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Mission d’information sur les coûts de production en France

Jeudi 20 décembre 2012

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 19

Présidence de M. Daniel Goldberg Rapporteur

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Jean-François Roubaud, président de la Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises (CGPME), Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général, et Pascal Labet, directeur des affaires économiques, juridiques et fiscales

La mission d’information a entendu MM. Jean-François Roubaud, président de la Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises (CGPME), Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général, et Pascal Labet, directeur des affaires économiques, juridiques et fiscales.

M. Daniel Goldberg, rapporteur. La mission a toujours gardé à l’esprit l’importance des PME et des TPE, qui assurent un rôle économique majeur par leur présence sur nos territoires. Elles sont créatrices d’emplois et de richesses, et se montrent, dans certains secteurs, plus innovantes que des grands groupes. Cependant, leur poids économique global reste trop peu connu. Quand la presse annonce que de grands contrats ont été obtenus à l’exportation par des groupes internationalisés, elle précise rarement qu’ils n’auraient pas pu l’être sans les nombreuses PME sous-traitantes. Des PME ou TPE se montrent même directement actives à l’exportation en offrant des produits ou des services appréciés par les marchés. Nous avons constaté leur dynamisme le 6 décembre, lors d’une table ronde réunissant des dirigeants de secteurs et de régions différents.

Que pensez-vous des suites données par le Gouvernement au rapport Gallois ? Quels moyens vous semblent les plus appropriés pour dynamiser l’innovation et la création d’emplois ? Pourquoi des pays concurrents réussissent-ils mieux que nous, notamment grâce à la compétitivité de leurs PME industrielles ?

Comment jugez-vous l’avancée des négociations sociales sur la sécurisation de l’emploi, dans lesquelles la CGPME joue un rôle important ? Êtes-vous optimiste quant à la possibilité de conclure rapidement un accord, et plus largement de faire évoluer le droit du travail dans le sens de la flexi-sécurité ? Enfin, comment envisagez-vous la formation professionnelle ? Souvent présenté comme « cogéré » par le patronat et les syndicats, le dispositif actuel, qui semble insuffisamment évalué, mérite sans doute une réorientation.

M. Jean-François Roubaud, président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises. Signe d’un défaut de compétitivité, la France perd des parts de marchés par rapport à ses voisins européens. Depuis 2002, son solde commercial s’est dégradé chaque année de 8 milliards pour atteindre aujourd’hui un déficit de 70 milliards, dont la moitié concerne l’énergie.

La première explication se rapporte aux différents coûts supportés par les entreprises françaises.

Parmi nos handicaps figure d’abord le coût horaire de la main-d’œuvre : 32,7 euros en France en 2009, contre 30 en Allemagne, ce qui représente presque un écart de 10 %.

Si le coût de la protection sociale est quasiment identique dans les deux pays, le taux de cotisation sur les revenus salariés varie sensiblement. En Allemagne, 29 % des recettes affectées à la protection sociale sont supportées par les ménages et 34 % par les entreprises. En France, les taux sont respectivement de 21 % et de 44 %. Cette répartition des charges réduit la compétitivité de nos entreprises.

Par ailleurs, celles-ci n’ont pas intérêt à embaucher une main-d’œuvre peu qualifiée : pour un salaire inférieur à 1 400 euros, 12 % des cotisations sont à la charge des employeurs ; au-delà, le taux double. À l’inverse, les employeurs allemands sont incités à embaucher une main-d’œuvre plus qualifiée et les salariés, à se former. Nos petites entreprises doivent faire un effort en matière de formation.

Même si les produits français conservent une image de qualité, nous ne progressons pas dans ce domaine, contrairement à d’autres pays. Pour les promouvoir, nous devons améliorer notre image en termes d’innovation, de technologie et de notoriété.

L’évolution du coût des matières premières et la volatilité des taux de change sont très pénalisantes pour certaines branches. Le prix des produits alimentaires, notamment celui des oléagineux, a fortement augmenté, ces dernières années. Nous ne maîtrisons pas non plus le coût de l’énergie, qui a subi une forte hausse.

