmes d’information partagés de santé (ASIP-Santé). Il n’en reste pas moins que nous avons des missions différentes, y compris en matière de gestion de crises. La réaction aux crises qui intéressent tous les services d’urgence est bien préparée par les plans d’organisation des secours (ORSEC) dirigés par les préfets. Chaque service public doit aussi faire face, par ses seuls moyens, à des crises qui lui sont propres et lui impose des contraintes particulières. Les crises purement sanitaires sont soumises, par un texte du département des urgences sanitaires de la direction générale de la santé, à un plan spécifique d’organisation de secours, nommé ORSAN, établi à la suite de la grève des médecins généralistes. Les inondations, les feux de forêts ne concernent que les sapeurs-pompiers et non pas le SAMU. Voilà pourquoi nous sommes favorables à des plateformes uniques par mission, l’une pour les secours, l’autre pour les soins de santé.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. J’aurai été surpris que vous me disiez le contraire. Les missions imparties à chacun de deux services peuvent néanmoins être redéfinies de manière à obtenir une coordination plus efficiente du transport sanitaire, telle qu’elle existe dans une quinzaine de départements.

Dr François Braun. Cette coordination, établie dans quelques départements, est marginale. Sur le terrain, il n’existe pas, au quotidien, tant de problèmes qu’il faille l’étendre. Dans mon département, le SAMU coopère de manière satisfaisante avec les sapeurs-pompiers en dépit de l’absence de liaison entre nos logiciels. Nous n’avons jamais deux ambulances, l’une privée, l’autre des pompiers, qui interviennent en même temps, ou guère plus d’une fois par mois, ce qui est anecdotique. Notre culture hospitalière nous porte à l’efficience et à l’évaluation de nos interventions. Le docteur François Dissait, inventeur d’une plateforme commune aux deux services, installée à l’hôpital de Clermont-Ferrand il y a quinze ans alors qu’il était à la fois responsable du service des urgences et médecin-chef des sapeurs-pompiers, a lui-même évalué son fonctionnement et reconnu qu’elle n’était pas satisfaisante, au point d’accepter qu’elle soit à nouveau scindée il y a deux ans. Son analyse relevait la différence culturelle entre les deux services mais aussi celle de leurs missions et reconnaissait qu’ils n’étaient pas interchangeables. Le docteur François Dissait a eu le courage de reconnaître qu’il avait commis une erreur en réunissant leurs plateformes. Une plateforme téléphonique commune ne serait concevable que si l’appel était pris par un assistant de régulation médicale ou par un stationnaire de sapeurs—pompiers mais ce n’est aujourd’hui pas le cas. Ce le sera peut-être dans dix ou quinze ans. En attendant, nous pouvons y réfléchir.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je donne la parole à M. Nelson Nazon, président de l’Union nationale des associations départementales des ambulanciers urgentistes de France (UNADAUF-UNATSU) pour nous faire part des réflexions que lui inspirent les conclusions de la Cour des comptes.

M. Nelson Nazon, président de l’Union nationale des associations départementales des ambulanciers urgentistes de France (UNADAUF–UNATSU). Je vous remercie de nous avoir convoqués. Nous le souhaitions depuis de nombreuses années. Je vous propose de laisser la parole aux responsables des entreprises de transport, qui ont une compétence éprouvée sur le terrain et qui ont bien voulu m’accompagner pour répondre à vos questions.

Me Sophie Gallet, conseillère technique, avocate de l’UNADAUF. Les ambulanciers qui agissent dans l’urgence sont, à ce titre, délégataires d’une mission de service public et estiment, à la lecture du code de la santé publique, qui fait du SAMU le directeur de l’urgence, qu’il appartient à ce dernier de coordonner leurs interventions dans les secours urgents en recevant et en régulant les appels téléphoniques. C’est au SAMU de décider du moyen de transport sanitaire approprié, soit médical, soit de secours, le transport médical pouvant être assuré par une ambulance de ce service comme par une ambulance privée. Je me réjouis d’entendre que la mission des sapeurs-pompiers n’est pas d’assurer le transport sanitaire des patients mais leur évacuation en urgence. La réalité est cependant toute autre. Les interventions des sapeurs-pompiers obéissent à une notion floue de secours à la personne qui aboutit, dans les trois-quarts des cas, à un transport sanitaire sans urgence, dans des ambulances, immatriculées et identifiées comme telles, qui ne répondent pas à la mission principale d’évacuation qui incombe aux pompiers, mais à celle dévolue au transport sanitaire.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les auditions précédentes témoignent des conflits préoccupants d’attribution, qui opposent les transporteurs, les taxis et les services d’incendie et de secours et qui donnent lieu à des accusations de malversations. Les prescriptions de transport sanitaire représentent une dépense importante qui doit être rationalisée. Les économies dégagées, attendues par nos concitoyens qui payent ces dépenses par leurs cotisations, seront redéployées pour mettre fin aux carences et aux pénuries et au profit d’autres actes sanitaires. C’est l’objet de cette mission d’évaluation.

