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Mardi 26 janvier 2016

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 22

Présidence de Mme Sophie Rohfritsch, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean, associés fondateurs de Carbone 4, cabinet de conseil spécialisé dans la stratégie carbone..

Mission d’information
sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.

La mission d’information a entendu MM. Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean, associés fondateurs de Carbone 4, cabinet de conseil spécialisé dans la stratégie carbone.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Nous accueillons messieurs Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean, en leur qualité d’associés-fondateurs du cabinet de conseil et d’expertise Carbone 4.

Ce cabinet, qui a presque dix ans, est un spécialiste incontestable des bilans carbone. Mais ses deux cofondateurs, l’un et l’autre polytechniciens d’origine, ont par leurs interventions et leurs écrits un rôle important d’animateurs du débat sur la transition énergétique et, plus généralement, sur la conciliation de l’écologie avec les activités productives.

Leur approche des problèmes semble assez voisine des orientations de la fondation Nicolas Hulot, même si Carbone 4 est une structure totalement indépendante. Par exemple, monsieur Grandjean a été président du comité des experts du débat national sur la transition énergétique. Ainsi, c’est à titre de grands experts que nous avons souhaité entendre messieurs Jancovici et Grandjean. Nos interrogations dépasseront donc les seules spécialités du cabinet Carbone 4.

Ce qu’il est convenu d’appeler l’« affaire Volkswagen », puis, à présent, les difficultés d’autres constructeurs à respecter des niveaux d’émission qu’ils annoncent pourtant sur certains véhicules, posent de sérieux problèmes. Une perte de crédibilité risque d’entacher la réputation de tout un secteur. En tout cas, ces événements perturbent les consommateurs.

À cet égard, le choix de la motorisation diesel est devenu hasardeux à bien des points de vue, d’autant que le régime de taxation de ce carburant est appelé à s’alourdir. Nous aimerions obtenir de votre part une analyse sur la validité des politiques conduites sur les pollutions atmosphériques, notamment en zone urbaine. Sur ce point, les enjeux de la mobilité restent déterminants.

Au-delà des rejets de CO2, comment et à quel rythme revient-il de traiter les questions relatives au NOx et aux particules fines, c’est-à-dire des problématiques au moins aussi sensibles, mais dont le public ne découvre les impacts que depuis peu ?

Messieurs, nous allons, dans un premier temps, vous entendre au titre d’un exposé de présentation. Puis, madame Delphine Batho, notre rapporteure, vous posera un premier groupe de questions. Enfin, les autres membres de la mission d’information vous interrogeront à leur tour.

M. Jean-Marc Jancovici, associé fondateur de Carbone 4. Nous nous partagerons l’exposé de présentation, Alain Grandjean et moi-même. Je replacerai la problématique des transports dans la stratégie générale Énergie-climat ; il vous fera part d’éléments plus pragmatiques.

Quelle est la part des transports dans la problématique du climat ? L’évolution des choses dépend-elle de notre bon vouloir ou sommes-nous soumis à des contraintes externes ? Pour entamer ce cadrage macroscopique, voici quelques éléments à avoir en tête : il faut s’attendre à ce que la récession appartienne au paysage structurel, interdisant de recourir à des mesures gourmandes en capitaux ; la production de pétrole restera contrainte, ce qui ne signifie pas que sa consommation va augmenter en France ; le raffinage continuera, comme par le passé, à donner du diesel en même temps que de l’essence. À cet égard, la prohibition du diesel nous laisserait donc sans solution pour 30 % du pétrole utilisé sur la terre.

Au mois de décembre 2015, l’accord de Paris sur le climat a été salué comme un grand succès diplomatique. J’ai publié à ce sujet une chronique dans Les Échos intitulée de manière taquine : « Victoire ! Tout reste à faire ». Si vous observez les chiffres publiés par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), vous constaterez que 2 000 milliards de tonnes de CO2 ont été émises dans l’atmosphère depuis 1850. Le pétrole n’est pas seul en cause, puisque ces émissions sont également imputables au charbon, à la déforestation ou au gaz. À l’époque du sommet de Copenhague, certaines associations écologistes prétendaient que le pétrole tue le climat ; en réalité, il y contribue, mais d’autres facteurs agissent aussi.

Le GIEC a mis en relation ces émissions avec l’augmentation de la température planétaire. Compte tenu de l’inertie du système climatique, notamment dans ses compartiments océanique et cryogénique –les calottes polaires–, nous savons déjà qu’une augmentation de 1,2° est acquise pour 2100, à plus ou moins un demi-degré près.

Pour que l’augmentation cumulée ne dépasse pas 2 °d’ici 2100, il faudrait en tout cas que l’émission totale de CO2 ne dépasse pas 3 000 milliards de tonnes depuis 1850. Vu que 2 000 milliards de tonnes de CO2 ont déjà été émises, une simple soustraction vous indique qu’il ne faudra pas dépasser 1 000 milliards de tonnes de CO2 d’émissions supplémentaires d’ici 2050. Or, les émissions précédentes ont eu lieu alors que la planète ne comptait qu’entre un milliard et sept milliards d’habitants, qui ne possédaient majoritairement pas de voiture ou du pouvoir d’achat pour acquérir des billets d’avion à prix cassé. Jusqu’en 2100, la planète portera plutôt entre sept et neuf milliards d’habitants.

Nous devons donc diviser par trois les émissions mondiales d’ici 2050. En France, le volume des émissions devra même être divisé par cinq pour s’approcher d’une moyenne par habitant plus proche de la moyenne mondiale. Pour cela, il faudra frapper ailleurs que dans la production électrique nationale, peu carbonée. Je dois donc vous dire que, dans le débat national sur la transition énergétique (DNTE), on s’est trompé de problème à l’entrée.

