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Mission d’information commune sur la banque publique d’investissement, Bpifrance

Mardi 7 juillet 2015

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 31

Présidence
de Mme Véronique Louwagie,
Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Nicolas Dufourcq, directeur général de la Banque publique d’investissement BPI-Groupe).

Mme la présidente Véronique Louwagie. Monsieur le directeur général, nous vous accueillons de nouveau, après vous avoir auditionné au début de nos travaux afin de faire le point avec vous au terme de nos auditions, notamment sur les points suivants :

– les déclarations récentes montrent que Bpifrance s’est donné en autres objectifs de soutenir la croissance durable, la politique industrielle, l’emploi, la compétitivité et de développer l’exportation. Ces objectifs ne sont-ils pas trop nombreux et trop ambitieux ? S’il fallait les réduire, lesquels retiendriez-vous en priorité ?

– Bpifrance doit à la fois faire des bénéfices, en bon gestionnaire des deniers publics, et prendre plus de risques que les banques privées, afin de combler les failles du marché. Ces deux objectifs ne sont-ils pas contradictoires ? Où faut-il placer le curseur ?

– le niveau de sinistralité retenu par Bpifrance n’est pas très élevé, comparé à celui d’autres organismes financiers. N’est-ce pas le signe que cet établissement ne répond pas suffisamment à la demande de certaines entreprises ?

M. Nicolas Dufourcq, directeur général de la Banque publique d’investissement BPI-Groupe. Dans le cadre de la préparation du plan stratégique, nous sommes en train de reformuler nos objectifs. Un séminaire stratégique, qui se tiendra le 24 juillet, réunira les membres du conseil d’administration de Bpifrance. Ces décisions ne seront cependant pas définitives. Après l’été, le conseil d’administration reviendra sur les aspects quantitatifs de ce plan à moyen terme.

En 2015, nous allons réaliser notre budget, qui prévoyait une croissance moins élevée qu’en 2014. Le montant des crédits à moyen et long terme avec prise de garantie ou d’hypothèque atteindra 3,9 milliards d’euros, pour 3,7 milliards 2014.

Le premier semestre a été en ligne avec notre budget, car, si nous avons éprouvé quelques inquiétudes en mars et en avril, le mois de juin a été extrêmement dynamique. Il confirme notre intuition. L’investissement est en train de repartir en France. Selon les prévisions de l’INSEE, l’investissement va croître de 0,6 % au troisième trimestre et de 0,8 % à 0,9 % au quatrième. Après six à sept ans durant lesquels il a connu une décroissance ou une stabilité, cette évolution constitue une excellente nouvelle.

Les prêts sans prise de garantie – les prêts de développement à sept ans avec deux ans de différé d’amortissement en capital – représenteront cette année 1,8 à 1,9 milliard d’euros. J’ai demandé à ce qu’on approche le chiffre de 2 milliards.

Pour le court terme, nous avons toujours une activité forte dans le préfinancement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Par rapport à l’an dernier, cette activité baisse en termes de flux, mais augmente en termes de stock, le préfinancement jouant de plus en plus sur plusieurs années. En 2015, le stock dépasse 3 milliards d’euros, les ouvertures nouvelles représentant environ 800 millions.

Le reste de notre activité de court terme – factoring, mobilisation de créances, etc. – connaît toujours une forte augmentation, de 7 % au premier semestre. Les résultats sont cependant un peu plus faibles pour la mobilisation de créances nées à l’étranger. Le produit que nous venons de lancer démarre plus lentement que prévu.

Pour l’innovation, nous distribuons cette année ce que nous avons, soit 1,2 à 1,3 milliard d’euros. Nous serons donc dans le budget.

La situation est plus contrastée en ce qui concerne les fonds propres. La partie capital-risque en direct – numérique, biotech, maladies rares – réalise de belles performances. Nous recevons un grand nombre de dossiers que nous examinons avec soin, car les valorisations commencent à être élevées.

Pour le capital-développement des PME, nous avons doublé la taille moyenne des tickets, les faisant passer en moyenne de 750 000 euros à 1,5 million d’euros. Nous tenions à réduire le nombre d’entreprises financées et à leur proposer plus d’argent pour leur permettre de se développer plus vite. Nous y sommes parvenus. En revanche, dans le segment des PME, nous n’avons pas atteint nos objectifs pour le nombre d’entreprises financées en fonds propres. En effet, les valorisations se sont envolées et nous sommes prudents quant à l’utilisation des deniers publics. Il ne faut pas s’emballer sur les achats car on le paie dramatiquement à la sortie – dans sept, huit ou dix ans. Par ailleurs, le marché est très animé par nos partenaires que nous finançons également en activité de fonds de fonds.

Pour le financement des ETI, l’activité de 2015 sera stabilisée par rapport à 2014, comme nous le voulions, et nous y ajoutons une participation importante prise dans Ingenico.

Via les fonds de fonds, nous investissons nos fonds propres ainsi que ceux de l’État, au titre du Programme des Investissements d’Avenir (PIA), de la Banque européenne d’investissement (BEI) et de partenaires privés. Nous sommes en baisse par rapport à l’an dernier, en raison des effets de millésimes. En 2015, peu de fonds sont levés, mais nous injecterons cependant sur le marché plus de 500 millions d’euros, ce qui est considérable. Dans les années qui viennent, nous continuerons de croître sur la base de 2015.

La période 2007-2014 a été terrible. Actuellement, en France, le montant de l’investissement est toujours inférieur de 10 % à ce qu’il était en 2007. Je rappelle que 10 % de l’investissement représentent un point de PIB. Une croissance de 0,2 % au premier trimestre et de 0,8 % au quatrième trimestre ne permettra pas de rattraper le retard.

Nous construisons précisément notre plan stratégique sur l’hypothèse que la France rattrapera son retard en investissement. Je signale au passage que le Royaume-Uni et l’Allemagne sont dans la même situation que nous. Nous pensons que toute l’Europe va se remettre à investir, ce qui justifie que nous croyions à la croissance de Bpifrance.

