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Mardi 19 janvier 2016

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 20

Présidence de Mme Sophie Rohfritsch, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Christian de Perthuis, professeur à l’Université de Paris Dauphine, titulaire de la Chaire d’économie du climat 

Mission d’information
sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

La séance est ouverte à seize heures trente.

La mission d’information a entendu M. Christian de Perthuis, professeur à l’Université de Paris Dauphine, titulaire de la Chaire d’économie du climat.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Nous recevons M. Christian de Perthuis, professeur d’économie associé à l’université de Paris-Dauphine et fondateur de la chaire d’économie du climat, après avoir été chargé de mission « Climat » à la Caisse des dépôts et consignations. Il nous fera part de son expertise sur des sujets intéressant directement notre mission, notamment les points relatifs à la fiscalité.

Vous avez, monsieur de Perthuis, présidé le Comité pour la fiscalité écologique depuis sa création, à la fin de l’année 2012, jusqu’à l’automne 2014. Peut-être pourriez-vous nous rappeler pourquoi vous avez décidé de démissionner de cette responsabilité.

La convergence progressive entre la taxation de l’essence et du diesel demeure un objectif. Ce processus vous semble-t-il aussi déterminant qu’il y paraît ? Quelles devraient être, selon vous, les autres mesures susceptibles de faire raisonnablement évoluer le parc français en un ensemble progressivement « dépollué », donc d’enregistrer des résultats significatifs en termes de rejets, notamment en zone urbaine ?

Plus généralement, quelles conclusions peut-on tirer de l’actualité récente avec le scandale Volkswagen révélé aux États-Unis, mais aussi avec les difficultés apparemment rencontrées par Renault dans le cadre de nouveaux contrôles des émissions dont les caractéristiques du protocole mis en œuvre restent toutefois inconnues ? Ce point nous amène également à nous interroger sur l’opacité des procédures jusqu’alors adoptées, au niveau européen, dans la fixation des normes.

M. Christian de Perthuis, professeur de l’Université Paris-Dauphine, titulaire de la chaire d’économie du climat. Je ne suis pas à proprement parler spécialiste du secteur automobile, qui fait l’objet de votre mission d’information. Aussi mon propos tournera-t-il plutôt autour des mesures environnementales et de leurs répercussions sur l’industrie automobile et éventuellement d’autres industries.

J’ai démissionné du Comité pour la fiscalité écologique, car j’avais le sentiment de ne plus disposer des moyens de le faire fonctionner, à cause de difficultés pratiques. J’avais écrit aux deux ministres de tutelle pour savoir si le Comité devait continuer ses travaux. Sans réponse de leur part et face à l’abandon de l’écotaxe poids lourds, j’ai préféré abandonner une présidence d’un comité qui risquait de n’être que potiche.

Pour autant, la création du Comité pour la fiscalité écologique s’est avérée extrêmement utile, puisque ce dernier a servi de caisse de résonance entre les pouvoirs publics – Gouvernement et Parlement – et la société civile dans sa diversité. Puisse le nouveau comité qui l’a remplacé poursuivre et amplifier la tâche engagée.

La fiscalité environnementale s’envisage dans un contexte de long terme et de court terme. Sur le long terme, l’on constate que la fiscalité de l’énergie s’est constituée par strates successives et qu’elle est le fait de l’histoire, sans que se soit exprimé le souci d’envoyer des incitations en termes écologiques ou sanitaires. C’est plutôt la recherche du rendement qui a dominé.

Ainsi, la taxe intérieure pétrolière (TIP), ancêtre de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), fut instituée en 1928 pour des raisons de rendement. Elle a remplacé l’impôt … sur le sel, dont le produit baissait régulièrement. Saluons la grande clairvoyance du Parlement qui a su trouver comme base de taxation une nouvelle matière physique, l’essence et le pétrole, qui s’est révélée avoir de l’avenir. La fiscalité de l’énergie est donc née de préoccupations de rendement ; plus rarement, elle a pu servir d’instrument de soutien économique. Ce n’est que tardivement que s’est exprimée la volonté de concilier ses dispositions avec les enjeux environnementaux. Il s’agit d’un phénomène récent.