Observons maintenant les diverses origines des émissions mondiales de CO2. Un cinquième, ou plus précisément 21 %, provient des centrales à charbon, première source de production d’électricité au monde. Ce volume s’est accru, en quatorze ans, quinze fois plus vite que le photovoltaïque. Il y a peu, la Chine mettait encore en service l’équivalent d’un EPR (European Pressurized Reactor) par semaine en capacité de centrale à charbon. L’explosion de la production d’énergie électrique au charbon est le fait marquant des dernières années. Cumulées, ces centrales à charbon représentent une puissance installée de 1 800 gigawatts, contre seulement 63 gigawatts de capacité nucléaire installée en France.

D’autres centrales électriques fonctionnent quant à elles au gaz et au pétrole, à hauteur de 6 %. La production d’électricité à base d’énergie fossile représente donc 27 % du total de l’énergie électrique produite dans le monde. À la lumière de cette observation, force est de se demander si, dans les transports, le mode de propulsion électrique est toujours une affaire sur le plan climatique. Dans une étude récente, nous avons pu prouver que les émissions dues à un tram électrique, en particules en CO2, peuvent être équivalentes à celle d’une ligne de bus au diesel, à ceci près que les émissions n’ont simplement pas lieu au même endroit.

Si nous poursuivons, nous nous apercevons que 5 % des émissions de CO2 sont imputables aux cimenteries. Le reste de l’industrie, en représentent 10 %, (dont les aciéries, pour 4% ou 5 %) et les chaudières de bâtiment 6 %.

Les transports dans le monde ne sont donc la cause que de 13 % des émissions de CO2. Ils ne constituent donc qu’un sujet parmi d’autres. La part de ces émissions se décompose comme suit : 4 % pour les camions, 4 % pour les automobiles, 2 % pour les bateaux et 2 % pour les avions. Viennent enfin d’autres sources, telles que l’agriculture, pour 20 %, et la déforestation, pour 8 %.

Qu’en est-il en Europe ? Nous observons que les transports sont à l’origine de 20 % des émissions de CO2 sur ce continent, trois quarts des émissions étant imputables aux transports routiers. Encore est-il difficile de savoir, sur le plan statistique, comment affecter les émissions dues aux véhicules utilitaires, qui peuvent être aussi bien considérés comme des véhicules particuliers que comme des véhicules de transports de marchandises : la camionnette du plombier a-t-elle pour première fonction de lui permettre de se déplacer ou de transporter son matériel ? Les utilitaires constituent tout de même 20 % de la consommation totale de carburant dans le pays. La marine marchande et l’aviation ne viennent qu’ensuite dans l’ordre des activités émettrices.

Soulignons qu’en Europe, l’approvisionnement en pétrole est déjà en décrue depuis 2006. Cela est dû à la géologie. Encore faut-il distinguer entre pétrole et pétrole. L’on a coutume de classer sous cette appellation de liquides, des extra-lourds, tels que les sables bitumineux du Canada, aussi bien que le brut (crude), le vrai pétrole ; ceux sont de vrais carburants, mais des condensats de gaz naturel (natural gas condensate, NGL) sont également inclus dans cette catégorie, où l’on retrouve également le gaz liquide, éthane, butane ou propane. La production de pétrole stricto sensu n’augmente plus depuis 2005.

La crise actuelle trouve son origine dans le fait que le prix du pétrole a cessé d’augmenter. De ce fait, les prix de l’immobilier se sont retournés aux États-Unis en 2006. Tout le reste a suivi. Ce n’est pas la crise financière qui a provoqué la crise économique : c’est un ralentissement sensible de la production industrielle dans tous les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui a déclenché la crise économique, qui a généré la crise financière.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, j’entrevois à un horizon de six mois à deux ans un coup de tabac sur les marchés financiers. Car la baisse des prix du pétrole va rendre non rentables certains projets de production, contraignant à due proportion la croissance du produit intérieur brut (PIB). Cela signifie que l’argent sera de moins en moins disponible pour financer des politiques publiques.

J’en viens à la décomposition des produits raffinés. Depuis 1965, la part des produits légers stagne, tandis que la part du fioul et du gaz augmente un peu. En tout état de cause, le diesel constitue un tiers des produits qui sortent des raffineries. S’il ne doit plus être utilisé comme carburant, il continuera à être produit au cours de la distillation de l’essence, laissant ouverte la question de son emploi éventuel. Car le parc mondial de raffinerie ne saurait changer du jour au lendemain, chaque unité installée coûtant quelques milliards d’euros… Les métaux lourds, tel le fioul utilisé dans la marine marchande, représentent eux aussi un tiers du total.

Le carburant qui vous intéresse aujourd’hui, le diesel, représente un tiers du total produit dans le monde par les raffineries. À l’heure où la production de pétrole est orientée à la baisse, il est tout à fait possible de se passer du diesel. Mais la contrepartie en termes de contrainte immédiate sur la mobilité est réelle, car il ne saurait être remplacé rapidement par un autre carburant.

De manière contre-intuitive, le pétrole reste pour sa part peu cher malgré la contrainte à la baisse qui s’exerce sur lui. Car, même si volumes et prix interagissent, à six mois ou un an, il n’existe pas d’élasticité sur le long terme entre les volumes produits et le prix du pétrole. Ils varient de manière erratique, et complètement indépendants l’un de l’autre. C’est pourquoi je n’ai jamais affirmé qu’un pétrole contraint serait plus cher.

De manière caricaturale, on pourrait dire qu’il n’existe que deux régimes de cours du pétrole : l’un où les volumes sont stables tandis que le prix évolue de manière imprévisible, l’autre où le prix est stable tandis que les volumes évoluent de manière erratique. Ne croyons donc pas une seconde qu’un approvisionnement pétrolier se répercute sur un prix perpétuellement croissant. Les faits le démentent.

En revanche, un approvisionnement contraint à la baisse peut avoir pour effet une récession, comme on l’a vu en 2007 et en 2011. Dans notre ouvrage, Le Plein s’il vous plaît !, nous avions défendu l’idée qu’une taxe carbone est le meilleur impôt qui soit, car elle permet de conserver la rente pétrolière chez soi. Sinon, à chaque hausse du pétrole, c’est le producteur qui encaisse la rente. Ainsi, la taxe carbone protège, et non saigne le consommateur. Ce livre avait été envoyé par notre éditeur à tous les députés. En tout cas, nous devrions nous partager le bénéfice de la baisse actuelle du pétrole.