Selon notre plan stratégique, 2016 sera une année de croissance relativement faible, au cours de laquelle nous espérons que toutes les banques vont accélérer et que l’investissement repartira. En 2017 et 2018, nous attendons une trajectoire de 10 % de croissance par an, ce dont la France a absolument besoin.

Certains sous-objectifs seront plus difficiles à atteindre que d’autres. En matière de transition énergétique, l’année 2014, durant laquelle nous avons réalisé deux fois notre objectif, a connu une bulle. Beaucoup de développeurs se sont dépêchés de s’endetter avant que le mécanisme des tarifs de rachat garantis ne prenne fin. Il est normal que les résultats en 2015 soient plus faibles, même si nous consacrons plusieurs centaines de millions d’euros au financement de la transition énergétique. Dans les années qui viennent, si nous ne réalisons pas nos objectifs dans ce domaine, nous le ferons dans d’autres, comme l’Usine du futur. Nous atteindrons donc, quoi qu’il arrive, la croissance promise.

En ce qui concerne la mobilisation de créances nées à l’étranger, nous pensions atteindre 150 millions d’euros la première année. Nous n’en réaliserons que la moitié, mais nous serons à 150 millions l’an prochain. On constate parfois ces petits effets de décalage sur les nouveaux produits, un peu compliqués pour les équipes et les entrepreneurs.

Les résultats seront également plus faibles que prévu sur le crédit acheteur à l’export, qui démarre lentement mais sur lequel nous allons progresser. On peut expliquer cette situation par l’acculturation du réseau, le fait qu’il s’agisse d’un produit compliqué et l’obligation de bâtir le partenariat bancaire.

Cela dit, au total, nous réalisons nos budgets et nous continuerons de le faire.

La collectivité nous a confié 20 milliards d’euros, que nous rendrons, majorés du rendement attendu. Lors de la création de Bpifrance, on escomptait un retour sur fonds propres d’environ 4 %. Le plan stratégique que nous ferons valider cet été est fondé sur un taux non plus de 4 % mais de 3,5 %, d’une part parce que nous prenons plus de risques que prévu, d’autre part, parce que nous céderons moins de valeurs pour faire du résultat.

Il serait possible de réaliser un retour sur fonds propres de 6 % à 7 % en vendant tout et en encaissant les plus-values, mais ensuite nous nous retrouverions avec des ressources entamées. Bpifrance construit son autorité et sa réputation sur le long terme. Nous devons être capables de maintenir à travers le cycle un rendement sur fonds propres de qualité. Je ne veux pas d’une banque dont le rendement atteindrait 7 % à 8 % quand il fait beau et tomberait à 0 % quand le temps se gâte, comme le font les autres banques.

Dans la phase positive du cycle qui commence, je donne à mes équipes la mission de stocker des réserves, surtout en fonds propres car nous en aurons besoin quand la conjoncture se retournera. C’est pourquoi le plan stratégique ne prévoit aucune croissance sur l’activité d’investissement en fonds propres dans les prochaines années. Nous ne sommes pas là pour alimenter la bulle, que ce soit en fonds de fonds ou par nos investissements directs.

Le taux de 3,5 % correspond au retour sur fonds propres moyen de tous les métiers, sachant que les chiffres varient pour chacun d’eux. Pour le crédit, le retour sur fonds propres se situe entre 5 % et 6 %. Pour la garantie, il est nul puisqu’il ne s’agit pas de nos fonds propres. Pour l’innovation, comme l’État débudgétise, le rendement est fortement négatif. Pour le capital-risque, il est de 2 % au bout de dix ans. Pour le capital-développement des PME – le petit capital-développement risqué des territoires –, il atteint 3 % au bout de dix ans. Pour le capital-développement des ETI, l’ancien Fonds stratégique d’investissement (FSI), il est de 5 %. Pour les sociétés cotées, c’est le CAC, pour lequel nous avons établi une hypothèse de croissance de 4 % à 5 % par an. Et pour les fonds de fonds, qui financent du capital-risque et du capital-développement des PME, le rendement est de 3 % au bout de dix ans.

À l’heure actuelle, les taux de rendement d’Ardian, Paribas Affaires Industrielles, Eurazeo ou de sociétés qui font du LBO (leveraged buy out) ou du capital-développement PME très sélectif, se situent entre 15 % et 30 %, ce qui signifie qu’il s’agit de segments risqués. Aucune entreprise privée n’accepterait des rendements aussi faibles que ceux dont peut se contenter une banque publique.

Vous m’avez demandé si le taux de sinistralité sur les crédits était trop faible. C’est le cas – de manière impressionnante – pour l’ensemble de la profession bancaire. Tout le monde se demande où est le risque. Il est forcément quelque part et il va finir par sortir de sa boîte. En 2014, le coût du risque net de reprise de provisions était de 36 millions d’euros. Nous avons fait une quinzaine de reprises de provisions, ce qui représente 50 millions bruts. On doit y ajouter ce qu’on a brûlé dans les fonds de garantie, car, quand nous consentons des prêts de développement, nous les auto-garantissons sur nos fonds à hauteur de 60 % à 70 %. La part non garantie est totalement en blanc. Elle se retrouve dans les 36 millions, alors que la partie garantie est imputée sur les fonds de garantie. Nous brûlons ainsi environ 100 millions d’euros par an.

De ce fait, nous avons besoin d’une dotation de l’État et nous avons aussi mis en place un dispositif de recyclage du dividende pour les trois prochaines années. Au total, nous brûlons 150 millions d’euros par an en coût du risque. Ce montant n’est pas très élevé pour un encours de 22 milliards, mais il n’est pas non plus négligeable. Il faut rapporter cette somme au résultat net de Bpifrance Financement, qui est de 100 millions. Si la proportion paraît raisonnable, on ne doit pas aller au-delà.

Il faut noter que la sinistralité du préfinancement du CICE est en train de monter. Pour Altia, dont Bpifrance était actionnaire, nous avons choisi de préfinancer massivement le CICE, alors que nous savions le groupe était en train de tomber. Dans les comptes de 2015, nous enregistrons de ce fait une perte de 5 millions d’euros. Quand il faut prendre un risque, nous sommes prêts à le faire, mais nous le payons, car rien n’est jamais gratuit dans nos métiers.

