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Mercredi 18 novembre 2015

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 7

Présidence de Mme Sophie Rohfritsch, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Christophe Lerouge, chef du service de l’Industrie à la Direction générale des entreprises.

Mission d’information
sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

La séance est ouverte à seize heures trente.

La mission d’information a entendu M. Christophe Lerouge, chef du service de l’Industrie à la Direction générale des entreprises.

Madame la présidente Sophie Rohfritsch.  Nous recevons aujourd’hui M. Christophe Lerouge, chef du service de l’industrie à la direction générale des entreprises (DGE). Il est accompagné par M. Alban Galland, chef du bureau chargé du secteur automobile. La DGE est une administration technique, à vocation stratégique, placée sous l’autorité du ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Elle a succédé, l’an dernier, à la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services, alors plus connue sous le nom de DGCIS.

Certains des interlocuteurs de la mission ont regretté devant nous qu’il n’existe plus une grande direction générale ayant pleinement compétence sur l’industrie dans son ensemble. La semaine passée, le professeur Élie Cohen soulignait ce point. Il a même parlé devant nous d’« un effondrement silencieux » du secteur automobile en France, principalement du point de vue de la production sur notre sol.

Néanmoins, les pouvoirs publics conçoivent et mettent en œuvre divers dispositifs d’accompagnement et des aides au secteur automobile, notamment depuis la crise de 2008-2009. Un Pacte automobile a été défini en 2009, relayé aujourd’hui par le Conseil national de l’industrie (CNI) et un comité stratégique de filière.

En outre, un autre interlocuteur de la mission nous a fait part de certaines difficultés dans l’attribution des aides au développement d’innovations majeures dans le cadre du Fonds unique interministériel (FUI), qui ne relèverait apparemment plus de la compétence de votre direction mais de la Banque publique d’investissements ou Bpifrance.

Messieurs, il conviendrait que cette audition soit l’occasion de nous éclairer sur l’articulation de ces différentes structures avec une mise en perspective dans l’actualité des actions ainsi soutenues.

Nous attendons aussi des précisions sur les orientations stratégiques de la « filière du diesel ».

Il vous faudra enfin évoquer la question des normes d’homologation des véhicules en matière de polluants à l’échappement. Quelle administration est-elle compétente en la matière ? Qui négocie à Bruxelles au nom de la France et avec quel mandat technique ?

M. Christophe Lerouge, chef du service de l’industrie à la direction générale des entreprises (DGE). Je tiens tout d’abord à indiquer que je représente mon directeur général, Monsieur Pascal Faure, qui n’a pu se rendre à cette audition. Je suis, au sein de la DGE, le chef du service de l’industrie qui emploie une centaine de personnes et qui est organisé en trois grandes sous-directions, chacune composée de bureaux sectoriels. Notre administration assure un suivi des grands secteurs industriels et l’un de nos bureaux, représenté cet après-midi par son chef, Monsieur Alban Galland, est spécialisé dans le secteur automobile.

Je reviendrai sur la manière dont nous travaillons avec les grands acteurs du monde de l’automobile ainsi qu’avec le CNI et le comité stratégique de filière– que vous avez cités. J’aborderai aussi les questions de financement des projets de recherche-développement par le FUI.

Il existe quatorze comités stratégiques de filière (CSF), correspondant chacun à une grande filière industrielle. Les CSF résultent des travaux menés en 2009-2010, à la suite des Etats généraux de l’industrie, ayant institué le CNI. Douze CSF ont été créés au départ, puis d’autres sont venus les compléter. Nous disposons d’un comité stratégique dans la filière automobile pour la raison évidente que cette industrie est structurante pour notre tissu économique et d’ailleurs pour l’ensemble de l’industrie française. Ces comités stratégiques ont pour vocation première d’œuvrer à l’organisation des échanges entre les entreprises d’une filière, essentiellement entre les grands donneurs d’ordres et les sous-traitants. Et la filière automobile est effectivement organisée avec deux grands constructeurs en France – Renault et PSA – et toute une chaîne de sous-traitants de rang 1 – tels que Valeo et Faurecia – à la suite de quoi on descend dans la chaîne de sous-traitance. Les comités stratégiques sont organisés de façon à permettre un « trilogue » entre les organisations patronales, les organisations syndicales représentatives des salariés et les pouvoirs publics – c’est-à-dire l’administration chargée du domaine. Selon les CSF, plusieurs administrations peuvent être concernées. En l’occurrence, c’est le ministre chargé de l’industrie qui suit le CSF automobile. Les CSF se réunissent en session plénière une fois par an, voire plus si nécessaire, et sont organisés en un bureau et avec des groupes de travail fonctionnant régulièrement selon les différents plans d’actions définis et conduits au fur et à mesure. On compte parmi les membres du CSF automobile un vice-président, Monsieur Michel Rollier – par ailleurs président de la Plateforme de la filière automobile (PFA) et ancien grand dirigeant de Michelin – ; pour les organisations patronales, l’ensemble des grands acteurs du secteur – Renault, PSA, Valeo, ou encore Plastic Omnium … – ; les organisations professionnelles c’est-à-dire les grandes fédérations – la Fédération de l’industrie mécanique, l’Union des industries et des métiers de la métallurgie, les fédérations représentant les équipementiers et les réparateurs automobiles – et enfin, les grandes organisations syndicales impliquées dans le secteur automobile.

Dans chaque CSF, un contrat stratégique de filière, négocié entre ses partenaires, prévoit plusieurs actions. En matière automobile, un nouveau contrat a été défini et validé il y a peu ; le comité stratégique s’étant réuni pour la dernière fois en session plénière au mois de septembre. Ce contrat prévoit une nouvelle feuille de route pour la période 2015-2017 et des actions à mener. La première action – « Se projeter » - vise à la définition d’une stratégie pour la filière à moyen-long terme et à permettre d’anticiper les besoins de compétences et de mieux accompagner l’employabilité des salariés. La deuxième action – « Innover » – concerne les grands programmes prioritaires de recherche et développement. On y retrouve les questions technologiques de réduction de la consommation, avec le véhicule « deux litres aux cent kilomètres », d’amélioration de la production grâce au développement d’usines du futur et le traitement de tout ce qui peut avoir un fort impact sur la filière automobile, comme l’utilisation de nouveaux matériaux. La troisième grande action – « Se développer » – vise à travailler sur les questions d’organisation et de consolidation de la filière. Il y a toute une gamme de sous-traitants dans le secteur automobile dont la masse critique est insuffisante. C’est pourquoi un travail est effectué afin d’essayer de restructurer la filière et ainsi de faire monter en gamme les petites et moyennes entreprises (PME), de constituer des entreprises de taille intermédiaire (ETI), de les rendre plus fortes et de leur permettre d’aller à l’international. Le dernier grand axe de ce contrat stratégique de filière s’intitule « Collaborer » : il vise les relations entre les entreprises de la filière et en particulier les relations entre les grands donneurs d’ordres et les sous-traitants. Vous le savez, un des points problématiques pour les entreprises réside dans la pression que font peser les grands donneurs d’ordres sur leurs sous-traitants et dans le fait que les sous-traitants aient connu des difficultés ces dernières années, liées peut-être à une pression trop importante d’entreprises comme Renault et Peugeot. Cela peut aussi expliquer des différences entre ce qu’il se passe dans les filières automobiles française et à l’étranger.

