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Mardi 3 novembre 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 4

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Vice-Présidente

– Audition de M. Éric Poyeton, directeur général de la Plateforme automobile et mobilités (PFA)

Mission d’information
sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.

La mission d’information a entendu M. Éric Poyeton, directeur général de la Plateforme automobile et mobilités (PFA).

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Nous recevons M. Éric Poyeton, en sa qualité de directeur général de la Plateforme de la filière automobile et mobilités, la PFA. Ingénieur ayant fait l’essentiel de sa carrière dans le secteur des poids lourds – qui intéresse également notre mission –, M. Poyeton occupe ce poste depuis janvier 2015.

La PFA a été créée en 2009 au plus fort de la crise. Elle vise à établir un cadre permanent d’échanges et de concertation entre donneurs d’ordres et fournisseurs de la filière industrielle. Ainsi, la Plateforme a pour objectif principal de travailler au renforcement de la compétitivité de la filière.

Monsieur le directeur général, dans le cadre de la présentation actualisée des travaux et des missions de la PFA que vous allez nous proposer, je crois devoir préciser que deux points retiennent plus particulièrement l’attention de la mission.

Le premier concerne le Comité technique automobile ou CTA, l’une des structures chapeautées par la plateforme. Ce comité est présenté comme le représentant scientifique et technique de la filière pour défendre des propositions concertées et unifiées. A-t-il joué un rôle d’inspirateur voire de prénégociateur sur la question des tolérances concernant les émissions à l’échappement – un sujet pleinement dans l’actualité avec le scandale Volkswagen et les décisions prises, la semaine passée, à Bruxelles et d’ailleurs immédiatement contestées ?

Second point : qu’en est-il du programme de recherche-développement concernant le véhicule à deux litres pour cent kilomètres, confié à des acteurs réunis au sein de la PFA par Arnaud Montebourg quand il était ministre ? La question du diesel est-elle effectivement comprise dans ce cadre de recherche ?

Monsieur le directeur général, nous allons vous écouter pour un bref exposé liminaire, puis Mme Delphine Batho, rapporteure, et les membres de la mission d’information vous poseront différentes questions.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Avant que M. Poyeton ne s’exprime, je souhaite indiquer aux membres de la mission qu’à la suite de la décision des 28 États membres de l’Union européenne, le 28 octobre dernier, portant sur les tests d’émissions polluantes des véhicules et prévoyant des tests dits en conditions réelles de conduite mais autorisant des dépassements de 110 % pour les oxydes d’azote (NOx), entre 2017 et 2019, et 50 % après 2020, j’ai demandé à la Commission européenne, en tant que rapporteure de la mission, quelle était la composition exhaustive du Technical Committee on Motor Vehicles (TCMV), et de me fournir les comptes rendus de ses réunions ainsi que le relevé des conclusions. Il nous a été répondu tout à l’heure que le compte rendu serait disponible dans quinze jours ; surtout, notre interlocuteur nous a fait savoir qu’il n’était pas autorisé à diffuser la liste des participants à ce comité – ce qui pose un problème de transparence.

J’ai d’autre part demandé aux autorités françaises, par le biais du secrétariat général aux affaires européennes (SGAE), la composition de la délégation française, tous les éléments sur les positions françaises défendues au sein de ce comité ainsi que l’analyse du SGAE sur la portée juridique des travaux de cet organisme.

M. Éric Poyeton, directeur général de la plateforme automobile et mobilités. (PFA). La PFA a pour mission de consolider et de développer les acteurs de l’industrie automobile et du transport – ne sont concernés ici ni les opérateurs de transport ni l’aval de la filière, à savoir la distribution et le recyclage –, soit quelque 5 000 entités et 600 000 emplois. La PFA représente le premier budget de recherche-développement de France : 6,5 milliards d’euros. Parmi ces entités, à travers les fédérations adhérentes et les associations régionales de l’industrie automobile (ARIA), 2 000 adhèrent à la PFA. Très nombreuses sont celles qui livrent d’autres constructeurs et d’autres équipementiers que ceux qui sont implantés sur le sol français – nous ne sommes donc pas focalisés sur les seuls constructeurs français.

La PFA est issue des Etats-généraux de l’automobile au terme desquels a été signé le Pacte automobile. La fiche 8 de ce Pacte prévoyait un code de performance et de bonne pratique créant, notamment, une plateforme d’échanges. La PFA réunit aujourd’hui les deux constructeurs français Renault et PSA, les quatre grands équipementiers, français également, Valeo, Michelin, Plastic Omnium et Faurecia. D’autres constructeurs sont également représentés par l’intermédiaire du Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA) et d’autres équipementiers par l’intermédiaire de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV), ainsi que les fédérations de métiers comme la plasturgie, le caoutchouc et les polymères, la mécanique et enfin la carrosserie.

Nous avons depuis peu engagé une démarche d’élargissement de la PFA – il s’agit par-là d’associer les acteurs non seulement à nos réflexions mais également à nos décisions. Ainsi, dans ce deuxième cercle, sont présents le groupement pour l’amélioration des liaisons dans l’industrie automobile (GALIA), qui travaille sur les aspects logistiques, et les pôles automobiles comme ID for Car, Lyon Urban Trucks and Bus (LUTB Transport & Mobility Systems), MOV’EO et le pôle « Véhicules du futur ». Quatorze ARIA relaient nos actions dans les régions.

Nos leviers de performance n’ont pas changé depuis le début de la mission de la PFA : nous avons vocation à construire des relations de confiance durables entre acteurs de la filière et avec son environnement ; à élargir les points de convergence entre les acteurs de la filière ; à développer une vision claire des grands enjeux de la filière, de plus en plus complexes et qui exigent une réponse de plus en plus collaborative, qu’il s’agisse de l’innovation, de la capacité à parler d’une seule voix pour le secteur automobile français – il nous revient donc de définir les actions permettant d’y répondre. Nous devons en outre servir de catalyseur des compétences dont la filière a besoin – or, aujourd’hui, nous en manquons même dans des métiers traditionnels ; enfin, nous devons inscrire la filière dans son environnement et dans son futur.

Quels sont les rapports entre la PFA, le Comité stratégique de la filière automobile (CSF) et le Conseil national de l’industrie (CNI) ? Le CSF automobile est composé de la PFA – le vice-président du premier, M. Michel Rollier, est également président de la seconde –, d’un groupe de travail, en aval, piloté par le Conseil national des professions de l’automobile, (CNPA), mais également du Comité d’orientation de la filière industrielle du transport routier (COFIT), cela afin d’avoir un contact non seulement avec les constructeurs de véhicules industriels mais aussi avec les représentants du secteur des infrastructures et les représentants des sociétés qui exploitent les matériels, comme la RATP, représentées directement par leurs syndicats. La PFA pilote par conséquent à peu près 80 % des plans d’action du CSF automobile.

Les actions de la PFA sont réparties en cinq axes.

Le premier est intitulé : « Une filière forte et influente », forte car capable de parler d’une seule voix et influente vis-à-vis de son environnement. Nous travaillons sur les réglementations, les normes et les standards ; il s’agit d’établir, grâce à nos experts, des positions techniques en prévision du futur de l’industrie automobile. Ainsi en a-t-il été récemment pour l’hydrogène comme carburant – mais les sujets peuvent être bien plus techniques encore et concerner tel ou tel fluide, les distances de freinage etc. Nous définissons également des positions d’intérêt collectif en des matières qui, pour le coup, ne sont pas techniques.

La filière en tant qu’acteur de la mobilité constitue un deuxième aspect de ce premier axe. Nous avons décidé d’être partie prenante de la démarche de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) intitulée « Fabrique des mobilités ». Nous avons structuré nos actions collectives autour de la mobilité en réfléchissant au futur et aux usages. Nous allons par ailleurs mettre en place un partenariat équilibré avec des institutions comme les nôtres en Allemagne, au Royaume-Uni ou en Espagne, certains enjeux ayant une dimension européenne plus que nationale. Enfin, un groupe de travail sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE) mène cinq ou six actions qui, en la matière, relèvent du domaine collaboratif.

