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Mission d’information sur les coûts de production en France

Jeudi 17 janvier 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 20

Présidence de M. Bernard Accoyer Président puis de M. Thierry Benoit Vice-président

– Table ronde, ouverte à la presse, avec les syndicats : Confédération française démocratique du travail (CFDT), représentée par Mme Isabelle Martin, secrétaire confédérale en charge des politiques industrielles et M. Emmanuel Mermet, secrétaire confédéral, économiste, Force ouvrière (FO), représentée par M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral chargé du secteur économique et M. Philippe Guimard, assistant confédéral, Confédération générale du travail (CGT), représentée par M. Nasser Mansouri-Guilani, conseiller confédéral, responsable des questions économiques, Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), représentée par M. Joseph Thouvenel, vice-président, Confédération générale des cadres (CFE-CGC), représentée par M. Jean-Luc Haas, secrétaire national en charge du secteur économie-industrie-logement-développement durable, et M. Kévin Gaillardet, chargé d’études économiques, Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), représentée par M. Jean-Marie Poirot, conseiller national, et M. Paul Jorgensen, chargé de la fédération de l’Industrie de l’UNSA, Union syndicale Solidaires (SUD – Solidaires, Unitaires, Démocratiques), représentée par Mme Catherine Lebrun, secrétaire nationale en charge des questions économiques et sociales, et M. Morvan Burel, membre de la commission économique de Solidaires.

La mission d’information a organisé une table ronde avec les syndicats. Elle a entendu : la Confédération française démocratique du travail (CFDT), représentée par Mme Isabelle Martin, secrétaire confédérale en charge des politiques industrielles et M. Emmanuel Mermet, secrétaire confédéral, économiste, Force ouvrière (FO), représentée par M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral chargé du secteur économique et M. Philippe Guimard, assistant confédéral, la Confédération générale du travail (CGT), représentée par M. Nasser Mansouri-Guilani, conseiller confédéral, responsable des questions économiques, la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), représentée par M. Joseph Thouvenel, vice-président, la Confédération générale des cadres (CFE-CGC), représentée par M. Jean-Luc Haas, secrétaire national en charge du secteur économie-industrie-logement-développement durable et M. Kévin Gaillardet, chargé d’études économiques, l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), représentée par M. Jean-Marie Poirot, conseiller national et M. Paul Jorgensen, chargé de la fédération de l’Industrie de l’UNSA, l’Union syndicale Solidaires (SUD – Solidaires, Unitaires, Démocratiques), représentée par Mme Catherine Lebrun, secrétaire nationale en charge des questions économiques et sociales et M. Morvan Burel, membre de la commission économique de Solidaires.

M. le président Bernard Accoyer. Après avoir entendu de nombreuses personnalités, et notamment des chefs d’entreprise, nous accueillons ce matin, dans le cadre de cette nouvelle table ronde, des représentants des grandes organisations syndicales.

Nous serons d’autant plus attentifs à vos propos, Madame, Messieurs, que l’accord sur la sécurisation de l’emploi signé il y a quelques jours entre trois des grandes centrales syndicales et les organisations patronales doit venir prochainement devant le Parlement. Dans son travail d’analyse des facteurs de compétitivité de l’économie française, notre mission a déjà relevé qu’au-delà du coût du travail et des charges sociales, il fallait également tenir compte d’éléments comme la qualité de la production, l’innovation ou les questions relatives au marché du travail. Nous aimerions également connaître votre vision de ce que devrait être la construction d’une Europe sociale.

Mme Isabelle Martin, secrétaire confédérale en charge des politiques industrielles, CFDT. Cela fait des années que la CFDT considère la compétitivité au sens large comme une question importante. Preuve en est la contribution ne notre organisation au rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) consacré à ce sujet ainsi qu’à l’élaboration d’un document, avec d’autres organisations syndicales et des organisations patronales, sur une « Approche des déterminants de la compétitivité de l’industrie française » publié en juin 2011. Dans le cadre de ces travaux, nous avons dressé un diagnostic approfondi sur l’ensemble des facteurs de compétitivité, « coût » mais surtout « hors coût ».

Le rapport Gallois et le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi y font d’ailleurs largement écho. Le décrochage de compétitivité dont souffre l’économie française est d’abord le résultat d’un retard dans le domaine de l’innovation, d’un positionnement de gamme trop faible, d’une insuffisance de formation et de qualification des salariés, mais aussi de la faiblesse de notre tissu de petites et moyennes entreprises et des relations entre donneurs d’ordre et de sous-traitants. Pour reprendre une formule frappante de Louis Gallois, l’industrie française se trouve depuis plusieurs années « prise en étau entre les pays à valeur ajoutée, comme l’Allemagne, et les pays à bas coûts ». Certes le coût du travail ne doit pas être ignoré, mais il n’est qu’un des éléments à prendre en compte, d’autant qu’il est très variable selon les secteurs professionnels. Autre conclusion très importante pour nous, le rapport Gallois souligne le besoin d’un pacte de confiance et réaffirme que le dialogue social est un facteur de compétitivité : il ne peut pas y avoir de compétitivité économique sans compétitivité sociale, et d’abord au niveau des entreprises. Cela engage particulièrement la responsabilité des partenaires sociaux.

Le choix du crédit d’impôt compétitivité et emploi, le CICE, n’était pas le nôtre, même si nous comprenons la logique qui a présidé à sa création, notamment le souci de ne pas creuser le déficit budgétaire. L’enjeu est désormais de s’assurer que les marges ainsi dégagées iront bien à l’investissement productif et à l’emploi, et non aux dividendes. Nous avons obtenu, dans le cadre des négociations sur la sécurisation de l’emploi, une avancée extrêmement importante de ce point de vue, puisque l’accord prévoit que les instances représentatives du personnel devront être consultées sur l’affectation du crédit d’impôt.

Ce sujet ne doit pas occulter le fait que nous avons besoin de construire collectivement une compétitivité de long terme. Cela suppose une stratégie de croissance et de compétitivité à l’échelle européenne, qu’il s’agisse de la politique industrielle, du soutien aux activités stratégiques, des investissements de croissance ou des enjeux énergétiques. Nous avons également besoin, non seulement d’un « État stratège », mais aussi d’une véritable coopération avec les territoires. Le rapport Gallois souligne qu’une organisation des filières, supposant une vraie culture de coopération entre tous les acteurs – entreprises, banques, territoires – est un enjeu majeur. Elle impose également d’inciter fortement à une solidarité des donneurs d’ordre envers les sous-traitants et de veiller au lien entre services et industrie. Les filières doivent être aussi exemplaires en termes de dialogue social.

Parmi les autres éléments nécessaires à la construction d’une compétitivité de long terme, je citerai l’investissement dans la recherche et l’innovation, le rôle de la commande publique, l’investissement social, en particulier dans la formation et le développement des compétences.

De ce point de vue, l’accord sur la sécurisation de l’emploi est un accord ambitieux, pour reprendre le mot de notre secrétaire général, notamment par la place qu’il fait à l’anticipation et la faculté qu’il donne aux instances représentatives du personnel de peser sur les orientations stratégiques des entreprises.

Tous ces points devraient être développés dans le cadre des comités stratégiques de filière de la Conférence nationale de l’industrie, mais également à l’occasion du débat national sur la transition énergétique, étant donné l’importance du coût de l’énergie pour les entreprises. La réflexion devra également porter sur le rôle des pôles de compétitivité et des investissements d’avenir ainsi que sur celui dévolu à la nouvelle Banque publique d’investissement (BPI). Il ne faut pas non plus oublier la négociation paritaire sur la qualité de vie au travail qui doit s’ouvrir prochainement, et qui est à nos yeux extrêmement importante. En effet, le travail n’est pas seulement un coût : il peut être aussi source de performance, d’innovation et de créativité, à la condition que les représentants des salariés puissent peser sur les choix d’organisation du travail.

M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral chargé du secteur économique de FO. À Force ouvrière, nous sommes très méfiants envers la « compétitivité » depuis que la puissance publique en use à tout propos, soit depuis 2009-2010. Cette notion nous semble le plus souvent un prétexte à la modération salariale, voire à terme à la remise en cause du financement de la protection sociale, et à l’introduction d’une plus grande flexibilité dans le droit du travail. Dernièrement, le Gouvernement lui-même en a fait un des objectifs de la modernisation de l’action publique, la MAP, qui n’est que la poursuite et l’aggravation de la révision générale des politiques publiques, la fameuse RGPP.

Pour toutes ces raisons, nous craignons l’instrumentalisation d’une terminologie qui stricto sensu ne veut rien dire, puisqu’elle n’est définie, ni sur le plan économique, ni sur le plan social. C’est pourquoi nous dénonçons la stigmatisation du coût du travail à laquelle se livre le rapport Gallois et comme le pacte de compétitivité, qui en font le responsable de tous les maux de l’économie française.

Nous approuvons en revanche tout ce qui est susceptible d’améliorer la compétitivité « hors coût », via notamment l’intervention de la puissance publique. De ce point de vue, des initiatives telles que la Conférence nationale de l’industrie et ses comités stratégiques de filière, ou encore la future Banque publique d’investissement, nous paraissent aller plutôt dans le bon sens. Il est bon que l’État, mais aussi les collectivités locales, dans le respect des négociations de branche, réunissent l’ensemble des acteurs d’une filière donnée pour réfléchir collectivement aux moyens de s’attaquer à tout ce qui freine le développement, la recherche ou l’innovation.

On a évoqué la thématique de l’énergie : nous considérons que l’indépendance énergétique et la relative faiblesse des coûts de l’énergie en France sont des atouts de compétitivité pour l’industrie française. Une politique publique favorisant le renforcement des filières énergétiques permettra à nos entreprises de se développer, y compris à l’exportation, pourvu qu’elle soit pérenne. A contrario l’instabilité des mesures d’incitation fiscale favorables au développement des énergies nouvelles a eu des effets catastrophiques sur l’activité et les emplois.

Nous ne sommes pas opposés au principe même de la BPI – nous étions favorables au regroupement d’Oséo, du Fonds stratégique d’investissement (FSI), de CDC Entreprises – ou du CICE, pourvu que l’octroi des aides publiques soit lié au maintien et au développement de l’emploi ou à l’investissement dans la recherche.

Nous préférons que la puissance publique intervienne, dans la concertation et le dialogue, pour donner du sens et de la lisibilité aux entreprises, aux secteurs et aux filières, plutôt qu’elle utilise le terme de compétitivité pour justifier la modération salariale, remettre en cause le financement de la protection sociale ou réduire les services publics.

M. Nasser Mansouri-Guilani, conseiller confédéral, responsable des questions économiques, CGT. Permettez-moi d’abord de bien vouloir excuser l’absence M. Mohamed Oussedik qui, souffrant, ne peut être avec moi ce matin comme il était prévu.

La gravité de la situation économique, marquée par la faiblesse de la croissance, le développement du chômage et de la précarité, la baisse continue donc très préoccupante de la production manufacturière et de l’emploi industriel, ne doit pas faire oublier les problèmes structurels de long terme. Il ne faudrait pas non plus que l’analyse des coûts de production, puisque c’est de cela qu’il s’agit aujourd’hui, se limite au coût du travail.