Schématiquement, le CSF automobile est une organisation que l’on retrouve dans d’autres filières industrielles. Mais l’automobile est un des secteurs industriels dans lesquels on peut vraiment parler de filière au sens de répartition d’une chaîne de valeur existant entre les entreprises. Lorsqu’un nouveau programme tel que le véhicule « deux litres aux cent kilomètres » est développé, il faut aborder des questions de motorisation, de matériaux et de performance automobile au sujet desquelles toute la chaîne est-elle affectée : lorsqu’on allège la structure d’un véhicule, il faut que tous les sous-traitants puissent contribuer à cet objectif.

Le CSF automobile dépend d’une superstructure qu’on appelle le Conseil national de l’industrie (CNI). Ce dernier réunit les représentants des organisations patronales – le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) –, les grandes organisations syndicales et l’administration. Je suis à titre personnel membre du bureau du CNI qui couvre l’ensemble des secteurs industriels – c’est-à-dire les 14 CSF. Le CNI travaille aussi sur des sujets transversaux : son objectif est de faire en sorte que l’industrie manufacturière et l’intérêt de la production en France, des entreprises et des usines françaises soient bien prises en compte par l’ensemble des politiques publiques, non seulement par le ministère de l’industrie mais aussi par les autres ministères. Le CNI rend pour ce faire chaque année quatre ou cinq avis sur de grands thèmes transversaux. Ainsi par exemple, en amont de l’élaboration de la loi pour la transition énergétique et la croissance verte, le CNI a émis un avis qui a été remis à Mme Ségolène Royal pour que soient pris en compte les intérêts de l’industrie. Le CNI a notamment voulu peser sur la définition des électro-intensifs, sur la question de l’économie circulaire et, plus globalement, sur tous les sujets traités par la loi ayant un impact sur l’industrie. Le CNI travaille aussi sur les questions de formation et sur l’attractivité des métiers du secteur. Les Etats généraux de l’industrie, qui datent de 2009-2010, ont en effet montré une certaine désaffection des jeunes à l’égard de l’industrie. Grâce à des manifestations telles que la Semaine de l’industrie, le CNI essaie de redonner envie aux jeunes de travailler dans le secteur industriel par le biais de formations initiales et de la formation professionnelle continue. Les organisations syndicales s’impliquent beaucoup dans ce travail. D’autres sujets sont suivis par le CNI tels que la transformation numérique de l’industrie, l’économie circulaire – qui vise à rendre l’industrie plus performante et plus propre grâce au recyclage des matériaux – et l’articulation entre la politique industrielle nationale et les politiques régionales, compte tenu du renforcement des compétences des conseils régionaux. Car au-delà des grands groupes implantés au niveau international, il importe de déterminer comment les PME implantées sur les territoires peuvent dans leur diversité s’intégrer à ces politiques nationales. Le CNI traite également des questions relatives à la commande publique et à l’achat public innovant. Tous ces travaux donnent lieu à des recommandations et à des échanges entre les différentes organisations membres du CNI. Ce Conseil est présidé par le Premier ministre qui le réunit en session plénière au moins une fois par an. Telle est l’articulation entre le CNI et les CSF : le CNI est une superstructure qui pilote les comités stratégiques de filière.

Le CNI est aussi impliqué dans le déploiement d’autres dispositifs mis en œuvre par l’administration et lancés par le précédent ministre en charge de l’industrie, Monsieur Arnaud Montebourg, et repris par Monsieur Emmanuel Macron : les trente-quatre Plans de la « Nouvelle France industrielle » qui sont devenus les neuf plus une « Solutions de la nouvelle France industrielle ». Les trente-quatre plans ont été définis comme visant des objets et produits pour lesquels on estime qu’un marché va se développer d’ici à quatre ou cinq ans, pour la fabrication desquels l’industrie française a déjà des compétences et des savoir-faire. Les plans ont été élaborés à partir de cette base de compétences et cet objectif de marché et ont donné lieu à la définition d’une feuille de route qui permettra à ces entreprises d’atteindre ces marchés. Chaque feuille de route identifie les verrous – qu’ils soient technologiques, réglementaires ou organisationnels – qui empêchent de travailler sur ces produits.

Si je cite ces trente-quatre Plans de la Nouvelle France industrielle, c’est que certains d’entre eux concernaient directement le secteur automobile. Ces plans ont été regroupés en des Solutions pour la nouvelle France industrielle voulues par Monsieur Emmanuel Macron de façon à mieux appréhender et à faciliter la gestion de cette dynamique. Les plans qui concernaient l’automobile ont été regroupés au sein de la « Solution pour la mobilité écologique ». On y retrouve les grands thèmes du véhicule autonome, du véhicule à consommation « deux litres aux cent kilomètres », du stockage de l’énergie et de l’installation des bornes de recharge électrique sur l’ensemble du territoire français. Pour chacun de ces plans a été nommé et désigné un chef de projet : Monsieur Carlos Ghosn pour le véhicule autonome et un binôme PSA/Renault relayé ensuite par la PFA pour le véhicule « deux litres aux cent kilomètres ». C’est d’ailleurs aussi pour cette raison que l’on retrouve parmi les grands axes de recherche et développement du contrat stratégique précité une articulation entre la « Solution pour la mobilité écologique » et ce qui est prévu par la filière industrielle. C’est le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) qui pilote le plan relatif au stockage de l’énergie et le préfet Francis Vuibert, s’agissant des bornes de recharge. Chacun de ces plans donne lieu à une feuille de route et un programme d’action. Certains plans sont déjà bien avancés : une loi et un décret ont notamment été publiés en 2014 s’agissant du déploiement des bornes de recharge ; deux entreprises, Bolloré et CNR, ont candidaté et ont commencé à déployer des bornes de recharge électrique sur l’ensemble du territoire.

La « Solution de mobilité écologique » fait appel à des dispositifs de financement. Vous avez cité le Fonds unique d’investissement (FUI). Certes, ce fonds finance les projets issus des soixante-douze pôles de compétitivité sur le territoire, dont certains concernent le secteur de l’automobile. Mais le FUI n’est pas le mode de financement le plus important des projets de recherche et développement poursuivis dans le cadre de la « Solution de mobilité écologique » ou du comité stratégique de filière. En fait, le dispositif auquel nous recourons est le Programme des investissements d’avenir (PIA), plusieurs appels à projet ayant été décidés en faveur du véhicule écologique, des travaux sur les batteries et du véhicule « deux litres aux cents kilomètres ». Nous mobilisons le PIA soit sous forme de subventions, soit sous forme d’avances remboursables. Le déploiement des bornes de recharge sera financé par le PIA. Le Commissariat général à l’investissement (CGI), qui pilote les PIA, a confié à l’opérateur qu’est l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) le soin de lancer des appels d’offre pour financer les différents projets. Quant au montant exact prévu dans le cadre des PIA I et II …

M. Alban Galland. … il s’élève à 750 millions d’euros pour l’ensemble des véhicules du futur – aéronautique et autres filières comprises.