À court terme, il faut souligner que le baril de Brent s’échange aujourd’hui à moins de 30 dollars et que le prix hors taxe et le prix toutes taxes comprises du pétrole sont déconnectés l’un de l’autre. Ce contexte de baisse des prix des hydrocarbures est particulièrement propice à une accélération des mesures fiscales en matière énergétique, et il la rend plus facile aujourd’hui qu’il y a trois ans, lorsque le baril de Brent était à plus de 100 dollars. Le levier fiscal peut être utilisé à l’heure actuelle pour envoyer les bons signaux en termes écologiques.

S’agissant des avantages accordés au diesel, il faut distinguer, au sein de notre grille de fiscalité, le régime général des mesures spécifiques. Pour le régime général, la TICPE accorde historiquement un avantage au diesel par rapport à l’essence. Quand je présidais le Comité pour la fiscalité écologique, il se chiffrait à 17 centimes par litre de carburant ; au 1er janvier 2016, il n’était plus que de 12 centimes, mais l’écart demeure encore important, au profit du diesel. Cet avantage concerne essentiellement les véhicules particuliers et les petits véhicules utilitaires.

Des systèmes particuliers dérogatoires existent par ailleurs, qui concernent principalement les taxis et les véhicules de société, même si je me demande si la loi de finances de 2016 n’a pas gommé l’avantage consenti à ces derniers.

M. Charles de Courson. Je vous le confirme, pour ce qui est de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Sa non-déduction sur l’essence sera supprimée en quatre ans pour ces véhicules. Je suis l’auteur de l’amendement à l’origine de cette disposition, qui avait reçu le soutien de M. Christian Eckert, ministre du budget. Elle a été votée en deuxième lecture. Mais je vais immédiatement vérifier.

Mme Delphine Batho, rapporteure. À mon sens, cette disposition avait plutôt été écartée au cours de la seconde délibération, même si elle avait été initialement adoptée.

M. Christian de Perthuis. Je vous avoue que j’étais surtout accaparé, pendant le débat budgétaire, par les travaux de la conférence de Paris sur le climat (COP21).

Un deuxième bloc de dérogations concerne trois professions : les agriculteurs, les travaux publics et les transporteurs routiers. Il faut bien dissocier entre ces deux blocs, car les mesures à prendre à leur endroit, et les méthodes à suivre pour ce faire, varient grandement selon leur spécificité.

Quant à la justification de la fiscalité de l’énergie actuelle par rapport aux enjeux écologiques, je me permettrai de vous renvoyer à l’avis n° 3 du Comité pour la fiscalité écologique, rendu le 18 avril 2013. Je n’aurais pas une ligne à y changer aujourd’hui : historiquement, la fiscalité de l’énergie s’est construite sans prise en compte des impacts environnementaux et sanitaires des différents carburants.

À mesure que les connaissances scientifiques ont progressé, il est apparu que les deux types de carburant que sont le diesel et l’essence n’ont pas la même incidence écologique. Un litre de diesel contient 15 % de dioxyde de carbone (CO2) de plus qu’un litre d’essence. Ce point est mal connu, et le diesel est souvent perçu comme étant plus favorable à l’action climatique car le rendement du moteur diesel est plus élevé. En outre, les polluants locaux y sont plus présents, notamment les oxydes d’azote (NOx) et les microparticules, dont on mesure mieux la présence, mais aussi l’impact sanitaire négatif, du fait du progrès des connaissances. D’autres sources dégagent cependant les mêmes particules, comme l’a montré le bilan du Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA) pour la France. Le bois est ainsi une source très importante d’émissions de particules.

Indubitablement, le diesel joue un rôle dans les pics de la pollution urbaine. Il n’y a aucune justification environnementale à donner un avantage au diesel sur l’essence, quelle que soit la métrique utilisée. L’on pourrait penser que la parité de taxation permettrait d’établir un équilibre total ; ce n’est pourtant pas le cas, car le diesel est plus polluant que l’essence. Pour prendre en compte la mesure des impacts sanitaire et environnementaux, il conviendrait donc de taxer davantage le diesel.