M. Thomas Stéphan, conseiller technique de l’UNADAUF. Je me réjouis des propos des docteurs Patrick Hertgen et François Braun. Ils distinguent bien les missions de chacun. Le 4° de l’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales attribue aux services d’incendie et de secours, les secours d’urgence aux personnes victimes d’accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation. Le transport sanitaire est défini par l’article L. 6312-1 du code de la santé publique : « Constitue un transport sanitaire, tout transport d’une personne malade, blessée ou parturiente, pour des raisons de soins ou de diagnostic, sur prescription médicale ou en cas d’urgence médicale, effectué à l’aide de moyens de transports terrestres, aériens ou maritimes, spécialement adaptés à cet effet. » L’ambulancier, formé pendant 630 heures, qualifié par un diplôme d’État, est habilité à assurer cette évaluation clinique, à prendre en charge le patient et son entourage et à dispenser des soins d’urgence. Le secouriste n’est formé qu’à des actes réflexes destinés à préserver la vie. Ces deux intervenants ont des fonctions distinctes, exercées pour l’un dans le cadre du secours et pour l’autre dans la chaîne des soins. Le docteur François Braun admet que, dans les zones reculées, les secouristes pouvaient, comme cela s’observe dans d’autres pays, être engagés comme premier répondant à un appel d’urgence, après une formation équivalente à celle d’un sapeur-pompier pour se porter au-devant d’une détresse vitale dans un secteur isolé qu’une ambulance ne pourrait atteindre assez vite. Les préconisations de la Cour des comptes remettent en cause le principe d’une garde ambulancière et proposent d’en transférer la tâche aux services départementaux d’incendie et de secours dans les départements dans lesquels cette garde est peu sollicitée. Le docteur Patrick Hertgen a indiqué que la direction centrale de la sécurité civile et de la gestion des crises reconnaissait 338 000 carences de ces services en 2013, réparties sur les 17 catégories d’interventions relevant du secours à personne. La catégorie des transports, depuis leur domicile, de personnes malades et en situation de détresse vitale représente, à elle seule, 25 % de ces interventions, c’est-à-dire le principal de l’activité de secours à personne des SDIS. Or, 75 % de ces interventions concernent des cas bénins qui ne nécessitent pas de secours d’urgence. En résumé, 20 % des secours à personne assurés par les SDIS sont des transports sanitaires, décidés en situation de départ réflexe et de prompt secours, sans prescription médicale, et non pas des évacuations d’urgence pour une détresse vitale. Ce volume d’activité, perdu par les transporteurs sanitaires, explique la faible rentabilité des gardes qu’ils assurent et la faible efficacité ou la faible performance de ces gardes.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quelle est la part des transports urgents assurés par les transporteurs sanitaires ?

M. Thomas Stéphan. Cela dépend de la définition retenue. Nous considérons qu’un transport urgent est celui d’un patient déposé dans un service d’urgence hospitalière et non pas seulement celui d’un patient en détresse vitale, dont l’état nécessite une évacuation dans un délai défini médicalement par le médecin traitant ou par la régulation du SAMU. Son transfert dans un service d’urgence tient compte de son état de détresse mais aussi de son âge, de ses antécédents et de la situation contextuelle. Des cas cliniques bénins peuvent néanmoins être dirigés vers un service d’urgence. Le SAMU ne nous confie que des transports urgents.

Le docteur François Braun a rappelé que les transports médicaux urgents donnaient lieu à peu de carences en Loire-Atlantique. Cela s’explique par la mise en place d’un cahier des charges par le SAMU qui a imposé ses besoins aux ambulances privées, lesquelles sont devenues sa première force d’intervention. Ces ambulances sont guidées par un service de géolocalisation que le coordonnateur du SAMU supervise pour anticiper les carences prévisibles, sans attendre l’appel de secours, en veillant à maintenir une couverture optimale du territoire. Le système de géolocalisation des ambulanciers permet d’assurer en journée un maillage dynamique. Le président de l’Association départementale des transports sanitaires d’urgence (ADTSU) de Loire-Atlantique m’expliquait qu’à Nantes et Saint-Nazaire, les ambulances des secteurs ruraux transportant des patients pour une consultation en ville se mettent à la disposition du centre de secours d’urgence le temps de cette consultation programmée. Cette tâche de coordination des transports doit être assurée au sein des SAMU. En revanche, nous ne sommes pas directement concernés par la plateforme téléphonique commune aux SAMU et aux sapeurs-pompiers et par leur réunion dans une même pièce. Le SAMU n’assure pas seulement une régulation médicale mais aussi une formation, le suivi épidémiologique et le suivi médical. Une plateforme téléphonique commune sortirait le SAMU de l’hôpital. Je ne sais pas si c’est une bonne chose. Une divergence entre services sur la décision de secourir ou d’évacuer un patient ne peut pas être arbitrée à chaud dans une même pièce.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quels sont les obstacles, actuellement, à la généralisation des coordinateurs ambulanciers ?

M. Thomas Stéphan. Le problème est principalement budgétaire. Nous avons mené une expérience en 2003 dans cinq départements. Des enveloppes de l’ARS prenaient en charge le fonctionnement des interventions, le financement des gardes postées des ambulanciers qui sont en départ réflexe – cette situation les différencie des sapeurs- pompiers, volontaires à 85 % des effectifs, qui disposent d’un délai incompressible de 7 à 8 minutes pour rejoindre leur base – et le financement du coordinateur ambulancier. Or l’indemnité de garde de 346 euros n’a servi qu’à couvrir les dépenses de personnel. Le dispositif n’était donc pas à même d’être pleinement assuré dans ses différentes composantes. Le docteur François Braun estime que 50 % des départements sont couverts par ce dispositif, car beaucoup des ATSU, en liaison avec les SAMU, disposent de logiciels de mise en disponibilité associés à une géolocalisation, mais, à mon sens, ils ne sont pas aussi nombreux.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. La géolocalisation est-elle totalement effective ?

M. Thomas Stéphan. En Bretagne, trois départements sur quatre ont mis en place la géolocalisation. D’autres le seront dans les mois à venir. On assiste à une montée en puissance liée aux logiciels informatiques. Des problèmes d’interconnexion existent entre les SAMU et les ambulanciers. Les assistants de régulation médicale disposent de systèmes numériques portables de type PDA (Personal Digital Assistant) permettant une transmission immédiate à l’ambulance. Pour autant je ne dispose pas actuellement, alors que des développements techniques sont en cours, d’un taux de couverture national de la géolocalisation du parc d’ambulances.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. C’est une information que nous demanderons à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Au nom des SAMU, le docteur François Braun a soulevé un sujet qui peut être source de tensions, la procédure des appels d’offres dans le cadre de prestations groupées, à l’échelon plutôt interdépartemental, recouvrant les périodes de jour et de nuit pour répondre aux besoins de la population. La Cour des comptes suggère qu’afin de rationaliser l’offre de transport de patients, le prescripteur principal, qui est l’établissement de soins, suive simplement le référentiel et qu’il soit davantage impliqué en appliquant le principe de la budgétisation des dépenses de transport au sein de l’hôpital. Les 53 000 structures qui ont en charge le transport de patients sont inquiètes de la concentration que de telles mesures peuvent induire et de ses conséquences pour les petites entreprises confrontées dès lors à des formes de monopoles.

