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Mission d’information commune sur la banque publique d’investissement, Bpifrance

Jeudi 9 avril 2015

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 20

Présidence
de Mme Véronique Louwagie,
Présidente

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Gaspard Koenig, président de Génération libre, M. Sébastien Laye, entrepreneur et Mme Delphine Granier, analyste

Mme la présidente Véronique Louwagie. Nous accueillons maintenant M. Gaspard Koenig, président de Génération libre, M. Sébastien Laye, entrepreneur, et Mme Delphine Granier, analyste.

Le think-tank Génération libre a publié en juillet 2014 une analyse très critique du rôle confié à la Banque publique d’investissement (BPI) et de son action, qui s’intitulait de façon très parlante : Bureaucratie, Protectionnisme, Inefficacité : Pour en finir avec l’interventionnisme public débridé, rapport auquel d’ailleurs la banque publique a répondu.

Depuis cette date, vous avez mis en place un observatoire Bpiwatch qui suit l’actualité des investissements de la BPI. Je propose de vous laisser la parole sans plus tarder pour que vous nous fassiez part de vos analyses les plus récentes sur ces questions.

M. Gaspard Koenig, président de Génération libre. Nous sommes très honorés que vous preniez le temps de nous recevoir. Je vous présenterai les motivations qui ont inspiré ce rapport, avant que Sébastien Laye vous présente le détail technique de nos analyses concernant l’activité de la BPI et nos recommandations.

Génération libre est un think-tank qui défend le libéralisme français classique. La BPI s’est logiquement imposée à nous comme un objet de réflexion. L’institution vise-t-elle à pallier prudemment les carences de marché ou produit-elle au contraire des effets de long terme dommageables sur l’économie française ?

Le président de la République a déclaré en janvier, devant les représentants de la BPI : « En deux ans, vous avez construit une banque presque unique en Europe, qui a assuré une bonne part du financement des entreprises de notre pays. Ce bilan est impressionnant, car la BPI a augmenté de 30 % le volume de ses prêts ». À nos yeux, c’est précisément cet interventionnisme qui pose problème, tout comme l’impression que nous avons qu’elle aurait pour objectif de financer le plus possible les entreprises.

Lorsque Nicolas Dufourcq, directeur général de la BPI, déclare dans des conférences qu’il est un banker for entrepreneurs et que sa mission est de faire du bon business, il nomme justement ce qu’il ne doit pas être ou ne doit pas faire. Car l’État doit aller là où des problèmes de financement se posent, pour prendre les risques qui ne peuvent être assumés par le secteur privé. Des investisseurs et des entrepreneurs ont réagi à la publication de notre rapport, sous le couvert de l’anonymat, la BPI pouvant exercer des pressions dans le milieu des affaires. Leurs réactions nous ont donné l’idée de créer l’observatoire BPIWatch. Ces investisseurs nous ont dit avoir été chassés de certains marchés du fait de l’intervention de la BPI, qui prêtent à des taux ou à des conditions plus avantageuses que les leurs.

En outre, si la BPI n’est pas première au tour de table des investisseurs, les acteurs privés prennent peur et ne se risquent plus à investir dans un projet, la BPI apportant pour ainsi dire une garantie parapublique. D’autres entrepreneurs ont témoigné de ce que, levant du capital auprès de fonds de private equity, ils vont vu la BPI forcer la porte de leurs projets d’investissement en prenant l’ascendant grâce aux conditions avantageuses qu’elle peut offrir. Ces exemples peuvent paraître anecdotiques et devraient être quantifiés ; ils n’en sont pas moins révélateurs, comme notre rapport s’efforce de le montrer.

La question de la BPI est au cœur du modèle français et renvoie à des débats vieux de plus de deux siècles : faut-il encourager les acteurs privés ou leur préférer des institutions publiques ? Ainsi, en 1770, sur le sujet épineux du commerce des grains, Turgot critiquait, dans l'une de ses lettres à l'abbé Terray, l'extravagance qu'il y aurait à créer une compagnie publique en charge des grains, qui ne servirait qu'à produire, par les moyens les plus compliqués, les plus dispendieux, les plus susceptibles d'abus de toute espèce, les plus exposés à manquer tout à coup, précisément ce que le commerce laissé à lui-même doit faire infailliblement à infiniment moins de frais et sans aucun danger.

