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Mardi 1er décembre 2015

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 11

Présidence de Mme Sophie Rohfritsch, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Aliette Quint, du groupe Air Liquide, secrétaire générale de l’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC) et de M. Fabio Ferrari, de la société SymbioFcell

Mission d’information
sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

La séance est ouverte à seize heures quarante.

La mission d’information a entendu Mme Aliette Quint, du groupe Air Liquide, secrétaire générale de l’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC) et de M. Fabio Ferrari, de la société SymbioFcell.

Madame Delphine Batho, rapporteure. Nous recevons aujourd’hui deux représentants de l’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC), une organisation professionnelle qui a saisi directement notre mission pour être auditionnée. Il s’agit de Madame Aliette Quint, qui est la secrétaire générale de l’association et qui travaille au sein du groupe Air Liquide. Elle est accompagnée par Monsieur Fabio Ferrari, qui représente une start-up, la société Symbio Fcell.

Notre mission ne récuse aucune source d’énergie. Elle entend comprendre en quoi la filière de l’hydrogène peut contribuer positivement à la transition énergétique, spécialement dans les transports routiers. Je ne vous cache pas que des interlocuteurs de la mission se sont montrés dubitatifs, lors d’auditions précédentes, sur la possibilité de développer une voiture « grand public » qui fonctionnerait à l’hydrogène. Certains nous ont d’ailleurs expliqué que, travaillant dans l’automobile depuis plusieurs décennies, ils en avaient souvent entendu parler mais sans constater de débouchés concrets.

La presse fait état d’avancées récentes, mais non sans préciser que pour produire de l’hydrogène à des coûts acceptables, il faudrait recourir à des ressources fossiles comme le charbon ou le gaz naturel. Il est donc légitime de s’interroger sur le caractère économiquement viable du modèle économique du véhicule à hydrogène.

De grands groupes comme Air Liquide ou encore Michelin s’intéressent à la filière dans ses aspects « mobilité ». Ainsi, Michelin est entré au capital de la société Symbio Fcell en soutenant son ambition de produire, à l’horizon 2016, un millier de voitures Kangoo équipées de nouvelles piles à hydrogène. Ce programme bénéficie du soutien de l’ADEME, du FEDER et de collectivités territoriales.

Au-delà de nos frontières, nous souhaitons savoir où en sont les autres pays en matière de développement de la mobilité liée à l’hydrogène, notamment en Europe. Nos deux constructeurs et les grands équipementiers suivent-ils avec intérêt le développement de la filière ? Un récent article de presse faisait état d’une forte implication des constructeurs asiatiques Hyundai, Toyota et Honda dans les technologies de l’hydrogène – j’ai moi-même eu l’occasion, lors d’un déplacement au Japon, de constater que Nissan développait un certain nombre de projets dans ce domaine. Pouvez-vous nous dire où en sont ces constructeurs ?

Nous allons vous écouter au titre d’un exposé liminaire, avant que mes collègues et moi-même ne vous posions quelques questions.

Madame Aliette Quint. Je vous remercie de nous auditionner comme nous l’avons souhaité, estimant être en mesure d’apporter une contribution au débat portant sur l’avenir des transports propres en France. L’AFHYPAC est une association regroupant de nombreux membres de la filière industrielle et de la recherche en France, et représentant toute la chaîne de valeur de l’hydrogène énergie ; on y trouve de grands groupes tels qu’Air Liquide ou Michelin, ENGIE, GRTgaz, Siemens, mais aussi des PME comme Symbio, McPhy, HASKEL, Hydrogène de France, et de grands laboratoires de recherche tels que le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) ou le CNRS. Elle a récemment été rejointe par le Conseil national des professions de l’automobile (CNPA), ce qui montre l’intérêt de la filière automobile française pour le développement de l’hydrogène énergie.

Si votre mission s’intéresse spécifiquement à la problématique du transport, la technologie de l’hydrogène représente une solution globale et même incontournable pour la décarbonisation du transport, mais aussi de l’énergie : elle répond aux deux grands enjeux de la transition énergétique que sont le transport propre et l’intégration des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Il faut donc bien avoir à l’esprit que le développement des marchés de masse tel celui de la mobilité propre va également permettre, à terme, d’engendrer une rentabilité économique effective de l’intégration des renouvelables, puisque l’hydrogène est l’un des moyens les plus efficaces de stocker l’énergie renouvelable en grande quantité et sur la durée.

Il ne me paraît pas inutile de rappeler brièvement comment nous produisons l’hydrogène-énergie. Aujourd’hui, l’hydrogène est produit à 95 % par un procédé de reformage du gaz naturel, consistant à casser la molécule CH4 – le méthane – pour obtenir de l’hydrogène d’une part, du CO2 de l’autre. Il s’agit d’une production industrielle de masse, pratiquée essentiellement par les raffineurs, qui désulfurent le gaz de synthèse obtenu afin de réduire la pollution engendrée par les gaz carburants. L’inconvénient de ce procédé est qu’il produit du CO2 : l’utilisation de l’hydrogène carboné dans les véhicules électriques à hydrogène – le bilan CO2 « du puits à la roue » – se traduit par une réduction globale des émissions de CO2 de 20 % à 30 %, ce qui demeure insatisfaisant. Pour décarboner la molécule d’hydrogène, il faut soit utiliser du biométhane à la place du gaz naturel, ce qui ne pose pas de problèmes sur le plan technologique, soit casser des molécules d’eau par un procédé d’électrolyse de l’eau pour obtenir des molécules H2 d’une part, O2 de l’autre ; à condition d’utiliser de l’électricité renouvelable – obtenue non pas à partir d’énergies fossiles, mais du vent ou du soleil, par exemple – pour effectuer l’électrolyse, on produit un hydrogène parfaitement propre.

