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Mercredi 27 janvier 2016

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 24

Présidence de Mme Sophie Rohfritsch, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, et de M. Cédric Messier, chef du bureau des voitures particulières au sein de la sous-direction de la sécurité et des émissions des véhicules.

Mission d’information
sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

La séance est ouverte à seize heures trente.

La mission d’information a entendu M. Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, et M. Cédric Messier, chef du bureau des voitures particulières au sein de la sous-direction de la sécurité et des émissions des véhicules.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Nous recevons Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat. M. Michel dispose d’une connaissance approfondie de certains des thèmes majeurs qui nous intéressent : il a en effet occupé, précédemment, le poste de directeur de la prévention des pollutions et des risques.

À l’évidence, la politique de lutte contre les pollutions atmosphériques comporte un volet « automobile » important. La question du diesel en constitue, sinon le point central, du moins un élément-clé, notamment dans les zones urbaines.

La Cour des comptes a toutefois récemment relevé que cette politique avait besoin d’être mieux structurée, tout en insistant sur la nécessité de taxer le gazole. Vous allez nous préciser, si vous le voulez bien, monsieur le directeur général, si une telle vision correspond pleinement aux actions engagées par vos services.

Une grande partie de la procédure d’homologation des véhicules relève également des compétences de votre direction générale. Ce sujet est très important pour la mission. Il est même devenu hautement sensible voire un objet de critiques, au regard de l’actualité.

La mission a déjà auditionné les responsables de l’UTAC-CERAM. Ils nous ont dit avec insistance qu’un des services qui est placé sous votre autorité, le Centre national de réception des véhicules (CNRV), « signe » – tel est le mot qu’ils ont employé – les fiches techniques d’homologation sur la base des dossiers techniques qui lui étaient précisément transmis par l’UTAC.

Vous comprendrez que nous souhaitions en savoir un peu plus sur cette procédure, donc sur le travail et la responsabilité de chacun dans un tel cadre.

Par ailleurs, nous aimerions également connaître les intentions du Gouvernement pour améliorer le contrôle technique obligatoire des véhicules. Pour les émissions polluantes à l’échappement, plusieurs interlocuteurs de la mission ont souligné les lacunes ou les insuffisances de ce contrôle, tant pour les véhicules légers que pour les utilitaires.

M. Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. La question de la pollution atmosphérique – dont l’un des facteurs est l’automobile – est l’une des attributions de la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC). Nous avons par conséquent une responsabilité globale concernant la sécurité et des émissions des véhicules – c’est pourquoi je suis accompagné de M. Messier.

J’aborderai cinq points en commençant par donner quelques éléments d’information sur les grands déterminants de la pollution atmosphérique et, en particulier, sur la part des transports dans cette pollution.

Nous disposons, globalement, d’un état des lieux concernant les principaux polluants réglementés – oxydes d’azote, particules, oxyde de soufre… En France, comme dans d’autres pays européens, les sources massives de polluants – notamment les grandes industries – ont été traitées, si bien que les sources sont à peu près, désormais, équivalentes : industrie, résidentiel tertiaire, transports, agriculture – les agriculteurs n’émettant pas de particules mais contribuant à la formation de particules par recombinaison. Environ 15 % des émissions de particules et 56 % des émissions d’oxyde azote proviennent du secteur des transports.

Grâce aux efforts menés dans tous les secteurs de réglementation et grâce à l’amélioration des technologies, les émissions et les concentrations ont baissé dans des proportions variables. Ainsi, depuis l’année 2000, les concentrations moyennes en dioxyde de soufre ont été divisées par cinq, les taux d’oxydes d’azote ou des particules dites PM 10 ont diminué en moyenne de 10 à 20 %. Cela n’empêche pas que, pour une part importante de la population française, les valeurs limites, notamment de particules ou de dioxyde d’azote, peuvent être dépassées.

Dans ce contexte, j’en viens à mon deuxième point, la réduction des émissions polluantes dans le secteur des transports est un enjeu important. En ce qui concerne les véhicules légers, en simplifiant à l’extrême, on peut avancer que, depuis plus de quarante ans de réglementations européennes relatives d’abord aux carburants – avec par exemple la suppression du plomb dans l’essence –, puis aux véhicules eux-mêmes, la réduction des émissions polluantes a été significative. Pour ce qui est des technologies des motorisations, a été définie toute une série de normes, depuis la norme Euro 1 jusqu’à la norme Euro 6 en vigueur. Depuis l’adoption de la norme Euro 5, les particules provenant du diesel ont baissé de 95 à 97 %. Les valeurs limites ont ainsi été renforcées concernant les oxydes d’azote – la norme Euro 4 fixait le seuil maximal d’émission d’oxyde d’azote à 250 milligrammes par kilomètre alors que la norme Euro 6 la fixe à 80 milligrammes par kilomètre. Ce renforcement de la réglementation porte ses fruits.

Reste que, et la récente affaire Volkswagen l’a bien montré, la réduction réelle des émissions polluante n’est pas aussi forte que celle constatée lors des tests d’homologation et que celle prévue par la réglementation.

M. Denis Baupin. C’est le moins que l’on puisse dire.

M. Laurent Michel. Voilà qui me conduit à mon troisième point relatif aux essais, à l’homologation et au contrôle technique.

Dès la publication de la directive 2007/46/CE, la Commission européenne a lancé une série de réflexions sur l’entrée en vigueur de deux cycles d’essais, l’un censé mesurer les émissions d’oxyde d’azote – le cycle Real Driving Emission (RDE) –, un autre celles de dioxyde de carbone – le cycle Worldwide harmonized Light vehicles Test Procedures (WLTP). Le débat en est à la définition d’un cycle RDE et de valeurs de conformité, adopté par un comité technique le 28 octobre dernier et qui doit maintenant être soumis à la procédure d’objection ou de non-objection du Parlement européen et du Conseil européen, Mme Royal ayant jugé trop élevé le dépassement toléré prévu, dans les mesures en situation de conduite, pour la phase 2017 et pour la phase 2019. Un débat aura donc lieu en Conseil des ministres de l’UE et, probablement, en séance plénière au Parlement européen début février. Là, au sein de la commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire, une assez large coalition a demandé le rejet du compromis proposé par le comité technique.

