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Mission d’information sur les coûts de production en France

Jeudi 13 décembre 2012

Séance de 10 heures 45

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Bernard Accoyer Président

– Audition, ouverte à la presse, de l’Association française des entreprises privées (AFEP), représentée par M. Thierry Le Hénaff, président-directeur général du groupe Arkema, M. Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles d’Arkema, Mme Stéphanie Robert, directrice de l’AFEP et M. Olivier Chemla, chef économiste.

La mission d’information a entendu l’Association française des entreprises privées (AFEP), représentée par M. Thierry Le Hénaff, président-directeur général du groupe Arkema, M. Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles d’Arkema, Mme Stéphanie Robert, directrice de l’Association française des entreprises privées (AFEP) et M. Olivier Chemla, chef économiste.

M. le président M. Bernard Accoyer. L’Association française des entreprises privées (AFEP) est une organisation patronale singulière, puisqu’elle regroupe la quasi-totalité des entreprises françaises du CAC 40, ainsi que d’autres groupes de grande taille. Son influence est généralement présentée comme déterminante pour faire valoir les intérêts des entreprises par des interventions aussi discrètes qu’efficaces auprès des pouvoirs publics. Elle fut créée au début des années quatre-vingt par M. Ambroise Roux, ancien président-directeur général de la Compagnie générale d’électricité (CGE), aujourd’hui disparue.

Arkema est un groupe chimique international qui emploie 14 000 salariés dans le monde dont 9 000 en France, où il dispose par ailleurs de trente usines et centres de recherche. Son capital étant, comme celui de la plupart des très grands groupes français, assez largement détenu par des investisseurs internationaux, M. Le Hénaff est bien placé pour évoquer les problèmes économiques de la France et le climat des affaires. Notre mission d’information est en effet intéressée par la façon dont les investisseurs étrangers perçoivent la situation française.

J’ajoute que le groupe Arkema, créé en 2004, a en réalité une longue histoire puisqu’il est né de la séparation des activités chimiques du groupe Total, qui est lui aussi représenté au sein de l’AFEP.

Nous aimerions en particulier, Madame, Messieurs, avoir votre avis sur les suites données par le Gouvernement au rapport Gallois.

M. Thierry Le Hénaff, président-directeur général du groupe Arkema. Je m’exprimerai à la fois au nom d’Arkema et de l’AFEP, pour vous faire part de nos convictions sur le sujet de la compétitivité.

L’AFEP représente plus de cent grands groupes français et internationaux, qui emploient au total 5,8 millions de salariés et génèrent 1 500 milliards d’euros de chiffre d’affaires, une part significative des emplois et de cette valeur ajoutée étant d’ailleurs localisée en France.

Dès le mois de juin 2012, l’AFEP a lancé des groupes de travail sur le sujet de la compétitivité. Les directeurs généraux et les équipes des entreprises adhérentes s’y sont impliqués avec la volonté de constituer une force de proposition, de mettre en lumière certaines faiblesses et, surtout, de contribuer à la recherche de solutions concrètes avec le Gouvernement.

Arkema est le numéro un français du secteur de la chimie, et l’un des leaders mondiaux, face à des sociétés américaines, allemandes, chinoises et japonaises. Notre groupe exporte 75 % de sa production ; il réalise 10 % de son chiffre d’affaires en France, mais y emploie 50 % de ses salariés et y effectue 45 % de ses investissements industriels. Arkema est l’une des sociétés qui investit beaucoup en France, à hauteur de 150 à 200 millions d’euros par an. Par ce fort ancrage national et le fait qu’elle exporte beaucoup hors de France, notre société est directement concernée par le sujet de la compétitivité.

Quelques grands projets sont en cours de réalisation en France, parmi lesquels la conversion des sites de Lacq / Mourenx, dédiés aux dérivés du soufre extrait du gaz du gisement, la transformation de Jarrie – près de Grenoble – où nous investissons la meilleure technologie disponible pour la production de chlore, et la modernisation du site de Carling, en Lorraine. Ces trois projets représentent à eux seuls 200 millions d’euros d’investissements.

