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Mercredi 6 avril 2016

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 40

Présidence de M. Frédéric Barbier, Vice-Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Gaspar Gascon Abellan, membre du comité exécutif et directeur de l’ingénierie du Groupe Renault, accompagné de Mme Véronique Dosdat, directrice des affaires publiques, de M. Jean-Christophe Beziat, directeur des relations institutionnelles environnement et innovation et de Mme Louise d’Harcourt, directrice des affaires parlementaires et politiques

Mission d’information
sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.

La mission d’information a entendu M. Gaspar Gascon Abellan, membre du comité exécutif et directeur de l’ingénierie du Groupe Renault, accompagné de Mme Véronique Dosdat, directrice des affaires publiques, de M. Jean-Christophe Beziat, directeur des relations institutionnelles environnement et innovation et de Mme Louise d’Harcourt, directrice des affaires parlementaires et politiques.

M. Frédéric Barbier, président. Mes chers collègues, avant d’accueillir nos interlocuteurs, je souhaite excuser notre présidente, Sophie Rohfritsch, qui aurait aimé être parmi nous aujourd’hui.

M. Gascon Abellan a fait toute sa carrière dans le groupe, en débutant dans son pays d’origine, l’Espagne, où Renault est implanté depuis de nombreuses années et dispose de trois grands sites de production et de développement.

On oublie souvent que l’Espagne est le second producteur européen après l’Allemagne, en 2015, la production des constructeurs présents dans ce pays, avec 2,7 millions de véhicules, a enregistré la plus forte croissance en Europe : 13 %.

Vous avez, monsieur le directeur, occupé précédemment d’importantes responsabilités techniques, notamment en tant que directeur des projets diesel au sein de l’ingénierie mécanique du groupe. Vos compétences font de vous l’homologue de M. Gilles Le Borgne, de chez PSA, que nous avons récemment auditionné.

Cette expérience de motoriste devrait permettre à la mission de connaître vos analyses sur l’évolution des moteurs diesel et plus particulièrement, sur l’avènement puis, à présent, la régression des diesels de faible cylindrée dont la pertinence pour des véhicules à vocation citadine est dorénavant clairement remise en cause.

Vous allez pouvoir nous expliquer plus en détail les mesures annoncées hier par Renault quant aux rectifications des vannes EGR – acronyme d’exhaust gas recirculation, soit la recirculation des gaz d’échappement et aux NOx traps – «  pièges » à oxydes d’azote – qui équipent certains véhicules.

Cette initiative ne semble toutefois viser que certains modèles récents. S’agit-il du premier volet à un plan d’amélioration plus ambitieux, au sujet duquel le groupe se serait d’ailleurs engagé devant la commission dite indépendante ?

Mais des dispositifs de type SCR – acronyme de selective catalytic reduction, soit réduction catalytique sélective – ne devraient-ils pas se substituer rapidement à ces pièges à NOx, y compris pour des modèles essence à injection directe ?

Plus généralement, pouvez-vous nous nous dire à combien s’élève l’effort annuel de recherche et développement de Renault ? Quels sont les principaux choix d’innovation et de développement dans le domaine des moteurs et les coopérations engagées sur ce thème dans le cadre de l’alliance avec Nissan ?

Renault est parfois critiqué pour avoir trop concentré ses efforts sur le véhicule électrique. Aujourd’hui, il reste avéré que ce constructeur est en avance sur le marché, du moins au regard des seuls résultats des ventes de véhicules électriques, notamment auprès des particuliers. En outre, avec ce choix, Renault n’a-t-il pas capitalisé des connaissances qui pourraient lui conférer certains avantages dans le développement de l’hybridation des moteurs diesel et essence, solution qui devrait connaître un fort développement dans l’offre des constructeurs ?

Monsieur le directeur, voilà quelques-unes des questions qui se posent à la mission, après nos auditions et nos rencontres avec de nombreux acteurs de la filière automobile.

Nous allons, dans un premier temps, vous écouter au titre d’un bref exposé de présentation, puis, Mme Delphine Batho, rapporteure de la mission, vous posera un premier groupe de questions.

M. Gaspar Gascon Abellan, membre du comité exécutif et directeur de l’ingénierie du Groupe Renault. Je voudrais tout d’abord vous remercier de m’avoir invité à m’exprimer devant votre mission d’information ; cela me permettra d’apporter ma contribution à la réflexion engagée par l’Assemblée nationale. Nous avons été heureux de vous accueillir dans notre centre technique de Lardy, et nous nous préparons à vous faire découvrir notre usine de mécanique de Cléon, le 11 avril prochain. Vous avez une bonne connaissance du sujet et avez procédé à un grand nombre d’auditions.

Notre président-directeur-général, M. Carlos Ghosn, a eu l’honneur, le 17 février dernier, de présenter la stratégie de Renault devant la commission des affaires économiques et la commission des finances de votre assemblée. Il a souligné que le groupe Renault est financièrement sain et solide : nos résultats financiers pour 2015 sont positifs, avec un chiffre d’affaires de plus de 45 milliards d’euros, en progression de 10,4 % et une marge opérationnelle de 5,1 %, soit 2,3 milliards d’euros. Renault a réussi le renouvellement de sa gamme avec des voitures qui plaisent : 2,8 millions de véhicules vendus en 2015, record pour le groupe.

Nos objectifs sont clairs : conforter Renault comme première marque automobile française dans le monde, positionner le groupe de manière durable comme deuxième marque automobile en Europe, installer l’alliance Renault-Nissan dans le Top 3 des constructeurs automobiles mondiaux. En tant que patron de l’ingénierie de Renault, je suis fier de contribuer avec mes équipes à ce résultat.