Certains atouts devraient toutefois nous permettre de rebondir : la qualité de notre système de santé, celle de nos salariés, leur productivité et nos infrastructures de transport. Notre démographie positive, poussée par un fort taux de fécondité, constitue une réserve de compétitivité pour les années à venir, à condition que les jeunes puissent trouver dans nos écoles une formation de qualité.

Après lecture du rapport Gallois, le Premier ministre a annoncé un pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi. Nous aurions préféré une baisse de charges à un crédit d’impôt, mais la somme de 20 milliards est suffisamment importante pour que nous ne fassions pas mauvaise figure. À présent que les règles du jeu ont été fixées – ce qui n’était pas le cas il y a deux semaines –, les entrepreneurs vont pouvoir s’engager, ce qu’ils hésitaient à faire tant qu’on pouvait encore craindre un retour en arrière. Il est donc probable que le dispositif fonctionnera convenablement.

Le pré-financement est essentiel pour les PME et les TPI, dont la trésorerie pâtit de la baisse des commandes et de l’allongement des délais de paiement, car la loi de modernisation de l’économie n’est pas respectée, même par l’État et les collectivités locales ! De plus, les banques ont du mal à accorder des découverts aux entreprises qui doivent financer leur besoin en fonds de roulement. Autant de facteurs qui expliquent les difficultés des PME, lesquelles détruisent 1500 emplois par jour – soit plus de trois fois l’effectif de l’usine de Florange – sans qu’aucun journaliste n’en parle.

Nous souhaitons aussi qu’une partie de la protection sociale soit financée non plus par les cotisations des employeurs mais par la TVA ou la CSG. Il y a plusieurs années, nous avions proposé d’utiliser à la fois l’une et l’autre, en baissant en contrepartie les charges salariales, de façon à maintenir la consommation. Cette piste n’a pas été retenue. Peut-être devriez-vous y revenir, le semestre prochain, quand vous travaillerez sur le financement de la protection sociale et sur la dépendance.

M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CGPME. Selon le Haut Conseil du financement de la protection sociale, 77 % du financement de la protection sociale proviennent directement de revenus issus du travail. D’où la nécessité d’élargir l’assiette si l’on veut maintenir le niveau de protection actuel, sans préjuger d’autres économies à réaliser pour réduire le coût global des dépenses.

M. Jean-François Roubaud. Permettez-moi de suggérer encore quelques pistes.

Une manière d’éviter que la protection sociale ne soit financée uniquement par le coût de la main-d’œuvre est d’instaurer une flat tax.

Pour diminuer le coût des matières premières et mettre les entreprises à l’abri des variations, on pourrait rétablir la déductibilité de la provision pour fluctuation des cours des matières premières.

La transition énergétique est un autre chantier. On se dit qu’il n’y a pas lieu d’éluder le débat sur un sujet qui fâche, comme le gaz de schiste, quand on voit ce qu’en tirent les États-Unis sur le plan économique ! Je ne nie pas le problème environnemental, essentiellement lié à la fracturation hydraulique, mais il faut ouvrir le dossier de manière honnête avec des « sachants » de tous bords. Je ne suis pas sûr que tous ceux qui s’opposent à l’exploitation de ces gaz le fassent sur des bases très sérieuses.

S’il est judicieux que la Banque publique d’investissement – BPI – finance les ETI ou les entreprises innovantes, elle devra aussi combler les besoins de financement que les banques, pour des raisons en partie légitimes, n’assurent pas de manière satisfaisante. Cet établissement de crédit public ne doit pas évacuer le problème des petites ou très petites entreprises. Les assurances que nous avons reçues de M.Jean-Pierre Jouyet à cet égard doivent être rapidement suivies d’effet.

Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) sera probablement activé l’an prochain au niveau de la BPI. Reste à savoir ce que prévoiront les textes en matière fiscale et comptable pour permettre son préfinancement.

