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Mardi 9 février 2016

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 27

Présidence de Mme Sophie Rohfritsch, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Rivoal, président du directoire de Volkswagen France..

Mission d’information
sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

La séance est ouverte à seize heures trente.

La mission d’information a entendu de M. Jacques Rivoal, président du directoire de Volkswagen France.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Nous recevons aujourd’hui M. Jacques Rivoal, président du directoire de Volkswagen Groupe France. M. Rivoal a accompli toute sa carrière dans l’automobile dans les domaines du marketing et de la vente. Avant de prendre la tête de la filiale française de Volkswagen, il a dirigé une autre importante filiale pendant près de neuf ans, celle du groupe Renault en Allemagne. Il connaît donc parfaitement les méthodes de travail comme les principes de fonctionnement du secteur automobile outre-Rhin !

Parler en introduction de l’importance de la filiale française de Volkswagen, c’est rappeler qu’avec différentes marques, dont Audi, SEAT et Skoda, ce constructeur est en France le premier importateur. Les ventes du groupe atteignent près de 13 % de notre marché avec un réseau qui compte environ 15 000 salariés.

Notre mission s’intéresse à l’offre automobile française dans sa totalité. Il était inconcevable qu’elle n’auditionne pas la direction de Volkswagen, même si cette société ne produit pas en France, compte tenu la place occupée par votre groupe sur le marché national. Les atermoiements autour de votre venue, monsieur Rivoal, ne doivent pas masquer cet aspect.

L’« affaire Volkswagen », comme il est convenu de l’appeler, est née aux États-Unis. Certes, la stratégie du groupe n’est pas décidée en France par des dirigeants français mais relève du siège allemand. Toutefois, près de 950 000 véhicules commercialisés en France sont concernés par les calibrages de moteurs bien particuliers qui ont été mis au jour aux États-Unis avec la découverte de logiciels truqueurs. Il y a en Europe, et notamment en France, beaucoup plus de propriétaires de véhicules de vos marques directement touchés par cette crise qu’il n’y en a en Amérique du nord !

Notre préoccupation première est la défense des consommateurs français sans omettre pour autant les éventuels dégâts collatéraux d’une crise de confiance susceptible d’affecter tout un secteur.

La représentation nationale se devait de vous entendre.

Notre démarche n’est d’ailleurs en rien exceptionnelle. Nous avons auditionné d’autres constructeurs et vos homologues à la tête des filiales italienne ou encore britannique du groupe ont déféré aux convocations des commissions parlementaires de leur pays d’implantation. Pour sa part, le patron de Volkswagen North America a immédiatement été entendu par le Congrès des États-Unis qui, nous n’en doutons pas, poursuivra autant qu’il lui plaira ses investigations. En Allemagne, nos collègues du Bundestag questionnent sans doute quasi quotidiennement des responsables de votre groupe.

Monsieur le président, votre présence doit servir à clarifier une situation complexe. Il vous faut aller au-delà des premières formules généralement employées au titre d’une communication de crise.

Nous avons conscience des difficultés auxquelles vous êtes confrontés. Les possesseurs de véhicules de vos marques sont inquiets, ils veulent connaître les rectifications qui vont être réalisées sur les différents types de moteurs concernés. Ils souhaitent également savoir selon quel calendrier vont s’échelonner ces opérations qui n’ont rien d’anodin. D’ailleurs, votre réseau est-il, à lui seul, capable de traiter autant de véhicules ? Leurs performances et leur consommation risquent-elles d’être atteintes ? La valeur de revente sera-t-elle affectée ? Autant de questions qui amènent les propriétaires français à se demander s’ils sont en droit d’attendre de votre part une indemnisation, à l’instar de celle mise en place aux États-Unis.

Ces inquiétudes sont légitimes de la part de particuliers qui, par leur achat, ont témoigné d’une confiance envers vos marques.

Nous allons, dans un premier temps, vous écouter au titre d’un exposé liminaire. Puis Madame Delphine Batho, rapporteure de notre mission, vous posera un premier groupe de questions. Elle sera suivie par les autres membres de la mission qui vous interrogeront à leur tour.

M. Jacques Rivoal, président du directoire de Volkswagen France. Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, j’articulerai mon propos liminaire autour de quatre points.

Je ferai, dans un premier temps, une présentation rapide du groupe Volkswagen France qui me permettra de vous décrire ses activités et de circonscrire les sujets sur lesquels je suis en mesure de vous apporter des éléments d’information.

Comme j’ai bien compris que l’objet de cette audition était ce que les médias ont appelé l’« affaire Volkswagen », j’en tracerai une rapide chronologie et vous donnerai de plus amples informations sur celle-ci. Je tiens à vous préciser que n’étant ni juriste ni ingénieur, je ne pourrai sans doute pas répondre à toutes vos questions sur les sujets juridiques ou technologiques les plus complexes.

Ensuite, je vous expliquerai ce que nous avons fait depuis le 20 septembre et ce que nous allons continuer à faire, en vous précisant ce qui dépend de ma responsabilité directe. J’insisterai sur ce qui constitue pour nous une priorité : rassurer nos clients en communiquant avec eux.

Enfin, je vous donnerai quelques informations sur la stratégie de notre groupe en matière d’électro-mobilité.

Je veux vous indiquer que je suis guidé par un souci de totale transparence et animé de la volonté de coopération que j’ai affichée depuis le 21 septembre. En préambule, je veux éclaircir deux points.

Je regrette le malentendu qui a fait que je n’étais pas présent à l’audition du 27 janvier. Cela a pu être mal interprété. Sachez qu’en aucun cas je n’ai voulu froisser la représentation nationale : je suis un citoyen qui respecte profondément la République. Ceci est derrière nous, il nous faut maintenant avancer.

Ensuite, je tiens à réaffirmer que les véhicules qui feront l’objet des mesures de service après-vente tout au long de l’année 2016 ne présentent en aucun cas des problèmes de sécurité. Ils sont techniquement sûrs et sont en parfait état de marche. Par ailleurs, tous les véhicules que nous commercialisons depuis fin septembre 2015 sont en totale conformité avec les normes environnementales en vigueur.

