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Mission d’information commune sur la banque publique d’investissement, Bpifrance

Jeudi 12 mars 2015

Séance de 11 heures 40

Compte rendu n° 11

Présidence
de Mme Véronique Louwagie,
Présidente

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Sébastien Raspiller, sous-directeur du financement des entreprises et du marché financier à la direction générale du Trésor et M. Alain Schmitt, chef du service de la compétitivité et du développement des petites et moyennes entreprises (PME) à la direction générale des entreprises (DGE).

Mme la présidente Véronique Louwagie. Nous accueillons maintenant M. Alain Schmitt, chef du service de la compétitivité et du développement des petites et moyennes entreprises (PME) à la direction générale des entreprises (DGE), et M. Sébastien Raspiller, sous-directeur du financement des entreprises et du marché financier à la direction générale du Trésor. Je précise qu’en raison de vos fonctions respectives à la DGE et au Trésor, vous siégez au conseil d’administration de Bpifrance Financement.

M. Sébastien Raspiller, sous-directeur du financement des entreprises et du marché financier à la direction générale du Trésor. Lorsque je suis entré en fonction, en juillet 2012, comme chef du bureau financement et développement des entreprises, cette unité assurait la tutelle d’Oséo, de sorte que ma première tâche fut de préparer la création de Bpifrance, à laquelle j’ai ainsi participé dès l’origine. La loi a créé la structure en rapprochant des entités existantes : Oséo, le fonds stratégique d'investissement (FSI) et CDC Entreprises. Mon bureau et la sous-direction suivent les activités de capital-risque et de capital développement à Bpifrance, mais pas l’investissement direct qui relevait du FSI.

La nouvelle structure constitue un guichet unique qui offre aux entreprises un accès plus facile au financement public, tant en fonds propres qu’en dette. Une fois la loi adoptée, les choses sont allées très rapidement, puisqu’à peine un an sépare la fusion effective, intervenue en juillet 2013, de la décision initiale. Cela s’explique naturellement par une forte demande des autorités politiques.

Le plan stratégique a été établi de l’été 2013 à fin 2013, période au cours de laquelle ont été abordées les questions de gouvernance, notamment les relations entre l’État et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) selon les différentes entités constitutives. Depuis 2013-2014, Bpifrance est entré dans une phase de fonctionnement pérenne et permanent. Assumant une fonction d’établissement de place, Bpifrance s’emploie à démultiplier les effets des politiques publiques sur l’économie réelle. Faisant preuve de réactivité pour améliorer la trésorerie des entreprises, elle a aussi la capacité de participer à une réorientation des flux d’investissement, jouant ainsi un rôle contra-cyclique. Son activité a crû de manière significative au cours de ses premières années de fonctionnement.

CDC Entreprises occupait une place de choix dans le paysage du capital investissement français, deuxième marché européen après le marché londonien. Bpifrance représente aujourd’hui plus de la moitié du marché français et s’attelle à une meilleure structuration de celui-ci, en s’attachant à pérenniser les bonnes pratiques et en évitant surtout d’évincer les investisseurs privés. Elle vise au contraire à concourir à l’action des fonds privés, de manière à développer l’offre globale de capital investissement. Le plan stratégique met ainsi l’accent sur le développement des entreprises, soutenues dans leurs efforts pour passer du statut de petite et moyenne entreprise (PME) à celui d’établissement de taille intermédiaire (ETI).

L’export constitue enfin un sujet crucial dans le développement des entreprises. Les outils existants ont été rationalisés pour donner naissance à un guichet unifié. De nouvelles activités ont également vu le jour, de façon à développer une palette d’outils complète qui pallie les défaillances de l’offre privée.

M. Alain Schmitt, chef du service de la compétitivité et du développement des petites et moyennes entreprises (PME) à la direction générale des entreprises (DGE). Bpifrance a eu pour premier objectif de rassembler en un seul acteur la palette des outils publics de financement des entreprises au service des politiques publiques de développement économique. La structure agit, en complément des acteurs privés, sur des créneaux ou des segments d’activité où ils ne sont pas suffisamment présents : l’innovation, les fonds propres ou la dette, l’export… De ce point de vue, l’objectif est atteint. Un guichet unique puissant s’est développé, qui intervient en propre, mais aussi pour le compte de tiers, tels l’État ou les collectivités territoriales.