Enfin, il faut distinguer le taux de sinistralité bancaire de celui des fonds propres, ceux-ci étant dix à quinze fois plus risqués. Il faut être très prudent en matière de fonds propres, car ils peuvent faire perdre beaucoup plus. Rappelons-nous ce que nous avons perdu sur Sequana ; même si nous en regagnerons la moitié, nous avons provisionné 55 millions. Rappelons-nous aussi ce que nous avons perdu sur Cegedim, entreprise cotée, achetée par le FSI, qui a été frappée de plein fouet : nous avions provisionné 90 millions d’euros, soit le résultat net d’une année de la banque. Nous sommes donc très prudents dans ce secteur.

Nous avons atteint un bon niveau d’équilibre entre les risques qu’on nous demande de prendre, grâce aux fonds de garantie et à nos faibles exigences en matière de retour sur fonds propres, et la discipline du résultat, qui fait que nous rendrons les montants qu’on nous a donnés.

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur. Lors de votre précédente audition, vous avez indiqué que le fonds de garantie public n’avait pas été utilisé en 2014, ce qui ne semble pas exact. Qu’en est-il exactement ?

M. Jean-Louis Beffa s’est montré très critique à l’égard des règles européennes. Quel regard portez-vous sur celles-ci, notamment sur la règle de l’investisseur avisé ? Le système de prêt indirect mis en place par la KfW – le prêt transitant par les banques privées sans cofinancement – est-il adaptable en France ?

Au sein de la KfW, le contrôle bancaire est réalisé par le régulateur allemand, alors qu’à Bpifrance, il est effectué par la Banque centrale européenne (BCE). De ce fait, Bpifrance est encadré plus strictement que l’établissement allemand, alors même que son bilan comptable est moins élevé. Que pensez-vous de cette situation ?

M. Nicolas Dufourcq. Je me souviens avoir dit que le fonds de garantie que nous avions construit pour préfinancer le CICE des TPE n’a pas été utilisé, puisque nous l’avons préfinancé nous-mêmes.

Début 2013, nous avions tenté un schéma – conforme à ce que faisait la BPI – qui était le suivant : pour les petites quotités, le réseau bancaire intervient et nous apportons notre garantie ; pour les plus grandes, nous intervenons en direct. Aucune banque ne s’étant saisie du préfinancement du CICE, nous l’avons organisé nous-mêmes, ce pour quoi nous avons recruté des intérimaires. En 2015, nous préfinançons le CICE de plus de 15 000 TPE. Personne ne le ferait si nous n’étions pas là.

Dès lors que nous intervenons nous-mêmes, nous n’avons pas utilisé le fonds de garantie doté par le ministère des Finances par le biais d’un abondement du fonds de renforcement de la trésorerie pour la croissance, la commission et l’emploi (RTCCE). En revanche, nous utilisons par définition tous les autres fonds de garantie. J’ai toujours dit, notamment au Président de la République, qu’on ne pouvait pas débudgétiser la garantie de Bpifrance. Il faut absolument que, chaque année, des dotations budgétaires alimentent ses fonds.

Fin 2012, quand je suis arrivé, la garantie avait été totalement débudgétisée. Elle représentait zéro dans le plan de l’État en 2013, 2014 et 2015. J’ai obtenu du Président de la République une dotation de 100 millions d’euros. Prise sur le Programme d’investissements d’avenir (PIA), elle nous a permis de tenir, avant que nous ne recyclions le dividende, que nous ne révisions le modèle de calcul des multiplicateurs des fonds de garantie et que nous ne trouvions le moyen de réaliser des économies. Heureusement que nous avons pu convaincre le Trésor de procéder au recyclage du dividende ce qui permet d’alimenter les fonds de garantie.

Il est un point sur lequel je suis moins inquiet qu’il y a neuf mois : la direction générale de la concurrence de la Commission européenne nous a indiqué par courrier qu’elle ne nous demanderait pas de notifier l’objet Bpifrance. Elle se range à nos arguments, selon lesquels l’établissement est un produit de l’histoire financière de notre pays, puisqu’il agrège des entités qui avaient déjà été notifiées : Sofaris, l’Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR), la Banque du développement des petites et moyennes entreprises (BDPME), le Crédit d’équipement des PME (CEPME), le FSI, CDC Entreprises et le FSI Régions.

Cette décision constitue pour nous un grand soulagement. Elle écarte le risque de nous voir imposer les conditions auxquelles ont été soumises la British Business Bank, la banque publique d’investissement portugaise et toutes les banques publiques d’investissement qui émergent au sein de petits Etats, par exemple en Hongrie et en Roumanie. Celles-ci ont dû procéder à des séparations d’activités qui auraient rendu impossible de construire une banque « client-centrique ».

Nous nous réjouissons que ce risque soit écarté, même si la régulation des aides d’État reste contraignante. Elle nous encadre à tout moment. Réaliser certains investissements en fonds propres nous mettrait sous le coup d’une sanction de Bruxelles. C’est la raison pour laquelle nous avons renoncé à Kem One, sur la plate-forme de Fos-sur-Mer. C’est le Fonds de développement économique et social (FDES) qui l’a fait, ce qui oblige à présent l’État à notifier cette entreprise. Pour la même raison, nous n’avons pas pu intervenir pour Fagor ou Mory, parce que cette démarche aurait manifestement constitué une aide d’État. La régulation stricte est une discipline qui nous évite, sous l’effet d’un stress collectif important, de brûler du capital public. Nous ne cherchons pas à tout prix à respecter la règlementation d’aide d’Etat ; il peut nous arriver de jouer avec les zones grises mais on la respecte. Désormais nos relations avec la Commission européenne sont bonnes.

Il y a trois semaines, j’ai rencontré à Bruxelles le député du Parlement européen qui dirige la commission PME. Nous lui avons fait passer mille propositions. Nos propositions sur le plan Juncker ont été très écoutées. Ce n’est pas pour rien que Bpifrance est la première banque européenne à avoir annoncé une opération dans le cadre du plan Juncker.

