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Mission d’information commune sur la banque publique d’investissement, Bpifrance

Jeudi 2 avril 2015

Séance de 12 heures

Compte rendu n° 18

Présidence
de Mme Véronique Louwagie,
Présidente

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Florian Poirier, responsable du pôle « collectivités locales », et de Mme Audrey Duquenne, chargée de mission « partenariats », de la Fédération des entreprises publiques locales

Mme la présidente Véronique Louwagie. Madame, monsieur, bienvenue.

La Fédération des entreprises publiques locales représente des sociétés d’économie mixte (SEM) et des sociétés publiques locales (SPL), autant d’acteurs de terrains liés aux collectivités locales. Vous avez souhaité être entendus par la Mission d’information parce que la Banque publique d’investissement est l’un de vos interlocuteurs, les entreprises publiques locales (EPL) étant éligibles à ses financements. Votre président, M. Jacques Chiron, siège d’ailleurs au conseil national d’orientation de la BPI.

M. Florian Poirier, responsable du pôle « collectivités locales » de la Fédération des entreprises publiques locales. Les entreprises publiques locales sont toutes des sociétés anonymes, certes un peu particulières puisqu’elles sont créées à l’initiative des collectivités locales pour gérer des missions d’intérêt général. Aujourd’hui, les EPL, ce sont environ 1 000 SEM – des entreprises dont le capital est pour partie public et pour partie privé ; ce sont également environ 200 sociétés publiques locales, créées – depuis leur naissance en mai 2010 – exclusivement par des collectivités locales dans un souci de mutualisation et de coopération. Demain, nous aurons également des SEM à opération unique, créées par la loi du 1er juillet 2014 : les premiers projets sont en cours d’instruction. Je profite de cette occasion pour vous remercier, madame la présidente, de votre signature apposée à cette proposition de loi, déposée dans les deux chambres en termes identiques.

Notre fédération rassemble ces quelque 1 200 entreprises publiques locales. Nous proposons à nos adhérents une gamme de services – services juridiques, information, formation… Nous informons également les collectivités locales et les élus des opportunités offertes par les EPL, et nous les accompagnons dans la réalisation de leurs projets.

Les EPL représentent aujourd’hui 74 000 emplois et plus de 12 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. Elles empruntent chaque année plus de 6 milliards d’euros auprès des différentes institutions financières. Un quart d’entre elles exercent leur activité dans le domaine de l’aménagement du territoire, un autre quart dans le secteur du logement. Les autres interviennent dans les secteurs du développement économique, de la production d’énergie renouvelable, de réseaux de mobilité ou d’eau, de la construction, gestion et réhabilitation d’équipements touristiques… Elles investissent donc parfois dans le cadre de contrats passés avec des collectivités locales, parfois – notamment dans le cas des SEM – dans le cadre d’investissements consentis pour elles-mêmes. À ces 1 200 entreprises, il faudrait d’ailleurs ajouter 550 filiales de SEM, qui ont elles-mêmes vocation à réaliser des projets peut-être plus risqués, mais toujours dans l’intérêt général.

Ce mouvement se développe aujourd’hui : soixante nouvelles EPL sont créées en France chaque année, à l’initiative principalement du bloc communal et intercommunal, et notamment dans les secteurs de l’énergie, du tourisme et du développement économique. Nous voyons aussi la création de SEM de production d’énergie, souvent à l’initiative des syndicats départementaux d’énergie, par exemple dans la Vienne, la Loire, les Landes… Nous connaissons également un développement des SEM patrimoniales, qui visent à développer des bâtiments destinés aux entreprises, afin d’accompagner la croissance de l’activité économique du territoire concerné.

Les EPL vont donc bien, et cela entraîne des besoins de financement. Nous avons bien sûr dû nous adapter à la conjoncture ; le retrait de Dexia en particulier nous a obligés à changer nos pratiques. La Banque postale intervient maintenant sur le marché des EPL, et la Caisse des dépôts dispose d’une enveloppe spécifique pour le très long terme. Enfin, la BPI est arrivée dans le paysage, créant beaucoup d’espoirs et d’attentes chez nos adhérents.