M. Christophe Lerouge. Et les montants qui ont été engagés jusqu’à présent au titre des programmes du véhicule « deux litres aux cent kilomètres » et du véhicule autonome sont de 170 millions d’euros de subventions, de 126 millions d’avances remboursables et de 40 millions de prises de participations dans des projets de véhicules hybrides.

Le FUI consacre une centaine de millions d’euros d’aides aux projets remontant des pôles de compétitivité chaque année. Ce montant varie en fonction du nombre de projets et de ce que vous votez en loi de finances. Certaines aides concernent le numérique, d’autres, l’automobile et d’autres projets. Par conséquent, si les pôles de compétitivité et le FUI sont des dispositifs de soutien importants – en particulier pour les PME et les petites et moyennes industries (PMI) qui travaillent avec des laboratoires –, ce ne sont pas les plus importants pour le financement de la recherche-développement liée à l’automobile.

J’en viens à la question du diesel. Il s’agit d’un sujet que nous suivons de façon très attentive. Nous avons effectivement été surpris et déçus de découvrir ce qu’avait fait une grande entreprise mondiale qui nous semblait digne de confiance. Nous ne savons pas encore quel sera le véritable impact de cette affaire sur les normes de véhicules ainsi que sur les constructeurs, la production et l’emploi en France – points qui m’intéressent avant tout autre en tant que représentant du ministère de l’industrie. La filière du diesel pèse de l’ordre de 10  000 emplois.

M. Alban Galland. … 10 000 emplois directs.

M. Christophe Lerouge. Nous observons avec attention ce qu’il se passe à ce sujet, notamment l’impact de l’affaire Volkswagen.

S’agissant des normes et des cycles, les différents comités existant à Bruxelles sont plutôt suivis par la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (MEDDE). Cette direction représente la France lorsqu’il est question de normes et de cycles de contrôle des émissions.

Voilà ce que je souhaitais vous dire de façon succincte avant de répondre à vos questions.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Je précise que nous auditionnerons bien évidemment le ministre Emmanuel Macron lorsque nos travaux en seront à un stade plus avancé. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est d’avoir un échange avec vous au niveau de compétence d’une direction administrative sur les questions de politique industrielle. Je vous remercie d’avoir décrit le schéma d’organisation et de l’impulsion de l’État en ce domaine. Nous sommes aussi préoccupés par les emplois, les usines, la question de la diminution de la production automobile en France de 42 % en douze ans et à partir de là, par la stratégie adoptée par l’État et les pouvoirs publics pour assurer l’avenir de cette filière industrielle.

Je reviendrai tout d’abord sur le bureau du secteur automobile au sein de votre service. Combien de personnes y travaillent ? Vous avez évoqué son rôle de vigilance sur les questions de normes et de réglementations. Or, j’ai, dans d’autres fonctions, suivi la manière dont les choses se passent : ce bureau du secteur automobile émet-il un avis dans le processus d’élaboration des décisions interministérielles sur les questions de normes et de positions défendues par la France à l’échelle européenne ?

Plusieurs articles de presse ont fait état du fait que la Commission européenne avait eu connaissance, dès 2011, de la fraude de Volkswagen : votre bureau en a-t-il été informé ou en a-t-il eu connaissance à un moment donné ? Il est normal que je vous pose la question.

Vous avez évoqué un point très important pour toute l’organisation de la filière : la structuration des relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants. Dans le contexte récent, avez-vous évalué le nombre d’emplois concernés chez les sous-traitants français dépendant directement de la production de Volkswagen ? Auriez-vous des chiffres à nous communiquer à ce sujet ?

L’État est au capital de deux entreprises très importantes. Dans le cadre de la mise en œuvre par l’État de ses orientations de politique industrielle pour le secteur industriel, y a-t-il des échanges entre vous et l’Agence des participations de l’État (APE) ?

Trouvez-vous que le niveau d’engagement des programmes concernant les investissements d’avenir est satisfaisant ? Il s’agit peut-être d’une question politique auquel cas, renvoyez-nous au ministre que nous recevrons. Pourriez-vous cependant nous confirmer que 210 millions d’euros du programme « Véhicule du futur » ont été réalloués à d’autres budgets que celui du soutien à la filière automobile ?

M. Christophe Lerouge. Nous n’avions aucune idée que la moindre fraude ait pu être commise par un constructeur comme Volkswagen. Nous l’avons découvert en même temps que tout le monde dans la presse.

S’agissant de la participation de l’État au capital des deux grands constructeurs français, nous avons effectivement un partenariat et des échanges avec l’Agence des participations de l’État (APE). Notre directeur général, Pascal Faure, est membre du conseil d’administration de Renault de la même façon que de celui de l’APE. Ils se concertent donc sans arrêt. L’APE siège aussi au conseil d’administration de PSA et là encore, des échanges ont lieu régulièrement entre les deux administrations sous l’égide de Monsieur Emmanuel Macron et de son directeur de cabinet. Il n’y a donc aucune ambiguïté. Cela étant, ces échanges ne sont peut-être pas suffisamment fluides faute de temps. Mais sur les grands sujets tels que les questions de gouvernance chez Renault dans le cadre de son alliance avec Nissan, le ministre nous avait donné des consignes claires, de sorte qu’il n’y a pas eu l’épaisseur d’une feuille à cigarette entre les positions des deux représentants de l’État.

Il y a effectivement eu un redéploiement des crédits du PIA dont je n’ai pas le montant en tête. Il faut bien comprendre que si 750 millions d’euros étaient prévus dans les PIA I et II, la consommation des crédits, dont je vous ai cité les montants, n’est pas au même niveau. Ce sont donc les marges de manœuvre existantes qui ont permis ce redéploiement. En dépit de notre volonté de développer ces grands axes stratégiques, ce sont in fine les grands constructeurs et les entreprises qui déposent des dossiers. Je suis le premier à le déplorer, c’est pourquoi nous les encourageons à s’engager, à poursuivre ces objectifs dans le cadre du comité stratégique de filière. C’est d’autant plus important qu’au-delà des objectifs qui ont été fixés, on sait que l’on se dirige vers une réduction des normes d’émissions, vers davantage de contraintes de protection de l’air donc de réduction de la pollution atmosphérique et que nos constructeurs automobiles ont tout intérêt à les anticiper au maximum.

Quant à savoir si le CGI va assez loin, sans doute la réponse est-elle politique mais je vous donnerai quand même un avis qui n’engage que moi : je pense qu’il pourrait prendre davantage de risques en matière de soutien aux industriels, surtout que cela concerne vraiment des programmes de R & D et d’innovation.