Le deuxième axe concerne le développement des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et des petites et moyennes entreprises (PME) de la filière. Nous menons ici trois actions principales. La première touche au développement international des ETI et des PME : nous nous organisons pour constituer une seule équipe de pilotage permettant à ces entreprises de trouver toutes les réponses qu’elles attendent. Nous mettons en outre l’accent, à court terme, dans le cadre du CSF, sur la croissance externe de nos entreprises en Allemagne. Deuxième action : nous entendons accompagner et améliorer la qualité de la relation clients-fournisseurs. Nous travaillons, comme nous aimons bien le faire dans l’automobile, avec un indicateur de mesure et, en fonction des données obtenues, nous mettons en place des actions correctives si nécessaire. Enfin, dernier point, nous soutenons les acteurs qui doivent se situer au cœur de la filière qui, en France, souffre d’un déficit d’ETI – déficit à la remédiation auquel nous réfléchissons. La task force automobile mise en place par le ministre M. Emmanuel Macron et configurée par M. Michel Rollier a d’ailleurs présenté des conclusions en ce sens le 30 septembre dernier. Nous mettons de nombreux éléments à la disposition des chefs d’entreprise en matière de veille technologique, de prévisions volumes, de médiation ; nous leur proposons également des outils pour les aider à comprendre la norme Registration Evaluation Autorisation of Chemicals (REACH), ainsi qu’un site dédié aux compétences et emplois.

Le troisième axe concerne l’efficacité industrielle. Il mobilise cinq actions principales parmi lesquelles la réalisation, depuis vingt ans, d’une enquête sur la performance industrielle des entreprises avec seize indicateurs, afin qu’elles puissent définir des actions stratégiques prioritaires. Une autre action vise au déploiement du lean soit au sein d’entreprises, soit à travers des grappes d’entreprises. Bien entendu, nous avons lancé un programme – le cinquième de la PFA – sur l’usine du futur. Nous sommes en outre devenus membres actifs de l’alliance pour l’industrie du futur pour être en cohérence nationale sur le sujet.

La question des compétences forme le quatrième axe. Nous cherchons à mettre en place un processus et une organisation permettant de créer et de faire évoluer les programmes pédagogiques locaux en fonction des priorités nationales futures et des priorités locales des industriels. Nous allons par conséquent instituer une animation nationale et une animation régionale. Au niveau régional, nous nous appuyons sur le dispositif des campus des métiers et des qualifications et nous sommes heureux de constater que nous avons fait le nécessaire pour qu’il y en ait cinq qui se créent dans les principales régions automobiles françaises. Nous tâchons de lancer des chantiers afin de former les futurs talents dont nous avons besoin. Pour les attirer, nous travaillons autour de défis pédagogiques. Notons que le renforcement de la cohérence de la filière jouera en faveur de l’attractivité de nos compétences.

Le cinquième et dernier axe est l’innovation, subdivisé en quatre actions principales. La première consiste à animer l’écosystème d’innovation, notamment à travers un travail prospectif. Il s’agit également de faire en sorte que l’ensemble des entreprises de la filière disposent de l’information nécessaire sur les priorités d’innovation des grands acteurs. Il convient d’autre part de mettre les PME innovantes en contact avec les grands acteurs de la filière, soit une démarche top down (approche descendante) et bottom up (approche ascendante). Le pilotage de quatre programmes prioritaires constitue la deuxième action : l’opération « Deux litres aux cent kilomètres », le programme fibre optimisée réaliste de carbone économique (FORCE), le programme « Véhicule autonome » – en particulier sous deux aspects : écosystème et réglementation –, enfin le programme Value Driven Product Lifecycle Management (VALDRIV-PLM), fondé sur le management de la valeur ajoutée par les outils numériques sur tout le cycle de vie des produits et services automobiles. La troisième action concerne les expertises d’innovation de la filière que nous souhaitons mettre en valeur : nous disposons de centres de compétence régionaux qui ne demandent qu’à être mis en valeur au niveau européen et international. Enfin, quatrième action, nous travaillons beaucoup en collaboration avec le Commissariat général à l’investissement (CGI), l’ADEME et la Banque publique d’investissement (Bpifrance) pour tout ce qui touche au soutien à l’innovation.

Je reviens un instant sur les Road-Maps R & D, censés donner des indications sur les priorités de la filière. Nous avons identifié huit domaines d’activité sur lesquels il faut innover en priorité, à savoir tout ce qui concerne : l’hybridation et l’électrification, le rendement des groupes motopropulseurs (GMP), le rendement du véhicule, le confort du véhicule, la connectivité et la mobilité intuitive, la réduction de l’empreinte environnementale, la sécurité, l’aide à la conduite et la valorisation des procédés. Ce mois-ci, nous avons transmis à l’ensemble de la filière 80 fiches de besoins d’innovation des grands acteurs.

Le programme « Deux litres aux cent kilomètres », pour sa part, a démarré il y a plus de trois ans. Les objectifs fixés sont deux fois plus ambitieux que ceux de la réglementation 2021. Technologiquement, nous devrions y parvenir ; reste à faire en sorte que le coût de nos véhicules ne s’en ressente pas excessivement. Le programme d’investissements d’Avenir (PIA) contribue au financement de l’opération. Nous avons déposé plus de 40 dossiers-projets pour un montant total de recherche-développement de 420 millions d’euros. Si trois démonstrateurs technologiques ont été présentés au Mondial de Paris 2014, nous sommes soucieux de renforcer cette dynamique continue d’amélioration et cette volonté d’obtenir des innovations grâce auxquelles constituer les briques technologiques répondant aux évolutions réglementaires.

En ce qui concerne le programme FORCE, nous venons d’achever la première phase. La suivante prévoit l’existence d’un atelier pilote qui devrait produire un certain nombre de tonnes de fibre de carbone optimisée.

Pour ce qui est du véhicule autonome, nous veillons à rendre possible les expérimentations en conditions réelles mais aussi en site fermé. Nous travaillons sur les compétences et l’intelligence embarquée mais aussi sur la sécurité puisque l’apparition du véhicule autonome provoquera une vraie rupture pour l’écosystème automobile.

Je n’entrerai pas dans le détail du programme VALDRIV-PLM, beaucoup plus technique et éloigné des préoccupations de la filière puisqu’il est de nature, je dirai : multifilières.

Dans votre propos liminaire, madame la présidente, vous avez évoqué le CTA. Il a un rôle d’inspirateur quant aux priorités en matière de recherche-développement mais il ne se substitue pas aux entreprises de la filière. Il tâche de fixer une ligne à partir de laquelle chacun puisse se repérer et définir sa propre stratégie d’entreprise. Cela d’autant que nous conseillons à la majorité de nos membres, qui ne sont pas des constructeurs automobiles, d’avoir de multiples clients en France, en Europe et même au-delà. Nous devons donc balayer large dans notre approche stratégique. Le CTA est par ailleurs l’organisme au sein duquel nous décidons l’affectation des moyens pour conduire des travaux prospectifs sur des sujets techniques ou en les confiant à des instituts de recherche technologique (IRT) ou des instituts pour la transition énergétique (ITE).