M. Daniel Goldberg, rapporteur. L’Assemblée nationale a voté hier à l’unanimité le projet de loi portant création de la BPI.

M. Pascal Labet, directeur des affaires économiques, juridiques et fiscales à la CGPME. Aujourd'hui, OSÉO propose un seuil pour les préfinancements de 20 000 euros, qui exclut de fait certaines entreprises, pour une quotité de 85 %, ce qui implique de recourir, pour la garantie, à un système de syndication. Plus inquiétant : selon les simulations, seules 18 000 entreprises seraient visées. Je me fonde sur des documents écrits et non sur des supputations. Nous devons donc nous montrer particulièrement vigilants.

Le crédit d’impôt, qui a été préféré à un allégement de charges, doit faire l’objet d’une triple analyse. D’abord sur le plan fiscal, une fois que le dispositif aura été validé par le Conseil constitutionnel. Ensuite, les modalités du préfinancement qui n’est pas possible si le crédit d’impôt est assorti de conditions suspensives ou résolutoires. Or les amendements au texte initial ont introduit des contreparties liées notamment à la rémunération du dirigeant et à la distribution. Enfin, une analyse comptable devra prendre en compte de manière globale le traitement du crédit d’impôt. Sera-t-il intégré dans l’assiette de la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE) ? Il faut réagir rapidement si l’on veut éviter qu’il soit traité comme un produit, ce qui en changerait toute la philosophie.

M. Jean-François Roubaud. Les PME souffrent de la faiblesse de leurs marges, qui n’ont jamais été aussi réduites, ce qui les empêche d’investir. Elles pâtissent aussi de l’instabilité juridique et fiscale, comme l’indique le rapport Gallois.

M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Pendant les huit mois qu’a durés la rédaction de ce rapport, trente-quatre textes, essentiellement des normes réglementaires découlant de dispositions législatives nationales ou européennes, sont intervenus dans le seul domaine de la gestion des déchets ! C’est dire à quelle complexité est confronté le chef d’entreprise. Autre exemple : le forfait social, c’est-à-dire les prélèvements sociaux sur les sommes distribuées au titre de l’intéressement, de la participation ou de l’épargne salariale, est passé de 2 % à 20 % entre 2009 et 2012. Une telle augmentation remet en cause la nature même du dispositif.

M. Jean-François Roubaud. Dans certains secteurs comme l’hôtellerie ou la restauration, les petites entreprises souffrent d’une pénurie de main-d’œuvre.

M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Selon le référentiel métiers de Pôle emploi, 250 000 offres d’emploi sont restées non pourvues pendant plus d’un an. Dans l’hôtellerie-restauration ou dans les secteurs techniques, les entreprises n’arrivent pas à recruter. La métallurgie manque de tourneurs-fraiseurs. On cherche à embaucher dans la découpe de verre. Les experts comptables font également défaut. Bref, il est difficile de trouver du personnel compétent, ce qui ouvre la réflexion sur la formation professionnelle.

M. Jean-François Roubaud. L’objectif des négociations sociales sur la sécurisation de l’emploi est d’améliorer l’accès à l’emploi et de sécuriser les parcours professionnels. On se focalise généralement sur les contrats courts, mais pourquoi, dans 80 % des cas, les entrepreneurs préfèrent-ils les CDD aux CDI ? D’abord parce qu’un CDI les expose à une certaine insécurité. Il faut assouplir ces contrats si l’on veut les rendre plus attractifs. Ensuite, en raison de l’instabilité économique. Quand l’entrepreneur n’a pas de visibilité sur son carnet de commandes, ses marges de manœuvre sont réduites.

Pour finir, n’oublions pas que les CDD sont indispensables à certains secteurs et à certaines petites sociétés. Dans une entreprise de cinq ou dix salariés, lorsque le chauffeur livreur est malade, il faut immédiatement le remplacer. Évitons donc de nous focaliser sur les CDI.

M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Plus de 70 % des jeunes sont embauchés en CDD, mais plus de 85 % des contrats de travail en cours sont des CDI.

