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Mission d’information commune sur la banque publique d’investissement, Bpifrance

Jeudi 26 mars 2015

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 15

Présidence
de Mme Véronique Louwagie,
Présidente

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Joël DARNAUD, direction financement et pilotage du réseau – Bpifrance

Mme la présidente Véronique Louwagie. Nous auditionnons Monsieur Joël Darnaud, responsable à Bpifrance de l’activité de crédit. Vous intervenez également en caution et en garantie. C’est en outre à travers votre direction que Bpifrance assure le préfinancement du CICE. Sur tous ces points, ainsi que sur la structuration du réseau et l’articulation des interventions de la BPI avec les acteurs locaux, nous avons des questions à vous poser, notamment à la suite du déplacement que le rapporteur et moi-même avons effectué en Basse-Normandie et qui suscite quelques interrogations.

Monsieur Darnaud, je vous laisse la parole pour une présentation de l’activité de votre direction.

M. Joël Darnaud, direction financement et pilotage du réseau – Bpifrance. J’ai fait toute ma carrière dans le groupe Bpifrance, dont j’ai connu les différentes étapes de l’existence avec la création successive du Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises (CEPME), de la Banque de développement des PME (BDPME), d’Oséo, puis de Bpifrance. Mon parcours m’a conduit du réseau à la direction générale.

Je suis chargé, à la fois, du financement à moyen et long terme sous forme de prêts sans garantie et du financement à court terme, lequel intègre le préfinancement du CICE.

J’ai, de plus, la responsabilité directe du pilotage du réseau, qui est décliné en six directions de réseau, et de son animation, au siège où il existe un directeur de l’animation du réseau , ainsi que la responsabilité de l’« offre produits » : je suis donc responsable de tous les produits de financements que nous sommes amenés à créer et dirige, en support de l’activité des réseaux, la mise en place de la gestion des opérations. Enfin, je préside le comité des engagements de Bpifrance et j’ai la responsabilité du contentieux du financement.

Mme la présidente Véronique Louwagie. L’« offre produits » de Bpifrance fait l’objet, à destination des réseaux et des chargés d’affaires, de plaquettes présentant toute la gamme des produits. Nous souhaiterions en avoir communication.

Quels sont par ailleurs les seuils ou les critères qui déterminent les niveaux de décision ? Quelle est la part des décisions prises tant au niveau national que de façon autonome au niveau régional ?

M. Joël Darnaud. Nos différents produits de financements se répartissent entre, d’une part, les produits à moyen et long termes et, d’autre part, les produits à court terme.

Les produits à moyen et long termes concernent deux grandes familles de produits.

La première grande famille, qui vise à financer l’investissement des entreprises, regroupe des prêts à moyen et long termes ou des crédits-bails immobiliers ou mobiliers, qui sont toujours accordés dans le cadre d’un cofinancement avec un partenaire bancaire. Il s’agit de produits bancaires communs, sans évolution forte. L’évolution concerne davantage les secteurs d’activité dans lesquels nous sommes susceptibles d’intervenir, comme le financement de la transition énergétique. Ces crédits d’investissements sont accompagnés d’une prise de garantie.

La seconde grande famille regroupe des prêts de développement à moyen terme sans garantie, prêts qui sont la grande spécificité de Bpifrance. Ces prêts nous permettent en effet de financer l’immatériel, des besoins qui sont mal couverts par le secteur bancaire classique en l’absence justement de prise de garantie possible. Leur durée est de sept ans et le différé d’amortissement de deux ans. Aucune garantie n’est prise, ni sur l’entreprise ni sur le chef d’entreprise. Ces prêts ne font donc pas l’objet d’une caution. Cette gamme de produits, qui est en forte progression, exige des offres fréquentes et des développements nouveaux. Bpifrance a la possibilité d’octroyer ce type de concours aux entreprises car elle bénéficie à cette fin de fonds de garantie dotés par l’État, les régions, l’Europe ou le grand emprunt – c’est particulièrement le cas à l’heure actuelle. Les responsables publics nous confient cet argent pour des produits à forte spécificité, comme ceux du PIA qui portent sur des projets d’usines du futur. Nous sommes ainsi appelés à financer les économies d’énergies des entreprises, via des prêts verts, leurs investissements numériques, via des prêts numériques, leurs investissements robotiques, via des prêts robotiques, ou encore leurs investissements industriels lourds via des prêts croissance industrie. Tous ces produits, qui appartiennent à la même gamme, ont toujours les mêmes caractéristiques, que j’ai déjà évoquées : une durée de sept ans, un différé d’amortissement de deux ans et l’absence de garantie.

