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Mardi 2 février 2016

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 25

Présidence de Mme Sophie Rohfritsch, Présidente, puis de M. Jean Grellier, Secrétaire

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des représentants de la presse automobile et des associations d’automobilistes, avec la participation de : Mme Alexandrine Breton des Loÿs, présidente du groupe Argus ; M. Grégory Pelletier, chef du service rédactionnel de l’édition grand public de L’Argus ; M. Arnaud Murati, chef de rubrique à L’Argus ; M. Laurent Chiapello, directeur des rédactions d’Auto Plus, de L’Auto Journal et de Sport Auto ; M. Daniel Quéro, président de l’association 40 millions d’automobilistes ; M. Didier Bollecker, président de l’Automobile Club Association ; M. Stéphane Meunier, rédacteur en chef d’Automobile Magazine ; M. Brice Perrin, chef de rubrique à L’Auto Journal ; M. Alexandre Guillet, rédacteur en chef du Journal de l’automobile ; M. Lionel Robert, directeur de la rédaction d’Auto-Moto..

Mission d’information
sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.

La mission d’information a organisé une table ronde avec des représentants de la presse automobile et des associations d’automobilistes. Elle a entendu : Mme Alexandrine Breton des Loÿs, présidente du groupe Argus  M. Grégory Pelletier, chef du service rédactionnel de l’édition grand public de L’Argus ; M. Arnaud Murati, chef de rubrique à L’Argus ; M. Laurent Chiapello, directeur des rédactions d’Auto Plus, de L’Auto Journal et de Sport Auto ; M. Daniel Quéro, président de l’association 40 millions d’automobilistes ; M. Didier Bollecker, président de l’Automobile Club Association ; M. Stéphane Meunier, rédacteur en chef d’Automobile Magazine ; M. Brice Perrin, chef de rubrique à L’Auto Journal ; M. Alexandre Guillet, rédacteur en chef du Journal de l’automobile ; M. Lionel Robert, directeur de la rédaction d’Auto-Moto.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Mes chers collègues, nous sommes réunis ce soir pour tenir cette table ronde tant attendue avec des responsables des principales rédactions de la presse automobile ; nous avons également tenu à inviter deux associations d’automobilistes parmi les plus actives.

L’affaire Volkswagen, née aux États-Unis, a eu l’effet d’une onde de choc en Europe. En France, la mise en place d’évaluations spécifiques des pollutions à l’échappement, telles que décidées et conduites par les pouvoirs publics, suscite nombre d’interrogations et de commentaires. Un processus exceptionnel est ainsi en cours, des « découvertes » récentes risquent même d’être périlleuses pour certains constructeurs français et étrangers, les marchés financiers l’ont bien compris.

Quoi qu’il en soit, tout le secteur de l’automobile, y compris de grands équipementiers, est nécessairement concerné par cette succession d’évènements.

Nous attendons de cette table ronde l’expression la plus libre possible sur ce que vous inspire la situation présente : vos lecteurs et vos adhérents sont-ils perturbés par cette situation ? Une perte de crédibilité pourrait-elle même plus ou moins durablement affecter les constructeurs ?

De longue date, vos essais mettent en cause ou simplement rectifient ce que nous pouvons appeler certaines données constructeurs. Il en a fréquemment été ainsi pour leurs données relatives à la consommation, essence comme diesel.

Notre collègue Denis Baupin a fait état devant la mission d’un article d’Auto-Moto qui, dès 2005, dénonçait les possibilités de tromper certains tests normalisés en configurant les boîtiers et logiciels électroniques désormais installés dans tous les véhicules. Cet article bien documenté pour l’époque ne citait aucun constructeur en particulier, mais révélait que les milieux de l’automobile étaient d’ores et déjà au fait d’un risque potentiel.

Plus de 900 000 véhicules commercialisés en France par les marques du groupe Volkswagen devraient subir des mesures de service après-vente afin de modifier certains calibrages moteurs. Leurs propriétaires peuvent légitimement s’inquiéter des conséquences de ces retours dans les concessions, ne serait-ce que des modifications de performance qui en résulteraient ou encore des pertes des valeurs de revente.

Voilà des sujets sur lesquels il importe à la mission de vous entendre.

Dans un premier temps, chacun des titres ou associations invités va se présenter et nous préciser, en quelques minutes, l’orientation générale de vos réactions, sans doute déjà exprimées concernant ces thèmes de réflexion. Puis notre rapporteure, Delphine Batho, vous posera un premier groupe de questions. Enfin les autres membres de la mission vous interrogeront à leur tour.

Mme Alexandrine Breton des Loÿs, présidente du groupe Argus. Nous avons commenté l’affaire Volkswagen comme les autres journaux automobiles, sans vraiment prendre parti, car les faits ont d’abord eu lieu aux États-Unis et n’étaient pas encore avérés en France. Le groupe Argus dispose des mêmes logiciels que ceux qu’utilisent et distribuent les concessionnaires et leurs succursales chez nous ; nous sommes leader dans ce domaine. Ces logiciels gèrent le marché de l’automobile d’occasion en France ; ils permettent de connaître le prix de rachat et de vente des véhicules pratiqué par les professionnels.

À la fin du mois de septembre dernier, nous avons créé un observatoire de toutes les voitures concernées par l’affaire Volkswagen, ainsi que de l’ensemble de leurs concurrentes. Nous cherchions à savoir si cette crise avait une incidence sur le nombre des annonces passées par les particuliers et les professionnels ainsi que sur le prix d’achat et de vente de ces voitures ; jusqu’à la fin de l’année 2015, nous n’avons pas constaté d’incidence sur ces prix. En revanche, une diminution du volume des échanges est apparue : en attendant d’avoir plus de visibilité sur le marché, les professionnels ne souhaitaient pas avoir en stock ce type d’automobile, et les particuliers préféraient ne pas les revendre. Nous serons bientôt en mesure de fournir une étude, Volkswagen France nous a d’ailleurs demandé d’établir un tableau de bord afin de suivre l’évolution de la situation.

M. Arnaud Murati, chef de rubrique à L’Argus. Je représente l’édition professionnelle de L’Argus automobile, je suis tout particulièrement l’activité économique du secteur automobile dans son ensemble au quotidien. Depuis cinq mois, les affaires d’homologation et de tricherie sur la « propreté » des véhicules nous occupent énormément.

M. Alexandre Guillet, rédacteur en chef du Journal de l’automobile. Au sein de la presse professionnelle, le groupe Altice Média est plus concerné par l’activité économique que par le produit lui-même. C’est avec beaucoup d’intérêt que nous avons observé les évènements lorsque le scandale a éclaté aux États-Unis, et dont nous avons étudié les conséquences en Europe et en France avec la SOFRES. Nous avons constaté un moindre attachement des clients à leur marque ; en ce qui concerne les intentions de rachat, le décrochage est en revanche assez marginal pour l’instant. La crise n’a guère nui au groupe Volkswagen, dont on peut penser qu’il bénéficie d’une bonne image ; le cas pourrait être différent pour des fabricants ne jouissant pas d’une telle renommée.

Par ailleurs, nous suivons attentivement les travaux de la commission mise en place par Madame Ségolène Royal ; certains constructeurs seraient susceptibles d’être mis en cause et leurs services de communication demeurent prudents, car des marques sont mentionnées et d’autres non. Aussi ne souhaitons-nous pas tirer de conclusions hâtives au sujet d’opérateurs qui vivent de la vente et de la réparation des véhicules de ces marques, et attendons d’avoir plus d’informations avant d’établir des comparaisons.

M. Lionel Robert, directeur de la rédaction d’Auto-Moto. Nous portons intérêt aux questions environnementales depuis longtemps, et l’affaire Volkswagen ne nous a pas surpris. En effet, l’écart considérable existant entre les mesures provenant des constructeurs et la réalité nous était connu de longue date.

Cela nous conforte dans notre conviction ancienne que le diesel, dans certaines conditions de circulation, n’a plus sa place en France. Les évènements récents favorisent la prise de conscience que les coûts de dépollution des voitures diesel sont très élevés, alors que ces véhicules n’offrent pas toutes les garanties. Il est temps – et le Gouvernement a là un rôle à jouer – que la fiscalité évolue de façon que le diesel ne soit plus le carburant le plus prisé des consommateurs.