M. Jean-François Roubaud. La négociation est délicate. Elle porte sur plusieurs sujets qu’on n’épuisera pas en quelques mois. Il faut surtout trouver un accord gagnant-gagnant, c’est-à-dire sécuriser tant le salarié que l’entreprise. Pour nous, le principal frein aux CDI, ce sont les indemnités de licenciement, qui peuvent mettre en danger des TPI. L’un des points à aborder est donc la « barémisation » des indemnités.

M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. La plupart des PME n’ont pas de DRH ni de responsables des relations sociales. C’est le chef d’entreprise lui-même qui affronte le code du travail. Certes, il doit être sanctionné en cas d’abus, mais s’il pèche, c’est le plus souvent par non-respect des procédures, parce qu’il est difficile de se conformer à des textes qui évoluent constamment. Entre 2005 et 2010, le code du travail est passé de 2 700 à 3 200 pages, ce qui signifie qu’il augmente d’une page tous les trois jours. Cette situation est ingérable pour un chef d’entreprise qui n’est pas spécialiste du droit social.

M. Jean-François Roubaud. Pour la formation, vous avez souligné l’importance de conserver une gestion paritaire. C’est un secteur très vaste, dans lequel il reste beaucoup à faire. Nous ne sommes pas opposés à des améliorations, mais il s’agit d’un domaine très complexe.

M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. La CGPME, qui s’investit beaucoup dans la formation, mène une campagne pour la promouvoir dans les PME. Le nombre de salariés en formation dans les PME augmente, même s’il subsiste une importante marge de progression et si, plus l’entreprise est grande, plus la proportion de salariés en formation est importante.

La professionnalisation, au sens large du terme, est également essentielle. Le meilleur moyen d’être recruté par une entreprise est d’y travailler déjà. L’apprentissage est un bon dispositif sur lequel il faut capitaliser. Nous sommes preneurs de toute mesure qui inciterait les entreprises à s’y engager davantage.

Il existe une autre innovation intéressante : la préparation opérationnelle à l’emploi (POE), qui découle d’un accord entre partenaires sociaux. En règle générale, un demandeur d’emploi s’adresse à Pôle emploi pour obtenir une formation, après quoi on essaie de lui trouver un poste. Dans le cadre de la POE, on commence par identifier une offre d’emploi non pourvue, puis l’on cherche un demandeur d’emploi dont les compétences peuvent correspondre au poste, et on lui propose une formation adaptée. À l’issue de celle-ci, plus de 85 % des salariés sont embauchés. C’est donc une solution qu’il faut promouvoir. Reste que les agents de Pôle emploi, souvent surchargés, peuvent juger plus simple de travailler avec des grandes entreprises que de faire du sur-mesure pour une PME.

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Pouvez-vous détailler ce dispositif ? À quoi s’engage l’employeur ? J’imagine qu’il ne s’agit pas d’une forme de préembauche, puisque vous signalez un taux d’échec de 15 %.

M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Le POE n’est pas une préembauche, mais un dispositif qui associe l’entreprise, l’organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) et Pôle emploi. L’entreprise fait part d’un besoin. L’OPCA intervient essentiellement en tant que financeur. Pôle emploi détermine la compétence du salarié. C’est lorsque les trois acteurs se concertent que peuvent surgir des pesanteurs ou des retards, voire des divergences concernant le financement apporté par chacun.

M. Daniel Goldberg, rapporteur. En matière de flexi-sécurité, vous avez parlé d’accord gagnant-gagnant visant à assouplir le CDI. Aux organisations représentant les salariés, je demande souvent quel type de flexibilité elles peuvent accepter. Vous qui représentez les entreprises, jusqu’où êtes-vous prêt à aller en matière de sécurité ?

Lors des précédentes auditions, certains intervenants ont souligné que le SMIC, en pesant sur le niveau des salaires en France, pouvait freiner la création d’emplois. Le ministre du travail lui-même a récemment évoqué une évolution des normes de fixation du SMIC. Quelles propositions pourriez-vous formuler à ce sujet ?