La DGE suit plus spécialement le volet innovation, car elle dispose des dotations budgétaires correspondantes. Sa stratégie a été formalisée fin 2013 par le plan « Une nouvelle donne pour l’innovation ». Le document prend acte de ce que l’innovation ne recouvre pas seulement la recherche et développement, mais aussi des produits et des services significativement nouveaux, même s’il s’agit seulement de méthodes d’organisation ou de procédés de commercialisation. Au-delà de la recherche et développement stricto sensu, sont donc développés quatre axes principaux : le développement de la culture de l’entreprenariat et l’innovation ; l’accroissement de l’impact économique de la recherche publique grâce au transfert de technologie ; la croissance des entreprises grâce à l’innovation ; l’évaluation par l’État de ses propres politiques en faveur de l’innovation.

Dans tous ces domaines, Bpifrance intervient. Elle participe à une grande partie des actions prévues par le plan, notamment lorsqu’un financement est nécessaire. Qu’elle agisse en soutenant la constitution de fonds propres ou en proposant des produits de dette, elle a pris acte de la réorientation souhaitée de la politique de l’innovation.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Monsieur Raspiller, vous soulignez que Bpifrance doit plutôt structurer les bonnes pratiques du marché que se substituer à lui. Dans les projets qu’elle soutient, Bpifrance tient-elle compte des éléments économiques, ou s’en tient-elle seulement à des critères financiers ?

Monsieur Schmitt, vous établissez un lien entre innovation et entreprenariat. Bpifrance est présent dans de nombreux domaines, mais non dans tous. Devrait-elle faire plus ?

Quelles suites ont été données au rapport annuel 2015 de la Cour des comptes qui a relevé les « dérives d’un dispositif d’actionnariat salarié », à savoir l’attribution d’actions gratuites ? Quelles sont, le cas échéant, les autres formes d’intéressement ou de rémunération à la performance ? Quelles incitations créent-elles ? Quelles garanties existent au sein de Bpifrance pour se préserver de nouvelles dérives ?

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur. Le rapport de la Cour des comptes a lancé un débat qui doit être approfondi. Mais je me félicite de ce que Bpifrance pratique des salaires qui respectent l’écart maximal voulu par le président de la République. Encore faut-il rester attentif à cette question, notamment en se penchant sur les primes.

Parfois mentionnée comme source de difficulté, la parité entre l’État et la CDC dans le capital de Bpifrance fait-elle apparaître entre les deux acteurs une convergence ou des divergences ? Comment se répartissent les rôles entre les deux actionnaires ? Quelle influence l’État exerce-t-il sur l’orientation de Bpifrance ?

Nous évoquions déjà ce matin la question de l’innovation. Les crédits budgétaires du programme 192 et les crédits des programmes d’investissement d’avenir (PIA) ne se révèlent-ils pas à l’usage substituables ? Nous avons entendu des inquiétudes au sujet de la baisse de la dotation budgétaire.

Quant au lien entre l’écologie et l’innovation, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) assure le financement de PME, par l’intermédiaire du fonds commun de placement « Écotechnologies », et d’ETI, via un dispositif de coopération avec l’État. N’y a-t-il pas un risque de chevauchement entre les financements proposés par l’Ademe et ceux de Bpifrance ? Ne pensez-vous pas qu’il serait préférable d’intégrer complètement ces deux dispositifs au sein de Bpifrance ?

Enfin, quel regard portez-vous sur l’articulation des activités de Business France résultant de la fusion entre Ubifrance et l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII) ?

M. Sébastien Raspiller. L’arbitrage sur la structuration générale de Bpifrance a été rendu au plus haut niveau de l’État. Auparavant, l’État détenait les deux tiers d’Oséo, tandis que la CDC détenait 51 % et l’État 49 % du FSI et que CDC Entreprise était détenu en totalité par la Caisse. D’autres modèles que la parité capitalistique ont été évoqués pour Bpifrance. Mais ce modèle a été retenu parce qu’il est en parfaite adéquation avec l’objectif d’un guichet unifié qui met fin aux anciennes chapelles, en préservant une gamme complète d’offres de financement, que ce soit en fonds propres ou en dette. La holding se partage donc entre une filiale chargée du financement et une filiale chargée des activités de capital investissement. Une muraille de Chine les sépare, puisqu’il s’agit de rôles différents et qu’il faut tirer les enseignements de la crise bancaire.