Comme vous pouvez vous en douter en m’écoutant, je viens de l’autre côté des Pyrénées, j’ai effectué toute ma carrière d’ingénieur chez Renault avant d’arriver au poste de directeur de l’ingénierie, dont la mission consiste à transformer les souhaits du client en véhicules, produits en grande série, répondant à ses attentes en matière de prestations, et rentables pour l’entreprise.

Pour mener à bien cette mission, Renault a investi l’an dernier 2,3 milliards d’euros en recherche et développement. La France est une base très importante, qui concentre plus des trois quarts de nos dépenses de R&D, ainsi, l’ensemble des activités de recherche et développement de l’ingénierie mécanique, c’est-à-dire les moteurs et boîtes de vitesses s’y trouve.

Je rappelle que la France reste le premier marché du groupe, avec 22 % des ventes en 2015, et son premier pays producteur.

L’ingénierie de Renault en France, ce sont près de 6 000 ingénieurs et techniciens, répartis sur cinq sites en Île-de-France, le Technocentre étant le centre névralgique de cette organisation. Concrètement, les activités de l’ingénierie vont de la recherche amont jusqu’à l’industrialisation du véhicule, en passant par les essais sur piste, la validation et la mise au point, c’est-à-dire l’ensemble de la chaîne de valeur.

Il est important de souligner que Renault et son ingénierie s’impliquent fortement dans les trente-quatre plans industriels annoncés par le gouvernement français en 2013, et plus particulièrement le plan « véhicule autonome » – piloté par M. Carlos Ghosn lui-même –, le plan « véhicule deux litres aux 100 km » – piloté par Gilles Le Borgne de PSA et moi-même – et le plan « infrastructure de charge », auquel Renault contribue activement.

Le groupe Renault dispose de cinq centres de recherche dans le monde : en France, mais aussi au Brésil, en Corée du Sud, en Inde et en Roumanie. En dépit de l’attractivité des quatre centres basés à l’international, tant pour la compétence de leurs ingénieurs, que pour leurs structures de coûts, le groupe a fait le choix de maintenir en France plus des trois quarts de sa R&D mondiale.

Dans ce contexte, le crédit d’impôt recherche (CIR) est un facteur essentiel, qui a permis à Renault d’être bien placé dans la course mondiale à l’innovation, de ne fermer aucun site en France – contrairement à d’autres constructeurs également bénéficiaires du CIR – et de créer des emplois. Le CIR permet de réduire de 11 % le coût de l’ingénierie en France. Ce coût est intégré dans nos équations économiques et dans les arbitrages internes relatifs à la localisation des projets de recherche et développement au sein des différents centres de recherche du groupe.

Enfin, Renault dépose environ 600 brevets chaque année en France, ce qui marque la force de la recherche et développement du groupe.

Après Twingo, Clio et Captur, en 2014, l’année 2015 a vu arriver dans les concessions le fruit de plusieurs années de travail de l’ingénierie, avec cinq nouveaux véhicules : Espace, Kadjar, Talisman, Kwid et Duster Oroch. Deux d’entre eux, Espace et Talisman, pour le haut de la gamme, sont produits en France, à Douai. Tous ces véhicules ont marqué un tournant pour Renault en matière de design, d’attractivité pour les clients, et ce sur tous nos marchés.

Cette cadence n’a jamais été aussi intense chez Renault, en particulier pour son ingénierie, ce qui a demandé des efforts importants. Cela en valait la peine et nous étions prêts à le faire et à le faire bien.

Le Kadjar, notre sport utility vehicle (SUV) du segment C, s’est déjà vendu à 90 000 exemplaires, et figure sur la liste du « Top 10 » des ventes en France, et le Nouvel Espace enregistre quatre fois plus d’immatriculations que sa version précédente en 2014.

Il est encore trop tôt pour parler des ventes de Talisman, mais l’entreprise attend beaucoup de ce véhicule élu plus belle voiture de l’année 2015 en France.

Quant à Kwid, notre nouveau véhicule d’entrée de gamme en Inde, ses commandes ont largement dépassé nos attentes pour atteindre les 122 000 unités, en cinq mois de commercialisation seulement. La version pick-up du Duster, baptisée Oroch, est très bien accueillie en Amérique latine et a été élue pick-up de l’année.

L’année 2016 sera encore plus intense, avec le lancement de dix nouveaux véhicules : en Europe, nous avons lancé la nouvelle Mégane, et nous lancerons le nouveau modèle du Scenic, qui constitue une vraie rupture.

Par ailleurs, nous sommes de retour en formule 1, qui sera au cœur de nos efforts pour accroître la notoriété de notre marque. Ce sera également un accélérateur de transfert de technologies de la piste à la route. Le sport automobile et les voitures de sport sont profondément ancrés dans l’héritage du groupe Renault. C’est pour cela que nous avons annoncé en février la relance d’Alpine, qui permettra d’élargir l’offre du groupe et d’attirer de nouveaux clients passionnés de sport automobile. La voiture, qui sera dévoilée d’ici la fin de l’année 2016 et vendue en 2017, sera fabriquée dans son usine d’origine à Dieppe. Les équipes de Renault sport technologies, installées aux Ulis, sont partie intégrante de l’ingénierie de Renault, et sont en charge du développement des gammes Renault Sport et Alpine.

Concernant les moteurs et transmissions, 2015 a vu la sortie de notre nouveau moteur diesel à double turbo dCi 160 CV qui équipe notamment l’Espace, illustration de notre stratégie de downsizing consistant à diminuer la cylindrée en conservant les performances, dans le but de réduire la consommation, donc les émissions de dioxyde de carbone (CO2). Les motorisations essence ne sont pas en reste : après le renouvellement de nos petits moteurs essence et l’arrivée des trois cylindres de moins d’un litre de cylindrée, nous avons lancé un moteur 1.6 litres à turbo-injection directe pouvant développer jusqu’à 220 CV. Ces moteurs sont souvent associés à nos nouvelles boîtes de vitesses automatiques à double embrayage DCT (Dual clutch transmission), technologie la plus économe en consommation.