M. Thomas Stéphan. Le service ambulancier privé est aujourd’hui assuré par des petites et moyennes entreprises et des très petites entreprises. Ce qui paraît être un inconvénient me semble être un avantage. Or une concentration des entreprises voudra dire une concentration géographique se traduisant par une désertification des zones rurales pour ces services. En maintenant la structuration actuelle, et en raisonnant au niveau régional, si le décret d’application de l’article 66 de la loi du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012 est publié, il est dès lors indispensable que les SAMU départementaux élaborent, à travers SAMU de France, par exemple, un cahier des charges qualitatif et opérationnel.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les délais importants pour la publication des décrets d’application sont une constante. J’ai ainsi été à l’origine de la disposition législative mettant en place l’interconnexion de tous les fichiers des systèmes de protection sanitaire et sociale, avec ceux du fisc, le 21 décembre 2006. Le décret d’application n’est sorti qu’en 2010. Si la pédagogie est l’art de la répétition, une forme de « harcèlement » politico-administratif s’avère parfois nécessaire pour avoir gain de cause…

M. Thomas Stéphan. L’aide médicale d’urgence est une des missions de l’activité du transport sanitaire qui est très lourde par ses conséquences médico-légales et nécessite des investissements humains ou techniques. Il serait intéressant que soit créé au niveau régional, comme pour les établissements hospitaliers publics ou privés, un groupement de coopération effectif pour le transport sanitaire, correspondant à une cogestion et une co-administration, par le biais de l’ARS – entre l’hôpital public et les entreprises de transports sanitaires volontaires répondant au cahier des charges qualitatif fixé – d’un service d’ambulances, certes privé, mais totalement affecté à la mission de service public qu’est l’aide médicale d’urgence.

La taille des entreprises aujourd’hui traduit non pas une concentration mais plutôt une atomisation du secteur due aux difficultés économiques qui fragilisent l’ensemble du secteur privé. Les entreprises autour de 10 salariés ou au-delà de 30 salariés semblent mieux résister à la crise. Les entreprises de taille intermédiaire ont un chiffre d’affaires insuffisant pour financer le personnel administratif nécessaire. Un groupement de coopération sanitaire sera ainsi mieux à même d’assurer la continuité en cas de défaillance de l’un de ses membres.

Il n’existe pas, en France, de grand groupe de transport sanitaire, contrairement au Danemark par exemple. Les appels d’offres vont permettre de retenir quelques grosses entreprises implantées dans les pôles urbains au détriment des zones rurales, qui ne disposeront plus, pour assurer leurs transports sanitaires, que des sapeurs-pompiers. Or, si les demandes de transport ne correspondent pas à leurs missions définies à l’article L. 1424-42 du code général des collectivités territoriales, les SDIS pourront demander le financement des moyens sollicités. Alors que le tarif de la carence ambulancière est passé de 105 euros à 113 euros, la conférence nationale des SDIS demande une rémunération au coût réel de l’intervention par ses services, ce qui semble légitime. Le coût sera donc très supérieur à la tarification actuelle des ambulances. En effet, le coût moyen d’une intervention en véhicule de secours et d’assistance aux victimes (VSAV) serait de 600 euros, entre un minimum à 280 euros et un maximum autour de 1 200 / 1 300 euros.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ces chiffres ont été cités par l’Association des départements de France et repris dans un rapport d’information de juillet 2009 sur le financement des SDIS de nos collègues Georges Ginesta, Bernard Derosier et Thierry Mariani présenté au nom de la mission d’évaluation et de contrôle, alors présidée par MM. Georges Tron et David Habib. Ce rapport et ses réflexions sur l’armement d’un VSAV avec quatre personnes – au lieu des deux personnes dont est dotée une ambulance – pour accomplir des missions autres que celles confiées par le mandat initial, avaient fait quelque bruit… Mais revenons à la rationalisation des moyens fondée sur une transmission facilitée des informations : la dématérialisation de la facturation ou d’autres expérimentations, même si elles sont parfois décevantes.

M. Thomas Greiner, président de l’association départementale de réponse à l’urgence du Bas-Rhin. Pour revenir rapidement sur les questions précédentes, un historique du fonctionnement des transports urgents dans mon département me semble utile. En 1997, nous avions mis en place une garde « 24 heures sur 24 heures » comme elle est aujourd’hui prévue dans le référentiel de 2009, sans financement mais sur la base de l’auto-organisation des ambulanciers. Notre département n’avait pas de VSAV, sauf à Strasbourg, communauté urbaine de 450 000 habitants, où il est affecté aux seuls besoins des pompiers. L’ensemble des interventions – qu’il s’agisse de secours sur la voie publique ou aux personnes – était effectué par des ambulances privées. Les ambulanciers privés ne recevaient pas d’indemnité de garde et facturaient leurs interventions à l’assurance maladie. Le volume de travail ainsi assuré permettait l’autofinancement du système. L’ambulancier disponible obtenait des gardes plus fréquentes, tandis que l’ambulancier occupé perdait des tours d’appel du SAMU. Ce système performant et moins onéreux que celui d’aujourd’hui a été remis en cause avec la mise en service des VSAV. Je m’étonne un peu d’entendre que les pompiers veulent se désengager du transport sanitaire : on observe l’inverse sur le terrain. Les 168 000 carences recensées par le SAMU selon le docteur François Braun sont à comparer avec les 338 000 déclarées par les SDIS. Il faut une régulation médicale avant tout engagement : sinon une fois le moyen d’intervention engagé, il ne peut plus être arrêté… Alors que le transport sanitaire est notre mission, les pompiers deviennent nos concurrents. Parler d’économies suppose de prendre en compte le coût énorme des engagements des pompiers et des VSAV financés par les collectivités territoriales, et pas seulement celui des carences ambulancières financées indirectement par l’assurance maladie. Il s’agit donc d’un transfert de charges. Le calcul global des missions de transport sanitaire et de secours doit intégrer l’ensemble des payeurs et pas seulement l’assurance maladie.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Sans tirer de conclusions hâtives, tout ceci prêche pour un renforcement de la coordination et pour réunir l’ensemble des acteurs du transport sanitaire, puisque leurs autorités de tutelle sont différentes. Ces questions doivent s’inscrire dans la logique du parcours de soins. Le transport doit s’articuler avec les demandes suscitées par la prescription médicale – incarnée majoritairement par les établissements de soins – et la nécessité d’appliquer les référentiels alors qu’il convient de rappeler que le dernier acteur du transport de patients, les taxis, en ont une application un peu particulière.