Il serait cependant compliqué d’en définir le juste niveau de taxation. Dans un moteur à combustion, la masse de dioxyde de carbone dégagée correspond bien à celle qui est contenue dans le réservoir, de sorte qu’il est facile d’évaluer son niveau de pollution. Mais l’émission des NOx varie selon les types de véhicule et de pot catalytique utilisés. Elle dépend aussi de l’entretien de ces pots catalytiques ou encore de leur mode d’usage, car les pots catalytiques filtrent efficacement lorsqu’ils sont chauds, mais pas quand ils sont froids.

Pour trouver un bon système tarifaire qui impute à l’utilisateur la pollution locale, il faudrait se tourner vers des solutions analogues au péage urbain mis en place à Stockholm. Il est différencié selon la classe technique des véhicules et selon l’heure d’utilisation. Ce système tarifie donc de manière fine les pollutions locales.

L’écart de fiscalité entre diesel et essence a un impact à la fois économique et industriel. Comme je le disais précédemment, le faible niveau du baril de Brent offre l’occasion à court terme de les modifier.

Sous le régime général de taxation, le premier impact économique de l’écart de fiscalité se fait sentir sur l’industrie du raffinage, notamment française. L’avantage fiscal consenti au diesel conduisant à sa surconsommation en France, et la production du diesel étant pratiquement indissociable de celle de l’essence, on se retrouve dans la situation de devoir importer du diesel tandis qu’on a du mal à trouver des débouchés rentables à l’essence qui sort des raffineries françaises. Cette industrie se porterait donc mieux si un rééquilibrage durable avait lieu.

S’agissant du secteur automobile, je ferai trois observations. En premier lieu, la prédominance du diesel est un phénomène français et européen, à l’exception du Royaume-Uni. Aux États-Unis, en Asie également, la norme de carburant des petits véhicules est l’essence. Les Japonais n’ont développé de véhicules diesel que pour entrer sur le marché européen. Dans les pays hors de l’Europe continentale, la structure de taxation fait que le diesel est plus imposé que l’essence pour les véhicules des particuliers.

En deuxième lieu, le coût de la mise aux normes des véhicules récents s’élève à plusieurs milliers d’euros par véhicule. Ce surcoût imputable aux pots catalytiques fait qu’il est de moins en moins rentable de développer de nouveaux modèles. La tendance naturelle est donc à l’évolution du marché des petites cylindrées à usage urbain vers des modèles à essence. Pour les grosses cylindrées, il est encore aujourd’hui plus rentable et plus facile de vendre des modèles diesel. Tout le problème est là.

J’en viens, en troisième lieu, aux avantages spécifiques du diesel. S’agissant des véhicules de société, il faut réduire le plus rapidement possible cet écart de taxation entre essence et diesel pour les flottes professionnelles, car il n’a aucune légitimité. D’autant que la part des ventes de véhicules particuliers qui constituent ces flottes captives augmente. L’avantage dont bénéficient les taxis est plus réduit et peut être a-t-il été supprimé. Quoi qu’il en soit, il n’y a aucune raison de le maintenir, puisqu’ils peuvent répercuter les coûts dans leurs tarifs.

J’en termine par les trois professions jouissant d’un régime particulier : agriculteurs, travaux publics, transporteurs de marchandises. Il faut chercher des solutions avec eux. Comme président du Comité pour la fiscalité écologique, j’avais noué des contacts tout à fait intéressants avec leurs représentants. Ceux de la profession agricole étaient, bien sûr, attachés au soutien dont ils bénéficient, mais ils n’étaient pas fermés à ce qu’il prenne d’autres formes, peut-être plus efficaces, que cette aide à l’achat de carburant. Il en va de même pour les bâtiments et travaux publics. Dans ces activités, il n’y a pas de lien direct entre le prix du carburant et la compétitivité internationale du secteur, qui est déterminée par de nombreux autres facteurs.