M. Brice Perrin, chef de rubrique à L’Auto-Journal. Mon travail porte principalement sur les enquêtes et l’actualité ; je tiens par ailleurs une rubrique ouverte aux lecteurs qui y parlent de leurs voitures. J’ai ainsi constaté que peu de préoccupations ont été exprimées au sujet des véhicules de marque Volkswagen ; j’attribue cela à la bonne réaction du réseau en France qui, contrairement à son homologue américain, a su faire preuve de transparence. Nos lecteurs sont assez confiants quant à la valeur résiduelle de leur véhicule ou à l’impact des modifications à apporter sur les performances ou la consommation ; pour notre part, nous ne pourrons partager pleinement cette confiance tant que nous n’aurons pas effectué de nouvelles mesures. Cela fait des années que nous écrivons qu’il existe une différence flagrante entre les normes « constructeur » et la réalité, puisque nous savons que les cycles normalisés de la consommation et des émissions polluantes sont très éloignés de l’usage réel. Les choses devraient cependant s’améliorer dès l’année 2017.

Nous avons longuement étudié les divers polluants, car l’institution en 2008 du bonus-malus écologique, qui prend en compte les émissions de CO2, a induit de la confusion dans les esprits en faisant croire que le CO2 était un polluant et constituait l’indice de référence. Ce dispositif fiscal a, fâcheusement, favorisé les ventes de petits véhicules diesel très polluants circulant toujours aujourd’hui, même si leur part a évolué, ajoutant par-là de la confusion à la confusion.

M. Laurent Chiapello, directeur des rédactions d’Auto Plus, de L’Auto-Journal et de Sport Auto. Nous mesurons, sur des centaines de voitures, les taux effectifs de consommation et de pollution depuis des décennies ; nous disposons de techniciens employés à plein temps, nos essais sont réalisés dans des conditions réelles, et nous dénonçons régulièrement les faux chiffres avancés par les constructeurs.

À l’occasion du scandale Volkswagen, nos lecteurs et internautes ont plus été choqués par la tricherie, c’est-à-dire par la faute morale du groupe, que par le problème de la pollution émise par leurs véhicules, qui n’est pas au premier rang de leurs préoccupations. Je rappelle que, en dehors des questions d’argent, le premier objet de motivation pour l’achat d’une automobile est son design et son image en général.

M. Daniel Quéro, président de l’association 40 millions d’automobilistes. Nous avons été surpris par le peu de réactions dont nous ont fait part nos adhérents, même au plus fort du scandale Volkswagen ; sur d’autres sujets, ils sont bien plus virulents. La préoccupation la plus couramment exprimée a concerné le risque de décote des véhicules ; les consommateurs font confiance à leur constructeur pour trouver des solutions, et beaucoup lui restent fidèles. Nous avons diligenté des enquêtes afin de savoir à quel point les questions de pollution entraient dans le choix d’une voiture au moment de l’achat : 70 % de nos interlocuteurs ont montré leur désintérêt pour le sujet, le prix demeurant le premier critère. Toutefois, l’affaire Volkswagen a bloqué les ventes pendant le premier mois, ce dont beaucoup de concessionnaires se sont plaints.

Nous avons entendu tout et n’importe quoi, d’aucuns ont prétendu que tous les constructeurs trichaient ; à cet égard je sais gré à Madame Royal d’avoir créé une commission technique indépendante, à laquelle je siège, et qui procède à des tests aléatoires ainsi qu’à des auditions. Des écarts sont effectivement constatés entre les différentes mesures, mais, les tests réalisés par l’Union technique de l’automobile, du motocycle et du cycle (UTAC), pour le compte de cette commission sont différents des tests d’homologation des constructeurs : ils sont plus proches des conditions habituelles d’utilisation d’un véhicule. C’est pourquoi il est demandé à certains constructeurs de venir s’expliquer.

À quelque chose malheur est bon puisque, dès 2017, de nouveaux tests, plus exigeants et mieux vérifiés, seront instaurés, ce qui permettra de réaliser des progrès en termes d’émissions. Certes, beaucoup de diesels sont polluants, les petits n’étant pas les moindres, mais il faut conserver à l’esprit que ce type de voiture représente 66 % des automobiles en circulation : il ne sera pas possible de modifier brusquement la fiscalité. L’usage du diesel se justifie certainement pour les véhicules de milieu et haut de gamme, mais la norme Euro 6 rend ces voitures plus propres ; aujourd’hui, les diesels Mazda circulent à nouveau dans Tokyo. En revanche, du fait de son coût, la dépollution des petits véhicules sera difficilement réalisable.

M. Didier Bollecker, président de l’Automobile Club Association. L’Automobile Club Association est la branche française de la Fédération internationale de l’automobile (FIA) et compte 840 000 membres. Nombre de nos adhérents nous ont fait part de leurs interrogations, mais – faut-il le déplorer ? – moins sur les éventuelles émissions polluantes de leurs voitures que sur le risque de perte de performances. Je partage le constat établi par MM. Quéro et Chiapello : les consommateurs se préoccupent assez peu du bilan énergétique de leur véhicule au moment de l’achat.

Les automobilistes sont plus troublés par l’incohérence et le manque de transparence des tests et de la réglementation : ils ont été incités à acquérir des automobiles diesel – la prime au diesel a perduré après le Grenelle de l’environnement – et l’on voue aujourd’hui ce carburant aux gémonies en prônant le retour à l’essence. Ces changements de législation sont mal compris, mais peuvent être l’occasion d’un rééquilibrage entre les parts de marché respectives de l’essence et du diesel. Alors que la part des véhicules diesel est de 66 % en Europe – ce qui est considérable –, je rappelle qu’elle n’est que de 1 % aux États-Unis ; c’est pourtant dans ce pays que le scandale a connu le plus d’ampleur.

Nous demandons que de nouveaux tests soient utilisés, mais nous demandons aussi une stabilisation de la réglementation ; nous ne savons toujours pas – même dans les villes-tests comme Strasbourg – quel sera le devenir du pastillage de différentes couleurs en fonction du taux d’émissions polluantes des voitures. Je ne pense pas par ailleurs qu’aucune pastille n’a jamais supprimé la pollution : il faut donc trouver autre chose, et l’attente de nos adhérents est forte dans ce domaine.

M. Grégory Pelletier, chef du service rédactionnel de l’édition grand public de L’Argus. Depuis le commencement de l’affaire Volkswagen, nous nous sommes attachés à fournir à nos lecteurs des informations techniques afin de déterminer les éléments sur lesquels la tricherie avait porté. Le groupe Volkswagen a fourni très peu de réponses, notamment en ce qui concerne les immatriculations, et par conséquent, le nombre, des véhicules concernés en France ; nous avons publié ses informations. Responsable de l’occasion et de la fiabilité au sein de L’Argus, je suis le groupe Volkswagen depuis longtemps. Nos lecteurs trouvent injuste le fait que, à la différence des Américains, les consommateurs européens ne bénéficient pas de la prime de dédommagement de 1 000 dollars ; à cela, Volkswagen répond que les véhicules seront remis aux normes, sans plus de commentaires.

Nous savons tous que les constructeurs optimisent le cycle européen de conduite, dit New European driving cycle (NEDC), l’évolution vers des tests beaucoup plus proches de la réalité aura un coût ; or on veut leur imposer des normes Euro 6. Cn qui ne seront définies qu’à l’automne 2017. Ainsi, les solutions techniques propres à diminuer le taux d’émission de NOX existent, mais leur coût est tel que les vendeurs considèrent qu’il sera impossible de commercialiser les véhicules susceptibles d’en être équipés. De fait, les consommateurs ne sont pas disposés à payer pour du CO2 ou du NOX, et, lorsque nos lecteurs nous interrogent, c’est afin de savoir si leur voiture va perdre de la puissance et s’il y a lieu de répondre au rappel.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Je tiens à saluer le remarquable travail effectué par la presse, que nous lisons attentivement et avec profit. Nous avons tous constaté que, de façon quelque peu curieuse, l’affaire Volkswagen concerne plus d’automobilistes français qu’américains. Ces évènements ont mis en lumière deux aspects d’une même question : celui de l’écart existant entre les résultats des tests d’homologation et l’usage réel des véhicules et celui des logiciels servant la tricherie : étiez-vous au fait de l’existence ces logiciels ? L’article publié par Auto-Moto en 2005 considère que : « La multitude de capteurs calculateurs installés aujourd’hui dans les voitures constitue autant d’espions électroniques facilitant les petits ajustements avec la réglementation. Capables de déterminer si le véhicule est en train de passer un cycle de dépollution, ils permettent le plus simplement du monde de basculer l’électronique moteur sur le programme spécial homologation. » Voilà qui est très précis !