Dr Patrick Hertgen. Il me semble utile d’apporter quelques précisions après ce qui vient d’être dit. Je ne m’appesantirai pas sur le dernier argument, selon lequel les interventions des pompiers seraient onéreuses parce que leurs moyens surabondants déséquilibreraient le coût de ces interventions. Je rappelle que l’ensemble des services d’incendie et de secours, pour toutes leurs missions, représente 4 milliards d’euros, à comparer aux 4 milliards d’euros que représentent également les seuls transports de patients. Il ne me semble pas qu’on puisse faire aux sapeurs-pompiers le procès de coûter trop cher à ce titre. Si notre mission n’est pas de faire du transport sanitaire, nous n’entendons pas que le service de secours public aux personnes soit privatisé. Chacun doit rester sur le champ de sa mission, là où il est pertinent et il convient de s’y tenir. Nous n’entendons pas devenir un opérateur de transport sanitaire, mais nous n’entendons pas que ces missions de secours puissent être privatisées et faire l’objet d’une délégation de service public. Ce n’est pas le modèle français de la sécurité civile et ce serait fragiliser son édifice. Les sapeurs-pompiers sont les garants de la péréquation territoriale. Les soins et les secours sont distribués facilement dans les zones densément peuplées, mais beaucoup moins dans les zones qui le sont moins, comme la montagne… Le délai moyen d’intervention des sapeurs-pompiers est de 12 minutes 32 secondes en France métropolitaine, maintenir la péréquation ville-campagne suppose qu’il n’y ait pas de démembrement de leurs fonctions. La Fédération des sapeurs-pompiers est fortement opposée à l’idée que la partie secours devienne une mosaïque dont chaque acteur prélèverait une pièce au gré des territoires les plus rentables. Ce cœur de métier, le secours, doit rester un service public assurant sa continuité sur tout le territoire.

Cela ne signifie pas que les transporteurs sanitaires n’ont pas de rôle dans l’urgence. Mais, dès lors qu’il s’agit d’apporter une mission de secours, qui n’est pas exactement le sauvetage − éteindre les flammes et écarter les tôles − mais une action urgente, cela nécessite un substrat technique un peu plus important. Toutes les ambulances ne sont pas les équivalents techniques de VSAV et ne peuvent être affectées aux mêmes missions.

Sur les plateformes communes, j’aurais souhaité entendre des arguments plus convaincants. Notre activité, j’en suis d’accord avec le docteur François Braun, manque d’évaluation qualitative ou bien les évaluations sont peu publiées. Il serait pertinent pour tous les services que soit évaluée l’efficience de nos dispositifs, de la régulation médicale, des secours distribués. Or, il n’est aujourd’hui procédé qu’à une analyse quantitative du nombre d’interventions.

Je le répète, nous sommes favorables à ces plateformes parce que nous pensons qu’elles facilitent l’interopérabilité des acteurs. Mais ce n’est pas une condition suffisante. Il faut qu’une doctrine commune soit trouvée. Un mot sur l’Indre : la situation serait excellente parce qu’il n’y a que quatre carences par mois. Mais c’est dans l’Indre que l’on retrouve cette situation de confusion entre le service public de secours et le transport sanitaire. Les sapeurs-pompiers de l’Indre se plaignent, non parce qu’ils n’interviennent pas en situation de carence, mais parce qu’ils constatent que les missions de secours sont effectuées par un acteur privé, ce qui fragilise la péréquation territoriale.

Sur la part des missions de sapeurs-pompiers effectuées à domicile alors qu’elles ne sont pas médicalisées qui a été relevée par un représentant des transporteurs sanitaires, je ferai remarquer que sur 3 millions d’intervention de secours aux personnes, 750 000 missions d’urgence sont qualifiées de porteuses de détresse vitale à domicile. Elles correspondent, pour 5 % d’entre elles, à des patients décédés, 20 % sont médicalisées et ont fait l’objet d’un renfort avec un service médical d’urgence et de réanimation. Sur les 75 % restant, 10 % des patients sont maintenus à domicile et les autres, soit 65 %, sont conduits à l’hôpital. Ce poste d’intervention est celui qui a connu la plus forte croissance entre 2012 et 2013, puisqu’elle a atteint 18 %. Cette augmentation n’est pas due à un intérêt économique des sapeurs-pompiers, les services d’incendie et de secours connaissant déjà en 2012 des difficultés budgétaires, ni au référentiel et au départ réflexe qui créerait une inflation d’activité : le référentiel est applicable depuis 2009. Elle est probablement due à cette zone grise d’intervention pour laquelle la frontière entre transport sanitaire et mission de secours n’est pas clairement établie et pour laquelle nous ne sommes pas les seuls prescripteurs. Au sens administratif du terme comme le remarquait le docteur François Braun, les SAMU, qui nous demandent d’intervenir, sont des prescripteurs des sapeurs-pompiers, même si ce n’est pas au sens de l’assurance maladie. Et quotidiennement, nous sommes sollicités par les SAMU pour intervenir sur cette zone grise et non pas de notre propre initiative. Nous aimerions diminuer notre activité sur ce point-là. Nous ne sommes pas dans une logique inflationniste et nous n’y avons pas intérêt.