La réduction des coûts de production, et singulièrement du coût du travail, ne saurait tenir lieu de stratégie de développement économique et social, à moins de mettre en concurrence les salariés, les territoires et les systèmes socio productifs. C’est tout le débat entre la compétitivité « coût » et la compétitivité « hors coût ».

Parmi les coûts de production, on parle très peu de celui du capital, c'est-à-dire des intérêts dus aux créanciers et des revenus de la propriété, notamment les dividendes versés aux actionnaires. Or l’évolution des coûts relatifs révèle une quasi-stabilité de la part des salaires dans la valeur ajoutée depuis les années 1990 après une chute dans les années 1980, alors que celle du capital augmente de façon continue et régulière. Si le manque de compétitivité de nos entreprises est dû au coût des facteurs de production, c’est plutôt le coût du capital que celui du travail qu’il convient d’incriminer.

Un développement économique et social durable suppose une vision de long terme qui rompe avec deux illusions. La première serait de croire qu’il suffit que tout aille bien pour le capital pour que l’économie dans son ensemble se porte bien. On voit bien que le fameux théorème de Schmidt, selon lequel les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain, ne se vérifie pas ! La seconde est celle qui voudrait que nous soyons entrés dans une société postindustrielle, sans usine. Nous pensons au contraire qu’il est nécessaire de développer l’industrie. Cela suppose une véritable politique industrielle, favorisant l’emploi qualifié et la R & D, mais également une politique énergétique cohérente susceptible de préserver l’avantage compétitif que constitue pour notre pays le coût de son énergie, et le développement des filières. Enfin la défense des droits sociaux des travailleurs et des représentants des salariés est également fondamentale. Le projet d’accord sur la sécurisation de l’emploi est loin d’être à la hauteur de ces enjeux.

C’est toute la question d’un « État stratège ». Mais il faut aller plus loin qu’une vision stratégique. Pour notre part, nous ne reculons pas devant le mot de planification stratégique. Nous avons besoin de politiques appropriées, définies en coopération avec les acteurs, et fondées sur la promotion des normes sociales et environnementales. Il faut dans cette perspective en appeler à la responsabilité de l’ensemble des acteurs, dirigeants des entreprises et organisations syndicales.

Trois exemples prouvent a contrario la nécessité de cette responsabilisation de l’ensemble des acteurs. La politique d’exonération sans condition des cotisations sociales, menée depuis une vingtaine d’années, coûte cher. Elle ne donne pas de résultats probants. Le crédit impôt recherche (CIR), qui coûte 5 milliards au budget de l’État, ne profite pas nécessairement à la recherche, et surtout pas assez aux PME. Enfin le CICE s’inscrit toujours dans la problématique de réduction du coût du travail, alors que le vrai problème est ailleurs.

Incontestablement, la valeur externe de l’euro est un vrai problème, même si une part importante des échanges commerciaux de la France se réalise à l’intérieur de l’Europe. Ce dernier point nous impose de réfléchir également à une autre construction européenne, qui ferait du social et du développement durable ses priorités.

Les accords de compétitivité qui seraient signés, notamment chez Renault, et même l’accord de sécurisation de l’emploi sont loin de répondre à ces enjeux. Il serait plus juste de parler de sécurisation de l’employeur, tant il est défavorable aux travailleurs.

M. Joseph Thouvenel, vice-président de la CFTC. Je vous invite à mon tour à lire l’excellente « Approche de la compétitivité française », cosignée par la CGPME, l’UPA, le MEDEF, la CFTC, la CFDT et la CFE-CGC. Ce document répond en partie aux questions relatives au coût du travail. Une telle coopération entre organisations syndicales et patronales autour d’un constat et dans la proposition est suffisamment rare pour être signalée.

Ce travail montre notamment que nous manquons d’outils statistiques fiables. Ainsi une comparaison des niveaux des coûts salariaux unitaires, et non de leur seule progression, serait nécessaire pour mesurer les convergences ou les divergences entre pays européens. Paradoxalement, cela n’empêche pas certains spécialistes de conclure.

D’une façon générale, ce débat gagnerait à s’affranchir de l’idéologie et à faire une plus grande place au pragmatisme. On ne peut pas avoir une vision purement économique de notre pays et de ses entreprises, déconnectée des enjeux sociaux. Il faut dire, par exemple, que le salaire minimum, c’est le minimum de salaire. Sans lui, la valeur travail ne serait pas respectée et la société devrait supporter des charges qu’il appartient aux entreprises d’assumer. Or le salaire minimum est trop souvent l’objet de discours idéologiques, qui font fi de sa nécessité économique et sociale. Je vous mets en garde contre les idéologues de l’ultralibéralisme. L’évolution de l’image de l’Irlande est exemplaire de ce point de vue. Il y a quelque temps, un rapport sénatorial en faisait un modèle, réunissant des qualités sans pareilles : peu d’impôts, peu de charges sociales, une grande flexibilité du travail. Il n’a pas fallu plus de quelques mois pour que vos collègues du Sénat décrivent dans un nouveau rapport un pays au bord de l’explosion : il s’agit toujours de l’Irlande !

Toute analyse du coût du travail devrait au moins être sectorielle. Ainsi, dans l’industrie, il est équivalent, voire inférieur, à ce qu’il est en Allemagne. Ce n’est pas du tout le cas dans l’agriculture.

Ce qui pèse sur la compétitivité de l’industrie française n’est pas tant le coût du travail que l’insuffisante adaptation de nos produits aux exigences du marché mondial. L’euro a été un révélateur de ce problème ancien, que nous occultions auparavant par la dévaluation. Le passage à l’euro a révélé l’erreur de nos industriels : ceux-ci avaient fait le choix de vendre moins cher des produits de moyenne gamme voire de bas de gamme. La conséquence, c’est que nous sommes aujourd’hui rattrapés par les pays émergents, sans pouvoir espérer nous aligner sur leur niveau de salaires ou leurs normes sociales. À l’inverse, les pays qui ont axé leur stratégie sur le haut de gamme, la qualité, le service s’en sortent.

Aujourd’hui, la mévente oblige nos entreprises à réduire leurs marges, ce qui compromet l’investissement. C’est pourquoi le crédit d’impôt sera pour elles un ballon d’oxygène, à condition qu’il soit consacré à investir dans l’innovation sur notre territoire : il ne faudrait pas qu’elles l’utilisent pour ouvrir des usines en Inde !

On ne peut pas cependant s’enfermer dans une perspective « franco-française » : le problème est européen. L’Europe est certes la bonne échelle pour affronter la mondialisation, mais aujourd’hui elle ne répond pas à nos besoins faute d’une position forte et consensuelle dans les négociations internationales. Dans notre désir d’être les meilleurs élèves de la classe, nous imposons à nos entreprises des règles que nos concurrents ne respectent pas. Ils inventent sans cesse de nouvelles normes pour ralentir l’accès de nos produits à leur marché. Nous ne pouvons pas continuer à ouvrir nos marchés sans réciprocité, comme nous l’avons fait notamment dans le secteur automobile. Si l’Europe n’est pas capable d’obtenir que les règles du jeu de la mondialisation soient respectées par tous, elle sera le dindon de la farce !

Il faut également que la mondialisation ait un socle social. Il est moralement inacceptable et économiquement suicidaire d’accepter comme nous le faisons de commercer avec des pays qui ne respectent aucune norme sociale, et font travailler des enfants. De même, il n’est pas normal de laisser entrer chez nous des produits qui échappent aux normes écologiques que nous imposons à nos industriels et qui augmentent leurs coûts de production. Là-dessus, l’Europe fait preuve d’une faiblesse coupable.

Pour la CFTC, l’accord sur la sécurisation de l’emploi n’est pas qu’un compromis entre les intérêts divergents des salariés et du patronat : il prend acte d’intérêts convergents. Je n’en évoquerai que quatre points. Il renforce la possibilité d’anticipation des salariés et de leurs représentants, et la réflexion commune avec la direction. Il comporte des outils pour améliorer la formation professionnelle. Il donnera aux entreprises la souplesse nécessaire pour affronter les périodes difficiles tout en préservant l’emploi. En effet, il est précisé en annexe de l’accord que l’absence de respect de la part de l’employeur de ses engagements en matière de préservation de l’emploi sera passible d’une sanction pénale. Il prévoit enfin des mesures financières incitant fortement à réduire le recours abusif aux contrats à durée déterminée et à favoriser le recours au CDI, notamment pour l’embauche des jeunes. Pour notre part, nous faisons le pari que cet accord permettra de maintenir et développer l’emploi dans notre pays.

M. Jean-Luc Haas, secrétaire national en charge du secteur économie-industrie, logement, développement durable, CFE-CGC. Depuis une dizaine d’années, les marges de nos entreprises se dégradent inexorablement, au point que la balance commerciale de la France accusait un déficit de 71 milliards d’euros en 2011. Nous sommes entrés dans une spirale infernale, la réduction des marges des entreprises entraînant ipso facto la réduction de l’autofinancement, qui entraîne à son tour la dégradation de la note des entreprises cotées, un enchérissement du coût du capital et de ce fait une diminution de l’investissement.

Pour sortir notre économie de ce « vortex », Il faut absolument réindustrialiser notre pays, car c’est en grande partie l’industrie qui tire les services, et pour cela améliorer notre compétitivité. Reste à déterminer quels sont les facteurs de cette compétitivité.

L’« Approche de la compétitivité française », déjà évoquée, est très éclairant sur ce point en ce qu’elle analyse tous les facteurs, qu’il s’agisse de la compétitivité « coût » ou « hors coût ». Vous ne serez pas étonnés d’apprendre que ce document insiste sur les facteurs de compétitivité « hors coût », tels que la R & D, la qualité du service, le service après-vente ou la dynamisation des exportations. Les facteurs de la compétitivité « coût » jouent, bien évidemment, leur rôle, mais de manière différenciée selon les secteurs d’activité. Si on se limite au secteur industriel, les différences des coûts de production entre les grands pays industriels de l’Union européenne ne sont pas considérables. Le problème de notre industrie automobile est lié à son positionnement en gamme.

Cela étant, nous pensons qu’on n’échappera pas à une réforme du financement de la sécurité sociale. Cela fait déjà une dizaine d’années que nous plaidons pour une cotisation sociale sur la consommation (CSC), afin de desserrer les contraintes qui pèsent sur le coût du travail et d’assurer un financement fléché et pérenne de la sécurité sociale. Un salarié, en situation instable, mal soigné, est moins productif, contribuant ainsi à la dégradation de la compétitivité. De ce point de vue, les PME-PMI sont très désavantagées par rapport aux grandes entreprises, alors qu’elles constituent le premier gisement de croissance et d’emploi.

L’accord sur la sécurisation de l’emploi traduit une approche pragmatique des questions sociales : il ne fait que généraliser ce qui se fait déjà dans bon nombre d’entreprises. Nous insistons notamment sur la nécessité d’associer en amont les salariés aux décisions des conseils d’administration.