Nous avons également lancé la production de notre premier moteur électrique Renault conçu en interne, et produit à Cléon, en Normandie. Ce moteur, proposé sur Zoé, présente une efficacité énergétique améliorée qui permet d’augmenter l’autonomie du véhicule électrique. Enfin, nous avons annoncé à Genève l’introduction de l’hybridation 48 V qui sera lancée cette année sur le Scenic et la Mégane.

Les résultats sont au rendez-vous et à la hauteur de nos espérances, grâce au renouvellement de la gamme et à une couverture géographique équilibrée et robuste.

L’alliance Renault-Nissan, en consacrant un budget annuel à la recherche et développement et à l’investissement de plus de 10 milliards d’euros, a une puissance de frappe significative.

Un enjeu-clé de l’industrie automobile consiste bien évidemment à limiter les impacts environnementaux des voitures sur l’ensemble de leur cycle de vie.

Le premier impact est l’utilisation des ressources ; la réponse est le développement de l’économie circulaire. Aujourd’hui, plus de 30 % de la masse des véhicules produits est constituée de matériaux recyclés. Les véhicules en fin de vie sont valorisables à 95 %. Nous recyclons en boucle certains métaux ou matériaux critiques comme le cuivre, les aciers ou les plastiques. Notre usine de Choisy-le-Roi a débuté en 1949 son activité de rénovation de pièces mécaniques permettant de proposer au client des pièces de réemploi dites d’« échange standard », à moindre coût par rapport aux pièces neuves.

Le deuxième impact est le réchauffement climatique, imputable aux émissions de gaz à effet de serre, essentiellement le CO2 : la réponse est la réduction de la consommation de carburant.

Le rôle de l’ingénierie est de concilier en permanence des contraintes contradictoires : ainsi, la consommation de carburant est intrinsèquement liée à la masse du véhicule. L’allègement des véhicules est donc une priorité. Mais en parallèle, les demandes des clients en termes d’équipements de confort, et les exigences de sécurité, telle la résistance au choc, vont plutôt dans le sens inverse. Dans ce contexte, nous sommes parvenus à gagner 250 kilogrammes sur l’Espace 5 par rapport à la génération précédente.

L’aérodynamique est également un axe de travail important pour la réduction de la consommation, car la forme la plus aérodynamique d’après les lois de la physique, c’est-à-dire la goutte d’eau, n’est pas la plus adéquate pour accueillir quatre, cinq ou sept personnes à bord !

Enfin, les moteurs et boîtes de vitesses font également l’objet de progrès permanents, visant à réduire les frottements, améliorer la combustion, réduire la cylindrée – le downsizing – et, enfin, associer une machine électrique au moteur thermique.

L’ensemble de ces trois axes de travail : allègement, aérodynamique, motorisation, s’est illustré en 2014 sous forme d’un véhicule de démonstration : Eolab, vitrine technologique de Renault sur ces sujets, et qui était le fruit, pour Renault, du programme « Véhicule deux litres aux 100 km ».

La réduction des émissions de CO2, c’est, pour le client, la réduction de la consommation de carburant, et, pour les constructeurs, une obligation réglementaire, avec à l’horizon 2020 un objectif très ambitieux nécessitant de proposer au choix du client des technologies variées : essence, diesel, hybridation plus ou moins poussée, jusqu’au véhicule 100 % électrique, sur lequel je reviendrai.

Les politiques publiques liées plus ou moins directement à ces technologies, et notamment la fiscalité, doivent évoluer à un rythme compatible avec la vitesse de nos développements et supporter le déploiement des nouvelles technologies. L’industrie automobile a besoin de visibilité lui permettant d’anticiper.

Enfin, le troisième impact est la qualité de l’air, et les émissions polluantes liées à la combustion : la réponse, depuis quarante ans, consiste à limiter la production de polluants par le moteur, et en parallèle à les traiter dans la ligne d’échappement : pot catalytique, filtre à particules.

À cet égard, dans le contexte d’une réglementation de plus en plus complexe à appréhender par les citoyens, et d’une fraude de la part d’un de nos concurrents, qu’il me soit permis de saluer le travail de la commission technique indépendante. Cette commission procède actuellement à des essais sur 100 véhicules, dont 25 produits par Renault, reflétant notre part de marché en France. Elle a pu établir, sur la base des premiers tests réalisés sur nos véhicules, que Renault n’a pas équipé ses véhicules de logiciel de fraude ; le groupe respecte la réglementation et les normes en vigueur, au fur et à mesure de leur évolution.

Ces essais ont mis en évidence le fait que nous avions des marges de progression possibles en matière d’émissions d’oxydes d’azote sur nos véhicules devant répondre à la norme Euro 6 b. Le groupe Renault a annoncé hier un ensemble d’actions de réduction significative de ces émissions, sans impact perceptible sur la performance ou la consommation. Elles seront appliquées en usine sur les véhicules diesel à partir du mois de juillet 2016.

À compter du mois d’octobre 2016, les clients déjà en possession d’un véhicule diesel Euro 6 b pourront également bénéficier, sans frais, de ces évolutions via un simple passage dans notre réseau.

Par ailleurs, le groupe Renault développe de nouvelles technologies pour préparer la prochaine étape Euro 6 d qui devrait entrer en vigueur en septembre 2017 pour les nouveaux types, et nous étendrons à l’ensemble de nos véhicules la technologie SCR déjà présente sur nos utilitaires Trafic et Master, ainsi qu’un nouveau système EGR.