Pour ce qui est du véhicule à hydrogène, c’est un véhicule électrique ayant exactement les mêmes propriétés qu’un véhicule à batteries. Sa seule particularité étant de disposer d’une réserve d’énergie embarquée sous la forme d’un stockage d’hydrogène, destiné à alimenter une pile à combustible. En combinant l’hydrogène à l’oxygène, on provoque une réaction d’oxydation de l’hydrogène, et une production d’électricité qui va servir à alimenter le moteur du véhicule. Dans la mesure où l’on effectue une opération exactement inverse à celle de l’électrolyse de l’eau, le seul résidu obtenu est de la vapeur d’eau : on ne produit aucun oxyde d’azote (NOx), aucun polluant, aucune particule fine. L’autonomie est aujourd’hui de l’ordre de 500 à 600 kilomètres – ce sera demain 700 à 800 kilomètres –, et l’utilisateur peut faire le plein d’hydrogène aussi simplement qu’il fait son plein d’essence aujourd’hui, en trois à cinq minutes. Le véhicule à hydrogène combine donc le meilleur des deux mondes en étant aussi simple à utiliser qu’un véhicule à moteur thermique, et beaucoup plus écologique.

Aujourd’hui, il n’y a plus aucune raison de se demander si cette technologie est mature ou non : elle l’est incontestablement. J’en veux pour preuve que de grands constructeurs tels que Toyota, Hyundai et Honda ont mis sur le marché des véhicules basés sur cette technologie, et que ces véhicules roulent sans problème. J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas de prototypes, mais de véhicules de série – certes, nous parlons ici de petites séries, ce qui explique le coût encore relativement élevé de ces véhicules : il faut compter environ 60 000 euros pour un SUV.

L’un des freins au développement de cette technologie est la problématique de l’approvisionnement en hydrogène des véhicules, qui suppose la mise en place d’une infrastructure adaptée. Un certain nombre de pays ont réglé cette question de manière volontariste. Ainsi, l’Allemagne a lancé un grand plan de déploiement des infrastructures grâce à un partenariat public-privé : un fort soutien public a été accordé en contrepartie d’un engagement des industriels de mettre de l’argent sur la table. Le gouvernement japonais a également fait preuve de sa volonté de déployer l’infrastructure d’approvisionnement. Le Department of Energy (DOE) américain a soutenu très fortement le lancement de la technologie hydrogène sur le marché. La Californie a ainsi mis en place un programme aux termes duquel les constructeurs doivent s’engager à mettre sur le marché un certain quota de véhicules propres – c’est-à-dire de véhicules électriques à batteries ou à hydrogène. Le Danemark s’est doté d’un réseau de cinq stations couvrant tout son territoire – ce qui est plus facile puisqu’il s’agit d’un relativement petit pays – et produisant l’hydrogène sur place, à partir de l’électrolyse de l’eau, ce qui permet à une petite flotte de véhicules de circuler au Danemark.

Pour ce qui est de la rentabilité économique, on peut penser que si les constructeurs automobiles ont investi des millions dans le développement de cette technologie, c’est qu’ils espèrent bien en tirer profit. Toyota a récemment annoncé son intention de passer sa production à 20 000 ou 30 000 véhicules dans les trois prochaines années.

La rentabilité de l’infrastructure constitue une problématique certaine. Air Liquide a décidé d’investir en partant du principe selon lequel la rentabilité dépend du taux de charge de la station : à partir du moment où des véhicules roulent à l’hydrogène, il existe un marché et le modèle devient rentable, ce qui justifie que nous fassions tant d’efforts pour développer cette technologie. Nous avons investi dans le consortium allemand, mais aussi en France, au Japon, au Danemark et aux États-Unis, c’est-à-dire dans tous les pays où le déploiement des technologies basées sur l’hydrogène énergie bénéficie d’un soutien public.

Au bout du tunnel, la rentabilité économique du modèle est au rendez-vous, mais avant d’en arriver là, il faudra franchir ce que nous appelons la « Vallée de la Mort » : à l’horizon 2020 ou 2025, les choses sont très compliquées puisque l’hydrogène n’est encore qu’une énergie de substitution. Cela dit, si la volonté politique de décarboner la société, notamment les transports, à l’horizon 2050, se confirme, elle nécessitera une électrification générale des transports par le recours à deux solutions non pas opposées, mais complémentaires, à savoir la batterie pour les transports urbains et l’hydrogène pour les trajets sur une plus longue distance.

Monsieur Fabio Ferrari. Comme vous l’a dit Madame Quint, l’électrolyse de l’eau produit de l’hydrogène et de l’oxygène. Pour notre part, nous faisons exactement l’inverse avec nos piles à combustible, en produisant de l’électricité et de l’eau à partir de l’hydrogène et de l’oxygène : c’est ce processus qui permet que les véhicules utilisent les énergies renouvelables.

Il y a actuellement une forte volonté des villes de purifier leur atmosphère. Ainsi, Paris connaît certains jours des pics de pollution équivalents à ceux des villes chinoises…

Madame Delphine Batho, rapporteure. La situation est grave, mais tout de même pas autant qu’en Chine.

M. Fabio Ferrari. Il n’est pas rare que les taux atteignent des niveaux très élevés, ce qui justifie que, dans certaines villes, la réglementation impose des restrictions d’accès au centre pour les véhicules polluants. C’est le facteur essentiel de transition du véhicule diesel vers le véhicule électrique, qui commence à créer un marché. Toutefois, pour le moment – c’est-à-dire tant qu’une réglementation ne viendra pas provoquer une bascule généralisée en valorisant le véhicule décarboné –, le prix du kilomètre le moins cher sera toujours obtenu avec cette technologie éprouvée et optimisée depuis une centaine d’années qu’est le diesel : les consommateurs n’abandonneront pas le diesel pour le véhicule écologique si un effet prix ne les incite pas à le faire.