Par ailleurs, 75 % de notre recherche est implantée en France, nouvelle preuve - s’il en fallait une - du lien entre emploi et compétitivité. La situation serait bien différente sans le crédit d’impôt recherche, outil qui permet à la recherche française d’être compétitive. Enfin, notre société est cotée à Euronext Paris.

Malgré le fait que les grands groupes chimiques soient moins nombreux dans notre pays qu’en Allemagne - qui en compte cinq ou six – et qu’ils aient traversé des difficultés dans le passé, la France reste une terre de tradition chimique. Elle est le deuxième pays européen dans ce secteur et le cinquième dans le monde, même si le Brésil et la Corée du Sud l’ont rattrapée. La chimie française emploie 156 500 salariés sur notre sol, et jusqu’à 200 000 si l’on inclut les emplois indirects, sans compter les filières de la sous-traitance. Le solde commercial du secteur, très positif, est le troisième en France dans l’industrie, derrière l’aéronautique et l’agroalimentaire.

Toute mesure touchant à la compétitivité a un impact direct sur l’activité du secteur, qui emploie une large part de main-d’œuvre très qualifiée : 44 % des salariés d’Arkema ont des salaires supérieurs à 2,5 fois le Smic. Les investissements industriels supposent également d’importants besoins de financement, qui génèrent un endettement significatif.

Notre industrie est par ailleurs très consommatrice en énergie, notamment en gaz et en électricité, secteurs dont la compétitivité nous est par conséquent essentielle. Nous sommes également au cœur de bien des réglementations – notamment environnementales –, beaucoup des quelque 1 200 sites chimiques en France étant classés Seveso. Nous dépendons par ailleurs de façon très importante des transports, qu’il s’agisse du train, des pipelines, de la route ou des ports. Enfin, notre secteur est toujours l’un des premiers concernés par toute mesure de fiscalité environnementale.

La répartition moyenne des coûts de production peut être appréhendée à partir de ce qui serait une usine-témoin, représentative du secteur chimique en France dans son ensemble. Cette répartition s’établit comme suit : 44 % pour les matières premières – dérivés du pétrole ou produits biosourcés –, 10 % pour l’énergie – électricité et gaz –, 5 % pour le transport, 14 % pour les autres achats, 20 % pour les salaires – mais cette proportion monte à 40 ou 50 % hors achat de matières premières –, 3 % pour les taxes de production et 5 % pour les amortissements. La répartition peut bien entendu varier d’une usine à l’autre, mais elle illustre bien la situation moyenne en France.

Si l’on transpose la même usine-témoin en Allemagne ou aux États-Unis, la comparaison des comptes d’exploitation respectifs reflétera assez fidèlement les différences de rentabilité. Cette différence tient en premier lieu à la masse salariale, appréhendée du point de vue du salaire unitaire, des charges et de l’organisation du travail.

La deuxième source de différences concerne l’accès à l’énergie, dont le coût représente en moyenne 9 % en France, contre 8 % en Allemagne – compte tenu notamment des récentes mesures sur le prix de l’électricité – et 6,5 % aux États-Unis, qui profitent de plus en plus de l’exploitation des gaz de schiste. Des différences existent également dans le domaine des transports, les réseaux d’acheminement des produits chimiques étant sensiblement plus développés aux États-Unis – notamment à travers les pipelines – et en Allemagne. Ces infrastructures rendent également, dans ces deux pays, l’accès aux matières premières moins coûteux, de façon plus marginale en Allemagne mais sensible aux États-Unis.

Ces différences, qui portent donc sur quelques postes clairement identifiés, sont le fruit de l’histoire et des dispositions législatives successives. J’ajoute que la marge opérationnelle mentionnée pour les usines françaises est une moyenne : dans certaines d’entre elles, cette marge est très positive et dans d’autres, elle est devenue très négative, la rentabilité s’étant dégradée au fil des années.