La situation est différente pour les transporteurs routiers. Le coût salarial chargé d’un routier est de 10 % à 15 % plus élevé en France qu’en Allemagne. D’autres éléments que le coût du carburant pèsent donc dans le coût d’exploitation. Ne faut-il pas réfléchir, avec la profession concernée, à d’autres leviers pour soutenir son activité ? J’observe toutefois, ayant été invité au congrès annuel de la Fédération nationale des transports routiers, que le statut du carburant professionnel fait, pour ainsi dire, partie de l’identité de ce secteur. Il y a une forte tradition.

M. Charles de Courson. Vérification faite, la disposition dont nous parlions tout à l’heure fut adoptée par notre assemblée en première lecture du projet de loi de finances pour 2016, mais le Sénat l’a supprimée en première lecture. Après l’échec de la commission mixte paritaire, la TVA sur l’essence des véhicules de société demeure donc non déductible.

M. Christian de Perthuis. À faire la prochaine fois !

Mme la rapporteure. Depuis l’avis, rendu le 18 avril 2013, du Comité pour la fiscalité écologique, le débat sur la fiscalité de l’énergie a progressé et des mesures ont été prises. Le Premier ministre n’a pas hésité à affirmer que la diésélisation massive avait été une erreur. Un mouvement de rééquilibrage a été engagé. Aujourd’hui, le débat porte moins sur la nécessité de principe que sur la manière et le rythme des mesures à prendre pour réduire l’écart de fiscalité entre diesel et essence.

Pour ce qui est de la manière, il y a débat sur la double convergence, c’est-à-dire la baisse de la taxation de l’essence parallèlement à la hausse de celle du diesel. S’agissant du rythme, quel est votre point de vue ? La convergence peut-elle être progressive et sur quelle durée doit-elle s’étaler ? Telle est la question que se posent les industriels, qui ont compris que cette convergence aurait lieu. Il reste pour eux à envisager l’adaptation de leurs capacités industrielles.

D’autres interlocuteurs ont mis en avant la nécessaire neutralité technologique de la fiscalité. Ce principe, qui me paraît assez juste, veut que l’État ne s’immisce pas, à travers les critères de la fiscalité, dans les choix de technologies des industriels. À cet égard, il faut d’ailleurs indiquer que les nouvelles motorisations à essence émettent, elles aussi, des particules. Même si le diesel propre n’existe pas, il a fait des progrès, tandis que les nouvelles motorisations à essence requerront, elles aussi, des filtres à particules. Faut-il que l’État se fonde seulement sur l’émission de CO2 ou qu’il prenne aussi en compte les émissions de particules ? La fiscalité est-elle, du reste, le seul levier à actionner ou est-il préférable de recourir à des dispositifs de bonus/malus ?

M. Frédéric Barbier. Les moteurs à essence vont se développer pour les petites cylindrées, avez-vous indiqué. Quelle est la limite supérieure de cette catégorie ?

Par ailleurs, s’agissant de la fiscalité, quelle est la part de marché de la motorisation au diesel dans les flottes d’entreprises et dans les véhicules détenus par les particuliers ?

M. Charles de Courson. Que serait la neutralité fiscale entre l’essence et le gazole ? Les uns prétendent qu’elle pourrait se fonder sur la parité énergétique, concept utile si l’on se souvient que le contenu énergétique d’un litre d’essence n’est pas le même que celui d’un litre de gazole. Mais vous nous dites qu’il faut aller au-delà. Jusqu’où préconisez-vous exactement d’aller dans l’écart positif entre essence et diesel ?

Vous n’avez pas parlé des autres énergies utilisées pour le transport automobile. L’électricité est produite en France à 82 % ou 83 % par des centrales nucléaires ou thermiques. Or elle échappe à la taxation de sa composante non renouvelable. Cela a des répercussions sur les véhicules électriques. Comment voyez-vous les choses ?