Les restrictions réglementaires d’accès aux centres des villes constituent une incitation pour les professionnels à passer au véhicule propre. Cela dit, tant que chaque ville possédera sa propre réglementation en matière d’accès, de zones piétonnes et d’horaires de livraison, ce sera un vrai casse-tête pour le gestionnaire d’une flotte de véhicules d’optimiser – en termes de prix du kilomètre parcouru ou de la tonne de marchandises distribuées – l’organisation des tournées en centre-ville dont il est responsable. D’ores et déjà, La Poste et des grands transporteurs privés tels que DHL ou TNT commencent à passer au véhicule propre, et ce n’est ni par bonté d’âme ni par conviction écologique, mais bien parce que cela leur permet de réaliser un retour sur investissement.

Dans ce contexte, le seul véhicule permettant de franchir toutes les barrières réglementaires est le véhicule électrique, reconnu propre – le véhicule hybride n’étant, lui, qu’un véhicule thermique qui consomme moins, mais pollue tout de même. Par ailleurs, le véhicule électrique est apprécié des chauffeurs pour sa facilité d’utilisation. Le point faible des véhicules à batterie est l’autonomie, les technologies actuelles ne permettant pas à ces véhicules de concurrencer les véhicules diesel sur ce point. Les gestionnaires de flottes professionnelles sont demandeurs de véhicules disposant d’une autonomie d’au moins 200 kilomètres, voire 300 kilomètres par jour, afin d’accomplir une mission donnée. Or, dans les conditions d’utilisation réelle – la distribution de marchandises en centre-ville –, l’autonomie des véhicules à batteries n’excède pas 100 kilomètres : comme vous le savez, le fait de s’arrêter et de redémarrer à de très nombreuses reprises, comme le fait un postier ou un livreur, se traduit par une consommation deux ou trois fois plus élevée – que ce soit en diesel ou en électricité – que celle résultant d’une utilisation standard. Aujourd’hui, le véhicule à batterie permet de remplir certaines missions, mais il n’est pas assez performant en termes d’autonomie pour remplacer tout le parc de véhicules diesel : c’est ce qui explique que La Poste, par exemple, n’ait remplacé que 5 000 de ses 40 000 véhicules.

Certains constructeurs, tel Tesla, tentent de remédier à la contrainte de l’autonomie en équipant les véhicules d’un plus grand nombre de batteries. Le problème, c’est que cela se traduit par une hausse de prix – plus de 50 % du prix d’un véhicule électrique correspond au prix des batteries dont il est doté – et par une réduction de la capacité d’emport, ce qui pose un problème pour une utilisation professionnelle. Certains consommateurs sont disposés à remplacer leur véhicule diesel par un véhicule électrique, à condition que celui-ci dispose d’une plus grande autonomie. Une étude réalisée par le groupe de travail « H2 Mobilité France » a mis en évidence que, pour les professionnels, le prix au kilomètre était le même avec un véhicule électrique équipé d’un prolongateur d’autonomie à hydrogène qu’avec un véhicule diesel : il est donc possible d’atteindre un seuil de rentabilité économique avec un véhicule électrique, pour peu que la réglementation incite les utilisateurs à franchir le pas – car si les deux types de véhicule donnent les mêmes résultats, les personnes possédant un véhicule diesel n’auront pas de raison de changer leurs habitudes.

Il faut réfuter le mythe selon lequel les véhicules à hydrogène coûteraient très cher ! Aujourd’hui, les technologies mises en œuvre – souvent en France – permettent d’obtenir un prix du kilomètre équivalent à ceux des véhicules diesel. Il nous manque donc seulement un coup de pouce pour faire vraiment décoller les ventes. C’est l’objectif du projet HyWay, soutenu par l’ADEME, consiste à déployer cinquante véhicules utilitaires hybrides batteries-hydrogène, autour de deux stations de distribution d’hydrogène à Lyon et Grenoble. Dès que la production atteindra un certain niveau, nous n’aurons plus besoin d’aide pour vendre des véhicules électriques au prix du diesel, et certains constructeurs ont déjà bien compris que construire un véhicule hydrogène coûtait moins cher que de construire un véhicule diesel dépollué – car réduire les émissions de NOx et de CO2 de manière efficace se traduit par un surcoût.

Pour ce qui est de l’écosystème automobile, les constructeurs français ont fourni très tôt de gros efforts pour développer le véhicule électrique, mais ont malheureusement dû réduire la recherche et le développement dans ce domaine pour des raisons budgétaires. Chez Renault, c’est Nissan qui explore la technologie électrique, notamment la pile à hydrogène. Pour ce qui est de PSA, après avoir été un pionnier dans ce domaine – nous utilisons une technologie issue de celle développée en France par le groupe –, il a dû mettre fin pour des raisons budgétaires à sa R&D sur ce thème. Il existe donc peu de véhicules à hydrogène développés aujourd’hui par les constructeurs français. En revanche, les équipementiers investissent dans cette technologie, assez largement mise en œuvre par autres constructeurs dans le monde. Ainsi, les Allemands sont prêts à mettre des véhicules sur le marché et n’attendent pour cela que le déploiement de l’infrastructure nécessaire – 400 stations devraient équiper nos voisins d’outre-Rhin d’ici à 2023. Nous travaillons avec les équipementiers à la mise au point des réservoirs, des stacks – les empilements de cellules électriques – et de nombreux autres éléments constitutifs du système de la pile à combustible.