En matière de contrats de travail et de durée légale du travail, la comparaison internationale est, certes, rendue difficile par les spécificités des systèmes sociaux des différents pays, mais on devrait pouvoir s’inspirer de ce qu’il y a de meilleur chez nos voisins. Qu’en pensez-vous ?

Le dispositif du crédit d’impôt compétitivité emploi doit certainement être sécurisé et stabilisé ; mais les contreparties à son octroi sont particulièrement faibles. Quelle utilisation concrète les entreprises que vous représentez pourraient-elles en faire ? Servira-t-il au rétablissement de leurs marges fragilisées ? Appuiera-t-il une stratégie offensive ou défensive, d’embauche ou de sauvegarde d’emplois ? Aurait-il fallu donner la priorité à certains secteurs, notamment ceux exposés à la concurrence internationale ?

Alors que le pacte de compétitivité proposé par le Gouvernement comprend trente-quatre mesures, on ne parle que d’une seule d’entre elles – sans doute la plus attendue et la plus emblématique. Le rapport Gallois présentait également un grand nombre de pistes. Qu’en est-il de la réflexion sur l’organisation des filières, et sur le soutien à la croissance des PME et à leur transformation en ETI ? Quelles mesures concrètes attendez-vous, et avec quel calendrier de mise en œuvre ?

M. Jean-François Roubaud. Dans le cadre du dialogue social, nous avons proposé de mettre en place la couverture complémentaire santé pour les salariés, malgré le coût de cette mesure – plus d’un milliard d’euros par an – et la complexité de gestion du dispositif. Nous avons également soutenu l’idée de droits rechargeables pour les chômeurs, afin de conserver à ceux d’entre eux qui retrouvent un travail le reliquat de leurs droits, de façon à ce qu’ils soient mieux indemnisés s’ils se retrouvaient à nouveau au chômage. Cette mesure pragmatique devrait encourager le retour à l’emploi. Nous avons fait des propositions visant à sécuriser la mobilité professionnelle, en simplifiant la possibilité, pour le salarié, de trouver un autre emploi à quelques dizaines de kilomètres de son lieu de travail actuel. Nous essayons enfin d’avancer sur la question de la formation, l’individualisation du compte épargne formation (CEF) devant permettre à chaque salarié d’en bénéficier effectivement.

M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Il est essentiel de sécuriser tant les employeurs que les salariés ; il s’agit de renforcer la stabilité de l’emploi pour ceux qui en ont un, de faciliter l’accès à l’emploi pour ceux qui n’en ont pas, et d’améliorer la transition entre deux emplois. La formation tient ici un rôle essentiel, car plus l’on reste au chômage, plus il est difficile de retrouver un travail. Des deux côtés de la table, nous partageons donc la volonté d’insister sur ce point.

Il est important pour nous que les propositions en discussion soient applicables aux PME, certains dispositifs – comme les procédures collectives de licenciement – concernant presque exclusivement les grandes entreprises. La CGPME a ainsi beaucoup insisté sur le recours au contrat de travail intermittent – dispositif déjà existant dans le code du travail, mais méconnu et peu utilisé car subordonné à la conclusion d’un accord de branche, difficile à obtenir. Pour les très nombreux employés saisonniers comme pour leurs employeurs, le CDI est plus avantageux que le CDD : les premiers peuvent revenir dans l’entreprise l’année suivante, et les seconds, de leur côté, sont assurés de retrouver un personnel qualifié et opérationnel. Ce dispositif est donc gagnant pour les deux parties.

M. Jean-François Roubaud. S’agissant du SMIC, il nous paraît essentiel d’éviter les coups de pouce – même faibles –, par exemple par un contrat de mandature, de façon à permettre aux chefs d’entreprise d’avoir une lisibilité du dispositif à moyen terme. Le SMIC peut en effet constituer un frein à la création d’emplois, et l’on devrait réfléchir à la mise en place, pour le premier emploi des jeunes et les stagiaires d’école, d’un SMIC spécifique, moins élevé, de façon à leur mettre le pied à l’étrier.