Nous sommes également très écoutés par le conseil d’administration du Fonds européen d’investissement. Nous rencontrons régulièrement toutes les grandes directions de la Commission et nous sommes reçus au plus haut niveau. Quand nous avons rencontré M. Jyrki Katainen, il nous a demandé de faire un tour d’Europe. Il souhaite que nous rendions nos partenaires jaloux, afin de les encourager à nous imiter.

Je comprends l’analyse de Jean-Louis Beffa, mais, pour travailler au quotidien avec la Commission, je me réjouis du tour qu’ont pris nos relations, puisqu’elle nous finance bien et qu’elle écoute nos propositions.

Chaque fois que nous rencontrons les représentants de la KfW, ils nous disent que nous avons de la chance d’avoir accès directement aux clients. Ils tentent de développer un canal direct par le biais d’internet. Il est trop tard pour eux, en effet, pour développer un réseau physique. Le système actuel – qui fait bénéficier les Landesbanken de la garantie de la KfW – existe en Allemagne depuis cinquante ans, mais, pour ma part, je ne comprends pas comment on peut fonctionner quand on n’a pas accès aux clients. Nous devons à nos clients entrepreneurs français 95 % de notre intelligence de banquiers.

Je me réjouis que, depuis les années cinquante, mes prédécesseurs aient imposé le principe d’un réseau physique. La Caisse nationale des marchés de l’État (CNME) et le Crédit hôtelier ont eu leur réseau. Les créateurs de l’ANVAR ont eu l’intelligence de créer un réseau régional, dont la fusion est à l’origine de celui d’OSÉO puis de Bpifrance et qui est notre cœur de valeur. Chaque fois qu’on remporte un succès c’est parce que des chargés d’affaires innovation, bancaires, garantie ou investissement sont sur le terrain.

En matière de régulation, je n’envie pas tellement la KfW. Figurer parmi les treize banques systémiques françaises régulées par la Banque centrale européenne, confère à Bpifrance sur le marché d’une forte autorité, qui renforce sa dimension de banque de place vis-à-vis de nos partenaires. Nous procédons actuellement à une augmentation de capital, qui a intéressé nombre de banques françaises. BNP-Paribas, la Société générale, Crédit mutuel Arkéa et la Banque postale réinvestissent dans Bpifrance, signe que celle-ci est et reste vraiment une banque de place.

J’envie cependant la KfW sur un point : elle ne paie pas d’impôt, ce qui lui permet de stocker des fonds propres. Elle se ménage ainsi pour l’avenir une grande latitude dans le financement de sa mission d’intérêt général. La KfW jouit d’un statut très particulier. Les deux chefs de bureau du ministère des finances allemand, qui assurent sa tutelle, n’ont aucun pouvoir. Quand le Bund lui demande de faire des investissements en fonds propres – pour lesquels elle a une certaine aversion – la KfW lui demande de les garantir à 100%. Le Bund garantit à 100 % sa participation dans EADS. Le même taux de garantie s’applique à l’activité de fonds de fonds, que la KfW est en train de lancer, sur le modèle de la nôtre.

À l’égard de la BCE, nous nous sommes bien équipés, même s’il faut que nous continuions à recruter, ce qui nous prend beaucoup de temps. Un léger risque demeure cependant : la BCE pourrait ne pas admettre que la machinerie française des fonds de garantie est unique et constitue un métier assurantiel. Nous gérons des fonds qui permettent de prendre des risques statistiques. Parce que ce système n’existe dans aucune autre banque, la BCE nous pose mille questions à son sujet, ce qui suscite de notre part une certaine inquiétude.

M. Arnaud Leroy. Comment évoluera en 2017 et 2018 le financement participatif, qui devient, pour les TPE et les PME, un mode de financement de plus en plus recherché ? Comme vous situez-vous par rapport à ce dispositif innovant qui perturbe le système bancaire classique ? Comment faire pour muscler ce secteur qui comble des failles du marché et répond à la demande des territoires ?

M. Nicolas Dufourcq. C’est un point important pour nous. Partis du monde du crowdfunding, inspiré par une vision un peu scout de l’économie participative, nous en arrivons à la « fintech », terme formé sur le modèle de « biotech » ou « d’écotech ». Les plateformes digitales de crowdfunding sont confrontées à une telle demande de petits crédits qu’elles n’ont pas assez de prêteurs. C’est pourquoi, en fait, elles se tournent de plus en plus vers des institutions financières, qui leur confient des capitaux en gestion, leur laissant le soin de les distribuer. Le modèle rend ce mode de financement assez populaire, mais, dans la coulisse, celui-ci devient de plus en plus de la banque classique : il s’agit de lever des liquidités, et via une plateforme de les distribuer.

Nous allons observer attentivement ce secteur en le finançant. Notre activité de fonds de fonds nous permet d’injecter des capitaux dans ces gestionnaires de plateformes pour notre propre compte, pour le PIA ou pour des investisseurs tiers. Nous pouvons également prendre directement du capital dans ces plateformes. Nous venons de le faire dans Unilend. Nous allons aussi monter notre propre plateforme de distribution de petits prêts en ligne pour les TPE. Cette décision est un axe majeur du plan stratégique. Elle devrait être validée par la gouvernance dans les prochaines semaines. Cela créé un continuum dans la réponse aux besoins.

Enfin, nous proposerons à nos actionnaires de nous autoriser à créer un fonds d’investissement dans les « fintech », qui nous permettra de prendre des participations dans tous ces modèles. Il existe en effet une mosaïque de modèles différents, puisque ce secteur se cherche. Nous devons comprendre comment va se déplacer la valeur, pour la banque, et la demande, de la part des clients. Malheureusement, la grande place européenne d’invention de ces modèles est Londres. Nous consacrerons l’intelligence et les capitaux nécessaires pour que Paris devienne compétitif.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Vous avez indiqué que le ticket pour les PME était passé de 750 000 euros à 1,5 million, ce qui semble signifier que vous vous consacrez davantage à un certain niveau d’investissement. Votre dernière remarque nuance ce propos.

La politique de Bpifrance est-elle de suivre tous les préfinancements du CICE ou agit-elle avec plus de discernement ?