Nos équipes travaillent avec les différents responsables qui souhaitent la mise en place de ces produits. Les concours peuvent aller jusqu’à 5 millions d’euros mais sont souvent d’un montant beaucoup plus faible. Nous proposons deux nouveaux produits de développement : le prêt Quartier, dont le montant maximal est de 50 000 euros, et le prêt Économie sociale et solidaire, qui est, lui aussi, un petit prêt de développement. Ces deux nouveaux prêts, dont la visée est spécifique, répondent aux mêmes caractéristiques que nos autres prêts de développement.

Cette diversité de produits a pour effet, évidemment, de complexifier notre offre : toutefois, c’est cette diversité qui nous autorise à bénéficier de dotations importantes de la part de différents canaux. En revanche, leurs caractéristiques toujours identiques nous permettent de les regrouper au sein d’une même famille, celle des prêts de développement.

Notre seconde gamme de produits est celle des financements, à court terme, de la trésorerie des entreprises. Cette activité, qui était celle de la Caisse nationale des marchés de l’État, vise à monétiser les créances publiques au bénéfice des entreprises qui travaillent avec l’État et les collectivités et qui doivent faire face à des délais de règlement. Les crédits d’impôts nous ont, de plus, conduits à développer une activité de mobilisation d’une créance publique non plus commerciale mais fiscale, dans le cadre, tout d’abord, du crédit impôt recherche, puis, depuis deux ans, du CICE. Pour assurer son préfinancement – nous avons été amenés à travailler avec l’État pour concevoir et proposer ce nouveau produit aux entreprises.

Mme la présidente Véronique Louwagie. J’avais cru comprendre que Bpifrance préfinançait le CICE dans tous les cas : or il semble que ce ne soit plus le cas depuis quelques semaines.

M. Joël Darnaud. Nous avons lancé le préfinancement en 2013 à hauteur de 800 millions d’euros. Nous avions prévu pour 2014 un budget d’1,2 milliard : nous avons prêté 2,3 milliards. Notre activité est donc allée bien au-delà de nos objectifs du fait que nous avons été les seuls, ou presque, à préfinancer le CICE.

Je rappelle que, pour bénéficier du CICE, l’entreprise doit tout d’abord faire, dans un délai prescrit, une déclaration spécifique à l’administration fiscale qui renvoie un document matérialisant la créance. Lorsque Bpifrance préfinance le CICE, la créance n’existe pas encore aux yeux de l’administration fiscale. Lorsque l’entreprise verse les salaires jusqu’à la fin de l’exercice, ce préfinancement ne pose aucun problème : malheureusement, de nombreux dossiers, de TPE comme d’entreprises de taille intermédiaire (ETI), vont au contentieux en raison de difficultés de recouvrement. Le plus souvent, l’entreprise n’a pas fait sa déclaration en temps voulu, ou l’administration fiscale conteste la créance en l’absence de déclaration. Lorsque l’entreprise est mise en liquidation, les dossiers disparaissent – c’est le cas de nombreux petits dossiers : il nous est donc ensuite impossible de recouvrer auprès de l’administration fiscale une créance qui n’existe pas aux yeux de celle-ci. Ces difficultés de recouvrement représentent des sommes considérables pour Bpifrance.

C’est pourquoi nous avons été conduits à prendre deux décisions.

La première est de nous assurer que les documents administratifs ont bien été remplis. Nos équipes téléphonent à cette fin aux entreprises et à l’administration fiscale. À l’heure actuelle 50 millions d’euros sont en retard de recouvrement. La seconde décision concerne les entreprises en grande difficulté : pour obtenir le préfinancement du CICE, elles doivent nous fournir le document qui établit la créance. Si nous ne leur demandions pas, le CICE deviendrait pour Bpifrance une activité très déficitaire, ce qu’aucune banque ne peut se permettre.

La direction du Trésor a pris conscience de la situation. Nous travaillons actuellement avec l’administration fiscale à un meilleur échange d’informations et à une modification des modalités de paiement.