S’agissant de l’organisation de notre bureau, je laisse Alban Galland répondre.

M. Alban Galland, chef de bureau. En temps normal, notre bureau compte huit chargés de mission. Notre avis est quasi systématiquement sollicité sur les questions de normes. Les comités techniques s’intéressent en général à des questions très techniques qui ne relèvent pas forcément de notre compétence – notre niveau d’expertise n’étant pas celui de la DGEC. C’est donc le plus souvent cette dernière qui propose des positions, auxquelles nous ne répondons pas systématiquement. Néanmoins, lorsqu’il s’agit d’un sujet important – notamment d’un sujet nous ayant été signalé par les constructeurs mais aussi d’autres acteurs – nous pouvons être amenés à prendre position.

Concernant le nombre d’emplois en France dépendant de Volkswagen, ce grand constructeur ne produisant malheureusement pas dans notre pays, nous avons interrogé sans succès ses fournisseurs car ils agrègent leurs ventes, soit au niveau de tous les constructeurs allemands soit au niveau mondial. Nous avons beaucoup de mal à obtenir des informations précises quant à l’impact de cette affaire chez nous.

Mme la rapporteure. Cela signifie-t-il qu’au sein de la Plateforme et du comité stratégique de filière c’est-à-dire dans le dialogue direct avec les différents niveaux de production de la filière, vous ne disposiez d’aucune remontée d’informations à ce jour ?

Vous indiquez que vous êtes amenés à donner un avis sur la question des normes : ce qui est intéressant de savoir c’est comment cet avis est-il élaboré concrètement ?

M. Christophe Lerouge. Nous avons dans le cadre du CSF des échanges avec le Comité des constructeurs automobiles français (CCFA). Nous avons donc davantage d’informations sur Renault et Peugeot. Les constructeurs étrangers sont représentés au sein du CSF mais nous n’avons pas avec eux le même degré d’interactions qu’avec le CCFA. Il nous est donc beaucoup plus difficile d’obtenir des informations sur le groupe Volkswagen.

Mme la rapporteure. Ma question ne portait pas sur le groupe Volkswagen mais sur les équipementiers des rangs 1 et 2 qui produisent en France des pièces s’insérant dans la construction des voitures Volkswagen.

M. Alban Galland. On sait que Valeo vend près de 30 % de ses pièces à l’Allemagne mais sans plus de détails. Les équipementiers considèrent que leurs parts de marché par constructeur constituent des informations confidentielles. C’est pourquoi, même interrogés indépendamment de la FIEV, leur fédération professionnelle, et de la PFA, ils ne nous répondent pas à ce stade. Nous avons en revanche demandé aux directions régionales des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) de mener une veille très active dans la mesure où elles ont un accès privilégié à certains sites, y compris de rangs 2 et 3.

M. Christophe Lerouge. Pour être très franc, nous sommes même allés au-delà puisque nous avons demandé à Arcelor-Mittal quel serait l’impact de l’affaire sur leur production d’acier destiné à l’automobile. Nous n’avons pas non plus obtenu de réponse. Nous avons essayé de nous renseigner tous azimuts mais nous n’avons malheureusement guère obtenu d’informations.

M. Alban Galland. À ce stade néanmoins, comme nous l’anticipions, les impacts sur les chiffres de vente sont relativement faibles en volume. Mais il a été annoncé qu’une partie de l’effort financier accompli par Volkswagen serait reporté sur ses sous-traitants. Cela répond en partie à votre question.

S’agissant des modalités d’élaboration de nos avis sur les questions de normes, nous prenons évidemment en compte les positions des constructeurs. Mais cela ne suffit pas en réunion interministérielle. Nous essayons donc d’obtenir les informations techniques permettant de justifier ces positions. Nous vérifions qu’elles correspondent bien aux objectifs indiqués par les constructeurs – ce qui n’est pas toujours le cas et nous n’avons d’ailleurs pas exactement repris leurs positions concernant les Real Driving Emissions (RDE). Puis nous essayons de construire un argumentaire s’appuyant sur des éléments techniques afin de justifier les objectifs que nous proposons.

M. Philippe Duron. Les exigences de lutte contre le changement climatique appellent des évolutions voire peut-être une rupture en matière de mobilité. L’industrie automobile contribuant fortement à l’émission de gaz à effet de serre et de particules, elle devra dans les années à venir poursuivre ses efforts pour aller vers un véhicule plus propre.

Vous avez bien très décrit l’organisation et la modernisation des filières par le biais des dispositifs institués par le Gouvernement. Mais vous êtes passés beaucoup plus rapidement sur les cinq pôles de compétitivité qui existent depuis 2005, dont Mov’eo et « Véhicule du futur », et qui concernent tout à la fois l’automobile, les poids lourds et la mobilité. Quelle est la relation entre le CSF automobile et les pôles de compétitivité ? La politique du CNI est-elle susceptible d’influer sur les objectifs et le fonctionnement de ces pôles ?

M. Denis Baupin. Je prolongerai les questions de Mme la rapporteure concernant la fixation des normes. Vous nous avez indiqué très honnêtement que vous recueilliez l’avis des constructeurs en la matière – ce qui ne surprendra guère. Mais vous ne nous avez pas précisé en quel sens ils influaient : est-ce dans le sens de normes plus exigeantes ou au contraire moins exigeantes, d’un point de vue environnemental ? Car ceux-ci affirment généralement qu’ils sont favorables à l’accélération de la mise en application de ces normes.

S’agissant de savoir qui était au courant de l’existence de logiciels de trucage, j’ai commis une tribune la semaine dernière dans laquelle je cite cet extrait d’un article d’Auto Moto datant de 2005 : « La multitude de capteurs calculateurs installés aujourd’hui dans les voitures constituent autant d’espions électroniques facilitant les petits ajustements avec la réglementation. Capables de déterminer si le véhicule est en train de passer un cycle de dépollution, ils permettent le plus simplement du monde de basculer l’électronique moteur sur le programme spécial homologation ». Ce propos a été publié il y a dix ans dans un journal qui est loin d’être confidentiel et qui ne doit pas être inconnu de vos services ! Peut-on raisonnablement penser que depuis dix ans, personne, à part les journalistes auteurs de cette citation, ne s’est posé ce type de question et n’a imaginé qu’il pouvait y avoir des logiciels de trucage dans les véhicules ? Toutes les personnes que nous interrogeons nous répondent qu’elles ne savaient rien. Je peux comprendre que l’on n’ait pu savoir s’il allait s’agir de Volkswagen ou d’un autre constructeur. Mais comment se fait-il que ce type de constat ait été effectué il y a dix ans et que depuis lors, personne ne se soit préoccupé de savoir si les tests effectués étaient non pas représentatifs – car on savait qu’ils ne l’étaient pas – mais aussi truqués ?