Si nous ne le faisons pas, nos enfants ne nous remercieront pas ! Les projections de prix régulièrement publiées par l’Agence internationale de l’énergie sont souvent démenties par les faits, comme le prouvent celles qui ont été produites entre 2003 et 2014. Je ne m’y fierais donc pas. Pour ce qui est du cours du pétrole, c’est le Fonds monétaire international qui voit juste, en ne faisant de prévisions qu’à douze mois, sans s’aventurer au-delà. Mais je suis sûr en revanche que, si le baril reste à un bas niveau pendant cinq ans, la récession sera forte au niveau mondial. Car le pétrole conditionne l’économie. La variation de la production de pétrole par rapport à la population est un bon indicateur avancé de la variation du produit intérieur brut par habitant.

Passons à l’approvisionnement européen en pétrole depuis 1965. Avant les chocs pétroliers, il venait pour l’essentiel des importations. À partir de 1970, le pétrole de la mer du Nord a commencé de se développer. Il est passé par un maximum en 2000. Ensuite, depuis 2006, l’approvisionnement en pétrole a baissé de 20 % en Europe, sans que cela procède de la mise en œuvre d’une politique publique. Parallèlement, la production recule dans tous les pays de l’Union européenne, sauf l’Allemagne. Cela est dû au fait qu’on importe de moins en moins de pétrole, que de moins en moins de camions circulent et que la machine économique se grippe. Cela va au demeurant continuer.

J’en viens à la variation du PIB européen depuis cinquante ans. Jusqu’en 1975, elle s’établissait à 5 % ; elle est ensuite descendue à 2 % en moyenne jusqu’en 2007 ; depuis cette date, elle est quasi-nulle. Et je ne parierais pas mon dernier euro d’économie sur le fait que cela va repartir à la hausse ! La dette publique a augmenté, tant en France qu’au Royaume-Uni. Aux États-Unis, elle a même doublé entre 2007 et 2013. Ainsi, avant les chocs pétroliers, le rythme de croissance de l’énergie vous donnait le rythme de croissance de la production industrielle, qui vous donnait le rythme de croissance du PIB. Depuis les chocs pétroliers, la croissance de l’énergie a été moins élevée ; en apparence, une dématérialisation se dessine, ce qui pourrait passer pour une bonne nouvelle si elle n’allait de pair avec une croissance de la dette. À mon sens, une partie de cette dématérialisation est indissociable de la croissance de la dette, car elle n’est ni plus ni moins que de l’inflation d’actifs.

Nous pouvons en dégager quelques règles cardinales pour l’avenir, y compris pour l’avenir du diesel dans les transports. D’abord, il faudra apprendre à faire plus avec moins. Ensuite, il faut s’attendre à ce que le trafic soit stable, voire baisse –il s’agit d’une règle de prudence pour évaluer les projets d’infrastructure. Enfin, l’on peut considérer que les taux longs sont devenus nuls, et qu’il faut donc actualiser à taux nul les prévisions économiques, ce qui n’est pas sans modifier l’ordre de mérite des projets que l’on peut financer.

La technologie ne règlera pas tout, comme cela est démontré historiquement. Au contraire, les usages technologiques se sont plutôt multipliés, plutôt qu’ils ne se sont remplacés. Il faut donc manier l’obligation ou l’interdiction, agir par la réglementation et se souvenir de ce que j’ai écrit dans le livre que je vous citais : la subvention vide les caisses de l’État, tandis que la fiscalité les remplit, car je vois arriver l’apurement de la dette publique sous la forme d’un défaut obligataire sur la dette souveraine. Dans un monde sans inflation, c’est la seule forme d’apurement possible. Il se produira donc tôt ou tard, c’est évident !

Dans un monde sans croissance, il ne faut pas compter sur les seuls ingénieurs pour sauver la situation. Le monde sans croissance n’est pas un monde facile. Au contraire, il convient de faire des choix. Mon cadrage était à dessein un peu appuyé, mais il aurait été le même au sujet de la loi de finances, des subventions aux énergies renouvelables ou de la rénovation des bâtiments.

S’agissant des transports, je crois pouvoir dire qu’il restera des voitures dans le futur. L’étalement urbain ne disparaîtra pas en une semaine. Un tiers des trajets individuels effectués en France aujourd’hui sont des trajets entre domicile et travail. Un magasinier trop heureux d’avoir trouvé un emploi à trente kilomètres de chez lui ne saurait y renoncer au motif qu’il ne doit pas prendre sa voiture.

Dans notre économie, les types de métier sont de plus en plus spécialisés, de sorte que ces derniers deviennent la variable d’ajustement de la rencontre entre offre et demande d’emploi. J’ai eu l’occasion de m’en rendre compte à l’occasion de la réalisation du premier bilan carbone d’une grande surface en périphérie. Les salariés venaient souvent de très loin. Il ne sera donc pas possible de diviser par deux en dix ans les déplacements individuels.

La mesure urgente à prendre est de diminuer la consommation unitaire des véhicules. Cela signifie, vu les impondérables des sciences physiques, que leur volume et leur masse doit baisser. Je peux seulement prendre l’exemple de la deux-chevaux hybride à air comprimé telle qu’en fabrique Peugeot. Il faut aller vers des voitures de 500 kg, atteignant au plus 110 ou 120 kilomètres à l’heure en pointe, pour un moteur de 30 chevaux. Car de telles voitures consomment sans difficulté seulement deux litres aux cent.

Pour encourager leur production, de fortes incitations fiscales et réglementaires sont nécessaires, comme un système de bonus/malus, une vignette ou une prime à la casse, qui soit étroitement corrélée à la variation de la consommation du véhicule acquis par rapport à celle du véhicule mis à la casse.