M. Didier Bollecker. Selon mes informations, cela était un secret de polichinelle à Bruxelles.

M. Stéphane Meunier, rédacteur en chef d’Automobile Magazine. Depuis les années 1980, une simple baisse de tension de la diode éclairant le compartiment moteur permet de faire savoir à une automobile si elle est à l’arrêt et si le capot est ouvert : la présence d’un cycle adapté à l’homologation est donc possible depuis cette période. La tricherie dont Volkswagen s’est rendu responsable est connue aux États-Unis depuis plusieurs mois, les autorités américaines ont demandé au groupe de se mettre en conformité, celui-ci a fait des promesses qu’il n’a pas tenues. Dans ce pays, vous êtes prévenu une fois, puis une deuxième, pas davantage : Volkswagen a dû reconnaître la tricherie afin de pouvoir continuer à importer des voitures et rester présent aux États-Unis, car toutes ses gammes étaient menacées.

Ces tests d’homologation, ressemblent à une épreuve d’anglais du baccalauréat dont l’organisateur, en l’occurrence le législateur, communiquerait à l’avance les sujets au candidat, ici, le constructeur automobile. On imagine mal pourquoi un candidat souhaitant être reçu ne potasserait pas ces sujets à l’avance ; le fait de savoir si l’intéressé parle réellement anglais est une tout autre question…

La norme Euro 6 rend d’ores et déjà l’examen bien plus compliqué, et les diesels qui y répondent sont attaqués, alors qu’il est trop tard ! Il n’empêche que cette norme ainsi que le nouveau cycle Real Driving Emission (RDE) sont en cours de discussion et sont réclamés par les constructeurs. Cela reviendra à tirer les sujets de l’examen au hasard, et ces sujets devront être contradictoires : si vous connaissez bien Shakespeare, vous devrez aussi être bon en littérature moderne ; enfin, je précise qu’Automobile Magazine n’a pas eu connaissance d’une quelconque tricherie avérée.

Mme la rapporteure. Je ne commettais pas de confusion avec les questions d’écart entre les cycles d’homologation, etc. Mon sujet était celui des logiciels permettant la tricherie : vous répondez qu’elle est théoriquement possible depuis l’avènement de l’électronique, mais, à part la remarque sur Bruxelles, en aviez-vous entendu parler avant que l’affaire n’éclate aux États-Unis au mois de septembre ?

M. Arnaud Murati. La pratique de l’optimisation était malheureusement un secret de polichinelle, pas celle des logiciels de trucage, cependant, de mémoire, dès 2013, un rapport du Conseil mondial de la recherche (Global Research Council, GRC) avait éveillé les soupçons sur ces dispositifs. L’éclatement de l’affaire Volkswagen au mois de septembre dernier n’a pas constitué une surprise.

M. Alexandre Guillet. Des témoignages anonymes publiés par Politico, au cours des derniers mois, montent que beaucoup de gens étaient au fait des choses au sein des instances européennes.

M. Lionel Robert. Comme l’a dit Stéphane Meunier, on peut seulement reprocher à Volkswagen d’avoir été meilleur élève et d’avoir mieux su optimiser ses tests. Nous verrons bien ce qu’il se passera avec Renault, qui se défend d’avoir triché puisqu’il aborde le sujet différemment ; Volkswagen a dû aller plus loin afin de répondre aux normes américaines qui sont plus exigeantes que les nôtres. Que croyez-vous que Renault aurait fait s’il avait été placé dans la même situation ?

Mme la rapporteure. Les réglementations américaines et européennes ne sont pas les mêmes, puisque l’Europe proscrit tout dispositif d’invalidation lors des tests, et il existe bien une différence entre un logiciel de trucage et les différentes pratiques d’optimisation.

Depuis longtemps, beaucoup d’entre vous procèdent à des tests et des essais comparatifs. Vos protocoles sont-ils constants et vérifiés ? L’écart que vous constatez entre les tests réalisés dans les conditions d’usage et les chiffres des constructeurs a-t-il augmenté au cours des dernières années ?

M. Stéphane Meunier. Plusieurs titres de presse automobile destinée au grand public procèdent à des mesures depuis une quarantaine d’années, tels Auto Plus ou L’Auto-Journal ; Automobile Magazine mesure 300 items par voiture, depuis une dizaine d’années, nous avons demandé la certification ISO 9001 pour ce protocole, à l’instar de ce qui existe dans l’industrie.

Plusieurs magazines automobiles valident les mesures objectives fournies par les constructeurs, depuis toujours nous divulguons les écarts de consommation constatés, ceux-ci n’ont guère augmenté, car les techniques utilisées sont bien plus précises qu’il y a dix ans. Le véhicule tricheur le plus polluant aujourd’hui est beaucoup plus vertueux que le véhicule honnête d’il y a dix ans.

En 2010, à l’occasion du Mondial de l’automobile, Automobile Magazine a publié un hit-parade de la pollution, fondé sur des données de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), et qui a été repris par de grands médias. À l’époque, nous avions été critiqués par la présidente de l’ADEME, qui, quelques années plus tard, a reconnu la nocivité des petits véhicules diesel. Ce débat est constant au sein de la presse automobile, nous savons que les consommations annoncées par les constructeurs sont théoriques, or l’ADEME se fonde sur ces données pour établir ses barèmes de pollution : ils sont donc tout aussi théoriques.

M. Lionel Robert. Il faut préciser qu’aucune publication française n’étudie autre chose que la consommation de carburant. On ne parle donc que de CO2, et personne ne mesure le NOX, qui est pourtant bien plus dangereux.

M. Laurent Chiapello. Le grand public comme la réglementation française viennent de découvrir le NOX, mais la Conférence de Paris de 2015 sur le climat (COP 21) n’a évoqué elle-même que le changement climatique, donc le CO2. Peut-être faudra-t-il, à l’avenir, revoir l’échelle des priorités, mais c’est un autre débat.

En ce qui concerne les écarts de mesure constatés entre la réalité et ce qu’annoncent les constructeurs, nous ne constatons pas d’augmentation. En revanche, certains se comportent mieux que d’autres : cela prouve que, s’il n’est pas possible d’atteindre pleinement la vérité, on peut y tendre si l’on en a la volonté.

M. Jean-Michel Villaumé. Je suis un lecteur régulier d’Auto Plus. Vous pratiquez des tests et des essais sur des véhicules mis à votre disposition par les constructeurs dans de bonnes conditions. Cependant, la presse spécialisée est financée par la publicité de l’industrie automobile : dans ces conditions, quelles sont les garanties de votre objectivité ?

M. Laurent Chiapello. C’est une très bonne question. Le plus clair de notre financement provient de la vente hebdomadaire des quelque 300 000 exemplaires de notre revue. Les voitures que nous testons, comme l’ensemble de la presse automobile, nous sont fournies par les constructeurs et sont optimisées, mais nous les comparons entre elles : c’est là que se révèlent les bons et les mauvais élèves dans le domaine de la consommation de carburant.

Nous effectuons ces mesures sur le circuit de Montlhéry, nous disposons d’appareils sophistiqués et de deux techniciens employés à plein temps. Les constructeurs nous reprochent de ne pas prendre en compte les conditions météorologiques, qui ne sont pas constantes, mais nous établissons un lissage des données recueillies et nos résultats sont singulièrement plus proches de la vraie vie que ne le sont les normes actuelles.

M. Stéphane Meunier. Ces mesures réalisées à Montlhéry impliquent la location d’un box, un technicien employé à plein-temps, ainsi qu’un matériel électronique coûteux que nous renouvelons et faisons certifier chaque année par un organisme indépendant. Cela représente un investissement de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Ce serait cher payé pour être les complices des constructeurs : mieux vaudrait se contenter de reprendre leur documentation technique, ce qui simplifierait la vie de nos éditeurs…

M. Jean-Marie Beffara. Vous confirmez donc ne tester que les écarts existant entre les consommations de carburant annoncées et les consommations réelles.

