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Mission d’information commune sur la banque publique d’investissement, Bpifrance

Jeudi 19 mars 2015

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 13

Présidence
de Mme Véronique Louwagie,
Présidente

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Beffa, président d’honneur de Saint-Gobain, membre de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Nous accueillons M. Jean-Louis Beffa, membre du comité de surveillance de la CDC et donc du comité spécialisé de suivi de la BPI qui a été créé en son sein, avec lequel, nous souhaitons aborder notamment la question des relations entre la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et Bpifrance.

M. Jean-Louis Beffa, président d’honneur de Saint-Gobain, membre de la commission de surveillance de la CDC. Malgré l’existence du comité spécialisé de suivi que vous venez de citer, la relation entre la CDC et Bpifrance n’est pas très étroite. La BPI a adopté d’emblée une attitude indépendante, en raison de la façon dont son capital a été constitué : 50 % provenant de l’État et 50 % de la Caisse. Il n’est jamais bon qu’une entreprise ait deux tuteurs. Pour réparer ce que je considère comme une erreur, je considère qu’il faudrait transférer ne serait-ce qu’une action de Bpifrance du Trésor vers la CDC.

Si j’émets un jugement positif sur la BPI, je regrette cependant que celle-ci ne porte pas d’attention particulière à la politique industrielle et adopte un comportement purement financier. J’y vois l’influence du Trésor, extrêmement libéral et réticent à l’égard de toute action qui ne serait pas strictement bancaire. En créant la BPI, l’État a manqué son but politique. Quelles que soient les positions de son directeur actuel, Bpifrance obéit à la pensée unique, qui conduit à privilégier la dimension financière classique.

Les positions du directeur général de la CDC vont dans le bon sens. Il aurait été dommage qu’il n’assume pas lui-même la présidence de la BPI, ce qui a été, un temps, envisagé. De son côté, le président de la commission de surveillance s’implique fortement dans les réunions de suivi, malheureusement trop rares, ce qui ne nous permet pas d’examiner en détail l’ensemble des questions.

Vous m’avez appris, par les questions posées, l’ouverture d’un bureau de représentation commune de Bpifrance et de la CDC à Bruxelles. Pour défendre leurs intérêts communs et suivre les dossiers, ces deux organismes doivent avoir un lien étroit avec la Commission et le Parlement européens. Je me réjouis par conséquent de cette nouvelle.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Il est regrettable que vous n’en soyez pas informé.

M. Jean-Louis Beffa. La manière dont nous travaillons – sur des sujets très importants pour les décisions gouvernementales – ne nous laisse pas le temps d’entrer dans certains détails d’organisation.

Je vais prendre dans l’ordre les questions que vous m’avez adressées.

Les règles européennes, en matière d’aides d’État, semblent ridicules, quand on les compare à celles qui s’appliquent au Japon ou en Chine. Alors que le Japon consent des efforts considérables pour soutenir ses entreprises, la Commission adopte une vision ultra-libérale, qui revient, pour l’Union européenne, à se tirer une balle dans le pied. L’affaiblissement industriel français et européen tient pour beaucoup aux règles extrêmement néfastes que j’ai dénoncées avec Gerhard Cromme, dans un rapport que nous avons remis à M. Hollande et à Mme Merkel.

Depuis longtemps, la Commission a choisi de protéger les consommateurs au détriment des producteurs. Bientôt, les premiers resteront seuls face aux Chinois ou aux Américains, car, dans bien des secteurs, les producteurs français, voire européens auront disparu. Une telle politique est irréaliste. Désormais, la mondialisation est non une concurrence entre des entreprises qui adopteraient une règle du jeu commune, mais une bataille entre des États qui soutiennent leurs champions. La Direction générale de la concurrence l’a-t-elle bien compris ?

Je ne sais pas précisément quelles sont les règles européennes concernant le comportement « avisé » de l’investisseur et du financeur, ni celles qui consistent à rechercher avant tout la rentabilité et à se méfier le plus possible de la prise de risque qu’implique par nature toute politique industrielle. On ne veut pas comprendre que les entreprises d’Europe – même d’Allemagne – perdent peu à peu la lutte contre les Américains, les Japonais, les Coréens ou les Chinois. Les règles européennes qui s’appliquent face au conglomérat Samsung témoignent d’une méconnaissance absolue de la dureté de la concurrence internationale. Les pays émergents ont renoncé à ces règles, qui avaient cours dans un monde occidental fermé.

Bpifrance a suffisamment de priorités pour ne pas créer de nouvelles structures afin de soutenir les entreprises à l’international. Nombre d’organismes jouent déjà ce rôle. Celui sur lequel Bpifrance doit se concentrer consiste à assurer des financements.