La viabilité économique du modèle de la voiture à pile à combustible ne fait plus aucun doute, étant précisé que dans ce domaine, les cycles d’introduction de nouvelles technologies sont assez longs. Toyota a mis une dizaine d’années à introduire la technologie aujourd’hui mise en œuvre sur la Prius, et nous pensons pouvoir obtenir une très bonne rentabilité économique de la technologie hydrogène dans le même laps de temps. C’est ce qui nous fait dire que nous devons investir dès maintenant dans cette technologie, afin d’être prêts quand il y aura vraiment un marché – et les constructeurs et les équipementiers pensent la même chose. Je vous invite à lire le position paper qui vient d’être publié par la Plateforme de la filière automobile (PFA), qui souligne que le marché sera d’abord un marché de niches, limité à la livraison et aux services en centre-ville, et ne deviendra un marché grand public que lorsque les infrastructures nécessaires seront présentes. Toute la question est de savoir si la France sera en avance ou en retard dans le développement de cette infrastructure, ce qui relève de la proactivité politique.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Madame Quint, vous avez évoqué une politique de quotas mise en œuvre en Californie. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Nos conclusions auront d’autant plus d’impact que nous aurons su observer la plus grande neutralité technologique. Je ne doute pas que vous soyez convaincus de la pertinence de la technologie dont vous les représentants, mais force est de constater que l’on entend parler depuis longtemps des véhicules fonctionnant sur le principe d’une pile à combustible, et que l’on s’explique mal que cette technologie ne se soit toujours pas imposée. Vice-présidente du conseil régional d’Alsace, une fonction dans le cadre de laquelle j’ai été chargée de l’innovation, de la recherche et de l’enseignement supérieur jusqu’à l’année dernière, je me souviens qu’il y a plusieurs années, les écoles d’ingénieurs locales travaillaient déjà, avec le concours du CNRS, au déploiement des infrastructures de recharge et au développement des technologies que vous dites aujourd’hui être matures. Existe-t-il des freins en la matière ? En particulier, la question de la dangerosité des véhicules est-elle évoquée, comme elle l’a été pour les véhicules roulant au GPL ?

Sur le plan économique, vous dites qu’un modèle mature n’a besoin que d’une incitation réglementaire et d’un soutien pour le lancement des cinquante premiers véhicules. Or, j’ai lu récemment un excellent rapport démontrant que le réglementaire ne jouait aucun rôle dans l’amélioration de la qualité de l’air dans les centres urbains – si ce n’est celui d’afficher la volonté politique des équipes en place d’agir dans ce domaine –, les résultats les plus intéressants étant ceux résultant de la mise en place d’équipements permettant de nouveaux modes de mobilité. En tout état de cause, il me semble qu’une production de cinquante véhicules représente bien peu pour que l’on puisse parler d’un modèle économique mature, et qu’il est sans doute nécessaire d’augmenter la production afin que le prix de vente de ces véhicules devienne accessible à la majorité des Français, ce qui est loin d’être le cas avec des voitures vendues 60 000 euros !

Mme Aliette Quint. Le programme californien que j’ai évoqué est le Zero-Emissions Vehicle (ZEV) Program. Il consiste en l’obligation pour les constructeurs automobiles de mettre sur le marché californien une certaine proportion de véhicules propres, et prévoit la possibilité, pour les constructeurs ayant atteint les objectifs assignés, de revendre aux autres leurs quotas excédentaires. Ce système, consistant en une espèce de marché carbone des véhicules propres, a ensuite été repris par une dizaine d’autres États des États-Unis, et la Californie souhaite désormais créer une alliance ZEV ouverte à tous les États du monde disposés à prendre part au grand marché de quotas des véhicules propres – les Pays-Bas se sont d’ores et déjà déclarés intéressés.

Datant de 2003, le programme connaît actuellement une accélération due à la mise en place de pénalités pour les constructeurs n’atteignant pas leurs quotas de véhicules. Ce système fait la fortune de Tesla, qui revend ses quotas sur le marché. Par ailleurs, il incite de nombreux constructeurs à diriger leurs flottes de véhicules propres en Californie afin de bénéficier du programme ZEV.

Le principe de neutralité technologique est effectivement important, et nous estimons d’ailleurs qu’à terme, ce n’est pas une technologie unique qui s’imposera, mais un panel de technologies complémentaires, pour aboutir à un transport propre. Il est évident qu’à l’horizon 2030, tous les types de technologie – batteries, hydrogène, hybride, diesel etc. – cohabiteront encore, et qu’il faudra sans doute attendre 2050 pour voir les véhicules électriques individuels devenir prédominants, à côté des véhicules roulant au gaz naturel – grâce aux technologies Liquefied Natural Gas (LNG) et Compressed Natural Gas (CNG). L’un des intérêts du programme ZEV est de ne pas privilégier une technologie au détriment des autres : il exige simplement que soient mis sur le marché des véhicules qualifiés de propres en fonction de critères strictement définis. L’Allemagne et le Japon ont fait le choix de soutenir aussi bien les véhicules à batteries que les véhicules à hydrogène et ceux au gaz naturel.

Nous pensons que les véhicules à hydrogène sont intéressants surtout sur les segments C et D, c’est-à-dire des véhicules relativement lourds, représentant 75 % de la pollution engendrée par le parc automobile, tandis que les véhicules à batteries sont, eux, intéressants sur les plus petits véhicules : cette répartition découle de la nécessité de placer plus de batteries sur les véhicules ayant vocation à disposer d’une autonomie plus importante – c’est ce qui fait que certains véhicules Tesla embarquent 1,4 tonne de batteries pour une autonomie de 600 kilomètres, ce qui ne paraît pas très raisonnable en termes d’efficacité. Pour les gros camions parcourant de longues distances, c’est le GNL qui sera le plus adapté. Comme vous le voyez, à chaque segment correspond un type de motorisation plus intéressant que les autres.

Pour ce qui est des freins au développement des véhicules à pile à combustible, Air Liquide a pris en charge la coordination du programme « Hydrogène Énergie en France », destiné à développer des marchés de niche sur l’hydrogène. Au départ, le Graal recherché par tous les acteurs était le marché de masse de la mobilité, un objectif jamais atteint parce que les constructeurs n’étaient pas au rendez-vous et que les recherches dans ce domaine étaient coûteuses et compliquées. Les niches ont donc semblé offrir des opportunités intéressantes, qu’il s’agisse des systèmes de sauvegarde de données, des tours de télécommunication ou de la logistique, et Air Liquide s’est lancé à la conquête de ces marchés avec l’aide d’un certain nombre de partenaires français.