S’agissant des émissions de polluants et de CO2, la réponse ultime est, bien sûr, le véhicule électrique, qui par définition garantit l’absence d’émissions de gaz d’échappement. Avec plus de 4 milliards d’euros investis depuis 2008, l’Alliance est pionnière et N° 1 mondial dans le domaine, avec un véhicule électrique sur deux vendu dans le monde, Renault occupant la première place en Europe. La France, grâce à l’action de l’État pour soutenir le développement des infrastructures de charge et les aides à l’achat pour le consommateur, est devenue au premier trimestre 2016, le premier marché européen devant la Norvège.

Le véhicule électrique reste plus que jamais une priorité pour Renault. Les investissements en cours permettront à court terme de doubler l’autonomie ; ce progrès lèvera un des freins à l’achat et facilitera le déploiement de cette technologie à plus grande échelle.

L’innovation sur le véhicule connecté et le véhicule autonome va également se poursuivre chez Renault. D’ici 2020, l’Alliance lancera plus de dix véhicules équipés à des degrés divers de la conduite automatisée.

La personnalisation de la voiture va bouleverser notre marché, comme le smartphone a bouleversé celui des terminaux mobiles. L’an prochain, la première gamme de « systèmes multimédias de l’Alliance », verra le jour. Elle fournira les systèmes multimédias et de navigation les plus modernes, intégrant complètement les smartphones.

Dans le domaine du véhicule autonome, nous nous engageons vers le « contrôle de voie unique », fonction qui permet à la voiture de rouler de façon autonome et sans risque dans le trafic autoroutier. Le 14 avril prochain, nous aurons le plaisir d’en faire la démonstration aux ministres des transports européens réunis à Amsterdam pour le conseil informel des ministres des transports.

En 2018, les technologies évolueront vers le « contrôle de voies multiples ». Cette fonction permettra de négocier automatiquement en fonction des besoins des changements de voie sur autoroute. Enfin, à partir de 2020, des véhicules complètement autonomes, y compris en ville, pourront être mis sur le marché, ce qui nécessitera des évolutions réglementaires.

Notre objectif est plus que jamais de développer des voitures innovantes et accessibles pour tous.

Enfin, avant d’entendre vos questions et d’y répondre, je soulignerai simplement que c’est une fierté pour la recherche et développement de notre groupe – qui est française à plus de 75 % – d’être aux avant-postes des enjeux du véhicule du futur, un des objets d’étude de votre mission d’information.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Les tests effectués par la commission technique indépendante, ainsi que la procédure engagée par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), que la mission d’information a entendue hier, ont révélé des écarts importants dans la mesure des émissions polluantes des véhicules Renault. Le groupe a fait hier des annonces à ce sujet ; dès le mois de décembre dernier, Thierry Bolloré, directeur délégué à la compétitivité, avait reconnu que Renault n’était pas « le meilleur de la classe » dans ce domaine.

Comme vous l’avez rappelé, nous nous sommes rendus à Lardy et nous irons prochainement à Cléon ; de mon côté, j’ai, en tant que rapporteure de la mission d’information, rencontré M. Bolloré au mois de janvier. L’annonce des résultats des tests a fait chuter les actions du groupe Renault à la Bourse.

Dans votre propos, vous avez évoqué la visibilité, la norme Euro 6 avait été annoncée dès 2006-2007 ; a posteriori le choix du recours à la technologie EGR et NOx trap, dont on constate que les performances sont limitées, ne vous paraît-il pas inopportun ?

Le Gouvernement, pour sa part, a déclaré que « les tests montrent un dépassement des normes pour le CO2 et les oxydes d’azote », alors même qu’il s’agit de véhicules homologués. Sur un plan juridique, ces écarts sont-ils dus à la présence d’un dispositif d’invalidation proscrit par la réglementation européenne, alors que vous l’auriez considéré conforme au regard d’un risque éventuel pour le moteur ?

Pourriez-vous, par ailleurs, revenir sur l’historique des difficultés que vous avez rencontrées avec l’EGR ?

Au mois de juillet dernier, Renault a constaté des anomalies sur le modèle Captur, pourtant homologué ; à quelle occasion ce constat a-t-il été établi, et pourquoi les mesures de rappel n’ont-elles été annoncées qu’au début de l’année 2016 ?

Pouvez-vous préciser en quoi consistent les modifications annoncées hier par le groupe ; portent-elles sur des logiciels ou des éléments techniques ? Quel sera le nombre de modèles et de véhicules concernés ?

Les corrections immédiates que vous avez annoncées sont-elles comprises dans le plan de 50 millions d’euros engagé au moment où les écarts ont été connus ?

Dans le cadre des solutions prévues à relativement court terme pour la mise en conformité avec la norme Euro 6 d, ont été évoqués le SCR — dont certains de vos véhicules sont déjà équipés — ainsi qu’un nouveau système EGR : pouvez-vous nous apporter des compléments d’information ?

M. Gaspar Gascon Abellan. Aujourd’hui, dans un moteur diesel, 85 % des NOx sont traités par le système EGR, technologie de recirculation des gaz d’échappement qui consiste à réintroduire ces gaz dans le collecteur d’admission afin d’abaisser la température de combustion, à laquelle la production de NOx est proportionnelle : plus la température est basse, plus la génération de NOx est limitée. C’est, en quelque sorte, l’arme fondamentale en matière de contrôle des émissions d’un moteur diesel. Le traitement des 15 % restants – nécessaire pour le respect de la norme – relève de dispositifs du type NOx trap ou SCR.

Les procédures d’homologation sont aujourd’hui fondées sur un cycle bien défini et sont exécutées en laboratoire ; elles présentent l’inconvénient de ne pas être représentatives de toutes les conditions d’usage par les conducteurs, mais ont l’avantage d’être reproductibles, ce qui permet d’établir des comparaisons entre les différents constructeurs.