Compte tenu de notre expérience, nous avons donc bien changé nos modalités d’octroi du préfinancement en 2015. Il faut savoir que, contrairement aux PME, qui bénéficient de la restitution de la créance du CICE dans l’année, pour les ETI cette créance est imputée sur l’impôt éventuellement dû au titre des trois exercices suivants : les montants unitaires pour Bpifrance sont d’autant plus importants. C’est pourquoi, avant de préfinancer le CICE de 2015, nous demandons la régularisation des déclarations de 2013 et de 2014.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Les 50 millions de retard concernent-ils uniquement l’année 2014 ?

M. Joël Darnaud. Nous espérons recouvrer cette somme, qui court sur 2013 et sur 2014 en fonction de la date d’arrêté des bilans. Nous faisons en tout cas tout ce qu’il faut pour être remboursé. Toutes les entreprises qui sont en cause ne sont pas en dépôt de bilan, fort heureusement ! Elles ont donc encore la possibilité de régulariser leurs déclarations fiscales.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Il s’agit donc d’un encours de 50 millions sur un montant de quelque 2,35 milliards.

M. Joël Darnaud. Non : sur un montant de 800 millions d’euros, puisque ce retard concerne l’année 2013.

Nous n’avons aucune possibilité de recouvrer les préfinancements des entreprises qui sont en liquidation – cela nous le savons. En revanche, nous espérons recouvrer les préfinancements d’entreprises encore en activité, préfinancements qui auraient déjà dû nous être remboursés mais qui ne l’ont pas été pour diverses raisons. C’est pourquoi nous agissons tant auprès de ces entreprises que de l’administration fiscale pour obtenir ces remboursements.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Si vous attendez désormais le document fiscal, jouez-vous encore votre rôle de préfinancement de la créance ? En effet, ce document fiscal n’est délivré par l’administration qu’à la clôture de l’exercice comptable qui établit la liquidation de l’impôt. Vous n’assurerez donc plus le préfinancement du CICE pour l’exercice en cours…

M. Joël Darnaud. Tout dépend du degré du risque.

Je rappelle qu’à l’origine Bpifrance ne devait pas traiter les dossiers inférieurs à 50 000 euros. Malheureusement, les banques n’ont pas joué le rôle qui leur était dévolu en la matière pour une question de fonds de garantie. Bpifrance a donc dû prendre la relève. Pour ces petits dossiers, nous bénéficions d’un fonds de garantie qui nous assure partiellement le risque. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de ne pas changer notre politique de risque à l’égard de ces petits dossiers. En revanche, nous nous sommes vus contraints de décaler de quatre à cinq mois le préfinancement des dossiers supérieurs à 50 000 euros.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Je suppose que vous avez diffusé, à cette fin, une note à destination du réseau : pourrions-nous en avoir connaissance ?

M. Joël Darnaud. Nous avons rédigé une note de politique générale de risque, qu’il convient évidemment d’appliquer au cas par cas, en fonction de la situation financière des entreprises.

Auparavant, lorsque nous avions des doutes sur la pérennité à court terme d’une entreprise, nous préfinancions le CICE par étapes, en suivant la vie de l’entreprise. Désormais, nous attendons la présentation du document fiscal, pour nous garder d’un double risque. Le premier est lié à la date du dépôt de bilan de l’entreprise ; le second est d’ordre administratif : l’entreprise peut ne pas avoir rempli à la bonne date le bon document.

Nous sommes devant un vrai problème d’ordre administratif : nous sommes certains qu’il y aurait moyen pour l’administration fiscale de reconnaître les créances.

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur. Ce sujet mérite en effet d’être creusé car les conditions de mobilisation du préfinancement CICE influent évidemment sur la vie des entreprises. Ce débat existe dans les régions.

La plupart des entrepreneurs que nous rencontrons nous font part de leurs bonnes relations avec Bpifrance, et des projets créateurs de richesses et d’emplois que l’aide de la Bpi permet de mener à bien. En revanche, d’autres expériences nous laissent perplexes. Je citerai le cas d’une entreprise qui a sollicité une garantie de Bpifrance à hauteur de 400 000 euros. Or les frais de commission étaient de 65 000 euros : ils ne sont passés à 35 000 – une somme qui reste élevée – qu’après négociation. Comment expliquer des frais aussi élevés, surtout de la part d’une banque publique dont la vocation est d’être accessible au plus grand nombre ? Que répondre à un chef d’entreprise qui n’a pas intégré cette somme dans son plan de financement ?