De même, pourquoi le gaz jouit-il d’un régime particulier ? Au-delà de l’amusante distinction de marketing entre le gaz, qui serait naturel, et le pétrole, qui ne le serait pas, qu’est-ce qui justifie cette anomalie sur la fiscalité du gaz et ses différents composants, qu’il s’agisse du gaz de pétrole liquéfié (GPL) ou du gaz liquide, lorsqu’ils sont utilisés par des véhicules de transport ?

M. Michel Heinrich. Vous nous avez dit que les filtres à particules placés sur les derniers modèles ne seraient peut-être pas si efficaces. Dans les publications et revues spécialisées, à mon sens plutôt objectives, j’ai lu des avis différents, selon lesquels le moteur diesel émettrait, grâce à ces filtres, à la limite moins de particules que le moteur à essence classique.

Les industriels, en particulier les fabricants de turbo, s’inquiètent de la baisse attendue sur les moteurs diesels. Les fabricants de moteur, mais aussi les spécialistes de l’injection, craignent de voir disparaître leur industrie. Vous dites n’être pas spécialiste du secteur automobile, mais savez-vous si l’on a pu estimer le temps de conversion nécessaire pour ce secteur ou certains métiers sont-ils purement et simplement condamnés ?

M. Philippe Duron. Monsieur le professeur, je partage votre point de vue sur l’abandon de l’écotaxe sur les poids lourds et sur le renoncement à la tarification de la route, alors que nous étions engagés dans un processus vertueux. D’autres pistes sont explorées aujourd’hui, telle que la convergence des prix entre essence et gazole. C’est de cette façon que l’État a pallié, l’année dernière, la disparition de la recette des poids lourds pour l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).

Comme économiste, comment jugez-vous que doive être affecté le produit de la fiscalité écologique ? Doit-il plutôt financer la modernisation d’infrastructures ou la recherche et le soutien en faveur d’une rupture des modes de mobilité ?

M. Yves Albarello. Un reportage diffusé hier soir à la télévision traitait du vieillissement du parc automobile. Il n’est pas rare que, au vu du coût élevé des véhicules neufs, des jeunes se rabattent sur l’achat de modèles qui ont dix-sept ou dix-huit ans, et qui polluent donc beaucoup. Que pensez-vous de ce phénomène ?

Comme l’a déjà remarqué notre collègue Charles de Courson, vous n’avez pas évoqué la filière du gaz. Qu’en est-il du biogaz, qui contribue au développement de l’économie circulaire ? Alors que nous disposons de gisements un peu partout dans ce pays, sa production n’est pas forcément favorisée.

M. Christian de Perthuis. Madame la rapporteure, vous m’avez interrogé sur le rythme de réforme dans le domaine de la fiscalité de l’énergie. Je répéterai qu’il faut être convaincu de ce que l’acceptabilité sociale des mesures fiscales en matière énergétique est bien différente selon que le baril est à moins de 30 dollars ou à plus de 100 dollars. J’ai transmis ce message aux pouvoirs publics à l’automne. Je crois qu’il faut utiliser l’opportunité que nous offre le contexte conjoncturel pour accélérer des réformes qui seront de toute façon nécessaires.

Hors de France, des pays tentent des réformes fiscales ambitieuses. J’ai fait deux conférences en juin aux Émirats arabes unis. J’ai pu y constater que, à l’occasion de contacts auprès du fonds souverain de l’émirat d’Abou Dhabi, que la baisse des prix du brut y coïnciderait cette année avec une hausse du prix de l’essence.

En réalité, les constructeurs automobiles nationaux ont déjà entamé la révolution vers des modes de mobilité différents. Il faut accélérer le processus : telles sont les bonnes incitations à leur envoyer. Reste à savoir s’il faut qu’ils l’achèvent en trois ans, en cinq ans ou en sept ans.