Dans le programme « Deux litres aux cent kilomètres », les grands acteurs de la filière automobile française sont impliqués. De la fin de l’année 2013 jusqu’à l’été 2014 nous avons pu déplorer un déficit d’implication des PME sur le sujet. Nous l’avons comblé : l’envoi, dont je viens de vous parler, de 80 fiches aux ETI et aux PME, la mise en contact des PME avec les experts managers des grands acteurs y ont contribué. Nous menons ce programme en bonne intelligence avec l’ADEME puisqu’il a bénéficié, notamment, du soutien d’Initiative PME – si bien qu’une vingtaine de projets automobiles sont nés.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Afin que nous puissions nous faire une idée plus précise de votre activité, de votre rôle d’animation et de coordination de la filière, pouvez-vous nous indiquer de quelle manière la PFA est financée, combien de personnes y travaillent ? Vous avez abordé également les rôles respectifs du CNI, du CSF – l’organisation que vous avez décrite vous paraît-elle perfectible, vous satisfait-elle ?

Vous avez mentionné 600 000 emplois alors que l’INSEE retient plutôt le chiffre de 200 000 emplois. Pourriez-vous nous communiquer davantage de données sur le nombre d’entreprises par activité ?

En ce qui concerne le manque de compétences pour les métiers traditionnels, lesquels sont concernés ; existe-t-il des situations critiques ?

Il serait en outre intéressant de comparer la situation en 2009, contexte de crise où la Plateforme a été mise en place à l’issue des Etats-généraux de l’automobile, avec la situation actuelle. Quels sont les domaines, selon vous, qui ont bien avancé et lesquels doivent être améliorés ?

Le rôle de votre comité technique vise, si j’ai bien compris, à faire en sorte que la filière française parle d’une seule voix et, à l’occasion de l’élaboration de normes, dans ses relations avec les institutions françaises et européennes, fasse remonter certaines informations. Comment fonctionne ce comité ?

Quelles sont les positions de la PFA sur le Worldwide harmonized Light vehicles Test Procedures (WLTP) (procédure d’essai mondiale harmonisée pour les voitures particulières et véhicules utilitaires légers) – qui remplace le New European Driving Cycle (NEDC ou Nouveau cycle européen de conduite) ? Quelle est la différence entre le WLTP et ce que certains appellent Real Driving Emissions (RDE) ?

En 2014, la PFA a pris une position très intéressante sur les normes européennes d’émissions de dioxyde de carbone, position selon laquelle les dispositions envisagées sous-estimaient la consommation de carburant – autrement dit avantageaient les véhicules lourds équipés d’un moteur puissant, et pénalisaient dans le même temps tous les leviers technologiques de gains d’émission comme stop and start, allégement, hybridation… J’ai, pour ce qui me concerne, une approche très exigeante des normes antipollution mais une approche qui n’est pas naïve donc consciente qu’une norme peut masquer certains enjeux industriels pouvant favoriser la production de tel ou tel type de véhicule…

Selon vous, les normes en cours de discussion ne prennent pas suffisamment en compte la surconsommation à froid, trop de tests étant réalisés dans des conditions de conduite très rapide. La filière automobile française aurait besoin, à vous lire, d’une masse de tests plus représentatifs d’un véhicule vendu et de son usage moyen. En revanche, la filière automobile française demande que, dans le cadre du WLTP, les essais soient réalisés à la température de 23 degrés centigrades et non pas à 14 degrés. Vous demandiez également que les tests soient effectués avec des pneus à basse résistance de roulement. Ces positions ont-elles été entendues ?

M. Éric Poyeton. La PFA a été créée, nous l’avons dit, en 2009, après quoi l’État a accompagné le processus par un contrat avec Oséo, devenu Bpifrance, qui, d’un commun accord, vient à échéance cette année. Aussi, à partir de l’année prochaine, la Plateforme s’autofinancera via une mise à disposition de ressources par ses membres. Pour ce qui est des effectifs, la PFA compte, conformément aux engagements pris en 2009, dix personnes détachées par les têtes de filière, constructeurs et équipementiers – sans oublier le secteur des poids lourds. Les travaux de la PFA impliquent, au niveau national, 400 managers ou experts de l’ensemble des entreprises françaises, dans le secteur industriel aussi bien que dans celui de la recherche-développement ou des ressources humaines.

Le CSF est-il perfectible ou satisfaisant ? Il est perfectible, certes – nous avons l’habitude de considérer, dans le secteur automobile, que l’amélioration est infinie. Le fonctionnement est globalement satisfaisant dans le sens où le niveau d’échanges est très intéressant entre les différents bureaux du comité. Nous devons néanmoins veiller à éviter de doublonner les groupes de travail. Le CSF est productif lorsque nous avons des réunions en petit comité. En outre, il nous permet de travailler au niveau inter-filières ; nos collègues du rail et du nucléaire sont ainsi venus observer nos méthodes de travail afin de s’en inspirer, le cas échéant.

Vous m’avez interrogé sur le chiffre de 600 000 emplois que j’ai mentionné au début de mon intervention : il correspond à l’ensemble de l’industrie automobile. Nous prenons en compte une entité dès qu’elle réalise plus de 20 % de son chiffre d’affaires dans l’automobile.

J’en viens au manque de compétences. On peut malheureusement le constater dans tous les domaines. En arrivant à la PFA, j’ai eu à me pencher sur l’industrie de l’emboutissage, secteur qui peut à la fois être surcapacitaire pour certaines pièces, et souffrir, dans certains bassins d’emploi, d’un manque de régleurs, d’ajusteurs… si bien que des entreprises qui souhaitent se développer ne le peuvent pas. Or cette situation n’implique pas nécessairement la mobilité des acteurs, ce que l’on peut fort bien comprendre. Ce manque de compétences affecte des secteurs traditionnels mais également ceux qui nous permettent de préparer l’avenir : je pense aux domaines des multimédias, des logiciels embarqués, de l’électronique embarqué. Hélas, on relève que l’attractivité de l’industrie automobile est en forte baisse comparée à celle, par exemple, du secteur de l’aéronautique. Du coup, nous avons effectivement du mal à attirer les compétences et à les faire monter en puissance. C’est pourquoi il s’agit de l’un de nos axes prioritaires.

Par rapport à 2009, nous avons bien avancé en matière de R&D, notamment depuis que les entreprises ont adopté un mode de travail collaboratif. Nous avons totalement intégré les pôles de compétitivité dans nos travaux – nous organisons désormais des réunions mensuelles où l’esprit collaboratif est tout à fait comparable à celui des meilleures entreprises. Nous avons par ailleurs amélioré notre capacité à parler d’une seule voix et il y a tout lieu de penser que le malheureux exemple du standard des prises pour les véhicules électriques ne pourrait plus se reproduire.

Pour ce qui est de l’efficacité industrielle, plus de 350 entreprises ont adopté une démarche lean – y compris en ce qui concerne les conditions de travail pour lesquelles nous avons établi un référentiel : c’est qu’il existe, si j’ose m’exprimer ainsi, le bon et le mauvais lean comme il y a le bon et le mauvais cholestérol ! Nous travaillons sur ce point, bien sûr, avec les organisations syndicales. Nous sommes engagés en la matière dans une bonne dynamique puisque plus de mille entreprises sont déjà impliquées.

Il reste en revanche beaucoup à faire pour ce qui touche aux compétences, comme je l’ai évoqué. Nous avons mis du temps à nous structurer, à obtenir des moyens et il nous faut désormais donner un coup d’accélérateur.

La PFA a été créée en pleine crise économique – on parlait alors de retournement de conjoncture, les gens ne parvenaient pas à travailler ensemble. Nous sommes désormais plus sereins même s’il reste des problèmes à résoudre. Nombre de nos travaux bénéficient néanmoins déjà à l’ensemble clients-fournisseurs, je songe au code de bonne pratique que nous avons élaboré sur la norme REACH : il permet d’éviter à des entreprises françaises de manquer de matières polymères au fur et à mesure de l’entrée en vigueur de cette norme ; or il est important d’éviter une rupture-matière dans une chaîne de production industrielle.