Remplacez grain par capital-risque et vous aurez une description à peu près exacte de l'activité de la BPI. Il y a certes un problème de financement du capital risque en France. Selon une étude récente d’Ernst & Young, ce marché s’est contracté en France de 8 % en 2014, alors qu’il augmente dans d’autres pays. Mais, s’il faut trouver une solution à ce problème, c’est en amont, dans le domaine de la réglementation et de la taxation, plutôt qu’en aval.

L’on connaît pourtant la conception explicitement à l’origine de la BPI. Dans son livre La Bataille du made in France, son père fondateur Arnaud Montebourg explique qu’il entendait lutter contre le modèle libéral financier – entendez : le secteur privé. « Lentement, sûrement », écrit-il, « l'État redevient le grand frère associé des entrepreneurs ». C’est bien notre crainte !

La BPI est très présente dans le paysage du private equity français, en participant à un financement de fonds propres sur dix. Cette proportion pourrait monter à 30 % ou 50 % s’agissant des PME. Pendant ce temps, Nicolas Dufourcq s’aventure à dire qu'il y a trop de fonds de capital-risque en France ... Sébastien Laye vous exposera les problèmes concrets qui se sont posés depuis la naissance de la BPI. Selon nous, la BPI crée des effets de distorsion de marché et d’éviction du secteur privé, qu’une banque publique responsable et raisonnable devrait éviter.

À la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD des comités évaluent chaque projet pour apprécier s’ils détruisent ou pas d’activité privée et s’il est légitime d’investir. Même si tout n’est pas parfait à la BERD, force est de constater que de tels garde-fous n’existent pas à la BPI. J’ai été frappé de voir qu’elle fait sa publicité, sur le quai de l’Eurostar, par une affiche qui annonce : Entrepreneurs, venez à nous. La BPI va ainsi jusqu’à faire sa promotion alors qu’elle ne devrait intervenir qu’en dernier recours.

M. Sébastien Laye, entrepreneur. Je m’exprimerai à un double titre, comme membre de Génération libre, mais aussi comme entrepreneur. Notre think-tank a conduit sous trois formes, des travaux sur la BPI. D’abord, il a publié le rapport de juillet 2014 que le magazine Challenges a couvert ; la BPI a réagi à cette parution, ou plutôt au résumé qui en était donné dans cet organe de presse. Ensuite, nous avons mis en place un observatoire de la BPI qui, depuis dix mois, analyse cas par cas ses décisions d’investissement ; il s’est penché sur le soutien apporté à Viadeo ou sur les pertes de capital constatées sur certaines lignes dans le portefeuille d’investissement de la BPI. Enfin, Génération libre a conduit récemment une comparaison entre la BPI et la BERD.

Le rapport de juillet 2014 est le fruit d’un travail engagé en janvier de la même année. La première partie est consacrée à BPI Investissement. Dans la deuxième partie, nous saluons le recadrage opéré grâce à la création de la BPI, mais déplorons des failles dans la gouvernance et les structures, pouvant faire naître des conflits d’intérêts. Nous ne reviendrons pas sur chacun d’eux, mais nous efforcerons de montrer que, parce que les règles actuelles sont défaillantes, une latitude trop grande est laissée aux hauts fonctionnaires au détriment des hommes politiques, qu’ils appartiennent à l’exécutif ou qu’ils soient parlementaires. Des dérives ont ainsi pu être constatées et d’autres le seront encore sans nul doute à l’avenir. La troisième partie formule des propositions de recadrage des missions de la BPI.

Je souligne que la décision de créer le Fonds stratégique d’investissement (FSI) avait été prise sous la législature précédente. Il s’agissait de s’inspirer du modèle des fonds souverains qatari ou norvégien. Nous avons depuis longtemps jugé cette idée irréaliste. Notre pays ne dispose pas d’une manne pétrolière ou d’excédent budgétaire à réinvestir, bien au contraire. Peut-être l’existence du FSI se justifiait-elle en 2009, mais il faudrait sans doute réévaluer la situation aujourd’hui pour mieux encadrer ses activités. S’il peut être légitime de défendre des intérêts industriels stratégiques, il est permis de douter que des opérations de financement de Daily motion entrent dans cette catégorie, plutôt que des investissements dans Alstom. Mais, comme il n’existe pas de définition législative du secteur stratégique, une large latitude est laissée aux responsables de la BPI.