M. Laurent Chiapello. Nous mesurons une série de performances : accélération, freinage, etc. Ensuite, la consommation et, partant, les émissions de CO2.

M. Jean-Marie Beffara. À l’occasion de ces tests, qui ne portent donc pas sur les émissions de NOX, constatez-vous des écarts plus importants entre vos mesures et celles des constructeurs lorsque ceux-ci ont recouru à des logiciels de trucage ?

M. Laurent Chiapello. Nous pratiquons ces tests depuis des décennies, et l’affaire Volkswagen n’a pas modifié notre pratique. Il n’est donc pas possible d’affirmer que cette marque se comporte moins bien que les autres dans ce domaine. Dans le cadre d’un cycle mixte représentant une moyenne des consommations, nous avons constaté 40 % d’écart entre la norme et ce que nous mesurons dans la réalité ; au sein de ces 40 %, certains constructeurs se situent à plus 60 % de consommation, d’autres entre 10 % à 20 %. Selon les modèles et les générations, Volkswagen se place dans une moyenne relativement neutre ; aucun pic de surconsommation n’a été constaté.

M. Daniel Quéro. Je rappelle que tous les constructeurs ont satisfait à la procédure d’homologation. Quand bien même certains auraient optimisé les tests, les consommations mesurées l’ont été à vitesse stabilisée, dans le cadre d’un usage mixte.

De son côté, la presse automobile a le devoir d’informer le public. C’est à cette fin qu’elle réalise des tests, probablement plus proches de la réalité et plus exigeants, dont les résultats diffèrent forcément de ceux des constructeurs, cela est indéniable. Toutefois, l’homologation a la vertu de placer tout le monde sur un pied d’égalité ; ce qui modifie considérablement la consommation d’un véhicule, c’est la façon de le conduire.

M. Laurent Chiapello. Les tests d’homologation existant aujourd’hui sont à des kilomètres de la réalité. Certes, les conditions doivent être les mêmes pour tous, mais le problème, c’est qu’actuellement elles ne correspondent à rien.

Comme Stéphane Meunier l’a dit, les constructeurs ont tout fait pour réussir ces tests et uniquement ceux-là ; j’ai été frappé de constater cette attitude de la part de certains constructeurs, notamment français, qui ne réalisent de mesures des émissions réelles de leurs véhicules que depuis peu de temps, ce qui est pour le moins curieux.

M. Didier Bollecker. Je considère pour ma part que le consommateur n’est absolument pas dupe. Il consulte, sans y croire, la documentation fournie par le constructeur, il consulte aussi les tests réalisés par la presse, certes plus proches des conditions réelles ; mais il sait que sa consommation de carburant sera déterminée par son type de conduite. Dans ces conditions, il est difficile d’évoquer une tromperie.

Mme Alexandrine Breton des Loÿs. Ce qui intéresse le consommateur, c’est de connaître sa consommation : de quelle quantité de carburant a-t-il besoin pour un kilométrage donné ? Monsieur Bollecker a raison de dire que l’automobiliste oublie, il achète un modèle, un look. Il est vrai que les constructeurs ont fait des normes, que ce soit dans les domaines du CO2 ou de l’European New Car Assessment Programme (Euro NCAP), des atouts commerciaux, des arguments marketing forts ; à cette fin, ils ont tout fait pour que leurs gammes soient bien notées.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Dans votre pédagogie journalistique, avez-vous envisagé de présenter des modèles en fonction de l’usage en tenant compte de l’ensemble des critères : assurance, amortissement, pannes, consommation, etc… ? C’était l’une des recommandations d’UFC-Que choisir.

M. Brice Perrin. Pendant longtemps, on a beaucoup parlé de diesel car les consommateurs, sans tenir compte des avis de la presse automobile, étaient incités à acheter ce type de véhicules par les mesures fiscales existantes. J’ai été très surpris récemment en apprenant que le Sénat avait rejeté la proposition de déduction de la TVA des entreprises pour l’essence, ce qui leur aurait permis d’utiliser des voitures moins polluantes pour des trajets courts ou urbains.

La presse automobile ne fait que tenir compte des mesures fiscales en vigueur pour donner des conseils. Nous tâchons de dissuader nos lecteurs de recourir aux petits véhicules pour les faibles kilométrages annuels ou l’usage en ville. Cependant, lorsqu’on lui propose un bonus de 1 000 euros, le consommateur considérera que la revente de sa voiture sera plus profitable et que le gazole, bien que plus coûteux à la production, est par ailleurs fiscalement avantagé.

M. Didier Bollecker. Pour répondre à votre question, je ne peux que vous inciter à lire cette excellente parution que nous publions depuis vingt-cinq ans : Le budget de l’automobiliste. Elle présente le profil type de trois ou quatre conducteurs, selon que la voiture est neuve ou d’occasion, que son propriétaire est petit ou grand rouleur, que le moteur est diesel ou essence. Tous les coûts sont inclus : achat ou vente du véhicule – donc son amortissement –, garage, péages autoroutiers, assurance, carburant, réparations ; cela permet à chacun de déterminer quel est le modèle le plus approprié. De fait, il est évident que, pour quelqu’un qui roule peu – moins de 10 000 kilomètres par an –, le diesel ne se justifie absolument pas.

M. Grégory Pelletier. En début d’année, en collaboration avec M. Bollecker, L’Argus publie le prix de revient kilométrique (PRK) d’environ 4 000 véhicules en fonction de leur kilométrage et de l’année de leur fabrication.

Mme la rapporteure. Certaines associations considèrent que l’information relative au coût d’usage ou au PRK devrait être rendue obligatoire, considérez-vous que cela est de votre ressort et qu’il serait inutile de l’imposer au constructeur ou au concessionnaire ?

M. Stéphane Meunier. Songez-vous à l’électroménager, par exemple ?

M. Didier Bollecker. Il n’y a apparemment pas de forte demande de la part des consommateurs à ce sujet…

M. Laurent Chiapello. L’Auto Journal le faisait par le passé, mais nous avons cessé, car le numéro en question ne se vendait pas. L’intérêt pour ce type d’étude n’est guère développé en France. Les variables relatives aux conditions d’utilisation du véhicule étant nombreuses, il était trop complexe d’établir des profils dans lesquels le consommateur aurait été susceptible de se reconnaître.

M. Brice Perrin. Le prix de revient kilométrique constitue une information qui intéresse particulièrement les professionnels gestionnaires de flotte. Les particuliers, qui représentent aujourd’hui 50 % du marché, ne font pas le même calcul.

M. Daniel Quéro. L’automobile est un produit particulier qu’on ne peut pas comparer à un objet domestique. Lorsque l’on achète une voiture, le prix de revient kilométrique est seulement un critère parmi d’autres.

M. Stéphane Meunier. L’automobile n’est ni un réfrigérateur, ni un lave-vaisselle, mais un produit extrêmement complexe. Vous utilisez un produit électroménager dans votre cuisine ou votre cellier où il fait douze degrés, alors qu’une voiture doit fonctionner aussi bien par moins quarante que par plus cinquante. Et il y a autant d’électronique que dans un airbus A 319.

Nous ne sommes pas là pour défendre l’industrie automobile, mais pour l’inciter à progresser en matière de dépollution, de sécurité des véhicules, etc. Pour les deux tiers des gens, l’achat d’un véhicule est un achat-plaisir malgré les énormes contraintes qui y sont liées, et un achat irrationnel motivé par des données rationnelles comme la consommation, le PRK, le coût de l’assurance, etc. On voit vraiment que c’est un achat irrationnel lorsqu’un client, qui achète une petite voiture de 14 000 euros, c’est-à-dire, selon nos confrères de L’Argus, le prix moyen d’achat d’une voiture en France, hésite parce qu’il doit payer un malus de 150 euros, malus qu’il n’acquittera qu’une fois !