J’en viens au fonctionnement du CTA. Le Comité s’appuie sur deux conseils. Le premier est celui de la recherche automobile (CRA) où se réunissent les experts en innovation de l’industrie automobile française. Ils définissent les priorités stratégiques puisqu’ils sont à même de savoir dans quels secteurs particuliers il convient de mobiliser le plus d’énergie. Au sein de la PFA, nous sommes convaincus que le futur de l’automobile sera fait d’un ensemble de solutions comprenant du diesel, de l’essence, de l’hybride, de l’hydrogène, de l’électrique, sans oublier les particularités du monde du véhicule utilitaire, du camion et des autocars. Grâce à l’expertise du CRA, nous sommes capables d’orienter les directeurs qui pilotent les programmes tels que « Deux litres aux cent kilomètres » ou « Véhicule autonome ». J’ajoute que les managers sont très impliqués dans les travaux du CRA, ce qui permet d’améliorer la fluidité et l’efficacité des relations avec notre institut pour la transition énergétique, l’institut du véhicule décarboné et communicant et de sa mobilité (VEDECOM). Le second organisme sur lequel s’appuie le CTA est le Conseil de la standardisation technique automobile (CSTA), composé lui aussi de groupes de travail qui mettent en place les actions, les tests, les prototypages qu’il faut mener pour apporter des réponses techniques à des projets, à des idées d’évolution, souvent liés à des normes. Ces deux conseils procèdent donc à des revues de projets donnant lieu, au niveau du CTA, à une discussion stratégique. Cela revient au même qu’une animation en recherche-développement au sein d’une entreprise.

Vous m’avez ensuite interrogé sur le WLTP, le NEDC et le RDE. Le NEDC est une norme instaurée dans les années 1990 pour faire progresser l’automobile sur la question des émissions polluantes. Il s’agissait de créer un référentiel commun. Il y a quelques années, les industriels comme les autorités politiques ont souhaité passer, suivant une logique d’amélioration continue, à une nouvelle norme, en l’occurrence le WLTP qui prévoit des cycles différents – en particulier avec un nombre de kilomètres et une vitesse plus élevés. Il s’agit de durcir les règles pour faire progresser la réponse de l’automobile au besoin de développement durable.

En outre, le fait que mesurer sur bancs ne permet pas de prendre en compte les milliers d’usages différents d’une voiture mais aussi d’un poids lourd ou d’un bus. Il fallait définir une mesure approchant les conditions réelles. Aussi le pourra-t-on grâce à la norme RDE qui entrera en vigueur en septembre 2017, permettant de progresser dans la voie d’une automobile écologique et qui doit être, ajoutons-nous, abordable pour le plus grand nombre et exportable – car nous avons également vocation à défendre l’industrie française.

Ces normes ne s’appliquent pas de la même manière dans les secteurs de l’automobile et du poids lourd, ce dernier étant en avance – la norme antipollution Euro 6 est appliquée depuis le 1er janvier 2014. Il s’agit, en somme, par le biais de ces normes, d’aboutir à un équilibre entre la réduction des émissions de dioxyde de carbone et celle des émissions de particules nocives pour la santé – en effet : la diminution des unes conduit rarement à la diminution des autres.

En forçant quelque peu le trait, je dirai qu’il est plus facile de dépolluer une Twingo qui serait équipée d’un gros moteur V6 diesel qu’une Twingo dotée d’un petit moteur diesel ou d’un petit moteur à essence optimisé et chargé comme il faut. Le leadership de la France sur les émissions polluantes part du principe qu'on optimise l’ensemble du véhicule, optimisation qui nous place dans le champ de contraintes le plus fort. Il est ainsi bien plus facile d’optimiser un camion qui a, certes, un problème de charge utile, mais qui n’aura pas de problème d’implantation des solutions techniques. De la même manière, on aura moins de contraintes avec une grande routière qu’avec de plus petits véhicules urbains et interurbains.

La nouvelle norme est plus représentative de la réalité, et comme rien ne vaut la réalité, la combinaison WLTP-RDE me paraît très bonne. Ainsi le monde de l’automobile s’interroge-t-il face au problème de tricherie aux homologations dont il est en ce moment question car, globalement, la dynamique est en place. La PFA souhaitait d’ailleurs que les dispositions de la norme édictée par Bruxelles la semaine dernière soient effectives dès le mois de mars dernier – et même avant. Le processus européen de définition des normes pose problème car il ne laisse pas toujours aux industriels le temps de réaliser leurs innovations. Il faut en effet prendre en compte le temps qu’il faut pour passer de la validation d’une innovation sur un démonstrateur, un prototype, à la mise en place de toute une gamme : ce n’est pas parce que vous aurez produit une pièce répondant au besoin d’un constructeur pour un gros véhicule, que la pièce en question sera la même pour un petit véhicule ; la réponse technique sera la même mais la pièce, le sous-ensemble, sera totalement différent, y compris d’un point de vue technologique. Pour bénéficier de ce temps de développement, pour réaliser des produits de qualité – il ne faut pas oublier ce que l’automobile exige en matière de sécurité – tous les industriels ont travaillé et défini des hypothèses avant même qu’il y ait un début de rédaction de la norme de 2017, ce qui démontre leur volontarisme : ils prennent le risque de s’engager à améliorer la qualité de leurs véhicules avant même de connaître les conditions détaillées des normes.

Nous construisons notre position commune en fonction de l’évolution des technologies et de notre environnement.

M. Denis Baupin. J’aimerais connaître votre point de vue sur trois questions d’actualité.

Vous affirmez que la crise actuelle ne relève que d’une tricherie. On lit dans la presse que certains commissaires européens étaient pourtant au courant depuis 2013. Pensez-vous qu’il soit crédible que les autres constructeurs automobiles n’aient pas été eux-mêmes au courant du fait que leur collègue trichait – ne serait-ce qu’à travers les comparaisons de leurs véhicules respectifs réalisées par les uns et les autres ?

Ensuite, que pensez-vous des résultats de l’enquête réalisée par le magazine Auto Plus, parue il y a quelques jours ? Cette enquête met en évidence que les véhicules consomment environ 40 % de plus, en moyenne, que ce que révèlent les tests d’homologation ? Les consommateurs paieraient ainsi 40 % de plus leur carburant que ce qu’ils pouvaient imaginer au moment de l’achat de leur véhicule. En outre, l’enquête très détaillée, puisque plus d’un millier de tests ont été effectués, révèle que les véhicules diesel Euro 6, donc les plus récents, consommeraient pour leur part plutôt 70 % de plus qu’annoncé ! Ces données attestent-elles de l’inefficacité des véhicules, de la capacité à tromper les tests de plus en plus importante – qui illustrerait elle-même la difficulté pour les constructeurs de produire des véhicules respectant les normes environnementales en vigueur ?

Ce qui m’amène à ma troisième question sur le programme « Deux litres aux cent kilomètres ». J’ai rédigé un rapport avec la sénatrice Mme Fabienne Keller portant sur les véhicules plus écologiques et donc plus sobres. Vous expliquez que la lutte contre le dioxyde de carbone se fait au détriment de la lutte contre les émissions de particules nocives et inversement – certes, si l’on ne change pas de modèle, mais si l’on décide de fabriquer des véhicules plus petits, qui ne sont pas forcément conçus pour rouler à 180 kilomètres par heure, mais à 130 kilomètres par heure, qui ne comptent pas quatre sièges mais un ou deux, bref, si l’on rompt avec le modèle dominant depuis des décennies, nous pourrons, en même temps que nous luttons contre le dioxyde de carbone, faire baisser les émissions de particules et ainsi être gagnants sur tous les tableaux. Toutes les briques technologiques sur lesquelles travaillent les constructeurs pour diminuer les consommations, j’y suis favorable, mais si l’on y ajoutait la volonté d’en finir avec le système du véhicule à tout faire, quel gain nous obtiendrions ! Dans quelles dispositions vous trouvez-vous à propos de ce changement de modèle ?