Il ne faut pas négliger les raisons d’espérer. La France a des atouts, dans le domaine de l’énergie, en matière d’infrastructures ou dans le domaine de la formation, notamment supérieure. Ce dont nous avons besoin pour améliorer la compétitivité de nos entreprises, c’est d’une vision de long terme. En effet, les investissements très capitalistiques nécessitent de la stabilité fiscale et législative et une simplification de la réglementation : c’est crucial pour nos PME-PMI, qui n’ont pas les moyens de faire face à l’inflation des normes.

Les pôles de compétitivité sont également à compter au nombre des raisons d’espérer, surtout s’ils deviennent des lieux de formation. Il faut créer plus de passerelles entre les grandes écoles et les universités et développer la formation continue et la formation initiale, notamment la formation en alternance et l’apprentissage, sur le modèle de nos voisins allemands. Ces formations doivent s’inscrire dans une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences au niveau des bassins d’emplois, dans la perspective de futures restructurations et redéploiements auxquels nous n’échapperons pas.

Le CICE nous paraît également un point positif, et pas trop compliqué à mettre en œuvre pour redonner de l’oxygène aux PME-PMI. De même, la création de la BPI va dans le bon sens.

Nous devons par ailleurs exploiter cet autre atout que constitue la forte capacité d’épargne des Français. Il faut notamment favoriser l’épargne longue, les investissements productifs s’inscrivant dans une logique de long terme.

Nos efforts en matière de compétitivité doivent prendre en compte le champ de contrainte au niveau européen, notamment les asymétries fiscales et sociales. Nous devons tout mettre en œuvre pour assurer la convergence de nos économies. La compétitivité tant vantée du modèle allemand est due à une diminution phénoménale en dix ans du coût du travail en Allemagne, à l’origine d’une augmentation significative du taux de pauvreté dans ce pays, au point que certains envisagent la création d’un salaire minimum.

En France, l’augmentation des salaires est insuffisante, notamment au regard du coût du logement, qui constitue un problème récurrent depuis une dizaine d’années, se traduisant par une dérive effarante des loyers qui réduit d’autant le reste à vivre dans le pouvoir d’achat des ménages. Malheureusement, la dégradation de l’excédent brut d’exploitation des entreprises françaises ne laisse guère espérer une évolution positive sur ce point.

M. Jean-Marie Poirot, conseiller national, UNSA. Je voudrais évoquer en préambule le dernier accord de méthode qu’avec trois autres syndicats nous avons signé avec l’entreprise Arc International. Ce n’est pas le coût unitaire du travail qui a été au centre de notre réflexion, mais des questions comme celle de la performance de l’outil industriel, ou l’amélioration des fonctions support. À la différence de ce qui est négocié avec Renault, l’accord insiste sur les perspectives de montée en gamme du groupe, l’innovation, la R & D et la formation. En revanche, il ne met pas suffisamment l’accent sur l’association des instances représentatives des personnels aux orientations stratégiques de l’entreprise.

L’UNSA relève l’intérêt de l’accord sur la sécurisation de l’emploi, notamment dans le domaine de l’information des salariés et en matière de consultation des instances représentatives des personnels, auxquelles il ouvre les organes de gouvernance, conformément au huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, selon lequel « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises. »

Pour nous, la compétitivité n’est pas un gros mot, pourvu qu’on ne la limite pas à la réduction du coût du travail. Selon Eurostat, la différence de coût horaire du travail entre la France et l’Allemagne n’a pratiquement pas varié entre 2004 et 2012 : alors qu’il était de 30,80 euros en Allemagne et de 29,26 euros pour la France en 2004, il était respectivement de 36,24 euros et de 36,84 euros en 2012. Une différence de soixante centimes d’euro n’est pas de nature à remettre gravement en cause la compétitivité de nos entreprises. Par ailleurs, le dernier rapport annuel du CESE sur l’état de la France indique que « les dividendes et autres revenus aux actionnaires se sont élevés de 14% par rapport à l’excédent brut d’exploitation des entreprises non financières au début des années quatre-vingt-dix à plus de 30% en 2011. » Multiplier par deux la rentabilité du capital nous paraît quelque peu osé en cette période. Enfin dans Les Actualités de l’OIT du 5 décembre 2012 on apprend que les salariés ont obtenu une part réduite du revenu national parce qu’une part de plus en plus importante est allée au profit dans la plupart des pays.

Nous voulons, nous, mettre en exergue l’innovation, la recherche, la montée en gamme, et non pas uniquement la rentabilité financière. Je pense que nous aurons l’occasion de revenir sur le CICE. Je voudrais simplement dire à ce stade, en vous renvoyant au rapport de l’Inspection générale des finances sur les dépenses et niches fiscales de 2011, qu’il faudra veiller à ne pas créer une nouvelle niche fiscale. Il est temps d’affirmer, à rebours du théorème de Schmidt, que les dividendes d’aujourd’hui sont la diminution de l’investissement de demain et le chômage d’après-demain.

M. Morvan Burel, membre de la commission économique, SUD. Les termes de ce débat sur la compétitivité nous semblent mal posés. Pour nous la compétitivité n’est pas un objectif politique du monde social : ce n’est qu’un moyen, mis en avant pour satisfaire la mondialisation libérale. Celle-ci est bien un choix politique et social auquel nous sommes totalement opposés parce qu’il est porteur de profonds déséquilibres.

En réalité la question du coût du travail dissimule la remise en cause du financement de la protection sociale, c’est-à-dire de l’égalité entre les citoyens. Le coût du travail est toujours mis en avant pour expliquer notre retard en matière de compétitivité. Or les salariés français sont les plus productifs en Europe. La comparaison avec l’Allemagne, présentée, après l’Irlande, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, comme le nouveau paradis économique européen, est instructive : en un an, un salarié français produit 75 000 euros de richesses, contre 63 000 euros pour un salarié allemand. Par ailleurs, le coût du travail horaire en France demeure plus bas que le coût du travail en Allemagne, puisqu’il est de 40,60 dollars en France, contre 43,80 dollars en Allemagne. Dans l’industrie automobile, un salarié français coûte environ 52 000 dollars par an, un salarié allemand 62 000 dollars.

En réalité le recul de la compétitivité de l’économie de la France s’explique bien davantage par le coût du capital que par celui du travail. En effet, depuis vingt ans, le niveau des dividendes a quadruplé en France, et les très hauts salaires continuent de capter une part toujours plus importante de la masse salariale. En dépit de la crise, la part des dividendes a continué d’augmenter depuis 2008, obligeant même les entreprises à s’endetter pour financer l’investissement.

On ne parle pas non plus du rôle de l’euro dans la dégradation de la compétitivité de la France, alors qu’il est passé de 0,9 dollar en 2000 à 1,6 dollar en 2008. De ce fait, le coût du travail aux États-Unis, qui était en 2000 supérieur de 17 % à ce qu’il était en France, lui était, en 2010, inférieur de 14 %. La comparaison avec les pays émergents nous est encore plus défavorable.

Le « modèle allemand » qu’on nous vante toujours sur cette question de la compétitivité n’est en rien généralisable. Il peut même être à bien des égards considéré comme un des facteurs explicatifs de la crise en Europe. Les mesures prises par le gouvernement Schröder et maintenues par le gouvernement Merkel ont généré de l’austérité, une déflation salariale et un creusement des inégalités. Si la France s’engageait dans cette voie, cela ne pourrait provoquer qu’une atonie générale de la consommation en Europe. Il est impossible que toute l’Europe se mette au diapason de l’Allemagne et produise des berlines de luxe.

Le problème c’est que la France fait partie d’un marché unique européen où marchandises et capitaux circulent librement, mais qui ne fait l’objet d’aucune mesure d’harmonisation dans le domaine social ou du droit du travail. Or, entre la France et les pays d’Europe centrale et orientale, le coût du travail varie de un à trois. Comment dans ces conditions continuer à parler de compétitivité sans exiger la mise en place au niveau européen d’une politique volontariste d’harmonisation des règles sociales et du travail ? Le système économique européen et mondial auquel nous avons souhaité appartenir nous entraîne dans une sorte de puits sans fond.  : la France ne sera jamais compétitive. L’alignement permanent sur « le moins-disant social » ne nous paraît rien d’autre qu’une politique suicidaire.

On mesure à cette aune la vanité des dernières mesures prises en la matière, tels que les accords dits de compétitivité assouplissant le marché du travail, les exonérations de charges ou les divers crédits d’impôt, qui peuvent s’analyser comme du dumping fiscal. Ce type de mesures, qu’on nous vend depuis des décennies sans les assortir d’aucune condition, échouent invariablement. Elles ne font qu’aggraver la précarité de l’emploi.

La décision de créer la BPI est la seule décision qui nous semble aller dans le bon sens. Elle n’est malheureusement pas suffisante pour résoudre, à elle seule, les problèmes économiques auxquels nous sommes actuellement confrontés.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Compte tenu de la collaboration que vos organisations entretiennent certainement avec différents syndicats, comment entendez-vous porter la question européenne ?

Comment faire, par ailleurs, pour améliorer encore les accords existants ?

M. Thierry Benoit. Monsieur Haas, que répondez-vous à ceux qui craignent que la cotisation sociale sur la consommation ne fasse augmenter les prix à la consommation ?

Vous avez également évoqué, ainsi que M. Thouvenel, le rôle de l’Europe et la question de la réciprocité. Je rappelle à cet égard la décision de la direction générale « Commerce » de la Commission européenne de supprimer la taxe anti-dumping sur les briquets chinois sans avoir la garantie qu’ils présentaient le même niveau de qualité et de sécurité que ceux des entreprises européennes et notamment françaises. Quelles sont vos propositions dans ce domaine et en matière d’harmonisation des normes sociales et environnementales dans le marché européen ?

Enfin, le code du travail pourrait être réactualisé. Le dialogue social auquel nous venons d’assister me paraît annonciateur d’une nouvelle méthode de travail. Les organisations syndicales peuvent-elles envisager une évolution de la durée hebdomadaire du temps de travail en fonction des différentes phases de la carrière des salariés ? Entre vingt-cinq et cinquante-cinq ans, par exemple, cette durée pourrait, dans le cadre d’accords conclus au sein des entreprises, atteindre 39 ou 40 heures puis diminuer au-delà. Les dispositions relatives au tutorat envisagées voici quelques années par MM. Laurent Wauquiez et Xavier Bertrand, d’ailleurs reprises par l’actuel gouvernement et même amplifiées par le contrat de génération, semblent intéressantes. Peut-être faudrait-il également envisager de lier la durée du temps de travail à l’attractivité des métiers, qui commence à poser problème, et avec elle le renouvellement des générations dans certaines corporations. Vos organisations ont-elles des réflexions ou des propositions sur ces questions ?

M. Thierry Benoit remplace le président Bernard Accoyer au fauteuil présidentiel.

Mme Michèle Bonneton. En France, la productivité est globalement d’un haut niveau, bien que, selon la Fédération patronale de la machine-outil, l’âge moyen des machines soit de 19 ans en France contre 9 à 10 ans seulement en Italie ou en Allemagne. Alors que le capital est bien rémunéré, notre pays souffre d’un sous-investissement chronique. Comment peut-on remédier à cette situation avec d’autres mesures que celles que prévoit le CICE ? Que proposez-vous, en d’autres termes, pour favoriser l’investissement ?