J’en viens à mon premier point. Volkswagen Groupe France (VGF) est une filiale d’importation et de distribution de véhicules neufs. Notre siège social se situe à Villers-Cotterêts dans l’Aisne et comprend depuis un peu plus d’un an une antenne à Roissy. Implantés en France depuis 1960, nous disposons d’environ mille points de vente et de réparation. Nous sommes le premier importateur en France, avec plus de 260 000 véhicules neufs vendus en France, ce qui place notre part de marché entre 13 % et 14 %.

En matière d’emploi – j’imagine que vous aurez des questions sur les répercussions éventuelles de cette crise en ce domaine – sachez que nous employons directement 650 personnes. Si l’on prend en compte notre réseau de distribution, ce sont plus de 15 000 personnes qui travaillent directement ou indirectement pour nous. Nous n’avons aucun site de production de véhicules particuliers en France mais il y a à Saint-Nazaire et à Nantes deux usines de production de véhicules industriels, MAN et Scania, filiales intégrées au groupe Volkswagen gérées directement par l’Allemagne, qui emploient chacune environ 700 à 750 personnes.

Enfin, il faut souligner le poids économique de notre groupe en tant que client très important des trois grands équipementiers français : nos commandes représentant entre un quart et un tiers du chiffre d’affaires de Valeo, Plastic Omnium et Faurecia.

Le domaine de responsabilité de VGF porte exclusivement sur la revente de véhicules que nous importons – nous n’homologuons pas nous-mêmes.

Pour ce qui est de la chronologie relative aux émissions d’oxydes d’azote – NOx – , rappelons que le 20 septembre sont mis en cause aux États-Unis les résultats des tests de certains modèles du groupe Volkswagen. C’est à cette date que je prends connaissance de l’affaire, n’ayant eu auparavant strictement aucune information sur ce qui se passait. Le 29 septembre, Volkswagen AG, autrement dit la maison-mère allemande, établit un plan d’action pour modifier les véhicules équipés des moteurs diesel EA189 répondant aux normes Euro 5. Des solutions techniques sont développées et présentées aux autorités compétentes en octobre 2015.

Le 1er octobre, nous apprenons par la presse que le ministère de l’écologie met en place une commission destinée à effectuer des tests sur cent véhicules représentatifs des marques vendues en France. À ce jour, nous ne disposons que d’informations partielles sur leurs résultats, essentiellement par voie de presse. Je tiens toutefois à préciser que dès que cette commission est créée, je suis sollicité par la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) et que je facilite une rencontre entre celle-ci, l'Union Technique de l'Automobile, du motocycle et du Cycle (UTAC) et des experts allemands venus de la maison-mère. Cette rencontre a lieu le 26 octobre, soit trois semaines après l’annonce de l’installation de cette commission et trois mois avant que n’aient lieu des auditions d’autres constructeurs depuis également concernés par la question des émissions de NOx.

Dès le 2 octobre, soit dix jours après le communiqué de presse, nous mettons à la disposition de nos clients toute une série de moyens de communication afin qu’ils puissent se renseigner. Il s’agit d’un site internet – sur les quelque 950 000 clients concernés, 150 000 s’y sont connectés pour pouvoir savoir si leur véhicule était concerné –, d’un Numéro Vert – qui reçoit entre cinquante et cent appels chaque jour –, d’une plateforme de relations avec la clientèle – qui a reçu 8 000 courriers à ce jour –, sans oublier une messagerie instantanée.

Le 12 octobre, nous prenons la décision de suspendre la vente et les immatriculations de véhicules Euro 5 concernés.

Le 15 octobre, le Kraftfahrt-Bundesamt (KBA), l’office fédéral de régulation du secteur automobile allemand, décide que les véhicules équipés du moteur diesel EA189 doivent faire l’objet d’actions techniques. Notre groupe accepte de les effectuer, afin de rassurer ces clients.

Point important : le groupe Volkswagen ne considère pas que le logiciel concerné constitue un dispositif d’invalidation interdit par la réglementation européenne. Nous estimons que cette question devra être examinée par les experts et l’autorité judiciaire, laquelle sera amenée, le moment venu, à dire le droit.

La volonté du groupe a été de dépasser ces débats techniques ou juridiques et d’agir très concrètement. Le 25 novembre, des mesures techniques sur les moteurs diesel EA189 de 1,2 litre, 1,6 litre et 2 litres sont présentées au KBA. Les mesures correctives sont désormais déterminées pour la majorité des véhicules concernés. Pour le moteur d’1,2 litre, qui représente 4 % des volumes, nous indiquons que lesdites mesures seront présentées à la fin du mois.

Le 16 décembre, nous informons nos clients de la mise en œuvre de ces mesures. Nous avons détaillé sur un transparent le calendrier de mise en œuvre des solutions techniques jusqu’à la dernière semaine de 2016, selon les différents moteurs – 1, 2 litre, 1, 6 litre, 2 litres. Au tout début de ce mois, la première procédure a été effectuée sur un moteur de 2 litres du modèle Amarok, en présence du ministre allemand des transports.

Les clients concernés seront informés par notre groupe puis contactés directement par le concessionnaire chez qui ils ont acquis leur véhicule, à mesure que les plans d’action techniques seront validés par le KBA. Cette procédure prendra la forme d’une opération de rappel, réservée généralement aux véhicules affectés par des problèmes de sécurité, ce qui n’est pas le cas ici, je le rappelle.

Une fois la solution technique validée par le KBA, le client sera contacté par le concessionnaire afin qu’il amène son véhicule dans son atelier. Grâce à une valise-diagnostic, celui-ci communiquera le numéro de série à la maison-mère qui confirmera si le moteur est bien concerné. Si la réponse est positive, il mettra à jour le logiciel de la voiture, grâce à la nouvelle version que la maison-mère lui aura envoyée dans la nuit.

Il s’agit, vous le voyez, d’une opération simple qui dure entre une demi-heure pour les moteurs de 1,2 litre et de 2 litres et trois quarts d’heure pour le moteur d’1,6 litre qui nécessite l’ajout d’un régulateur de flux, petite pièce en plastique qui permet de canaliser l’arrivée d’air dans le moteur.