Nous souhaitons appeler votre attention sur un certain nombre de points qui peuvent avoir un impact majeur dans le futur. Le premier concerne le coût de la transition énergétique, avec l’annonce de la baisse assez sensible de la part du nucléaire et le développement des énergies renouvelables. Selon diverses estimations, le coût de cette transition devrait avoisiner les 300 milliards d’euros en Allemagne. Or la compétitivité de la fourniture d’électricité est indispensable aux grandes industries, notamment celles qui sont délocalisables. L’Allemagne met par ailleurs en œuvre un certain nombre de mesures très favorables, qui requièrent toute notre vigilance car une différence est en train de se créer de part et d’autre du Rhin, s’agissant de l’accès à l’électricité des grands consommateurs électro-intensifs. Pour ceux-ci, l’avantage en faveur de l’Allemagne atteint aujourd’hui 20 %, alors que la situation était inverse il y a quelques années. Le coût de l’électricité, souvent encore perçu comme un avantage français, risque ainsi de devenir un handicap de compétitivité par rapport à des pays tels que l’Allemagne ou les États-Unis.

Le développement des gaz non conventionnels procure un indéniable avantage compétitif aux États-Unis : nous le constatons tous les jours, puisque nous y achetons du gaz et de l’électricité. Cet avantage se ressent aussi, de façon très sensible, sur le prix de revient des produits dérivés du gaz, comme certains plastiques, dont les exportations sont amenées à se développer. C’est là un point d’importance pour la pétrochimie et les fabricants de ces plastiques en France. En Europe, le prix du gaz relève de deux mécanismes : une formule industrielle d’une part, indexée sur le prix du pétrole brut, et le prix spot, apprécié à Zeebrugge. Selon que l’on se réfère à l’un ou l’autre de ces niveaux de prix, la différence entre le prix du gaz entre les États-Unis et l’Europe peut atteindre un rapport de 1 à 3, voire 1 à 4.

Par ailleurs, la chimie étant émettrice de gaz à effet de serre, elle est en première ligne sur les questions de fiscalité environnementale. Le problème est que toute nouvelle mesure en ce domaine peut pénaliser sa compétitivité par rapport à nos voisins européens. Nous vous lançons donc un cri du cœur, si vous me passez l’expression, pour vous demander d’exempter le secteur de toute nouvelle mesure à cet égard.

Nous ne sommes évidemment pas opposés à la réglementation, d’autant que des programmes tels que ceux issus du règlement REACH, dans lesquels nous sommes impliqués, ont aussi leurs bénéfices ; mais, bien que le sujet dépasse la France, la réglementation a un coût élevé sachant que l’on ne dénombre pas moins de 800 directives et règlements européens concernant la chimie. En d’autres termes, nos sites doivent se mettre en conformité avec plusieurs centaines de directives, ce qui suppose une main-d’œuvre dévolue, sans compter les coûts induits par l’évolution des sites concernés. À cette réglementation européenne s’ajoute parfois une réglementation spécifiquement française : les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) par exemple, qui entraînent des coûts élevés, les règles anti-séisme ou anti-vieillissement des installations, par exemple.

Les transports constituent un autre point de vigilance : qu’il s’agisse du fret ferroviaire, des ports, des pipelines ou de la route, certaines évolutions suscitent des inquiétudes. La Belgique, la Hollande et l’Allemagne disposent d’importants réseaux de pipelines pétrochimiques pour différents produits (éthylène, propylène) ; en France, les réseaux sont non seulement moins nombreux, mais aussi concentrés à l’est, sur un axe nord-sud, et réservés au seul éthylène. Ces différences concernent également d’autres types de transport.