L’ex-FSI a donné naissance à BPI Investissement, dont les participations sont diluées dans l’actif global de la BPI. La fusion n’a entraîné tout au plus qu’une liquidation de quelques lignes comptables, tandis que des investissements nouveaux étaient réalisés dans Naturex ou CMA-CGM (Compagnie maritime d’affrètement – Compagnie générale maritime). Nous sommes donc en présence d’une sorte particulière de jardin à la française, d’une mégastructure qui coiffe l’empilement des entités existantes, sans que des choix aient été opérés ni que soit posée la question du retour sur investissement.

Nous saluons la volonté politique d’aider les petites et moyennes entreprises plutôt que les grandes. Mais la BPI a continué en pratique de s’impliquer dans des entreprises comme Vallourec ou Eramet. La loi de décembre 2012 lui donne en effet un mandat trop vague, laissant l’institution s’engouffrer dans tout le champ des investissements. Institution unique au monde, à défaut d’être sans précédent dans l’histoire de France, elle pratique à la fois la participation aux fonds propres, le prêt direct, la garantie de prêts, l’investissement dans des fonds et même le soutien à l’export, par une récupération des tâches de la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur (COFACE). Nulle part ailleurs vous ne trouverez d’entité couvrant un champ de compétences aussi large, qu’il s’agisse de fonds souverains ou de banques publiques.

Se pose alors la question des conflits d’intérêt, qui naissent d’eux-mêmes lorsqu’une même entité est à la fois actionnaire d’une entreprise, prêteuse à cette entreprise et encore partie à des fonds minoritaires dans le capital de cette entreprise. En cas de difficultés financières ou de faillite de l’entreprise financée, quel intérêt doit primer, entre celui de l’actionnaire, du créancier ou du fonds qui investit ? Il s’agit d’un problème de gouvernance.

La loi du 31 décembre 2012 donne une liste des missions qui ressemble à un inventaire à la Prévert : « La Banque publique d'investissement favorise l'innovation, l'amorçage, le développement, l'internationalisation, la mutation et la transmission des entreprises, en contribuant à leur financement en prêts et en fonds propres. Elle oriente son action vers les très petites entreprises, les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire, en particulier celles du secteur industriel. Elle accompagne la politique industrielle nationale. Elle participe au développement des secteurs d'avenir, de la conversion numérique et de l'économie sociale et solidaire. Elle apporte son soutien à la mise en œuvre de la transition écologique et énergétique. Elle favorise une mobilisation de l'ensemble du système bancaire sur les projets qu'elle soutient. » La BPI n’a en fait aucun mandat précis.

Le rapport s’étend ensuite sur le problème de la gouvernance, le manque d’encadrement par les autorités politiques et la trop grande latitude laissée aux équipes de Nicolas Dufourcq. Dans une troisième partie, nous recommandons enfin la création d’une commission qui pourrait réfléchir à une modification de la loi portant création de la BPI, et nous proposons notre propre liste de missions pour la BPI.

Selon nous, elle n’a pas sa place au capital des entreprises. Mieux vaut qu’elle finance l’innovation de long terme dans le domaine de la recherche, des biotechnologies, des nanotechnologies, de la recherche médicale et de la transition énergétique. Peut-être conviendrait-il de réfléchir à la manière dont ces investissements pourraient s’articuler avec les programmes d’investissement d’avenir (PIA) et avec le plan Juncker au niveau européen, même s’ils devraient être spécifiquement concentrés sur le financement de l’innovation de long terme, et non sur des grands projets d’infrastructures.

À la BERD, non seulement des comités de crédit rigoureux se prononcent sur les décisions de financement, mais des comités d’évaluation économique examinent d’abord en amont de toute intervention si le secteur privé n’offre pas lui-même ce type de financement. Car la BERD n’intervient que s’il n’est pas présent et qu’il n’est pas à même d’assurer ce financement de long terme. A contrario, la BPI intervient à l’heure actuelle, sa doctrine ayant évolué, lorsque le secteur privé est déjà présent, puisqu’elle réalise des co-investissements avec des fonds. Elle se repose même sur les équipes de ces fonds pour l’analyse des projets (due diligence). Elle n’a pas de véritable philosophie d’investissement, mais une simple doctrine d’intervention qui se résume à un document interne dépourvu de valeur juridique. Une révision de la loi pourrait fournir l’occasion de définir une philosophie d’investissement qui permette un meilleur encadrement.