Si le calendrier s’étale sur toute l’année, c’est que le KBA valide les solutions techniques moteur par moteur, version par version, marque par marque, modèle par modèle, selon la nature de la boîte, qu’elle soit manuelle ou automatique. La construction de la pièce en plastique pour le moteur de 1,6 litre décalera l’opération pour les véhicules concernés au mois de septembre.

Beaucoup de clients se demandent quelles seront les conséquences éventuelles de ces solutions techniques sur les prestations de leur véhicule. Il faut savoir que le KBA procède à une double validation : outre le plan d’action technique, il valide le fait que cette opération n’a strictement aucune conséquence sur la consommation du véhicule, donc sur les émissions de CO2, sur la puissance maximum, sur le couple et sur le bruit. Cela implique qu’il n’y a aucune conséquence, normalement, pour la valeur du véhicule.

Nous avons commencé ces opérations en France. Je me suis rendu vendredi dernier dans une concession parisienne pour accueillir le premier client concerné, une dame propriétaire d’un Amarok.

J’en arrive à mon quatrième point : les priorités de Volkswagen Groupe France.

Il s’agit d’abord de la coopération avec toutes les autorités compétentes. Comme je l’ai précisé, j’ai été le premier à rencontrer l’UTAC, en présence d’experts allemands le 26 octobre, ce qui a permis à la commission dite « Royal » de débuter les tests. J’ai également rencontré différents collaborateurs du ministère des finances et du ministère de l’environnement ainsi que du secrétariat général de l’Élysée. J’insiste sur le fait que nous avons fourni tous les éléments demandés par les autorités.

Il s’agit ensuite de veiller à maintenir la confiance de nos clients. Tout ce qui a été dit sur notre entreprise est de nature à les interpeller. Nous prenons soin de rappeler régulièrement que les véhicules concernés ne souffrent d’aucun problème de sécurité ou de qualité. Nous insistons sur le fait que les véhicules nouvellement mis en vente étant conformes aux normes Euro 6, ils ne sont pas du tout appelés à faire l’objet d’une solution technique. Nous avons envoyé un premier courrier et nous nous apprêtons à en envoyer un deuxième qui donnera de plus amples informations à nos clients.

J’ai également donné deux interviews, l’une au Figaro, l’autre au Journal du dimanche, essentiellement centrées sur la pédagogie à l’égard de nos clients.

Comme disent les Chinois, dans toute crise, il y a une opportunité. Pour le groupe Volkswagen, cette crise offre une occasion de changer profondément son organisation. Il s’engage à la réformer par une plus grande décentralisation, une meilleure écoute des marchés et des marques, tout en concentrant les synergies sur les domaines où il nous faut avancer plus rapidement, comme le digital ou la compliance.

Il entend aussi induire un changement de culture. Notre nouveau management appelle à plus d’ouverture, plus de transversalité, plus d’audace et de créativité.

Enfin, le groupe a décidé d’accélérer sa stratégie, qui reste concentrée sur le développement durable. À ma connaissance, Volkswagen est le seul constructeur à s’être engagé formellement sur l’objectif fixé par la Commission européenne d’émissions de CO2 de 95 grammes au kilomètre en 2021. Nous comptons l’atteindre dès 2020. De la même manière, alors que l’objectif était de 132 grammes pour 2015, nous avons confirmé que nous nous étions fixé 120 grammes, et la crise n’a pas affecté notre détermination.

Le groupe investit dans tous les domaines de l’électro-mobilité, l’optimisation des performances des émissions des moteurs thermiques, l’offre de véhicules électriques, hybrides mais également hybrides rechargeables. Nous avons également, même si elle est peu développée en France, une offre de gaz naturel de ville, intéressant certaines administrations. Nous sommes le seul groupe à avoir en France une offre de biocarburant. La France est le premier producteur mondial de betteraves et nous avons publié la semaine dernière un communiqué concernant la Golf bioéthanol. Ajoutons à ces offres les prototypes roulant avec une pile à combustible, technologie appelée à davantage se développer sur le long terme.

Malgré la crise qu’il traverse, le groupe Volkswagen a décidé d’augmenter ses investissements au titre de l’électromobilité, à hauteur de 100 millions d’euros.

Il a investi dans une plateforme dédiée aux véhicules électriques pour l’ensemble de ses marques : à l’horizon 2020, son offre couvrira vingt modèles électriques ou hybrides.

Il ne s’agit pas de science-fiction. Prenons l’exemple de la Golf, modèle mythique chez nous : c’est le seul véhicule en France à pouvoir fonctionner avec toutes les énergies alternatives existantes – version électrique, version hybride rechargeable, version bioéthanol, version GNV. J’insiste aussi sur le fait que nos deux modèles équipés de technologies hybrides rechargeables, l’Audi A3 e-tron et la Golf GTE, représentent 50 % des véhicules hybrides rechargeables vendus en France.

En guise de conclusion, je dirai que l’enseignement majeur que nous tirons de cette crise est qu’il existe un consensus dans la société pour passer du système de mesure des émissions de NOx en laboratoire, qui permettait depuis plus de quarante ans une comparaison entre constructeurs, à un système de mesure en situation réelle, sur route, permettant de vérifier la conformité à des normes environnementales toujours plus exigeantes.

Le groupe est prêt à s’engager dans ce processus et soutient la réglementation Real Driving Emissions (RDE) mise en place récemment en place par la Commission européenne.

Le transparent que je vais vous présenter le prouve. Il porte sur l’écart des émissions de NOx–Euro 6 mesurées en conditions réelles et en banc d’essai. Le graphique croise en abscisse les modèles de différents constructeurs et en ordonnée l’écart mesuré de 1 à 18. La ligne verte indique ce que pourrait être en 2017 la norme dans l’esprit du nouveau règlement, soit 110 % de 80 mg. Quelques-uns de nos modèles la dépassent mais la plupart s’y conforme. Vous constaterez que le meilleur modèle de tout le panel est issu de notre groupe : le Volkswagen Sharan.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Je commencerai par indiquer quelques données complémentaires. Sur les 200 milliards d’euros de chiffre d’affaires du groupe Volkswagen à l’échelon mondial, 6 milliards sont réalisés en France, où il se situe en troisième place sur le marché national. Rappelons aussi son poids économique en termes d’emplois et de commandes aux grands équipementiers.