Face au dumping social et environnemental et, plus généralement, à celui qui touche les normes, l’incapacité à instaurer un principe de réciprocité tient-elle à l’idéologie dominante de la Commission européenne ou à des freins plus techniques ?

Comment concilier la vision à long terme qui devrait prévaloir et le fait que les grands donneurs d’ordres révisent leurs stratégies à très court terme – parfois à six mois – lorsque leurs objectifs ne sont pas atteints, au prix souvent d’une certaine « casse sociale » ?

Quels sont, enfin, les effets positifs et négatifs de la disposition de l’accord qui vient d’être signé permettant de négocier des accords de maintien de l’emploi ?

M. Laurent Furst. Les entreprises françaises connaissent un vrai problème de compétitivité. Il nous conduit à un déclin économique dont nous ne voyons aujourd’hui que les prémices. Si les prélèvements sociaux et fiscaux contribuent certainement à alourdir les coûts de production, le salaire minimum est une base que l’on ne saurait considérer comme trop élevée, car il est ce qui permet à des familles de vivre. Quant à la protection sociale, elle est essentielle et nous y sommes tous attachés.

La vraie question n’a pas été abordée : alors que le commerce extérieur de la zone euro avec le reste du monde est excédentaire, celui de la France ne cesse de se dégrader. Comparer le modèle social de notre pays avec celui des pays en développement n’aurait pas de sens, mais la France rencontre un problème de compétitivité spécifique par rapport à ses voisins européens.

Le « taux de marge » – terme que je regrette de n’avoir entendu prononcer plus d’une fois ce matin – est historiquement faible aujourd’hui, mais il est bas depuis longtemps, ce qui explique le sous-investissement et la vétusté des équipements, ainsi que la difficulté qu’éprouvent les entreprises à se financer.

L’économie est un phénomène dynamique : le tissu économique se régénère, avec des entreprises qui meurent et d’autres qui se créent et se développent. Alors que 5 millions de Français cherchent un emploi, il faut qu’à l’autre bout de la chaîne quelqu’un ait envie de créer ces emplois. Or, il n’est question que de sanctions, de pénalisations, de contraintes et de charges. Un tel discours est-il propre à créer chez les artisans, les commerçants et les agriculteurs, ainsi que chez les industriels – français et étrangers –, l’envie de créer des emplois ? De nombreux centres de décision étant situés à l’étranger, qu’est-ce qui pourrait pousser un industriel européen à localiser une activité en France ? Le manque d’attractivité du climat économique, du climat psychologique et de l’environnement général ne me semble pas avoir été assez abordé dans les interventions que nous venons d’entendre.

M. Olivier Véran. Vous avez justement souligné, Madame Martin, qu’il n’y avait pas de compétitivité économique sans compétitivité sociale – c’est le sens de notre travail à tous. La base de la compétitivité ne doit-elle pas être tout simplement le dialogue social ? Cette méthode n’a cependant pas été très utilisée au cours des dix dernières années.

La grande conférence sociale de juillet 2012 a donné lieu à un accord unanime autour du dispositif du contrat de génération, dont nous avons voté tous les articles et dont le vote solennel doit avoir lieu la semaine prochaine. Quelle est votre opinion de cet outil de compétitivité économique et sociale ?

Il faut aussi saluer l’accord national interprofessionnel « pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l'emploi », conclu voici quelques jours.

Vous avez également évoqué le pacte de compétitivité, qui agit à la fois sur la compétitivité-coûts et la compétitivité hors coûts – que je préférerais appeler « compétitivité-qualité ». Tous les intervenants ont plaidé pour une politique ambitieuse, indispensable pour reconquérir notre industrie. Elle passe, selon vous, par la formation en termes qualitatifs : qu’en est-il de la formation en termes « quantitatifs », c’est-à-dire de l’adaptation des filières de formation aux besoins des entreprises ? Quelles sont vos pistes de travail pour améliorer la promotion de certaines filières de formation que l’on dit désertées et pour lesquelles les entreprises cherchent à recruter en France et en Europe.

Vous avez souligné à juste titre, monsieur Thouvenel, l’importance de la formation tout au long de la vie.

La compétitivité-qualité passe aussi par l’innovation, qui exige, outre l’investissement, un accompagnement. L’importance des pôles de compétitivité et du lien fondamental qu’il faut renforcer sur tout notre territoire entre la recherche et le développement doit aussi être soulignée. Il convient également d’enseigner à nos entreprises une véritable culture de l’exportation, comme vous y avez justement insisté, Monsieur Haas.

En matière de financement, tous les orateurs ont accueilli favorablement la création de la BPI, ce dont on peut se féliciter.

Vous avez évoqué, Monsieur Pavageau, la nécessité d’assortir l’aide publique d’une conditionnalité. Je rappelle à ce propos qu’il nous faut éviter de reproduire les erreurs commises dans l’application du crédit impôt recherche (CIR) – élu d’une circonscription où est établi un fabricant français de panneaux solaires, je pense notamment aux importants investissements que ce dispositif a permis à Total de réaliser pour des panneaux solaires chinois et au moratoire que cette situation a provoqué, freinant la politique de transition énergétique. L’attribution d’aides publiques doit être intelligente et concertée, afin de favoriser notre économie.

M. Olivier Carré. Il a beaucoup été question ce matin de la rivalité entre le coût du travail et celui du capital. Or, la rémunération du capital intervient après les marges de financement de l’entreprise et ce n’est pas un hasard si elle est la plus faible d’Europe. Il nous faut donc nous interroger sur l’investissement, sur la pérennisation des emplois en place et sur la création de nouveaux emplois permettant aux entreprises de continuer à se développer. Bon nombre des économistes que nous avons auditionnés ont, je le rappelle, souligné la stabilité du partage de la valeur ajoutée au cours des dernières années.

La rigidité du marché du travail est présentée par la Commission européenne et par les économistes que nous avons entendus comme une singularité française. Les accords négociés la semaine dernière amélioreront-ils cette situation, sachant qu’il est souvent reproché aux centrales syndicales d’avoir plutôt tendance à défendre l’emploi en place qu’à faciliter la création d’emplois, ce qui est pour de nombreux économistes l’une des raisons expliquant la progression constante du socle du chômage ?

Lors du débat sur le CICE qui a eu lieu en commission des finances, le ministre a indiqué que la définition des conditions d’application de ce dispositif ne relevait pas, à ce stade, des parlementaires, mais des partenaires sociaux et que les principes issus des échanges entre ces derniers seraient repris lors de la transposition législative – avant l’été – des accords qui viennent d’être négociés. Pour certains, l’essentiel du CICE doit être consacré à la sécurisation et à la pérennisation des emplois, ainsi qu’à la formation, tandis que, pour d’autres, la priorité doit être donnée à la recherche – autant d’éléments qui, du reste, favorisent le capital, humain ou physique. Quelle lecture vont-elles faire de ces questions les différentes organisations syndicales ?

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Je tiens à remercier les représentants des centrales syndicales de leur participation aux travaux de cette mission.

Tout d’abord, l’accord signé la semaine dernière entre les organisations patronales et approuvé à ce jour par trois des organisations représentées ici prévoit pour les entreprises connaissant de graves difficultés conjoncturelles la possibilité de conclure avec les syndicats représentatifs ou avec la majorité des salariés des accords, d’une durée maximale de deux ans, comportant une baisse de rémunération et/ou une augmentation du temps de travail, en contrepartie d’un engagement de maintien de l’emploi. Certains points de cet accord appellent-ils de votre part des réflexions particulières ?

Ce dispositif vous semble-t-il un bon exemple d’assouplissement permettant la sauvegarde de l’emploi ? Je rappelle que des discussions ont déjà eu lieu localement pour des accords de ce type, par exemple avec succès chez Bosch France, dans la région Rhône-Alpes, ou chez Continental – où elles se sont soldées par un échec.

Par ailleurs, le recours au chômage partiel – ou « activité partielle » – est présenté par certains économistes que nous avons auditionnés comme un amortisseur à la crise, permettant d’éviter la fermeture de certains sites industriels. Élu d’une circonscription comportant la ville d’Aulnay-sous-Bois, je suis particulièrement attentif à la stratégie affichée par PSA et aux annonces faites hier par Renault. Dans un pays qui compte déjà plus de 12 millions d’heures de chômage partiel par an, est-il possible d’aller plus loin dans le recours à ce mécanisme ? Disposez-vous d’une première évaluation des deux accords nationaux interprofessionnels signés dans ce domaine au début de 2012 et de l’accord de conventionnement de l’activité partielle de longue durée qui avait été mis en place à titre expérimental et a été prolongé jusqu’au 31 mars 2013 ?

En troisième lieu, plusieurs des personnes que nous avons auditionnées considèrent que les organisations que vous représentez défendent plutôt les « insiders », c’est-à-dire les personnes qui sont déjà sur le marché du travail, par opposition avec celles qui cherchent à y entrer. Comment faire en sorte que le dialogue social permette de représenter à la fois ceux qui sont en activité et ceux qui souhaiteraient l’être, en particulier les jeunes et les seniors, massivement exclus du marché du travail ?

En quatrième lieu, la surtaxation à l’assurance chômage des contrats à durée déterminée de courte durée, qui figure dans l’accord conclu la semaine dernière, vous paraît-elle suffisante ? Quels effets en attendez-vous en termes de création d’emplois ou pour freiner certains abus ?

En cinquième lieu, nous avons également entendu ici plusieurs membres du groupe des experts travaillant sur le SMIC proposer des évolutions notables en la matière. Quel est votre avis sur le niveau du SMIC et sur ses possibilités d’évolution, ainsi que sur les conséquences que peut avoir cette évolution sur les salaires supérieurs à ce niveau – plusieurs des personnes auditionnées ayant, je le rappelle, décrit le SMIC comme une « trappe à salaires » ? Le caractère interprofessionnel et national du SMIC doit-il, par ailleurs, être conservé ?

En sixième lieu, la formation professionnelle appelle des évolutions profondes pour améliorer la compétitivité « hors coûts », mais nous avons perçu chez les personnes auditionnées une certaine gêne quant aux améliorations à apporter à ce dispositif, dont les dépenses cogérées dépassent pourtant 30 milliards d’euros, hors crédits de l’enseignement supérieur spécialisé, soit un montant supérieur au budget de la défense nationale. Comment utiliser plus et mieux ces fonds au bénéfice des salariés et des demandeurs d’emploi ?

Enfin, quel bilan tirez-vous de la fusion entre l’ANPE et l’Unedic intervenue en 2009 et de l’accompagnement des salariés en recherche d’emploi par Pôle emploi ?

M. Joseph Thouvenel, CFTC. Nous vous répondrons par écrit sur certains points, comme la formation professionnelle – qui accuse un décalage problématique entre la masse financière mise en œuvre et l’efficacité des dispositifs, avec un taux d’évaporation important.