Pour répondre à ces problématiques, un certain nombre d’actions, pas nécessairement très coûteuses, pourraient avoir des effets sensibles sur l’emploi et la compétitivité. Les industries électro-intensives ont beaucoup investi dans le consortium Exeltium qui, créé il y a deux ans, représente l’équivalent d’une demi-tranche nucléaire ; son coût, pour des raisons qui tiennent à la fiscalité qui s’y applique et à sa structure financière, a néanmoins dérivé, à telle enseigne que les prix qu’il propose sont désormais les plus élevés du marché. Il est donc urgent de restructurer cet outil, sur la compétitivité duquel la limitation de la déductibilité des intérêts d’emprunt prévue par la loi de finances pour 2013 aura de lourdes conséquences. Nous nous demandons donc pourquoi Exeltium, qui était conçu pour être compétitif, n’est pas exempté d’une telle mesure de limitation, d’autant que le prix de l’énergie qu’il fournit se répercute directement sur la compétitivité des sites qui en dépendent.

Le crédit impôt recherche étant un excellent outil, il convient de le maintenir. Toutefois, sur le montant total qu’Arkema consacre à la recherche et développement en France, seuls 60 % sont directement concernés par ce crédit d’impôt ; un tel décalage tient sans doute à la définition de l’outil.

S’agissant du coût du travail, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) est une mesure positive, simple et lisible. Pour Arkema, il représentera un gain de 7 millions d’euros, qu’il convient néanmoins de rapporter aux 12 millions de taxes et contributions sociales supplémentaires qu’il nous faudra acquitter suite aux mesures nouvelles prises depuis juillet dernier. En outre, plus de la moitié de notre main-d’œuvre, hautement qualifiée, ne pourra entrer dans le calcul du CICE : il faudrait donc, selon nous, ajuster celui-ci aux industries délocalisables et qui emploient ce type de main-d’œuvre, pour inclure dans ses modalités de calcul les salaires allant jusqu’à trois Smic.

Quant aux actions plus ciblées, la première pourrait viser les coûts de transport de l’électricité, et s’inspirer pour ce faire du modèle allemand.

S’agissant du coût de transport du gaz, on constate une forte différence entre le nord et le sud ; il nous semble donc nécessaire d’accélérer la mise en place du gazoduc « arc de Bourgogne ».

Nous souhaiterions par ailleurs qu’une partie du revenu des enchères de quotas CO2 soit allouée, comme c’est le cas en Allemagne.

Il nous paraît également nécessaire d’engager, en complément du récent décret relatif au passage des camions à « 44 tonnes », une adaptation des règles du transport transfrontalier, puisque ces camions ne peuvent, par exemple, passer la frontière entre la France et la Belgique, bien que ces deux pays aient adopté le 44 tonnes !

Quant aux pipelines pétrochimiques, des désenclavements sont nécessaires, à appréhender cependant au cas par cas.

Dans un autre domaine, pour ce qui concerne l’organisation du travail une plus grande flexibilité est également souhaitable.

Nous appelons enfin à une pause sur la réglementation, dont le niveau dépasse aujourd’hui les besoins. Il convient également de poursuivre le travail de simplification amorcé dans le cadre de la Conférence nationale de l’industrie.

Au-delà du cas de la chimie française, les recommandations de l’AFEP sont évidemment plus larges. La première concerne la transition énergétique, qui ne doit pas pénaliser la compétitivité et l’emploi. Elle doit donc faire l’objet de projections et d’évaluations, quant à son coût, son calendrier et son contenu.

L’AFEP ne peut que partager le constat de la nécessaire réduction des dépenses publiques, tant le décalage s’est creusé, en ce domaine, par rapport à un pays comme l’Allemagne. Des mesures sont donc nécessaires, sur les dépenses de fonctionnement comme sur les dépenses de prestations.

Le CICE va dans le bon sens ; cependant, il s’attaque sans doute davantage à la conséquence, c’est-à-dire au coût final pour l’entreprise, qu’à la cause, à savoir le financement d’une part très importante de la protection sociale par les entreprises. La réflexion doit donc être poursuivie.