Enfin, il est nécessaire, pour conduire une politique industrielle intégrer, de protéger dans une certaine mesure le marché. Car nul ne saurait faire des investissements de plusieurs milliards d’euros sans assurance de les rentabiliser. Les règles européennes de libre concurrence devraient pouvoir supporter quelques entorses lorsqu’il s’agit de sauver le climat ou de garantir l’approvisionnement énergétique de l’Europe.

En tout état de cause, il faut aller le plus vite possible vers des véhicules ne consommant que deux litres aux cent. Cette solution vaut non seulement pour le diesel, mais aussi pour tous les autres types de carburant. Elle ouvre la voie à des substitutions de carburant vers du carburant propre, car la substitution portera alors sur un contenu énergétique trois fois moindre.

Il convient également de favoriser des solutions du type du bus périurbain du grand Madrid, que l’on pourrait comparer, par sa taille, à l’Île-de-France. Grâce à ce bus, le taux de transport par les transports en commun est l’un des meilleurs d’Europe, meilleur même qu’aux Pays-Bas. Ces bus effectuent en effet une boucle de ramassage à vingt ou vingt-cinq kilomètres du périphérique, puis amènent d’une traite leurs passagers à la station de métro la plus proche.

De tels bus périurbains pourraient être rapidement mis en place en Île-de-France. Il ne coûte pas si cher de construire un arrêt de bus. Des aménagements des gares de RER seraient cependant nécessaires. Mais ils apporteraient de la mobilité à ceux qui sont chassés de l’usage de la voiture, sans induire de grandes dépenses d’investissement en capital.

Par comparaison, les investissements au titre du Grand Paris s’élèvent à 40 milliards d’euros, qu’il faut multiplier par le chiffre π (3,14). Une règle d’airain veut en effet que tous les grands investissements d’infrastructure coûtent au total ce multiple de l’investissement initialement prévu, comme l’ont montré l’EPR d’Olkiluoto ou Eurotunnel. Or ces investissements du Grand Paris ne permettront à peu près aucun transfert modal. Soit les nouvelles stations de métro seront construites en zone dense, déjà desservies ; soit elles seront construites dans des milieux moins peuplés, dans l’attente de futures constructions… Je puis cependant vous affirmer que, sur le plateau de Saclay, l’habitat diffus n’incite pas à l’utilisation des transports en commun.

Avec cette même somme de 40 milliards d’euros, il serait possible de financer à 80 % l’acquisition par les ménages de voitures ne consommant que deux litres aux cent. Telle serait la solution, plutôt que de se concentrer exclusivement sur le diesel.

M. Alain Grandjean, associé fondateur de Carbone 4. Je descendrai dans des considérations plus ciblées sur la mobilité. L’arbitrage entre les particules fines et les émissions de dioxyde de carbone doit être fait de telle manière que l’objectif central de freiner le changement climatique ne conduise pas à détériorer la qualité de l’air inspiré par tous, et vice versa. Le secteur des transports est le deuxième en France pour la consommation d’énergie. Il représente 30 % des émissions de gaz à effet de serre.

La voiture constitue 83 % du volume des transports individuels. Cette part est remarquablement stable depuis vingt-cinq ans. Il ne faut pas s’attendre à que les choses puissent changer très vite, ni à ce que la répartition modale évolue rapidement. Cela vous semble sans doute une évidence, mais peut-être vous rappelez-vous qu’au moment du Grenelle de l’Environnement, beaucoup avaient fondé des espoirs sur le report modal.

Il y a cependant une bonne nouvelle, à savoir que la mobilité par personne se stabilise. Elle stagne en effet depuis l’an 2000. Certains ont cru pouvoir affirmer que le PIB croît avec la mobilité. Ils ont reçu le démenti des faits. Sur les graphiques, les courbes de mobilité évoluent de toute apparence vers une asymptote. À partir d’un certain point, le besoin de mobilité paraît pleinement satisfait.

Le nombre des voitures particulières stagne depuis 2000. La baisse des émissions de gaz à effet de serre observable à la même période n’est donc due qu’à la baisse de la consommation unitaire par véhicule. Ne nions pas d’ailleurs que celle-ci soit liée à la progression des véhicules diesel.

Je voudrais maintenant dessiner quelques scenarii pour le futur. Contrairement à ce que l’on a cru, ou craint, par peur de la décroissance, il sera impossible de faire baisser les émissions de gaz à effet de serre sans faire baisser la consommation d’énergie. Cela étant dit, cette dernière repose sur cinq grandes variables : le nombre de voyageur-kilomètre ; la répartition modale entre les véhicules particuliers, les bus, les trains et les avions ; le type de motorisation, éventuellement hybride ou électrique ; le taux de remplissage des véhicules de transports, amélioré par des mises en réseau comme Blablacar ou par les bus dont mon associé vous a parlé ; l’efficacité énergétique des moteurs employées, exprimée en kilowatts-heure.

En fonction de ces paramètres, quatre scenarii de facteur 4 sont envisageables, c’est-à-dire des scenarii qui permettent d’arriver à une baisse très forte des gaz à effet de serre : soit on décarbone par l’électricité, soit on mise sur une forte sobriété énergétique et une efficacité accrue, soit on adopte l’une ou l’autre de deux hypothèses intermédiaires, l’une prévoyant une diversité plus forte des moyens technologiques. Il me semble en tout cas qu’il faut privilégier une hypothèse de croissance faible.

Comment la part modale de la voiture, qui s’établit aujourd’hui, comme nous l’avons dit, à 83 %, est-elle envisagée par ces scenarii très volontaristes ? Il vaut la peine de constater que, malgré leur ambition, ils se contentent, pour l’un, de n’envisager qu’une quasi-stagnation de cette part, à 82 %, ou bien, pour deux autres, de ne la voir diminuer qu’à 67 % ou 71 %. Nous parions, et nous recommandons de parier, quant à nous sur une stabilité de cette part.