Nous partageons, au ministère, l’idée qu’il faut renforcer les tests afin qu’ils soient plus proches des conditions de circulation réelle. Cela renvoie à la question plus large du système d’homologation, de la surveillance de la production et du marché, enfin du contrôle technique. Aujourd’hui même, la Commission européenne a adopté une proposition ayant pour objet une refonte majeure du cadre de la réception dite « UE par type » pour les véhicules à moteur fabriqués en série. Cette homologation, globale, délivrée par un État qui s’appuie sur un ou plusieurs organismes d’essais – en France le CNRV, qui dépend du ministère de l’écologie –, fait l’objet d’une reconnaissance mutuelle. Le CNRV est un service de la direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (DRIEE), l’un des services déconcentrés du ministère en Ile-de-France – où se trouvent traditionnellement les constructeurs nationaux, tout au moins pour ce qui concerne les véhicules légers. En effet, nos collègues de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) de la région Rhône-Alpes sont chargés de la réception pour les poids lourds et autres bus. Le CNRV, où travaillent vingt-sept personnes, est rattaché au service énergie, climat, véhicules (SEVC) de la DRIEE et tient ses instructions techniques de la direction générale de l’énergie et du climat et, en particulier, de la sous-direction de la sécurité et des émissions des véhicules.

Comme nous l’avons déjà souligné dans nos discussions préalables avec les représentants de la Commission européenne, nous avons besoin de renforcer le système d’homologation, qu’il s’agisse des services qui réalisent les essais ou des services administratifs qui délivrent les homologations. Les critères de compétences et de moyens doivent être plus clairs, plus sévères. Il faut que l’agrément des services en question aient une durée limitée et qu’ils puissent faire l’objet d’audits, y compris de la part de la Commission européenne. D’autre part, une plus grande capacité de réaction des autorités – États membres et Commission européenne – est souhaitable, dès lors qu’est détecté un problème de non-conformité. Le système en vigueur implique en effet que seul l’État membre où a été délivrée l’homologation peut procéder à un retrait, une suspension ou à une mesure de sauvegarde efficiente. Or, en cas d’atteinte grave à l’environnement, n’importe quel État devrait pouvoir le faire.

Voilà qui nous ramène à une affaire médiatisée, en son temps, en France. La marque Daimler refusait obstinément d’utiliser pour ses véhicules un fluide de climatisation obligatoire, avançant des arguments que nous avons jugés fallacieux, si bien que nous avons suspendu la vente de ces modèles. Le Conseil d’État a cependant estimé que la clause de sauvegarde ne pouvait pas être activée parce que le nombre de véhicules concernés n’était pas suffisamment important pour constituer un risque grave pour l’environnement. Nous avons porté le dossier auprès de la Commission européenne qui a ouvert une procédure en novembre dernier, soit plus de deux ans après le déclenchement de l’affaire. Or la réforme proposée par la Commission devrait permettre aux États membres ou à elle-même d’appliquer de telles mesures de sauvegarde si sont constatées des non-conformités majeures. Il convient par ailleurs que les États puissent prendre des sanctions plus opératoires, je pense aux amendes administratives, la voie pénale se révélant, pour ce genre d’affaires, longue et donc pas forcément très efficiente. Enfin, il faut renforcer les échanges entre la Commission et les États membres sur tous les problèmes rencontrés dans le but de moraliser certaines pratiques d’homologation. En effet, plusieurs organismes délivrent un nombre considérable d’homologations alors qu’ils sont dépourvus des moyens techniques et de l’expérience nécessaires – dans le jargon du secteur on parle de type approval shopping : on va chercher son approbation là où il est le plus facile de l’obtenir !

Par ailleurs, il existe des systèmes de surveillance de la production et des systèmes de surveillance sur le marché. Il faut, comme c’est le cas pour diverses réglementations, prévoir un dispositif d’autosurveillance pour les constructeurs automobiles, de la même manière qu’on oblige un exploitant dont l’activité implique des rejets industriels polluants en sortie de cheminée ou en sortie de station d’épuration, à réaliser lui-même des contrôles en recourant, en général, à des organismes agréés. On doit assortir un tel dispositif de la faculté pour les autorités de déclencher des contrôles inopinés comme c’est le cas pour les rejets polluants. Ce système s’inscrit dans la logique « pollueur-payeur ».

J’en viens au contrôle technique en fonctionnement. Ce n’est pas le tout d’avoir des véhicules sûrs et non polluants une fois sortis d’usine, encore faut-il que leur état d’entretien soit suffisant pour garantir de bonnes performances : c’est l’objet des contrôles techniques introduits progressivement ces dernières décennies et qui intègrent d’ores et déjà des éléments environnementaux. En application de la récente loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, nous avons récemment proposé à la ministre de l’écologie de lancer une consultation publique avec les acteurs concernés dans les tout prochains jours, et, à cette fin, nous lui avons soumis un projet de décret en application de l’article 65 de la loi visant à renforcer « le contrôle des émissions de polluants atmosphériques et des particules fines émanant de l’échappement des véhicules particuliers ou utilitaires légers […] lors du contrôle technique », article dont les modalités d’application doivent être précisées par décret avant le 1er janvier 2017.

Le projet de décret que nous avons soumis à la ministre prévoit de compléter le contrôle des véhicules essence par la mesure des émissions d’oxyde d’azote et de particules fines et, pour les véhicules diesel, par la mesure des émissions de monoxyde de carbone, d’hydrocarbures imbrûlés, d’oxydes d’azote, de dioxyde de carbone et d’oxygène. L’idée est que ce dispositif soit opérationnel à partir du 1er janvier 2018, afin qu’au 1er janvier 2019 nous disposions de valeurs de référence. Il s’agit de passer progressivement de l’information  – votre véhicule dépasse les normes admises – à l’obligation – vous devez procéder aux réparations et contre-visites nécessaires.

Quatrième point, ces dernières années, le Gouvernement a pris certaines mesures pour que le parc automobile soit plus équilibré dans sa composition – notamment entre les véhicules essence et les véhicules diesel – et moins polluant. Vous l’avez rappelé, madame la présidente, plusieurs rapports, dont celui de la Cour des comptes, ont évoqué la nécessité, au regard des avantages et des inconvénients respectifs des différents carburants, de mettre en place une fiscalité plus équilibrée entre les carburants et tenant plus compte des bilans énergétiques et environnementaux. Ainsi la loi de finances pour 2014 a-t-elle ajouté, dans le calcul de la taxe sur les véhicules de société (TVS), jusque-là basé sur les émissions de dioxyde de carbone, des critères d’émission de polluants. En outre, l’écart de taxation du diesel et de l’essence, qui était de dix-sept centimes en 2014, a été réduit de deux centimes en 2015, avec un centime de plus pour le diesel et un de moins pour l’essence, notamment, et de façon mathématique, par l’introduction de la taxe carbone, mais aussi, donc, par l’ajout de deux centimes de rattrapage destinés, en particulier, au financement des infrastructures de transport – dont il a été amplement débattu à l’occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2016. L’idée est d’accentuer cette convergence dans les prochaines années.