Les constructeurs automobiles nous ont un peu pris de court, certains d’entre eux – notamment Daimler, Toyota, Hyundai et même Peugeot, avec un prototype – affirmant détenir la technologie leur permettant de faire rouler des véhicules à l’hydrogène. Nous avons cru un moment qu’il serait possible d’introduire de l’hydrogène dans les moteurs thermiques, avant de nous rendre compte que cette technique complexe basée sur la combustion n’était pas très efficace sur le plan énergétique. À partir du moment où certains constructeurs, tel Toyota, ont commencé à dépasser certains blocages en maîtrisant les moteurs électriques à hydrogène, qui sont des moteurs hybrides, et où la miniaturisation des piles à combustible a conduit à une division de leur prix par dix ou vingt, nous avons été en mesure d’équiper les véhicules de piles à combustible sans que celles-ci n’occupent une place excessive. L’autre avancée majeure a consisté en la possibilité d’embarquer de l’hydrogène sous forme de gaz comprimé, en quantité suffisante pour procurer une autonomie rivalisant avec celle des véhicules à batteries et même celle des véhicules à moteur thermique. Une fois ces avancées obtenues, les constructeurs sont revenus vers nous en nous demandant où en était l’infrastructure, que nous nous sommes donné pour mission de faire progresser.

La question de la dangerosité est importante. La molécule d’hydrogène est très légère et s’échappe facilement, ce qui nécessite certaines précautions – vous vous souvenez peut-être de cette expérience réalisée en classe de troisième, lors de laquelle on fait « aboyer » un tube à essais contenant de l’hydrogène en approchant une allumette de son embouchure, afin de démontrer le caractère détonant du mélange hydrogène-oxygène. Sur ce point, les constructeurs ont fait leur travail, et s’il serait intéressant pour vous de les auditionner, je peux d’ores et déjà vous dire que lors des crash-tests extrêmement sévères auxquels sont soumis les véhicules à hydrogène, le réservoir contenant l’hydrogène est la partie du véhicule qui résiste le mieux aux chocs – c’est même, lors des tests les plus intenses, la dernière pièce du véhicule à rester intacte.

Pour ce qui est de la résistance au feu, les pompiers sont désormais formés à combattre les incendies ayant pris sur des véhicules à hydrogène, et ils vous diront tous qu’ils sont beaucoup plus à l’aide sur un feu de ce type que sur l’incendie d’un véhicule à essence. En effet, la flamme d’hydrogène produit très peu de radiations, ce qui signifie qu’elle produit peu de chaleur : vous pouvez ainsi placer votre main très près d’une flamme à hydrogène sans vous brûler. Lors de l’incendie d’un véhicule, un dispositif va se déclencher, laissant l’hydrogène s’échapper vers le haut en produisant une flamme qui ne dégagera pas de radiations, donc pas de chaleur, vers les sièges arrière du véhicule ; sur un véhicule à essence, l’ensemble de l’habitacle est détruit en quelques minutes.

Nous travaillons avec les Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) ainsi qu’avec la Direction générale de la prévention des risques (DGPR), afin de mettre en place une réglementation relative aux stations d’approvisionnement des véhicules qui prenne en compte l’ensemble des standards internationaux relatifs à la sécurité. De ce point de vue, nous devons être extrêmement stricts, afin de ne pas refaire les erreurs commises avec les véhicules au GPL.

M. Fabio Ferrari. Il existe en matière de sécurité des véhicules une norme européenne et une norme internationale. Par ailleurs, comme vient de le dire Madame Quint, nous travaillons avec les pompiers, formés aux procédures d’intervention et convaincus par la fiabilité de nos produits au point de nous acheter des véhicules – les pompiers du département de la Manche ont ainsi été les premiers à s’en équiper.

J’insiste sur le fait que pour convaincre les usagers de véhicules diesel de passer à un véhicule à hydrogène, il faut créer une incitation d’ordre réglementaire, en édictant des restrictions d’accès ou en agissant sur le coût – par l’instauration d’une taxe sur le diesel ou de primes à l’achat de véhicules à hydrogène. En tout état de cause, l’incitation doit avoir pour effet de diminuer le coût de possession du véhicule hydrogène par rapport au véhicule diesel, dont la technologie est amortie depuis plus de cent ans et dont la production en énormes quantités autorise un prix de vente réduit. Pour vous donner un ordre de grandeur, les piles à hydrogène que nous fabriquons aujourd’hui coûtent entre 1 500 et 2 000 euros du kilowatt, à rapporter au coût de 50 euros pour la production automobile classique. Or, à défaut d’élément incitatif, nous n’atteindrons jamais l’effet volume recherché.

Mme la rapporteure. Nous sommes déjà parfaitement conscients de l’enjeu de la technologie hydrogène et avons besoin, pour progresser dans nos travaux, que vous nous donniez des éléments très factuels et très précis, et pas seulement des éléments généraux sur les perspectives d’évolution de la mobilité à l’horizon 2030.

Que pouvez-vous nous dire sur le coût de production d’un véhicule à hydrogène par rapport à ceux d’un véhicule électrique et d’un véhicule thermique ?

Par ailleurs, vous avez indiqué que certains constructeurs s’engageaient dans des programmes de développement de l’hydrogène. Pouvez-vous nous donner des détails sur la nature de ces programmes ?

Que pensez-vous de la situation et des perspectives de la France en matière de développement des technologies hydrogène ? Estimez-vous qu’il y ait un blocage, et que nous soyons en retard ? Quelles sont précisément vos attentes et vos demandes vis-à-vis des pouvoirs publics pour vaincre les freins au développement de votre activité ?