Enfin en matière de formation, les sapeurs-pompiers ne sont pas uniquement formés à sauvegarder la vie. Le différentiel de formation des professionnels du secours que sont les sapeurs-pompiers n’est pas si important avec les professionnels de santé que sont les transporteurs sanitaires.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je souhaiterais que soient abordées les tensions qui règnent avec les fédérations de taxis. L’Union nationale des associations départementales des ambulanciers urgentistes de France, structurée par département, a-t-elle une idée de la répartition des parts de marché, si vous m’autorisez cette expression un peu mercantile, en ce qui concerne le TAP (transport assis professionnalisé), ventilé entre les VSL (véhicules sanitaires légers) des entreprises ambulancières et les taxis, eux-mêmes répartis entre les artisans taxis et des taxis relevant en fait des entreprises de transport sanitaire. Disposez-vous de chiffres illustratifs ?

M. Charles Greiner, conseiller technique à l’UNADAUF. Je souhaite d’abord répondre à ce que vient de dire le docteur Patrick Hertgen. À Strasbourg, il n’existait pas de véhicules VSAV jusqu’en 2004. Leur arrivée a été présentée comme une obligation légale nécessaire aux centres de secours. Aujourd’hui, le directeur du SAMU est l’ancien médecin-chef des pompiers et le président du conseil général est également le président du conseil d’administration du SDIS. La boucle est bouclée… et l’activité de d’ambulancier privé diminue. Je qualifie de transport sanitaire à 80 % l’activité des VSAV pure puisque 3 % correspond en fait à des urgences vitales. L’activité des pompiers connaît ainsi une croissance à deux chiffres depuis dix ans. C’est inquiétant car il n’y a pas une croissance équivalente des urgences, il s’agit bien de la prise de marchés qui relevaient des autres acteurs du transport sanitaire. 10 % des sapeurs-pompiers strasbourgeois sont des professionnels, les autres sont des sapeurs-pompiers volontaires comme le boucher, le boulanger ou le plâtrier… qui ne peuvent pas assurer les mêmes missions qu’un ambulancier diplômé d’État qui a suivi une formation dix fois plus longue. Le transporteur sanitaire assure avec difficulté l’équilibre de ses investissements financiers et des charges qu’il assume comme employeur. Son propre ambulancier peut d’ailleurs concurrencer directement sa société en étant chef d’agrès dans un véhicule de pompiers dès qu’il est libéré de sa garde dans l’entreprise… Enfin, certains employés n’hésitent pas à se mettre au chômage pour pouvoir suivre une formation en étant plus disponibles !

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Au-delà du différentiel de formation que vous évoquez, je voudrais aborder la problématique des charges économiques. Vous êtes des acteurs économiques, même si la réalité économique, qu’il faut intégrer à notre réflexion, ne doit pas conditionner l’offre sanitaire. À ce sujet, différents rapports et auditions nous ont appris que la cession des autorisations de mise en service d’une ambulance pouvait s’élever à 250 000 euros – ce chiffre, qui a néanmoins été relativisé, dépendrait de la concentration urbaine. En tant qu’union nationale représentante de l’ensemble des associations départementales, avez-vous une estimation plus précise de ce montant ?

M. Thomas Stéphan. Sur la partie concernant le transport assis professionnalisé, les taxis conventionnés représentent 65 % de la part de marché et sont en progression croissante par rapport aux VSL. Les VSL et les taxis conventionnés n’ont pas vocation à assurer le transport d’urgence. Aujourd’hui, il existe une enveloppe fermée regroupant les trois effecteurs et il est en effet indispensable de pouvoir dissocier la partie transport assis du transport couché en ambulance. Les tarifs des transports VSL- ambulance sont définis par l’assurance maladie, alors que les tarifs des taxis sont définis par arrêté préfectoral.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Il est légitime de vouloir séparer le versant « ambulance » et le versant « VSL », mais on peut néanmoins mener une réflexion sur les logiques de plafonnement de chacune des flottes, ce qui a d’ailleurs été évoqué par la Cour des comptes dans son rapport de septembre 2012.

M. Thomas Stéphan. Les ARS doivent geler les autorisations de mise en service des véhicules sanitaires et éviter les transferts de VSL vers l’ambulance. Il existe en effet des problèmes dans les grandes villes car les tarifs des taxis ne sont pas adaptés, mais cette situation n’est pas du tout représentative de l’ensemble du territoire national.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Disposez-vous de statistiques sur les montants des cessions ?

M. Thomas Stéphan. Les chiffres sont très variables d’un territoire à l’autre, on annonce 50 000 euros à 70 000 euros pour une cession d’autorisation de mise en service d’une ambulance, bien loin du montant de 250 000 euros que vous avez mentionné.

En dehors des grandes agglomérations comme Paris, il existe des carences d’ambulance, et on note en même temps une inflation des délivrances des autorisations de stationnement de taxis. Dans mon département, l’ensemble des centres de secours, y compris les centres de proximité avec faible activité, se voient dotés de VSAV, alors que nous nous retrouvons avec un plafond établi sur la base de modes de calculs datant d’il y a vingt-cinq ans à partir de critères qui ne correspondent plus à la réalité.

Concernant le financement du transport d’urgence, l’indemnité de garde ambulancière de 346 euros, qui nous paraissait correcte il y a quelques années, se révèle aujourd’hui problématique. Il faut, dans le cadre de la maîtrise des coûts, favoriser la facturation à l’acte. En revanche, il doit être possible, grâce à la géolocalisation, de déterminer les périodes d’inactivité, notamment dans les zones rurales. Si l’on veut faire de l’urgence, il faut accepter d’avoir des phases d’inactivité. Le financement doit être en rapport avec le volume d’activité.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je vous remercie pour l’ensemble de ces propos et vous invite à nous faire parvenir vos préconisations, qui doivent être marquées par leur caractère opérationnel et la recherche d’un bon rapport coûts/efficacité.

M. Nelson Nazon. Je vous remercie pour votre confiance. Nous allons tout mettre en œuvre pour permettre la réussite de votre projet.