Comment réagissez-vous au projet de faire assurer les garanties publiques à l’export, actuellement gérées par la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur (COFACE), par Bpifrance ?

M. le rapporteur. La création d’une plateforme dédiée aux TPE et aux micro-entreprises est une bonne nouvelle. On regrette parfois que les artisans, agriculteurs et entrepreneurs individuels n’aient pas directement accès à la BPI. Les lettres de garantie proposées par la SIAGI, dont vous êtes actionnaire, vous permettront-elles de vous pencher sur leur cas, par l’intermédiaire des banques commerciales ?

M. Nicolas Dufourcq. Nous voulons créer rapidement à destination des TPE une plateforme en ligne de petits prêts de développement à sept ans avec deux ans de différé, de l’ordre de 50 000 euros, prêts qui seront assis sur un fonds de garantie. Nous couvrirons ainsi l’essentiel des besoins.

Nous renforcerons le partenariat avec la SIAGI. En revanche, nous hésitons beaucoup à généraliser le système des lettres de prégarantie que des entrepreneurs pourraient montrer à leur banquier et somme toute leur demander de s’exécuter. Ce n’est pas ainsi qu’on travaille le mieux et notamment avec nos partenaires bancaires quand on procède de cette manière. Si nous mettons en place le prêt que je viens d’évoquer, nous traiterons l’essentiel des difficultés.

En ce qui concerne les fonds propres, quand les TPE ouvrent leur capital – ce qu’elles font rarement– ce n’est pas pour 500 000 euros mais pour 100 000. Ce métier n’est pas le nôtre. Il est entièrement délégué à des petits fonds régionaux, qui accusent des pertes car plus le ticket est petit, et plus grand est le risque de perdre de l’argent. Ces petits fonds perdent en moyenne 40 % de la mise. Dès lors, le sujet relève de la politique industrielle, voire du sociétal. Historiquement, un fonds est alimenté à hauteur de 15 millions par an par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) pour les garantir. Pour faire plus, il suffit de mettre plus d’argent dans ce fonds de garantie. Mais j’ai observé que les conseillers régionaux n’étaient pas très allants quand on évoque ces fonds, connus pour perdre énormément d’argent.

En tout état de cause, pour les TPE et les petites PME, la solution n’est pas à chercher du côté des fonds propres. Pour devenir rentables, elles doivent d’abord être accompagnées. Ensuite, il faut qu’elles contractent une dette qui leur convienne.

Le Président de la République avait mentionné la COFACE dans son programme, mais n’en a plus parlé ensuite. En juillet 2014, le secrétariat général de l’Élysée a formellement demandé à la direction du Trésor de réinstruire ce sujet, ce qui constituait pour nous une bonne nouvelle.

Selon notre logique client-centrique, il est bon que notre boîte à outils des produits de financement de l’export contienne des éléments de garantie publique en assurance-crédit. Cela permettra à Bpifrance de devenir rapidement une banque française du commerce extérieur. Cela dit, dans mon entourage managérial, tous ceux qui ont connu OSÉO ou la BDPME demandaient depuis vingt-cinq ans que les garanties publiques de la COFACE leur soient rattachées, car c’est la voix du client qui doit parler.

Cela va se faire, je n’en doute pas. Quelque 250 personnes nous rejoindront bientôt. Il faut simplement négocier avec la COFACE, société privée cotée, un prix de transfert compréhensible par ses actionnaires et assis sur des éléments de fait. Il faut notamment valoriser le système d’information et l’accès à la base de données de risque. En l’espèce, c’est l’État qui est à la manœuvre ; ce n’est pas Bpifrance qui négocie avec la COFACE et Natixis.

Normalement, l’Etat et Coface/Natixis devraient conclure un accord sur le prix du transfert qui sera sans doute annoncé par Coface le 29 juillet. La logistique du transfert sera alors mise en place, ce qui doit se faire de manière paisible, avec la collaboration et le soutien de la COFACE, au cours des deux prochaines années. La décision, fondamentale pour l’export français, est systémique.

Nous choisirons des locaux qui nous permettront d’installer nos 250 nouveaux collaborateurs à côté des équipes de Bpifrance. Dès qu’ils nous auront rejoints, nous les entraînerons dans la dynamique de Bpifrance, c’est-à-dire dans le développement, le déploiement et dans tout ce qui fait que notre couleur est le jaune.

Vous m’avez demandé si nous préfinancions tous les CICE. Ma réponse est oui, sauf quand les entreprises sont sous le coup d’une procédure judiciaire. Il serait absurde de préfinancer le CICE d’un établissement proche de la liquidation. Tous les préfinancements sont adossés à un fonds de garantie à 70 % doté par l’État, ce qui nous a permis de ne plus imposer les conditions que nous exigions depuis cinq à six mois, parce que les contentieux liés au CICE commençaient à monter de manière vertigineuse. J’ai fait le point ce matin en revue d’affaires. Nous sommes revenus au calme.

M. Arnaud Leroy. L’intégration prochaine de la COFACE à la BPI me semble une bonne nouvelle. Parvenez-vous à extrapoler une tendance à l’export quand vous entrez dans les fonds propres d’une entreprise ? Réussissez-vous à lui faire comprendre la nécessité stratégique de soutenir ou de développer cette activité ?

M. Nicolas Dufourcq. Nous ne sommes pas encore en mesure de fournir des indicateurs de résultats ni de « payback ». En revanche, sous l’impulsion de Nicole Bricq, nous avons créé dans notre activité fonds de fonds un label Export, grâce auquel nous pouvons doter davantage les fonds qui accompagnent à l’international. Nous réalisons un audit pour savoir comment les fonds produisent de l’accompagnement intelligent.

Le fonds MBO Partenaires a un bureau à Singapour, Sao Paolo et New York, qu’il finance sur la commission de gestion que nous lui accordons. Il accompagne de bout en bout les entreprises et n’investit que dans celles qui possèdent un potentiel international significatif. Nous donnons davantage à ce fonds qu’aux autres.