L’accord sur la compétitivité et l’emploi sécurise pour les salariés des accords qui existaient déjà. L’exemple de l’usine Continental de Clairoix est très éclairant à ce propos. L’employeur, dont l’actionnariat est allemand, propose de consolider le site et s’engage à investir pendant dix ans, moyennant la négociation d’un passage à 39 heures de travail hebdomadaire et du recours à des intérimaires. Un an plus tard, l’accord conclu en ce sens est remis en cause, car des changements intervenus du côté de l’actionnaire allemand. Un tel revirement n’aurait pas été possible en Allemagne, où le patronat n’aurait jamais trahi ses engagements vis-à-vis des syndicats allemands – mais il n’a pas hésité à le faire vis-à-vis de ses salariés français. Nous avons alors assisté à une démission totale du politique mais aussi du MEDEF, qui n’ont jamais déclaré qu’il était inacceptable de ne pas respecter un accord. Cette situation ne pourra pas se reproduire après l’entrée en vigueur de l’accord sur la compétitivité et l’emploi, dont l’annexe précise, dans son article 10, que le non-respect par l’employeur de ses obligations l’expose à une sanction pénale dont le principe doit figurer dans l’accord et que le juge même ne peut pas réduire. Ce dispositif apporte de la sécurité à une souplesse qui peut se révéler nécessaire lorsqu’un effort peut permettre à une entreprise de surmonter une période de difficultés.

Comme d’autres organisations, nous préférons un accord négocié et validé par une majorité, plutôt que d’envoyer des salariés directement au chômage. La méthode est bonne : la nécessité d’une majorité dans l’entreprise garantit l’acceptation par les salariés de l’effort qui permet d’éviter le chômage. Cette sécurisation des salariés est un progrès.

Pour ce qui concerne les baisses de rémunération, l’accord exclut de toucher au salaire minimum, et même aux salaires inférieurs à 1,2 SMIC. Cependant, comme l’indique une annexe de l’accord, la négociation n’est pas achevée : il est plus difficile de toucher aux salaires qu’au temps de travail, car les salariés établissent leur budget en fonction de leur salaire et, même avec un salaire du double ou triple du salaire minimum, on peut se trouver dans le rouge à la fin du mois. La discussion doit se poursuivre et il s’agit de diminuer non pas les salaires nets, mais le coût du travail pendant un ou deux ans, le temps de traverser une passe difficile. Autrement dit, il faudrait de réduire temporairement les prélèvements sociaux, ce qui se traduirait pas une créance que détiendrait l’URSSAF sur l’entreprise. J’ai évoqué cette proposition, qui émane de la CFTC, avec les représentants des organisations patronales et avec le cabinet du ministre. Il faudra bien évidemment se garder d’ « ouvrir les vannes » sans cadrer soigneusement un tel dispositif.

Ces exemples montrent que, s’il nous faudra faire vivre l’accord qui vient d’être conclu, celui-ci est déjà une bonne avancée, qui sécurise les salariés et les entreprises.

Les salariés seraient en droit, dans le cadre d’un accord de ce type, de refuser une baisse de rémunération, mais il faudra éviter les effets d’opportunité qui pourraient conduire certains salariés très bien rémunérés à profiter des difficultés rencontrées par l’entreprise pour recevoir, après leur refus, d’importantes indemnités de départ. L’article 5 de l’annexe de l’accord prévoit cependant clairement que les négociations doivent prendre en compte les contraintes d’ordre privé que peuvent supporter les salariés : il reviendra aux salariés de l’entreprise, qui connaissent la réalité de ce que vivent leurs collègues, d’affiner les cas où des contraintes familiales excluraient certains d’entre eux du bénéfice de l’accord. Ce dernier est donc assez pragmatique pour permettre une approche cas par cas.

Les entreprises doivent retrouver des marges suffisantes et le crédit d’impôt doit leur apporter un ballon d’oxygène, pourvu qu’il soit utilisé à juste titre pour développer l’excellence des produits, la recherche et l’innovation, ainsi que la meilleure organisation du travail. Dans les pays nordiques ou en Allemagne, le service après-vente est bien plus efficace qu’en France. L’effondrement des exportations françaises que nous observons alors que le reste de l’Europe exporte tient à un déficit non seulement de la qualité des produits, mais aussi des services. Ainsi, les machines qu’utilise l’entreprise Chèque Déjeuner pour imprimer ses nombreux chèques, sont importées d’Allemagne et coûtent chacune 300 000 euros, soit bien plus que les machines asiatiques qu’elle pourrait également utiliser, car le service assuré par des techniciens et la disponibilité de pièces détachées de qualité rendent ces équipements beaucoup plus fiables et plus sûrs. À nous de travailler pour que nos entreprises soient elles aussi parmi les plus fiables, ce qui suppose qu’elles puissent améliorer leurs marges, aujourd’hui trop faibles.

M. Olivier Carré. Où trouve-t-on les annexes à l’accord que vous avez évoquées ?

M. Joseph Thouvenel, CFTC. Vous les trouverez par exemple sur le site Internet de la CFTC-Paris. J’observe à ce propos que la presse et même certains juristes éminents ont commenté l’accord sans avoir lu ces annexes. Cela me semble un peu léger.

M. Pascal Pavageau, FO. Même après lecture de ces annexes, Force ouvrière ne signera pas cet accord et nous vous enverrons un document très complet exposant les raisons de notre refus, liées notamment au risque de dégradation des conditions de travail et des droits des salariés qui ne voudraient pas suivre un accord dit majoritaire dans l’entreprise.

De façon plus générale, nous voulons être prudents dans l’attente du texte législatif qui suivra l’accord qui vient d’être négocié, car nous pensons que de nombreuses dispositions de cet accord ne seront pas reprises, parce qu’elles ne pourront juridiquement ou constitutionnellement pas l’être. Je vous donne rendez-vous, pour le savoir, en mars ou avril.

Le texte de l’accord conduit en outre à ce que le droit s’élabore, dans un esprit quelque peu anglo-saxon, au niveau de l’entreprise. Nous sommes en complète opposition de principe avec cette démarche, car nous restons attachés aux accords interprofessionnels ou de branche au niveau national, ainsi qu’à une égalité de droits et de traitement pour tous les salariés dans l’application du droit du travail – ce qui n’interdit du reste pas que puissent être déjà négociés, dans des cadres nationaux, des accords permettant des adaptations temporaires, comme dans les cas déjà cités de Bosch et de Continental, auxquels on pourrait ajouter celui de Sevelnord. C’est donc la logique même du texte que nous contestons.

Par ailleurs, à en croire ce que nous avons entendu, tout serait compétitivité – ce qui signifie qu’en réalité, rien n’est compétitivité. En revanche, la question de la croissance n’a pas été évoquée, car tous les mécanismes de contrats aidés – qu’il s’agisse des emplois d’avenir ou des contrats de génération – ou le texte qui traduira une partie de l’accord ne sauraient régler le problème du manque d’activité, qui se traduit par la mise au chômage et l’impossibilité de la création d’emplois. Nous attendons de la puissance publique – État, Parlement et collectivités locales – une politique d’intervention plus ambitieuse, permettant de renforcer les filières. En Isère, l’exemple de Photowatt est typique d’une absence de politique publique industrielle pérenne, avec des allers-et-retours fiscaux qui ont déstabilisé l’entreprise. Cet exemple montre aussi que s’il existait dans le domaine des panneaux photovoltaïques une coopération européenne du type de celle qui a donné naissance à EADS, et que les dérives ultralibérales de l’Europe rendent aujourd'hui impossible, une capacité de production européenne réelle pourrait être au service d’une politique publique que partagent les Vingt-Sept sur les plans environnemental et énergétique. Il faut donc aller vers plus de coopération et vers une véritable politique européenne et, face au dumping social, revoir la directive européenne relative au détachement de travailleurs. L’intervention publique n’est pas un gros mot, mais elle doit correspondre à une stratégie.

Le deuxième point indispensable pour renouer avec la croissance consiste à donner les moyens de la consommation. Nous continuons donc à plaider pour l’augmentation des salaires. Nous ne sommes pas favorables à la démarche consistant à rompre avec le caractère national et interprofessionnel du SMIC pour mettre en place des SMIC de branche ou territoriaux. Notre revendication est de porter le SMIC à 80 % du salaire médian – je pourrai vous envoyer des documents présentant tous les éléments que nous pouvons faire valoir en ce sens.

Le CICE relève de la même problématique que l’aide publique en général, y compris dans le cadre de la BPI. Il n’est pas normal que les parlementaires ou les ministres ne puissent pas expliquer pourquoi le Fonds stratégique d’investissement (FSI) est entré au capital de telle entreprise plutôt qu’à celui de telle autre. Aujourd’hui, l’intervention dans des entreprises au moyen d’argent public n’est pas liée à une stratégie ou une orientation nationale. Il serait pourtant naturel que, dès lors que de l’argent public entre au capital d’une entreprise ou l’aide par quelque biais que ce soit, on puisse rendre compte de sa cohérence avec un cadre de politique publique. Or, la banque Oséo se comporte comme une banque privée et peut même refuser de donner à un préfet la liste des entreprises qu’elle aide dans son département. Ce n’est pas normal. Le crédit d’impôt, les concours de la BPI et les aides publiques doivent être assorties de conditions de façon à pouvoir vérifier en amont que ces actions s’inscrivent dans un cadre national, au même titre qu’une aide ou subvention attribuée par une collectivité implique un vote indiquant le sens de cette mesure. Nous serons très attentifs à cet aspect lors de la mise en œuvre de la BPI ou du CICE.

Nous ne sommes cependant pas favorables à toute logique de cogestion ou de co-orientation du choix : il n’est pas du rôle des élus représentants des salariés d’indiquer la destination ou les conditions d’attribution de l’argent public. Ils ont en revanche un rôle de garde-fou à jouer pour veiller à ce que soient précisés les motifs et le cadre de l’investissement et pour s’assurer que ce dernier ne serve pas à payer le déménageur qui délocalisera les activités de l’entreprise vers l’Europe de l’Est.

M. Nasser Mansouri-Guilani,CGT. N’étant pas mandaté pour répondre à toutes les questions posées, je vous invite à nous adresser la liste de toutes celles auxquelles vous souhaitez recevoir une réponse.

D’une manière générale, la problématique de la baisse des coûts salariaux est une impasse, comme le montre l’expérience des trente dernières années, où tout a été fait pour réduire le coût du travail, au point qu’on en vient à dire qu’il faudrait réduire les salaires. N’y a-t-il pas d’autres facteurs que le coût du travail ? Les statistiques prouvent que le coût du capital est un vrai problème et l’un des enjeux de la question du financement est de savoir comment réduire ce coût.

Alors que les banques disposent de liquidités importantes, le financement des PME se heurte à des obstacles. Il faut donc chercher à réduire le coût du financement de l’activité, de l’emploi et de l’investissement productif au moyen du système bancaire. Des expériences sont menées dans certaines régions, avec des financements communs de la Banque européenne d’investissement (BEI) et de banques françaises permettant d’accorder des crédits bonifiés. De fait, lorsqu’il y a des garanties, les banques préfèrent accorder des crédits pour l’investissement plutôt que de placer l’argent à taux zéro. On peut donc réduire le coût du financement avec une meilleure organisation et une meilleure mobilisation du système bancaire.

J’en viens à quelques remarques sur les points qui ont été abordés ce matin.