La BPI se distingue des banques privées et comble des failles de marché, mais non de manière significative. Certes, elle se montre ouverte en matière de crédit, car elle conserve l’orientation d’OSÉO, qui était la banque des PME, mais elle est très réticente en matière de fonds propres. Elle contraint les PME qui la sollicitent à effectuer des audits très onéreux. De tels réflexes seraient plus pertinents à l’égard des grands groupes. Dans le dialogue avec les PME, la BPI ne témoigne pas de souci de simplification. Bien qu’elle se comporte mieux que les autres banques, elle pourrait donc encore progresser.

Dans certains cas, elle pourrait s’engager dans l’activité de capital-retournement, qui consiste à prêter de l’argent à risque à une entreprise qui va mal, afin que sa situation se rétablisse. La Banque n’a cependant pas à assumer la responsabilité de tous les canards boiteux que certains responsables politiques voudraient lui confier. Elle doit faire preuve de prudence et de rigueur, sans quoi, faute d’experts, elle s’intéresserait à des entreprises qui, même aidées, ne se relèveront pas.

Mme la présidente Véronique Louwagie. À quel type d’experts songez-vous ?

M. Jean-Louis Beffa. Il faut des experts techniques et industriels. Pour un dossier de financement dans le secteur de l’automobile pour lequel vingt-cinq emplois étaient en jeu, le chef d’entreprise avait un bon projet, mais il lui manquait 900 000 euros de capital. Le personnel était prêt à en fournir 100 000. Je lui ai suggéré de solliciter quatre de ses clients, qui pourraient apporter chacun 100 000 à 150 000 euros. Dans pareil cas, la BPI peut jouer un rôle utile, à condition que le chef d’entreprise ne soit pas seul, et qu’il apporte au moins l’engagement d’un client.

L’industrie n’est une priorité ni pour la BPI ni pour le Trésor. Or, si l’on peut fonder une entreprise de services avec très peu de capitaux propres – les Français ne s’en privent pas –, des capitaux sont nécessaires pour former un projet industriel. Dans ce domaine, la BPI ne s’engage pas de manière significative.

Il serait facile de sauver certaines entreprises en difficulté, qui doivent rester dans des mains françaises. La Compagnie générale de géophysique, que son management a trop endettée, traverse une crise conjoncturelle. La BPI lui apporterait un confort précieux en la dotant de fonds propres. Elle pourrait aussi aider les groupes Technip ou Vallourec à faire évoluer leur structure. On éviterait ainsi que la France ne les perde à l’occasion d’une OPA.

Le Fonds stratégique d’investissement (FSI) avait procédé à de bons investissements, que la BPI n’a pas renouvelés de manière significative, sans doute par manque de fonds. L’Agence des participations de l’État (APE) possède désormais l’argent que l’État peut vendre sans changer sa stratégie vis-à-vis des sociétés concernées. Le problème est que cet argent ne sert pas à restructurer des capitaux, comme l’ont fait, pour Peugeot, l’État et la famille, associés à un investisseur chinois. J’aurais souhaité, par exemple, que le FSI, joint à un partenaire japonais et aux membres de la famille Bouygues aide le groupe General Electric à former une structure.

Je le répète : les moyens manquent et ils ne se placent pas où il faudrait. Il est dommage de valoriser les actifs de l’APE sans en consacrer une partie à doter la BPI, ce qui aiderait les grands groupes qui peuvent se redresser à restructurer leur capital. Il faut vendre des actions de l’APE et les transférer vers un fonds de la BPI, conçu sur le modèle du FSI.

Le recours par Bpifrance à d’une activité de fonds de fonds, que j’ignorais, car elle n’a pas été évoquée au comité, est une démission intellectuelle, comme peut l’être, pour une société, le fait de racheter ses actions. On fait des fonds de fonds – activité financière et passive – quand on n’est pas assez fort pour investir. À quoi bon avoir créé la BPI pour arriver à ce résultat ? Mieux vaut développer des prises de participation directes. Il est probable qu’une banque ordinaire, comme la BNP, n’aurait pas investi dans Peugeot.

Le fond de fonds est une activité financière, qui ne correspond pas à ce qu’on attend de la BPI. Aux termes de la loi du 31 décembre 2012, elle a pour objectif de soutenir les stratégies de développement des filières. Il est essentiel de financer celles qui exportent, en sachant que, dans le monde industriel, certains métiers affrontent la concurrence mondiale, alors que d’autres ne se mesurent qu’aux acteurs nationaux.

C’est en fonction de ce critère que j’ai orienté l’activité de Saint-Gobain pour me prémunir de la concurrence chinoise. Les points forts du CAC 40 sont les entreprises multirégionales, que la France détient à hauteur de 12 %. On constate en effet un décalage entre la difficulté d’exporter, qui est manifeste, et la force du CAC 40.

Sous le Président Jacques Chirac, j’avais créé l’Agence de l’innovation industrielle, qu’a supprimée le Président Nicolas Sarkozy. Elle aidait les grands groupes à mener des projets ambitieux, tournés vers l’exportation, n’en déplaise à ceux qui dénonçaient un « interventionnisme d’État ». L’instance a fusionné avec le FSI qui, sous l’égide de la BPI, poursuit deux activités. L’activité financière m’inspire plus de réserves que l’activité stratégique, celle de la branche innovation, dont le directeur, M. Fournier, est un homme de grande valeur.