Pour ce qui est de l’infrastructure de distribution de l’hydrogène, j’entends bien le raisonnement consistant à dire que, plutôt que d’exiger des pétroliers qu’ils fassent en sorte de permettre l’introduction d’urée dans les carburants afin de réduire les NOx, il serait plus efficace de s’orienter directement vers la mise en place d’une infrastructure de distribution d’hydrogène. Pouvez-vous nous dire si la réglementation a évolué en la matière au cours des deux ou trois dernières années, et où en sont l’Allemagne et le Japon, qui avaient exposé des programmes assez ambitieux en la matière : ces pays respectent-ils leurs calendriers ? Ce que vous avez dit tout à l’heure au sujet de la Prius ne me paraît pas recevable dans la mesure où, contrairement aux véhicules à hydrogène, ce véhicule n’était pas confronté au problème de l’infrastructure de recharge.

M. Fabio Ferrari. Pour ce qui est du coût des véhicules, je me bornerai à vous donner des éléments d’information sur ceux produits par la société Symbio Fcell. Aujourd’hui, notre modèle Kangoo équipé d’un prolongateur d’autonomie à hydrogène est vendu 30 000 euros au client, déduction faite d’une aide de 10 000 euros – ce qui couvre à peine notre coût de production de 40 000 euros pour le véhicule équipé de son kit de prolongation d’autonomie. Il nous reste donc 10 000 euros à gagner pour commencer à prendre un peu de marge sur les ventes de nos véhicules – aujourd’hui limitées à une série de cinquante, ce qui est dérisoire au regard des productions de véhicules standard.

L’objectif que j’ai évoqué tout à l’heure, consistant à passer à un coût de production de 50 euros du kilowatt, ne résulte pas de nos calculs, mais d’une estimation du Department of Energy (DOE) américain, qui effectue actuellement un sondage auprès des constructeurs mondiaux, afin de déterminer où ils en sont de leur courbe de décroissance et de leurs estimations du coût de fabrication des piles à hydrogène. En France, nous travaillons avec un ensemble de partenaires que je ne peux vous citer, afin de voir si la moyenne internationale estimée par le DOE est atteignable avec nos moyens de production : nous sommes très proches du seuil de 50 euros en dessous duquel nous serions moins chers qu’un véhicule diesel.

Comme vous le dites, il n’y a pas lieu de comparer la situation des véhicules à hydrogène de celle de la Prius, dans la mesure où celle-ci n’a pas été confrontée à la problématique de l’infrastructure que nous devons résoudre. Je n’ai cité cette comparaison que dans la mesure où le groupe Toyota le fait lui-même. Ce que les responsables de Toyota ne disent pas, c’est qu’ils souhaitent mettre en place un modèle de déploiement de la technologie hydrogène – ils y travaillent aux États-Unis, notamment avec Air Liquide – visant à s’affranchir de la problématique de l’infrastructure, en proposant des packages incluant non seulement le véhicule, mais aussi la fourniture de l’énergie. Aujourd’hui, la Tesla est vendue avec sa recharge gratuite – le coût de l’électricité est compris dans le prix de vente de la voiture –, et c’est ce modèle qu’ils cherchent à imiter. Notre démarche est un peu similaire avec notre approche de flotte captive : dès lors qu’il se trouve un ensemble de véhicules à un endroit donné, un opérateur d’énergie va être en mesure de proposer une offre d’approvisionnement. En gros, il est intéressant d’installer une station à partir du moment où un peu plus de vingt véhicules sont susceptibles de venir y faire le plein.

Mme la rapporteure. Quel est le seuil de rentabilité d’une station ?

M. Fabio Ferrari. Environ quarante véhicules – c’est d’ailleurs le seuil à partir duquel les banques sont disposées à consentir des prêts –, mais il est possible d’envisager l’installation d’une station à partir d’une vingtaine de véhicules venant s’approvisionner régulièrement.

Mme Aliette Quint. Nous avons installé environ 75 stations de distribution d’hydrogène dans le monde, ce qui représente 30 % de parts de marché – car nous avons évidemment des concurrents. Le consortium regroupant Air Liquide, Total, la compagnie pétrolière autrichienne OMV, Shell, Daimler et notre principal concurrent dans les domaines du gaz industriel, le groupe Linde AG, a installé dix-huit stations en Allemagne sur les cinquante dont le pays a décidé de se doter à l’horizon 2017. Il y a donc un peu de retard dans le calendrier – ce que les autorités allemandes nous rappellent régulièrement – en raison des délais administratifs d’ouverture des stations plus longs que prévu et, dans une moindre mesure, de la difficulté pour nous de maintenir un rythme d’investissement très soutenu.

Pour ce qui est du Japon, nous y avons installé deux stations, en partenariat avec la société Toyota Tsusho, et sommes en pourparlers en vue de la poursuite du déploiement des stations, le pays ayant pour objectif de disposer de cent stations d’ici à 2020. Je ne dispose pas d’éléments précis sur l’état du calendrier, mais je vais me renseigner et reviendrai vers vous pour vous faire part des informations que j’aurai recueillies.

Mme la rapporteure. La réglementation en matière de sûreté des véhicules et des stations, qui paraissait constituer un frein majeur au développement de l’hydrogène-énergie il y a deux ou trois ans, a-t-elle évolué favorablement ?

Mme Aliette Quint. Dans ce domaine, nous saluons le travail du ministère de l’environnement, en particulier de la DGPR. Des groupes de travail, auxquels l’AFHYPAC a pris part, ont été mis en place afin de remédier à divers points de blocage. Ainsi, un arrêté ad hoc a été rédigé afin de permettre la distribution d’hydrogène pour les chariots élévateurs électriques. Cet arrêté visant un certain nombre de points critiques a été adressé à toutes les DREAL, qui délivrent désormais beaucoup plus facilement les autorisations nécessaires, faisant ainsi passer l’instruction des dossiers de dix-huit à trois mois, ce qui constitue une avancée considérable ; il vient d’être soumis au Conseil supérieur de la prévention des risques (CSPR), et devrait être publié très prochainement.