Vous nous avez parlé du rôle de l’État actionnaire des deux entreprises que sont les constructeurs nationaux. Quelles orientations ont-elles été données de la part de l’État au sein du conseil d’administration de chacune de ces entreprises pour mettre en œuvre la transition énergétique ? Nous avons la chance d’être actionnaires de ces entreprises. Et nous sommes face à des enjeux écologiques majeurs dans une industrie en difficulté, qui cherche à trouver un nouveau souffle et doit cependant répondre à des besoins de mobilité essentiels dans notre pays. Or, on sait que l’acheteur d’un véhicule neuf a cinquante-quatre ans en moyenne en France. Il existe donc un décalage très important entre les véhicules que l’on vend aujourd’hui et les enjeux à la fois écologiques et sociaux auxquels nous sommes confrontés. Lorsque vous nous indiquez que les enjeux du véhicule « deux litres aux cent kilomètres » concernent en priorité le poids, les matériaux et les performances des véhicules, je suis toujours surpris
– même si les constructeurs nous ont tenu le même langage lorsque je les ai auditionnés en tant que rapporteur pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Est-il toujours nécessaire qu’un véhicule puisse rouler à 180 kilomètres par heure ? Un véhicule automobile doit-il forcément être conçu pour transporter une famille en vacances alors que 99 % du temps, il transporte une personne seule ? Ces questions sont-elles abordées dans le cadre de la définition, par le comité stratégique de filière, de perspectives de long terme ? Comment l’État actionnaire apporte-t-il sa part en la matière ? Transmet-il de tels messages aux constructeurs ? Nous avons adopté une loi de transition énergétique et nous savons que nous ne pourrons respecter les engagements climatiques de la France, parmi lesquels le facteur quatre, si nous ne parvenons pas à faire évoluer la mobilité et notamment les véhicules.

M. Jean Grellier. Je vous remercie d’avoir rappelé le rôle du CNI et des comités stratégiques de filière. J’ajouterai, pour information, que depuis l’année dernière, un représentant parlementaire membre de la Commission des affaires économiques est désormais rattaché à chaque comité stratégique. À plusieurs reprises en tant que représentant du Parlement, j’ai insisté sur la nécessité de coordonner le CNI, les plans industriels, les pôles de compétitivité dans une dimension territoriale. Il reste encore beaucoup d’efforts à accomplir en ce sens. Car beaucoup sur nos territoires ignorent tout du travail important mené au sein du CNI. Comment envisagez-vous cette nécessaire coordination ainsi que sa déclinaison territoriale pour que tout le travail effectué dans le cadre des comités stratégiques de filière puisse mieux irriguer nos territoires ?

Par ailleurs, il y a en France deux grands constructeurs auxquels on peut ajouter Toyota qui construit beaucoup en France. Par ailleurs, au cours de ces dernières années, les constructeurs intermédiaires de véhicules de niche ou innovants ont eu beaucoup de difficultés à mettre sur pied un modèle économique pérenne. Y a-t-il des actions à mener en ce domaine pour aider les constructeurs à surmonter ces difficultés ? Ces derniers doivent-ils établir des relations plus étroites avec les grands constructeurs ? Je rappelle que les véhicules qui équipent Paris aujourd’hui ont été construits en Italie parce que nos industries n’avaient pas la capacité de le faire en France. Des réflexions ont-elles été menées pour nous permettre d’adopter une stratégie nationale pour ces ETI ?

Notre mission concerne l’automobile mais aussi la mobilité. Quel regard portez-vous sur le secteur des camions, des bus, des autocars et aussi des matériels agricoles ou encore de travaux publics ? Nous avons eu une grande histoire en ce domaine. Or, il n’y a plus beaucoup de constructeurs aujourd’hui en France. Avons-nous une chance de conserver encore un savoir-faire sur ces segments ? Existe-t-il des perspectives de développement, notamment en termes de mobilité durable ? Car là encore, nous allons être obligés d’innover puisque ces véhicules émettent des gaz à effet de serre.

Enfin, s’agissant des informations relatives au « problème Volkswagen », quelles sont vos relations avec les services d’intelligence économique ? De quelle manière travaillez-vous ensemble dans ces secteurs ?

M. Gérard Menuel. Vous avez parlé des cahiers des charges qui vous lient aux constructeurs automobiles ainsi que des objectifs de consommation et des rejets assignés au véhicule du futur. Avez-vous fixé des objectifs précis en termes de calendrier ? Car j’ai l’impression que cela fait longtemps que l’on parle de véhicules consommant un ou deux litres aux cent kilomètres.

D’autre part, j’ai également l’impression qu’au niveau national, les deux grands constructeurs français prennent du retard concernant les matériaux composites servant à la fabrication des automobiles. Dans le secteur des matériaux pouvant alléger le poids des voitures, et donc en faire baisser la consommation, les constructeurs allemands recourent à des produits français comme le chanvre. La réaction ne me semble pas du tout la même chez les constructeurs français.

Mme la présidente. Je compléterai ce qui a déjà été dit au sujet de l’efficacité de la politique publique d’accompagnement au développement économique et, en l’espèce, au développement industriel et au secteur automobile qui nous occupent aujourd’hui. Les pôles de compétitivité ont plus de dix ans. Nous attendons en France une grande rupture technologique dans le secteur automobile. Car nous sommes allés loin dans la recherche sur les bases de motorisation que nous connaissons. La motorisation a évolué et est beaucoup plus efficace mais nous en attendons davantage, raison pour laquelle avait été conçue la politique des pôles de compétitivité dédiés aux véhicules du futur et aux solutions de mobilité. Je sais que ces pôles sont évalués et en cours de réorganisation – mais on peut aller plus loin dans ces démarches. Quelle part de l’argent public est-elle aujourd’hui encore destinée au fonctionnement des pôles ? Quelle est celle qui est destinée au financement des projets et donc aux entreprises ? Quel est l’effet de levier de ces pôles ? Pour un euro public investi – à l’heure où l’argent public est rare et donc cher – combien investissent les grands constructeurs privés ? Ainsi que l’a souligné Monsieur Duron, cela fait des années que nous cherchons à mieux articuler les politiques nationales, régionales et locales. Nous additionnons quantité de portes d’entrée : il conviendrait d’arriver à arrêter les subventions et à n’accorder d’avances remboursables qu’aux seuls vrais projets tout en essayant de regrouper les ressources humaines affectées au développement économique et aux pôles. Car nous n’avons plus d’argent à consacrer à d’innombrables animateurs de territoire qui se retrouvent tous sur le même champ, dans les mêmes entreprises à animer le même territoire. Votre direction a une vocation stratégique mais pas toujours d’examinateur sur le moment : comment anticiper ? Le professeur Élie Cohen nous indiquait la semaine dernière que malgré tout ce que l’on savait aujourd’hui, l’effort de recherche et développement de Volkswagen s’était accru de 220 % quand, dans le même temps, elle avait augmenté de 8 % chez nous ! Cela fait onze ans que des pôles de compétitivité piétinent. Nous nous languissons qu’ils deviennent efficaces. Où en sommes-nous vraiment et comment comptez-vous mettre un terme à des budgets de fonctionnement qui n’ont plus lieu d’être aujourd’hui ?