Les mesures visant à rénover le parc de véhicules légers ont été introduites en 2015 avec la prime de conversion des véhicules diesel de plus de quinze ans d’âge, à partir du 1er avril, cela dans le cadre de la norme Euro 6. Au vu du faible nombre de conversions en véhicules thermiques, il a été décidé que l’éligibilité à la prime serait étendue aux véhicules de plus de dix ans d’âge, soit les véhicules répondant aux normes Euro 1, 2 et 3. Par ailleurs, la prime pour les véhicules thermiques est à la fois recentrée et renforcée puisque son montant est porté à 1 000 euros pour l’achat d’un véhicule de norme Euro 6 émettant moins de 110 grammes de dioxyde de carbone par kilomètre, ou bien à 500 euros pour l’achat d’un véhicule de norme Euro 5 – voilà, dans ce dernier cas, qui ouvre la possibilité d’acheter des véhicules relativement peu polluants et peu chers ; mais le bénéfice du dispositif est réservé aux seuls véhicules essence afin d’être en cohérence avec l’objectif de réduire la pollution atmosphérique.

J’en viens à mon cinquième et dernier point qui concerne le développement des véhicules à très faibles émissions. Le bonus pour le véhicule électrique est maintenu cette année encore à hauteur de 6 300 euros avec en sus, éventuellement, la prime de conversion. La loi relative à la transition énergétique prévoit l’implantation de prises électriques dans les parkings, l’achat de véhicules à faibles émissions – chaque catégorie, véhicules légers, véhicules lourds, bus et cars, devant faire l’objet d’un décret – à raison de 50 % pour l’État, 20 % pour les collectivités, 10 % pour les flottes importantes de taxis ou de sociétés de location de véhicules. La loi prévoit le renouvellement de 50 % à 100 % des véhicules pour les flottes de bus. Les décrets sont en préparation et devraient, dans les toutes prochaines semaines, être mis en consultation.

Un ensemble d’aides au déploiement des infrastructures est également prévu. Un programme de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), dans le cadre des Investissements d’avenir, soutient, à hauteur d’environ 50 millions d’euros, les projets des collectivités locales investissant dans des réseaux de recharge des véhicules électriques. Ont été par ailleurs instaurées des possibilités d’exonération fiscale pour l’élaboration de réseaux nationaux de bornes pour véhicules électriques, les deux plus connus étant celui de la société Bolloré et celui de la Compagnie nationale du Rhône, d’autres étant en cours d’agrément.

Enfin, nous soutenons le développement de carburants alternatifs. Ainsi, par exemple, à titre transitoire, pour les poids lourds, le gaz naturel mais aussi l’hydrogène peuvent être des pistes intéressantes. La programmation pluriannuelle de l’énergie, prévue par la loi relative à la transition énergétique, comportera un volet de stratégie pour le développement de la mobilité propre qui donnera des indications sur le développement des infrastructures telles que stations de gaz ou stations d’hydrogène, deux technologies pour lesquelles nous nous efforçons de définir des dispositifs de type appels à projets. Je rappelle que la loi de finances pour 2016 prévoit des aides à l’achat de poids lourds au gaz, l’idée étant que les entreprises en équipent leur flotte afin de favoriser un partenariat entre elles et un vendeur de gaz quel qu’il soit, la station pouvant par la suite être ouverte à d’autres véhicules que ceux appartenant à la flotte de l’entreprise.

Toutes ces mesures s’inscrivent dans un ensemble de dispositifs plus larges destinés à améliorer la qualité de l’air. Je signale que devrait très prochainement être signé l’arrêté interministériel révisant le cadre des arrêtés préfectoraux de mesures d’urgence. Par ailleurs, sont en consultation les décrets et arrêtés qui instaureront la possibilité, pour les collectivités locales, de créer des zones à circulation restreinte en s’appuyant sur les dispositifs dits de la pastille ou certificat qualité de l’air. Je mentionnerai pour finir deux dispositifs : le lancement par l’ADEME d’un appel à candidatures auprès des collectivités locales pour la mise en place conjointe, par l’État et les collectivités, du fonds air-bois destiné à favoriser le remplacement des vieilles chaudières à bois des particuliers, ainsi que l’appel à projets « Ville respirable » par le biais duquel vingt collectivités – en général des métropoles ou des zones où l’on constate des dépassements de polluants – ont été sélectionnées pour recevoir chacune, en moyenne, un accompagnement financier de l’ordre de 1 million d’euros.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Merci beaucoup pour cette introduction et ce large panorama. Je propose d’abord de revenir sur tous les sujets se rapportant aux règlements et aux procédures en vigueur, avant d’évoquer leur réforme et l’avenir. Il y a une question que je pose traditionnellement à tous nos interlocuteurs que je souhaite donc vous poser : est-ce qu’il y avait dans votre administration connaissance à quelque niveau que ce soit, même par ouï dire, de dispositifs d’invalidation chez Volkswagen ? Est-ce qu’il y a eu, depuis les révélations du mois de septembre, des échanges avec le constructeur Volkswagen, entre vos services et ce constructeur ? Est-ce qu’il y a des véhicules Volkswagen qui ont été homologués en France ?

Et ceci m’amène à une question par rapport au règlement européen, le règlement 715/2007 dont l’article 5 prévoit « l’utilisation des dispositifs d’invalidation qui réduisent l’efficacité des systèmes de contrôle des émissions est interdite » ; « dispositif d’invalidation » se comprend comme tout dispositif de nature à moduler, retarder ou désactiver le fonctionnement de tout ou partie du système de contrôle des émissions. Et ce même règlement européen prévoit dans son article 13 que « les États membres établissent les dispositions sur les sanctions applicables aux infractions aux dispositions du présent règlement ». Les types d’infraction qui donnent lieu à sanction sont notamment : « b) la falsification des résultats des tests de réception ou de conformité en service, […] d) l’utilisation de dispositif d’invalidation ». Ce que je voulais vous demander, c’est en fait, au niveau réglementaire français, par rapport à l’application de cet article 13 du règlement européen, je me suis référé au décret 2009-493 et à l’arrêté du 4 mai 2009 qui reviennent sur toutes les dispositions réglementaires d’application du règlement européen, et j’ai l’impression, mais peut-être mon inventaire n’est pas complet, qu’en fait, à ce jour, c’est-à-dire en 2009 en réalité, la France n’a pas mis en place de dispositif de sanction spécifique par rapport à l’application de ce règlement européen. Voilà mes premières questions.