Notre fédération entretient d’abord avec la BPI des relations institutionnelles. Le président de la Fédération des entreprises locales, Jacques Chiron siège au conseil national d’orientation de la BPI. Nous voulons surtout mettre en avant l’éligibilité de principe des EPL aux produits de la BPI, éligibilité prévue par la loi mais dont nous regrettons qu’elle soit peu mise en pratique : très peu de dispositifs sont aujourd’hui ouverts aux EPL, car beaucoup sont réservés aux entreprises qui sont des PME au sens de la Commission européenne. Or les EPL n’entrent pas dans cette définition. Nous y reviendrons.

Depuis la création de Bpifrance en 2013, nous essayons d’obtenir des précisions sur la doctrine d’investissement mise en œuvre. Un travail en commun a eu lieu mais n’a pas été très concluant, puisque Bpifrance ne nous a pas expliqué clairement quelle est sa doctrine d’investissement pour le cas des SEM ou des SPL. La représentation nationale s’est pourtant mobilisée pour obtenir des réponses : le sénateur Thierry Foucaud a interrogé Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, lorsque celui-ci a été entendu par la Commission des finances du Sénat ; le député Jean-Marie Sermier en a fait de même, ainsi que le sénateur Jean-Léonce Dupont, ancien président de la Fédération des EPL. Aucune réponse claire n’a été formulée, ce qui constitue pour nous une vraie difficulté et une réelle source d’insatisfaction.

Au-delà de ces relations institutionnelles, notre principale préoccupation est la relation opérationnelle entre les EPL et Bpifrance. Je commence par préciser qu’il existait des relations anciennes entre Oséo et les SEM – beaucoup de SEM patrimoniales, notamment, ont bénéficié de prêts d’Oséo, par exemple dans la Vienne ou dans l’Yonne. Or, en particulier dans ce domaine de l’immobilier et du foncier, nous constatons aujourd’hui que les relations sont de plus en plus compliquées. Des entreprises publiques locales qui bénéficiaient de prêts d’Oséo n’arrivent plus à bénéficier des dispositifs similaires de Bpifrance – je pense par exemple à la SEM Yonne équipement. Il faut le redire, les SEM sont éligibles, en particulier aux prêts de moyen ou long terme. Sur le terrain, une ambiguïté semble pourtant exister.

Toujours dans le domaine de l’immobilier et du foncier, certaines EPL qui, à notre sens, pourraient profiter des dispositifs de Bpifrance, s’en sont vues refuser le bénéfice. Je pense par exemple au groupe d’entreprises publiques locales d’aménagement de l’agglomération dijonnaise, composé d’une SEM et d’une SPL, et qui a sollicité Bpifrance ces derniers mois sans obtenir de réponse positive. Cette aide paraîtrait pourtant très légitime : cette SEM envisage de racheter le bâtiment d’une entreprise qui connaît des difficultés financières, pour le lui louer, et permettre ainsi à celle-ci de continuer son activité sur le territoire de l’agglomération dijonnaise. Bpifrance n’a pas souhaité donner suite à ce projet, ce qui constitue pour nous une source d’étonnement.

Nous souhaitons donc une clarification de la doctrine de Bpifrance sur ce volet immobilier et foncier ; nous souhaitons également, tout simplement, que soit rappelée l’éligibilité des EPL à ces différents dispositifs.

Je souhaite également évoquer le domaine de la production d’énergie, en vous donnant un exemple : la SEM de production d’énergie du département de la Vienne a bénéficié, en juin 2013, de deux prêts successifs de la BPI, de près de 17 millions d’euros, pour des projets de production d’énergie éolienne. C’est un élément positif, nous regrettons néanmoins que dans d’autres départements, d’autres entreprises qui exercent les mêmes activités se voient refuser des prêts du même type. Cela pose, vous le voyez, la question de la doctrine d’investissement : celle-ci devrait être homogène pour l’ensemble du territoire français.

Il faut également évoquer l’innovation. Bpifrance dispose de prêts spécifiques, mais ils sont limités aux PME qui répondent à la définition de la Commission européenne. Nous le regrettons, car nous disposons d’exemples d’EPL dont l’activité est remarquable. Je pense par exemple à la SEM Valagro, constituée à l’initiative du conseil régional de Poitou-Charentes, et dont la mission est de chercher à remplacer le carbone fossile par du carbone végétal dans les procédés industriels. C’est une entreprise qui fait de la recherche et dépose des brevets, puis met ceux-ci à disposition d’entreprises qui souhaiteraient les utiliser sur le territoire de la région, avec l’aide de celle-ci. Il s’agit donc bien d’innover et de contribuer à l’activité économique locale. Or cette entreprise ne peut pas bénéficier des dispositifs de Bpifrance pour l’innovation : nous nous en étonnons, et nous le regrettons.