Pour ce qui est des stations destinées au grand public ou aux flottes captives, nous sommes en discussion avec la DGPR afin de mettre en place les prochaines étapes du groupe du travail. Les choses avancent bien, même si la réglementation doit encore évoluer, notamment en ce qui concerne les seuils d’autorisation et de déclaration.

J’insiste sur le fait qu’à ce jour, le principal obstacle reste l’insuffisance d’engagement politique, en particulier de soutien financier public qui faciliterait les premiers déploiements. Si le déploiement des bornes de recharge électrique bénéficie d’un fort soutien, rien n’est fait encore fait pour les infrastructures de distribution d’hydrogène. Nous discutons avec le ministère dans le cadre du plan Nouvelle France Industrielle (NFI), dirigé par Florence Lambert. Nous avons ainsi proposé un certain nombre d’actions, notamment une aide équivalente à celle offerte par le Gouvernement pour les véhicules à batteries, et espérons être entendus afin de pouvoir entreprendre le déploiement initial sur le sol français. Dès que les ministères de l’industrie et de l’environnement auront donné leur aval, nous serons en mesure de faire connaître notre plan de déploiement, précisant combien de stations nous entendons installer, pour approvisionner combien de véhicules, et à quels emplacements – ce qui dépendra de la situation des flottes captives.

Il faudra ensuite mettre au point la phase 2, consistant en un déploiement plus large, pour un investissement plus important que les 50 millions d’euros initiaux. À ce stade, nous devrons passer des financements publics aux financements privés, en nous efforçant d’intéresser les banques à un projet de déploiement d’infrastructures énergétiques de substitution, qui constitue un investissement risqué. Nous réfléchissons avec CDC Climat aux moyens qui pourraient permettre de diminuer le risque, notamment dans le cadre d’un partenariat avec l’Allemagne.

M. Fabio Ferrari. Nous nous félicitons de constater que l’hydrogène est cité dans la loi de transition énergétique : c’est un acquis fondamental, car cette filière était jusqu’alors assez peu présente dans les textes de loi. Nous avons bénéficié de quelques aides publiques qui nous ont permis de déployer les premières stations : au niveau national, avec l’ADEME et la région Rhône-Alpes, mais aussi au niveau européen, avec le programme TEN-T, qui va permettre le financement d’une quinzaine de stations en Normandie. Quatre premières stations ont d’ores et déjà été financées par l’Europe au stade de la R&D afin de tester les nouvelles infrastructures, et huit autres devraient l’être à terme. Nous en sommes actuellement à quatre stations ouvertes au public en France, et Air Liquide va inaugurer lundi prochain sa première station à Paris.

Mme Aliette Quint. Cette station parisienne sera installée de façon temporaire à proximité du pont de l’Alma, dans le cadre d’un partenariat conclu entre Air Liquide et une société de taxis électriques parisiens qui a décidé de passer à l’hydrogène dès que des véhicules fabriqués en série ont été disponibles sur le marché – les véhicules à batteries qu’ils utilisaient précédemment leur posaient des problèmes en termes d’autonomie. Cinq taxis viendront donc s’approvisionner à cette station temporaire durant quelques mois, jusqu’à ce que l’on ouvre des stations fixes autour de Paris – en commençant par les aéroports – afin de permettre, au terme d’une montée en puissance du dispositif, le ravitaillement de 500 ou 600 taxis. Le financement des infrastructures s’est fait grâce à des financements européens, mais le modèle a vocation à se rentabiliser très rapidement compte tenu de la flotte de taxis qui viendra s’approvisionner à nos stations.

M. Fabio Ferrari. Une dernière station a été achetée par la Mairie de Paris afin d’alimenter sa flotte de Kangoo utilitaires. Comme vous le voyez, le déploiement planifié par « H2 Mobilité France » est désormais une réalité, et une vingtaine de villes sont aujourd’hui intéressées par notre modèle. Nous cherchons un soutien en termes de financement, que nous devrions trouver dans le cadre du plan Nouvelle France Industrielle.

Mme la rapporteure. En ce qui concerne les financements privés, le modèle du consortium allemand est-il un bon modèle ? Par ailleurs, je m’étonne que vous mentionniez le plan Nouvelle France Industrielle sans rien dire des programmes d’investissements d’avenir (PIA) ni de la convention « Véhicules du futur » : est-ce parce qu’aucun appel à projets n’a été lancé dans ce cadre ?

M. Jean Grellier. Quand il est fait appel aux financements publics comme c’est le cas avec la technologie hydrogène, je ne peux m’empêcher de me demander si le principe de neutralité technologique est bien respecté. Il y a deux ou trois ans, le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce (FISAC) a été appelé à contribution pour la mise aux normes des stations d’essence et de gazole, et les collectivités locales ont été sollicitées pour le déploiement des bornes de recharge électrique. Or, il semble aujourd’hui que la technologie de l’hydrogène ait vocation à prendre le dessus, ce qui va nécessiter la mise en place d’une nouvelle infrastructure. Il va falloir faire un choix car, à défaut, les effets de volume, de production industrielle et de prix finiront bien par nous rattraper – or, je n’ai pas l’impression que les grands constructeurs soient disposés à abandonner du jour au lendemain le modèle du véhicule thermique.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. La société Symbio a-t-elle été approchée en vue d’un éventuel rachat ?

M. Fabio Ferrari. Nous procédons actuellement à des levées de fonds, mais n’avons pour le moment que des investisseurs français, et la présence de Michelin dans notre capital nous protège certainement de certaines convoitises.

Mme Aliette Quint. Le modèle allemand est un modèle exemplaire de partenariat public-privé, avec des partenaires privés motivés pour faire progresser le modèle économique, notamment le constructeur automobile Daimler. Nous sommes tous conscients qu’il nous faut franchir la « Vallée de la Mort », et que nous n’y parviendrons pas seuls : nous aurons toujours le temps de nous battre entre nous lorsqu’il y aura un marché, ce qui n’est pas le cas pour le moment. Cela dit, le modèle allemand présente quelques contraintes particulières, notamment la nécessité de déployer l’infrastructure avant de penser aux véhicules. De ce point de vue, le modèle français, basé sur le principe consistant à déployer prioritairement l’infrastructure à proximité des flottes captives qui vont permettre de rentabiliser plus rapidement les investissements, paraît plus vertueux. Nous ne sommes pas opposés à l’idée de mettre en place en France un partenariat public-privé à l’instar de ce qui se fait en Allemagne, et c’est d’ailleurs ce qui est envisagé dans le cadre du plan NFI.