Enfin, la rentabilité est un préalable à la fiscalité : compte tenu de la faible rentabilité des entreprises, par exemple, au sein du secteur de la chimie en France, il est logique que l’impôt sur les sociétés qu’elles acquittent reste faible. C’est par une fiscalité qui libère les énergies au sein des entreprises et favorise leur compétitivité que l’on inversera cette tendance, au bénéfice des recettes fiscales.

M. Laurent Grandguillaume. Le groupe Arkema figure dans le « top 100 » des entreprises les plus innovantes au niveau mondial. Quel est son taux de succès dans la validation des brevets qu’elle dépose ? Les Chinois sont en effet moins bons que nous en ce domaine.

Qu’en est-il de votre politique, dont je crois savoir qu’elle est ambitieuse, pour la reconnaissance de vos brevets au niveau international ?

Quelle proportion de vos brevets correspond à des innovations réelles ? Cette question me semble importante pour la compétitivité.

La commercialisation des biopolymères a fait l’objet d’accords internationaux : quel a été le processus suivi au sein de votre groupe ? Quels freins rencontrez-vous au niveau international, notamment à travers les dépôts de brevet, les réglementations ou d’autres difficultés juridiques ?

Enfin, la question du dialogue social, qui me semble essentielle à la compétitivité des entreprises, s’est récemment posée au sein du groupe Arkema. Quelles sont vos préconisations en la matière ?

M. Thierry Le Hénaff. Je ne puis vous répondre de façon exhaustive sur les brevets. Quoi qu’il en soit, le brevet unique européen me semble une avancée importante. Le coût du dépôt des brevets est de 9 000 euros par an en Europe, 6 000 euros aux États-Unis et 4 000 euros en Chine. Malgré cela, Arkema est l’une des sociétés qui investissent le plus en ce domaine : nos brevets, qu’ils protègent des procédés ou des produits, représentent la plupart du temps de véritables ruptures en matière d’innovation. Nous préférerions, d’ailleurs, que les processus de validation des brevets soient sensiblement plus sélectifs, car ils doivent protéger les vraies innovations alors que certaines revendications, faibles au fond, n’ont parfois pour but que de retarder la mise sur le marché de véritables innovations.

Même si notre recherche en France reste prééminente, nous souhaitons également la développer ailleurs. Un centre de recherche a ainsi été ouvert en Chine, car nous voulons apporter et protéger nos technologies partout dans le monde. Certes, en ce domaine, la Chine n’offre pas encore un niveau de protection comparable à celui de la France et de l’Europe, mais elle s’efforce d’évoluer.

Arkema est le leader mondial des plastiques de haute performance fabriqués à partir de matières premières bio-ressourcées, comme l’huile de ricin. Nous travaillons également, au sein de pôles de compétitivité, à la réalisation d’alliages entre thermoplastiques et fibres. Nos sites français étant très exportateurs, la compétitivité de ce type de production est essentielle. La France, il faut le rappeler, est l’un des leaders mondiaux pour la chimie des polyamides, celle des acryliques et celle des fluorés ; il est donc essentiel de protéger ces secteurs.

Le dialogue social est permanent, sur le site de Pierre-Bénite à Lyon – où nous avons en effet renoncé à un investissement – comme sur les autres sites. La philosophie des partenaires sociaux est de protéger les avantages acquis, là où la nécessité de préserver la compétitivité de certains sites, dans un contexte de concurrence et d’évolution réglementaire, nous conduirait à remettre en cause des avantages qui apparaissent moins justifiés qu’autrefois et à négocier davantage de flexibilité. De façon générale, nos institutions représentatives du personnel – comités d’établissement, comité central d’entreprise et comité de groupe européen – fonctionnent bien, ce qui ne préjuge pas, bien entendu, de la situation particulière de chaque site. Les partenaires sociaux doivent néanmoins comprendre que l’avenir de nos sites passe par à la fois par l’investissement, la compétitivité et la productivité, dans la mesure où les parts de marché, dans notre secteur, se jouent parfois à quelques euros par tonne.