Nous avons, du reste, adressé à Bpifrance un questionnaire portant sur les frais afférents au montage d’un dossier : sont-ils définis au plan national ou une libre appréciation est-elle laissée en la matière aux directions régionales ? Avez-vous des objectifs en termes d’optimisation du retour sur investissement, objectifs qui conduiraient à maximiser les commissions ?

Par ailleurs, ses décisions peuvent conduire Bpifrance à jouer indirectement le rôle d’une agence de notation régionale : en effet, votre refus d’un dossier peut inciter les autres banques commerciales à aligner leur décision sur la vôtre. La politique menée par Bpifrance sur un territoire n’est donc pas sans conséquences sur l’ensemble des partenaires financiers des entreprises. Qu’en pensez-vous ?

M. Joël Darnaud. Il existe deux niveaux de décision, qui correspondent respectivement aux directions régionales et aux directions de réseau.

La compétence de décision maximale des directeurs régionaux s’élève à 2 millions d'euros ; celle des directeurs de réseaux à 3 millions. Pour les dossiers supérieurs à 3 millions, la décision est prise, au siège, par le comité des engagements. En 2014, les directeurs régionaux ont pris 91 % des décisions. Notre politique est d’apporter une réponse rapide aux dossiers qui nous sont présentés, y compris aux plus importants, ceux qui remontent au comité : Bpifrance est en effet la seule banque à réunir son comité deux fois par semaine – le mardi matin et le jeudi après-midi.

Les commissions concernent les dossiers non pas de financement mais de garantie : Bpifrance garantit les banques sur des dossiers à risque, par exemple de transmission ou de création. Pour de tels dossiers, les banques souhaitent bénéficier de la garantie de Bpifrance avant d’accorder un crédit. Cette garantie est accordée sur des fonds publics, puisque nous bénéficions pour cela de dotations budgétaires. Je tiens également à rappeler que nos garanties ont un effet multiplicateur.

Les commissions que vous avez évoquées ne correspondent pas aux frais de Bpifrance mais aux commissions de garantie, dont le taux est fixé de manière unilatérale à 0,7 % par an sur l’encours du crédit restant dû. Ce taux est toujours de 0,7 %. L’État nous a demandé, il y a quatre ans, à un double titre, réglementaire et de simplification, de ne plus prélever annuellement ou trimestriellement cette rémunération sur le compte de l’entreprise mais de la percevoir en une seule fois en totalité, dès que les fonds sont débloqués. D’un point de vue réglementaire, il faut savoir que, pour que Bpifrance puisse maintenir sa garantie, elle doit percevoir sa commission. Si l’entreprise arrête de la verser, la banque créditrice perd la garantie de Bpifrance. Or les banques sont intéressées à la garantie de Bpifrance à la fois en termes de garantie du risque lui-même et en termes d’encours de risques, puisqu’elles n’ont pas à inclure les risques couverts par Bpifrance dans leur ratio prudentiel. De plus, il s’agissait, très fréquemment, de prélèvements de l’ordre d’un euro ou deux, le public concerné étant constitué en grande partie de TPE. Demander à l’entreprise de verser la commission en une seule fois a permis de simplifier la gestion de sa perception.

La somme que vous avez évoquée correspond donc à la capitalisation de la commission de garantie sur toute sa durée. Le versement des commissions pour des garanties d’un faible montant et de courte durée ne pose évidemment aucun problème. Tel n’est pas le cas, en revanche, des opérations, assez rares, d’un montant important et de longue durée. C’est pourquoi nous proposons à l’entreprise d’intégrer le calcul de la commission dans l’assiette et de la financer, afin que son versement ne pose pas de problème de trésorerie à l’entreprise.

Je tiens à préciser que la moitié de la commission est reversée au fonds de garantie, dans le cadre d’un cautionnement mutuel, et l’autre moitié alimente le compte d’exploitation de Bpifrance dans le cadre de cette activité de garantie qui doit faire l’objet d’une rémunération minimale.