À notre sens, la BPI pourrait, plutôt que d’accorder directement des prêts, jouer un rôle de multiplicateur de crédits dans l’économie française, comme le fait en Allemagne le KfW (Kreditanstalt für Wiederaufbau), qui consacre 90 % de son activité à refinancer les institutions de crédit local. La BPI aiderait par exemple les branches de la Banque populaire à financer le logement social ou des opérations se rattachant à la transition énergétique. Grâce à sa surface financière, l’État viendrait ainsi en aide aux acteurs du crédit, mais sans prendre directement de décisions de prêt ou d’octroi de crédits.

Ainsi, nous ne préconisons pas la disparition de la BPI, mais sa réorientation suivant des choix clairs qui lui confieraient un rôle de multiplicateur de crédits et de financement de l’innovation. Quant à reprendre la vieille antienne de la banque publique présente au capital des entreprises, cela nous ramène au temps du Crédit lyonnais et de ses errances.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Je vous remercie. BPI France avait publié dans le journal Challenges un droit de réponse à votre publication. Pourriez-vous nous faire part de votre propre réaction à cette réponse ?

Le capital de BPI France se partage par moitié entre la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et l’État. Pensez-vous que cette répartition du capital, avec la gouvernance qu’elle implique, est l’une des causes des dérives que vous déplorez ?

Un article du 24 mars 2015 de Génération Libre a constaté que le capital-risque a baissé de 8 % en 2014 par rapport à 2013 et vous avez pointé du doigt l’inefficacité de BPI France dans ce domaine. Que recommanderiez-vous pour améliorer l’activité du capital-risque ?

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur. Admettez-vous qu’il existe des failles de marché et, si oui, lesquelles ? D’une manière générale, à partir de quand l’État peut-il selon vous intervenir ?

Je serais heureux que vous nous donniez des exemples de conflits d’intérêts. Pensiez-vous aux situations où la BPI participe à la fois au capital des donneurs d’ordre et à celui des sous-traitants d’un même projet ?

Que proposez-vous pour améliorer la gouvernance de BPI France ? Vous évoquez un risque de politisation : comment peut-on y remédier ?

Enfin, croyez-vous à un effet de levier du financement de la BPI si l’encadrement était plus strict ? Recommanderiez-vous l’abandon de sa doctrine de cofinancement ?

M. Éric Alauzet. Je retire de votre intervention liminaire, monsieur Koenig, que vous reprochez à BPI France de livrer une concurrence déloyale aux autres institutions de crédit. Faut-il considérer que son activité est nuisible à la société en général, aux autres acteurs, à la logique de développement ? Pourriez-nous vous nous préciser en quoi et quels sont exactement les effets négatifs ?

Alors que les conflits d’intérêts découlent d’une détention de capital conjointe avec une activité de prêt, vous paraissez soutenir que les fonds seraient mieux utilisés s’ils n’étaient pas stérilisés au capital de certaines sociétés qui n’auraient pas besoin de la présence de la BPI. Comment pourraient-ils être employés en pratique dans les secteurs d’avenir, comme la recherche, et dans le domaine de l’innovation ?

M. Gaspard Koenig. Oui, monsieur le député, nous considérons que la BPI se livre à une concurrence déloyale. Elle finance des activités de private equity avec des moyens publics, évinçant ainsi des concurrents privés. Un propriétaire de start-up dans le secteur numérique, dépourvue de tout lien avec l’innovation ou avec les nanotechnologies, s’est trouvé, levant des fonds pour son développement, devoir de signer avec la BPI un protocole de financement, car celle-ci est devenue un acteur incontournable, offrant des conditions si avantageuses que les intérêts de son entreprise lui dictent pour ainsi dire ce choix. Il n’ose donc plus s’exprimer publiquement au sujet de la BPI, sur les activités de laquelle règne ainsi une forme d’omerta.

M. Éric Alauzet. Permettez-moi de vous demander, comme législateur en charge de l’intérêt général, si vous admettez défendre des intérêts particuliers ?