La révélation du scandale du logiciel truqueur a été un tremblement de terre. Cette affaire grave a montré – et je parle à titre personnel – jusqu’où peut conduire la course effrénée aux profits. Elle a fait trois types de victimes : les consommateurs dont la confiance a été trompée ; la santé et l’écologie, du fait de l’absence totale de conscience de ce qu’est la responsabilité environnementale d’une entreprise au XXIe siècle ; l’industrie automobile elle-même, à double titre. D’abord, ce procédé a constitué une forme de concurrence déloyale par rapport à d’autres constructeurs qui, eux, s’efforcent non sans difficultés de respecter les normes. Il y a une grande différence entre l’usage d’un logiciel truqueur destiné à contourner les tests d’homologation et les écarts constatés entre les différents protocoles d’homologation et les tests en conditions réelles. Ensuite, cette affaire a provoqué une crise de confiance qui porte préjudice à l’ensemble d’un secteur industriel stratégique.

Mme la présidente l’a rappelé, 946 000 véhicules sont concernés en France, soit deux fois plus qu’aux États-Unis. Des procédures judiciaires et administratives sont engagées. Nous n’avons pas l’intention d’interférer avec le cours de la justice en raison du principe de séparation des pouvoirs. Reste que plusieurs parlements se sont emparés de l’affaire pour connaître les mesures de réparation destinées aux consommateurs mais aussi examiner ses causes profondes et cerner la responsabilité des pouvoirs publics – certaines personnes auditionnées par notre mission d’information ont utilisé le terme de « complicité ».

Ce scandale a été révélé grâce à l’action non des autorités publiques mais d’une modeste ONG, à laquelle je veux ici rendre hommage, l’International Council on Clean Transportation (ICCT), et elle l’a été aux États-Unis et non pas en Europe.

Le PDG de Volkswagen, Matthias Müller, a affirmé : « Franchement, c’est un problème technique, nous n’avons pas eu la bonne interprétation de la loi américaine et nous avions fixé certains objectifs pour nos ingénieurs. Ils ont résolu le problème, atteint les objectifs en trouvant une solution avec un logiciel qui n’est pas compatible avec la loi américaine. C’est ce qui s’est passé ».

J’aimerais insister sur le fait, monsieur Rivoal, que ce logiciel n’est pas davantage compatible avec la réglementation européenne. Je voudrais tordre le cou à l’affirmation selon laquelle les normes auraient été violées aux États-Unis mais pas en Europe. Examinons les chiffres. La norme Euro 5 fixe les émissions de NOx à 180 milligrammes par kilomètres. Un dépassement de quarante fois la norme américaine équivaut à 1 720 mg par km, soit une valeur très supérieure à la norme européenne. Par ailleurs, le règlement européen de 2007 affirme explicitement dans son article 5 que « l’utilisation de dispositifs d’invalidation qui réduisent l’efficacité des systèmes de contrôle des émissions est interdite ». Il définit à son article 3, paragraphe 10, lesdits dispositifs comme « tout élément de conception qui détecte la température, la vitesse du véhicule, le régime du moteur en tours/minute, la transmission, une dépression ou tout autre paramètre aux fins d'activer, de moduler, de retarder ou de désactiver le fonctionnement de toute partie du système de contrôle des émissions, qui réduit l'efficacité du système de contrôle des émissions ». Les choses sont claires.

Ma première question porte sur les mesures de rappel : sont-elles validées pour tous les véhicules ? Le KBA a confirmé le 30 novembre avoir reçu de Volkswagen les solutions techniques pour l’Europe pour les trois types de moteurs affectés. Le 27 janvier, dans un communiqué, il indiquait qu’il a donné l’autorisation finale pour les moteurs utilitaires de 2 litres mais que l’autorisation pour les autres moteurs concernés était encore en cours d’examen, contrairement à ce qu’indiquait Volkswagen dans son communiqué du 16 décembre.

Deuxièmement, comment expliquez-vous que les mesures en question soient validées par le KBA mais invalidées par l’Environmental Protection Agency aux États-Unis ? L’EPA a en effet rejeté les propositions techniques de Volkswagen pour la mise aux normes des véhicules incriminés. Par ailleurs, la Commission européenne a demandé toutes les informations techniques à Volkswagen pour s’assurer que les mesures correctrices envisagées sont efficaces. Enfin, on peut se demander si le KBA est le mieux placé pour se prononcer sur la validité des solutions techniques proposées. Cet office fédéral est placé sous l’autorité du ministre des transports et confie les tests à réaliser au Technischer Überwachungsverein (TÜV), autrement dit l’organisme qui a homologué les véhicules incriminés. Il n’y a donc pas de regard extérieur sur les plans d’action techniques. Ajoutons que le KBA accrédite comme laboratoires de tests des filiales d’entreprises comme Bosch ou une filiale directe de Volkswagen située au siège même du groupe, ce qui soulève un problème de conflit d’intérêts, qui n’est pas spécifique à l’Allemagne, je veux tout de suite le préciser.

J’en viens au calendrier de mise en œuvre des solutions techniques. J’aimerais savoir à quoi correspondent les pourcentages dans le document que vous avez présenté. Dans les interviews que vous avez données, monsieur Rivoal, vous avez indiqué que parmi les 600 000 clients s’étant manifestés auprès de Volkswagen France, seuls 150 000 avaient été identifiés comme propriétaires d’un véhicule touché. On sait que 946 000 véhicules au total sont concernés. Qu’allez-vous faire pour les quelque 800 000 propriétaires n’ayant pas été identifiés. La mesure de rappel est-elle obligatoire à vos yeux ? Certains consommateurs s’inquiètent des performances de leur véhicule après rectification. Peut-on avoir l’assurance que les 946 000 propriétaires concernés en France bénéficieront de solutions de correction s’agissant d’émissions polluantes qui, si elles n’entraînent pas de problème de sécurité, posent assurément des problèmes de santé publique ?