La MECSS procède ensuite à l’audition, ouverte à la presse, du Dr Catherine Réa, conseillère médicale de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (FEHAP), de M. René Caillet, responsable du pôle organisation sanitaire et médico-sociale de la Fédération hospitalière de France (FHF), de M. Emmanuel Masson, vice-président de la Fédération de l’hospitalisation privée-soins de suite et de réadaptation (FHP-SSR), et de M. Thierry Béchu, délégué général de la Fédération de l’hospitalisation privée-médecine, chirurgie, obstétrique (FHP-MCO), accompagnés par M. David Castillo, responsable des études économiques et des systèmes d’information, et M. Anthony Frémondière, directeur du développement et de la vie institutionnelle de la Fédération de l’hospitalisation privée.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Notre interrogation porte notamment sur les capacités à dégager des marges de manœuvre, à hauteur d’environ 450 millions euros, et s’articule autour de trois axes : l’amélioration du respect de la prescription – le transport de patients étant un acte médical –, la réforme de la garde ambulancière et enfin la lutte contre la fraude.

Dr Catherine Réa, conseillère médicale au sein de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (FEHAP). Au titre de la FEHAP, nous nous réjouissons de l’existence de travaux consacrés au transport de patients. Il est en effet nécessaire d’organiser des parcours plus efficients afin de pouvoir réduire les prescriptions de transport.

À l’aube de la révision des programmes régionaux de santé et des schémas régionaux d’organisation des soins, il serait bon d’y inclure une réflexion sur les transports, parallèlement à celle sur le regroupement des plateaux techniques, dont le coût secondaire, qui n’est pas pris en compte, n’est pas évalué.

Il est important d’associer les professionnels libéraux à la prescription de transport dans le cadre de certains contrats comme les contrats d’amélioration et de qualité de l’organisation des soins (CAQOS) et de pouvoir contrôler et payer sur la base de la prescription. Trop souvent, les transports de patients, par défaut de disponibilité des transports assis, s’effectuent en transport couché alors que la prescription initiale concernait bien un transport assis.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Concernant les prescripteurs, où en sommes-nous sur la question de l’identification et de l’individualisation de la prescription en établissements de soins ?

Dr Catherine Réa. Au sein des établissements de la FEHAP, un travail d’appropriation a été mené. La prescription est rédigée et signée par le médecin. Les CAQOS ont participé à une prise de conscience collective au sein des établissements.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Avez-vous pu mesurer le taux de progression de l’individualisation de la prescription ?

Dr Catherine Réa. Nous vous fournirons les données si elles existent.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Au-delà du domaine proprement sanitaire, existe-t-il des réflexions sur le transport de patients dans le domaine médico-social ?

Dr Catherine Réa. Aujourd’hui, la télémédecine, la télé-expertise et les téléconsultations constituent une piste pour réduire les aller-retour entre un plateau technique et les établissements médico-sociaux. Par exemple, le suivi des plaies chroniques peut se faire par télémédecine, de même que le suivi post-chirurgical après une pause de prothèse de hanche. Mais cela représente un coût important.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Avez-vous évalué ces coûts ?

Dr Catherine Réa. Le bénéfice de ces opérations n’a pas encore été mesuré. Un établissement de la FEHAP, accompagné par l’URC ECO (unité de recherche en économie) en Île-de-France, va se charger de la simulation économique, pour voir, en fonction des différents programmes de télémédecine, quelles sont les actions objectivement économiques et celles qui ne le sont pas mais qui améliorent la qualité des soins. Concernant par exemple les suivis cardiologiques dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), où 20 % des résidents sont insuffisants cardiaques, la télémédecine permettrait de réduire les transports. Le coût final est néanmoins difficile à évaluer dans la mesure où il faut construire un modèle économique nouveau.

M. René Caillet, responsable du pôle « organisation sanitaire et médico-sociale » de la Fédération hospitalière de France (FHF). L’augmentation des transports de patients est une tendance lourde, le mouvement de développement de la télémédecine étant encore lent et difficile à évaluer. Les restructurations, qui ont eu pour conséquence un regroupement des plateaux techniques, ont contribué au développement du transport. Par ailleurs, l’âge des patients et leurs pathologies les amènent à venir plus souvent. Enfin, l’organisation du système est très fractionnée au sein des établissements.

Il existe des exemples intéressants, notamment au CHU de Dijon, dans un établissement de Martigues, ou encore à l’hôpital de Troyes. Mis à part ces quelques cas, les prescriptions – en tout cas dans le public – sont marquées par l’urgence. Certaines habitudes doivent être dépassées.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. C’est toute la difficulté de la transmission de l’information et de l’accès à des banques de données. À cet égard, le guide produits par l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) Améliorer la gestion des transports sanitaires en établissements de santé est-il adapté aux établissements de soins et aux établissements médico-sociaux ? Vous évoquiez le sujet de l’urgence et preniez l’exemple de l’hôpital de Martigues, qui d’ailleurs résulte d’une expérimentation menée aux urgences de l’hôpital Beaujon. Je suis moi-même à l’initiative d’une étude réalisée pour ce dernier par le cabinet de conseil Mac Kinsey pour réduire le temps d’attente aux urgences : il est regrettable que ce dispositif, qui a fait la preuve de son efficience, n’ait pas été généralisé.

M. René Caillet. Le référentiel de l’ANAP est excellent et doit être déployé.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Existe-t-il un calendrier raisonnable de mise en place de ce référentiel ?

M. René Caillet. L’organisation de la fonction de transport est un enjeu de service public. Il faut encore intégrer la réflexion : on a aujourd’hui des coordinations établissement par établissement, mais il est nécessaire de passer à une coordination par territoire, y compris pour le secteur médico-social.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Concernant toujours le guide de l’ANAP, envisagez-vous une programmation de l’appropriation de ces bonnes pratiques dans les établissements rattachés à votre Fédération ? Est-il au moins possible de connaître l’importance de la montée en charge de ces bonnes pratiques ?

M. René Caillet. Pourquoi ne pas imaginer que cela fasse l’objet d’une contractualisation ? Cela pourrait être traité dans un délai de trois à cinq ans.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Avez-vous des exemples de dispositifs permettant de lutter contre les phénomènes « d’embolisation » à certaines tranches horaires ? Que pensez-vous de la proposition de la Cour des comptes de mettre en place une procédure d’appel d’offres pour la commande de transports de patients ?