M. Gaspard Koenig. Aucunement. Notre think-tank est financé de manière indépendante – et minimale – par des personnes qui n’ont rien à voir avec la BPI et avec ses activités. Nous nous intéressons à beaucoup d’autres thèmes, comme la liberté d’expression, la Caisse des dépôts et consignations ou encore le revenu universel. La voix que nous portons est une voix peu portée et peu entendue. Un certain consensus politique existe sur la BPI. Un rapport en opposition aussi frontale à l’opinion dominante n’aurait pu être publié par un autre think-tank, car les autres fondations sont financées de manière différente. Mais je reconnais que nous tirons nos arguments au maximum pour clarifier notre voix. Dans la suite de la discussion, nous sommes conscients du besoin de nuancer et nous avons formulé des propositions concrètes.

M. Sébastien Laye. Quant au droit de réponse exercé par la BPI, madame la présidente, je dirais que c’est manquer de respect aux autorités politiques que de prétendre que « les présidents de région ne décident d’aucun financement particulier ». Ces derniers veulent, comme il est légitime, attirer des investissements dans leur région. Qui se connecte sur le site de la région Bourgogne y lira ainsi que la région mobilisera très prochainement BPI afin de mettre en place de nouveaux outils d’investissement en Bourgogne. Il y a donc bel et bien une co-gouvernance avec les autorités politiques. Nous déplorons même qu’elles ne contrôlent pas plus étroitement le travail des hauts fonctionnaires.

Aussi Nicolas Dufourcq a-t-il tort, quand il répond au magazine Challenges, de se présenter comme le gérant d’un fonds classique, dénué de dimension politique, tels Blackstone ou BlackRock. S’il a déclaré que « les lignes de l’ancien FSI ne sont pas de si mauvais investissements pour le patrimoine des Français puisque les cessions ont rapporté en 2013 quatre cents millions d’euros de plus-value », force est de constater qu’un milliard d’euros ont été perdus depuis cette date dans Eramet, CGC, Vallourec ou encore Technip.

L’État doit-il vraiment être un gérant de hedge fund pour générer des plus-values ? Je ne le crois pas ; ce n’est d’ailleurs pas la fin poursuivie par l’établissement du FSI puis de la BPI. Nous avons formulé quelques propositions à périmètre et à budget constant pour l’État. Nous suggérons qu’il opère une sélection dans ses 6 milliards d’euros de participations cotées. Qu’il possède 26 % ou 15 % d’Eramet ne change pas grand-chose pour lui, mais les fonds ainsi dégagés, aux environs de trois ou quatre milliards d’euros, pourraient être mobilisés pour d’autres projets.

Nicolas Dufourcq se défend de ce que l’action de Bpifrance au service de l’innovation et des start-ups relèverait de la seule communication, en soulignant que la France se hisse au premier semestre 2014 au deuxième rang en Europe dans le domaine du capital-risque. Malheureusement, le capital-innovation a diminué en France de 8 % sur l’ensemble de l’année 2014, contrairement à ce qu’il annonçait. Faut-il considérer que la BPI comble dès lors un vide énorme ou, au contraire, qu’elle évince encore les entrepreneurs et les sociétés de capital-risque ? En d’autres termes, la situation serait-elle pire sans la BPI ou décourage-t-elle en réalité l’initiative privée dans le domaine du financement de l’innovation ?

Il nous est également reproché de ne pas faire de présentation ex ante à la BPI des analyses de notre observatoire BPIWatch. En réalité, ils ont été informés, puisque nous avions rencontré M. Antoine Boulay, directeur des relations institutionnelles de la BPI.

M. Gaspard Koenig. Nous sommes en effet en contact régulier avec le département de communication de la BPI et nous nous sommes engagés auprès d’eux à transmettre vingt-quatre heures avant leur publication nos analyses des investissements de la BPI, de façon à laisser à l’institution la possibilité de signaler des erreurs matérielles que nous nous faisons alors un devoir de rectifier.

M. Sébastien Laye. Pour reprendre sur la revue critique des activités de la BPI et les besoins réels des entreprises en France, je dirais qu’en matière d’export, aucun problème particulier n’est à signaler. Au contraire, la COFACE fait un travail admirable et mérite de n’être pas déshabillée de ses compétences au profit de la BPI. En matière d’amorçage, des problèmes existent, mais je ne saurais dire si la BPI est vraiment la mieux armée pour les résoudre, car il s’agit surtout de mieux flécher et de mieux orienter l’épargne des ménages français. La BPI s’est en revanche saisie à juste titre de la question de l’affacturage. Les délais de paiement des clients posent en effet des problèmes aux entreprises, y compris quand ces clients sont les pouvoirs publics. La Banque postale a d’ailleurs lancé une initiative concernant les créances de ce client particulier qu’est l’État.