Pour ce qui est tout d’abord du rôle des organisations syndicales dans le cadre européen, le vrai problème est de savoir comment traduire dans les décisions politiques la mobilisation des acteurs syndicaux. De fait, alors que, pour la première fois, la quasi-totalité des organisations adhérentes à la Confédération européenne des syndicats, hostiles aux politiques d’austérité, se sont mobilisées contre un traité européen, cette mobilisation n’a pas eu de traduction concrète dans les politiques publiques.

Quant à savoir comment combiner les préoccupations à long terme et les contraintes à court terme, il faut savoir quels droits doivent être accordés aux salariés pour leur permettre d’agir sur les choix stratégiques de l’entreprise. De ce point de vue, le projet d’accord nous semble très en deçà de ce qu’il faudrait faire. De fait, les salariés pourront avoir deux représentants au conseil d’administration des entreprises de plus de 500 salariés, mais celles-ci ne sont qu’au nombre de 229. En outre, deux administrateurs ne suffisent pas pour peser sur les choix stratégiques de l’entreprise.

En troisième lieu, la CGT considère qu’il faut créer un pôle financier public, dont la BPI peut être un élément, mais l’enjeu est beaucoup plus large que les quelque 40 milliards d’euros que mobilise cette dernière. En outre, les critères d’intervention de celle-ci ne sont pas fondamentalement modifiés par rapport à ce qui existe déjà. Enfin, les salariés doivent avoir leur mot à dire dans les orientations de ce pôle financier public.

En quatrième lieu, les réflexions menées sur le SMIC dans le cadre de la Commission nationale de la négociation collective (CNNC) suggèrent qu’il ne faut pas affaiblir ce dispositif, mais plutôt l’améliorer.

Enfin, nous avons besoin d’une vision stratégique de long terme, qui doit être construite de façon plurielle – tel est l’objet de la conférence sociale organisée l’année dernière. En outre, la proposition formulée par le CESE d’organiser tous les cinq ans, à mi-parcours des échéances électorales, des conférences prospectives me semble pertinente. Ces conférences permettraient à l’ensemble des acteurs de s’entendre sur un nombre limité d’objectifs, comme le montant des investissements ou le nombre des emplois, puis de prendre leurs responsabilités.

M. Jean-Luc Haas, CFE-CGC. L’accord qui a été négocié va dans le bon sens – nous pourrons vous adresser l’argumentaire que nous avons établi à ce propos.

Monsieur Benoit, vous vous êtes interrogé sur les conséquences sur les prix de notre proposition de cotisation sociale sur la consommation. Le rapport que nous avons élaboré sur la compétitivité, qui propose plusieurs pistes, en particulier à propos de la compétitivité hors coûts, a amorcé une réflexion sur le financement de la protection sociale, mais sans la quantifier. Il est complété par un autre rapport, élaboré par le groupe de travail « compétitivité » de la Conférence nationale de l’industrie piloté par MM. Jurgensen et Hirtzman, qui a quantifié la sensibilité et l’élasticité des différents paramètres et les effets des mesures envisagées telles que la TVA, la cotisation sociale généralisée (CSG) ou la fiscalité écologique – qui devrait, selon nous, être dédiée à l’investissement lié à la transition énergétique et à l’amélioration de l’efficacité énergétique. La quantification a été confortée par deux modèles économétriques : celui de l’École centrale de Paris et celui du Trésor (Mésange), qui concluaient tous les deux dans le même sens. Dans le monde très concurrentiel où nous vivons, l’impact de la mesure serait limité. Ainsi, le passage de 16 % à 19 % du taux de TVA en Allemagne n’a pas donné lieu à une dérive inflationniste dans ce pays. L’élasticité devrait être, selon nous, de 0,2 à 0,3 % d’inflation.

Pour ce qui concerne la protection sociale, la modulation de la durée du travail aux différentes périodes de la vie mériterait débat. En tout état de cause, une telle logique aurait automatiquement un effet sur les salaires : les personnels concernés y seraient-ils prêts ? La liaison entre les jeunes, qui sont la richesse de demain, et les seniors, qui possèdent un potentiel qu’ils ont valorisé tout au long de leur vie, n’est pas inintéressante – elle fonde d’ailleurs le contrat de génération.

Sur les normes environnementales, que la France se garde de partir seule flamberge au vent et de s’imposer des contraintes que d’autres n’assumeraient pas. Il faudra s’en souvenir dans le cadre du débat sur la transition énergétique. Certes, les émissions de CO2 sont un vrai problème à l’échelle de la planète. Mais quelles décisions prendre au niveau international et européen, notamment sur les quotas et les allocations de quotas ?

Oui, nous avons un problème de compétitivité, y compris à l’intérieur de la zone euro. En dix ans, notre pays est passé d’un excédent commercial de 6 milliards d’euros à un déficit de 71 milliards. Tous les effets de compétitivité hors coût ont tous joué dans le sens de la dégradation sans compter l’Allemagne qui a fait cavalier seul en choisissant de réduire drastiquement ses coûts du travail depuis dix ans, tout en renforçant les autres facteurs de compétitivité. Il n’empêche que sa position est devenue intenable, à tel point qu’elle réfléchit aujourd’hui à l’instauration d’un salaire minimum. Si l’on veut rééquilibrer les échanges, il faudra bien que les pays qui en ont les moyens – comme l’Allemagne – y contribuent. Est-il légitime, par ailleurs, que subsistent des asymétries fiscales alors que certains pays tels que l’Irlande n’ont été sauvés que grâce à l’intervention de la Banque centrale européenne (BCE), sans que nous ayons pu les contraindre à revoir leur fiscalité pour la rapprocher de celle de l’Allemagne ou de la France ? Non.

M. Véran a évoqué la nécessité de constituer des filières, notamment dans l’énergie. Nous sommes là au cœur du débat sur la compétitivité. M. Louis Gallois l’a d’ailleurs noté dans son rapport : s’il y a un facteur de compétitivité coût qui joue en notre faveur, c’est bien le prix de l’énergie. Prenons garde à ne pas le dégrader. Nous devrons veiller tout particulièrement, dans le débat sur la transition énergétique, à l’ajustement d’un certain nombre de décisions. S’il est légitime d’accroître la part des énergies renouvelables et d’aller vers un mix énergétique plus harmonieux, encore faut-il que les coûts en soient compatibles avec la réalité économique. L’État doit adopter une attitude plus vertueuse, notamment respecter ses engagements quant à la contribution au service public de l’électricité. Il n’est pas normal qu’il attende que sa dette atteigne 5 milliards pour dédommager l’acteur historique. Pareille somme pèse sur la trésorerie d’une entreprise, et peut même compromettre sa notation financière – et donc ses conditions d’endettement.

Positionnons-nous donc sur la nouvelle filière des énergies renouvelables, où il existe un potentiel de croissance et des compétences en France, par exemple sur l’électronique de puissance grâce à la recherche-développement. Dans le secteur de l’énergie photovoltaïque, on a aujourd’hui recours à des matériels chinois ! C’est bien pourquoi il faut préparer nos filières en amont, notamment au sein des pôles d’excellence, comme celui de Grenoble, qui cherche notamment à améliorer les rendements des cellules sur les couches minces. Faisons émerger une filière française ; préparons en amont les compétences qui sont nécessaires, afin de fixer l’emploi en France.

En ce qui concerne le dispositif du CICE, la CFE-CGC était plutôt favorable à la proposition du rapport Gallois, à savoir retenir un seuil à 3,5 SMIC, qui aurait mieux embrassé la population active de l’ensemble du tissu industriel. Mais finalement le seuil a été fixé à 2,5 SMIC. De toute façon, il faudrait appliquer le principe marginaliste, comme dans notre système fiscal : pour les rémunérations supérieures à 3,5 SMIC, l’employeur devrait pouvoir bénéficier du CICE sur la partie inférieure ou égale à 2,5 SMIC.

Venons-en à la conditionnalité, sur laquelle M. Carré et Mme Bonneton nous ont interrogés. C’est aux entreprises qu’il revient de redresser notre outil de production, en améliorant les facteurs de compétitivité hors coût, en investissant dans la formation brute de capital fixe (FBCF), la recherche-développement et l’innovation, qui sont les facteurs de croissance de demain, afin de favoriser une croissance à long terme.

M. le rapporteur a soulevé la question du SMIC. Comme l’a dit M. Mansouri-Guilani, la Commission nationale de la négociation collective en a débattu récemment et les experts ont été unanimes à prôner son maintien, en le faisant évoluer. Vous avez évoqué deux points précis à cet égard : le caractère interprofessionnel et l’étiage national. Gardons-nous de multiplier le nombre des SMIC : notre système est déjà assez complexe comme cela ! Cela n’interdit pas d’envisager une évolution calculée d’après l’inflation constatée pour les 20 % revenus les plus bas, comme le préconisent les conclusions des travaux de la CNNC. Pour notre part, nous y sommes favorables.

La problématique est un peu comparable à celle du logement, qui ne se pose pas partout dans les mêmes termes : il y a des zones tendues, où les coûts ont dérivé – c’est le cas de la région Ile-de-France, de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, ou encore de l’arc Atlantique. Il faut arriver à traiter le problème par une détente foncière et la mobilisation de toute la filière pour construire dans des conditions économiquement acceptables et dans le respect de la nouvelle norme « bâtiment basse consommation ». Le logement a un poids déterminant dans le reste à vivre et le pouvoir d’achat des ménages.

En ce qui concerne le SMIC, il faut prendre en compte les effets de ses évolutions sur l’ensemble de l’échelle des salaires. Voilà des années, que dans bon nombre de branches –maintenant, c’est même la moitié –, le salaire minimum conventionnel est inférieur au SMIC. Or pour faire avancer la machine, il faut donner de l’espoir, de l’envie – notamment aux jeunes. Il faut, pour cela, des euros sonnants et trébuchants. Dans les négociations sur les rémunérations, les employeurs discutent de plus en plus souvent de la rémunération globale – en « vendant » aux représentants du personnel l’intéressement, la participation, la protection sociale… – et non plus du seul salaire, pour mieux peser dessus. Nous n’y sommes bien sûr pas opposés, mais ce n’est pas avec cela que l’on achète sa baguette ou son steak ! Le taux salaire/valeur ajoutée est relativement stable, autour des deux tiers. Mais ce ratio inclut les « périphériques » que sont notamment l’intéressement et la participation, qui ont augmenté, ce qui dissimule en fait une baisse de la part des salaires. L’effet volume contraint donc aussi la répartition de la masse salariale.

Notre position est donc la suivante. Si l’on fait évoluer le bas de la grille, il faut faire évoluer toute la grille des salaires, pour donner envie. Mais les chefs d’entreprise ne le feront que lorsqu’ils auront retrouvé des marges. Nous en revenons donc à l’éternel problème de la perte de compétitivité et du rétablissement des marges des entreprises.

M. Carré a évoqué l’éternelle « rivalité » entre capital et travail. Je ne pense pas qu’il faille opposer les deux. Simplement, il faut ajuster le tir en fonction des évolutions, pour assurer un rééquilibrage. Le vrai mal qui nous ronge, c’est le chômage. Nous ne l’éradiquerons que par une formation adaptée, la restauration des marges des entreprises et la dynamisation de nos exportations, bref par une dynamique de croissance fondée sur l’offre, et pas nécessairement sur la demande.