M. René Caillet. S’agissant de votre première question, nous n’avons pas de remontées d’information à ce sujet, mais nous pouvons faire une demande auprès de nos adhérents. Nous sommes favorables à une procédure d’appel d’offres qui devrait favoriser la transparence et le contrôle du respect des droits et obligations de chacun. Les groupements territoriaux de santé pourraient intervenir dans ce domaine.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ce sujet fait polémique : les représentants des entreprises de transports craignent qu’une telle procédure favorise la constitution de monopoles alors que le secteur est actuellement très éclaté. Quelle serait la formule la plus pertinente ?

M. René Caillet. La formule de l’appel d’offres est plus souple qu’on ne le croit. Les interrogations des entreprises de transports de patients sont légitimes mais l’objectif est d’avoir un système globalisé avec un cahier des charges précis fixant des obligations de service public
– notamment le respect du tour de rôle par tous les acteurs ce qui n’est pas toujours le cas actuellement. L’objectif de la FHF n’est pas de constituer des monopoles régionaux mais de favoriser davantage de lisibilité sur le territoire. Les fonctions transversales ont aujourd’hui bien évolué. La mise en place de plateformes de gestion des transports nous permettrait d’être plus compétitifs. Notons que le transport médico-social obéit à une logique différente et qu’il est aujourd’hui exposé à un resserrement financier.

Dr Catherine Réa. S’agissant de la prescription du transport au moment de la sortie d’un établissement de santé, la circulaire du 27 juin 2013 relative à la prise en charge des frais de transport de patients du ministère des affaires sociales et de la santé nous complique la tâche. Se pose aussi la question des transports intra-hospitaliers. Il faut une mise à plat de ces prises en charge.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Existe-t-il une évaluation du coût des transports intra-hospitaliers ?

M. René Caillet. Nous ne disposons pas d’une telle évaluation. En revanche, la direction générale de l’offre de soins (DGOS) devrait pouvoir vous transmettre des données chiffrées. D’après nos estimations, quatre à cinq mille agents de la fonction publique sont concernés par les transports intra-hospitaliers. Cependant, ces agents remplissent généralement aussi d’autres missions et la distinction entre les transports intra-hospitaliers et les transferts par brancardiers est parfois délicate : ces éléments rendent nos estimations approximatives. Toujours est-il que celles-ci font état d’un coût compris entre 200 millions et 300 millions d’euros. Cette estimation ne prend néanmoins pas en compte le coût des véhicules, qui font l’objet de plus en plus fréquemment de locations et non d’achats, conformément aux préconisations de la Cour des comptes. La mise en place d’une plateforme de coordination et d’organisation des transports de patients devrait permettre des gains d’efficience.

M. Emmanuel Masson, vice-président de la Fédération de l’hospitalisation privée-soins de suite et de réadaptation (FHP-SSR). Nous partageons la majorité des constats de la FHF et de la FEHAP – même si le mode de fonctionnement de nos établissements diffère – car les transports de patients représentent une charge financière très lourde pour les établissements de santé. La baisse de la durée des séjours qui a résulté de la mise en place de la tarification à l’activité (T2A), l’évolution du profil des patients et des polypathologies entraînent une augmentation du nombre de trajets par patient. Une évaluation faite par certains départements montrait qu’en 2000 les patients en gériatrie effectuaient deux trajets par mois en moyenne ; aujourd’hui, nous constatons plutôt que ces patients effectuent en moyenne deux trajets par semaine.

Il est difficile d’adapter l’offre de transport à la demande. Le prix d’un transport en VSL – hors indemnité kilométrique – est de 28 euros alors que celui d’une ambulance est – hors indemnité kilométrique – de 121 euros. Pour autant, il est difficile de refuser l’arrivée d’une ambulance quand un simple VSL a été demandé car le patient attend et souhaite être transporté rapidement. Il est difficile de mesurer l’ampleur de ce phénomène mais il est extrêmement fréquent, d’autant plus que le système favorise la transformation de VSL en ambulance.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. On nous a assuré que la nouvelle réglementation qui attribue la compétence aux agences régionales de santé dans ce domaine rendrait ce genre de situation impossible.

M. Emmanuel Masson. Sur le terrain, les choses n’ont pas changé…

Dr Catherine Réa. Cette situation ne résulte pas seulement d’un comportement délibéré des entreprises de transports : en cas de forte affluence de la demande, ces entreprises envoient les véhicules disponibles qui sont, parfois, seulement des ambulances.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quel est le bilan de l’expérimentation, adoptée dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, de mise en place de centres de régulations ?

M. Emmanuel Masson. Il faudrait donner suite aux études locales qui ont été réalisées sur ce sujet. La règle du prescripteur/payeur pose problème : si le prescripteur ne paye plus, pourquoi mettrait-il en place une régulation en amont ? Les procédures de télémédecine ont été peu développées car on ignore comment rémunérer les médecins libéraux.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quel est le bilan de la dématérialisation des données ? Avez-vous le sentiment de pouvoir évaluer la progression de cet outil ?

Dr Catherine Réa. Tous les établissements travaillent sur ce projet et il y a des contractualisations avec les caisses primaires d’assurance maladie à ce sujet. Cela constitue un vrai enjeu pour les établissements car cela représente un coût important. Des échéanciers ont été définis au niveau national et au niveau local dans le cadre des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens entre les agences régionales de santé et les établissements de santé.

M. René Caillet. Je peux moi aussi témoigner que l’interopérabilité des systèmes d’information progresse et que les interfaces sont meilleures. Il n’en demeure pas moins que les systèmes informatiques répondent à des logiques propres à chaque établissement. De plus, la problématique des transports de patients ne figure pas comme une priorité dans les projets des établissements qui se mobilisent beaucoup plus sur le dossier médical individuel ou sur le suivi des prescriptions. Les ARS devraient être plus dynamiques pour impulser des systèmes compatibles avec des liaisons transversales et opérationnelles sur un territoire donné. Il faut améliorer les mécanismes contractuels et tenir compte des particularités de chaque territoire.