Quant au financement des entreprises en France, les règles de Solvabilité II ont, depuis la crise, imposé aux banquiers et aux assureurs des limites qui ne les incitent pas à investir dans des secteurs risqués. La fiscalité a elle aussi évolué depuis trois ans, celle du capital étant alignée sur celle du travail, tandis que les gains sur le capital étaient davantage taxés. Il y aurait une réflexion à conduire sur l’articulation entre ces règles et les besoins des entreprises, d’autant qu’avec la création de la BPI, l’État paraît maintenant donner tout à coup d’une main ce qu’il avait pris de l’autre.

La partage paritaire entre la CDC et l’État dans la répartition du capital de la BPI est héritée du FSI. Si des participations aux fonds propres des entreprises sont vendues, la question de la présence de la CDC se posera naturellement. Mais il s’agit d’un point technique et, en l’état actuel, la participation de la CDC ne constitue pas à nos yeux un frein au développement de la BCI, sur le plan de la gouvernance.

Génération libre demande que les autorités politiques, tant les membres de l’exécutif que les parlementaires, se saisissent de la question de la BPI. Une commission composée de parlementaires et d’experts indépendants pourrait réfléchir à une modification de la loi portant création de la BPI et définir de manière claire les missions qu’elle lui assigne. Le pouvoir politique n’ayant pas jusqu’à présent donné ces indications, la BPI a pu jouer beaucoup de rôles différents, faisant naître le risque de conflits d’intérêts. Son directeur général a pu ainsi étendre l’emprise de ses activités.

Il convient désormais d’en définir et d’en circonscrire les missions. En outre, il faudrait définir une philosophie d’investissement et instituer à la BPI des comités de crédit rigoureux tels que ceux de la BERD. Dans cette dernière, des comités d’économistes et d’investisseurs se prononcent en outre systématiquement, au-delà d’un certain montant d’investissement, sur la carence de l’offre privée et sur l’opportunité corollaire d’une intervention financée par des moyens publics. Leurs appréciations sont au demeurant accessibles aux citoyens.

M. Gaspard Koenig. J’ajoute qu’ils jouissent, au sein de la banque, d’une complète indépendance institutionnelle.

M. Sébastien Laye. La question de la diffusion d’une information librement accessible et exploitable se pose. Génération libre avait imaginé un projet d’ouverture des données (open data). Dans le rapport annuel de la BPI, vous trouvez l’annonce de chiffres records, mais aucune information sur les critères d’investissement, leur masse, leur taux de rendement ou encore l’actif net. Toutes ces données figurent dans le rapport annuel du fonds souverain norvégien. Le législateur devrait imposer un minimum de reporting financier à la BPI.

La pratique du cofinancement s’est développée du fait de l’absence de mission précise assignée à la BPI. Si elle ne devait légalement intervenir que là où le secteur privé n’est pas présent, il n’y aurait jamais de cofinancement. Que ferait d’ailleurs la BPI si le secteur privé n’intervenait pas ? Elle se contente de se reposer sur les fonds privés pour l’analyse des projets d’investissement. Le meilleur moyen d’encourager le développement du capital-innovation serait plutôt de revisiter Bâle III, Solvency II et les dispositions fiscales.

M. Gaspard Koenig. Nous estimons que des travaux de recherche plus poussés seraient sans doute nécessaires sur les points que nous évoquons, mais nous sommes persuadés de soulever du moins les bonnes questions.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Vous estimez que le financement de l’export ne pose pas de problème, la COFACE répondant aux besoins des entreprises. Or Nicolas Dufourcq a précisément défini le financement de l’export comme priorité pour 2015. Qu’en pensez-vous ? Par ailleurs, votre observatoire des activités de la BPI a-t-il relevé des disparités entre les situations d’une région à l’autre ?

Enfin, comment se définit un comité de crédit plus rigoureux ? Jugez-vous que la BPI adopte aujourd’hui une approche trop financière et pas assez économique ?