M. Laurent Michel. Nous n’avions pas connaissance de l’utilisation d’un logiciel trompeur par Volkswagen ou par d’autres constructeurs. Tout ce que nous savions, c’est que, à des degrés divers, les véhicules émettent plus en conditions réelles que lors des tests et qu’il existe des pratiques d’optimisation des tests – qui expliquent du reste les discussions autour des procédures RDE et WLTP.

Depuis la sortie de l’affaire, nous avons échangé avec Volkswagen France et nous avons auditionné des spécialistes. La société mère s’est adressée aux ministres des pays membres de l’Union européenne pour exposer son travail visant à remédier à la situation. Nous avons dû enjoindre à Volkswagen de cesser toute vente de véhicules équipés d’un defeat device – pour reprendre l’appellation en langue anglaise.

Dans le cadre de la commission indépendante mise en place par la ministre de l’écologie, nous avons testé des véhicules Volkswagen dont nous savions qu’ils étaient équipés d’un logiciel trompeur, afin de vérifier que nous étions à même de tromper le logiciel trompeur.

M. Cédric Messier, chef du bureau des voitures particulières au sein de la sous-direction de la sécurité et des émissions des véhicules. Lorsque nous avons eu connaissance de l’affaire Volkswagen, nous avons vérifié avoir bien notifié les sanctions qui relèvent plutôt, en l’occurrence, du code de la consommation – nous pourrons vous les transmettre.

J’ajoute aux informations que vous a données M. Michel concernant les interdictions de commercialisation de véhicules Volkswagen frauduleux que, lorsqu’une nouvelle norme entre en vigueur, on peut accorder une dérogation de stock pour les véhicules relevant de la norme précédente. La norme Euro 6 étant entrée en vigueur le 1er septembre 2015, nous avons donc retiré la dérogation de stock accordée à Volkswagen pour la commercialisation des véhicules relevant de la norme Euro 5 – c’est la seule mesure que nous puissions prendre au plan national.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Cela ne porte que sur le marché du neuf, cela ne concerne pas l’occasion ?

M. Laurent Michel. C’est le cas, en effet, et, donc, Volkswagen, depuis la décision que nous avons prise, ne peut plus écouler de véhicules neufs répondant à la norme Euro 5.

Mme la rapporteure. Vous ne m’avez pas répondu sur le point de savoir s’il y a des véhicules Volkswagen qui ont été homologués en France.

M. Laurent Michel. À ma connaissance, non.

M. Cédric Messier. Je confirme.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Ensuite, sur la procédure d’homologation, pour rentrer dans le détail concret et plus spécialement sur la façon dont les choses se passent entre l’UTAC, en fait, et le rôle de l’administration. Vous l’avez évoqué tout à l’heure dans votre intervention en disant : le CNRV analyse des dossiers. Est-ce que c’est seulement, j’allais dire, un contrôle de forme, est-ce que c’est un contrôle très approfondi ? Est-ce que le CNRV se retourne vers l’UTAC en disant : « Mais attention, il y a tel et tel point où on a un questionnement, on a besoin de complément », sachant qu’effectivement c’est le dossier d’homologation global dans lequel il n’y a pas seulement la partie émissions polluantes ; voilà, si vous pouvez un petit peu nous décrire concrètement comment les choses se passent.

M. Laurent Michel. Je ne suis pas un spécialiste de l’homologation des véhicules, n’y ayant jamais procédé personnellement, mais j’ai un long passé, notamment à la tête d’une direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE), et, à ce titre, je connais quelque peu le fonctionnement du système. La réception, par type ou isolée, n’est pas un acte administratif exécuté rapidement. Nos équipes analysent les dossiers à fond, pouvant les refuser, demander des compléments d’information, tout en échangeant avec l’UTAC qui, par exemple, réalise les crash tests dont les résultats figureront dans les dossiers. L’équipe du CNRV est plutôt importante puisqu’elle compte, je le répète, vingt-sept personnes. Elle peut se retourner vers l’administration centrale qui dispose d’un bureau chargé des voitures particulières et d’un bureau chargé des motocycles et des poids lourds, lesquels bureaux peuvent apporter leur concours dans l’interprétation juridique des textes.

Aussi l’homologation par type prend-elle du temps, de même que la décision d’accorder une dérogation. Prenons l’exemple d’un véhicule GPL (gaz de pétrole liquéfié) dont le réservoir avait été homologué par un État membre de l’UE que je ne citerai pas : jugeant que ce réservoir n’était pas conforme aux exigences essentielles de sûreté, nous avons rappelé le constructeur afin qu’il conçoive un autre réservoir.

L’homologation est donc réalisée de façon approfondie et par des personnels assez spécialisés.

M. Philippe Duron. Vous avez surtout évoqué les véhicules individuels, les véhicules légers, mais fort peu les poids lourds, les véhicules industriels, sinon pour préciser que leur homologation avait lieu à Lyon. Il serait intéressant que vous nous en disiez davantage.

Vous êtes revenu, par ailleurs, sur la convergence tarifaire entre le gasoil et l’essence. Ne pensez-vous pas que baisser le prix de l’essence était une erreur puisqu’il s’agit également d’une énergie carbonée et émettrice de particules fines ?

Enfin, vous avez mentionné la possibilité pour les poids lourds de s’équiper de dispositifs à gaz. Combien de temps faudra-t-il, selon vous, pour que les systèmes de ravitaillement soient opérationnels au-delà des flottes régionales ?

M. Laurent Michel. L’homologation des poids lourds relève du même type de travail, même si les séries sont plus courtes et même si certains types de véhicules nécessitent des aménagements particuliers – je pense aux camions de pompiers.

Pour ce qui concerne la fiscalité sur l’essence et le diesel, pour l’année 2016, pour tous les carburants, la composante carbone de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques augmente et, je le répète, afin d’envoyer un signal en faveur de la réduction des émissions de dioxyde de carbone, la taxation du diesel a augmenté d’un centime alors qu’elle a diminué d’un centime pour l’essence.