J’en viens à la répartition des types de motorisation dans les véhicules particuliers : moteur électrique, moteur au gaz, moteur à l’hybride rechargeable, moteur à l’essence. Il est bien difficile de dire quelle motorisation l’emportera. Aussi ne faut-il pas privilégier un choix technologique plutôt qu’un autre quand les décisions prises engagent l’argent public.

Quel est d’ailleurs l’impact du véhicule électrique en termes de rejets de dioxyde de carbone ? La question est posée si l’on envisage l’ensemble de son cycle de vie. En centre-ville, il répond en effet au problème des particules fines et du dioxyde d’azote de manière plutôt efficace, hormis pour ce qui est des plaquettes des pneus, auquel le tramway est seul apte à répondre.

Du point de vue du gaz à effet de serre, le véhicule électrique paraît performant en France métropolitaine. Selon des études publiées par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), un véhicule électrique sera responsable de l’émission de neuf tonnes de dioxyde de carbone dans l’atmosphère pour un cycle de vie complet et une distance totale parcourue de 150 000 kilomètres, contre vingt-deux tonnes pour un véhicule classique. Si l’émission de gaz à effet de serre est plus forte pour un véhicule électrique au stade de la production, cela est donc compensé au stade de son usage, puisqu’il fait mieux que la voiture traditionnelle dès  qu’il a parcouru 25 000 kilomètres.

C’est cependant une affaire française, s’expliquant par le fait que notre mix électrique est bas carbone. Il en va de même en Norvège, où l’hydroélectricité prédomine. En revanche, l’analyse ne vaudrait pas en Chine ou en Allemagne, car l’électricité y est très fortement carbonée. Dans ces pays, l’usage de la voiture électrique ne serait pas très écologique.

Je termine sur la voiture électrique par deux derniers points. D’abord, contrairement à une idée reçue, la multiplication des voitures électriques ne devrait pas faire naître d’énormes besoins en électricité. Le moteur électrique a en effet un rendement élevé. Il est si efficace qu’il ne faudrait, pour un parc de un million de voitures, que la capacité équivalent au quart de la production d’un réacteur nucléaire. Ensuite, la question de l’appel de puissance se pose, en termes de déploiement d’un réseau de rechargement. Indubitablement, il faudra de la puissance installée pour que les batteries électriques puissent reconstituer leur contenu.

J’en viens aux mesures qu’il faudrait envisager de prendre. Comme l’a dit mon associé, ce serait actuellement le moment de relever la taxe carbone, en profitant de la baisse du baril de brut de 100 dollars à 50 dollars. Oui, partageons-nous la baisse ! Cette baisse correspond, par son ampleur, à une taxe carbone de 100 euros par tonne de dioxyde de carbone. Or l’instrument fiscal est l’un des meilleurs pour déplacer l’offre de voitures vers des véhicules moins gourmands en carburant, comme le montre le parallèle entre le marché américain et le marché européen.

D’autres mesures de moindre ampleur sont envisageables. La baisse de la vitesse limite sur les routes et autoroutes en fait partie. Ce serait une incitation magistrale à la construction de voitures à basse consommation, plus légères et plus rapides. Sur le plan de la sécurité, l’énergie cinétique étant proportionnelle au carré de la vitesse, il serait au demeurant dangereux, dans l’éventualité de collisions, de laisser des voitures légères rouler trop vite, alors que d’autres véhicules plus lourds circulent sur les mêmes voies.

Il serait également envisageable d’accélérer le rajeunissement du parc de voitures particulières, la vignette annuelle de CO2 étant le meilleur outil pour atteindre cet objectif. Une aide à la conversion des véhicules utilitaires pourrait être accordée ; je crois que l’on ne s’en occupe pas assez. Les voitures électriques pourraient aussi être favorisées dans les centres villes, qui concentrent la plupart des problèmes d’asthme. Je pense aussi qu’il faut aider l’usage du vélo et du vélo électrique : en ce domaine, la principale difficulté réside dans le risque d’accident ; ce problème de sécurité freine le développement de ce moyen de locomotion, comme en témoignent les sondages d’opinion. Des pistes cyclables, mais aussi d’autres aménagements, sont à prévoir. Particulièrement polluants, les deux roues jouent également un rôle croissant dans la mobilité intra-urbaine ; les scooters électriques devraient être étudiés. Enfin, il convient de favoriser le bus au biocarburant ; pour la voiture particulière, le gaz ne paraît pas viable, du moins en France.

S’agissant du transport de marchandises, nous devons travailler sur la logistique du dernier kilomètre. Des enseignes comme Carrefour et Monoprix s’équipent déjà. Voilà un axe sur lequel parier dans les dix ans à venir. Il faudrait enfin étudier la possibilité d’ouvrir des autoroutes électriques, qui consisterait à réserver aux camions sur les autoroutes, sur laquelle ils seraient alimentés à l’électricité ; il faudrait cependant évaluer la rentabilité de tels projets. Enfin, la relance du fret ferroviaire mérite d’être mentionnée.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Notre mission d’information a pour objet l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale, mais j’ajouterais également écologique et sociale, en termes d’emploi.

Monsieur Jancovici, vous avez bien démontré que les perspectives économiques font que les instruments à privilégier sont le levier fiscal et le levier réglementaire. D’un point de vue sanitaire, écologique et industriel, le faible renouvellement du parc –dû à une détention de plus en plus longue des véhicules, mais aussi à l’acquisition de plus en plus tardive de voitures neuves– pose problème. Peut-on cependant revenir sur les instruments de politique publique déjà en place ? Le bonus est déjà réduit chaque année, pour compenser le malus. Quant aux primes à la casse, elles sont coûteuses et provoquent des effets de rebond : après le soutien d’abord apporté à la demande, un tassement s’observe souvent.

En étudiant les mesures fiscales et réglementaires existantes, notre mission constate que le législateur, tant au niveau français qu’européen, paraît avoir deux cerveaux. L’un ne fonctionne en ayant en vue que le climat, l’autre en n’ayant en vue que la qualité de l’air. Ainsi, en France, nous nous sommes engagés dans un soutien au diesel, dans une perspective de lutte contre le réchauffement climatique ; les particules fines et le dioxyde d’azote ont été ce faisant peut-être oubliés. Au niveau européen, les directives sur le climat côtoient de même les normes sur les émissions polluantes des véhicules. Quelle pourrait être l’approche systémique et globale intégrant tous ces paramètres ?