M. le rapporteur. Dans l’exemple que j’ai donné – 65 000 euros de commission pour 400 000 euros de garantie –, sur sept ans, le taux de rémunération n’est pas de 0,7 %.

M. Joël Darnaud. Le taux de garantie est fixé par contrat entre Bpifrance et l’État. Je vous communiquerai un calcul précis au vu du dossier.

M. le rapporteur. Quels sont les niveaux de décision ? Comment le directeur régional prend-il en compte le degré de risque ? Sur quels critères le dossier est-il transféré à l’échelon supérieur ?

M. Joël Darnaud. Les chargés d’affaires n’ont aucun pouvoir de décision : en effet, la réglementation bancaire interdit que les personnes qui prennent les décisions soient les mêmes que celles qui ont étudié les dossiers.

Le pouvoir de décision des délégués oscille entre 1 million et 1,5 million, selon leur expérience.

Les niveaux de compétence que je vous ai donnés sont les niveaux supérieurs. Des outils d’aide à la décision (OAD), qui prennent en compte à la fois la situation financière de l’entreprise, la nature du projet et les garanties liées au financement, dégagent une orientation favorable, réservée, très réservée ou défavorable, qui permet de graduer les pouvoirs de décision des directeurs régionaux et de réseau. Si l’orientation du dossier est favorable, le directeur régional peut prendre une décision d’un montant maximal de 2 millions d’euros et le directeur de réseau d’un montant maximal de 3 millions. Si l’orientation est réservée, la compétence de décision remonte d’un cran ; en cas d’orientation défavorable et de montant élevé, la décision est prise par le comité des engagements de Bpifrance. Le degré de décision est donc fonction à la fois du montant et du degré de risque déterminé par l’OAD. C’est un schéma bancaire classique.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Vous avez évoqué trois modalités successives de paiement de la commission de garantie : annuel, trimestriel et en une seule fois, lors du déblocage des fonds. Cette dernière modalité est-elle désormais appliquée dans tous les cas ?

M. Joël Darnaud. Auparavant, le paiement, annuel, trimestriel, voire mensuel, dépendait du rythme d’amortissement du crédit : la commission était prélevée à chacune des échéances. Désormais, le prélèvement est effectué lors du déblocage des fonds. Cette modalité de prélèvement a été décidée avant la création de Bpifrance.

M. le rapporteur. Entre votre politique de risque, qui, étant déterminée par vos actionnaires, doit rester prudente, et le fait que vous ne disposiez pas, contrairement aux autres banques, de ressources en provenance de produits bancaires, quels sont vos moyens d’action et vos marges de manœuvre pour répondre aux objectifs qui vous sont assignés ?

M. Joël Darnaud. Bpifrance Financement recouvre trois grands métiers : l’aide à l’innovation, la garantie et le financement.

Dans le cadre de l’aide à l’innovation, nous intervenons sur des projets que les banques ne financent pas. Notre prise de risque est alors maximale et ne correspond en rien au modèle bancaire traditionnel puisque, statistiquement, Bpifrance est remboursé une fois sur deux. Bpifrance aide, dans ce cadre, des jeunes pousses ou, plus généralement, des entreprises qui ont des projets importants en recherche & développement. S’il est du rôle de Bpifrance d’assumer ces risques majeurs, elle ne peut le faire que si elle bénéficie elle-même de dotations publiques, notre expérience nous donnant la capacité de modéliser le risque. C’est parce que les dotations publiques sont adaptées à ces risques, que nous pouvons les prendre. Vous avez reçu mon collègue Paul-François Fournier : ce modèle était celui de l’ex-ANVAR. L’avance d’un euro est une subvention, celle de deux euros est une avance remboursable et celle de trois ou de quatre euros se fait dans le cadre d’un prêt à taux zéro. Nous ne demandons aucune contrepartie bancaire, puisque ces avances ne se font pas dans le cadre d’un cofinancement.