M. Macron a bien fait de réduire le nombre des plans de reconquête de trente-quatre à dix. Le Commissariat général à l’investissement est une bonne instance, mais ses procédures, lourdes et complexes, s’accordent mal au financement de plans industriels ambitieux.

Je ne suis pas hostile au principe des pôles de compétitivité, mais beaucoup d’entre eux ne produisent rien de concret. On découvre, après des années, que leur activité ne justifie pas les financements qu’ils ont reçus. Mieux vaudrait les structurer autour d’un projet.

À mes yeux, le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) n’est rien de plus qu’une infirmerie.

Enfin, il est difficile de parler de cohérence quand les acteurs sont aussi nombreux. À chaque étape interviennent deux entités : le Trésor, qui, compte tenu de son libéralisme financier, ne considère pas la politique industrielle comme une priorité, et le Budget, qui veille à ce qu’on n’octroie pas de crédits à tout instant. Cette dualité allonge les délais et entraîne des complications considérables.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Comment peut-on améliorer le fonctionnement du comité spécialisé de suivi de la BPI, dont vous regrettez qu’il se réunisse trop peu, et qu’il n’aborde que des questions d’orientation générale ?

M. Jean-Louis Beffa. Pour définir une stratégie d’investissement, il faut faire le bilan de l’action du FSI. À mon sens, on doit intervenir dans des groupes qui ont de l’avenir et qui éprouvent un besoin temporaire de soutien en capital. Avant notre prochaine réunion, M. Emmanuelli et M. Dufourcq devraient dresser la liste des sujets délicats, qu’il faut absolument aborder. Nous travaillerions alors de manière plus précise.

M. le rapporteur. Parmi les différentes phases du développement des entreprises – création, amorçage, développement, transmission –, c’est en matière d’amorçage qu’on constate le plus de lacunes. Peut-être ne concentre-t-on pas suffisamment l’intervention sur les sociétés qui ont peu de fonds propres mais de bonnes idées.

M. Jean-Louis Beffa. Les industries ont besoin de plus de fonds propres que les sociétés de services. Dans les start-up de services, qui marchent bien, l’important est surtout d’intervenir au bon moment, quand la société est en train de grandir.

Pour être moi-même business angel – je suis un petit investisseur et je siège au conseil d’administration de start-up –, je suis frappé de voir que les sociétés de qualité sont très vite rachetées par des étrangers. Il importe de trouver des fonds. En France, le capital-risque, y compris technologique, est assez faible. En outre, il est géré de manière financière et court-termiste, selon une mentalité que la BPI n’a pas réussi à faire évoluer.

Si l’on veut financer les entreprises et investir en actions dans les grands groupes, il faut sortir du schéma actuel. Pour se conformer à Solvabilité II, les compagnies d’assurances ont vidé leur portefeuille d’actions, et les groupes étrangers, qui les possèdent désormais, ont une vision anglo-saxonne. Ceux-ci ont hurlé contre la loi Florange qui réforme le mode de gouvernance en instaurant un vote double. Ils exercent un chantage auquel se soumettent de nombreux patrons français.

Il faut remédier à une autre aberration française. Nous possédons, sous forme d’assurance-vie, une épargne considérable qui n’aide en rien l’investissement en actions. Il faudrait créer à cette fin un fonds spécial doté par l’assurance-vie. La Caisse en gérerait les investissements de base et la BPI, dans l’esprit de l’ancien FSI, opérerait les restructurations industrielles.

À défaut, les centres de décision risquent de quitter la France. L’exemple du groupe Lafarge est inquiétant. Il n’est pas impossible que notre pays perde en un jour le centre de décision de la moitié des entreprises du CAC 40, ce qui réduirait du même coup son poids politique. La localisation du centre de décision et la structure du capital sont des questions essentielles dont les parlementaires doivent se saisir. M. Macron est conscient du problème. Il faut doter la BPI de moyens supplémentaires si on veut qu’elle puisse agir à cet égard.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Si le comité spécialisé de suivi se penchait sur des questions spécifiques, voire techniques ne ferait-il pas double emploi avec les conseils d’administration de la Bpi dans lesquels siègent aussi des représentants de la CDC ?

M. Jean-Louis Beffa. Nous travaillerions plus efficacement si les administrateurs faisaient remonter des informations vers le comité spécialisé. Je ne vois aucune objection à ce qu’ils soient présents quand celui-ci se réunit, ni à ce qu’ils suggèrent des points à porter à l’ordre du jour, ni même à ce qu’ils préparent l’examen de ces points par un rapport. Il est regrettable que les administrateurs de la Caisse, présents dans de nombreuses filiales, ne transmettent aucune information à la commission de surveillance.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Je vous remercie.