S’agissant du contrôle des prescriptions de transports, beaucoup reste à faire, personne ne vérifie l’exécution de la prescription qui est souvent largement interprétée. Les cas les plus patents résultent des patients qui arrivent aux urgences. Très souvent les prescriptions de transport sont régularisées a posteriori et le prescripteur n’a aucune marge d’appréciation, il avalise le mode de transport qui a été utilisé par l’entreprise de transport sanitaire.

M. Thierry Béchu, délégué général de la Fédération de l’hospitalisation privée-médecine, chirurgie, obstétrique (FHP-MCO). Pour la clarté de nos débats je crois qu’il faut bien distinguer les questions du court terme des problématiques à plus longue échéance.

L’offre de soins a subi ces dernières années des restructurations. Il n’est pas neutre, comme en Mayenne par exemple, de supprimer tous les plateaux techniques de chirurgie qui font moins de 1 500 interventions par an. Cette modification de l’offre de soins a de fortes conséquences en termes de demande de transports car les lieux de soins s’éloignent des lieux de vie des patients.

La difficulté est d’anticiper les conséquences de ces changements de localisation des soins et de durée de séjour.

À plus court terme, certains aspects de l’organisation des soins pourraient être améliorés ; ainsi pour les soins chroniques comme l’insuffisance rénale chronique, nécessitant des dialyses, et qui, de ce fait, entraînent des transports réguliers et programmés plusieurs fois par semaine, certaines ARS ont mis en place des systèmes de covoiturage en VSL pour conduire les patients à ces séances de soins.

Les transports de patients en amont et en aval des hospitalisations pourraient aussi être rationalisés mais c’est une question complexe. Le recours à des appels d’offres dans le choix d’un transporteur pour faire des économies a montré ses limites car avoir recours à une seule entreprise de transport pose souvent des difficultés notamment dans le cas des départements très étendus géographiquement.

Il faut s’inspirer des bonnes pratiques locales. À Montpellier, certains hôpitaux ont choisi d’internaliser les transports et de se charger eux-mêmes de l’organisation des rotations des transporteurs. Il faut de plus rappeler que la prescription doit primer sur la facturation, les transporteurs n’ayant pas à modifier le type de véhicule qui est inscrit sur la prescription. C’est le médecin qui apprécie le besoin qui dépend de multiples facteurs sanitaires.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. D’une manière un peu triviale j’ai eu l’occasion d’affirmer lors de l’audition précédente que la prescription de transport n’est pas une prestation à la carte, c’est un acte médical.

M. Thierry Béchu. Le suivi des prescriptions ne pose pas de difficulté car les praticiens peuvent être facilement identifiés. En revanche, il n’est pas toujours facile de déterminer précisément lors d’une prescription de sortie d’un établissement de santé s’il s’agit d’un transport à la sortie d’une hospitalisation ou s’il s’agit d’un transport lié à d’une visite post opératoire.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quels sont les principaux dysfonctionnements que pouvez constater dans la prescription et la facturation des transports de patients ?

M. Emmanuel Masson. Compte tenu de la réduction des durées de séjour, il est fréquent que des patients récemment hospitalisés reviennent quelques jours plus tard pour des examens qui n’ont pu être passés durant le séjour hospitalier. Cette tendance a pour conséquence de multiplier les prescriptions de transport en ambulance ou VSL. De plus, les chirurgiens, pour rassurer leurs patients ont tendance à les faire revenir plusieurs fois pour le suivi de leurs interventions, ce qui entraîne encore de nouvelles prescriptions.

Il arrive aussi fréquemment que les transporteurs ne respectent pas le type de véhicule indiqué dans la prescription. Enfin, si le parcours de soins était plus opérationnel de nombreux transports pourraient être évités : des actes seraient réalisés plus en amont et il ne serait pas nécessaire de procéder à des interventions en urgence qui, elles, sont toutes précédées par un transport de patients.

Dr Catherine Réa. Les établissements ont pu constater les conséquences de l’application de la circulaire du 27 juin 2013 relative à la prise en charge des frais de transport de patients. Le prescripteur n’est plus le payeur. Cette circulaire a modifié l’échelonnement des actes d’exploration. On constate fréquemment que lorsque les hospitalisations sont programmées, les patients arrivent accompagnés par leurs proches alors que lorsque les patients arrivent aux urgences le recours aux transports de patients est systématique. Il faudrait donc essayer d’augmenter la part des hospitalisations programmées en améliorant la prévention.

M. Thierry Béchu. L’évolution des pratiques médicales a de multiples conséquences. Le développement de la chirurgie ambulatoire va nécessiter leur suivi à domicile pour les soins post-opératoires. La chirurgie ambulatoire ne va pas conduire à une réduction des actes mais à une modification de leur mode d’administration. Si la sortie n’est pas préparée il risque d’y avoir de multiples réhospitalisations avec autant d’interventions des transports de patients.

M. René Caillet. Comme par le passé la dotation globale avait eu ses effets pervers, on constate que la T2A entraîne des réactions dont les conséquences sont fâcheuses pour le service rendu aux patients. Certaines dépenses ont tendance à être reportées sur d’autres acteurs car les établissements hospitaliers sont très contraints financièrement. Il serait préférable de fixer des enveloppes régionales ou territoriales globales pour telle ou telle catégorie de soins, les ARS étant alors responsables de leur bonne utilisation pour offrir une offre de soins adéquate.

Dr Catherine Réa. Au lieu de se focaliser pour réaliser des économies sur le regroupement des plateaux techniques, il serait beaucoup plus réaliste de chercher à améliorer les centres de proximité et l’aide à domicile. Sans cela, il est illusoire de développer les hospitalisations ambulatoires car les patients ne pourront faire face aux soins de suite.

M. Emmanuel Masson. La circulaire de juin 2013 a pour conséquence non pas de reporter les dépenses de transport dans l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM)-soins de ville mais dans l’ONDAM hospitalier.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je vous remercie pour ces échanges très riches et constructifs. Les membres de la MECSS y trouveront des pistes de réforme qui se traduiront sans doute par de futurs amendements notamment dans la future loi de santé publique.

La séance est levée à douze heures vingt-cinq.