M. Didier Bollecker. J’ai coutume de dire que la voiture est le seul rêve qui nous transporte… (Sourires.)

M. Jean Grellier. Vous avez un poste d’observation privilégié pour évaluer l’évolution de l’automobile. Jusqu’à maintenant, nous avons parlé des moteurs thermiques dont la situation est particulière actuellement puisque les prix des carburants sont bas. Quelles pourraient être, selon vous, les évolutions à court et moyen terme, sachant que les moteurs thermiques sont rentables au plan fiscal tandis que les autres sources d’énergie nécessitent d’être soutenues si l’on veut que le consommateur se tourne vers elles ?

M. Brice Perrin. Tout à l’heure, M. Bollecker. a indiqué que le secteur avait besoin de stabilité. La France est spécialiste du lancement de filières mort-nées, alors qu’en Italie le gaz naturel marche bien, qu’en Suède l’éthanol fonctionne bien, et qu’en Allemagne le gaz de pétrole liquéfié (GPL) marche bien aussi. Dans notre pays, on a dû vendre trois voitures au gaz naturel et deux convertisseurs, le GPL vivote et l’E85 ne marche que parce que des gens convertissent à l’E85, avec plus ou moins de bonheur, des voitures essence qui ne devraient pas fonctionner avec cette énergie. Certaines stations-service regroupent jusqu’à une dizaine de carburants différents, alors qu’elles sont étranglées financièrement parce que la distribution de carburant n’est pas une activité rentable – le nombre de stations-service est passé, en France, de 40 000 à 11 000.

Actuellement, c’est l’hydrogène qui retient l’attention. Jusqu’en 2012-2013, les véhicules à hydrogène étaient interdits en France. Aujourd’hui, ils sont autorisés, mais il existe seulement deux pompes ! D’ici à ce que l’on puisse développer un réseau de distribution en hydrogène, la densité énergétique des batteries sera suffisante pour parcourir 600 kilomètres – c’est ce que propose aujourd’hui un véhicule à pile à combustible. Mieux vaudrait mener une réflexion à plus long terme et surtout dans un cadre stable et durable, car en France, lorsqu’on lance une nouvelle filière énergétique, on n’en assure pas le développement, ce qui perturbe à la fois les constructeurs, les consommateurs et les distributeurs de carburants.

M. Stéphane Meunier. La mission du législateur est d’imaginer un cadre de contraintes et de progrès, pas de trouver les solutions techniques et énergétiques. C’est pourtant ce qui a été fait pendant longtemps, en France, avec le diesel, et l’on a vu les difficultés que nos constructeurs français ont rencontrées à l’exportation, en Europe et au-delà. Les moteurs diesel et essence, qui sont bien plus performants que par le passé, peuvent encore progresser si on aide cette énergie thermique par des énergies électriques.

Il faut savoir que la citerne qui livrerait une station hydrogène aurait consommé l’équivalent de cette citerne au bout de 400 à 500 kilomètres. Il faudra m’expliquer comment on produit de l’hydrogène sans émettre de CO2 et d’autres polluants. La réflexion sur l’hydrogène est à mener sur vingt, trente, quarante ans. Dans les pays scandinaves et en Allemagne, la filière hydrogène existe depuis les années 1920. Hormis certains bastions industriels, l’hydrogène n’est pas une solution mobile. Une batterie électrique, c’est beaucoup de masse. Or la masse est l’ennemie de l’économie d’énergie. Il faut donner un cadre contraignant, précis, mais stable aux constructeurs. Sinon, ils se tourneront vers ce qui est le plus efficient pour eux. À eux de trouver les solutions techniques, ce qu’ils ont fait avec les airbags, les ceintures de sécurité, les cellules de survie dans les voitures, et d’optimiser les énergies qui existent.

M. Lionel Robert. Contraignons-les surtout à construire des voitures qui polluent de moins en moins. En clair, faisons le contraire de ce qui a été fait en France pendant des décennies !

Je ne suis pas d’accord avec Monsieur Meunier en ce qui concerne l’hydrogène. Il semblerait qu’il y ait des ressources d’hydrogène naturelles qui permettraient de contourner le problème de la production d’hydrogène, qui est aujourd’hui le problème majeur en dehors de celui de sa distribution. Demain, il n’y aura pas une seule solution, mais tout un panel de solutions, la meilleure étant celle, à inventer, qui s’adapterait à l’usage que l’on ferait de la voiture. Le législateur doit s’en inspirer pour établir une nouvelle fiscalité qui privilégie autant que possible l’intérêt de la planète plutôt que le portefeuille.

M. Didier Bollecker. Il est vain de croire que l’humanité n’épuisera pas les ressources en hydrocarbure disponibles. Si nous ne le faisons pas, d’autres pays le feront.

Le bilan énergétique des voitures électriques mérite d’être examiné à la loupe. Remplacer la voiture à moteur thermique par la voiture électrique revient aujourd’hui à un transfert de pollution. Si ce transfert de pollution peut être intéressant, dans les villes en particulier, il ne faut pas oublier que l’électricité est toujours fabriquée avec des hydrocarbures, du charbon – et, en France, avec un peu de nucléaire. On en revient donc toujours au même problème : il faut regarder la chaîne complète.

M. Alexandre Guillet. Il faut effectivement faire la distinction entre la pollution globale et la pollution locale. En la matière, les lignes bougent depuis quelques années. Certaines municipalités prennent leurs responsabilités ; c’est le cas dans toute l’Europe, et même en Chine, où de premières décisions viennent d’être prises. L’enjeu de la pollution locale ne dépend pas des technologies. Il va falloir contraindre les usagers à ne plus entrer dans les villes, mais ce sera très compliqué car cela ne doit pas se faire au détriment de l’économie. Cet enjeu peut être traité sans évoquer les technologies, la question étant toutefois différente pour les transports en commun.

M. Philippe Duron. Monsieur Meunier a raison de dire que l’on tend vers des standards automobiles mondiaux qui dépasseront les standards nationaux. En revanche, je suis un peu plus sceptique quand il dit que l’hydrogène ne marchera pas. Il y a une quinzaine d’années, lorsque Toyota a fait le choix de l’hybride, les constructeurs français n’y croyaient pas du tout, et la presse spécialisée y croyait modérément. Pourtant, la filière s’est bien développée. Aujourd’hui, les constructeurs français font le choix de développer l’hydrogène. J’ai quelques hésitations à affirmer qu’ils se trompent ou qu’ils sont dans une impasse. Il y a peut-être, effectivement, des perspectives d’évolution.

Que pensez-vous de l’évolution de l’industrie automobile ? Actuellement, les véhicules qui se vendent le mieux sont les 4x4, les sport utility vehicles (SUV), donc les voitures lourdes qui consomment et rejettent du CO2. Comment modifier les goûts des consommateurs ? En se dirigeant plutôt vers la vente ou la location de l’usage plutôt que vers la vente de l’objet ?

Enfin, les constructeurs sauront-ils encore mettre sur le marché des produits qui procurent du plaisir tout en offrant davantage de vertus écologiques ?

M. Laurent Chiapello. Les constructeurs sont contraints au plaisir, si je puis dire. Sinon, on ne vendra plus 1,8 million de voitures neuves en France chaque année ! Le consommateur achètera une voiture comme il achète un réfrigérateur, c’est-à-dire en choisissant l’objet qui offre le meilleur rapport qualité-prix, et il en changera le moins souvent possible. Or, c’est un achat irrationnel puisque les gens sont prêts à investir beaucoup d’argent dans l’achat d’un véhicule. Les constructeurs sont contraints d’entretenir le plaisir, de raconter de belles histoires au consommateur, de s’investir dans le sport automobile, etc., sinon ils disparaîtront.

Mais il y a un paradoxe. Aujourd’hui, on vend ce que l’on appelle des SUV, ces espèces de 4x4 civilisés dont on pourrait penser qu’elles consomment beaucoup, alors qu’en réalité elles consomment bien moins que les berlines traditionnelles qui étaient sur le marché il y a dix ou quinze ans. Le consommateur est pragmatique : comme le prix des carburants est bas actuellement, il circule davantage. Le basculement vers des énergies plus « vertes » ne pourra donc pas avoir lieu si le prix des carburants n’augmente pas de façon spectaculaire. Tant que le prix des carburants restera au niveau actuel, les gens continueront à rouler à l’essence ou au diesel. Du reste, Toyota a révisé à la baisse, il y a quelques semaines, ses prévisions de vente de la nouvelle Prius à cause de la baisse du cours du pétrole. Certes, le consommateur prend peu à peu conscience des problèmes de pollution, mais ce qui compte avant tout pour lui, c’est son portefeuille.