S’agissant de la vignette que vous préconisez, serait-elle calculée de manière annuelle en fonction de la pollution émise par le véhicule, en dioxyde de carbone comme en particules fines ? Enfin, que pensez-vous du volet « mobilité » de la récente proposition de loi sur l’énergie ?

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Monsieur Jancovici, considérez-vous que l’injection massive de liquidités freine ou accélère la récession ?

M. Jean-Marc Jancovici. Je dirais plutôt qu’elle la reporte. Car une partie de la progression actuelle du PIB ne correspond, à cause de l’assouplissement quantitatif pratiqué par les banques centrales, qu’à une inflation des actifs. Une fois qu’ils s’effondreront, par exemple sous la forme d’un krach immobilier, la récession s’accentuera.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Comment s’est passée l’instauration de la taxe carbone en Californie ? A-t-elle vérifié vos hypothèses de réflexion en la matière ?

M. Jean-Marc Jancovici. S’agissant de la proposition de loi évoquée par la rapporteure, je ne saurais vous répondre, car je n’en ai pas pris connaissance. À propos de l’exemple californien, que je ne connais pas en détail, je rappellerais seulement que la taxe carbone n’a nulle part été fixée à un niveau assez élevé pour produire un effet sur la consommation de carburant. Pourtant, comme l’a bien dit mon associé, une baisse de cinquante dollars par baril correspond à une taxe carbone de 100 euros par tonne de dioxyde de carbone.

Il n’est donc pas raisonnable d’attendre que le prix du brut baisse pour tenter d’instaurer une taxe carbone. Si le prix remonte alors que cette taxe n’est pas en place, c’est le producteur qui simplement la plus-value. Or, pour que la taxation du carbone soit efficace, pour qu’elle conduise par exemple à une électrisation du parc des voitures particulières, il faut qu’elle s’élève à un montant oscillant entre 100 euros et 500 euros par tonne de dioxyde de carbone.

A contrario, les tramways qui roulent autour de Paris, sur la petite ceinture, n’attirent souvent qu’un trafic d’induction. Ceux qui les empruntent prenaient auparavant le bus, le métro ou bien marchaient. À part certaines responsables politiques, personne n’irait prétendre que plus d’un passager du tramway sur dix empruntait auparavant sa voiture pour le même déplacement. Il faut mesurer à cette aune l’efficacité réelle des projets de tramway du point de vue des émissions de dioxyde de carbone évitées, pour mesurer le bon emploi des finances publiques comme des investissements privés. Nous évaluons approximativement le coût de la tonne de dioxyde de carbone évitée à quelques centaines d’euros, quand la solution emprunte la voie technologique.

Or je ne connais pas un marché du dioxyde de carbone où l’on ait mis la tonne à seulement 150 ou 200 euros. Pour revenir à l’exemple californien, je vous ferai deux réponses : d’abord, ne m’étant pas penché de près sur le sujet, je ne saurais rien vous dire de précis ; ensuite, vu le niveau auquel cette taxation doit être fixée, je serais tout de même prêt à parier avec vous que son effet sur le report d’un mode de transport à l’autre est non perceptible.

Comment fait-on pour subventionner une prime à la casse quand l’argent public fait défaut ? Cela fait partie des quelques cas de figure où la subvention est efficace. Un investissement est en effet rentable à partir du moment où il permet de faire baisser la consommation de combustible à service constant : l’isolation des logements chauffés au fioul ou gaz, mais non à l’électricité, en est un exemple ; la baisse de la consommation des véhicules à déplacement constant en constitue un autre. En effet, des importations se trouvent ainsi évitées et remplacées par des services domestiques, qui emploient des gens en France. Ces mesures sont donc favorables à la croissance.

Avant la chute des cours, le montant annuel des importations de pétrole oscillait en France entre 80 milliards et 90 milliards de dollars. J’évaluerais aujourd’hui leur montant à 50 milliards d’euros, ou même un peu moins. Si nous parvenons à diviser par deux ces importations, cela représente une économie de 25 milliards d’euros par an. En multipliant ce montant par cinquante, vous obtenez le montant de l’investissement que vous pouvez réaliser sans effet macro-économique évident, puisque le revenu annuel correspondant est assuré par ces moindres importations. Or cela représente tout de même une somme importante…

Par comparaison, il y a trente millions de véhicules qui circulent en France. Si vous estimez chaque véhicule à 20 000 euros, cela représente 600 milliards d’euros d’actif circulant. La prime à la casse constitue donc l’un des rares cas de figure où l’investissement est rentable, car il y a l’externalité positive que constitue l’externalité évitée. Cela ne serait pas vrai dans le cas d’un investissement ne permettant pas de réduire les importations. Je pourrais par ailleurs évoquer la filière du biogaz.

Dans le domaine des transports, les agents économiques ont une logique budgétaire, comme l’a bien établi l’économiste Jean-Pierre Orfeuil. Si l’offre de transports est plus accessible, ils en consommeront davantage. Cela veut dire que, si la consommation des véhicules descend à deux litres aux cent, plutôt que six, il faudra multiplier par trois le prix de l’essence, en instituant par exemple une vignette fonctionnant comme une taxe annuelle à la détention de véhicules. Car les usagers des transports en commun, comme l’avait analysé Jean-Pierre Orfeuil, demeurent aujourd’hui des automobilistes contrariés. La vignette doit donc avoir un prix dissuasif pour les véhicules qui consomment dix litres aux cent. Il ne s’agit ni plus ni moins que de la fameuse vignette qu’on a supprimée en 2000.