Dans les activités d’Oséo, l’État n’est plus majoritaire, mais la CDC ne l’est plus non plus en matière de capital investissement. Fruit de longues discussions, le pacte d’actionnaire a prévu des solutions en cas de conflits éventuels. C’était indispensable car Bpifrance est une compagnie financière qui est placée sous le contrôle du régulateur, à savoir maintenant la Banque centrale européenne (BCE), à qui il doit être possible de montrer que les règles sont respectées et que l’entreprise ne sera pas bloquée s’il y a désaccord entre ses actionnaires. Ce cas ne s’est heureusement encore jamais produit.

En effet, les relations entre l’État et la CDC sont bonnes, les deux partenaires partageant l’impression d’être dans un même bateau. La coopération semble meilleure encore qu’au temps d’Oséo. La CDC partage pleinement les objectifs de la politique publique sous-jacente. Pour les objectifs financiers, il s’agit bien sûr d’éviter les pertes. La recherche d’un rendement important n’est cependant pas primordiale.

Toutes les décisions importantes font l’objet de réunions préparatoires visant à arrêter une position commune entre les deux actionnaires. En aplanissant ainsi les difficultés, généralement mineures, le fonctionnement s’avère satisfaisant.

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur. Et au sujet de la gouvernance territoriale ?

M. Alain Schmitt. Si vous le permettez, je voudrais seulement ajouter, à propos des relations entre l’État et la CDC, que leurs points de vue convergent, notamment en matière d’innovation. La CDC nourrissait davantage d’interrogations à son endroit, au temps d’Oséo. Cela sortait en effet du cadre habituel de son action. Aujourd’hui, plus personne ne doute qu’il s’agisse d’une activité importante.

M. Sébastien Raspiller. Pour la gouvernance territoriale, l’existence de comités d’orientation régionaux, en sus du comité d’orientation national, permet au dialogue entre l’État et la CDC de se nouer également au niveau territorial, puisqu’y siègent tant des représentants de l’un que de l’autre. Ces comités d’orientation représentent une nouveauté par rapport à la gouvernance classique par le conseil d’administration. Cela se traduit par une implication concrète dans les territoires, où Bpifrance s’appuie sur des antennes régionales, sans qu’il y ait cependant d’agence de Bpifrance dans chaque ville, comme pour une banque de détail privée.

Aussi Bpifrance passe-t-elle, comme établissement de place, des conventions avec des réseaux bancaires. Les entrepreneurs qui se rendent auprès de ces réseaux peuvent se voir proposer des produits de Bpifrance, voire en bénéficier directement grâce à des conventions de délégation passées, pour de petits montants, entre Bpifrance et les établissements bancaires privés.

Les présidents de régions avaient insisté pour que la décision de soutien puisse intervenir au niveau du chef d’agence régionale, en tenant compte des caractéristiques du tissu économique dans les différents territoires.

M. Alain Schmitt. La coopération locale dépasse le cadre strict des comités d’orientation. Il y avait déjà, au temps d’Oséo, des projets d’investissement local, en matière d’innovation. Bpifrance agit dans ce domaine comme partenaire de l’État, ou comme partenaire des collectivités territoriales, qui confient à l’État des fonds en gestion, notamment pour des projets d’innovation. Elle participe aussi à la constitution de fonds régionaux de capital investissement. La coopération territoriale va donc au-delà des aspects de gouvernance.

M. Sébastien Raspiller. Quant à l’influence de l’État sur la politique de Bpifrance, elle s’exerce dans le cadre de la gouvernance classique, à parité avec la CDC, quand il s’agit des moyens propres et du bilan de la structure. La CDC et l’État s’accordent sur un plan stratégique triennal, mis en œuvre par la direction de Bpifrance. Si un besoin conjoncturel se fait sentir, ou au contraire disparaît, des ajustements ponctuels sont possibles.

Mais Bpifrance peut agir aussi comme opérateur et comme gestionnaire de fonds de tiers, en premier lieu de l’État, notamment pour développer des fonds d’amorçage ou des types particuliers de financement en garantie. Chaque année, à l’occasion de la discussion du budget, la problématique de l’innovation est également abordée sous cet angle. Les produits ainsi distribués portent le label Bpifrance, mais font l’objet de conventions avec l’État contenant des instructions précises.