M. Olivier Carré. Dans l’esprit du Gouvernement et du législateur, le CICE, qui devra faire l’objet de rapports devant des instances encore mal définies, semble s’inscrire dans une logique de cogestion, et ce afin de favoriser, nous dit-on, le dialogue entre la direction et les représentants des salariés. Avez-vous anticipé ce mode de gestion ? Comment entendez-vous faire évoluer la gouvernance pour le prendre en compte ?

Mme Stéphanie Robert, directrice de l’Association française des entreprises privées (AFEP). L’usage qui sera fait du CICE par les entreprises le sera dans la transparence ; c’est un élément important de son explicitation pour les entreprises, sachant que ce point fait actuellement l’objet d’une discussion entre les partenaires sociaux qui doit aboutir avant la fin de l’année. Je ne suis pas sûre, néanmoins, qu’il faille aller jusqu’à parler de cogestion.

Cet allégement de charges indirect doit au demeurant être mis en balance, comme l’a noté M. Le Hénaff, avec les augmentations récentes du poids des prélèvements fiscaux et sociaux qui pénalise la compétitivité des entreprises françaises. Nous souhaitons que les partenaires sociaux s’accordent, s’agissant de l’utilisation de ces sommes, sur la meilleure formule d’échange ; et, puisque les travaux parlementaires sont en cours, nous espérons que cet outil ne sera pas conditionné à certain nombre de critères, tels que les investissements ou même la non-distribution de dividendes, car cela empêcherait d’anticiper la comptabilisation de la créance qu’il représente dans les comptes et, partant, le priverait de son efficacité.

M. Thierry Le Hénaff. Je le répète, le solde entre le CICE, qui est en lui-même une bonne mesure, et les dispositions fiscales adoptées en juillet est négatif pour des entreprises comme la nôtre. Par ailleurs, je ne vois pas le lien avec la cogestion : j’espère donc qu’il ne s’agit pas de cela. En revanche, les institutions représentatives du personnel me paraissent un cadre tout à fait approprié pour faire le point sur l’utilisation de ce crédit d’impôt, comme c’est déjà le cas avec le crédit d’impôt recherche. C’est là un élément parmi d’autres du dialogue social que nous menons au sein de l’entreprise, à l’occasion des deux comités centraux d’entreprise (CCE) annuels, des CCE extraordinaires et de discussions informelles sur les sites ou au siège.

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Je comprends, madame Robert, la nécessité de comptabiliser le CICE dans le résultat opérationnel ; mais, sans parler de conditionnalité, nous veillerons évidemment à ce que ce crédit d’impôt ne soit pas utilisé pour le versement de dividendes, comme vous l’avez évoqué au détour d’une phrase. Ce point fait sans doute l’unanimité, d’ailleurs, au sein de notre assemblée.

Qu’en est-il de la politique de filières ? Comment envisagez-vous les faiblesses françaises, dans les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants, non seulement sur le territoire français, mais aussi à l’export ? Nous avons souvent entendu dire, en effet, que les Français ne savaient pas « chasser en meute ».

M. Patrick Artus, que nous venons d’entendre, s’est longuement exprimé sur les échanges entre groupes industriels et réseaux bancaires : sans déflorer ce qui ne doit pas l’être, y a-t-il des débats, au sein de l’AFEP, sur les moyens d’améliorer la fluidité entre les premiers et les seconds ?

Vous avez aussi évoqué, monsieur Le Hénaff, le coût de l’énergie. M. Artus a beaucoup parlé des gaz de schiste et des avantages qu’offre leur exploitation aux États-Unis. Mais pour ce qui concerne les sources d’énergie existantes, quelles sont les possibilités de négociation des entreprises que vous représentez avec les distributeurs concurrents ? L’Union européenne vous semble-t-elle jouer tout son rôle en la matière, dans un contexte de libéralisation du marché de l’énergie ?