De la même manière, je peux citer SUDE, filiale de la SEMIACS, à Nice. Cette entreprise développe des logiciels dans le domaine de la ville intelligente ; elle a reçu un prix au congrès des World Smart Cities à Barcelone en 2011, a créé un groupement d’intérêt économique (GIE) avec des homologues européens, dispose de brevets internationaux. Elle est donc évidemment innovante, mais n’a pas non plus pu avoir accès aux dispositifs de la BPI. C’est, là encore, un regret.

Il semble bien que ce soit la définition européenne des PME qui pose problème. Nous avons demandé aux équipes de la BPI de nous dire s’il s’agissait là de contraintes légales – afin d’essayer de notre côté d’apporter des réponses d’ordre juridique – ou d’éléments de doctrine. Je souligne que les EPL peuvent en principe accéder aux prêts de moyen ou long terme : pour ceux-ci, il n’y a pas de limitation. Tout cela est donc très flou, ce qui est pour nous source de préoccupation : la Fédération des entreprises publiques locales ne peut pas communiquer en direction de ses adhérents, ne sachant pas s’ils sont, ou pas, éligibles aux différents dispositifs.

Aujourd’hui, seules 2 % des entreprises publiques locales françaises bénéficient d’un prêt de la BPI. Ce chiffre nous semble faible, et en tout cas bien faible par rapport à ce que nous avions cru comprendre lors de la création de Bpifrance.

Enfin, j’ajouterai que nos entreprises ont de plus en plus de mal à obtenir des garanties. Les banques ont en effet accru leurs exigences. Il nous semblait, en 2013, intéressant d’envisager que les EPL puissent bénéficier des dispositifs de garantie. Sur ce point non plus, la BPI ne nous a pas apporté de réponse.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Les situations semblent différer beaucoup d’une région à l’autre. Est-ce pour vous lié à des situations politiques locales et aux relations locales entre Bpifrance et les régions ? Votre président siège au comité national d’orientation. Vous semblerait-il intéressant de disposer également de représentants dans les comités régionaux ?

Que vous a répondu Bpifrance sur la distinction entre doctrine d’investissement et contraintes légales ?

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur. J’espère que la publicité de cette audition aura permis que votre message soit entendu !

S’agissant de la doctrine, vos questions restent, dites-vous, sans réponse, ce qui est inquiétant. Pourquoi cette absence de réponse, malgré votre participation au conseil national d’orientation ?

Vous évoquez également la question des garanties ; au-delà des difficultés que vous avez constatées, les coûts sont-ils importants, et constituent-ils un problème ? C’est un sujet qui est apparu au cours de nos auditions.

M. Florian Poirier. Notre fédération ne ressent pas de lien entre les difficultés que nous connaissons et les différences politiques régionales. Le flou que je regrettais concerne l’ensemble du territoire ; le problème tient vraiment, selon nous, à une incertitude de la doctrine de la BPI. J’imagine d’ailleurs que les équipes de Bpifrance, dont certaines venaient d’Oséo, ont été un peu déstabilisées par le changement subit que nous avons constaté : hier, ils répondaient positivement, aujourd’hui, ils ne le peuvent manifestement plus.

Les EPL sont, c’est vrai, des entreprises qu’il faut traiter de façon un peu particulière. Mais nous avons tous intérêts à construire ensemble cette approche, et nous souhaitons pour notre part apporter notre pierre à cet édifice.

S’agissant du conseil national d’orientation, notre président ne s’y est pas senti décisionnaire. Le sentiment de la Fédération aujourd’hui est que ce conseil ne joue pas son rôle d’orientation, et qu’il se contente plutôt d’avaliser des décisions prises ailleurs. Notre participation aux instances régionales aurait évidemment un sens, mais nous ressentons avant tout le besoin, au préalable, d’une clarification nationale.