M. Christophe Lerouge. Les pôles de compétitivité Mov’eo, ID4car et « Véhicule du futur » sont membres du CSF. Se posent effectivement des questions de gouvernance et d’articulation entre les différents niveaux. Je n’ai pas cité jusqu’ici les associations régionales de l’industrie automobile (ARIA) qui sont présentes sur les territoires. Notre ministre souhaite simplifier l’organisation existante : il l’a fait pour les plans et souhaite le faire pour les pôles et la gouvernance de la filière automobile. Le dernier CSF ayant eu lieu au mois de septembre a spécifiquement traité de ce sujet. L’un des objectifs avancés par le ministre lors de ce CSF consiste à réorganiser et à recentrer les pôles et les ARIA, voire à les fusionner.

Il existe effectivement soixante-douze pôles. Il est vrai que certains d’entre eux ne sont guère efficaces et que nous voudrions qu’ils soient réorganisés. Mais cela relève aussi de votre responsabilité politique. Car lorsque l’État souhaite supprimer un pôle de compétitivité, vous pouvez être sûr que dans les semaines qui suivent, un élu de la République vient nous dire qu’il est bien de réorganiser les choses mais qu’il ne faut surtout pas toucher au pôle implanté sur son territoire ! Je vous renvoie donc la balle, madame la présidente. Le ministre nous a demandé comment faire évoluer l’organisation de la filière automobile.

Vous avez raison de souligner que nous allons célébrer les dix ans de ces pôles : certains sont des succès. Nous voyons forcément les projets émanant des pôles puisque c’est nous qui en instruisons les dossiers. Et il est vrai qu’il est des pôles que nous ne voyons quasiment jamais. Nous évaluons régulièrement leur intérêt. L’effet de levier dépend des taux d’aides et de subvention, de la zone dans laquelle se trouvent les pôles de compétitivité et de la taille des entreprises concernées – PME, ETI ou grands groupes.

M. Alban Galland. Le taux d’aide est de 25 % pour un grand groupe et de 45 % pour une PME.

M. Christophe Lerouge. L’effet de levier des pôles de compétitivité est donc double ou triple. Quant au FUI, il est de l’ordre de cent millions d’euros par an sur le budget de l’État, complétés par les budgets des collectivités territoriales. Il y a donc certes un effet de levier mais le système doit être revu.

Concernant la fixation des normes, les constructeurs français, notamment Renault et PSA, ont un discours allant plutôt dans le bon sens, c’es-à-dire dans celui d’un durcissement – notamment des normes de cycle sur bancs ou sur route. Mais ils souhaitent que nous leur laissions le temps de les appliquer. Par ailleurs, nos outils de comparaison des véhicules français et allemands montrent que les premiers sont plutôt bien placés dans les études comparatives.

Je prends acte de l’article d’Auto Moto. Il est vrai qu’il y a des capteurs partout, mais comme dans toutes les machines. Si vous réfléchissez avec un œil d’ingénieur, vous trouverez logique d’utiliser ces capteurs pour faire de l’optimisation. Vous ne vous direz pas pour autant que les tests vont être truqués et qu’une pratique délibérée permettra de contourner les normes en vigueur. Je vous confirme donc que l’affaire Volkswagen fut une surprise et que nous n’étions pas au courant. Il n’est pas surprenant que les véhicules soient optimisés lors des tests. Mais quant à créer un logiciel permettant de détourner délibérément les tests d’homologation, c’est quelque chose que nous ignorions.

S’agissant de savoir si l’État promeut la transition énergétique en tant qu’actionnaire, je ne sais pas quel discours a été tenu par mon chef dans le cadre des conseils d’administration de Renault. Je tiens à préciser que si c’est effectivement mon chef, le directeur général, qui participe à ces conseils d’administration, moi qui suis son premier collaborateur sur les questions industrielles, n’ai pas forcément accès à toutes ces informations – et je n’ai pas à y avoir accès car il s’agit d’informations privilégiées.

La prospective relative aux évolutions des modes de transport et de la mobilité est effectivement abordée dans le cadre du CSF. Un des axes que j’ai cités a trait aux stratégies d’avenir. Certains acteurs que je n’ai pas mentionnés jusqu’ici – des centres de recherche comme l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFFSTAR), l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN) et l’ADEME – financent ce type de réflexions. Le ministère de l’industrie pèse aussi sur ces acteurs : je suis notamment membre du conseil d’administration de l’ADEME et le sous-directeur chargé du secteur des transports est membre du conseil d’administration de l’IFPEN. Nous avons donc aussi la possibilité de tenir certains discours par le biais de ces instances de gouvernance.

L’articulation entre les CSF et le CNI et la coordination avec les régions sont un des grands axes de travail sur lesquels nous voulons mettre l’accent cette année et dans l’année qui vient. Il s’agit de la déclinaison de la politique de filière dans les régions. Pour ce faire, nous utilisons d’abord les réseaux de l’État, c’est-à-dire les DIRECCTE, pour essayer de travailler avec les entreprises. Ayant été en poste en DIRECCTE avant de passer à la DGE, j’ai une vision claire de ce que peuvent faire et de ce que demandent ces directions régionales. Il y a effectivement une multiplicité d’acteurs, que ce soient les chambres de commerce et d’industrie (CCI), les agences de développement, les conseils régionaux ou les métropoles, qui souhaitent se préoccuper de ces sujets – ce qui ne facilite pas la vie des entreprises. Il nous faut donc trouver entre eux une articulation.

Je vous indiquais tout à l’heure qu’au niveau national, les comités stratégiques de filière permettent un trilogue entre les organisations patronales, les organisations syndicales représentatives des salariés et l’État. Au niveau régional, on parlera de « quadrilogue » puisque nous allons rendre les comités stratégiques de filière régionaux accessibles aux conseils régionaux – les questions de financement des entreprises étant plutôt du ressort de ces derniers et le rôle des DIRECCTE étant d’établir un lien entre les niveaux national et régional.

Cela fait vingt ans que nous disons qu’il faut davantage intervenir en fonds propres. Mais cela est difficile à faire. D’ailleurs, les entreprises ne le souhaitent pas forcément. Nous essayons de renforcer le haut de bilan des entreprises et de les regrouper. Se posent des questions de développement économique liées à la taille critique, à la montée en gamme et à la possibilité pour les entreprises d’aller sur les marchés internationaux – questions auxquelles travaille un service de la DGE dédié à la compétitivité de l’industrie. Ce sont là des points qu’il nous faut effectivement traiter, dans le cadre de l’organisation territoriale de ce service, avec les conseils régionaux et sous l’égide des préfets.