M. Brice Perrin. Le problème n’est pas tant celui du coût de l’énergie que celui de sa disponibilité. On sait qu’il faut deux euros pour parcourir cent kilomètres avec un véhicule électrique. Celui-ci est donc bien plus compétitif que le meilleur véhicule diesel. En 2009, le Grenelle de l’environnement a annoncé l’installation de milliers de bornes, mais on les attend toujours, même si 95 % des recharges se font sur des prises domestiques ou des wallbox au domicile ou au bureau. Une loi assez récente oblige désormais les immeubles dépassant une certaine taille à prévoir des raccordements, mais il faudra beaucoup de temps avant que tout le parc immobilier s’équipe. Pour ma part, j’habite dans un appartement qui a été livré neuf il y a cinq ans, mais rien n’a été prévu pour brancher un véhicule électrique – il y a juste une prise dans les parties communes. J’ai branché ma voiture une fois, mais j’ai reçu un courrier du syndic deux jours après ! Le même problème de disponibilité existe pour l’hydrogène puisque deux stations seulement, dont une en Normandie, distribuent cette énergie. Quant au coût d’usage, il est plus ou moins identique à celui du diesel. À l’exception des flottes captives, je ne vois aucun particulier se lancer dans la démarche.

Mme Alexandrine Breton des Loÿs. Il faut regarder quel est le profil des acheteurs. En France, de moins en moins de particuliers achètent une voiture, tandis qu’il y a de plus en plus de véhicules loués ou de véhicules d’entreprise. Le profil des acheteurs doit influer sur le choix. Il est probable que le loyer d’une grosse berline est presque identique à celui d’un SUV, dont l’acheteur fait sans doute plus le choix du « statut » que celui de la berline. Tout cela influe sur la structure du parc automobile.

M. Daniel Quéro. Le véhicule électrique demeure d’usage restreint en raison d’un problème d’autonomie et non à cause du nombre de bornes disponibles. Il est exclu que l’on parte en vacances avec sa famille dans un véhicule électrique : c’est un véhicule fait pour les gens aisés, en tant que deuxième ou troisième voiture.

La première voiture était électrique. Dans les années 1900, la majorité du parc était électrique. En 1905, les taxis parisiens avaient une autonomie de soixante kilomètres. Cent ans plus tard, on en est à 120 kilomètres : c’est dire si on a eu du mal à faire des progrès en la matière. En 1900, personne ne savait que le pétrole serait l’énergie du XXe siècle. Aujourd’hui, on teste un certain nombre d’énergies. Faisons confiance à la technologie, aux constructeurs, quitte à leur imposer des contraintes pour qu’ils progressent. Peut-être y aura-t-il, demain, une énergie qui dominera, que ce soit l’hydrogène ou une nouvelle énergie qui n’existe pas encore. Je pense qu’on la trouvera à un moment ou à un autre.

M. Alexandre Guillet. Il faut aussi promouvoir les programmes européens. Ils existent, mais ils sont quelque peu éparpillés. Quand Toyota s’est lancé dans la voiture hybride à la fin des années 1990, il avait provisionné des pertes sur plusieurs années. Un constructeur comme PSA, même avec l’aide de Dongfeng, n’a pas les moyens de le faire. On voit de plus en plus de grands groupes se regrouper avec des équipementiers au sein de consortiums. Ne soyons pas naïfs : certains pays ne nous attendront pas très longtemps, ou se montreront plus laxistes sur le choix des normes. Promouvoir les programmes européens est du ressort du législateur et de la classe politique.

M. Stéphane Meunier. Le choix politique et stratégique de Toyota est mercantile. Toyota s’est lancé dans l’hybride essentiellement pour le marché américain. La voiture hybride n’y a pas été vendue comme une voiture verte ou écologique, mais comme une voiture à effet turbo, c’est-à-dire que l’apport de l’électricité donne un dynamisme à la voiture – puisqu’aux États-Unis le seul plaisir automobile qui reste est d’être le premier à 55 miles per hour. Toyota dispose d’un trésor de guerre immense. Il est le seul constructeur, avec Mercedes, à pouvoir traiter toutes les énergies en même temps, à avoir des cellules de travail avancées sur tous les modes énergétiques.

À l’époque, la presse automobile n’a pas soutenu l’hybride de Toyota : elle a discuté des qualités intrinsèques du premier produit qui a été mis en vente. C’était une analyste très factuelle d’un produit, par rapport à un consommateur et à une décision d’achat. Regardons quelles sont aujourd’hui les motivations des constructeurs japonais dans leur ensemble par rapport à la voiture à hydrogène, et quels sont les efforts de l’État japonais en la matière. Comme je me rends régulièrement au Japon, je vois que les constructeurs et l’État travaillent main dans la main sur la question de l’hydrogène. Il en est de même en Allemagne. Il faut considérer l’hydrogène, à moyen terme, comme un carburant complémentaire.

M. Didier Bollecker. Je veux appeler votre attention sur le devenir de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).

Si, aujourd’hui, un plein d’électricité coûte un ou deux euros, c’est parce qu’il n’est pas taxé. Je vous rappelle que, chaque année, 34 milliards d’euros sont prélevés sur les automobilistes via la TICPE. Si l’on passe au tout-électrique, aucun Gouvernement ne renoncera à ces 34 milliards ! D’ailleurs, le fait que l’ancienne taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) s’appelle depuis deux ans maintenant taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques laisse penser que le législateur a une idée derrière la tête. Un jour ou l’autre, l’électricité de nos voitures sera taxée, peut-être pas à la prise parce que le système sera très compliqué à mettre en place, mais on peut très bien imaginer qu’un mouchard, installé sur votre véhicule, calculera le nombre de kilomètres parcouru, et qu’on vous enverra une facture. Tout le modèle économique de la voiture électrique doit être apprécié au regard d’une éventuelle modification de la législation et des taxes sur cette énergie.

Mme la rapporteure. Ce n’est pas à l’ordre du jour.

L’utilisation des énergies fossiles « jusqu’à plus soif » risque d’engendrer beaucoup de problèmes pour la planète. Se pose aussi un problème économique de pouvoir d’achat, de résilience par rapport à une situation qui changerait en ce qui concerne les cours du pétrole.

Nous avons bien vu, au fil nos travaux, qu’il fallait redéfinir le rôle de l’État, clarifier les règles et intégrer le critère de pollution globale et celui de pollution locale sans faire de choix technologiques. Nous devons dire aux constructeurs quelle est l’exigence de la puissance publique et quelles sont les règles. Ensuite, à eux de se débrouiller.

Pensez-vous que la France aurait intérêt à faire un choix mono-technologique, par exemple celui du véhicule électrique, ou bien qu’elle doit garder des scénarios ouverts en s’intéressant aussi bien au gaz – pour les camions – qu’au biogaz ou à l’hydrogène ? En posant cette question, je ne parle pas des énergies thermiques, dont les performances doivent et vont certainement encore progresser.

Comment voyez-vous les évolutions structurelles du marché, à travers les contacts que vous avez avec vos lecteurs ou dans le rapport même à l’objet automobile tel qu’il a été évoqué tout à l'heure ?

Présidence de M. Jean Grellier, secrétaire de la mission d’information

M. Lionel Robert. Le Gouvernement n’est pas là pour imposer une voie technologique unique. C’est plutôt aux constructeurs qu’il appartient de décider, puis aux consommateurs de se situer par rapport à tout cela. Le seul critère que le Gouvernement devrait introduire dans la fiscalité est celui de l’écologie. Depuis un an, nous faisons un calcul tout simple qui, je pense, intéresse beaucoup l’actuelle ministre de l’écologie : il s’agit d’attribuer une note écologique qui ne tienne pas seulement compte des rejets de CO2 mais de l’ensemble des polluants. Le Gouvernement pourrait très bien s’appuyer sur cette note pour décider d’une fiscalité qui mettrait toutes les technologies sur un pied d’égalité et permettrait ainsi de définir quelles sont les voitures les plus ou les moins polluantes et de les taxer en fonction de ce critère.