D’autres tiers confient leurs fonds à Bpifrance de la même façon, qu’il s’agisse encore de l’État dans le cadre des PIA, ou des régions, de la CDC, de la Banque européenne d’investissement (BEI) ou même, à la marge, d’opérateurs privés. Les règles de gouvernance s’appliquent à la gestion des fonds propres, tandis que Bpifrance applique simplement, dans les autres cas, le mandat de gestion qui lui est donné.

Un partage des risques s’opère ainsi naturellement, ce qui évite les difficultés avec la CDC. Les projets soutenus par les PIA sont tendanciellement plus risqués que les projets financés sur fonds propres. D’un côté, les fonds propres sont employés en fonction du plan stratégique de Bpifrance, dans des domaines où le risque n’est pas trop élevé, hors d’une logique de subvention ; la coopération entre l’État et la CDC se fait sans difficulté, puisque les objectifs sont partagés. De l’autre côté, les donneurs d’ordres interviennent directement, par le biais de leurs instructions, dans l’activité de Bpifrance, quand ils lui confient des fonds pour développer des projets de financement ou d’investissement.

Le contrôle général économique et financier s’exerce sur Bpifrance, puisque la banque est gestionnaire d’argent public. Un commissaire du gouvernement siège dans toutes les entités de Bpifrance. Le contrôleur économique et financier veille à ce que Bpifrance remplisse ses fonctions dans le respect des intérêts publics. Des comités des rémunérations existent, tant au niveau du groupe que de ses deux filiales. La cohérence de la politique de rémunération se définit au niveau du groupe.

La création de Bpifrance a constitué un défi pour la gestion de la politique salariale au sein de l’ensemble, qui doit passer par des outils communs de gestion des ressources humaines. Or des écarts significatifs subsistent entre les deux filiales qui pratiquent des métiers différents. Dans la filiale d’investissement, un personnel en petit nombre et hautement qualifié compare ses conditions de rémunération avec le secteur privé, tandis que les standards de rémunération de la fonction publique sont appliqués dans les anciennes unités d’Oséo, comme à l’Agence nationale de valorisation de la recherche (Anvar), se situant donc à des niveaux inférieurs à ceux qui sont pratiqués dans les banques privées.

Un écart trop important de rémunération de Bpifrance Financement avec le secteur privé risquerait d’en faire partir les meilleurs éléments. Il serait au demeurant difficile de justifier, notamment pour les fonctions support, qu’un mécanisme de participation existe pour les uns et non pour les autres. Un tel mécanisme a donc été introduit à Bpifrance Financement, par un décret de la fin de l’année 2014 mais qui limite cette part variable des rémunérations à 1 % de la masse salariale. L’harmonisation des outils salariaux de gestion des ressources humaines doit ainsi permettre de créer une culture de groupe en rapprochant ses composantes, également au niveau régional.

Dans la filière investissement, le décret sur le plafonnement de la rémunération des dirigeants de groupes publics a été appliqué, ce qui a conduit à une baisse substantielle de certaines rémunérations, même si elles demeurent élevées. Il n’en reste pas moins important qu’un bon niveau de rémunération subsiste, ne serait-ce que pour faire face aux tentatives de débauchage en provenance du secteur privé. Le coefficient d’exploitation, c’est-à-dire le rapport entre les frais généraux et le produit net bancaire, s’établit ainsi à 60 %, soit un montant légèrement supérieur à celui des banques privées, parfois soumises à une pression plus forte de leurs actionnaires, mais ce montant correspond aux objectifs fixés et aux standards en usage.

Je rappelle que les deux entités n’emploient pas le même nombre de personnes, puisque la filiale d’investissement n’en emploie qu’une centaine, contre 1 800 pour l’autre filiale. C’est pourquoi le rapprochement prend du temps.

Quant à la rémunération des cadres dirigeants, elle comporte, chez Bpifrance Financement, une part variable à hauteur de 25 % de la part fixe. La réglementation bancaire prévoit que cette part peut s’élever jusqu’à 200 % de la part fixe. Même si les objectifs sont collectifs, les éléments variables et individualisés conservent leur importance pour la rémunération des dirigeants. Il n’y a pas en revanche de système de retraites à cotisations définies.