M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Dans les entreprises de moins de vingt salariés, 30 % des effectifs sont au SMIC, alors qu’ils ne sont que 8 % dans les entreprises de plus de 500 salariés. L’augmentation du SMIC affecte donc en premier lieu les PME ; elle induit, par ailleurs, un effet sur l’ensemble de l’échelle des salaires, et donc sur toute la masse salariale des entreprises.

M. Jean-François Roubaud. Introduire des contreparties importantes à l’octroi du CICE serait contre-productif ; pour que le dispositif soit utile à nos entreprises, elles doivent rester faibles, et nous nous sommes battus pour cela. Il est juste que l’ensemble du personnel soit informé du montant du crédit d’impôt accordé à l’entreprise, mais l’on ne peut pas demander à une petite entreprise d’en détailler la ventilation. La somme reçue permettra au moins d’améliorer la marge, donc d’investir et d’embaucher. L’exigence de contreparties vérifiables dès l’année 2013 poserait de surcroît un problème de comptabilisation, et rendrait impossible le préfinancement. Si l’on veut que le dispositif fonctionne, mieux vaut se cantonner à la clause de l’information.

M. Pascal Labet. Le système fiscal français étant déclaratif, ce n’est qu’au deuxième trimestre 2014 – au moment du dépôt de la liasse fiscale – que les entreprises pourront déterminer l’assiette du crédit d’impôt, le problème étant d’autant plus aigu pour celles dont l’exercice comptable est décalé par rapport à l’année civile. Les TPE et les plus petites des PME ont donc peu de chances de bénéficier du CICE dès 2013. Pour maximiser l’efficacité du dispositif, il faudrait s’inspirer du régime du crédit d’impôt recherche – créé en 1983 et modifié vingt-quatre fois –, dont on peut supposer que même s’il reste perfectible, il a atteint un certain degré de maturité. Si, au contraire, l’on veut changer les méthodes de calcul, autant ne pas parler de crédit d’impôt, et mettre en place un autre type de dispositif.

M. Jean-François Roubaud. Ce crédit d’impôt sera un ballon d’oxygène pour nos entreprises, ce qui créera forcément de l’emploi et de l’investissement, même si l’on ne saurait dire dans quelles proportions. S’il a été mis en place pour favoriser en priorité notre industrie, l’octroi du CICE aux entreprises de services bénéficiera également à celle-ci, dans la mesure où elle en est consommatrice.

Le rapport Gallois contient par ailleurs beaucoup de propositions intéressantes sur l’innovation et l’organisation des filières. En matière de développement des PME et de leur transformation en ETI, les choses se mettent en place. Avant-hier, les grands groupes publics ont par exemple signé, au ministère des finances, une charte – qui s’inspire du modèle de l’association Pacte PME – dans laquelle ils s’engagent à soutenir les PME et à favoriser leur croissance. Le rapport préconise également d’améliorer notre système d’exportation en offrant à nos entreprises les meilleures conditions de financement en Europe. Le chef de l’État a d’ores et déjà mis les ambassadeurs au service des entreprises dans les pays étrangers, et les mesures prises par Mme Bricq promettent d’autres améliorations.

M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Certaines décisions sont particulièrement importantes pour nous, comme le maintien en l’état de l’ISF-PME – qui permet d’amener davantage de financements vers nos entreprises – et la stabilité du crédit d’impôt recherche. Celle de la contribution économique territoriale (CET), pourtant affichée, nous apparaît en revanche moins assurée, étant donné l’augmentation de la cotisation foncière des entreprises (CFE) dans les collectivités. La CGPME devra être véritablement associée à la prochaine étape de la révision des valeurs locatives, actuellement en cours, qui aura un impact fort sur la fiscalité locale, dont il nous faut anticiper les effets.