Si je n’ai pas évoqué le Commissariat général à l’investissement (CGI), chargé de la mise en œuvre du Programme d’investissements d’avenir, c’est qu’il nous a été clairement indiqué qu’il n’avait pas vocation à financer le déploiement d’infrastructures en dehors des bornes de recharge électrique.

M. Fabio Ferrari. Qui constituaient une exception.

Mme Aliette Quint. Effectivement, en l’occurrence, le principe de neutralité technologique ne s’est pas appliqué. Cela dit, nous pensons que le CGI va participer à la mise en place de financements dans le cadre du plan NFI.

M. Fabio Ferrari. Au sujet de la vision à long terme, je souligne que l’étude sur l’hydrogène-énergie réalisée avec le concours d’énergéticiens a mis en évidence la synergie qui pouvait exister entre ce vecteur énergétique qu’est la mobilité, et d’autres usages. Si ces autres usages n’offraient pas des débouchés supplémentaires à l’hydrogène, nous n’aurions pas pu nous lancer. Évidemment, tout dépend du développement des énergies renouvelables, et nous ne pouvons tirer des plans sur la comète, mais une augmentation des besoins en stockage d’énergie paraît inévitable et, pour les énergéticiens consultés, la meilleure solution pour un stockage en quantité est l’hydrogène – or, si le stockage de l’hydrogène pour les ENR est rentable, il le sera également pour la mobilité.

Par ailleurs, au niveau économique, il sera toujours moins cher de stocker l’électricité directement dans une batterie que de passer par le vecteur hydrogène – car il faut bien amortir l’électrolyseur. Dès lors, quand on n’a pas besoin de stocker beaucoup d’énergie dans le véhicule et que la flexibilité d’usage – le fait de refaire le plein en trois minutes – n’est pas une priorité absolue, la voiture à batteries constitue la meilleure solution, c’est-à-dire celle présentant le plus faible prix d’utilisation au kilomètre. Dans le cas contraire, c’est-à-dire quand on a besoin de stocker de l’énergie à bord du véhicule et de disposer d’une grande flexibilité, l’hydrogène est le plus rentable, car le stockage de trop nombreuses batteries n’est pas une bonne solution.

Mme Aliette Quint. Comme je l’ai dit tout à l’heure, Air Liquide a travaillé avec CDC Climat pour réfléchir à un modèle de financement alternatif des infrastructures. En fait, il s’agit de déterminer comment attirer le financement bancaire. Pour cela, CDC Climat a passé au crible tout notre business plan de déploiement des infrastructures à l’horizon 2020-2040. La conclusion de cette étude est claire : notre modèle est rentable, il n’y a aucun doute quant au fait qu’il puisse rapporter de l’argent. Les banques sont donc intéressées en dépit de quelques risques : il faut que les véhicules soient bien présents, et que le prix du carbone reste suffisamment élevé pour permettre le développement de carburants alternatifs, notamment l’hydrogène. Il suffit que 1 % de la flotte mondiale de véhicules se convertisse à l’hydrogène pour que se constitue un marché de 15 milliards d’euros. Pour ce qui est des constructeurs automobiles, je ne peux m’exprimer en leur nom et sans doute faudra-t-il que vous les auditionniez au sujet de leur modèle économique – qui, a priori, paraît solide.

Mme la rapporteure. Que pouvez-vous nous dire au sujet de la technologie développée par PSA, que vous avez évoquée tout à l’heure ?

M. Fabio Ferrari. Les systèmes de piles à hydrogène étaient autrefois produits selon des processus qui n’étaient pas optimisés pour le monde automobile. Lorsqu’ils se sont intéressés à la question, les ingénieurs de PSA se sont demandé comment produire une pile à hydrogène au meilleur coût possible, et ont mis au point un nouveau procédé avec le concours du CEA. Ils ont donc breveté dans les années 2000 les premiers systèmes de piles à hydrogène constituées de plaques bipolaires métalliques, qui constituaient alors une innovation mondiale et leur ont donné de l’avance sur leurs concurrents en matière de densité énergétique.

Depuis, nous avons mis au point une nouvelle génération de piles avec le CEA, puis une autre avec Michelin, qui détenait également une technologie avancée de son côté
– toujours dans l’objectif de produire moins cher.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. PSA n’a donc pas poursuivi sa R&D afin de chercher à rentabiliser son procédé initial ?

M. Fabio Ferrari. Non, le groupe a dû y renoncer pour des raisons budgétaires, car l’entretien des brevets et la rémunération des équipes de R&D ont un coût très élevé, qu’il ne pouvait supporter sans être certain de trouver une application immédiate aux avancées obtenues. Cela dit, nous avons récupéré une partie de son équipe technique. Tout n’est donc pas perdu.

Mme Aliette Quint. Je reviendrai vers vous dès que possible afin de vous donner des éléments d’information sur les calendriers allemand et japonais, et vous préciser le fonctionnement du mécanisme californien ZEV et du mécanisme de financement innovant.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Nous vous remercions pour vos explications.

La séance est levée à dix-huit heures.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Réunion du mardi 1er décembre 2015 à 16 h 30

Présents. - Mme Delphine Batho, M. Jean-Marie Beffara, Mme Estelle Grelier, Mme Sophie Rohfritsch

Excusés. - M. Xavier Breton, M. Jean-Pierre Maggi, M. Rémi Pauvros, M. Jean-Michel Villaumé, Mme Marie-Jo Zimmermann