Permettez-moi pour finir de revenir sur le financement de la protection sociale. L’avantage de la CSC sur la CSG, c’est qu’elle fait contribuer les importations au financement de notre protection sociale, avec une faible élasticité à l’inflation, comme l’a noté le rapport piloté par MM. Jurgensen et Hirtzman dans le cadre de la Conférence nationale de l’industrie.

M. Olivier Carré. Permettez-moi de revenir sur l’effet de seuil introduit par le CICE du fait du choix d’un seuil « sec » de 2,5 SMIC. Quel sera le point de vue des organisations syndicales lorsqu’il s’agira de discuter le plan d’ensemble – plan d’investissement, plan d’embauches – de l’entreprise ? Se posera bien sûr la question du sort réservé aux salaires qui se situent juste au-dessus de la limite. Cela concerne sans doute davantage l’encadrement que les ouvriers, mais c’est une question importante, car on risque d’avoir un plafond « définitif » à 2,5 SMIC dans les entreprises. Nous avions posé la question lors de la discussion de la loi de finances rectificative, et j’avais même déposé – sans succès – un amendement visant à supprimer cet inconvénient.

M. Daniel Goldberg, rapporteur. La question de M. Carré m’en inspire une seconde. Dans la mesure où les plus bas salaires bénéficient déjà – hors CICE – de 20 milliards d’euros d’allègements de cotisations jusqu’à 1,6 SMIC, aurait-il été préférable de « décaler » le barème des salaires concernés par le CICE, afin de toucher plutôt – par exemple – les salaires compris entre 1,6 et 3,5 SMIC ?

M. Jean-Luc Haas, CFE-CGC. Même avec des fonctions de linéarisation, les effets de seuil génèrent des trappes. Comme je le disais à l’instant, certains perdront donc l’espoir. C’est pourquoi le principe marginaliste nous paraît beaucoup plus sain.

M. Paul Jorgensen, chargé de la fédération de l’industrie (UNSA). Je me contenterai pour ma part de revenir sur deux points.

Mme Bonneton a parlé de la révision des stratégies des entreprises à court terme. La vision à court terme n’affecte hélas pas seulement l’investissement, mais aussi les objectifs assignés aux salariés. Un collègue de chez Hewlett Packard (HP France) m’expliquait l’autre jour que ses objectifs étaient désormais donnés au trimestre. « À la fin du trimestre, me disait-il, on ne sait pas ce qu’on va faire ensuite ; on ne sait même pas si l’on aura du travail… » Et de poursuivre : « il y a quelques années, j’avais un bureau. Aujourd’hui, mon bureau tient dans mon sac à dos : c’est mon portable et mon ipad, point. » Autant dire que le coût du travail est réduit. Ces gens-là sont bien rémunérés, mais comme le disaient mes collègues, ils vivent dans un stress permanent, puisqu’à chaque fin de trimestre, ils doivent se remettre en question et se demander s’ils auront encore du travail demain. C’est le côté dramatique et pervers de la vision à court terme.

Permettez-moi maintenant de répondre à M. le rapporteur sur l’accord sur le dialogue social. Bien qu’elle n’ait pas participé à sa négociation, l’UNSA est plutôt favorable à cet accord. Nous avons d’ailleurs signé fin 2012, dans une entreprise où nous sommes bien implantés, Sofedit Le Theil, anciennement Thyssen Krupp, un accord qui va dans ce sens. D’aucuns estiment que bloquer les salaires pour éviter les licenciements est une reculade. Nous pensons quant à nous que mieux vaut maintenir l’emploi que de risquer de le perdre en s’obstinant à passer en force.

Mme Catherine Lebrun, secrétaire nationale en charge des questions économiques et sociales (SUD). Je suis frappée de constater que notre discussion sur les coûts de production fait l’impasse sur le poids déterminant des multinationales dans le commerce mondial. Or elles sont à l’origine de beaucoup d’exportations des pays du Sud ou émergents, y compris de la Chine, soit directement soit dans le cadre de joint-ventures. Raisonner à partir d’une vision du commerce mondial héritée des années 1970, c’est donc rester « à côté de la plaque ». La situation actuelle appelle une politique d’encadrement et de contrôle des stratégies d’investissement des multinationales. Toute autre politique est vouée à l’échec.

De notre point de vue, l’accord qui vient d’être signé est plus que déséquilibré – c’est un euphémisme – et porte en germe une vraie régression sociale. Contrairement au chômage partiel, qui est une mesure conjoncturelle, cet accord est une attaque contre la notion même de contrat de travail. L’objectif du patronat – se dégager de toutes les obligations conventionnelles et légales relatives aux licenciements – a été atteint. Nous ne pensons pas que ce soit un progrès social.

Revenons sur ces fameuses annexes. Dans l’article consacré au maintien dans l’emploi, il est dit que l’engagement de l’employeur à maintenir dans l’emploi les salariés auxquels s’appliquent les ajustements vaut pour une durée au moins égale à celle de l’accord – soit deux ans. Mais un petit codicille vient préciser que si la situation économique change, cet engagement pourra être revu. Bref, c’est un jeu de dupes !

Prenons maintenant les contrats précaires. L’idée de quotas avancée par les organisations syndicales nous paraissait plus adaptée que la mesure qui a finalement été retenue et qui n’empêchera rien. Je pourrais multiplier les exemples ! La généralisation de la couverture complémentaire des frais de santé constitue certes une amélioration, mais n’oublions pas qu’elle fait aussi le jeu des assurances privées et de la sécurité sociale.

Nous le redisons, le « noyau dur » de cet accord est bien une régression sociale.

Le partage de la valeur ajoutée – qui s’opère largement, contrairement à ce qui a été dit, en défaveur des salariés – est un vrai problème, qui n’est plus du tout abordé. Il faut remettre sur le tapis la question du partage des gains de productivité, pour poser à nouveau celle de la réduction du temps de travail – qui, quoi qu’en disent ses détracteurs, est un facteur de création d’emplois. Cette idée est aujourd’hui abandonnée par la gauche, alors qu’elle pourrait constituer une piste pour répondre aux difficultés de l’heure.

J’en viens au SMIC et à l’échelle des salaires. Dans les entreprises publiques, on a instauré un écart maximal de 1 à 20 dans l’échelle des salaires. Mais dans le secteur privé, l’échelle des salaires ne fait même plus l’objet de discussions ! Parlons-en donc !

Voilà trente ans que nous ne cessons d’introduire des mesures de flexibilité, depuis celles qui ont favorisé les temps partiels contraints. Il est faux de prétendre que le marché du travail serait plus rigide en France que dans les autres pays de la zone euro. Cela fait trente ans, disais-je, que l’on multiplie les exonérations de cotisations patronales. Au bout du compte, le chômage et le nombre des licenciements continuent à augmenter ! La crise n’est donc pas seule en cause. De grâce, cessez de nous prendre pour des imbéciles ! De plus en plus d’économistes – qui ne sont pas tous de dangereux gauchistes – commencent d’ailleurs à contester cette vision mensongère d’un marché du travail français trop rigide.

Je terminerai sur Pôle Emploi, institution que je connais bien. Cette « usine à gaz » a été dénoncée dès l’origine par les organisations syndicales. Tout d’abord, il y a conflit d’intérêts puisque le payeur est devenu le conseiller. Pour faciliter la vie des demandeurs d’emploi, on aurait pu concevoir un rapprochement géographique de l’ANPE et des ASSEDIC, mais en aucun cas un rapprochement institutionnel. La véritable avancée consisterait à notre sens à mettre en place un service public de l’emploi et de la formation.

Quel modèle social voulons-nous ? S’il s’agit d’aggraver la paupérisation de nos concitoyens et les inégalités, nous sommes sur la bonne voie ! C’est précisément ce qui est en train de se passer en Europe ; l’OFCE va d’ailleurs jusqu’à parler « d’hystérie budgétaire » à propos des politiques d’austérité qui sont conduites. Continuons, et nous irons droit dans le mur !

S’agissant du crédit impôt recherche, chacun sait qu’il existe des cabinets de conseil aux entreprises spécialisés dans le détournement de ce dispositif à des fins d’évasion fiscale. La moindre des choses serait donc d’instaurer un contrôle drastique de l’administration fiscale sur ce dispositif. Cela semble hélas irréalisable en ces temps de baisse des effectifs.

Quant au CICE, il va devenir une nouvelle niche fiscale inefficace et onéreuse. À l’issue de la montée en puissance du dispositif, le crédit d’impôt devrait atteindre 6 % de la masse salariale. Que feront donc les employeurs, si ce n’est augmenter leur marge salariale via une hausse des hauts salaires ? Du point de vue de la justice sociale, il y a mieux ! Ce que dit le MEDEF est une chose, ce que font les entreprises en est une autre. Si l’on n’a pas conscience des stratégies qui sont à l’œuvre dans les grands groupes, on reste complètement « à côté de la plaque ».

M. Morvan Burel, SUD. Ayant la chance de travailler à la direction générale des douanes et d’avoir quelques connaissances sur le sujet, je commencerai par dire quelques mots de la réciprocité des accords de libre-échange – qui est au cœur de notre débat. Ces accords, qui ont totalement ouvert la concurrence entre les salariés à l’échelle mondiale pour le plus grand bénéfice des firmes transnationales, n’ont jamais fait l’objet ni d’une évaluation, ni d’une consultation démocratique, alors même que la question de leur efficacité peut être posée.

Prenons l’exemple du secteur automobile dont il est beaucoup question dans ce débat sur les coûts et la compétitivité. L’accord signé en 2010 avec la Corée du sud s’est traduit par des conséquences mesurables quant à la pénétration du marché européen, mais il reste impossible aux automobiles européennes de pénétrer le marché coréen. Il n’a pourtant pas été évalué. Le pouvoir politique en a eu l’ambition, mais celle-ci est restée lettre morte. Et on parle même de signer des accords équivalents, notamment avec le Japon. Il est tout de même préoccupant que la politique de libre-échange, dont découle pour une bonne part notre exigence de compétitivité, ne soit jamais étudiée.

M. Furst s’interroge sur le déficit de compétitivité dont souffre la France à l’intérieur même de l’Union européenne. Cela rejoint un autre phénomène étonnant : dans l’Union européenne à 27, les disparités en matière sociale, fiscale, de réglementation du travail ou de contraintes environnementales sont considérables. Pourtant, pour harmoniser les normes vers le haut, personne ne fait preuve d’un vrai volontarisme – la France non plus. Par exemple, l’Estonie pratique un taux d’imposition sur les sociétés de 0 %. Dans ces conditions, à quoi rime de comparer le déficit commercial français avec celui de l’Estonie ? La volonté de faire de l’Union européenne autre chose qu’une machine à tirer les conditions sociales vers le bas fait gravement défaut. La France elle-même ne tente guère de peser sur ce débat pour que l’Union européenne porte enfin un projet politique de progrès social plus consistant.