M. Éric Poyeton. Pour répondre à votre première question, il me paraît logique que les autres constructeurs n’aient pas été au courant de la tricherie. D’abord, elle est apparue aux États-Unis qui ne sont pas le territoire vers lequel nos constructeurs – à l’exception de grands équipementiers – sont le plus tournés. Ensuite, il ne faut pas oublier que dans l’industrie automobile la succession des normes s’est accélérée – ce n’est pas une critique mais un fait –, si bien que ces mêmes industriels ont le nez dans le guidon. Nous sortons d’une crise plus qu’importante. J’ai travaillé dans le secteur des poids lourds qui a tout de même subi une baisse de 63 % de son activité en volume – et même de 80 % dans le secteur du chantier. Il faut donc gérer l’après-crise. Il nous faut répondre à un besoin d’innovation fort – on évoque beaucoup les normes antipollution mais il ne faut pas oublier la multiplication des normes relatives à la sécurité des véhicules ainsi qu’au bruit qu’ils émettent. En outre, mon expérience personnelle, en tant que patron chez un constructeur, de la stratégie de la marque et des gammes, et aussi du plan relatif aux services et à la garantie, me permet de vous assurer qu’on n’ira pas chercher les informations de ce type sur les autres constructeurs et qu’on ne les écoutera pas non plus.

Je n’ai pas lu dans le détail l’enquête d’Auto Plus puisque je suis chargé de l’ensemble de l’écosystème industriel automobile français et que l’on ne compte, parmi les 5 000 entités dont je m’occupe, que deux constructeurs principaux mais les trois ou quatre autres constructeurs implantés sur le territoire national ne devant évidemment pas être négligés. Je ne suis donc pas forcément focalisé sur ces questions. On sait qu’il existe un écart entre le niveau d’émissions constaté par l’usager et celui qui est enregistré dans le cadre du cycle d’homologation. Quant à savoir si cet écart a augmenté, plus on adopte de normes Euro 4, Euro 5 et Euro 6, plus les conditions dans lesquelles sont testés les véhicules sont sévères de sorte que cet écart ne tend pas à diminuer. En revanche, le niveau global d’émissions, lui, baisse : un usager qui effectuait le trajet de Paris à Nantes avec un véhicule des années 1990 et qui refait ce même trajet aujourd’hui, qu’il roule à l’essence ou au diesel, notera une forte baisse de la consommation de son véhicule alors même que ce dernier est beaucoup plus confortable, plus sûr et bien mieux équipé qu’à l’époque. Quant aux émissions de particules PM10 et PM2.5, elles sont 50 % moindres, alors même que le parc roulant a augmenté de 40 %. C’est en raison de ces écarts que WLTP et RDE sont des normes importantes et que les industriels français soulignent depuis le début de l’année la nécessité de les adopter le plus tôt possible – même si d’autres pays automobiles auraient préféré se donner encore un peu de temps pour réfléchir. Nous n’avons jamais été opposés à l’évolution des normes. Simplement, nous souhaitons avoir le temps de faire les travaux de recherche-développement nécessaires pour y répondre dans l’ensemble des gammes. Car tout comme les villes et les États, les constructeurs ont des obligations à respecter en termes d’émissions de leur flotte – telles que la norme Corporate Average Fuel Economy (CAFE) en 2021. Si un fournisseur a dix clients différents – équipementiers ou constructeurs –, cela représente une charge importante de R&D.

Quant à faire évoluer l’architecture des véhicules, les projets foisonnent mais sans succès pour le moment car encore faut-il trouver des solutions qui soient économiquement viables. Cela reste malheureusement difficile pour les véhicules adaptés à un seul usage. Il faut en effet veiller au business model de l’engineering en vérifiant si l’on produira des véhicules en quantité suffisante pour que cette production soit économiquement réaliste. Il convient aussi de s’assurer que la vie du véhicule sera performante : il se peut très bien qu’un véhicule très spécialisé trouve peu d’acheteurs. Si les changements sont certains, ils porteront principalement, selon nous, sur le véhicule autonome qui représente une rupture tant du point de vue de l’architecture, de l’habitacle et de la responsabilité que sur le plan sociétal. Il existe déjà dans nos gammes, européennes ou ailleurs dans le monde, de nombreux véhicules deux places. Mais on ne peut reproduire l’expérience de la Nano de Tata qui s’est soldée par un véritable échec.

M. Christophe Bouillon. Si je comprends bien, la voiture du futur, qui tend à devenir un concentré de technologies, sera propre, connectée, autonome et abordable. Comment tenir compte de ces enjeux tout en limitant le poids des véhicules, qui ne nous paraît pas aller en diminuant, sachant que plus les véhicules sont lourds, plus ils consomment ?

M. Éric Poyeton. Le pic de leur montée en poids est derrière nous. Depuis plus de cinq ans, les véhicules produits sont plus légers que leurs prédécesseurs. Dans la gamme routière, l’allègement peut être supérieur à cent kilos d’un modèle au suivant : il constitue l’une des priorités de l’industrie automobile et fait l’objet de constants travaux d’innovation. Ayant eu l’occasion de visiter de nombreuses entreprises, je puis vous dire que les progrès réalisés en ce domaine sont remarquables. L’allègement est un enjeu qui réunit l’ensemble de la filière : le constructeur en parlera de la même manière que son équipementier.

Mme la rapporteure. Vous estimez que la nouvelle norme a été adoptée tardivement. Il est vrai qu’elle était en discussion depuis très longtemps. J’ai bien saisi votre propos quant au délai de décision et la capacité d’adaptation des industriels. Le Comité technique automobile a-t-il pris position sur la norme RDE ? Avez-vous assuré une veille et actualisé vos positions publiques sur le sujet, qui datent de 2014, pour tenir compte de la négociation européenne de ces normes ? Le résultat annoncé le 28 octobre dernier est-il satisfaisant pour la Plateforme de la filière automobile ? Ne pourrait-on faire mieux qu’un écart de 110 % en 2017 entre la norme Euro 6 et les nouveaux tests d’homologation ?

Vous avez affirmé que l’avenir résidait dans une diversité de solutions, tant en termes de carburant que de motorisation. Dans le même temps, vous avez indiqué en réponse à M. Denis Baupin que les véhicules adaptés à un seul usage n’étaient pas viables économiquement. Or, lors de nos précédentes auditions, nous avons observé une logique de spécialisation dans les différents types de motorisation et de carburant.

S’agissant du programme « Véhicules deux litres aux cent kilomètres », on sait que deux litres équivalent à cinquante grammes de CO: les nouveaux tests vont-ils faire évoluer l’objectif visé dans ce programme ? Les financements alloués à ce projet dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir (PIA) vous paraissent-ils suffisants ? Vous nous avez indiqué tout à l’heure avoir joué un rôle de mobilisation des PME : le soutien de la puissance publique à ce programme est-il suffisamment puissant ?

Pourriez-vous évoquer le programme VALDRIV-PLM ? L’économie circulaire et l’analyse du cycle de vie nous intéressent en effet aussi.

Enfin, j’ai cru comprendre en lisant vos travaux que la filière française à l’exportation avait une marge de progression : qu’en est-il ?

M. Éric Poyeton. S’agissant de la nouvelle norme, nous avons bien sûr actualisé notre position au fur et à mesure de l’avancement des discussions. Au début de l’année, par exemple, la filière automobile a exprimé d’une seule voix, très tôt, qu’elle n’était pas d’accord pour que la vitesse maximale des essais soit supérieure à 130 kilomètres par heure. Mais bien que nous suivions l’actualité, ce sujet concerne davantage les constructeurs que l’ensemble de la filière. Nous avons donc décidé de confier son traitement aux acteurs compétents.