M. Stéphane Meunier. Encore faudrait-il que ce calcul de pollution soit réalisé par un organisme indépendant. Or, actuellement, en ce qui concerne les normes d’émissions, on est obligé de faire confiance aux données des constructeurs ! À la suite de l’affaire Volkswagen, nous avons essayé, comme nos camarades d’Auto Plus, d’étudier la question du coût d’un analyseur d’émissions. L’appareil représente un investissement de 200 000 euros, auxquels il faut ajouter les coûts logistiques et humains. Créons un organisme indépendant, en France ou en Europe, qui réalisera les tests une fois que les normes européennes auront été fixées, et qui vérifiera ainsi la volonté écologique de nos constructeurs.

La France ne peut pas imposer un schéma directeur électrique quand toutes ces questions énergétiques peuvent être traitées en même temps en Allemagne et au Japon. Le Gouvernement français a eu la volonté de favoriser l’énergie électrique. Mais on le voit, on ne tire pas d’avantage à cette prise de parole électrique des constructeurs français, essentiellement de Renault. Nissan en tire plus de bénéfices au niveau mondial. Il y a là un paradoxe.

M. Lionel Robert. Cet organisme indépendant est censé déjà exister : c’est l’UTAC. Le problème c’est qu’il est financé par les constructeurs. Pourquoi ne le serait-il pas par le Gouvernement ?

M. Arnaud Murati. En matière de soutien aux énergies de propulsion, le « monothéisme », si j’ose dire, est vraiment une très mauvaise idée. Le Gouvernement a choisi de soutenir le véhicule électrique par tous les moyens, essentiellement par des primes à l’achat. L’électrique représente aujourd’hui 0,9 % de l’achat des véhicules neufs, avec 6 300 euros de bonus auxquels s’ajoutent la prime à la conversion et tout le reste...

Il ne faut surtout pas négliger les autres modes de propulsion, même ceux qui paraissent polluants, comme le GPL ou l’E85. Certaines filières ont eu de grands espoirs – ce matin encore, j’ai assisté à une conférence de presse organisée par les marchands d’éthanol –, mais elles ont explosé en vol. C’est regrettable, car tous les carburants présentent à un moment donné un bilan écologique qui peut se révéler plus intéressant que celui de l’essence ou du diesel.

M. Laurent Chiapello. Deux évolutions ont vraiment marqué le marché de la voiture neuve depuis ces dernières années : la baisse de gamme – les gens achètent des voitures plus petites, ce qui est sans doute un effet de la crise – et la progression de la location. On peut donner plusieurs explications à ce phénomène : la volonté de se rassurer, d’appliquer à l’automobile un modèle qui s’est développé avec les box Internet, les téléphones portables etc. Si on loue une voiture au lieu de l’acheter, il n’en demeure pas moins qu’on la choisit. Cela ne modifie donc pas en profondeur le rapport à l’automobile : c’est toujours « ma voiture que j’aime ».

Mme Alexandrine Breton des Loÿs. Je partage les propos de M. Chiapello. Les publicités des constructeurs ne mentionnent plus le prix de la voiture, mais le coût mensuel de son loyer. Par exemple, on parle de la Twingo à partir de 129 euros par mois. Ce phénomène est nouveau, il existe depuis environ vingt-quatre mois. Vous utilisez votre voiture pendant quarante-huit mois, puis vous la rendez au concessionnaire sans vous soucier de la revente. Vous consommez la voiture selon votre envie ou votre besoin du moment.

M. Laurent Chiapello. Bien entendu, c’est un business bien plus intéressant pour les constructeurs, qui fidélisent leurs clients en leur proposant une voiture neuve dès que le contrat arrive à échéance.

M. Alexandre Guillet. De nouveaux usages de l’automobile sont appelés à se développer, comme l’autopartage. Là aussi, il faut analyser l’aspect économique en plus de l’aspect écologique. On sait que le parc mondial est promis à une très forte croissance jusqu’en 2040. Ces solutions vont davantage se développer dans les pays matures, c’est-à-dire les nôtres, qui sont susceptibles de vendre moins de véhicules puisque ceux-ci seront davantage partagés et moins possédés. Cela pose un autre problème : celui du lieu où seront produites les voitures. Les usines risquent de disparaître principalement chez nous, mais pas en Inde, par exemple, où le marché va exploser. On n’a pas anticipé non plus le problème de la fiscalité. Un très grand acteur de l’autopartage dont je tairai le nom ne paie des impôts que sur le coût de l’intermédiation, pas sur les recettes globales qu’il dégage. Si l’idée est géniale pour construire des hôpitaux et des écoles, ce n’est peut-être pas l’idéal dans le domaine qui nous occupe.

M. Stéphane Meunier. Depuis tout à l’heure, nous parlons d’achat de véhicules neufs. Or, l’année dernière, seulement 1,9 million de voitures neuves ont été vendues en France, dont 960 000 à des particuliers, tandis que 5 millions de voitures d’occasion ont été achetées, principalement par les particuliers puisque les entreprises n’achètent quasiment pas de voiture d’occasion. Les questions d’écologie, de durabilité de ces produits sont cruciales. Cela corrobore le fait que les gens continuent à se faire plaisir quand ils achètent une voiture, mais qu’ils ont des contraintes budgétaires très fortes.

Mme Alexandrine Breton des Loÿs. Plus de la moitié de ces 5,4 millions de voitures d’occasion ont plus de quinze ans. Ce sont des voitures qui coûtent de 750 à 1 200 euros et qui sont loin des normes antipollution.

M. Daniel Quéro. Beaucoup de gens ne peuvent pas acheter de voitures neuves, même s’ils bénéficient d’aides. Ne pourrait-on les inciter à acheter des véhicules d’occasion récents qui polluent moins que les véhicules anciens ? Si l’on remettait sur le marché les véhicules qui ont été achetés par les entreprises et si l’on facilitait l’achat de ces véhicules par les particuliers, ils auraient des voitures qui polluent moins.

Mme la rapporteure. La question de l’accélération du renouvellement du parc automobile est cruciale. Un grand nombre de personnes que nous avons auditionnées nous ont décrit l’effet pervers des « primes à la casse » sur la production industrielle : au départ, cette mesure soutient l’achat, donc la production. Mais le véhicule qui est acheté plus tôt dans le temps n’est pas acheté plus tard, ce qui entraîne une diminution des ventes. Cette mesure a donc en quelque sorte un effet artificiel.

Outre l’éligibilité des véhicules d’occasion relativement récents à certaines formes de bonus, quelles mesures seraient de nature à encourager le renouvellement du parc ancien ?

M. Daniel Quéro. A priori, je n’en vois pas. Certaines personnes ne pourront jamais acheter un véhicule neuf. Il faut donc s’intéresser à toutes les catégories de véhicules d’occasion, favoriser l’achat d’un véhicule plus récent. À vous de trouver les bons systèmes… Etant donné que beaucoup de véhicules d’entreprise sont mis sur le marché, il y a peut-être là une voie à explorer.

Mme la rapporteure. Selon vous, à quelle vitesse doit s’effectuer le rééquilibrage entre la fiscalité de l’essence et la fiscalité du diesel ? Doit-on le faire tout de suite ou en trois, cinq, voire huit ans ? Il ne faut pas négliger non plus l’impact que peut avoir une telle mesure sur le marché de l’occasion et sur la valeur des véhicules à la revente.

Enfin, j’aimerais que vous abordiez la question du véhicule autonome et du véhicule connecté.

M. Brice Perrin. Le développement du véhicule connecté et du véhicule autonome est inéluctable. C’est une direction que prennent tous les constructeurs. Il y a cinq niveaux d’automatisation de la conduite. Le premier niveau, c’est système antiblocage des roues (Antiblockiersystem, ou ABS) et l’électrostabilisateur programmé (ESP), qui sont déjà une assistance à la conduite. Nombre de véhicules mis sur le marché aujourd’hui disposent d’un freinage automatique d’urgence ou d’une aide au maintien dans la voie. On sait qu’en 2020 il y aura déjà sur le marché beaucoup de véhicules hautement autonomes, et qu’entre 2025 et 2030 apparaîtront les premiers véhicules totalement autonomes. Ceci est rendu possible grâce à une extraordinaire accélération de la technologie, à la fois du matériel et du logiciel, puisque c’est une combinaison des deux qui permet d’avoir la puissance nécessaire pour rendre la voiture autonome.