Quant aux fonds dédiés aux ETI et aux PME de taille déjà significative qui n’accompagnent pas à l’international, non seulement nous ne leur accordons pas de label, mais nous leur faisons comprendre qu’il ne faudra pas compter sur nous à la prochaine levée.

Pour notre part, l’ensemble des fonds de l’activité de capital développement direct, possèdent 450 participations, dont 130 sont en difficulté. Autant dire que nous gérons du risque PME au quotidien. Le problème tient au fait qu’elles n’exportent pas et qu’elles n’innovent pas. Nous les accompagnons. Nous faisons entrer les plus dynamiques dans notre accélérateur de PME. Celui-ci comporte soixante-cinq entreprises, que nous avons rassemblées hier soir. Et nous allons créer un accélérateur d’ETI pour environ vingt-cinq entreprises par an.

Malheureusement, 50 % des ETI françaises ne sont pas internationalisées. Le rapport de nos PME et de nos ETI à la mondialisation est notre problème central. Il explique le travail que nous menons avec Business France et les crédits que nous développons : prêt à l’export, crédits acheteur à l’export, crédits fournisseur, etc.

M. Jean-Louis Gagnaire.  Nous savons tous que vous êtes régulièrement sollicité pour aider des entreprises en difficulté. Sur une échelle d’un à dix, comment évaluez-vous la pression du politique sur le choix des dossiers ? Avez-vous les moyens d’y résister ?

BPI est une banque qui, comme un couteau suisse, possède un grand nombre d’instruments adaptés aux établissements qui la sollicitent. Comment segmentez-vous votre offre commerciale pour vous adresser de manière pertinente à chaque réseau ?

Quelle est votre manière d’investir dans les entreprises ? Vous comportez-vous en actionnaire ou en un investisseur patient qui n’interfère pas dans le quotidien de l’entreprise ?

Enfin, quels sont vos besoins réels en matière d’innovation ?

M. Nicolas Dufourcq. En trente mois, la BPI a prouvé qu’elle était capable de s’acquitter de son mandat, qui lui prescrit de mener de front le soutien de l’entreprenariat français et de la politique industrielle, le développement de l’innovation, la préparation de l’avenir du pays, l’absorption d’une partie du stress français et la discipline du résultat.

Nous sommes sans a priori. Quand un cabinet ministériel nous demande de regarder un dossier, nous le faisons toujours, considérant qu’il serait arrogant de refuser. Je précise que, sur des dossiers qui sont arrivés par nos propres canaux ou ceux de nos partenaires de marché – car nous co-investissons toujours en fonds propres –, nous avons pu connaître des sinistres importants. Il serait simpliste d’opposer ce qui vient du politique, et conduirait inévitablement à des pertes, et ce qui est issu du privé, dont les résultats seraient mirobolants. Nul n’avait demandé au FSI d’investir dans Cegedim. Le dossier Sequana est venu de Fiat, qui en était actionnaire, et de l’assureur allemand Allianz. Tous deux sont venus nous dire qu’ils remettaient de l’argent dans l’entreprise et nous proposaient de faire de même. On voit qu’il n’y a pas lieu d’être manichéen.

En revanche, quand nous pensons qu’il ne faut pas suivre, nous sommes raides comme la justice. Ce « nous » désigne, outre moi-même, nos comités d’investissement composés d’administrateurs indépendants comme Frédéric Saint-Geours, Florence Parly, Martine Gerow, Éric Lombard et Amélie Faure. Dans un comité d’investissement, il n’est jamais arrivé que les représentants de la CDC ou de l’Agence des participations de l’État (APE) nous somment d’intervenir. Aucun des dossiers qui a défrayé la chronique comme Florange, Pétroplus, Kem One, Mory ou Fagor n’a reçu la participation de Bpifrance. Le seul ayant une dimension territoriale très forte concernait le groupe Gascogne. Nous l’avons retenu parce que, raides comme la justice, nous avons appliqué notre doctrine en matière de retournement : dès lors qu’il y a un repreneur qui apporte beaucoup de capital et prend son risque d’entrepreneur, il faut le suivre. Dominique Coutière a investi quinze millions. Nous en avons apporté onze.

Nous sommes intervenus dans d’autres dossiers de restructuration, comme Clestra, pour accompagner le repreneur Jacques Veyrat. Nous avons aidé CPI, le plus grand imprimeur européen, dans les mêmes conditions, le repreneur étant cette fois Impala.

Certains dossiers hérités du FSI ont fait l’objet d’une décision collégiale à haut niveau. C’est le cas d’Altis, fabricant de semi-conducteurs situé à Corbeille-Essonne, sur lequel nous nous sommes engagés pour plusieurs dizaines de millions d’euros en obligations convertibles. Les équipes ont beaucoup hésité, mais l’entreprise, qui met en œuvre une technologie si rare qu’elle a du mal à produire ses commandes, est en train de repartir. Nous sommes dans un monde incertain, ce qui suppose des outils de gouvernance très clairs.

Pour l’innovation, l’État nous donne à la fois beaucoup et peu d’argent. Le PIA se monte à des centaines de millions d’euros. En revanche, pour les petites aides à l’innovation que nous attribuons à 3 500 entreprises par an, il n’y a pas assez de financements et pourtant elles sont tout aussi importantes, peut-être plus. Pour avoir livré bataille à plusieurs reprises, je pense que les pré-arbitrages budgétaires nous accorderont un minimum, mais avoir un minimum est insuffisant. Il faut 200 millions d’euros par an pour financer les prêts à taux zéro et les avances remboursables et nous ne l’avons pas. C’est bien beau de mettre des milliards dans les programmes collaboratifs mais si nous ne pouvons pas accorder 4 000 aides à l’innovation par an – aide sans laquelle aucune boîte française n’aurait pu démarrer –, on tue l’écosystème.

C’est pourquoi nous n’hésitons pas à faire entendre notre voix sur le sujet. Nous ne pouvons pas accepter que le programme 192 soit débudgétisé, d’autant que, compte tenu de ce que dépense l’État et des effets multiplicateurs, les montants en jeu ne sont pas considérables. Le Danemark, la Suède ou la Finlande dépensent cinq fois plus que nous en matière d’aide à l’innovation.