Un réel pilotage économique et industriel ne vous semble-t-il pas nécessaire au niveau de la zone euro ? Qu’il s’agisse des échanges au sein du marché européen ou, bien entendu, de la concurrence des pays situés hors de l’Union, cette dernière paraît en effet sans tête, si vous me passez l’expression.

Enfin, sur la formation professionnelle – au sujet de laquelle on pourrait, pour le coup, parler de cogestion –, quelles sont les améliorations qui permettraient de favoriser la compétitivité ?

Mme Stéphanie Robert. La relation des grands groupes avec leurs sous-traitants, notamment à l’export, est évidemment un sujet d’importance. Au sein des groupes de travail récemment installés, nous sommes tombés d’accord pour dire que la « ville durable » illustrait bien ce phénomène. L’AFEP compte parmi ses adhérents de grandes entreprises ayant des compétences majeures en ce domaine, qui ont donc tout intérêt à s’organiser en réseau, y compris avec des entreprises de taille plus modeste. Grâce à cette logique de filière, nous pouvons proposer des produits complets à l’export ; mais, pour ce faire, nous devons disposer de démonstrateurs. Nous espérons donc que le futur projet de loi relatif au logement permettra d’en créer. C’est toute notre réglementation qui doit évoluer, sur des éléments aussi concrets que les appels d’offre ou les délais, si nous voulons exporter ces projets d’abord réalisés en France par des entreprises de tailles différentes et proposant des solutions complémentaires.

M. Olivier Carré. Cette question a été évoquée dans le cadre des investissements d’avenir : des projets labellisés doivent aboutir à la création de démonstrateurs. En quoi faudrait-il de nouvelles mesures ?

Mme Stéphanie Robert. Que les entreprises se fédèrent dans le cadre des investissements d’avenir en entraînant leurs sous-traitants est évidemment de bonne stratégie pour elles. C’est d’ailleurs la logique qui fut définie par la Conférence nationale de l’industrie ; reste à la concrétiser et à la projeter à l’international, ce qui passe, selon nous, par certaines évolutions réglementaires relatives aux démonstrateurs. Les grands industriels ont en effet conscience des nécessités de la coopération, d’autant que les exemples en la matière peuvent être dupliqués.

M. Thierry Le Hénaff. Sans constituer la panacée, les logiques de filière et la « chasse en meute » sont bien entendu essentielles. Du photovoltaïque aux batteries, en passant par les matériaux légers pour l’automobile et l’aéronautique, certaines filières à forte composante technologique ont besoin de la chimie. Le programme des investissements d’avenir a permis des avancées dans la création de filières ; Arkema participe, par exemple, au projet Compofast.

Les pôles de compétitivité jouent eux aussi un rôle important. Arkema est très présent au sein d’AXELERA, dont il est un des membres fondateurs. Tout ce qui vient en complément du crédit d’impôt recherche, qu’il s’agisse du programme des investissements d’avenir ou des pôles de compétitivité – pour peu qu’ils soient régulièrement évalués –, va dans le bon sens.

Quant aux liens entre industrie et réseaux bancaires, nous devons bien entendu être en mesure de financer nos développements, mais nous n’avons pas de soucis particuliers en ce domaine.

Mme Stéphanie Robert. La question du financement se pose de façon différente pour les grandes entreprises qui, contrairement aux PME et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI), ont accès au marché international des capitaux et se tournent plus souvent vers l’offre obligataire.

Cela dit, nous sommes très attentifs à l’évolution des normes prudentielles, problématique pour le financement de l’économie, comme à celle de la fiscalité. La « surfiscalisation » de l’épargne financière en France, telle qu’elle vient notamment d’être décidée, nous inquiète car elle peut limiter le développement des fonds propres des entreprises, en particulier des ETI et des PME.