Le rapport de la Cour des comptes relatif à la rémunération au sein de CDC Entreprises contient les réponses des ministres des finances et de l’économie. Ils y rappellent que cette entreprise était détenue à 100 % par CDC, dont la commission de surveillance n’avait pas eu connaître des attributions d’actions gratuites. Or c’est dans cette instance que siège la direction générale du Trésor comme représentant de l’État. Ce sujet a été réglé, par la CDC, avant la fusion donnant lieu à la création de Bpifrance. Comme y ont insisté les représentants de l’État et ceux de la CDC, au cours des premières réunions du conseil d’administration de Bpifrance, il n’y aura pas de dispositif prévoyant, chez Bpifrance, l’attribution d’actions gratuites, et il n’y en aura jamais.

Remontant à 2007 et 2008, les pratiques de ce type, en réservant à quelques-uns un traitement privilégié, nuiraient au demeurant à l’objectif principal fixé à la création de Bpifrance, à savoir l’émergence d’une culture propre à l’ensemble du groupe.

M. Alain Schmitt. Dans le domaine de l’innovation, il faut élargir l’approche. Car la politique de l’innovation ne repose pas toujours sur des outils de financement, comme l’a mis en lumière le plan « Une nouvelle donne pour l’innovation ». Le financement ne saurait donc focaliser toute l’attention. L’innovation est aussi affaire d’état d’esprit, de culture, de mesures d’attractivité, de développement d’écosystèmes favorables à la naissance d’initiatives. Par exemple, l’État a créé la labellisation French Tech, rendant visible à l’étranger des écosystèmes favorables à l’innovation, tandis que Bpifrance s’engage dans le financement des start-up.

La sensibilisation à l’entreprenariat et à l’innovation dans l’enseignement scolaire et supérieur dépend de l’État. Dans le domaine réglementaire, l’indicateur 040 de la Banque de France, qui marquait au fer rouge tout dirigeant d’entreprise ayant connu une liquidation et l’empêchait de facto d’obtenir de nouveaux financements, a été supprimé l’an dernier. Une nouvelle approche et une nouvelle gestion de l’échec se développent ainsi. Dans le domaine fiscal, le dispositif jeunes entreprises innovantes ou le crédit d’impôt recherche constituent aussi des incitations.

Quant à la commande publique, les achats innovants de l’administration peuvent être doublement bénéfiques, car ils apportent non seulement une référence client au fournisseur, mais induisent aussi un changement de culture au sein des services.

Quand on parle de financement de l’innovation on retrouve quasiment tout le temps Bpifrance. C’est l’opérateur du financement de la politique d’innovation, et elle me paraît intervenir au bon niveau dans le domaine de l’innovation. Une cohérence se dégage donc de la plupart des actions engagées. Mais cette politique publique dépend globalement de l’État.

En matière de crédits, nous sommes en face d’un paradoxe apparent. Certes, depuis 2013, la dotation du programme 192 est en baisse tendancielle, dans le cadre de l’effort de maîtrise des dépenses publiques mais du point de vue des entreprises, le montant total des financements de Bpifrance en faveur de l’innovation a cependant largement augmenté, bondissant de 40 % en 2014 à un milliard d’euros.

D’autres sources de financement complètent en effet le programme 192. Les actions du PIA, qui montent en puissance, constituent une ressource budgétaire même si cela apparaît moins nettement et même s’ils poursuivent des objectifs propres et que les règles de gestion en sont différentes. Ils portent surtout des projets collaboratifs de recherche et développement, tels les projets structurants pour la compétitivité, le Concours mondial d’innovation, ou la part subvention et avances remboursables du Fonds national pour la société numérique (FSN), apportant des financements à hauteur de 265 millions d’euros en 2014.

Les partenariats entre Bpifrance et les régions ont quant à eux représenté 70 millions d’euros d’aides publiques en 2014.

Les prêts sur fonds propres de Bpifrance ou les prêts adossés à des fonds de garantie financés par des dotations de l’État constituent la troisième source de financement.