M. Jacques Rivoal. L’ensemble des mesures techniques pour les trois types de moteurs concernés ont été aujourd’hui validées par le KBA. La validation a d’abord concerné les moteurs de 1,2 litre et de 2 litres, qui ne nécessitent qu’une mise à jour du logiciel ; elle a été plus longue pour le moteur de 1,6 litre, qui réclame l’ajout d’un régulateur d’entrée d’air.

Le KBA est en train d’effectuer le deuxième processus de validation qui porte sur l’absence de conséquences de la mise en œuvre de ces solutions techniques sur les prestations du véhicule. Elle est effectuée modèle par modèle et nous procéderons progressivement. Après l’Amarok viendra la Passat, puis l’Audi A4. Nous sommes confiants : dans la mesure où les premiers modèles ont été validés, les autres suivront.

Nous avons choisi d’effectuer des opérations de rappel, procédure usuelle dans notre industrie lorsque des problèmes de sécurité se posent. L’histoire de l’automobile a été ainsi ponctuée par le rappel de véhicules qui prenaient feu, qui se retournaient, qui étaient affectés de problèmes de freinage, avec parfois des morts. Toutefois, si cette procédure est usuelle, il faut bien voir que les précautions prises par Volkswagen sont exceptionnelles. Généralement, les constructeurs traitent les véhicules rappelés sans faire valider les solutions techniques appliquées par un organisme extérieur. Non seulement nous avons choisi de les faire valider par le KBA mais nous lui soumettons aussi l’absence d’incidences sur la sécurité, les prestations du véhicule, donc sa valeur. C’est comme si un constructeur français concerné par un problème d’émissions de NOx faisait valider par l’UTAC ses opérations de rappel.

Une fois la procédure de mise à jour du logiciel effectuée, le concessionnaire colle une pastille sur le véhicule traité, qui est de nature à rassurer nos clients.

La situation est différente aux États-Unis. Les normes ne sont pas les mêmes, elles fixent les émissions maximales de NOx à 31 mg par kilomètre contre 180 mg pour la norme Euro 5. En outre, les solutions techniques ne sont pas encore validées.

Pour les chiffres concernant les propriétaires concernés en France, permettez-moi d’apporter des précisions pour plus de clarté. Entre 2007 et 2012, près de 950 000 personnes en France ont acheté des véhicules construits par le groupe Volkswagen équipés du moteur EA189. Sur ce total, 150 000 aujourd’hui se sont connectées sur notre site internet pour savoir si elles étaient concernées. Cela ne veut pas dire que les autres propriétaires ne seront pas contactés. Nous avons déjà envoyé un courrier à la totalité des 950 000 clients pour expliquer la procédure que nous mettions en œuvre. Nous allons leur adresser un deuxième courrier dans les jours qui viennent dans lequel nous entrerons davantage dans le détail des opérations. Ensuite, ils recevront un troisième courrier pour les prévenir que leur concessionnaire les appellera – il en sera ainsi fin février pour les propriétaires de Passat. Enfin, quatrième étape, le concessionnaire contactera chaque client pour l’inviter à se présenter dans son atelier. Le pourcentage de 100 % qui était indiqué sur le transparent repose bien sur la totalité des véhicules concernés, soit 950 000.

Mme Delphine Batho, rapporteure. J’aurai deux questions complémentaires :

Premièrement, quel seuil d’émissions de NOx sera atteint après rectification ?

Deuxièmement, que se passera-t-il si certains propriétaires de véhicules concernés ne souhaitent pas procéder à la mise à jour du logiciel ?

M. Jacques Rivoal. Le but de l’opération est de permettre à tous les véhicules de conserver leur homologation, sachant que le KBA ne l’a pas retirée dans la mesure où nous procédions à ces plans d’action. La mise à jour du logiciel vise à établir une conformité avec la norme Euro 5.

Notre objectif est de faire en sorte que 100 % des clients concernés confient leur véhicule à nos ateliers. Nous sommes mobilisés avec les 15 000 collaborateurs de notre réseau pour transformer ce qui aurait pu être perçu comme une contrainte en une expérience valorisante. La meilleure manière pour nous de restaurer cette confiance qui a pu être mise à l’épreuve est de faire en sorte que l’opération de rappel se déroule dans de bonnes conditions. Nous avons rencontré tous les concessionnaires pour leur expliquer les diverses étapes et les former aux techniques. Le rappel de 950 000 véhicules représentera d’après nos estimations une augmentation des entrées en atelier de 20 %, ce qui constitue une lourde charge de travail mais aussi une formidable opportunité en matière d’emploi. Ce surcroît de travail supposera en effet de recruter au cours de l’année 2016 et certainement aussi au début de l’année 2017 900 mécaniciens ou conseillers-clients supplémentaires dans le cadre de contrats à durée déterminée ou d’intérim. Nous subventionnerons 50 % du coût de recrutement. Alors que nous venons de lancer l’opération il y a une semaine, notre réseau a déjà identifié 400 besoins de recrutement.

Notre priorité est de réduire au maximum les désagréments pour le client : l’immobilisation du véhicule durera entre trente minutes et quarante-cinq minutes et dans 30 % des cas, cette opération pourra être effectuée à l’occasion de la visite classique d’entretien qui a lieu tous les deux ans ; bien sûr, tout cela est gratuit et un véhicule de courtoisie sera mis à disposition du client s’il en a besoin ; un lavage extérieur et intérieur, un contrôle des éléments de sécurité sera offert. Nous voulons faire en sorte que ce qui aurait pu être vécu de façon négative pour les clients le soit de façon positive.

Mme la présidente. Quelle présentation séduisante ! Au fond, tout cela permettrait de créer des emplois. Je vois quelques collègues sourire et leur laisse sans plus attendre la parole.

M. Philippe Duron. Le scandale américain qui a révélé une tromperie à l’égard des consommateurs et des autorités de contrôle a eu de quoi surprendre : Volkswagen avait bâti sa réputation de sérieux sur un savoir-faire technique exceptionnel, la qualité et la robustesse de ses véhicules et une gamme largement diversifiée autour d’une plateforme rationalisée.