Pour ce qui concerne le temps nécessaire au déploiement des systèmes de ravitaillement en gaz pour les poids lourds, je ne suis pas en mesure de vous répondre. Que ce soit pour le rétrofit des poids lourds ou même pour l’achat de nouveaux poids lourds ou de bus au gaz – mais cela vaut pour les véhicules électriques –, il convient de créer un cercle vertueux en installant des stations-service. Il faudrait que, d’ici à quatre ou cinq ans, les poids lourds concernés puissent en effet se ravitailler plus facilement, sachant que leur autonomie n’implique pas la présence d’une station tous les cinq kilomètres – il faut en effet plutôt songer à un maillage autoroutier et au développement, dans de grands centres, de plateformes multimodales.

M. Denis Baupin. Vous avez indiqué avoir eu des échanges avec la Commission européenne avant qu’elle ne publie, aujourd’hui même, ses propositions législatives visant à une refonte majeure du cadre de la réception dite « UE par type » pour les véhicules à moteur. Or vous n’avez pas évoqué une disposition très nouvelle consistant à tester des véhicules non plus seulement avant leur mise sur le marché, mais des véhicules déjà en circulation et qui seraient sélectionnés au hasard. Avez-vous une idée des modalités d’application d’une telle proposition ?

M. Laurent Michel. Les producteurs réalisent également des contrôles en service qui sont en eux-mêmes une bonne chose. Une des manières de procéder consisterait à faire des prélèvements auprès des sociétés de location. Les experts considèrent tous qu’il est en effet nécessaire de pouvoir établir la traçabilité d’un véhicule pour que les mesures soient exploitables. Or cette traçabilité, nous l’avons chez les loueurs qui ont un carnet d’entretien permettant le calibrage des véhicules.

On peut imaginer que, pour 100 000 voitures vendues, l’État demande à telle société d’en contrôler cent, par exemple, et de financer le prélèvement et le test. Cette procédure peut très bien faire l’objet d’une décision administrative.

M. Denis Baupin. Nous nous sommes posé cette question au sein de la commission mise en place par la ministre et chargée de réfléchir sur les tests sur les véhicules et il nous est apparu que la mise en place juridique d’une telle procédure serait particulièrement complexe.

M. Laurent Michel. Vous avez raison, nous devons imaginer des méthodes permettant à ces contrôles d’être représentatifs. Tant au moment de l’homologation qu’à celui du contrôle, nous devons veiller à ce que le véhicule respecte la norme sans logiciel truqueur. Autre chose est la vérification, en condition de conduite, que le véhicule reste conforme aux critères définis par la réglementation et c’est là qu’il nous faut trouver un parc représentatif. Cette question mérite en tout cas d’être approfondie, ne serait-ce que pour vérifier le bon équilibre coût-efficacité du procédé, équilibre que nous aurons peut-être atteint si, avec 10 % des tests, on trouve 95 % des critères recherchés.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Alors justement, j’en reviens à ces questions de tests. Le rôle de notre mission d’information n’est pas sur le même périmètre, il est indépendant de ce que fait le Gouvernement et il est complémentaire de la commission qui a été mise en place par la ministre sur les contrôles des émissions polluantes. Pour la clarté des choses, au regard de toutes les informations qui ont été rendues publiques, je voudrais vous demander de nous décrire les protocoles qui ont été suivis par cette commission sur deux aspects : si j’ai bien compris, il y a un protocole de détection d’éventuels logiciels truqueurs, d’une part, donc de nous décrire un peu comment vous avez construit ce protocole, et il y a, d’autre part, un protocole de tests en conduite réelle. Sur ce point, j’aimerais savoir si ce protocole, c’est le même que le futur RDE, si c’est exactement le même au plan technique et scientifique que le protocole RDE en cours de discussion au niveau européen.

M. Laurent Michel. Dans le cadre des essais sur banc, nous procédons, en premier lieu, au test réglementaire puis à un autre test qui commence comme le test réglementaire mais des critères duquel nous nous échappons volontairement. Ce dernier test a ainsi permis de tromper le logiciel trompeur de Volkswagen qui, à un moment donné, n’a plus reconnu le cycle d’essai. Quant au protocole sur route, il est un peu différent du protocole RDE.

M. Cédric Messier. Nous avons en effet trois types de tests dont l’un, nommé D3, se rapproche du futur test RDE mais en diffère quant au parcours et au conditionnement de la voiture. À la demande des membres de la commission, nous avons lancé vingt tests RDE sur les voitures. Nous pouvons donc comparer, pour certains modèles, les résultats obtenus en fonction de notre essai D3 avec ceux que donne le futur protocole RDE et il se trouve que notre essai permet d’obtenir, grosso modo, les mêmes valeurs.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Donc, pour être très clair, par exemple, avec les constructeurs, ou le constructeur qui a été pointé du doigt pour des dépassements, nous sommes sur des véhicules qui étaient homologués, qui passaient les tests d’homologation et qui, quand on les soumet à un test qui n’est pas encore prévu par la réglementation mais qui est un test qui se rapproche du futur RDE, que ce soit le protocole D3 ou que ce soit le strict protocole RDE, on trouve à peu près la même chose sur le dépassement en conditions réelles ?

M. Laurent Michel. Exactement.

Mme Batho. OK, d’accord.

M. Laurent Michel. J’ajoute que nous mesurons également les émissions de dioxyde de carbone pour comparer nos résultats à ceux des tests réglementaires ; nous avons ainsi constaté un moindre écart concernant le dioxyde de carbone que concernant l’oxyde d’azote.

Mme Delphine Batho, rapporteure. La ministre a dit, toujours à propos des informations qui ont été communiquées le 14 janvier, que ces contrôles n’étaient pas suffisamment poussés. Donc, est-ce que cela veut dire que, d’ores et déjà, dans les homologations qui auraient lieu la semaine prochaine, dans quinze jours ou dans trois semaines, des modifications seraient apportées aux procédures d’homologation ?

M. Laurent Michel. Je n’étais pas présent quand la ministre s’est exprimée, aussi ai-je quelque difficulté à répondre à votre question.

Pour être homologué, il faut réussir les tests. Reste qu’on a constaté, chez un constructeur ou deux, un écart considérable entre les résultats obtenus lors des tests et ceux qu’on peut mesurer en conditions réelles. Quand cet écart est de un à deux ou de un à quatre, nous demandons des explications au constructeur et, si cet écart devait dépasser le rapport de un à quatre, je demanderais à mes services de ne pas signer l’homologation. Certains constructeurs pourraient faire valoir qu’ayant réussi le test, ils doivent être homologués ; seulement, le règlement européen précise, en une phrase quelque peu complexe, qu’on doit vendre des véhicules qui assurent des performances, notamment environnementales, dans des conditions « normales ». En cas de trop grande distorsion, après les explications évoquées, nous demandons l’application de mesures compensatoires pour revenir à un écart plus proche de la norme. Un tel contexte ne peut que conduire à revoir les critères de l’homologation sans même attendre l’entrée en vigueur du cycle RDE. Nous échangeons sur la question avec nos collègues de l’Autorité fédérale allemande des transports (Kraftfahrt-Bundesamt-KBA) ; or ils établissent le même genre de constat que nous et, comme nous, souhaitent que l’on en revienne à des dépassements de moindre ampleur.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Est-ce que le problème constaté sur un modèle qui était homologué et qui rencontre dans la suite de son fonctionnement des difficultés avait été signalé auprès de vos services, en fait avant les travaux de votre commission ?