Je n’ai pas à me prononcer sur les décisions qui ont été prises – dont je ne connais d’ailleurs pas le détail. Mais le peu d’informations dont je dispose me porte à croire que les normes à atteindre seront pour nous un défi mais qu’elles apporteront aussi une amélioration. Les commentaires que l’on peut lire dans la presse ne s’appuient pas sur les faits. Ils font fi de la nécessité de partir de la référence des véhicules d’aujourd’hui et non de la position des instances européennes et de celle du groupe qui a décidé de ces normes – les industriels français au sens large souhaitant passer à la première étape dès septembre 2017.

Selon le CTA, plusieurs points doivent être impérativement traités pour préparer l’automobile du futur. Il convient tout d’abord de raisonner en termes d’usage et de renouvellement du parc. Si, aujourd’hui, tous les véhicules étaient conformes à la norme Euro 5 ou Euro 6, peu importeraient les écarts entre les résultats d’un cycle sur bancs et la réalité constatée par chaque usager. Le secteur automobile a su démontrer par ses efforts de R&D ce dont il était capable. Mais l’âge moyen des véhicules, qui est de 8,7 ans, est malheureusement en augmentation. Et 37,5 % du parc de véhicules européens a plus de dix ans. Ensuite, nous estimons qu’il est indispensable de réfléchir aux problèmes de congestion et de massification des flux : par exemple, 53 % des émissions issues du transport de marchandises résultent de la congestion. Les industriels étant là pour travailler avec l’ensemble de leurs clients dans tous les pays qui utilisent l’automobile, il importe aussi de raisonner en termes de système de transports et de prévoir un business model équilibré qui n’inclue pas les subventions à l’achat et au remplacement des véhicules – l’existence de ces subventions ayant tendance à fluctuer avec le temps.

Nous nous efforcerons également de faire en sorte que quatre aspects plus « soft » soient pris en compte. Nous avons tout d’abord besoin de stabilité sans quoi nous épuisons nos budgets ainsi que les efforts de R&D de nos entreprises. Ainsi, par exemple, le va-et-vient des décideurs politiques et économiques mais aussi des usagers au sujet de l’écotaxe poids lourds nous a-t-il été dommageable. La capacité à anticiper l’adoption de normes nous importe beaucoup de même que la neutralité technologique des produits qui s’y conforment. Je ne pense pas que le déchaînement aurait été tel si Volkswagen avait triché sur un moteur à essence – qui n’émet ni oxygène ni fleurs mais des particules plus fines qu’un moteur au diesel ! Il convient en outre de raisonner en termes de cycle de vie : au cours de ses vies multiples, un véhicule peut se heurter à des problèmes techniques qu’il n’avait pas auparavant. Aujourd’hui, pour amoindrir les émissions des véhicules, il est nécessaire d’utiliser des carburants ayant un taux de soufre de plus en plus faible. Dans certains pays comme la Russie, ce taux est catastrophique. Il est donc problématique de ne plus avoir accès au marché des véhicules neufs et d’occasion de ces pays. On sait aussi que les écarts d’émissions peuvent varier de plus de 10 % suivant l’entretien que l’on fait d’un véhicule. Le manque d’entretien peut évidemment expliquer certains écarts constatés par l’usager. Enfin, il conviendrait que les industriels de la filière soient porteurs de solutions en matière d’éco-conduite – et c’est le cas : une célèbre entreprise, dont l’un des membres éminents préside la PFA, s’est lancée dans cette direction, en aidant ses clients à développer l’éco-conduite sur des véhicules lourds.

Je ne suis pas en opposition avec vous s’agissant de la diversité des solutions existantes. C’est de la diversité d’usages des véhicules que j’ai parlé, indiquant qu’elle pouvait être servie par une moindre diversité des motorisations.

Notre objectif étant de tirer vers le haut l’innovation de la filière, le programme « Véhicule deux litres aux cent kilomètres » correspond à cinquante grammes de CO2, peu importe que l’on fasse référence à la norme RDE ou à la WLTP. Si nous voulions être encore plus provocateurs et envoyer un signal encore plus fort aux industriels quant à nos attentes en matière d’innovation, c’est une norme d’un litre aux cent kilomètres que nous imposerions. Les industriels des PME et ETI étant tout le temps le nez dans le guidon, nous leur fixons ces objectifs pour les inciter à innover mais l’intitulé de ce programme est plutôt un terme de marketing.

Si le soutien au financement dudit programme est fort, il manque d’homogénéité. Nous sommes très satisfaits de l’Initiative PME 2015 que nous avons élaborée en commun avec le CGI, l’ADEME et la direction générale des entreprises du ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique (DGEMEIN). L’appel à projet « Véhicules et transports du futur » est très intéressant. Mais parallèlement, l’accès des projets « automobile » au Fonds unique interministériel (FUI) diminue. Or, c’est un dispositif complémentaire du précédent. Nos adhérents nous ont déjà fait savoir que neuf projets collaboratifs d’innovation automobile avaient été mis de côté au motif qu’il n’était plus possible de les inscrire dans le FUI, complémentaire des autres dispositifs. Par cohérence, nous nous appuyons sur l’ITE de VEDECOM et sur les IRT « System X » et « Jules Verne ». Mais si les IRT donnent droit au doublement du crédit impôt recherche (CIR), ce n’est pas le cas des ITE. Il est donc possible d’améliorer le financement de projets conduisant à rendre les véhicules plus économes, plus abordables et plus facilement exportables.

S’agissant de VALDRIV-PLM, la gestion de la valeur ajoutée par les outils numériques passe par les têtes de filière. Celles-ci ont choisi un système français – sachant qu’il existe également sur le marché un système allemand. Derrière ce système, nous essayons de faciliter la vie aux fournisseurs tant en matière de standards que de compétences. Nous essayons notamment d’être aussi performants, en termes de standards, que le sont nos collègues de l’aéronautique, dans le cadre du programme « Boost-Industrie » de l’Association française du numérique dans les filières industrielles (AFNET), et nos collègues allemands. Il faut faire naître des standards qui soient favorables à l’industrie française pour que la continuité et le collaboratif de l’innovation ainsi que la facilité de gestion de l’information de la pièce ou du produit tout au long de sa vie soient les meilleurs possible pour nos industriels français. Nous travaillons beaucoup à l’élaboration de standards, souhaitant des standards français et pas forcément des standards allemands. Nous aspirons bien sûr à la création de standards européens mais sans doute une étape préalable est-elle nécessaire. D’autre part, nous souhaitons dans le cadre du PLM faire entrer les plus petites entreprises dans le numérique. C’est pourquoi nous concentrons nos actions sur le soutien à la création en région Bretagne d’un centre de formation et d’acculturation des entreprises au PLM et à ses outils. De cette manière, nous favorisons l’économie circulaire en encourageant le partage de l’information produit dès l’idée de sa naissance jusqu’à son après-vente. C’est un travail de longue haleine pour lequel je crois que nous aurons la chance de bénéficier du soutien de l’appel à projet « Partenariats pour la formation professionnelle et l’emploi » (PFPE) dans le cadre du PIA.

Enfin, en ce qui concerne la filière française à l’exportation, nos constructeurs et nos équipementiers accomplissent un travail remarquable. Il faut accompagner les plus petites entreprises aussi bien en amont – tant qu’elles n’ont pas pris la décision de se lancer – qu’en aval. En amont, il fallait que la filière se prenne en main. Nous avons donc passé les douze derniers mois à définir la manière de nous organiser. Nos compétences sont regroupées à la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV). Il nous faut rapprocher de cette fédération les ARIA, les pôles de compétitivité, des experts et des constructeurs. Nous avons obtenu de premiers résultats. Avec le soutien de Business France, nous avons organisé des Tech days chez BMW il y a plus de douze mois : aujourd’hui, quatre des vingt entreprises présentes à ces rencontres ont décroché de potentielles commandes auprès de cette entreprise allemande. Plus de 150 fournisseurs potentiels ont participé à une réunion que nous avons organisée pour le projet de développement de PSA au Maroc. Nous allons poursuivre dans cette voie : nous savons que faire et comment le faire, il reste à passer à l’action. Nous franchirons une étape importante en 2016. L’accompagnement s’appuie souvent sur des compétences précises que nous n’avons aucun problème à trouver ou à faire naître dans nos entreprises.