Les prêts développent un double effet de levier. En interne, ils accroissent d’un à cinq, parfois six, la capacité de financement qui résulterait de la seule dotation budgétaire ; et ils jouent également un rôle d’entraînement vis-à-vis du secteur bancaire car, en général, ce sont des instruments qui interviennent en co-financement. Pour 50 millions d’euros en 2014, les prêts d’amorçage, sans garantie à long terme, ont accompagné les premières levées de fonds des start-up. Ces prêts existaient déjà, mais sont développés de façon importante par Bpifrance. Pour les prêts pour l’innovation, Bpifrance n’intervient pas en co-financement, mais finance l’aval des projets d’innovation. Ces prêts ont été de 125 millions d’euros en 2014. À l’avenir, la Banque européenne d’investissement (BEI) prendra le relais de l’État qui en finançait la garantie. Le préfinancement du crédit d’impôt recherche a mobilisé de son côté 37 millions d’euros. En 2014, un total de 250 millions d’euros a ainsi servi au financement de l’innovation.

Le programme 192 finance quant à lui à hauteur de 370 millions d’euros des aides à des projets individuels, par le biais de subventions, d’avances remboursables ou de prêts à taux zéro et là aussi avec l’effet de levier. Compartiment nouveau, la Bourse French Tech aide à la création d’entreprises. Il faut donc relativiser la baisse des crédits du programme 192, notamment au vu des efforts consentis sur les PIA.

La nouvelle organisation nous oblige à essayer de rationaliser la gamme. Au temps d’Oséo, l’innovation pâtissait encore d’une vision trop restreinte. Avec Bpifrance, une branche innovation agglomère désormais les aides classiques à de nouveaux types de financement, donnant naissant à un continuum des outils de financement. La synergie entre ces divers instruments maximise l’effet des aides. Les évolutions budgétaires ont donc conduit à une remise en ordre de la gamme des instruments disponibles.

Il est ainsi apparu que certains grands projets collaboratifs du programme Innovation stratégique et industrielle étaient redondants avec des projets soutenus par les PIA. Les crédits correspondants ont ainsi été redéployés au bénéfice de l’innovation individuelle. Dans le domaine de l’aide à l’innovation, Bpifrance réfléchit en ce moment à la manière de structurer sa gamme de produits, qui va de l’amorçage, à l’aide au projet d’innovation, en passant par l’aide à l’industrialisation et le soutien à la levée de fonds.

Les PIA se focalisent davantage sur des projets collaboratifs de recherche et développement, tels les projets structurants des pôles de compétitivité (PSPC) ou les projets industriels d’avenir (PIAVE). Mais ils financent également le Concours mondial de l’innovation. D’autres projets reçoivent d’abord de petites subventions, puis bénéficient d’avances remboursables.

Quant aux relations entre Bpifrance et les autres acteurs dans le domaine du soutien à l’innovation, elles ne concernent pas seulement l’Ademe, mais aussi l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance aussi des projets industriels. Jusqu’où faut-il uniformiser leurs approches ? Pour l’heure, l’Ademe détient une expertise dans le secteur de l’environnement qui justifie qu’elle conserve son domaine d’action. À l’avenir, une coopération plus approfondie serait peut-être souhaitable cependant.

De même, faut-il rassembler toutes les formes de soutien aux ETI au sein de Bpifrance ou faut-il maintenir une forme de diversité ? En tout état de cause, il me semble important de conserver les expertises sectorielles et de ne pas casser les outils existants.

M. Sébastien Raspiller. Je vais prendre deux exemples. Dans le domaine de la défense, la société SOFIRED a été intégrée à Bpifrance. Dans le domaine du soutien aux activités culturelles et au cinéma, Bpifrance n’a noué qu’un simple partenariat avec l’Institut pour le financement du cinéma et des institutions culturelles (IFCIC), car ses fonds propres sont en partie détenus par des actionnaires privés. En matière d’intégration, il faut donc adopter une approche au cas par cas.

L’origine du financement ne rend pas compte à elle seule de la complexité des relations entre les acteurs. Bpifrance peut ainsi gérer des fonds de l’Ademe. En étant plus visible par les entreprises et en menant une démarche proactive, elle apporte une valeur ajoutée.

Quand Bpifrance a été créé, on observait une certaine concurrence entre Oséo et la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur (Coface), qui développaient des gammes parallèles de produits de financement du développement à l’export. Dès 2013, conformément à la logique de guichet unique, une rationalisation de l’offre a pu avoir lieu sous le label « Bpifrance Export ». Bpifrance assure désormais des prêts à l’export, tandis que la Coface agit de manière complémentaire en apportant des cautions, une offre de préfinancement et assure la phase de développement du projet. Une réflexion est en cours sur un transfert éventuel vers Bpifrance de l’activité de garanties publiques effectuée aujourd’hui par la Coface. La décision sera prise d’ici la fin de l’année.