Enfin, vous m’avez interrogé sur la segmentation de l’offre. Les TPE sont financées par nos banques partenaires, sauf pour le préfinancement du CICE et le nouveau petit prêt. Pour l’économie sociale et solidaire, nous intervenons en complémentarité avec la Caisse des Dépôts, financeur historique des réseaux d’accompagnement et de micro-crédit, et des réseaux bancaires privés par le biais de petits prêts de développement (sans garantie), comme le prêt ESS et le prêt quartiers. Pour les PME, le couteau suisse n’a que trois lames : le prêt de développement sans garantie à sept ans avec deux ans de différé, le crédit-bail et le prêt à long et moyen terme. Pour les ETI, l’offre est la même, à ceci près qu’on ne peut pas faire de garantie. La garantie de l’ex-Sofaris concerne les PME. Enfin, il y a les fonds propres. Nos clients jugent l’offre assez simple.

M. le rapporteur. Existe-t-il des simulateurs permettant de calculer le montant de la commission de garantie, qui peut être important ?

Bpifrance communique beaucoup sur son action et son ambition pour les entreprises, ce qui a pu agacer certaines banques commerciales. La mutualisation vous permettra-t-elle certaines économies dans ce domaine ?

M. Nicolas Dufourcq. Les commissions varient en fonction des crédits garantis. Notre grille se résume à un tableau de sept lignes, que je vous transmets. Il distingue, au regard des sept catégories de prêt, la quotité maximale et la commission.

En 2014, nous avons pris une décision importante en faisant passer le seuil de délégation totale de la garantie aux banques de 100 000 à 200 000 euros, ce qui a fait grimper considérablement le taux de couverture de la garantie par extranet. Les banques n’ont plus qu’à appuyer sur un bouton.

Au-dessus de ces montants, nos équipes instruisent au cas par cas. Elles communiquent en même temps à l’entreprise et à la banque la quotité maximale comme le taux de commission de garantie. On trouve dans l’accès sécurisé extranet un simulateur permettant de calculer le montant précis de la commission afin de déterminer le taux effectif global du crédit, nécessaire pour l’édition des contrats de prêts. Il n’existe pas de simulateur sur le site internet pour les entreprises souhaitant obtenir une garantie supérieure à 200 000 euros et en savoir le coût, mais l’accès public à tel outil ne se justifie pas dans la mesure où l’entreprise connaît les conditions de l’octroi de la garantie au moment de l’offre commerciale.

Notre budget de communication annuel se monte à 10 millions d’euros, ce qui correspond à la somme des budgets de communication des entités qui nous préexistaient. Cependant, nos résultats dans ce domaine sont bien meilleurs. Beaucoup de personnes ont envie que Bpifrance réussisse. Le directeur de la communication, Patrice Bégay, et moi-même avions beaucoup communiqué lors de l’aventure Wanadoo. Nous connaissons les acteurs. Lors du lancement de Bpifrance, ils nous ont proposé des conditions qui nous permettent d’être extrêmement visibles et de déployer notre marque de manière puissante. C’est le cas tant pour les partenariats médias que pour les partenariats sportifs. Ainsi, nous détournant des partenaires les plus coûteux, nous avons renoncé au foot pour nous intéresser au volley-ball, au handball et au basket-ball. Nous nouons avec des clubs territoriaux très appréciés des partenariats non de quelques dizaines de milliers mais de quelques milliers d’euros, qui nous donnent une visibilité appréciable.

Les entrepreneurs, dont la psychologie a été modelée par sept ans de crise, ont besoin d’avoir un partenaire installé. Leur banque doit les accompagner et leur rendre le goût d’investir. Notre budget nous permet non seulement de faire de la publicité mais d’organiser de nombreux événements. Entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2014, j’ai fait trois tours de France. Il faut rassembler les entrepreneurs, les haranguer et les sortir de la prison du non-désir. Nous faisons de la psychoéconomie, car la relance de l’investissement part de la psychologie. Le secteur bancaire français a fait l’erreur de l’oublier. Avant de parler aux entrepreneurs de dette ou de fonds propres, il faut leur parler de futur, de projets, de construction et d’aventure. Les 38 meetings auxquels j’ai participé entre juillet et décembre 2014 ont rassemblé 11 000 entrepreneurs. C’est à cet investissement que nous devons notre croissance du premier semestre.

Ce travail de proximité, qui consiste à prendre l’entrepreneur par la manche, profite à toutes les banques – BNP Paribas, BPCE, Arkéa –, puisque nous cofinançons. Au début, nous avons été les seuls à le faire, mais nos partenaires sont en train de s’y mettre. Ils créent des incubateurs, des événements avec des startups, même s’ils ne se dirigent pas encore vers les PME. Il y a des banques dont le directeur régional dit n’avoir pas de budget pour organiser un petit-déjeuner avec des entrepreneurs. Or c’est la base même de leur travail.

Avec BIG (Bpifrance Inno Génération), il s’est passé quelque chose de merveilleux : 15 000 personnes se sont inscrites et 10 000 sont venues. Les entrepreneurs veulent que les banquiers se comportent comme des entraîneurs. Les Landesbanken allemandes gèrent des académies d’entrepreneurs. Du fait de la crise et des accords de Bâle III, les banquiers français ont cessé de jouer ce rôle. Je souhaite que tout le monde s’y remette et que cela s’entende.

Mme la présidente Véronique Louwagie. En matière du coût du crédit, quelle est votre politique ? Comment la BPI se situe-t-elle par rapport aux autres organismes financiers ?

Où en est votre projet de créer une fondation pour l’innovation ?

M. Nicolas Dufourcq. Au premier semestre 2015, les prêts sans garantie accordés en comité d’investissement sont en légère baisse par rapport à 2014. Souvent, pour ces prêts nous sommes un peu trop chers, car la réglementation européenne sur les primes-plancher pour les PME européenne, place Bpifrance hors marché. Ce n’était pas le cas l’an dernier. Entre janvier et avril, nous avons subi la forte concurrence du marché bancaire – ce qui est un excellent signe. Cela signifie que les taux sont très bas, ce qui justifie le discours que nous tenons aux entrepreneurs, en leur disant que c’est maintenant qu’il faut s’endetter.