M. Denis Baupin. Vous affirmez que les tentatives de création de certains types de véhicules plus écologiques n’ayant pas trouvé leur business model, elles se sont soldées par un échec. Mais les véhicules concernés se trouvent dans un milieu concurrentiel face à d’autres qui, pour respecter les normes écologiques, trichent soit à l’aide de logiciels soit en construisant des véhicules qui émettent beaucoup plus en fonctionnement que ne le prévoient ces normes. Si on en est arrivé là, c’est que les constructeurs n’arrivent pas à trouver un business model qui respecte les normes tout en leur permettant de vendre leurs véhicules. La question des normes écologiques et du business model doit donc être posée dans les deux sens. Dès lors qu’on permet légalement à certains de déroger aux normes – comme il vient d’en être décidé au niveau européen –, il est évident que ceux qui, pour les respecter, font des choix plus ambitieux, risquent forcément de ne pas trouver de business model. En d’autres termes, le serpent se mord la queue. En revanche, si on imposait vraiment aux constructeurs l’obligation de respecter les normes qui ont été fixées – et si elles l’ont été, c’est non par hasard ou pour faire plaisir à tel ou tel mais en raison du dérèglement climatique et de la pollution de l’air, enjeux prioritaires du point de vue de l’intérêt collectif –, les constructeurs développant ces nouveaux types de véhicules ne trouveraient-ils pas un business model ?

D’autre part, je crois vous avoir entendu dire qu’en cas de congestion, il était évident que le niveau d’émissions était très supérieur à celui enregistré dans le cadre des homologations. Le problème, c’est que c’est en ville, là où se trouve la population et que se posent les problèmes de santé publique, que congestion il y a. Un véhicule émettant des pollutions importantes au fin fond de la campagne est certes nocif mais c’est autre chose lorsque des dizaines de milliers d’entre eux en même temps en émettent autant dans un endroit où de nombreuses personnes respirent. Il est intéressant de tester des véhicules sur l’autoroute à 130 kilomètres par heure pour mesurer le niveau de pollution mais cela ne suffit pas. Certes, le mécanisme RDE comprendra des tests en milieu urbain mais pour des véhicules circulant à vingt ou trente kilomètres par heure. Or, la vitesse moyenne de circulation à Paris n’est que de seize kilomètres par heure, et ce depuis trente ans. La congestion automobile est d’ailleurs liée à la taille des voitures. Comme j’ai eu l’occasion de le souligner dans mes anciennes fonctions, on ne peut pousser les murs des immeubles mais l’on peut réduire la taille des véhicules pour permettre aux conducteurs de rouler et stationner plus facilement. Et indépendamment de cet aspect, si l’on considère comme normal que les résultats des tests d’homologation soient très différents de ce que l’on constate dans les lieux de congestion, à quoi servent les normes de pollution ? Car c’est à l’intérieur des villes que se posent les problèmes de santé publique ayant conduit à l’adoption de ces normes.

M. Éric Poyeton. Un business model n’est opérant qu’en cas de volume suffisant. Et la taille critique de nos constructeurs et de nos entreprises n’est pas un problème en la matière. Pour évaluer ce volume, les constructeurs, les équipementiers et les fournisseurs prennent en compte de la multiplicité des clients et des pays sur l’ensemble des marchés mondiaux. En termes technologiques, il faudra attendre un certain temps avant d’atteindre un volume suffisant de véhicules à l’hydrogène pour obtenir un business model efficace. En outre, comment produire de l’hydrogène de façon écologique ? Autre exemple : le financement du projet « Équilibre », qui tend à développer le recours à l’énergie gaz sur les véhicules utilitaires et industriels, part d’un bon principe puisqu’il vise à établir un business model rentable, c’est-à-dire à déterminer à partir de quel nombre de véhicules une station est rentable. L’innovation n’est donc pas que technique : elle concerne aussi les business models. L’ADEME apporte une aide à l’amorçage du projet « Équilibre » mais une fois que les volumes auront atteint la taille critique, le business model sera effectif sans subventions et donc exportable. Il importe de développer des modèles qui fassent du volume plutôt que de retenir des solutions condamnées à demeurer des solutions de niche.

Vous avez raison en ce qui concerne la congestion. Mais la vitesse moyenne du cycle est très faible, d’environ vingt-trois kilomètres par heure. Il est facile de se retourner aujourd’hui contre le cycle NEDC mais il a été créé à une époque où il n’en existait aucun et où l’on ne disposait pas des données désormais collectées par l’ADEME et l’Association interdépartementale pour la gestion du réseau automatique de surveillance de la pollution atmosphérique et d’alerte en région d’Île-de-France (AIRPARIF). Le cycle WLTP est amélioré. Il prend en compte beaucoup plus de phases. Et surtout, c’est parce que nous souhaitons agir dans le sens que vous avez indiqué qu’un accord a été conclu en faveur de l’adoption de la norme RDE. Il manquait jusqu’à aujourd’hui à la mesure des émissions réelles un protocole et une norme de mesure. Et aujourd’hui, je vous confirme que les industriels français respectent ces normes – qui sont ce qu’elles sont. Celles-ci évoluent rapidement mais nous n’avons jamais remis en cause ce rythme. Les industriels ont exprimé la volonté que les nouvelles normes soient en vigueur en septembre 2017 et jusqu’en 2021. Il y aura quasiment une nouvelle étape normative par an. Peu d’industries sont soumises à un tel rythme et doivent de la sorte conduire une R&D en cohérence avec ces normes. Car qui développe un modèle pour 2017 a aussi intérêt à ce qu’il reste conforme en 2021 sans quoi il aura un problème de business model.

Mme la rapporteure. Vous avez indiqué qu’il était prioritaire d’accélérer le renouvellement du parc automobile mais, selon vous, sans prime à la casse. Quelle politique publique permettrait-elle d’y parvenir ? Que pensez-vous de l’actuelle prime à la conversion ?

En 2012, votre Plateforme a pris position contre l’investissement dans les moteurs à l’hydrogène. Certains constructeurs dans d’autres pays développant des programmes en ce sens, pensez-vous que la filière automobile française doive en faire autant ?

M. Éric Poyeton. Je me suis sans doute mal exprimé concernant la prime à la casse. C’est un sujet sur lequel la PFA n’a pas à se prononcer car il concerne uniquement les constructeurs. La PFA considère qu’il faut prioritairement agir en faveur du renouvellement du parc tout en ayant conscience de tous les paramètres à prendre en compte – y compris le fait que l’âge moyen d’achat d’un premier véhicule neuf en France est de cinquante-trois ans.

Nous venons de faire évoluer notre position concernant l’hydrogène, en considérant qu’il fera partie de la batterie des solutions. Nous ne voyons aucune raison de dire qu’il constituera la solution principale pour la motorisation des voitures mais nous sommes conscients qu’il est une solution en tant que prolongateur d’autonomie, notamment pour les véhicules lourds et utilitaires. Nous sommes d’ailleurs très satisfaits de l’expérimentation du projet conduit sur les véhicules utilitaires Kangoo de La Poste. En outre, l’automobile pourra entrer comme consommateur dans un écosystème fonctionnant à l’hydrogène et tenant compte de la notion de smart grid (réseau intelligent) mais ce n’est pas notre secteur industriel qui favorisera le déploiement de l’hydrogène en tant que carburant. Nous le démontrons dans le document exposant notre prise de position actualisée que nous nous apprêtons à publier. Ainsi que je l’ai souligné lorsque j’ai été auditionné sur le sujet, l’hydrogène peut être un excellent substitut au diesel pour les groupes électrogènes tournant de façon stationnaire dans de nombreux endroits du monde et en particulier dans un nombre incalculable de pays d’Afrique, d’Asie et d’Europe. Il serait alors facile de le faire remplacer du diesel Euro 2, non taxé, alimentant des installations fixes. Il est des secteurs dans lesquels l’hydrogène peut être un substitut et dans lesquels, en tant que fournisseurs de motorisation, nous accepterions de voir nos moteurs remplacés par d’autres.