Nous avons été conduits à équiper nos véhicules de dispositifs de post-traitement des gaz polluants et des NOx, qui satisfaisaient aux normes d’homologation, mais, hors de ce contexte, dans certaines circonstances, nous étions conduits à limiter le recours au système EGR. C’est dû au fait que, depuis 2005 environ, c’est-à-dire depuis le début de l’introduction massive des moteurs diesel modernes, des problèmes de fiabilité touchant les moteurs et le bon fonctionnement des systèmes de contrôle des émissions ont été constatés. Le régime des émissions polluantes est très dépendant de la température extérieure ; il se produit à l’intérieur du moteur des phénomènes de dévernissage, de colmatage des dépôts de suie sur les vannes EGR et, dans certaines conditions, de condensation d’eau – les gaz d’échappement en contenant beaucoup –, tous susceptibles d’induire des défaillances du moteur.

Beaucoup de véhicules ont dû être repris, et nous avons été amenés à modifier les critères de réglage de ces moteurs. Cela a conduit à ce que des moteurs remplissant parfaitement les normes d’homologation produisent, dans les conditions réelles d’usage, plus d’émissions polluantes que ce qu’autorise la réglementation. Je répète qu’en aucun cas nous n’avons cherché à contourner les normes d’homologation.

Il faut garder à l’esprit que, à l’époque où ces moteurs ont été développés, la technologie disponible ne permettait pas de pratiquer de contrôle des émissions polluantes en condition réelle d’usage. L’appareil portatif de mesure des émissions polluantes, le portable emissions measurement system (PEMS), est apparu sur le marché il y a deux ans seulement, et nous sommes encore loin de disposer de matériel suffisamment précis pour effectuer des mesures répétables.

Nous avons préparé le passage à la norme Euro 6 b, et, en 2015, après la définition de la nouvelle norme Euro 6 d et des nouvelles conditions d’homologation et de contrôle, fondées sur le cycle Real driving emission (RDE), qui a fait l’objet de beaucoup de discussions ; nous nous y sommes adaptés. Au cours de cette période, nous avons travaillé à réduire le taux d’émissions polluantes et d’oxyde d’azote en condition d’usage réel des véhicules. En comparant nos résultats qualité obtenus auprès de nos clients, nous avons constaté que des marges importantes de progrès existaient. Cela nous a conduits à élargir l’utilisation de l’EGR à des zones de températures beaucoup plus larges afin de réduire automatiquement le taux d’émissions polluantes, et nous pensons pouvoir encore progresser.

Les résultats des essais réalisés par la commission technique indépendante, qui a procédé à plusieurs types de tests afin de détecter la présence éventuelle de logiciels de fraude, ont été pour nous l’occasion de constater que les logiciels de calibrage du NOx trap n’étaient pas assez robustes. Nous avons réalisé que, dans certaines conditions, nous pouvions remplir le NOx trap et limiter encore plus les émissions. Pour ce faire, nous avons augmenté la fréquence des purges tout en les rendant plus élastiques dans toutes les circonstances de conduite ; car le NOx trap stocke les NOx pour, ensuite, les traiter et les transformer en azote et en oxygène. Il fonctionne comme une éponge, et, lorsqu’il est plein, il faut le purger au moyen d’un cycle que nous appelons « deNOx », consistant à augmenter la température du NOx trap et à produire ainsi la réaction chimique qui transformera l’oxyde d’azote en azote et oxygène.

Ces deux leviers sur lesquels nous avons joué permettent une réduction sensible d’émission des NOx dans des conditions d’usage allant bien au-delà des conditions d’homologation : je le répète, Renault n’a jamais contourné les normes et n’a jamais installé dans ses moteurs de logiciel de fraude.

Lorsque les autorités européennes ont exigé une limitation conséquente des émissions de CO2 par les véhicules automobiles, Renault s’est lancé dans une course à trois directions : le programme de voitures électriques, le renouvellement complet de la gamme des moteurs essence et une nouvelle génération de moteurs diesel – celle actuellement présente sur le marché.

À l’époque, le groupe avait retenu le dispositif le plus innovant de tout le marché : le système EGR à basse pression, qui prélève les gaz d’échappement à la sortie du filtre à particules afin de les refroidir, ce qui constitue le meilleur moyen de contrôler les émissions de NOx. Cette technique n’en comportait pas moins quelques contraintes d’usage, particulièrement une certaine sensibilité à la température externe, et c’est au cours des années, au fur et à mesure des réactions que nous recevions de nos clients, que nous avons pu apporter des améliorations.

Comme toute technologie, ce système dispose d’une durée de vie limitée, et tous les cinq ou six ans, il faut renouveler les générations de moteurs ; aussi, dans la perspective de l’entrée en vigueur de la norme Euro 6 d, préparons-nous une nouvelle génération de moteurs diesel recourant au dispositif SCR, qui demeure le plus efficace, même s’il n’est pas nécessaire pour répondre à la nouvelle norme, sauf pour les applications lourdes. C’est pourquoi nous y recourrons pour les véhicules utilitaires, mais pas pour les voitures particulières ; c’est un système performant, que la rigueur de la norme Euro 6 d rend pratiquement obligatoire.

Par ailleurs, nous allons entièrement reprendre le système EGR en substituant l’eau à l’air pour le refroidissement, ce qui permettra d’élargir encore la plage d’utilisation du dispositif dans tous les contextes thermiques.

Ces deux systèmes constitueront les éléments les plus caractéristiques de la prochaine génération de nos moteurs diesel.