De nombreux projets de véhicules de « niche » ont été lancés en France. Il faut savoir que nous les avons beaucoup aidés. En règle générale, lorsque des entreprises souhaitent s’installer et se développer, nous les considérons avec bienveillance pour peu que leur projet soit crédible. On touche là à des questions d’attractivité du territoire dès lors qu’il s’agit d’accueillir des investissements étrangers. Il se trouve que ces projets ont échoué car leur modèle économique n’est pas encore au point. Nous nous trouvons en effet dans une industrie très capitalistique et dont les acteurs sont très figés. Les constructeurs à travers le monde ont plutôt tendance à se regrouper. S’il importe de prendre des risques, les projets de niche sont extrêmement risqués.

S’agissant de la mobilité au sens large, incluant les bus, les camions et les autocars, je ne peux pas ne pas citer ici la loi Macron : compte tenu de la libéralisation des transports et de l’installation de nouvelles lignes d’autocars prévues par cette loi, le ministre, s’il ne peut forcer à l’achat de matériel français étant donné les contraintes européennes, a adressé aux constructeurs d’autocars et d’autobus un message très net en faveur de la production de véhicules propres en France. À tel point que nous réunirons demain les opérateurs de transports routiers et les constructeurs d’autobus et d’autocars afin de déterminer en quoi le développement de l’activité de services de transports pourra aussi favoriser le développement de l’activité de production.

Travailler avec les services d’intelligence économique n’est pas simple car nous n’en avons pas l’habitude. Nous sommes alertés dès lors que ces services sont au courant que certaines entreprises étrangères observent de près des entreprises françaises. Un décret relatif aux investissements étrangers en France a été publié il y a quelques mois dans le cadre de la fusion entre General Electric et Alstom. Depuis lors, nous recevons beaucoup d’informations de la part des services d’intelligence et traitons un nombre conséquent de dossiers touchant aux questions d’investissements étrangers en France et de rachat de savoir-faire et d’entreprises françaises. Une commission de l’Inspection générale des finances et du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies s’est réunie en 2014 et a formulé des propositions sur les questions d’intelligence économique. Et nous nous sommes organisés au niveau interne afin d’adopter une vision plus anticipatrice et pour prendre davantage en compte ces questions d’intelligence économique et de protection de nos savoir-faire et de nos données.

Le calendrier d’application des normes change régulièrement. La norme Euro 6 est en application depuis septembre 2015 et nous travaillons avec les services de la Commission européenne à l’instauration des nouvelles normes de cycles – Worldwide harmonized light vehicles test procedures (WLTP), prévue en 2017, et RDE. S’agissant en revanche des projets de recherche-développement, tels que le programme du véhicule « deux litres aux cent kilomètres », nous nous sommes certes fixé une échéance ambitieuse de cinq ans, à l’horizon de 2020 mais il est difficile de faire des prévisions en la matière. C’est l’objectif que nous affichons mais nous savons qu’il sera extrêmement difficile à tenir. Ce sont les normes d’émissions de CO2 qui comptent puisqu’une échéance de 95 grammes par kilomètre a été fixée à 2020 : il convient dès lors que les constructeurs automobiles réalisent les investissements et les innovations technologiques permettant d’atteindre cet objectif.

La production de matériaux composites, comme tout ce qui contribue à l’allègement des structures, a effectivement de l’importance. Mais pour l’instant, le modèle économique ne tient pas car les matériaux restent trop chers pour les véhicules. C’est là une différence entre les filières automobile et aéronautique. La question de l’allègement des structures se pose en effet aussi pour les aéronefs. Mais les coûts de matériaux permis pour la construction d’un avion le sont moins pour celle d’une automobile. Il reste donc encore des efforts à accomplir en la matière.

Vous avez raison concernant l’anticipation de l’innovation : la DGE se considère comme une direction générale stratégique souhaitant se projeter et se livre régulièrement à des analyses stratégiques au-delà de celles que nous fournissent les constructeurs automobiles. Cela est difficile mais nous travaillons avec les organismes de recherche précités et certains dispositifs nous permettent de financer des études alimentant nos réflexions. C’est là un véritable défi pour notre administration. Mais c’est selon nous le rôle de l’État que d’être en mesure de savoir quels sont les grands axes et grandes orientations des différentes filières industrielles.

M. Denis Baupin. J’ai bien entendu que vous n’étiez pas au courant de ce que votre chef avait pu dire au conseil d’administration de Renault. Mais s’il avait prévu d’en faire un sujet majeur, on peut supposer qu’il vous aurait demandé votre avis et de lui faire des propositions. On peut donc émettre l’hypothèse que pour l’instant, la possibilité pour l’État de se servir de son statut d’actionnaire dans les entreprises publiques comme levier pour promouvoir la transition énergétique n’est pas prioritaire. Je m’exprime de façon provocatrice mais cela me préoccupe. Car vous nous dites que si l’on se fixe des objectifs concernant le véhicule consommant « deux litres aux cent kilomètres », vous savez qu’ils ne seront pas tenus. Mais ce n’est pas pour se faire plaisir que l’on s’est fixé cet objectif : c’est parce que le dérèglement climatique n’attendra pas que l’on sache si les constructeurs automobiles, sans jamais rien changer à leur modèle puisqu’ils ne le veulent pas, vont réussir malgré tout à tenir cet objectif. Lorsque nous avons auditionné le professeur Élie Cohen la semaine dernière, il nous a indiqué que nous ne parviendrions pas à respecter à la fois les normes d’émissions de CO2 et de polluants atmosphériques sans rien changer à l’automobile car nous aboutissons aux limites de l’exercice. Cela est particulièrement vrai pour le diesel. L’État étant actionnaire des deux groupes constructeurs, il engage sa responsabilité vis-à-vis des consommateurs dès lors que les ambitions en matière de dérèglement climatique ne sont pas respectées. Il y a une dizaine de jours, Auto Plus a publié une enquête portant sur mille véhicules, démontrant que la consommation réelle des véhicules est 40 % plus élevée que celle annoncée au moment de leur vente, et 60 % plus élevée pour les véhicules Euro 6 de PSA et de Renault. Par conséquent, quand le consommateur achète français parce qu’on lui a dit qu’il est bénéfique d’acheter du made in France qui représente de l’emploi local – et je n’ai évidemment rien contre –, il se trouve client de constructeurs français, dont l’État est actionnaire et qui mentent en vendant leurs véhicules. À la fin de l’année, le consommateur aura dépensé des centaines d’euros de plus que ce qu’il imaginait pour faire les déplacements qu’il avait prévu de faire : telle est la réalité de ce mensonge.