Vous nous dites que votre volonté est d’atteindre en avance les nouveaux objectifs fixés par les normes européennes. On est tentés de vous demander ce qui vous a empêchés de trouver les solutions techniques permettant de respecter les normes américaines et ce qui vous permettra d’élaborer celles qui vous mettront en conformité avec les normes européennes. Il me semble qu’une firme comme la vôtre était en mesure de relever les défis technologiques induits par les normes américaines.

Par ailleurs, comment et dans quels délais entendez-vous retrouver la confiance de vos clients mais aussi de l’opinion ?

Enfin, avez-vous estimé le coût qu’impliquent pour vous non seulement l’opération de rappel, avec le surcroît d’activité qu’elle implique, mais également les moindres ventes provoquées par la crise de confiance.

M. Yves Albarello. La publicité de Volkswagen avec le slogan « Das Auto » a disparu depuis quelques semaines. Cela veut bien dire quelque chose. Votre sérénité et votre calme, monsieur le président, donnent l’impression que rien ne s’est vraiment passé alors qu’il s’agit d’un scandale planétaire. Je dois dire qu’il est difficile de voir se refléter dans votre attitude les attentes des parlementaires et les inquiétudes des consommateurs.

L’opération de rectification ne durerait qu’une demi-heure. Je ne suis pas technicien de l’automobile mais je ne comprends pas comment une simple mise à jour de logiciel et l’ajout d’une petite pièce de plastique permettraient de polluer moins. J’aimerais avoir sur ce sujet une explication de votre part.

M. Frédéric Barbier. Nous avons tous le même genre d’interrogations. Nous découvrons qu’en quinze jours de recherches, vous avez mis au point un système qui permet aux véhicules de répondre aux normes de pollution tout en conservant les mêmes performances en termes de puissance et de consommation, autrement dit un système qui vous aurait permis d’éviter cet immense scandale. Pourquoi ne l’avoir pas installé plus tôt ?

Ma deuxième question concerne les autres constructeurs. Je veux parler de ceux qui ont consenti de lourds efforts de recherche et développement et qui ont investi des montants élevés pour s’assurer que leurs véhicules répondaient aux normes. Ne considèrent-ils pas que ce logiciel truqueur constitue une forme de concurrence déloyale ? Quels contacts avez-vous avec eux, si tant est que vous en ayez ?

M. Gérard Menuel. Le hasard du calendrier fait qu’en ce moment même, la commission du développement durable étudie la proposition de résolution européenne concernant la révision des procédures de mesure des émissions des polluants atmosphériques automobiles.

J’ai salué le fait que vous approuviez la mise en place d’un nouveau cycle d’essai fondé sur la mesure des émissions en conditions réelles. Il est heureux que vous reveniez à des intentions plus vertueuses.

Cet épisode scandaleux aura-t-il des répercussions sur le plan économique, notamment en termes d’emplois en France et ailleurs dans le monde ? Quelles sont les incidences sur vos ventes partout dans le monde ?

M. Éric Straumann. Volkswagen a effectivement commis une erreur, une erreur importante, de là à dire, cher collègue Albarello, qu’il s’agit d’un scandale planétaire, c’est peut-être aller trop loin. Les journalistes de la presse spécialisée que nous avons auditionnés nous ont dit qu’ils savaient que tous les constructeurs adaptaient un peu leur système électronique pour pouvoir passer les tests. Je pense qu’il ne faut pas jeter ainsi l’opprobre sur un constructeur européen de qui dépendent beaucoup d’emplois dans notre pays – je pense en particulier à l’usine Bugatti à Molsheim, fleuron de l’économie locale. Faisons la part des choses. Les véhicules construits par d’autres constructeurs européens n’auraient pas forcément répondu aux contraintes techniques du marché américain. Je ne cautionne pas le procès unilatéral que l’on intente à Volkswagen, qui reste un grand constructeur de notre continent. Il ne faudrait pas que nous nous tirions nous-mêmes une balle dans le pied. Pour finir, je précise qu’en tant qu’élu du Haut-Rhin, je roule en Peugeot !

M. Jacques Rivoal. Ce n’est pas parce que j’essaie de vous expliquer les choses sereinement que Volkswagen prend cette affaire à la légère. L’impact de cette crise est énorme pour nous. Et je peux vous dire que cela implique pour moi de consacrer beaucoup de temps à rassurer nos collaborateurs, nos concessionnaires et nos clients.

Pour ce qui est des conséquences financières, le groupe a communiqué en toute transparence des chiffres : nous avons provisionné un montant de 6,7 milliards au troisième trimestre 2015.

Les coûts engendrés par les campagnes de rappel seront intégrés dans les comptes de 2015. Nous ne disposons pas encore des résultats financiers définitifs du groupe. Nul doute qu’ils seront affectés par ce qui s’est passé.

Le groupe s’apprête à faire des économies grâce à des mesures d’efficacité. Nous examinons toutes les dépenses et tous les investissements dans la volonté de donner la priorité au développement de nouveaux produits et de nouvelles technologies auxquelles nous consacrons 100 millions d’euros en plus. Nous entendons ne pas faire de sacrifices sur tout ce qui concerne les renouvellements de moteurs et de modèles. Certains investissements sont en revanche gelés. Par exemple, le projet de centre de design à Wolfsburg a été repoussé.

Le groupe est solide, il pourra traverser cette crise et rebondir. Nous nous engageons auprès de nos salariés à tout faire pour préserver l’emploi. Il n’y a eu aucune conséquence négative en ce domaine en Allemagne. En France, la même volonté prévaut. Nous avons même décidé il y a un mois d’augmenter nos effectifs de soixante personnes avec des recrutements en contrat à durée indéterminée à Villers-Cotterêts et Roissy, essentiellement dans les métiers du marketing, de la communication et du digital. La digitalisation est un grand défi sur lequel le groupe veut avancer plus vite. Nous avons besoin de préparer l’avenir et d’acquérir de nouvelles compétences dans ces métiers-là.

S’agissant des ventes, je ne vais pas vous dire que les mois de septembre et octobre ont été les meilleurs. Cependant, depuis le mois de novembre, surtout depuis le mois de décembre, nous observons un retour à la normale. Nous entrons dans l’année 2016 avec un portefeuille de commandes supérieur à celui de la fin de l’année 2015. Pour le mois de janvier, les immatriculations sont en augmentation par rapport à l’année dernière, elles sont mêmes supérieures à la hausse du marché. Il n’y a donc pas de blocage de nos ventes.