S’agissant des garanties, nos adhérents ne bénéficient pas de celles de la BPI. À ma connaissance, ils ne rencontrent pas particulièrement de problèmes de coût. Il est vrai que les EPL ont la particularité de pouvoir aisément bénéficier de garanties de collectivités locales, en tout cas dans les limites prévues par la loi Galland. Notre problème réside plutôt dans la possibilité de bénéficier de toute la richesse des produits de la BPI. Ceux-ci sont en effet très divers et adaptés à des situations très particulières, dont certaines que nous connaissons fréquemment – je pense à l’innovation, mais aussi aux investissements numériques.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Vous regrettez manifestement de ne pouvoir travailler plus étroitement avec Bpifrance. Pourquoi la préférez-vous à d’autres partenaires financiers, comme par exemple la Caisse des dépôts et consignations ?

M. Florian Poirier. Les EPL entretiennent bien des relations avec la Caisse des dépôts, mais celle-ci prête plutôt à très long terme. Elle ne répond donc qu’à une partie des questions qui se posent, et son action est complémentaire de celle de Bpifrance.

Nous travaillons avec l’ensemble des institutions financières des différentes places bancaires, et au niveau local, les choses se passent généralement bien. Nous constatons néanmoins de véritables difficultés à obtenir des prêts bancaires, soit parce que les volumes de prêts proposés sont insuffisants – ce qui oblige à impliquer plusieurs opérateurs – soit parce que les contreparties bancaires sont trop fortes. Vous n’ignorez pas en effet que la modification des ratios prudentiels a entraîné un renforcement des demandes de contreparties.

Bpifrance a donc un vrai rôle à jouer pour financer des projets dont je souligne à nouveau qu’ils sont très concrets. L’avenir d’entreprises est en jeu, comme le montrait l’exemple dijonnais que j’ai donné plus haut ; je peux prendre ici un autre exemple, celui de l’entreprise Recytherm du village de Brienon qui, si aucune solution pour racheter son patrimoine immobilier n’est trouvée, quittera ce village. Notre mission est de contribuer efficacement à l’activité économique, mais sur des projets souvent plus réduits que ceux financés par la Caisse des dépôts. Nous avons besoin d’interventions certes ponctuelles, souvent modestes, mais indispensables pour que les EPL jouent leur rôle d’accompagnement du développement des entreprises.

L’activité des EPL profite aux PME, et cela implique une grande réactivité. Nous pensons que le soutien de la BPI nous serait utile.

Mme Audrey Duquenne, chargée de mission « partenariats » de la Fédération des entreprises publiques locales. Je voudrais souligner que les EPL sont bien des entreprises, et pour la plupart des PME. En effet, 94 % des EPL emploient moins de 250 salariés, et ont un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros. Un quart d’entre elles répondent même à la définition de la très petite entreprise – au plus dix salariés, et un chiffre d’affaires inférieur à 2 millions d’euros.

Seules 2 % des EPL, cela a été dit, bénéficient pourtant des dispositifs de la BPI. Nous sommes en effet très souvent renvoyés au fait que les EPL ne répondent pas à la définition des PME donnée par la Commission européenne dans sa recommandation 2003/361/CE, d’après laquelle une entreprise dont le capital est public à plus de 25 % ne peut être considérée comme une PME. Une telle définition exclut complètement les EPL, puisque même le capital des SEM à opération unique sera toujours public à hauteur d’un tiers au moins. Cette recommandation n’est pourtant pas contraignante, et la référence systématique à cette définition européenne ne nous paraît pas justifiée.

M. le rapporteur. S’agissant d’investissement, quelle est votre position sur l’intérêt de l’intervention de la BPI pour les entreprises que vous représentez ?

M. Florian Poirier. L’investissement en fonds propres n’est pas notre demande prioritaire : aujourd’hui, nous trouvons des opérateurs qui acceptent d’investir à long terme – je pense notamment à la Caisse des dépôts, qui joue ici pleinement son rôle. L’intervention de Bpifrance comme investisseur pourrait être intéressante dans des cas très particuliers, par exemple lorsque des SEM créent des filiales pour investir et développer des projets très spécifiques dans des domaines précis, par exemple l’innovation. Les SEM patrimoniales pourraient également être concernées, car si la Caisse des dépôts comme les établissements bancaires jouent pleinement leur rôle, les fonds propres nécessaires sont extrêmement importants – ainsi, la SEM patrimoniale du Territoire de Belfort est aujourd’hui capitalisée à 30 millions d’euros. Une intervention de Bpifrance pourrait donc être utile, sans que cela nous apparaisse comme une priorité forte.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Je vous remercie.