La commission technique indépendante a procédé à des essais sur le modèle Captur, et les tests d’homologation sur banc n’ont pas été conformes. Nous avons analysé les raisons de cette non-conformité, et découvert une erreur de calibration de l’automate qui règle le cycle du « deNOx », c’est-à-dire du traitement des NOx accumulés dans le NOx trap. De ce fait, la consigne de température à laquelle le NOx trap doit exécuter la procédure de désulfuration est faussée ; en effet, non content de cumuler les oxydes d’azote, le NOx trap se charge du soufre présent dans le gazole, ce qui rend nécessaire un cycle de désulfuration. Cette opération est réalisée à une température de 700 degrés, et l’erreur constatée empêchait son déroulement ; le NOx trap se chargeait alors excessivement en soufre, élément chimique qui a pour effet négatif de neutraliser l’efficacité du dispositif de stockage d’oxyde d’azote.

Malheureusement pour nous, cette anomalie avait été détectée bien avant les essais de la commission technique indépendante et avait été corrigée en juillet et septembre sur les véhicules Captur et Kadjar, mais une erreur interne à l’entreprise a fait que l’ingénieur devant signaler qu’il fallait réaligner les calibrations des véhicules a omis cette mention. Ceci a conduit à ce que les véhicules mis sur le marché avant la détection du dysfonctionnement n’ont pas été rappelés. C’est pour cette raison que le nombre de véhicules concernés n’était pas supérieur à 15 000 : 11 000 d’entre eux avaient été vendus, et les autres ont été traités avant leur mise en vente.

Comme tous les constructeurs, j’imagine, Renault procède à des vérifications avant le stade de la production des véhicules et mesure les émissions polluantes ; cependant, un véhicule qui n’a jamais roulé n’est pas chargé en soufre ; il est impossible de découvrir l’anomalie. Ce n’est qu’après avoir roulé sur plusieurs milliers de kilomètres que cette accumulation se produit jusqu’à la neutralisation du NOx trap. S’agissant de véhicules très récents, nous n’avions pas encore procédé aux contrôles des audits réalisés sur des véhicules présents sur le marché, ce qui nous a empêchés de détecter l’erreur par nos propres moyens. Nous l’avions en revanche détectée à l’occasion d’essais internes de validation du nouveau véhicule, comme je l’ai indiqué précédemment.

Outre le gain réalisé dans le domaine des températures, nous avons amélioré l’automate de pilotage du NOx trap. L’impact du dispositif EGR sur la consommation des véhicules est inférieur à 1 %, et il est négligeable sur les performances : des tests réalisés sur des véhicules montrent des variations de consommation n’excédant pas 10 %.

Nous consacrons 50 millions d’euros au contrôle des émissions de NOx. La difficulté ne réside pas tant dans les questions techniques que dans la diversité des modèles de véhicules à traiter. Par ailleurs, il n’est pas possible d’apporter des modifications au moteur d’un véhicule sans s’assurer qu’il n’y a aucun risque pour sa fiabilité et sa sûreté. Depuis juillet 2015, nous procédons à des tests d’endurance, à des simulations et à des validations afin de nous assurer que cet élargissement de la zone d’utilisation de l’EGR ne crée aucun problème dans ces domaines. Je peux dire aujourd’hui que c’est le cas, et que nous allons pouvoir mettre en œuvre les contre-mesures décidées.

Comme je l’ai indiqué, nous sommes en phase intensive de développent des moteurs compatibles avec la norme Euro 6 d afin de les mettre sur le marché au plus tôt, si possible dans leurs versions définitives ; nous nous efforçons d’apporter la meilleure performance en matière de contrôle des émissions polluantes.

Mme la rapporteure. Au sujet du choix de l’EGR, vous avez indiqué que votre protocole d’homologation en matière d’émission de NOx était fondé sur le nouveau cycle européen de conduite – en anglais : New European driving cycle (NEDC). Mais la nouvelle procédure d’essai mondiale harmonisée pour les voitures particulières et les véhicules utilitaires légers – Worldwide harmonized light vehicles test procedures (WLTP) – et la RDE sont en discussion depuis cinq ans, et le groupe Renault n’ignorait pas que la procédure d’homologation allait évoluer. Cela vaut aussi pour certains de vos concurrents qui ont pu faire d’autres choix technologiques.

Vous indiquez par ailleurs que l’EGR traite 85 % des NOx à 17 degrés…

M. Gaspar Gascon Abellan. Dans la définition existante avant les modifications, entre 17 et 35 degrés.

Mme la rapporteure. Si j’entends bien, à l’avenir, vous ferez fonctionner ensemble les dispositifs SCR et EGR.

M. Gaspar Gascon Abellan. Il n’existe aucun moteur sur le marché – Renault ou autre – qui ne soit pas équipé du système EGR, lequel constitue la base du moteur diesel ; il permet au moteur d’émettre le moins de NOx possible, ce qui reste doit être traité par le NOx trap ou par le SCR, dont l’avantage réside dans sa capacité à être actif dans une plage bien plus large de température interne du système.

Mme la rapporteure. Vous entendez donc équiper tous vos véhicules diesel du SCR, auquel cas, je vous interrogerai sur la gestion de l’urée. S’agissant de la capture des NOx, vous avez indiqué que l’anomalie n’était constatable que sur des véhicules ayant roulé, et non lors de l’homologation, et que, par ailleurs, c’est une erreur humaine qui aurait conduit à ce que la mesure de rappel soit différée.

Les modifications que vous apporterez sur les véhicules concernés porteront-elles sur des logiciels ou s’agira-t-il d’une intervention mécanique ?