Notre deuxième métier est de garantir une banque pour des dossiers à risques, comme la création d’entreprise. Il n’est pas du tout anormal qu’une banque demande une garantie publique pour financer la création d’une entreprise. C’est cette garantie que nous apportons aux banques. Nous ne pouvons le faire que grâce aux dotations publiques que nous recevons. La valeur ajoutée de la Bpi provient de nos vingt-cinq années d’expérience qui nous permettent de modéliser et d’appréhender les risques : avec un euro, nous pouvons en garantir jusqu’à dix, voire quinze en fonction de la modélisation du risque. Cet effet de levier est, de plus, doublé par le financement bancaire puisque nous garantissons la banque à hauteur de 50 %. Si un euro de dotation publique garantit dix euros, cette garantie permet donc un prêt bancaire de vingt euros. On a, dans ce cas, l’effet de levier de un à vingt.

Notre troisième métier est le financement. Les prêts de développement, qui deviennent l’activité majeure de Bpifrance Financement, bénéficient d’un fonds de garantie, que j’ai déjà évoqué, alimenté par différents canaux. Ils nous permettent de financer des entreprises en phase, notamment, de gros investissement, en dehors du modèle bancaire classique. Aucune banque en effet ne pourrait accorder un crédit sur sept ans sans aucune garantie pour financer de l’immatériel. Notre modèle est celui de la banque publique, capable de prendre des risques plus importants que les autres banques.

Dans les années 1990, en période de crise très sévère pour les PME, la CEPME a pris des risques non modélisés et en l’absence de fonds de garantie, mais avec l’assurance d’être recapitalisée. Une telle pratique n’est plus possible aujourd'hui. Le modèle actuel est plus vertueux. Nous n’intervenons jamais seuls en matière de crédits d’investissement mais toujours en cofinancement avec une banque. Nous finançons sans garantie l’immatériel, tandis que la banque finance la part matérielle en prenant une garantie.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Les régions sont des partenaires importants de votre réseau. Entretiennent-elles toutes les mêmes relations avec Bpifrance ou, au contraire, ces relations varient-elles selon les régions ?

M. Joël Darnaud. Nos relations avec les régions sont historiques, puisqu’elles existaient déjà du temps d’Oséo. Elles n’ont fait que se renforcer avec la création de Bpifrance. Les régions complètent les fonds de garantie nationaux, ce qui permet, en cas de dossier difficile, d’apporter des garanties plus importantes à la banque. C’est ainsi qu’aux 50 % de garantie apportés par Bpifrance, la région peut en ajouter encore 20 %, ce qui permettra à la banque d’être couverte à 70 % dans le financement d’un projet.

La quasi-totalité des régions se sont dotées de fonds de garantie permettant de compléter la garantie nationale apportée par Bpifrance.

La moitié des régions ont également créé des fonds de garantie à l’innovation pour intervenir à nos côtés dans le financement de programmes innovants, soit sous forme de subventions soit sous forme d’avances remboursables. Certaines régions souhaitent toutefois intervenir seules sur cette activité. Dans l’ensemble, les relations entre Bpifrance et les régions sont très fortes, grâce notamment aux comités régionaux d’orientation qui se réunissent deux ou trois fois par an et assurent la proximité de Bpifrance avec l’écosystème régional. Travailler avec les régions est devenu à nos yeux un enjeu majeur pour l’innovation, surtout depuis qu’elles sont devenues les bénéficiaires des dotations du Fonds européen de développement régional (FEDER). Ces dotations nous permettront de financer des projets innovants avec les régions, surtout en période de restrictions budgétaires, lesquelles nous obligent à rechercher différentes ressources.

Mme la présidente Véronique Louwagie. J’avais cru comprendre que les prêts que vous accordez dans le domaine de l’innovation sont sans garantie : or vous venez d’évoquer le complément de garantie apporté par les fonds régionaux pour financer l’innovation.

M. Joël Darnaud. Bpifrance ne prend aucune garantie sur l’entreprise. En revanche, pour exercer cette activité risquée, nous devons disposer d’une ressource budgétaire : la garantie de la région est cette ressource budgétaire.

M. le rapporteur. Malheureusement, les comités régionaux d’orientation ne se réunissent pas si souvent.

M. Joël Darnaud. Bpifrance n’est pas à l’origine de l’absence de leur convocation.

M. le rapporteur. Les comptes rendus d’activités de ces comités ne font pas une place suffisante au débat sur les orientations, ce qui est paradoxal, puisqu’il s’agit de comités régionaux d’orientation.

M. Joël Darnaud. C’est un constat. Je rappellerai simplement que le président du comité régional d’orientation est le président de région.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Je vous remercie, monsieur le directeur.