En outre, vous nous avez confirmé lors de la table ronde que nous avons organisée à l’OPECST que la France avait bien soutenu la position issue du comité de fixation des normes d’homologation à l’échelon européen qui autorise l’application d’un facteur de dérogation de 2,1 aux nouvelles normes de pollution, notamment en matière d’oxyde d’azote. Cette fois, il ne s’agit pas de l’État en tant qu’actionnaire mais en tant que régulateur. On peut entendre que les constructeurs automobiles ne souhaitent pas que l’on impose de normes trop rapidement car il faut leur laisser le temps de s’adapter. Mais alors que la Commission européenne avait formulé des propositions plus ambitieuses – et l’on ne peut pas considérer qu’elle soit un organisme anti-automobiles –, les États ont finalement proposé un report dans le temps du niveau d’ambition face à des enjeux de santé publique actuels. Il est vrai que cela relève davantage de la responsabilité du politique mais nous vous interrogeons afin que vous puissiez nous expliquer pourquoi les choses fonctionnent ainsi. Dans quelle mesure les ambitions en matière de dérèglement climatique, de consommation d’énergie, de qualité de l’air et de pouvoir d’achat des Français sont-elles prises en compte dans les lignes politiques de votre direction ?

Mme la rapporteure. Vous nous avez indiqué que vous étiez en train de travailler avec la Commission européenne sur la norme WLTD : avez-vous des échanges directs avec elle ou bien seulement par l’entremise de la DGEC ? Avez-vous été associés aux travaux du comité d’experts qui a pris récemment plusieurs décisions ?

Concernant ce que j’appelle la face cachée du débat sur le diesel, c’est-à-dire les implications en termes d’emplois et en termes industriels des décisions relatives à la fiscalité des carburants, vous avez cité le chiffre de 10 000 emplois directs dans le secteur automobile diesel. Il nous serait utile que ces éléments soient développés – pas forcément aujourd’hui – et que nous soient fournies des informations relatives aux emplois indirects, à la part que représente le diesel dans la valeur ajoutée du secteur automobile en France et à la différence de marges réalisées par les constructeurs sur un véhicule diesel et sur un véhicule essence. Tous ces éléments sont utiles à nos travaux.

Le Premier ministre a affirmé que la diésélisation massive du parc automobile était une erreur et le Gouvernement a engagé un rapprochement des fiscalités. Des études de scénario ont-elles été établies par votre direction quant aux implications industrielles de cette évolution et aux besoins d’accompagnement éventuels ? Nous nous sommes rendus à l’usine de Trémery près de Metz où nous a paru évident le problème de la modularisation des chaînes de production. Au-delà des questions de normes et de tests, si l’on va vers un avenir où l’outil industriel doit être beaucoup plus souple et beaucoup plus adaptable, quels doivent être les dispositifs d’accompagnement de l’État en ce sens ?

M. Christophe Lerouge. S’agissant du rôle de l’État dans les conseils d’administration, je vous confirme que je ne sais pas ce qui s’y est dit. Il n’empêche qu’il est quand même question dans les conseils d’administration de Renault des nouveaux modèles et des nouvelles motorisations. Le constructeur a notamment mené des travaux sur le modèle électrique Zoé. J’ignore si les termes de « transition énergétique » ont été prononcés en tant que tels mais il reste qu’une réflexion est menée et que les représentants de l’État défendent sa position sur ces sujets. De même, dans toutes les discussions que nous avons en ce moment avec les grands acteurs de l’industrie au sens large, nous traitons de la Conférence de Paris sur les changements climatiques (COP21), du coût de l’énergie, de la transition énergétique et des quotas de carbone. J’ignore si ces sujets sont soulevés en conseil d’administration mais nous les abordons en tant qu’administration avec nos interlocuteurs entreprises. Il a été question ces derniers temps dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances du coût de transport de l’électricité et des différents dispositifs d’abattement pour l’interruptibilité et des dispositifs applicables aux électro-intensifs : or nous en discutons régulièrement avec tous les grands acteurs industriels – même s’il ne s’agit pas forcément de ceux du secteur automobile, mais aussi de ceux des secteurs de la chimie et de la sidérurgie. Notre mission consiste aussi à être en contact avec les entreprises : celles-ci nous fournissent des informations que nous essayons d’examiner pour ensuite tenter de prendre en compte les intérêts de leur activité et de l’emploi.

S’agissant du rôle de l’État vis-à-vis des institutions européennes, la DGE ne participe pas au comité précité : ce sont les services du MEDDE qui représentent l’État dans ce dispositif. Et je vous confirme ce qui a été dit – à savoir qu’à partir du moment où il y a eu un vote, la France a voté sur une position. Mais que les réunions aient lieu à Bruxelles ou qu’elles soient interministérielles, je n’y prends aucune décision en tant qu’individu mais en tant que chef d’un service dépendant d’un ministre. Et des positions de cette nature sont évidemment soutenues par le cabinet du ministre, son directeur de cabinet ou le ministre lui-même. Nous prenons donc en compte les grands objectifs politiques français en matière de réduction des pollutions, de diminution des émissions de CO2 et de gaz à effet de serre.

Nous nous sommes livrés à des exercices complexes au doigt mouillé, à partir d’éléments obtenus auprès des constructeurs, pour essayer de déterminer l’impact du rapprochement de la fiscalité du gazole et de l’essence. Mais vous savez bien, madame la ministre, comment cela se passe : le Premier ministre prend un arbitrage au cours d’une réunion interministérielle où les différents services arrivent chacun avec leur propre évaluation. En l’occurrence, sur les questions de fiscalité du diesel, le cabinet de M. Macron avait demandé à la DGE et à la Direction générale du trésor de réaliser des simulations de l’impact de la mesure. Nous avons donc essayé de le faire tant bien que mal et à partir de là, d’établir une position que nous avons défendue en réunion interministérielle. Je vous confirme donc que nous avons travaillé sur ces sujets.

La modularisation des chaînes de production est également une question à laquelle nous réfléchissons beaucoup. Qui plus est, la filière automobile travaille depuis toujours sur les questions d’amélioration de la production, d’économies d’échelle et de productivité. Les entreprises de l’automobile ont mis en place depuis des années des processus de qualité et travaillent désormais sur le lean. On rejoint là une révolution chère au ministre, Monsieur Emmanuel Macron : la transformation numérique de l’industrie. La dixième des solutions de la nouvelle France industrielle s’intitule « industrie du futur » et traite précisément de l’évolution des méthodes de production vers des séries plus petites et plus adaptées, avec des temps de réactivité plus courts de la part des entreprises. C’est là un des objectifs auxquels s’intéresse le CSF car c’est l’un des axes de travail du contrat stratégique de filière que j’ai cité au début.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Je vous remercie pour vos réponses.

La séance est levée à dix-huit heures.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Réunion du mercredi 18 novembre 2015 à 16 h 30

Présents. - M. Frédéric Barbier, Mme Delphine Batho, M. Denis Baupin, M. Philippe Duron, M. Jean Grellier, M. Jean-Pierre Maggi, M. Gérard Menuel, Mme Sophie Rohfritsch, M. Jean-Michel Villaumé

Excusés. - M. Yves Albarello, Mme Françoise Descamps-Crosnier, Mme Arlette Grosskost, M. Denis Jacquat, Mme Marie-Jo Zimmermann