M. Gaspar Gascon Abellan. Notre préoccupation d’être efficaces, mais les plus rapides possible : les modifications hardware sont très lourdes et nécessitent un temps de préparation, d’intervention et de validation considérable, qui nous aurait conduits jusqu’au moment de la mise en œuvre de la nouvelle norme avant d’avoir terminé l’opération ; nous avons donc privilégié les modifications software. Le nombre des véhicules concerné dépendra de la date de mise en œuvre, donc du nombre de voitures nécessitant des modifications qui auront alors été vendues. Nous allons adresser un courrier à chacun de nos clients en les invitant, s’ils le souhaitent, à se rendre chez les concessionnaires, et le recalibrage – opération très simple consistant à charger une valise permettant de changer le software du calculateur du moteur – sera effectué à titre gracieux.

Nous équiperons tous nos véhicules du système SCR, qui est le plus performant ; aucune autre solution ne répond aux facteurs de conformité exigés dans le domaine du post-traitement. Cela nécessite le recours à l’urée, et répondre aux critères de conformité n’est pas facile à mes yeux : la question la plus difficile est celle de la mesure, qui ne se pose pas pour le WLTP. La difficulté portera sur le cycle R 2 que nous avons défini, qui est en fait une condition d’enveloppe et qui, dans la mesure où les données obtenues varient considérablement en fonction du type de conduite, aboutit à des résultats de tests très différents et donc peu répétables. Nous avons dû acquérir des bases de données d’entreprises concurrentes qui mesurent avec le PEMS les émissions résultant de la mise en œuvre du cycle R 2, et lorsque nous répétons la mesure, nous obtenons des valeurs qui, parfois, varient du double à la moitié, avec des facteurs de 1,5 à 2,1. Cela pourrait être problématique. Nous serons donc très attentifs aux dispositions légales qui détermineront les conditions réelles d’homologation.

Pour répondre à la norme Euro 6 d, tous les véhicules diesel devront être équipés de ces dispositifs de post-traitement comportant un EGR très performant, complété par un SCR ; certains installent même un double système en fonction de la sévérité de la norme. Les réseaux de distribution d’urée devront s’équiper en conséquence afin de pouvoir fournir facilement les consommateurs puisque l’utilisation de ce produit va augmenter ; il faudra aussi adapter les conditions de remplissage des réservoirs d’urée.

Dans ce cadre, les constructeurs français travaillent avec la Plateforme de la filière automobile (PFA) et avec la commission technique indépendante à promouvoir une solution aussi standardisée que possible.

M. Frédéric Barbier, président. J’ai cru comprendre que le système SCR consommait beaucoup d’urée : l’évolution des dispositifs de réduction des émissions de NOx permettra-t-elle de réduire cette consommation ?

M. Gaspar Gascon Abellan. Lorsque nous avons conçu les moteurs diesel utilisés aujourd’hui, le SCR était quasi inexistant : le temps de développement d’un moteur diesel est de quatre à cinq ans, ce qui signifie que les véhicules mis sur le marché en 2011 avaient été conçus au cours des années 2006-2007. Parler de SCR à cette époque relevait de la science-fiction. Par la suite, les systèmes SCR mis sur le marché étaient inspirés des moteurs de camions, avec une longue ligne de traitement par injection, éloignée de l’engin.

Aujourd’hui ce dispositif évolue, nous recourrons au système close-coupled, qui est un dispositif SCR très compact, embarqué et accroché au moteur, très près de la zone de combustion, ce qui le rend plus efficace car il chauffe plus facilement ; en revanche, nous rencontrons des difficultés à intégrer un injecteur d’urée et à dégager l’espace nécessaire à sa vaporisation afin de garantir le bon remplissage de la zone de traitement. Nous avançons vers des solutions satisfaisantes, toutefois, nous ne pourrons pas diminuer la consommation d’urée : les seuils d’émissions autorisés étant plus bas, il faut traiter plus de NOx – dans des conditions très diverses et donc utiliser plus d’urée. Cela pose la question de l’autonomie permise par les réservoirs d’urée car, s’ils sont trop grands, ils alourdiront le véhicule. En fonction des applications, nous envisageons des réservoirs d’une contenance allant de 17 à 20 litres ; ce poids supplémentaire accroît la consommation de carburant. En tout état de cause, l’application de la nouvelle norme aura pour effet l’augmentation de la consommation d’urée.

Mme la rapporteure. Que répondez-vous à ceux qui considèrent que les annonces faites hier par le groupe Renault prouvent que, dès le départ, vous auriez pu recourir à ces dispositifs de façon plus large ?

M. Gaspar Gascon Abellan. Je reconnais que nous aurions pu le faire plus tôt, mais toutes les équipes de développement étaient mobilisées par le passage à la norme Euro 6 d. Je rappelle qu’un tel changement de norme nécessite la mise au point de plus de 300 applications nouvelles pour couvrir l’ensemble de la gamme, ce qui signifie 300 utilisations différentes devant être testées, validées et homologuées.

Il faut encore reconnaître que la question de la connaissance des émissions réelles est, malgré tout, assez récente : nous avons acquis nos premiers dispositifs PEMS il y a à peine un an et demi, ce qui est un temps trop court pour changer complètement la donne.

Nous avons présenté à la commission technique indépendante les graphiques de retour qualité des moteurs. Nous avons connu plusieurs crises importantes à cause du dispositif EGR, ce qui a conduit à adopter des règles de conception pouvant être considérées comme conservatrices. Faire évoluer le système a pris un certain temps.

D’aucuns peuvent considérer que nous avons tardé, mais les conditions idéales, en termes de dispositifs de mesure et de normes, nous conduisant à nous extraire des conditions classiques d’homologation, comme les ressources disponibles nécessaires, n’étaient pas présentes dès le départ.

En tout état de cause, la volonté de Renault est de mettre sur le marché les produits les plus performants, non seulement dans le domaine des prestations apportées aux clients, mais surtout dans celui du respect des normes environnementales ; le groupe a toujours été respectueux de la réglementation.