M. Jean-François Roubaud. Nous n’avons d’ailleurs eu aucun retour sur l’expérimentation qui a été menée dans ce domaine. Il faudrait ouvrir un débat sur cette réforme dont les conséquences pourraient être dramatiques.

M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Parmi les autres mesures du pacte de compétitivité, nous sommes particulièrement attachés au « test PME » qui impose d’évaluer, pour toute nouvelle mesure, les effets qu’elle pourrait avoir sur les PME. Trop souvent, en effet, on ne s’aperçoit des répercussions négatives qu’une fois que la mesure a été prise.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Que pensez-vous de la mise en place du contrat de génération ? Pourrait-il pallier les difficultés des très petites entreprises sans repreneur en permettant de préparer un jeune à assurer la relève ?

On entend souvent que les petites entreprises ont du mal à répondre aux marchés publics ; est-ce une réalité pour vos adhérents ? Que peut-on faire à ce propos ?

En Allemagne, lorsqu’une grosse entreprise obtient un marché à l’international, elle en fait en général bénéficier ses partenaires TPE et PME. Ce modèle peut-il être imité en France ?

M. Jean-François Roubaud. Le contrat de génération doit encore être testé, mais comme l’ensemble des partenaires sociaux qui l’ont signé, j’espère qu’il aura un effet incitatif. Entre 300 000 et 500 000 petites entreprises devront trouver un repreneur dans les années à venir, et pour les plus petites d’entre elles, le contrat de génération pourrait favoriser la transmission à un jeune.

M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Avoir ouvert le contrat de génération aux chefs d’entreprise – qui peuvent jouer le rôle du senior – garantit l’efficacité du dispositif en matière de transmission.

En Allemagne, 50 % des transmissions d’entreprise s’effectuent au sein de la famille, contre seulement 10 % en France, ce qui explique, entre autres, qu’il y ait en France si peu de grosses PME par rapport aux TPE.

M. Jean-François Roubaud. Les TPE pâtissent d’une réelle difficulté d’accès aux marchés publics, ne serait-ce que par méconnaissance ou à cause de la complexité des dossiers administratifs à remplir. Le Gouvernement a cependant la volonté de faciliter ces démarches : il vient de nommer un médiateur qui devra inciter les chefs d’entreprise à solliciter les marchés publics. De nombreux sites Internet sont créés pour informer et aiguiller les petites entreprises vers les marchés auxquels elles pourraient prétendre ; « France Marchés », portail internet mis en place par la presse quotidienne régionale, en partenariat avec la CGPME, en constitue un exemple.

En matière de collaboration entre grandes et petites entreprises, il existe une différence culturelle entre la France et l’Allemagne, mais depuis quelques années, des efforts sont menés en ce sens dans notre pays. L’association Pacte PME incite ainsi les grandes entreprises à emmener les petites à l’international. Les efforts doivent d’ailleurs être réciproques : beaucoup de grandes entreprises ont, en effet, du mal à trouver des volontaires parmi les PME. En somme, les choses s’améliorent, mais nous sommes encore loin des performances de nos amis allemands.

M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. La CGPME s’est engagée dans cette démarche en passant des partenariats avec des grandes entreprises – comme GDF Suez – pour servir de relais et encourager les PME à la coopération.

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Au moment où la réforme de la taxe professionnelle a été conduite à l’Assemblée nationale, nous étions nombreux à avoir des réserves sur la pertinence du dispositif finalement retenu, pourtant crucial pour les entreprises. Quelle est votre position sur le débat autour de la CFE ? Suffirait-il de lever quelques imprécisions ou bien souhaitez-vous une réforme plus approfondie des deux prélèvements qui remplacent désormais la taxe professionnelle ?

S’agissant des problèmes posés par la réglementation, comment rendre l’environnement administratif plus favorable à la création et au fonctionnement des PME ? Les intervenants précédents nous ont assuré que les entreprises françaises n’intervenaient pas suffisamment au niveau de la fixation des normes européennes, leurs homologues allemandes sachant bien mieux faire valoir leurs qualifications. Une fois définies, ces normes pèsent alors sur les marchés que nos entreprises auraient pu conquérir.