Si les ventes ont connu cette normalisation, c’est que nous avons beaucoup communiqué pour expliquer à nos clients ce qui allait se passer et les rassurer.

S’agissant des mesures techniques, je comprends que vous vous interrogiez mais je ne suis pas plus ingénieur que vous. Je ne pourrai vous donner de réponses plus complètes que celles que je vous ai déjà fournies. L’important est de rappeler que l’autorité de régulation, le KBA, a validé ces opérations techniques. La mise à jour de logiciel concerne des moteurs construits il y a plus de dix ans. En une décennie, les technologies ont évolué : nous savons faire aujourd’hui des choses qui n’étaient pas envisageables auparavant.

Vous avez évoqué la réputation de notre groupe. Nos marques sont fortes. À nous de rassurer nos clients. Un changement de culture est initié par le nouveau management. Le slogan « Das Auto » n’est en effet plus utilisé, ce qui est un signe fort. Il avait été choisi pour montrer que la marque s’était imposée comme le référent du segment. Mais, nous vous l’accordons, mieux vaut que ce soient les clients qui le disent plutôt que ce soit la marque qui l’affirme. Ce slogan pouvait être perçu comme un peu arrogant. Nous voulons faire preuve d’humilité et de modestie et revenir à l’ADN de ce qu’est la marque Volkswagen : la voiture des gens, la voiture du peuple, faite par des ingénieurs qui ont du savoir-faire. Plutôt que nous centrer sur la technologie en elle-même, nous voulons insister sur ce qu’elle apporte aux clients.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Je dois dire que le graphique que vous nous avez présenté portant sur l’écart des émissions de NOx mesurées en conditions réelles et lors de bancs d’essai m’incite à la prudence. Les données proviennent en effet de l’Allgemeiner Deutscher Automobil-Club (ADAC) qui, en 2014, a été reconnu coupable de manipulation au profit de Volkswagen pour le vote portant sur la voiture préférée des Allemands ainsi que pour les neuf années précédentes. Je vérifierai donc l’exactitude des chiffres présentés.

Revenons à l’historique de la révélation du scandale, sans même évoquer les informations sur les échanges avec le fabricant à partir de 2007. Les normes américaines de 2008 étaient particulièrement exigeantes en matière d’émissions de NOx. Il paraissait dès lors évident que sans une technologie satisfaisante, les objectifs fixés ne pouvaient être atteints. Les tests de l’ICCT ont commencé en 2013. En 2014, le groupe a eu des échanges avec l’autorité californienne de la qualité de l’air, le California Air Resources Board (CARB). Cette même année, il a rappelé 500 000 véhicules aux États-Unis pour un correctif informatique. Il a donc eu mille fois l’occasion de reconnaître le recours à son logiciel truqueur – defeat device – et d’en informer les autorités compétentes et les consommateurs européens.

Venons-en maintenant aux échanges avec les autorités françaises. Vous avez indiqué les dates de réunion qui ont précédé les déclarations par lesquelles la ministre de l’écologie a confirmé la « tricherie » de Volkswagen. J’aimerais que vous nous aidiez à éclaircir un point. Lors de son audition, Laurent Michel, directeur de la DGEC, a affirmé que c’était l’administration française qui avait enjoint le groupe de cesser toute vente de véhicules neufs dotés du fameux logiciel alors que vous nous avez dit que l’arrêt de ces ventes provenait d’une décision du groupe du 12 octobre, comme cela a été le cas en Espagne. Qui donc est à l’origine de cette décision ?

M. Jacques Rivoal. J’ai très rapidement pris contact avec un collaborateur de M. Michel à la DGEC : je vous confirme que c’est nous qui avons décidé d’arrêter la commercialisation de ces véhicules. Un courrier, dont je peux vous transmettre une copie, a été envoyé au réseau le vendredi 9 octobre.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Cette décision ne concernait que les véhicules neufs ?

M. Jacques Rivoal. Effectivement.

Je ne dispose pas d’informations suffisantes pour évoquer les procédures aux États-Unis. En Europe, des investigations sont en cours, qu’il s’agisse des procédures lancées par la justice allemande, des audits internes mais aussi des audits externes menés par le cabinet d’avocats Jones Day et le cabinet Deloitte afin de comprendre ce qui s’est passé. Nous ne disposons pas de résultats détaillés. Des éléments partiels ont déjà été diffusés. Le groupe s’est engagé à faire une communication plus approfondie en avril. L’investigation prendra sans doute du temps.

Le management du groupe, modifié à 80 % depuis ces événements, s’est engagé à faire toute la lumière sur ces événements afin que nous puissions en tirer les conséquences qui s’imposent pour que cela ne se reproduise pas.

Mme la présidente. Pourquoi les véhicules vendus en Europe étaient-ils eux aussi dotés du logiciel incriminé alors que ce n’était pas indispensable, compte tenu de la réglementation européenne ?

M. Jacques Rivoal. Les moteurs EA189 ont tous été équipés du même logiciel, aux États-Unis comme en Europe.

Mme Delphine Batho, rapporteure. J’aimerais revenir sur le moteur d’1,6 litre, en citant le journal L’Argus : « En revanche, la mesure qui sera appliquée au 1,6 litre TDI au cours du troisième trimestre a de quoi surprendre. Alors que le patron de Volkswagen Angleterre aurait révélé qu’il faudrait sûrement remplacer les injecteurs, le groupe s’en tire avec une refonte du logiciel destiné à optimiser la quantité d’injections et le montage d’un régulateur de flux d’air. Ce dernier est censé calmer le flux en amont du débitmètre et améliorer sa précision. Ce système détermine le débit massique de l’air, essentiel pour optimiser la combustion. Un tamis en plastique d’une dizaine d’euros, une demi-heure de main-d’œuvre et l’affaire est dans le sac. En découle une première interrogation : pourquoi Volkswagen ne l’a-t-il pas installé auparavant ? Pourquoi avoir pris de tels risques ? »

M. Jacques Rivoal. Madame Batho, je ne suis pas ingénieur. Je le répète, le KBA a validé cette solution technique. Le KBA étant l’autorité de régulation, équivalent de l’UTAC en France, j’ai tendance à me fier à ses conclusions.