Mme la rapporteure. Savez-vous quel investissement représente pour le groupe un changement de norme ? Beaucoup d’interlocuteurs de la mission d’information ont considéré que, au regard des développements technologiques et industriels nécessaires, un délai de cinq ans – qui devrait être érigé en règle – était requis pour l’anticipation des normes nouvelles. Est-ce votre point de vue ?

Sur le plan industriel, quel est pour vous le rythme d’adaptations des moteurs diesel et essence ? Envisagez-vous d’installer des filtres à particules sur les moteurs à essence ?

Pourriez-vous, par ailleurs, adresser à la mission d’information une note exhaustive relative aux actions menées par le groupe Renault dans le domaine de l’économie circulaire, puisque vous être les premiers à l’évoquer ? Nous avons de nombreuses interrogations au sujet de la place de l’industrie dans ce type d’économie, et, à ce titre, votre expérience nous intéresse.

Enfin, vous avez évoqué le doublement à court terme de l’autonomie des véhicules électriques, pouvez-vous nous indiquer vos prévisions en termes de temps ?

M. Gaspar Gascon Abellan. Le développement d’une génération de moteurs adaptée à un changement de norme représente un investissement de l’ordre de 1,2 à 1,5 milliard d’euros, en fonction du nombre d’applications à mettre au point. Cela nécessite un fort investissement de départ pour le développement, auquel s’ajoute l’adaptation de l’outillage du groupe et de ses fournisseurs pour fabriquer les moteurs de base, plus une sorte de forfait pour chaque application, car chaque véhicule fait l’objet d’une motorisation particulière, au minimum en termes de calibrage, et est équipé de quelques pièces en propre.

Nous ne pouvons financer de tels montants que tous les cinq ou six ans, car, à eux seuls, ils consomment parfois toute une année de bénéfices de l’entreprise.

Une autre contrainte résulte du temps nécessaire à la conception des moteurs, qui est de quatre ans dans le meilleur des cas. Une norme qui évoluerait dans un délai moindre serait impossible à suivre : un changement tous les deux ou trois ans représente une perturbation majeure et des dépenses considérables.

Mme la rapporteure. Quelle est la part du traitement de l’ensemble des émissions polluantes dans votre budget de recherche et développement ?

M. Gaspar Gascon Abellan. Un tiers de notre budget de création en engineering, là où nous créons la valeur, est consommé par ce que nous appelons les « basiques », c’est-à-dire la régulation, c’est-à-dire l’application des normes. Le véhicule autonome et le véhicule connecté représentent chacun un autre tiers.

L’anticipation des normes prend donc du temps. Ce qui est insupportable, bien que beaucoup pensent que nous les connaissons très à l'avance, c’est le nombre d’hypothèses différentes auxquelles nous sommes confrontés, car chacune appelle des solutions techniques différentes. Comme tout industriel, nous avons besoin de dégager des bénéfices, et il n’est pas possible de multiplier inconsidérément les applications.

Le rythme est de quatre ans minimum pour anticiper les évolutions des normes ; il faut trouver un accord dans ce domaine. Certes, nous recourrons toujours plus aux simulations, au digital, ainsi qu’à l’ingénierie prédictive, mais nos produits étant de plus en plus complexes, le temps nous est toujours nécessaire.

Renault ne joue pas particulièrement sur le volet du diesel : nous l’utilisons parce que c’est aujourd’hui en Europe le système le plus efficace pour réduire les émissions de CO2, et qu’il représente des avantages certains en affordability, c’est-à-dire en coût pour les clients. Depuis 2009, nous nous sommes engagés sur les trois voies de l’électrique, du diesel et de l’essence, en modernisant les solutions conventionnelles et en maîtrisant la technologie des véhicules 100 % électriques ; franchir des pas intermédiaires n’était donc pas trop contraignant pour nous.

Le groupe dispose aujourd’hui d’un outil industriel assez flexible, et nous parvenons parfois à construire des moteurs essence et des moteurs diesel sur les mêmes lignes de fabrication ; il faut néanmoins adapter nos fournisseurs. Nous avons donc une bonne capacité d’adaptation, mais il n’empêche que faire un changement de mix important nécessite un an et demi ou deux ans.

Nous réalisons des simulations d’adaptation de filtres à particules sur des moteurs à essence pour toutes nos applications. Les résultats sont variables, et nous déciderons si cela est nécessaire. Jusqu’à présent, nous pensions utiliser un filtre à particules passif, car les moteurs à essence sont naturellement chauds, mais la norme Euro 6 d nous conduira à installer des filtres actifs nécessitant calculateur et logiciel afin de calibrer les conditions de régénération au sein du dispositif. Cette nouvelle technologie ne sera donc pas neutre en termes de surcoûts.

L’autonomie des véhicules électriques constitue un vrai sujet. Elle devrait augmenter très prochainement de façon notable, du fait de l’augmentation de la densité énergétique des batteries. Le prix de ces véhicules ne baissera pas pour autant, mais ils offriront beaucoup plus de prestations : à ce stade, je ne souhaite pas dévoiler ce qui constitue une exclusivité commerciale pour la marque.

M. Frédéric Barbier, président. Merci beaucoup pour vos explications techniques très claires.

La séance est levée à dix-huit heures vingt-cinq.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Réunion du mercredi 6 avril 2016 à 17 heures

Présents. - M. Yves Albarello, M. Frédéric Barbier, Mme Delphine Batho, M. Christophe Bouillon, M. Jean Grellier, M. Éric Straumann

Excusés. - M. Jean-Marie Beffara, M. Jean-Pierre Maggi, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Marie-Jo Zimmermann