M. Alain Grandjean. Le montant de cette vignette CO2 devrait cependant être fixé en fonction non seulement de la puissance du véhicule, comme autrefois, mais aussi en fonction de ces externalités négatives, de ses émissions polluantes. Par rapport à un système de bonus/malus, la vignette présente l’intérêt de se rappeler au bon souvenir de l’automobiliste chaque année, ce qui doit l’inciter à réfléchir à un possible changement de véhicules, puisque le renouvellement du parc constitue l’enjeu majeur.

Comme le souligne mon associé, l’effet rebond peut cependant être problématique. Si la baisse de la consommation des voitures individuelles n’est pas compensée par une hausse de la taxe carbone, les automobilistes seront tentés d’en consommer davantage.

Madame la rapporteure. Est-ce que cette taxe pourrait être différenciée selon les départements ?

M. Jean-Marc Jancovici. Je crois plutôt que le prix de l’énergie doit être unique pour tous. La réglementation doit être claire. Il ne faut pas que l’incitation à ne pas faire devienne illisible. Si des aménagements sont à prévoir, il convient de privilégier des solutions telles qu’une aide à la mobilité dans les zones peu denses, mais se garder de moduler le prix de manière illisible.

S’agissant du biogaz, nous devons aller en priorité vers les investissements qui mobilisent le moins de capitaux par unité de résultat espéré. Commençons donc par les mesures qui demandent le moins de dépenses d’investissements en capital (capital expenditures ou capex) pour obtenir une substitution aux carburants pétroliers, plutôt que de favoriser la génération électrique, qui a encore reçu un coup de pouce supplémentaire sous la forme d’une suppression de l’obligation de valorisation de la chaleur…

Dans les départements ruraux et dans les petites villes, il faut valoriser sous forme de carburant le biogaz issu des déchets agricoles, par exemple en organisant des dessertes locales ou régionales de ramassage scolaire ou de liaison avec les villes moyennes. Car c’est sous forme de carburant que le biogaz apporte le plus d’externalités négatives évitées, qu’il s’agisse des moindres importations ou de l’emploi induit.

M. Alain Grandjean. Dans la définition de la contribution carbone actuellement présente, il n’y a pas de distinction entre le dioxyde de carbone d’origine biogénique et le dioxyde de carbone d’origine fossile, à moins que cela ait été récemment modifié.

Mme la rapporteure. Sous le regard du président du groupe d’études sur ce sujet, ici présent, je signalerai que nous avons entendu sur ce point la semaine dernière des représentants de GRTgaz, qui nous expliquait que la mention de la garantie d’origine réglait le problème.

M. Alain Grandjean. Je dirais plutôt qu’ils ont trouvé une manière de contourner l’obstacle. En tous les cas, il est important, pour réduire les émissions de particules fines en centre-ville, de se pencher sur la question. Il y a une liaison entre les capacités de production et l’usage qui est fait de ces véhicules. Du point de vue industriel, le développement du bus ou du camion au gaz peut tirer toute la filière.

M. Jean-Marc Jancovici. Venons-en en effet au volet industriel lié au déploiement de ces véhicules. Il y a des compétences en France pour fabriquer des bus et des camions. Le groupe Iveco a une usine de gros moteurs à gaz. Sur ce segment, les barrières à l’entrée sont telles qu’une délocalisation de la production paraît difficilement envisageable. Les acteurs français sauraient donc rapidement tirer parti des mesures d’aide octroyées dans ce secteur.

Il n’en va pas de même sur le segment des voitures. Pour atteindre le seuil de rentabilité, l’investissement dans une chaîne de production de voitures ne consommant que deux litres aux cent doit pouvoir compter sur la vente de plusieurs centaines de milliers de véhicules par an. Or, le marché français ne représente que deux millions de voitures neufs par an, volume en baisse, car les automobilistes conservent de plus en plus longtemps leur voiture, comme tous leurs autres biens, en période de finances contraintes. Et la situation n’est pas près de changer.

Si vous voulez que Peugeot investisse les quelques milliards d’euros nécessaires dans la construction de véhicules faiblement consommateurs, vous devez donc avoir en tête que ce groupe ne le fera que s’il bénéficie de garanties au sujet de son retour sur investissement, en d’autres termes s’il peut compter sur un marché protégé pour un temps long et pour des volumes importants. Le protectionnisme a mauvaise presse, mais, sur des infrastructures lourdes, le principe de libre concurrence n’est qu’une ânerie sans nom ; elle conduit à perdre du capital, non à améliorer le sort commun.

Dans les domaines qui exigent des investissements très lourds, un oligopole bien régulé est bien préférable. Autrement dit, on encadre la rente de l’acteur privé à un niveau tel que cela reste socialement acceptable. Dans l’industrie lourde des transports –je ne parle certes pas des vélos, mais des trains, des voitures et des avions– la fabrication va de pair avec des besoins capitalistiques au vu desquels les bienfaits de la libre sont une simple vue de l’esprit.

Au niveau européen, les Britanniques font d’ailleurs tout l’inverse de ce qu’ils professent depuis vingt ans à la Commission européenne, puisqu’ils investissent massivement dans la production d’une électricité et de transports à eux. Ce n’est rien d’autre que du jacobinisme. Le maire du Grand Londres, Boris Johnson, joue en outre un rôle central en exerçant son autorité sur l’ensemble du réseau de transport de ce périmètre, quel que soit le mode de locomotion.

Soyons donc intelligemment régulateurs. Je ne veux pas dire par là que l’État devrait s’occuper du sort de chacun, loin de là. Mais il y a des domaines où il faut accepter que la concurrence libre et non faussée ne fasse pas forcément le bonheur des peuples à long terme. Compte tenu des moyens en jeu, la substitution des moyens de transport n’arrivera pas automatiquement par la main invisible.

Quant à la fabrication des véhicules à deux litres, elle va de pair avec une réflexion sur de possibles exceptions à la règle de la libre concurrence. Les préoccupations de sauvegarde de la planète ou d’un moindre approvisionnement énergétique sûr de l’Union européenne en produits carbonés devraient être autorisées à justifier ces exceptions. Mais il y a là, bien sûr, une haie à franchir, pour régler cette question de la politique industrielle intégrée à la politique environnementale.