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur. Vous mettez en balance les failles de marché rendant une intervention publique nécessaire et le risque d’éviction que cette intervention fait courir à l’égard des investisseurs privés. Dans ces circonstances, estimez-vous que le cofinancement est une bonne chose ou non ?

M. Éric Alauzet. Vous nous dites que l’argent serait mal utilisé, voire stérilisé, ou qu’il serait du moins mieux employé autrement. Comment peut-il être concrètement employé différemment ? Qui peut conduire des aventures plus prospectives, plus novatrices ? La BPI en est-elle capable ?

M. Sébastien Laye. Dans notre rapport, nous ne formulons pas de critique sur le soutien à l’export. Avec la faiblesse actuelle de l’euro, qui améliore mécaniquement la position des exportateurs de la zone euro, il s’agit d’un non-sujet. J’attends de voir ce que la BPI peut apporter dans ce domaine. L’idée de procéder à une simplification administrative et de créer un guichet unique, englobant donc aussi le soutien à l’export, était sans conteste une idée salutaire. Peut-être la BPI est-elle un bon cadre pour ce soutien.

J’attire cependant votre attention sur le fait que multiplier les activités et faire feu de tout bois, c’est courir le risque de tout faire mal. Il me paraît difficile de suivre à la fois toutes ces lignes d’investissement comme actionnaire, de prêter, de conseiller les entreprises et de les accompagner à l’export…

Quant aux comités de crédit, je souligne que la BPI se prononce aujourd’hui sur la base de critères qui ne sont pas connus. Qu’ils soient financiers ou d’autre nature, les citoyens doivent avoir accès à cette information. Or aujourd’hui, la direction de la communication institutionnelle nous signale seulement que la BPI n’est pas tenue de l’offrir. Nous ne prétendons pas définir ces critères d’avance, mais une discussion doit au moins s’engager sur eux avec les membres de l’exécutif et avec les parlementaires.

Le cofinancement est une réponse ad hoc et pragmatique à l’absence d’une philosophie d’investissement qui soit inscrite dans le marbre. Il procède d’une décision des dirigeants de la BPI, qui s’épargnent ainsi le soin de conduire leurs propres travaux d’investigation et de due diligence. Le choix qu’elle a fait va à l’opposé de celui de la BERD. Cette dernière investit seule là où le financement privé fait défaut, mais s’efface dès qu’il existe.

M. Gaspard Koenig. Nous devrons nous pencher à nouveau sur la question du refinancement. En soi, il ne constitue pas un problème, mais il peut faire naître aussi bien un effet d’éviction qu’un effet d’entraînement. Si je puis apporter cette précision, la BERD pratique d’ailleurs elle aussi le cofinancement.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Et quant aux éventuelles disparités régionales qu’aurait pu relever votre observatoire ?

M. Sébastien Laye. Nous n’en avons pas décelé, mais nous sommes plutôt intéressés à des cas nationaux.

M. Gaspard Koenig. Pour ce qui est d’une meilleure utilisation des fonds, je voudrais rappeler que des fonds sont eux-mêmes levés sur les marchés, c’est-à-dire empruntés, par la BPI. Le but d’une institution publique ne peut être de financer toujours plus. Au contraire, il doit être possible de dépenser moins ; cela ne doit pas constituer un sujet de préoccupation. Le refinancement étant chose facile aux banques publiques, qui jouissent de conditions de crédit très favorables par rapport aux autres banques, la masse de financement accordé ne saurait être ni une preuve de qualité, ni un critère pour juger du bien que la BPI peut faire à l’économie.

M. Sébastien Laye. Pour l’emploi des trois milliards qui seraient dégagés par la cession de certaines participations, je voudrais dire que le secteur privé assure déjà en France le financement des projets d’innovation tels que le covoiturage de type BlaBlaCar, la BPI n’intervenant que par surcroît. Mais l’innovation de rupture sur le long terme –un chercheur qui veut développer une molécule contre le cancer– peine quant à elle à être financée, car le secteur privé n’est pas présent sur ce segment de marché. Peut-être est-ce un domaine où la BPI devrait s’impliquer davantage.

M. Éric Alauzet. La BPI est-elle outillée pour cela ? Dispose-t-elle des équipes nécessaires ?

M. Sébastien Laye. À vrai dire non. Mais elle ne dispose pas plus d’équipes pour orienter ses investissements dans les fonds propres des entreprises.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Nous vous remercions, messieurs, de vos interventions.