S’agissant de la voiture connectée, des pistes intéressantes sont à l’étude, notamment la communication entre les voitures et avec l’infrastructure. Les enjeux sont nombreux : ils sont économiques puisque cette technologie permet de libérer du temps pour les personnes, d’avoir des navettes sans chauffeur, des véhicules qui consommeront moins, donc qui pollueront moins. Enfin, l’enjeu est énorme en ce qui concerne la sécurité routière : aujourd’hui, dans les pays développés, 95 % des accidents ont pour origine une erreur humaine. C’est une tendance que les constructeurs français ont bien comprise puisque PSA annonce que la remplaçante de la 508 sera hautement autonome pour 2018. De son côté, Renault Nissan a annoncé une dizaine de véhicules autonomes pour 2020.

Je ne sais pas s’il faudra adapter la législation ; en tout cas il conviendra de faciliter la mise sur le marché et la circulation de ces véhicules.

M. Didier Bollecker. Une étude américaine publiée récemment indique que le seul fait d’équiper les véhicules de l’anticollision dans l’axe longitudinal et de croisement réduirait de 84 % le nombre d’accidents par collision entre deux véhicules.

Je constate que le fait de baisser d’un centime le prix de l’essence et d’augmenter d’un centime celui du diesel fait peser 360 millions d’euros de plus sur le budget des automobilistes. Le calcul est très simple : une baisse d’un centime sur l’essence représente un manque à gagner de 120 millions pour l’État et une hausse d’un centime sur le diesel rapporte 480 millions, les véhicules roulant au diesel étant bien plus nombreux que ceux roulant à l’essence.

En deux ans, le taux de taxation est passé, pour le gazole, de 99 % à 210 %, et, pour l’essence, de 136 % à 214 %, simplement parce que le prix de l’essence a baissé alors que la TICPE est assise sur le volume mesuré en litres. Si cet argent servait à financer le rachat de véhicules moins polluants, on pourrait le comprendre. Je rappelle que, lorsqu’elle a été créée, la TIPP devait abonder un fonds destiné à faire de la recherche sur des énergies nouvelles… On voit ce que cela a donné !

M. Stéphane Meunier. La voiture connectée est une réaction des constructeurs face aux smartphones. La voiture est déjà connectée dans les faits, puisque tout le monde possède un smartphone connecté à son tableau de bord. Mais les constructeurs, pour rattraper ce handicap, savent trouver quantité d’arguments, par exemple celui selon lequel la voiture autonome tuera moins et polluera moins.

M. Laurent Chiapello. Le vrai saut technologique, c’est la voiture autonome, celle qui conduira toute seule dans les embouteillages le matin pendant que vous lirez les journaux ou vos courriels, et qui vous procurera du plaisir quand il n’y aura personne sur la route. Elle sera forcément connectée. L’État et l’Europe ont un rôle essentiel à jouer en matière de législation, mais, pour le moment, on ne voit pas les choses beaucoup bouger. Le premier business, avant même la voiture propre, c’est la voiture autonome et connectée. Elle va en effet mobiliser l’énergie des constructeurs au détriment de la voiture propre : tout le monde voudra une voiture autonome, mais il est moins sûr que tout le monde veuille une voiture propre – à moins que le carburant soit cher, ce qui incitera à s’y convertir. La voiture autonome risque d’écraser sur son passage toutes les autres priorités.

M. Daniel Quéro. Si quelques voitures autonomes seulement se promènent au milieu du parc de véhicules d’aujourd’hui, la sécurité routière risque de ne pas être facile à gérer… On se dirige sans doute vers la voiture autonome, mais cela va prendre beaucoup de temps.

M. Lionel Robert. Madame la rapporteure, quand vous parlez de fiscalité, je suppose que vous pensez au différentiel entre le prix à la pompe de l’essence et le prix du diesel.

Mme la rapporteure. Oui, je pense au fait de mettre les taxes au même niveau. Comme vous le savez, la discussion porte sur la façon d’y parvenir dans le temps. Doit-on procéder à une hausse progressive du diesel en même temps qu’à une diminution progressive de l’essence, ou doit-on seulement augmenter le diesel ? Et quelle sera l’affectation de la recette budgétaire ?

M. Lionel Robert. La convergence dans les deux sens serait bien mieux perçue. Elle permettrait au marché de s’adapter à la nouvelle donne, de se renouveler et d’accroître la part de l’essence.

M. Didier Bollecker. Le consommateur préférerait certainement une baisse de la taxation de l’essence.

M. Brice Perrin. En 2014, la part de marché du véhicule diesel représentait 64 %, contre 57 % l’année dernière et 51 % au mois de janvier dernier. On assiste donc déjà à une évolution, avant même qu’il y ait eu convergence de la fiscalité.

Mme la rapporteure. Cette évolution est due à certaines publications, qu’elles émanent de vous ou d’associations de consommateurs, relatives au coût d’usage des véhicules et aux types d’utilisation pour lesquels le diesel n’est pas pertinent, indépendamment de l’affaire Volkswagen.

M. Arnaud Murati. Certes, il faut parvenir à la convergence. Mais, lors de l’examen du dernier projet de loi de finances rectificative, le doigt a été mis sur un point intéressant : veut-on revenir sur l’avantage fiscal accordé au diesel, ou continuer à distinguer entre le carburant vendu aux professionnels et celui vendu aux autres utilisateurs ?

M. Alexandre Guillet. Je pense qu’il faut programmer dans le temps la hausse sur le diesel, à cause de son impact social. On parle toujours des usines de construction automobile, mais il y a aussi de très belles usines de construction de moteurs, qui représentent un nombre non négligeable d’emplois. Certes, ils peuvent coller au marché, ils ont des variables d’ajustement, mais cela ne doit pas se faire au détriment de l’emploi.

Mme la rapporteure. C’est une question dont nous avons bien pris conscience lorsque nous nous sommes rendus dans la principale usine concernée. Ma question concernait surtout le pouvoir d’achat des automobilistes et l’usage qu’ils font de leur véhicule.

M. Laurent Chiapello. Je crois que les automobilistes ont besoin, comme les constructeurs automobiles, de visibilité. De toute façon, une augmentation des taxes sera toujours impopulaire. En revanche, je pense que les automobilistes sont prêts à repasser à l’essence, et ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à envisager d’abandonner le diesel, notamment parce que les constructeurs développent une offre de véhicules à essence de plus en plus compétitive.

Nous avons besoin de stabilité des règles du jeu, d’une direction claire qui ne soit pas remise en cause d’une année sur l’autre. Nombre de nos lecteurs ont été surpris de voir le bonus accordé aux véhicules hybrides brutalement réduit, alors même que l’on est censé encourager cette technologie ! Que les règles soient modifiées sans explication et sans logique apparente perturbe beaucoup les automobilistes.

M. Stéphane Meunier. S’agissant de la norme Euro 6, on a beaucoup parlé d’excès de NOx pour les véhicules diesel, mais pas du tout pour les véhicules essence, puisque la plupart des moteurs à essence à injection directe bénéficient de dérogations en vue de la future norme. Le diesel est systématiquement attaqué puisqu’il dégage une pollution visible avec les suies. En matière de NOx, beaucoup de moteurs à essence sont moins performants, moins vertueux que les véhicules diesel de norme Euro 6, qui ne trichent pas.

M. Daniel Quéro. C’est exact. Il serait dangereux de piloter la technologie par la seule fiscalité. Qui peut dire si, demain, on ne remettra pas en question l’essence parce qu’on lui aura trouvé quelque chose de néfaste ? On aurait l’air malin d’avoir défendu l’essence contre le diesel, après avoir favorisé celui-ci au motif qu’il émettait moins de CO2. N’oublions pas que 66 % des gens roulent au gazole aujourd’hui.

M. Jean Grellier, président. Je vous remercie tous pour votre participation.

La séance est levée à dix-huit heures dix.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Réunion du mardi 2 février 2016 à 16 h 30

Présents. - Mme Delphine Batho, M. Jean-Marie Beffara, M. Philippe Duron, M. Jean Grellier, Mme Sophie Rohfritsch, M. Éric Straumann, M. Jean-Michel Villaumé

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Denis Baupin