S’agissant de la taxation du diesel et de l’essence, faut-il baisser d’un côté et augmenter de l’autre ou ne faire qu’augmenter d’un côté ? Les grandes déclarations faites à l’occasion de la COP21 plaideraient en faveur d’une accélération impérieuse vers une économie bas carbone. Je pense qu’il faut donc converger vers le haut, même si cette approche n’est pas populaire. Il faut garantir la cohérence entre, d’une part, les discours sur les intentions, comme la loi relative à la transition énergétique, et, d’autre part, les moyens que l’on se donne pour les réaliser. Dans ce contexte, il serait contre-productif de promettre une baisse des prix de l’essence, ce qui n’exclut pas des mesures compensatoires.

J’en viens à la neutralité technologique de la fiscalité, question complexe. Nous héritons malheureusement d’une fiscalité absolument orientée ! Ainsi, le gaz a été détaxé pour permettre le développement du site de Lacq dans les années 1950. Si l’on raisonne correctement en prospective, il faut s’orienter vers une fiscalité énergétique à deux composantes. La première est le contenu énergétique des combustibles, qui doit servir de base à la taxation. Cette dernière repose aujourd’hui tantôt sur le litre tantôt sur le mètre cube, ce qui est tout à fait irrationnel. Pour progresser vers une société qui recherche l’efficacité énergétique, il faut que le prix de l’énergie devienne de plus en plus significatif. Le premier levier de l’économie d’énergie reste donc une bonne tarification, qui repose sur le contenu énergétique, totalement neutre du point de vue technologique mais qui va inciter les acteurs économiques à adapter leurs réponses.

La deuxième composante de la fiscalité de l’énergie doit avoir un caractère environnemental. S’agissant du carbone, on a une idée claire, puisqu’un gramme de CO2 présent dans le carburant sort nécessairement par la cheminée ou par le pot d’échappement, du fait qu’il n’y a pas de système pour le capter. Les autres nuisances environnementales appellent un dispositif plus complexe car, suivant la normalisation et les caractéristiques techniques des véhicules, il n’en sortira pas la même quantité de polluants.

Le mode d’usage entre aussi en ligne de compte. J’ai dit, non pas que le pot catalytique est inefficace, mais que son efficacité dépend de son entretien et du bon renouvellement des filtres. Or personne ne vérifie que cet entretien est correct ; certaines études laissent même penser que beaucoup de véhicules fonctionnent avec des filtres mal entretenus. À cela s’ajoute le fait que les pots catalytiques fonctionnent bien quand ils sont chauds, mais beaucoup moins bien quand ils sont froids. En tout état de cause, la tarification par le seul carburant ne serait pas suffisante. Cela renvoie à la question des péages urbains tels que celui qui est pratiqué à Stockholm.

S’agissant des particules émises par les moteurs à essence, nous avons encore des incertitudes sur la présence de particules encore plus fines. Notre connaissance des nuisances environnementales est liée à nos capacités techniques tant pour opérer les relevés que pour les évaluer.

Monsieur Barbier, vous m’avez interrogé sur les contours exacts de la catégorie des petites cylindrées. Malheureusement, je ne saurais même pas quoi vous dire pour ma propre Clio ! Je connais mal la nomenclature, je pense cependant que la direction est claire. Quant à la part du diesel dans les flottes professionnelles, elle est extrêmement élevée.

Mme la rapporteure. Non moins de 87 % !

M. Christian de Perthuis. L’avantage TVA dont ce type de véhicules bénéficie est, en effet, considérable. Quand je pilotais le Comité pour une fiscalité écologique, nous avions été invités à orienter notre attention non seulement vers la fiscalité des carburants, mais aussi vers la TVA applicable aux flottes professionnelles. En tout cas, la part des véhicules particuliers vendus à des flottes et des loueurs est en augmentation constante. Cette observation rejoint, me semble-t-il, les considérations sur l’achat de vieilles voitures par des jeunes.

Monsieur de Courson, la bonne neutralité fiscale suppose, en effet, de se fonder sur le contenu énergétique, et non sur le volume, des carburants. Il faut aller jusqu’à la parité. Plus précisément, dans la loi sur la transition énergétique, il est prévu que la valeur de la tonne de CO2 augmente jusqu’à s’établir à 100 euros en 2030. Cela correspond à une augmentation mécanique de 15 % de plus du diesel, plus riche en CO2 que l’essence classique. Mais il faut traiter séparément la question du CO2 et celle des pollutions sanitaires et locales.