M. Jean-François Roubaud. La réforme de la taxe professionnelle, globalement saluée par les chefs d’entreprise, a été conçue pour favoriser l’industrie, et elle a rempli sa mission, fût-ce au détriment de certaines entreprises de services. La CET, qui a remplacé cette taxe, est composée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de la CFE, qui est très sensible à la modification des valeurs locatives. Il est pourtant indispensable de garder le lien entre l’entreprise et son territoire : si l’on supprime toute taxe locale, plus une ville ne voudra d’une usine ; il faut donc trouver un équilibre.

Le problème de la CFE tient à l’augmentation très importante de la cotisation minimum qui n’a pas toujours été prise en compte par les assemblées locales au moment du vote des taux. Le Gouvernement a réagi rapidement, et le Parlement vient de voter des amendements autorisant les collectivités à revoir le montant de la CFE pour 2012. La levée de boucliers avait été violente dans les territoires touchés par les augmentations les plus significatives ; depuis, la réforme a bien évolué, mais il reste encore beaucoup à faire.

Mes collaborateurs ont souligné la complexité de la réglementation et de l’environnement administratif. Depuis quelques années, on travaille sur la mise en place du « coffre-fort électronique » et du principe « only once », une fois pour toutes, qui permettrait à l’entreprise de ne pas soumettre la même information aux administrations plusieurs fois. Pour l’heure, à chaque fois qu’une entreprise répond à un appel d’offres public, elle doit fournir des pièces identiques, le volume du dossier et la perte de temps qu’implique sa constitution pouvant se révéler rédhibitoires pour le chef d’une TPE.

La difficulté qu’éprouvent les TPE à devenir des PME, et les PME, des ETI, tient au problème de la transmission familiale, relevé par Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, à l’image de l’entreprise et du chef d’entreprise, mais également aux effets de seuil. Il y a ainsi 2,4 fois plus d’entreprises de 49 salariés que de 50 salariés, le blocage étant psychologique, mais également réglementaire : passer de 49 à 50 salariés implique, en effet, trente-quatre obligations administratives de plus, et un coût supplémentaire de l’ordre de 4 % de la masse salariale. Dans la négociation en cours, je propose donc d’expérimenter un moratoire de deux ou trois ans lorsqu’on franchit ce seuil, qui pourrait augmenter sensiblement le nombre des entreprises de plus de 50 salariés.

En ce qui concerne les normes européennes, nous ne faisons pas assez de lobbying à Bruxelles. Ce n’est qu’en 2003 que j’y ai installé une équipe permanente ; mais nos moyens restent modestes : elle ne compte que deux personnes et demie, contre dix pour les Anglais et quinze pour les Allemands. De plus, une fois que la norme est adaptée au niveau européen, on l’alourdit souvent encore davantage dans notre législation nationale, ce qui ne simplifie pas les choses pour nos entreprises.

M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Il serait utile de disposer d’études d’impact non seulement prospectives, mais également rétrospectives, afin d’évaluer systématiquement l’efficacité des textes et s’interroger sur leur maintien. Actuellement, on ajoute sans cesse de nouveaux dispositifs, sans en supprimer beaucoup ; il faudrait changer l’état d’esprit pour raisonner plutôt à périmètre constant.

Enfin, 85 % des textes en vigueur en France représentant la transcription de directives européennes, pour les organisations comme la nôtre, il est fondamental d’être présentes à Bruxelles et de travailler directement avec les parlementaires européens.

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Madame, Messieurs, je vous remercie pour votre participation aux travaux de cette mission.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur les coûts de production en France

Réunion du jeudi 20 décembre 2012 à 10 h 30

Présents. - Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Daniel Goldberg, M. Marc Le Fur

Excusés. - M. Bernard Accoyer, M. Frédéric Barbier, M. Thierry Benoit, M. Olivier Carré, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, M. Laurent Furst, Mme Annick Le Loch, M. Claude Sturni