M. Jean Grellier. Dans le cadre du plan industriel « Usine du futur », on réfléchit actuellement au retrofitting (réaménagement) des bus urbains en lien avec la RATP. L’objectif est de déterminer comment les rééquiper de moteurs à énergie plus propre. On n’en est aujourd’hui qu’aux balbutiements puisqu’il est question d’élaborer un premier prototype susceptible d’utiliser différentes formes d’énergie dont le gaz et l’hydrogène. Si l’on parvient à réaménager les bus, on peut supposer qu’il soit possible d’en faire autant pour les poids lourds. Peut-on envisager la même solution pour des véhicules légers de tourisme à l’avenir ? Si le renouvellement du parc prend dix à quinze ans, on n’obtiendra pas les retombées souhaitées en termes environnementaux avant cette période. Ne pourrait-on par conséquent suivre des démarches permettant d’accélérer ce renouvellement ?

M. Éric Poyeton. Il ne peut être que bénéfique de porter plus d’attention à ce sujet. Mais je ne vois pas du tout comment transposer cette démarche à la voiture : personne n’acceptera de supporter le coût de ce retrofit. En revanche, dans le business to business, c’est-à-dire pour les véhicules industriels, utilitaires, les autocars et les bus, les possibilités et les innovations existent. Le pôle LUTB a notamment mené des études et établi des comparaisons européennes sur le sujet. Reste à savoir si ces projets sont conformes aux normes qui viennent d’être durcies. C’est un point à ne pas négliger : de nombreux travaux sont effectués pour convertir de gros moteurs diesel en moteurs à gaz mais ils n’ont pas abouti alors que l’on a investi de l’énergie dans des projets franco-italo-espagnols dans des volumes conséquents. Cela étant, on ne perdrait rien à envoyer un signal à l’écosystème afin qu’il s’intéresse davantage à cet enjeu, y compris en termes de business model, et qu’il soit plus créatif en la matière.

M. Philippe Kemel. Vous nous avez indiqué que le crédit impôt recherche était différent suivant le procédé de recherche utilisé, ce qui signifie qu’une forme de régulation s’exerce déjà par le biais de ce dispositif fiscal. Quelles normes en vigueur vous incitent-elles à produire des véhicules plus propres ou à calculer les cycles du produit ? Que conviendrait-il de faire en termes de régulation pour favoriser les démarches vertueuses ?

M. Éric Poyeton. Je crains de ne pas être suffisamment expert pour vous répondre. Dans un écosystème tel que la filière automobile, il nous faut une animation nationale des animateurs d’écosystème régionaux et locaux, des IRT et des ITE. Or, nous en avons. Il est vrai que le régime fiscal des IRT donne droit au doublement du CIR, ce qui n’est pas le cas du régime de l’ITE automobile. Mais je n’ai pas l’expertise nécessaire pour vous en dire davantage.

M. Philippe Kemel. Quels partenariats avez-vous conclus avec l’Agence nationale pour la formation automobile (ANFA), où l’on retrouve l’ensemble du système visant à réparer les moteurs automobiles et à maintenir le respect des normes en vigueur ?

M. Éric Poyeton. Nous nous sommes lancés dans une démarche de partenariat figurant dans notre contrat stratégique de filière. Un groupe de travail co-piloté par un représentant syndical et le directeur des compétences de la PFA mène une action tendant à assurer la synergie entre l’amont et l’aval de la filière. Il y a beaucoup d’opportunités à créer en ce domaine. Le président du Conseil national des professionnels de l’automobile (CNPA) et le président de la PFA l’ont rappelé récemment lors de rencontres ainsi que dans un échange de courriers et les premières séances de travail commun ont eu lieu très récemment. Cette idée est en plein devenir et vous prêchez un convaincu. Je peux vous en parler sous le contrôle de votre collègue M. Xavier Breton : lorsque j’étais patron de l’usine de Bourg-en-Bresse, je souhaitais créer des passerelles entre le monde de l’usine d’assemblage et celui de la distribution. On a en effet besoin, en projet, de compétences de retouches en usine à la suite de quoi le niveau de retouches diminue. Or, les distributeurs sont d’excellents réparateurs de véhicules, ce qui illustre concrètement l’utilité de créer des passerelles entre l’amont et l’aval. L’amont de la filière est bien conscient de la force de frappe de l’ANFA et ne dispose d’aucun équivalent, ayant fait le choix de développer des écoles des métiers proches des besoins des industriels ainsi que des universités. Et de plus en plus d’industriels ont développé leurs propres universités et écoles des métiers. Il faut donc rapprocher un amont, dans lequel l’implantation est proche des besoins industriels et qu’il faut fédérer en réseau, et, en aval, une puissance de frappe qui est implantée dans toutes les régions. Nous y travaillons effectivement.

Mme la rapporteure. Pourriez-vous nous fournir des informations plus détaillées s’agissant du crédit impôt recherche comme des projets affectés par la diminution du FUI, ainsi que vos positions sur la norme RDE ? Comment améliorer l’attractivité de la filière pour favoriser le recrutement des compétences ?

M. Éric Poyeton. Il nous faut mener des actions de terrain auprès des familles, des jeunes et des enseignants. Cela demande beaucoup de sueur et quelques moyens – que l’on pense trouver dans les campus des métiers et des qualifications – mais ce n’est pas le plus difficile à faire. Ensuite, il est nécessaire d’assurer un management de l’attractivité. L’ensemble des employés de l’industrie automobile sont fiers de leur industrie même si certains ont traversé des périodes difficiles. Nos salariés sont donc porteurs de cette attractivité. Encore faut-il qu’ils ne soient pas perturbés par des messages négatifs véhiculant l’idée que l’automobile serait sale et polluante, que les constructeurs et équipementiers seraient des lobbyistes indifférents à la cause environnementale et qu’ils refuseraient d’évoluer. Nous n’avons pas la chance, comme dans l’aéronautique, de défendre une cause européenne, le constructeur européen étant seul face au constructeur américain. Il nous faut aussi savoir traverser ces périodes et travailler dans la durée en adoptant une démarche de fond. Cet enjeu pourrait faire l’objet d’un Comité stratégique de filière automobile d’autant que de nombreux sujets restent uniquement abordés non pas en son sein mais en dehors de ce comité. Pour parler de la stratégie de la filière, il faut que l’ensemble des ministères soient présents. Il nous faut être persévérants et nous dire que dans l’automobile, ce que l’on fait vaut mieux que ce que l’on dit. Ensuite, les résultats seront là. Comme nous le voyons depuis plus de vingt ans.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Je vous remercie, monsieur le directeur général, de cette audition pleine d’espoir.

La séance est levée à dix-huit heures cinquante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Réunion du mardi 3 novembre 2015 à 17 heures

Présents. - Mme Delphine Batho, M. Denis Baupin, M. Christophe Bouillon, M. Xavier Breton, Mme Estelle Grelier, M. Michel Heinrich, M. Philippe Kemel, M. Rémi Pauvros, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. - M. Denis Jacquat, M. Jean-Pierre Maggi, Mme Sophie Rohfritsch