Ces dernières ne peuvent être gérées en faisant seulement varier le coût du carburant. Il faut des mesures complémentaires, soit normatives, soit analogues au péage institué à Stockholm. S’agissant des normes, il est de notoriété publique que le système européen de normalisation ne reflète pas les conditions réelles d’utilisation des véhicules. Là est l’origine du scandale Volkswagen. Les États-Unis imposant des normes plus contraignantes, il était nécessaire, pour ainsi dire, de truander pour cette entreprise qui voulait entrer sur le marché américain. Nous ne devrions pas, de notre côté, connaître de scandale sur un logiciel français, car un constructeur comme PSA ne vend pas de véhicules aux États-Unis. Cette expérience nous apprend qu’il faut revoir la métrique pour la rapprocher des conditions réelles d’utilisation des véhicules, et adopter un dispositif de gouvernance qui reste à définir.

Au demeurant, compte tenu de la diversification attendue, il faudra élargir ce système de normes à tous les types de motorisation – essence, gaz, électricité –, tant pour les polluants locaux que pour le CO2. Même l’émission de CO2 liée aux véhicules électriques devra être calculée, dans une logique de prise en compte de la pollution « du puits à la roue ». Car si leur utilisation ne dégage pas de CO2, cela n’est pas le cas de leur production.

L’écart de fiscalité entre le diesel et l’essence n’est que la partie émergée d’une problématique plus complexe. Certes, la majorité des véhicules a basculé vers une motorisation alimentée par l’un ou l’autre de ces carburants, mais une transition est en cours vers d’autres types de motorisation. Nul ne peut dire à l’avance lesquels l’emporteront.

Les véhicules électriques ne sont certes pas taxés au titre de l’émission de CO2, mais la production carbonée de ces voitures est taxée par le système européen d’échanges de quotas de CO2. Il est aujourd’hui en fort mauvaise posture, puisque le prix du quota s’établit à 8 euros la tonne, même si ce prix remonte un peu. Cela va poser des problèmes dans les pays qui lèvent une taxe carbone nationale : en Irlande, en France, plus encore en Suède, où cette taxe est progressive. Nous allons observer un phénomène de ciseau, entre carburants soumis à une taxation carbone et carburants qui en resteront exemptés ; elle n’aura pas beaucoup de signification économique pour la filière.

Je conviens avec vous de l’anomalie que constitue la fiscalité du gaz. Mais la fiscalité des bioénergies est une anomalie plus grande encore. De manière ahurissante, la taxe carbone ne distingue pas entre le carbone d’origine fossile et le carbone d’origine biologique. Le biogaz, que nous commençons à valoriser en France avec beaucoup de retard, comporte du carbone à cycle court qu’il faut taxer différemment. Je crois que nous allons progresser en la matière.

J’observe, en deux mots, que derrière la question de la fiscalité de l’énergie se profile celle du financement des énergies renouvelables. Il faudra bien s’interroger sur la contribution au service public de l’électricité (CSPE), qui reporte sur une partie des consommateurs la charge de leur développement.

Monsieur Heinrich, les filtres sont, en effet, de plus en plus efficaces. C’est indubitable. Mais leur efficacité n’en est pas moins liée à leur mode d’utilisation et à leur entretien.

Je n’ai pas de compétence directe pour juger de l’impact que peut avoir sur la filière automobile une réforme de la fiscalité de l’énergie. Ne nous voilons pas la face : certaines filières d’approvisionnement automobile vont devoir se reconvertir, d’autres vont apparaître. L’industriel Bolloré a, par exemple, ouvert une nouvelle usine cette semaine. La question du rythme de l’évolution est cependant importante. Il me semble qu’une partie du produit fiscal supplémentaire doit effectivement financer la reconversion, car elle est toujours d’autant plus coûteuse qu’elle n’a pas été anticipée.