Si ces solutions n’ont pas été appliquées avant, c’est parce que, encore une fois, depuis dix ans que ces moteurs ont été construits, nos connaissances technologiques ont évolué. Il existe aujourd’hui des solutions qui n’existaient pas auparavant.

Mme la rapporteure. Sur la question des responsabilités, vous avez évoqué les audits internes et les procédures judiciaires. Je n’aborderai pas cette question.

J’aimerais vous interroger sur vos choix technologiques en matière de systèmes de traitement des émissions de NOx pour aujourd’hui et pour l’avenir. Quelle est la solution de référence soit pour le groupe soit pour les différents constructeurs en ce domaine ? Vous avez abandonné le slogan « Das Auto », renoncerez-vous également à vos publicités sur le « clean diesel » ?

Il y a une affaire dans l’affaire à propos des émissions de CO2. Le groupe avait annoncé qu’il était plausible qu’il y ait des écarts importants concernant les émissions de CO2. Il a même adressé un courrier à Michel Sapin pour préciser qu’il prendrait en charge les conséquences fiscales à la place des consommateurs si ce problème était confirmé. Il a été indiqué par la suite que « presque tous les modèles » étaient exempts de ce soupçon. Cela implique que quelques-uns sont concernés. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Des magazines de presse automobile français, notamment Auto Plus, mesurent régulièrement les écarts entre les chiffres de consommation donnés par les constructeurs et ceux qui sont observés en conditions réelles, ce qui renvoie à la question du protocole que vous avez abordée tout à l’heure. Pour Volkswagen, les écarts observés étaient en moyenne de 55 % à 65 % et s’élevaient pour les véhicules hybrides à 140 %. Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet ?

Ma troisième question porte sur la réparation du préjudice évoquée par Mme la présidente. Les clients américains bénéficient d’un dédommagement de 1 000 dollars. Volkswagen a également annoncé aux États-Unis qu’il serait prêt à racheter 115 000 véhicules. En France, vous soulignez que les rappels sont gratuits, ce qui est tout de même la moindre des choses. Le 22 janvier, la Commission européenne, après avoir reçu Matthias Müller, a demandé une nouvelle fois que les consommateurs européens soient traités de la même manière que les consommateurs américains. Quelle réponse le groupe compte-t-il donner à cette légitime demande ?

M. Jacques Rivoal. Pour traiter les émissions de NOx, notre choix va clairement à la technologie SCR combinée à l’AdBlue, je n’entre pas dans le détail car, encore une fois, je ne suis pas un spécialiste.

S’agissant des émissions de CO2, les différentes démarches d’investigation ont permis d’identifier après les événements liés aux émissions de NOx ce que l’on a considéré dans un premier temps comme des irrégularités. Cela a conduit notre président, en conformité avec cette nouvelle culture de transparence, à déclarer que 800 000 véhicules en Europe pouvaient être concernés. Il a alors pris deux engagements, qui ont communiqués aux ministres des finances et de l’écologie concernés : premièrement, faire homologuer à nouveau tous les véhicules ; deuxièmement, assumer les conséquences fiscales afin d’éviter au client d’être pénalisé. Je n’entrerai pas dans les détails techniques, le sujet étant complexe techniquement – pour les homologations, entre les normes sur banc d’essai et les normes en situation de production, il y a des niveaux de tolérance. Les investigations ont finalement montré que très peu de modèles étaient affectés : ils feront l’objet de ré-homologation. En France, ces écarts sont observés pour seulement sept modèles dont un aujourd’hui arrêté, soit 1 600 véhicules, et ils sont tellement infimes – 2 à 3 grammes de CO2 – qu’ils n’impliquent aucun changement de tranches dans le barème du dispositif du bonus-malus. Certains ont affirmé que nous avions réagi trop vite : nous voulions clairement montrer qu’il y avait un changement de culture en interne et que nous tenions, dès qu’un problème survenait, à communiquer dessus au lieu de le cacher.

Vous avez posé, madame la rapporteure, l’importante question des réparations. Les situations sont très différentes aux États-Unis et en Europe. La législation est différente : 31 mg au kilomètre aux États-Unis contre 180 mg en Europe. Les émissions de NOx sont une donnée contractuelle aux États-Unis et pas en Europe où l’acte de vente ne comporte nulle mention de ces émissions. En Europe, les solutions techniques sont validées par le KBA pour tous les modèles concernés et n’ont aucune conséquence sur les prestations du véhicule ; aux États-Unis, elles ne sont pas validées, les véhicules sont bloqués à la vente – un propriétaire de véhicule équipé d’un moteur EA189 ne peut le revendre – et on ne sait pas combien de temps cette situation perdurera – nous sommes dans un brouillard total. Pour toutes ces raisons, nous considérons qu’il n’y a pas de préjudice pour nos clients en Europe, qui vont faire l’objet d’opérations de rappel.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Je tiens à vous indiquer qu’avec 1700 mg de NOx, on se situe très loin, même avec un coefficient de 2,1, des 180 mg de la réglementation européenne. Certes, les émissions de NOx ne figurent pas dans l’acte de vente mais elles sont intégrées dans la norme d’homologation.

Ce que je déduis de votre réponse, c’est que cette affaire aurait dû entraîner le retrait des homologations. La décision américaine d’une interdiction de vente de tous les véhicules concernés a sa légitimité et sa logique. Cela renvoie à la gestion par les pouvoirs publics européens de cette affaire.

Mme Sophie Rohfritsch, présidente. Je vous remercie, monsieur Rivoal.

La séance est levée à dix-sept heures cinquante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Réunion du mardi 9 février 2016 à 16 h 30

Présents. – M. Yves Albarello, M. Frédéric Barbier, Mme Delphine Batho, M. Philippe Duron, Mme Estelle Grelier, M. Gérard Menuel, Mme Sophie Rohfritsch, M. Éric Straumann

Excusé. – M. Jean-Pierre Maggi

Assistait également à la réunion. – M. Sauveur Gandolfi-Scheit