M. Laurent Michel. Non, aucune anomalie ne nous a été signalée.

M. Jean Grellier. La présente mission a également une approche fiscale de la question automobile. On ne sait pas très bien quelle technologie va l’emporter sur l’autre dans les prochaines années. Or, si la fiscalité sur les véhicules thermiques a un certain rendement, pour les autres technologies, la puissance publique souhaitant leur développement, c’est plutôt une approche de soutien qui est privilégiée. Êtes-vous à même d’établir des projections sur la façon dont on pourrait assurer l’équilibre entre ces différents éléments ? D’autre part, selon vous, la fiscalité pourra-t-elle être un déterminant majeur dans le choix d’une technologie ?

M. Laurent Michel. Nous échangeons avec nos collègues du ministère de l’économie et nous sommes capables de procéder à des simulations. Notre connaissance de l’état du parc automobile et de l’évolution des ventes – on sait ainsi qu’après une forte « diésélisation », on assiste à un rééquilibrage assez rapide entre l’essence et le diesel – nous permet de modéliser les rentrées fiscales de façon assez fiable à l’horizon 2016-2018 – toutes choses étant égales par ailleurs, bien sûr. De même, nous sommes à mêmes de modéliser le système du bonus-malus.

Réfléchir à ce que sera le secteur automobile dans dix ou quinze ans relève davantage de la conjecture que de la prévision. Il fut un temps où, lorsqu’il s’est agi de dimensionner leurs besoins en électricité, on prévoyait qu’il y aurait quelque 3 millions de véhicules électriques en 2030. Or il est vraiment difficile de savoir aujourd’hui si ce chiffre sera de un ou de six millions, si bien que les implications en matière de consommation d’électricité ne sont plus du tout les mêmes.

Le choix de la loi relative à la transition énergétique est l’augmentation, dans la fiscalité, de la composante climat-énergie, qui s’est traduite dans la loi de finances pour 2016 par une hausse de la taxation de la part carbone et par des baisses concomitantes ciblées d’impôts. Nous n’en sommes pas encore au stade où l’irruption massive du véhicule électrique sur le marché engendrerait une baisse des rentrées fiscales d’ampleur macroéconomique.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Pour rester sur le même sujet, pas celui de la fiscalité, mais celui du bonus, est-ce que les règles actuelles du bonus, si je prends un cas de figure où nous serions dans une logique de sanction par rapport à une situation où on constaterait un non-respect de la réglementation, même après homologation, de véhicules qui auraient bénéficié de l’attribution de bonus, est-ce que les règles actuelles du bonus, permettent à l’État, dans cette hypothèse-là, de demander un remboursement des bonus ? Quelles sont les choses possibles ou impossibles en la matière ? À votre avis, il y a-t-il des compléments à apporter sur cette question ? Dans quelle mesure l’État, confronté à un dispositif de tromperie, pourrait exiger le remboursement des bonus ?

M. Laurent Michel. C’est bien notre intention, pour peu que le consommateur ne soit pénalisé en rien. Les dispositions du code de la consommation permettraient de lancer une procédure à l’encontre du constructeur incriminé. Ainsi Volkswagen a clairement indiqué vouloir prendre à sa charge un tel remboursement.

Mme la rapporteure. C’était au moment où était posée la question du nouveau sujet CO2 sur lequel ils sont ensuite revenus en arrière en indiquant qu’il n’y avait que 14 000 véhicules concernés.

M. Laurent Michel. Il est certes plus simple qu’un constructeur reconnaisse des erreurs. Reste que si le contrevenant n’est pas bénévolent, quand bien même nous « musclerions » les textes, il trouverait toujours le moyen de faire durer une procédure.

Mme Delphine Batho, rapporteure. J’en viens au nouveau protocole RDE et à la comitologie donc à la décision qui a été adoptée dans le fameux comité TMCV le 28 octobre dernier, qui fait l’objet de la procédure d’objection actuellement en cours. Est-ce que vous pouvez nous retracer le cheminement de la position française sur le contenu du protocole RDE et puis aussi sur les fameuses règles de dérogation par rapport au niveau d’émission de NOx que prévoit cette décision de comitologie donc avec un facteur d’abord de 2,1 et ensuite un facteur de 50 % ? Est-ce que vous pouvez nous retracer la position française puisque je crois que c’est la DGEC qui siège dans ce comité pour la France ? J’imagine qu’il y a eu des arbitrages interministériels. Voilà, si vous pouvez revenir sur ce sujet et nous en dire plus sur la position française.

M. Laurent Michel. Dresser un historique complet serait long, lourd et complexe. En résumé, le débat ne porte pas tant sur la nature du test que sur les dates d’entrée en vigueur de la décision et sur le facteur de conformité qui représente la marge de tolérance ou d’incertitude par rapport à la valeur réglementaire et par rapport à ce qui sera mesuré.

La France a demandé un certain nombre d’ajustements au CTVM et sur le facteur de conformité et sur les dates d’entrée en vigueur. Un large consensus s’est finalement dégagé au sein du comité, même si nous jugeons les facteurs de conformité un peu trop élevés : nous aurions préféré un facteur de 1,2 plutôt que de 1,5 pour la seconde phase.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Sur la nature du test, je voudrais quand même revenir sur un point : est-ce que, dans le long cheminement depuis 2010, c’est-à-dire dans cette discussion, la France s’était prononcée ou opposée au fait que le cycle RDE prévoit un cycle de conduite au-delà de 130 kilomètres heure ?