Concernant le projet de fondation pour l’innovation, nous essayons d’imaginer la suite. Il est malheureusement à craindre que le programme 192 du Budget Général (comme beaucoup d’autres) qui porte notamment les crédits budgétaires de l’innovation sera progressivement mais méthodiquement érodé dans l’ajustement structurel du budget de l’État. Comment faire pour sanctuariser les moyens que l’Etat consacre à quelques 3500 projets de premiers stades de l’innovation chaque année, comme nous avons sanctuarisé la garantie avec le recyclage du dividende ?

Une solution aurait été que l’État nous accorde une franchise d’impôt pendant trois ans, comme la KfW. On nous l’a refusé. Nous avons imaginé un autre schéma. Dès lors qu’il existe 90 milliards d’euros de fonds propres gérés par l’APE et 20 milliards d’euros de fonds propres gérés par Bpifrance, dont 25 %, soit 5 milliards, uniquement sur Orange, on pourrait placer 7 de ces 110 milliards dans une fondation – la fondation pour l’innovation – qui gérerait cet actif, recevrait les dividendes et injecterait chaque année 200 millions dans le financement des aides à l’innovation.

On sait déjà qu’en 2025, l’État ne vendra pas 110 milliards d’euros de capital. Il en aura probablement 130, puisque le montant aura fructifié. En isoler une partie dans une fondation qui générerait un rendement fléché vers un produit phare, historique, puisqu’il remonte à la fin des années soixante – le financement de l’innovation française –, serait une solution d’une visibilité très pure. La fondation pour l’innovation garantirait aux Français que, pendant les trente prochaines années, il y aurait toujours des aides à l’innovation. Les entrepreneurs demandent avant tout de la prédictibilité et de la visibilité. S’ils ont compris le discours de l’État sur la sanctuarisation du crédit impôt recherche, ils ne croient pas à celle des aides à l’innovation, puisque chaque année, auparavant en novembre, désormais en octobre, les guichets sont fermés.

J’ai parlé de la création de cette fondation pour l’innovation au Premier ministre, au secrétaire général de la présidence de la République, ainsi qu’à Emmanuel Macron et à Michel Sapin.

La semaine dernière, le comité exécutif de Bpifrance a organisé un séminaire stratégique. En conclusion de nos travaux, j’ai rappelé que Bpifrance est la banque de la reprise de l’investissement en France et du rattrapage du retard de l’investissement français. Puisqu’il existe un point de PIB à rattraper, nous devons nous considérer avant tout comme un catalyseur et une banque de croissance. La taille du bilan va continuer d’augmenter et la banque va se déployer. Nous n’allons surtout pas nous arrêter lorsque la reprise économique sera là, car si l’économie reprend peut-être grâce à la consommation, l’investissement fait toujours défaut.

Bpifrance est une banque du service public. Elle en a les valeurs et elle assume des missions d’intérêt général. Elle est fière de son appartenance au secteur public, mais cette situation est lourde de conséquences. Bpifrance n’accepte pas d’être débudgétisée et être lentement poussée vers la banalisation. C’est le pire qui puisse lui arriver. Il faut qu’elle puisse financer l’innovation et la garantie, continuer de gérer des fonds propres et disposer de toute la gamme des instruments qui font d’elle une banque publique.

C’est aussi une banque publique au sens où elle a des préoccupations de responsabilité sociales et environnementales claires. Peut-être serons-nous notés un jour par des agences qui évalueront la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) mais l’essentiel, c’est d’y croire. Bpifrance est sincèrement engagée dans la RSE. Bpifrance va se mobiliser très fortement sur la transition énergétique et environnementale. Au quotidien, elle exerce sa responsabilité sociale dans le choix des crédits qu’elle accorde et des investissements en fonds propres auxquels elle procède.

Notre banque a une relation unique avec ses clients qui vient d’un long historique de solidarité. Elle les a accompagnés dans les phases les plus difficiles. Parce qu’elle avait les moyens publics de le faire et que telle était sa mission, elle est restée au côté des entrepreneurs ; ce qui a créé une relation intime, émotionnelle, qu’il faut absolument entretenir. Les maîtres mots sont qualité et simplicité des produits, simplicité du comportement, intelligence, écoute, présence sur le terrain, accompagnement. Bpifrance se considérera de plus en plus comme un réseau social d’entrepreneurs, qui possède une banque au-dessus de lui.

Ensuite, il faudra réinventer une version moderne de la Banque française du commerce extérieur. Notre déficit commercial est insoutenable. Nos entrepreneurs ont toujours un rapport conservateur au monde, voire démodé : 50 % des ETI et 70 % des PME ne sont pas dans la mondialisation, ce qui est gravissime. Nous ne nous arrêterons pas tant que nous n’aurons pas changé cette situation, en faisant du porte-à-porte, en rencontrant les entrepreneurs les uns après les autres. L’Allemagne est bien plus mondialisée que nous.

Bpifrance est le canal du financement de l’innovation française. Il y a un petit frottement de territoire avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), que nous ne pouvons pas cacher. Si l’on veut être client-centrique, il faut traiter le sujet, car il est étrange qu’il existe deux guichets régionaux dans le secteur de la transition énergétique, de l’automobile et du transport.

Enfin, nous sommes une banque partenariale, qui ne souhaite pas devenir une grosse organisation. Avec nos 2 500 salariés, nous sommes une ETI de la banque. La beauté de Bpifrance réside dans sa flexibilité. Les décisions prises le matin sont exécutées le soir même, et l’entrepreneur en est informé le lendemain matin. Pour ne pas devenir une grosse organisation, nous refusons l’intégration verticale. Tout ce que nous faisons, nous le co-faisons : nous co-finançons, nous co-investissons, nous co-accompagnons. Nous travaillons avec des consultants privés, mais nous n’en recruterons. Devenir une entreprise tentaculaire n’entre pas dans le projet qui nous a été confié. Notre petite taille nous permet d’être dynamiques et de catalyser les énergies. Elle fait de nous l’Astérix de la place.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Je vous remercie.