Cette question touche aussi à un enjeu qui nous est cher, celui de la souveraineté nationale. Une part toujours plus importante du capital de nos entreprises est détenue par des actionnaires étrangers. Ce phénomène n’est évidemment pas dramatique en lui-même, car il permet le financement des entreprises, mais il nous inquiète par les choix d’investissement auxquels il pourrait conduire à terme : plus une entreprise est détenue par des actionnaires étrangers, moins la sensibilité au développement du territoire national peut être forte.

M. Thierry Le Hénaff. L’actionnariat individuel est un élément essentiel, en France, pour une entreprise comme la nôtre. En ce domaine, la fiscalité a évidemment une grande incidence.

Quant au CICE, il ne doit en aucun cas être considéré comme un cadeau aux entreprises. Notre pays accuse un important retard en termes de compétitivité, et certaines usines sont en grande difficulté. Si nous étions dans une situation très favorable, je comprendrais l’argument du cadeau, mais nous n’en sommes pas là, loin s’en faut. Le CICE va dans le bon sens, mais il ne traite qu’une partie du sujet. Au demeurant, ma conviction profonde est qu’il n’y a aucun risque qu’il soit utilisé pour le versement de dividendes.

Par ailleurs, n’oubliez pas que la déductibilité des intérêts d’emprunt n’est pas un instrument d’optimisation fiscale mais, pour une entreprise très capitalistique comme la nôtre, un moyen de s’endetter pour investir en France : nous le faisons aujourd’hui à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros par an, mais ce ne pourrait plus être le cas sans ce dispositif.

Pour ce qui concerne la formation professionnelle, tout doit être fait pour favoriser l’employabilité des jeunes ; c’est là une priorité pour notre groupe, même si la réglementation Seveso, à laquelle sont soumis beaucoup de nos sites, y rend difficile l’emploi de jeunes en apprentissage.

Concernant l’électricité, nous ne sommes pas en contact avec les distributeurs, mais avec les producteurs d’électricité ; sans cela, nous ne pourrions bénéficier de prix compétitifs. La diversification au niveau de la distribution n’est donc pas un sujet pour un grand consommateur d’électricité comme Arkema : l’essentiel est de disposer d’un cadre garantissant un prix compétitif à long terme. Or le dispositif correspondant au consortium Exeltium qui a été mis en œuvre il y a deux ans, fonctionne mal ; il est donc urgent de le faire évoluer ; pour ce faire, nous avons besoin de l’aide du Gouvernement.

Enfin, la gouvernance économique européenne est sans doute un sujet important, mais les questions que j’ai soulevées restent très franco-françaises : pour un groupe comme le nôtre, il est donc plus urgent d’y répondre. Nous sommes évidemment prêts à aider le Gouvernement à trouver des solutions concrètes sur les sujets que j’ai évoqués.

M. Olivier Chemla, chef économiste à l’Association française des entreprises privées (AFEP). Les entreprises que nous représentons se félicitent de l’adoption du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), qui introduit un nouveau cadre de gouvernance au sein la zone euro, notamment pour les finances publiques. Nous soutenons la trajectoire de désendettement lancée par la France depuis plusieurs années, avec un objectif de 3 % de déficit en 2013 et d’équilibre des comptes en 2017, même s’il reste à préciser les moyens de l’atteindre.

Le rachat de titres souverains par la Banque centrale européenne sur les marchés secondaires nous donne par ailleurs des motifs d’espoir et d’avancées du point de vue de l’intégration européenne.

M. Daniel Goldberg. Madame, Messieurs, je vous remercie.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur les coûts de production en France

Réunion du jeudi 13 décembre 2012 à 10 h 45

Présents. - M. Bernard Accoyer, M. Olivier Carré, M. Laurent Furst, M. Laurent Grandguillaume, M. Jean-René Marsac, M. Claude Sturni

Excusés. - Mme Jeanine Dubié, M. Jean Grellier, M. Olivier Véran