M. Cédric Messier. Nous nous sommes en effet opposés à cette disposition puisque cette vitesse excède la limite réglementaire ; elle n’en figure pas moins dans le texte, du fait de la pression allemande notamment. Je ne saurai vous dire si le texte sera révisé. Quoi qu’il en soit, les tests sont réalisés sous réserve du respect de la réglementation en vigueur.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Au-delà du débat sur la logique de la réunion du 28 octobre, par rapport à une difficulté réelle, qui est que du point de vue des constructeurs il y a besoin que les règles du jeu soient fixées rapidement par rapport à une entrée en vigueur qui a déjà trop tardée. Voilà donc l’arbitrage entre ces deux enjeux : l’enjeu de nécessité d’avoir une décision et une règle européenne et puis le contenu de cette règle sur les dépassements. Est-ce que vous pouvez nous rappeler juste quelle était la position de la France à l’entrée dans la discussion Je sais que la position initiale de la Commission, c’était un facteur de 1,6, qui est donc largement dépassé, on nous a dit que la position de la France était un facteur inférieur à 2, mais j’aimerais bien savoir ce qu’il en est précisément.

M. Laurent Michel. Au début de la discussion, nous pouvions accepter une valeur inférieure à 2 pour la première phase et nous étions favorables, pour la seconde phase, à ce que le facteur soit compris entre 1,4 et 1,6. C’étaient les instructions.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Merci beaucoup. Ensuite j’ai une question, vous savez, la question des vignettes qui ont été annoncées, donc qui sont basées en fait sur les normes Euro des véhicules, donc c’est là qu’on retombe sur la question du contrôle technique puisque, dans le système actuel, par exemple un véhicule Euro 5 dont le filtre à particules aurait été enlevé, il n’y a pas de possibilité de vérifier, comment dire, la vignette elle est attribuée sur la base d’un, comment dire, d’un critère théorique qui n’est pas vérifié en pratique. Et puis si vous pouvez nous dire où en est ce processus de mise en place de ces vignettes.

M. Laurent Michel. Vous avez tout à fait raison : à ce stade, pour des motifs d’opérationnalité, en instaurant la vignette, on part du principe que les performances intrinsèques d’un véhicule, en matière de pollution, sont données par sa norme Euro, et qu’il est dans un bon état d’entretien. Il est donc important de mener la réflexion que j’ai déjà évoquée sur l’article 65 de la loi relative à la transition énergétique, et en particulier sur le renforcement du contrôle technique sur les polluants. La vignette n’aura qu’une couleur et non deux – l’une correspondant à des données théoriques et l’autre à des données pratiques révélées par le contrôle technique.

Donc en termes de déploiement et de développement, nous avons mis au point avec l’Imprimerie nationale et le ministère de l’intérieur un système qui va lier la vignette avec ce qu’on appelle le système d’immatriculation des véhicules (SIV) , ordonnancé par le ministère de l’intérieur, en gros les cartes grises où il y a tout et dedans : on dispose ainsi du numéro de série qui permet des renvois afin d’identifier clairement l’Euro 5, 6 etc. Aujourd’hui, le système a été défini, un arrêté est en cours de consultation du public, il y a « une + trois » classes : la classe des véhicules non thermiques, à zéro émissions thermiques, et puis les classes 1, 2, 3… Vous savez peut-être, à un moment il avait même été envisagé sept classes, « une + six », et en fait, seuls les véhicules les plus propres, en gros une grosse moitié, pourront avoir cette étiquette. Donc l’idée c’est, après la consultation, de finaliser le texte et puis de lancer par ailleurs une expérimentation sur une ou des agglomérations candidates. On discute pour le tester avant de le mettre en service. C’est aussi simple à dire que compliqué à faire, le lien entre le demandeur, son adresse et le SIV et l’envoi de la vignette. L’Imprimerie nationale, qui est très expérimentée dans les titres sécurisés nous a, à raison, fortement incités à faire une phase de tests. Nous avons passé une convention avec l’imprimerie nationale sur la globalité c’est-à-dire sur le développement puis, d’ores et déjà, sur la phase de test.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Dans quels territoires le dispositif va-t-il être expérimenté ? Cherche-t-on des territoires d’expérimentation ?

M. Laurent Michel. Je vois que vous avez mis le doigt sur un léger blanc dans mon intervention. Nous avions des territoires candidats, nous sommes toujours en discussion avec ces territoires candidats voire nous en cherchons d’autres. À la fin, si on n’a pas de territoire candidat il faudra trouver une autre façon de faire le test. Le test n’a pas tellement pour but de tester l’utilisation des pastilles que de tester l’attribution. En même temps, il était intéressant de le faire avec une collectivité car cela permettrait aussi à une collectivité de le réaliser à une grandeur réelle, de se rôder elle-même et de dire : « Et bien voilà ! », donc de faire de la communication auprès des habitants. Il faut tester en grandeur réelle.

Mme Delphine Batho, rapporteure. J’en ai presque terminé. J’ai des questions que je vais grouper. Elles portent sur des sujets très différents. Le premier, dans ce que sont les règlements pollués, pardon, les polluants réglementés, notamment sur la question des particules ultra fines, est-ce que vous identifiez des émissions polluantes aujourd’hui qui ne rentrent pas dans les grilles de la réglementation et qui vont, d’après l’analyse que vous en faites, et pour les années à venir, être un sujet pour la réglementation des émissions polluantes des véhicules ? Telle est ma première question. Deuxièmement, au regard de votre expérience, notamment sur la commission qui a été mise en place par la ministre, est-ce que vous avez un point de vue, j’allais même dire, qui ne serait pas une position de l’État mais une conviction ou un sentiment sur les technologies les plus efficaces en matière de traitement des NOx et donc des choix technologiques à recommander aux différents constructeurs ?

M. Laurent Michel. La question des polluants réglementés ou non réglementés présente de multiples facettes. Pour élaborer leurs directives, l’Union européenne et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) établissent des normes de valeurs dans l’air ambiant qui sont des moyennes, des maximums à ne pas dépasser, des combinaisons en fonction des effets des polluants ; ces normes concernent ce qu’on peut appeler les grands classiques : ozone, oxydes d’azote, composés organiques volatils, mercure, plomb, particules... Et cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’autres polluants, ainsi les micropolluants organiques qui ne proviennent pas seulement des transports mais encore des pesticides ou des procédés industriels. Ce qui renvoie à la question des spéciations pour les particules totales ou les particules fines, voire pour les nanoparticules ou particules ultra-fines. Il s’agit de trouver un équilibre entre réduction à la source et interdiction. Le règlement REACH (Registration Evaluation Autorisation of Chemicals ; Enregistrement évaluation autorisation des substances chimiques) induit à ce sujet de nombreuses réflexions et actions.

Notre administration a signé une saisine de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) pour faire le point sur l’ensemble des connaissances afin de savoir comment appréhender les polluants parmi ceux qui ne sont pas les mieux « balisés » : suivant les cas, vaudra-t-il mieux privilégier une analyse de risque-substitution ou bien une approche valeur ambiante et réduction tous azimuts des émissions ?