Monsieur Duron, je ne peux que partager votre avis sur l’abandon de l’écotaxe. Quant à l’usage qui doit être fait du produit de la fiscalité écologique, les économistes développent à son propos la notion de double dividende, parfois difficile à faire entendre au pouvoir politique, qu’il s’agisse de l’exécutif ou du législatif. Cette notion veut que l’augmentation de la fiscalité écologique aille de pair avec la baisse d’autres impôts. Cette baisse compensatoire doit elle-même porter sur les impôts pesant le plus sur la compétitivité des entreprises. C’est pourquoi une majorité d’économistes préconisent, non de réinjecter ces recettes nouvelles dans des politiques de transition énergétique, mais dans une baisse des charges qui pèsent sur le travail. Il s’agit cependant d’une règle qui peut ne pas être appliquée à 100 % : les économistes n’ont pas à se présenter devant les électeurs.

Aussi, les recettes nouvelles pourraient-elles en partie être dirigées vers un usage social. Les réformes fiscales sont, en effet, loin d’être neutres et renchérissent le coût de la vie. Or certains de nos concitoyens ne peuvent absorber cette hausse des coûts. Les recettes nouvelles pourraient aussi aller partiellement à la recherche et développement, et à des dépenses d’investissement en général, telles que des dépenses d’infrastructures. À cet égard, je vous avoue que je n’ai pas été horrifié de voir que le centime additionnel sur le gazole ait pu financer l’an dernier l’AFITF, même si, en économiste, j’aurais préconisé une baisse des charges sociales.

Monsieur Albarello, vous avez soulevé la question du biogaz. C’est sans doute dans ce secteur que l’on a fait le moins bien en France. J’avais eu l’occasion de me pencher sur le sujet lorsque je présidais le Comité pour la fiscalité écologique. Le système de tarification des déchets est complexe ; il n’envoie pas les bonnes incitations économiques. En ce domaine, la politique n’est pas suffisamment ambitieuse vis-à-vis du secteur agricole, qui a pourtant un incroyable potentiel de développement.

Beaucoup d’usages du gaz vont être favorisés, mais le résultat n’est pas le même, en termes écologiques, selon que le cycle de production du gaz biologique est court ou long. Il y a également beaucoup à faire dans le domaine de la mobilité. En zone urbaine, il apparaît que la tendance est favorable à la motorisation électrique. Mais, sur les longues distances, il n’y a pas beaucoup de solutions alternatives aux fossiles ; dans ce contexte, le biogaz est intéressant. En tout état de cause, la fiscalité du gaz naturel et du pétrole, énergies fossiles, doit être différente de celle du biogaz, qui constitue un substitut d’avenir possible à ces énergies, pour le transport de marchandises.

S’agissant de l’achat de vieilles voitures par des jeunes, je n’ai pas vu le reportage télévisé évoqué. Il est étonnant de constater que les plus de cinquante-cinq ans constituent désormais la majorité des acheteurs de véhicules neufs. Il n’y a plus de jeune pour acheter une voiture neuve. Le phénomène s’explique en partie par des aspirations différentes entre générations, mais aussi par les contraintes particulières auxquelles cette catégorie de la population se trouve soumise. Il y a pourtant des méthodes pour faire sortir du parc les vieux modèles de voiture, telles que la prime à la casse. Vu son coût pour l’État, cette dernière ne doit pas être employée de manière trop large, mais elle permettrait de retirer assez vite ces véhicules du parc automobile.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Monsieur le professeur, je vous remercie.

La séance est levée à dix-sept heures trente.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Réunion du mardi 19 janvier 2016 à 16 h 30

Présents. - M. Yves Albarello, M. Frédéric Barbier, Mme Delphine Batho, M. Charles de Courson, M. Philippe Duron, M. Jean Grellier, M. Michel Heinrich, M. Philippe Kemel, Mme Sophie Rohfritsch, M. Éric Straumann

Excusés. - M. Jean-Pierre Maggi, M. Rémi Pauvros, Mme Marie-Jo Zimmermann