La SFIL, société de financement local, a un objet très différent. Alors que Bpifrance assure de petits tickets de crédit acheteur, cette société opère le refinancement de montants qui varie entre 250 millions d’euros et deux milliards d’euros et n’a pas vocation à avoir une activité de relation avec les entreprises. Le bilan de Bpifrance s’élevant à 50 milliards d’euros, elle sortirait du cadre tracé par les ratios prudentiels, et contrôlé par la BCE, en finançant des prêts de ces montants. Chaque structure agit selon ses capacités.

Ce qui compte c’est que les entreprises s’y retrouvent bien. L’activité de Bpifrance de crédit acheteur direct sera un élément nouveau mais le financement classique continuera à passer par les banques que les entreprises connaissent et qui fonctionne. Simplement cela devrait permettre aux banques de répondre favorablement plus souvent et plus facilement aux demandes de financements relatifs à l’exportation.

Quant au marché du capital développement, il a été créé en France par CDC Entreprises, en particulier sur les segments les plus risqués, c’est-à-dire en amont, en capital risque et en amorçage, sur lesquels les acteurs privés n’étaient pas présents. Sur le marché américain, des fonds de pension n’ont pas hésité à retirer leur mandat de gestion sur ces segments d’amont qui sont moins rentables, voire pas rentables. Bpifrance intervient, dès lors, pour combler une réelle faille de marché et son rôle est fondamental. La rentabilité financière est toujours un critère mais on peut admettre que la rentabilité globale de ces opérations très risquées soit nulle, tant que les pertes sont évitées, que de belles réussites se détachent et que – et c’est tout le débat – sont aussi recherchés des co-investissements là où la probabilité d’une plus value est plus importante.

Dès lors se pose la question de l’articulation de Bpifrance et des acteurs privés : il faut pouvoir pallier la défaillance de marché sans pour autant se substituer aux acteurs. La situation idéale est celle où Bpifrance complète un tour de table avec les opérateurs privés ; Bpifrance fait alors du reste porter une moindre responsabilité à ses équipes puisque l’instruction a déjà été conduite par les acteurs privés. Mais, trop souvent, Bpifrance ouvre encore ce tour de table et c’est son intervention qui le rend possible. Or les choix opérés sont lourds de conséquences. Il faut permettre la multiplication des équipes de personnes très compétentes sur des domaines très pointus et auxquelles les investisseurs font confiance. Aux États-Unis, il n’est pas rare de voir des dizaines de millions de dollars confiés à des dirigeants dont le profil a retenu l’attention d’un investisseur institutionnel, qui peut apporter jusqu’à 80 % du capital de leur entreprise sans vouloir plus de 10 % des droits de vote, pour ne pas s’embarrasser avec sa gestion. Pour repérer ces profils créatifs, il faut de solides équipes d’investissement capables de parier sur des personnalités et des idées. Bpifrance a de très bonnes équipes mais pour que le marché du capital développement soit pérenne, elle doit être présente, sans que ce soit systématique, afin de laisser libre cours à l’expansion naturelle du marché. Or, au travers des investissements directs et des fonds de fonds elle participe, en réalité, à un très grand nombre d’opérations.

À volumétrie constante pour Bpifrance, on souhaiterait donc que le développement du marché du capital risque permette de réduire sa part de marché relative. Le gouvernement a pris des mesures pour renforcer l’attractivité de ce marché, notamment pour attirer les capitaux privés étrangers ou domestiques. Cette croissance, en renforçant les équipes d’investisseurs privés, devrait permettre de prévenir toute atrophie des équipes de gestion dont certaines se limitent à des domaines où le rendement est purement fiscal. C’est pourquoi dans le plan stratégique de Bpifrance, il lui a été demandé de faire des choix pour miser sur des équipes de gestion qu’ils auront sélectionnées, pour des montants qui pourront être importants. Mais, encore une fois, Bpifrance ne doit pas être la seule à opérer ces choix. Elle doit être accompagnée par les acteurs privés.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Nous vous remercions, messieurs, de vos interventions.