Nous avons beau mener une bonne politique environnementale, nous ne sommes toujours pas équipés pour faire également la bonne politique industrielle correspondante.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Avez-vous une idée du calendrier de la reconversion industrielle qui se dessine ?

M. Jean-Marc Jancovici. Il faut en tout cas qu’elle soit la plus rapide possible.

M. Alain Grandjean. Le calendrier industriel dépend en vérité du calendrier politique. Les bâtiments et le logement ont une durée de vie de cent ans, les automobiles une durée d’existence de seize à dix-huit ans. Les constructeurs raisonnent à partir de ces horizons temporels. Je voudrais être plus précis, mais comment le pourrais-je ?

Les industriels attendent en tout cas une certaine stabilité et une vision stratégique en matière de normes et de règles. Si nous déplorons aujourd’hui que des signaux contradictoires aient été envoyés, les uns sur les émissions de dioxyde de carbone, les autres sur les particules fines et le dioxyde d’azote, il conviendra d’être à l’avenir attentif à envoyer le signal juste sur les unes comme sur les autres. En 2007, les industriels nous auraient taxés de folie pour vouloir jouer sur les deux tableaux. Mais le progrès technologique a rendu aujourd’hui possible ce qui ne l’était pas alors.

M. Philippe Kemel. En entendant votre ode aux oligopoles et au monopole, je me demande quel est le chemin à prendre pour les constituer, en termes de système financier et d’organisation. Quels sont les modes de financement que vous préconisez ?

M. Jean-Marc Jancovici. En réalité, ces oligopoles existent déjà. Si vous observez le marché de la construction de voitures en France, vous remarquerez qu’il ne compte qu’une dizaine d’acteurs tout au plus. Il en va de même des gestionnaires d’infrastructures : il n’en existe que trois pour les autoroutes concédées, un pour le réseau ferré, un pour les routes nationales, même si des délégations existent par petits morceaux… Quand la barrière capitalistique à l’entrée est monstrueusement haute, poursuivre à toute force un objectif de libre concurrence, c’est perdre son temps. Cela n’aurait pas de sens de construire trois Eurotunnels parallèles au motif qu’il faut de la concurrence sur le trafic trans-Manche.

Ce dont nous avons besoin en revanche, ce sont des décideurs politiques qui s’expriment sur un horizon de vingt ans. L’État doit redevenir un acteur crédible dans sa capacité à définir des cadres de moyen et long terme qui créent une confiance partagée avec les acteurs qu’il a en face de lui. Tel doit être le sujet majeur de préoccupation pour le monde politique.

Mme la rapporteure. Je partage votre opinion sur le caractère prévisible et planifié de la réglementation. Des normes européennes sont censées s’appliquer dès 2017, alors qu’elles ne sont même pas encore décidées en 2016 !

Vous nous avez dit que l’argent public ne saurait se concentrer de manière considérable sur tel ou tel choix technologique. Mais, pour développer le transport de marchandises par camions roulant au biogaz, nous avons un problème d’infrastructures. Il y en a un autre de même nature pour le développement des véhicules électriques, qui ont besoin de rechargement.

Ainsi, l’État doit sans doute respecter une neutralité technologique dans la réglementation qu’il édicte, en définissant des critères objectifs en matière d’émissions de dioxyde de carbone ou de particules fines. Mais il ne saurait s’exonérer de faire des choix.

M. Jean-Marc Jancovici. Je voulais dire qu’à un moment où le jeu est encore ouvert, parce que des technologies concurrentes permettent d’arriver à un résultat identique, il ne faut pas préempter l’avenir en en privilégiant une en particulier.

M. Alain Grandjean. Plus exactement, à l’heure où se vendent seulement vingt mille voitures électriques par an, il semble prématuré de tout parier sur cette technologie. Est-on sûr qu’elles font l’emporter sur le véhicule hybride rechargeable ? La motorisation à deux litres aux cent ne gagnera-t-elle d’ailleurs pas la partie ? Voilà ce que j’ai dit.

En revanche, je n’ai en revanche pas dit qu’il ne fallait faire aucun investissement dans des infrastructures. Il me semble prématuré d’investir dans un réseau d’installations de rechargement électrique qui couvrirait toute la France. Si j’ai insisté sur les flottes professionnelles et sur les bus, c’est parce que tant la RATP à Paris que Keolis à Lyon ont montré qu’ils disposent de la capacité nécessaire en matière de dépenses d’investissement en capital.

M. Jean-Marc Jancovici. Je conclurai en disant que la taxe carbone est nécessaire, mais pas suffisante. L’arbitrage technologique est si populaire parce qu’il permet de nommer le projet et de lui attribuer le mérite de créations d’emploi ; il est facilement perceptible par l’opinion publique. Cela est compréhensible. Il y a seulement un équilibre perpétuel à trouver entre les différents types de mesures, loin de toute écologie punitive.

En matière d’investissement, il faut cependant calculer en termes de litre de pétrole ou de tonne de dioxyde de carbone évités. Sur cette base, un solide tri pourrait déjà avoir lieu.

La seule question que nous devons nous poser aujourd’hui en matière de voitures électriques, c’est celle de leur nombre : cinquante mille ou un million ? Telle est la question. Mais il est évident que le procédé va se développer. Les choix politiques doivent être visibles, mais les règles de gestion qui président à ces choix doivent être neutres sur le plan technologique.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Messieurs, je vous remercie.

La séance est levée à dix-huit heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Réunion du mardi 26 janvier 2016 à 16 h 30

Présents. - M. Frédéric Barbier, Mme Delphine Batho, M. Philippe Duron, M. Jean Grellier, M. Michel Heinrich, M. Philippe Kemel, Mme Sophie Rohfritsch

Excusés. - M. Denis Baupin, M. Jean-Pierre Maggi, M. Rémi Pauvros, Mme Marie-Jo Zimmermann

Assistait également à la réunion. - M. Patrice Carvalho