En ce qui concerne plus spécifiquement les véhicules, je perçois deux sujets importants : celui, pour les émissions des diesels, du rapport entre dioxyde d’azote et oxyde d’azote, et celui des particules d’abrasion et autres particules qui ne proviennent pas des moteurs et qui devront faire l’objet d’une réglementation – de nombreuses personnes y travaillent.

J’en viens à votre question sur les technologies les plus efficaces. À ce stade, le Gouvernement n’a pas à avoir de position particulière, d’autant qu’on ne saurait prendre parti pour telle ou telle technologie dans la mesure où, le plus souvent, elles sont combinées, qu’il s’agisse de la réduction catalytique sélective (RCS), de systèmes de réduction des oxydes d’azote par injection d’urée, qui fonctionnent bien, ou alors des systèmes de recirculation des gaz d’échappement ou de piège à oxydes d’azote, lesquels semblent pour le moment rencontrer certaines limites. Les constructeurs, dans la perspective du durcissement de la réglementation avec l’entrée en vigueur de la procédure RDE, s’efforcent d’améliorer leurs technologies.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Quand on examine la réglementation européenne et ses déclinaisons nationales, il est frappant de constater qu’on a jusqu’à présent abordé, d’un côté, la question du dioxyde de carbone, et, de l’autre, celle des émissions polluantes. À votre avis, la réglementation, l’homologation, les systèmes de bonus-malus sont-ils amenés à devenir multicritères, intégrant les paramètres de consommation, et donc de dioxyde de carbone, autant que les paramètres d’émissions polluantes ?

Et la dernière de toutes mes questions : ce qui est très frappant, ce n’est pas une question nouvelle et cela nous renvoie d’ailleurs aux questions posées par notre collègue Jean Grellier sur la fiscalité, mais quand on regarde la réglementation européenne et puis ensuite sa déclinaison dans beaucoup de politiques publiques, y compris dans les dispositifs de soutien à l’achat de véhicules peu polluants, il y a eu quand même jusqu’ici une approche où on regardait d’un côté la question du CO2, et d’un autre côté la question des émissions polluantes. Est-ce qu’à votre sens nous irons vers des approches prenant en considération l’ensemble des dispositifs, que ce soit de réglementation, d’homologation, de soutien financier éventuel, que ce soit du bonus ou du malus, qui sera « multicritères », en intégrant aussi bien les paramètres de consommation et donc de CO2 que d’émissions polluantes ?

M. Laurent Michel. On a d’abord réglementé les émissions polluantes et, depuis quelques années, est apparue la question des émissions de dioxyde de carbone, la réglementation européenne fixant à chaque constructeur des objectifs : d’abord 120 grammes par kilomètre puis 95 grammes, norme pondérée par divers facteurs correctifs plus ou moins techniques – et qui n’ont pas toujours été tous pertinents comme celui aux termes duquel plus un véhicule était lourd, plus il avait le droit d’émettre du dioxyde de carbone, ce qui se conçoit peut-être en termes de rapports de force mais guère au plan intellectuel…

Avec la norme Euro 6 on assiste, à nouveau, à un durcissement des contraintes concernant la pollution atmosphérique, orientation qui n’est pas sans conséquence, vu le coût de ces technologies, sur le prix des petits véhicules peu chers – ainsi l’équation économique pour un petit diesel est-elle rendue plus difficile à résoudre.

Les systèmes de soutien, au moins en France, au moment du lancement du bonus-malus, ont été centrés sur le dioxyde de carbone. Je me souviens qu’en 2007-2008 les propositions visant à prendre en compte l’émission de particules, dans le calcul du bonus, n’ont pas été retenues. Aujourd’hui, les systèmes de soutien – bonus-malus ou primes de conversion – s’efforcent de mâtiner les deux approches. Ainsi, la prime de conversion d’un vieux véhicule polluant varie en fonction de l’émission de dioxyde de carbone – vous touchez une surprime de 3 700 euros si vous achetez un véhicule « zéro émission » ; et vous pouvez acheter un véhicule thermique mais il doit émettre moins de cent grammes de dioxyde de carbone par cent kilomètres et répondre, dans le même temps, aux normes Euro 5 ou Euro 6 – la prime étant plus importante dans ce dernier cas. Le système du bonus-malus commence donc d’intégrer ce double objectif. De même, j’ai déjà évoqué la volonté de rééquilibrage fiscal à propos de la TVS – volonté traduite par plusieurs dispositions de la loi de finances pour 2014 –, de savants calculs sur les externalités négatives des deux carburants ayant permis d’ajouter au critère basé sur le dioxyde de carbone, un critère lié aux émissions polluantes. Tous les acteurs – constructeurs, décideurs, administration –, sur le plan national comme au niveau européen, me semblent désormais avoir cette double approche.

Mme Sophie Rohfritsch, présidente. Pouvez-vous préciser le temps qui vous semble nécessaire aux adaptations futures, à la fois sur le plan fiscal et sur le plan technologique ?

M. Laurent Michel. Comme à chaque fois, ma réponse sera prudente : tout dépendra de l’ampleur des évolutions... Une émission ne concerne pas que le moteur et il faut tenir compte de l’allégement des véhicules, de la durée de conception… Les cycles durent cinq à sept ans. Ainsi, les plus anciens des véhicules en service répondant à la norme Euro 6 ont un moteur de 2011 et les plus récents de 2013. Les constructeurs des premiers, dans la perspective du durcissement de la réglementation qu’impliquera l’adoption du protocole RDE, sont en train de développer leurs nouveaux modèles pour 2016-2017.

En revanche, pour les dépassements qui, dans certains cas, seraient plus importants que la moyenne, il faudra trouver des solutions que les constructeurs avec lesquels nous échangeons promettent à échéance de quelques mois seulement. Le système de rappel permet même, quant à lui, de régler les problèmes mineurs en quelques semaines.

Mme Sophie Rohfritsch, présidente. Nous vous remercions infiniment.

La séance est levée à dix-huit heures dix.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Réunion du mercredi 27 janvier 2016 à 16 h 30

Présents. - Mme Delphine Batho, M. Denis Baupin, M. Philippe Duron, M. Jean Grellier, Mme Sophie Rohfritsch

Excusés. - M. Jean-Marie Beffara, M. Denis Jacquat, M. Jean-Pierre Maggi, M. Rémi Pauvros, Mme Marie-Jo Zimmermann