Quant au CICE, il aura pour effet immédiat de provoquer des baisses de ressources pour l’État et pour les organismes de sécurité sociale. Ainsi, à l’heure où nos finances publiques traversent une crise grave, la part des entreprises dans le financement de la protection sociale et leur contribution au budget de l’État sont encore appelées à baisser. De deux choses l’une : ou bien les déficits continueront à se creuser, ce qui est contraire à l’objectif du Gouvernement, ou bien il faudra procéder à un nouveau transfert de charges sur les ménages, qui pèsera lourdement sur la consommation. Nous risquons ainsi de nous retrouver dans une économie anémiée. Or la politique du « tout export » à l’allemande, tant vantée de ce côté-ci du Rhin, n’est pas généralisable : tout le monde ne peut pas fabriquer des biens de luxe à destination de marchés qui finiront par trouver leurs limites. Du reste, on voit mal qui pourrait acheter les biens en surproduction si les consommateurs restent sous-payés ! Bref, nous sommes dans une impasse : il ne sert à rien de s’interroger sur les moyens de la compétitivité si l’on n’a pas posé au préalable la question du modèle social dans lequel nous voulons vivre. Comme l’a dit ma camarade, cela fait trente ans que l’on nous martèle qu’il faut flexibiliser et privatiser, et cela fait trente ans que le chômage augmente.

M. Pascal Pavageau, FO. Permettez-moi d’ajouter quelques mots concernant le CICE. Selon nous, il a manqué un minimum de dialogue et de concertation, puisque sa mise en place n’a donné lieu à aucune discussion entre le Gouvernement et les confédérations syndicales, alors même que le Premier ministre s’y était engagé.

D’autre part, il n’existera aucun lien a priori entre ce crédit d’impôt et le niveau des salaires dans l’entreprise. On n’imagine pas – ce serait du reste matériellement impossible – que les résultats de la négociation annuelle obligatoire (NAO) puissent être favorables aux salariés du seul fait que l’entreprise a bénéficié du crédit d’impôt. Telle n’est d’ailleurs pas la vocation de celui-ci. En revanche, nous nous interrogeons sur la façon dont l’État pourra effectivement contrôler que le dispositif servira bien à développer l’activité de l’entreprise, à investir et à améliorer l’outil de travail et les conditions de travail. Je rejoins ici M. Carré. Nous ne pouvons être d’accord avec le Gouvernement lorsqu’il nous dit que l’État n’assurera pas ce suivi et n’imposera pas de conditions au bénéfice du CICE, à charge pour les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise de s’assurer que le crédit d’impôt est utilisé à bon escient.

Ce n’est pas l’aide publique à l’investissement, à la recherche et à l’innovation qui nous pose problème, mais le financement des 20 milliards du crédit d’impôt, qui sera notamment assuré par 10 milliards d’économies supplémentaires sur les services publics et par l’augmentation de deux taux de TVA, voire par la mobilisation de la fiscalité dite environnementale.

M. Emmanuel Mermet, secrétaire confédéral, économiste (CFDT). La Confédération européenne des syndicats a insisté à plusieurs reprises sur les risques que les politiques d’austérité faisaient peser sur la croissance et sur l’emploi. Elle a proposé un contrat social en faveur de la solidarité et de la coopération en Europe, qui porte notamment sur le soutien et la promotion du dialogue social européen. Les nouvelles ne sont guère bonnes de ce côté, puisqu’aucun accord sur la révision de la directive sur le temps de travail n’a été obtenu. Le dialogue social européen est donc un peu en berne. Il faut le dire, il n’est guère soutenu par les institutions européennes – nous en payons les conséquences. Cela n’empêche pas les organisations syndicales françaises de rencontrer régulièrement la Deutscher Gewerkschaftsbund (DGB), la grande organisation syndicale allemande – qui s’alarme aujourd’hui de la situation du modèle allemand. Si les données économiques sont satisfaisantes, ce n’est pas le cas des données sociales : le taux de pauvreté progresse, le taux d’activité des femmes est problématique, le nombre des « mini jobs » – emplois à taux de salaire très bas – augmente de manière inquiétante, notamment dans les services.

Par ailleurs, il est temps d’engager la lutte contre le dumping fiscal en Europe. L’harmonisation sociale et environnementale – dont vous avez beaucoup parlé – est sans aucun doute nécessaire. Nous voulons cependant souligner que l’optimisation fiscale bat aujourd’hui son plein en Europe. On parle souvent des paradis fiscaux extracommunautaires, mais il existe aussi des formes de paradis réglementaires et fiscaux intracommunautaires. Je m’étonne ainsi – à titre personnel – que des entreprises à capitaux publics comme EADS ou Renault-Nissan soient des sociétés de droit néerlandais – et non de droit français – soumises à la procédure fiscale applicable aux holdings néerlandaises.

J’en viens aux règles de réciprocité. Pour la CFDT, ces règles doivent se fonder sur la nécessité de soutenir un développement équilibré entre les différentes parties du monde. Il ne s’agit pas de priver les zones émergentes de développement, mais de faire en sorte que les normes internationales soient prises en compte dans les accords internationaux de libre-échange. Je pense notamment au respect des normes de l’Organisation internationale du travail (OIT), au développement des socles de protection sociale et au respect du Protocole de Kyoto et de ses successeurs.

Ainsi que cela a été souligné, le taux de change de l’euro est aujourd’hui très élevé : au cours des dix dernières années, nous sommes passés de 1 à 1,6 dollar pour un euro. C’est d’autant plus problématique que les traités européens confient aux chefs d’État et de gouvernement la responsabilité de la politique de parité de l’euro. Or nombre d’économistes s’attendent à une guerre monétaire en 2013, les États-Unis cherchant à déprécier le dollar avec une création excessive de monnaie. Le Japon vient de s’engager à défendre une parité stable, voire à la baisse. Le yuan chinois, arrimé au dollar, ne pourra lui aussi que perdre de sa valeur par rapport à l’euro. Les chefs d’État et de gouvernement de l’Euroland doivent demander à la BCE d’intervenir sur les marchés pour stabiliser l’euro. Il a pris 3 % depuis le début de l’année. En supposant que le CICE entraîne une baisse d’environ 2% de nos coûts de production, elle serait annulée à l’international par la surévaluation de l’euro.

Par ailleurs, la CFDT est ouverte à la réflexion sur un nouveau financement de la protection sociale. Selon nous, il faut privilégier la piste de l’utilisation de la CSG, qui présente l’avantage d’être entièrement fléchée vers le financement de la protection sociale – on évite ainsi tout risque de dérive – et d’être bien connue des entreprises et de la plupart de nos concitoyens. Dans l’hypothèse d’un basculement des dernières cotisations sociales qui financent des services dits universels tels que l’assurance maladie ou la politique familiale, il nous semble préférable d’aller vers la CSG plutôt que vers un outil fondé sur la contribution « climat-énergie » – dont l’objet est de servir à la transition énergétique, et non d’alléger le coût du travail ou les coûts de production. De même, nous sommes plutôt défavorables à un basculement sur la TVA, qui entraînerait une hausse des prix et aurait un effet régressif – c’est-à-dire pèserait davantage sur les faibles revenus que sur les hauts revenus.

Je terminerai par le SMIC. La CFDT insiste régulièrement pour que les allègements de cotisations sociales soient soumis à une forme de conditionnalité. Sous le précédent gouvernement, il avait été envisagé de soumettre le bénéfice des allègements de cotisations sociales à la condition que les minima de branche soient supérieurs au SMIC. Dans le cas inverse et en l’absence de correction via une négociation de branche, l’avantage aurait pu être remis en question l’année suivante. Cette mesure n’a pas été mise en œuvre, et nous le regrettons : elle aurait pu être un outil de promotion du dialogue social et de la négociation salariale au niveau des branches et de l’entreprise, qui serve à sortir de la discussion sans fin sur le tassement des bas de grille salariale lié à l’augmentation du SMIC. Le SMIC ne doit pas être l’alpha et l’oméga dans le débat sur le pouvoir d’achat en France – Il n’est perçu que par 10 % seulement des salariés. Il reste que les autres salaires peuvent être impactés par ses réévaluations. Il faut donc mettre en œuvre une stratégie plus large du pouvoir d’achat, qui passe par une dynamisation de la NAO sur les salaires – à laquelle la conditionnalité des allègements de cotisations peut contribuer – et par d’autres mesures que nous avons défendues dans le cadre des discussions des dernières semaines.

Mme Isabelle Martin, CFDT. Je comprends votre impatience, mais vous pouvez être rassurés : nous prendrons le temps de vous adresser le texte complet de l’accord, annexes comprises, et de dialoguer avec vous sur cette question autant que cela vous paraîtra nécessaire.

Permettez-moi d’évoquer l’état d’esprit qui fut le nôtre dans cette négociation. L’enjeu était important : il y allait de l’approfondissement de la démocratie sociale et du dialogue social dans notre pays. Issue de la grande Conférence sociale, la négociation a fait l’objet d’un document d’orientation du Gouvernement, discuté et approuvé par l’ensemble des partenaires sociaux. Il me paraît important de le rappeler, même si nous n’arrivons pas tous aux mêmes conclusions sur le contenu de l’accord.

Le contexte économique et social est extrêmement difficile – montée du chômage, croissance en panne, perspectives moroses. Durant la grande crise de 2008-2009, nous nous sommes efforcés de défendre une exigence : former plutôt que licencier. Or nous avons eu dix fois moins recours au chômage partiel que les Allemands. Notre pays souffre ainsi d’un double handicap : non seulement la variable d’ajustement est le travail, mais on va d’emblée au licenciement. Changer cet état de choses était pour nous un enjeu majeur.

Il nous semble inadapté de parler de rigidité du marché du travail. Nous avons au contraire à faire face à une hyper-flexibilité sauvage – que nous avons cherché à encadrer, comme l’a expliqué Joseph Thouvenel. Nous ne pouvons en effet laisser les représentants syndicaux seuls face au chantage à l’emploi dans les entreprises.

À notre sens, il n’y a pas de problème sur la durée du travail. Nous sommes en revanche très préoccupés par la question de l’accès des jeunes à un emploi stable et par le taux d’activité de ceux que l’on appelle les seniors – qui ne cessent de fait de rajeunir ! Ces deux phénomènes font que la durée d’activité est désormais très limitée.

Nous sommes confrontés à un autre défi, auquel le rapporteur a fait allusion : il est effectivement parfois reproché aux organisations syndicales de ne représenter que les « insiders ». Je puis pourtant vous assurer que comme les autres organisations syndicales, nous sommes très préoccupés par la précarité des chômeurs et la situation particulière des jeunes et des femmes. Nous nous sommes battus, article après article, jusqu’aux derniers instants de la négociation – c’est pourquoi il importe vraiment de prendre en compte l’intégralité de l’accord, et dans sa version finale.

Un premier aspect important de la négociation concernait le dialogue social. On ne peut traiter de la même manière les entreprises qui jouent le jeu du dialogue social et essayent de former leurs salariés, et celles qui font le lit du chômage et de la précarité. Il fallait d’autre part porter un regard particulier sur les salariés des PME, voire des TPE. Enfin, il importait de progresser sur la question de l’accord majoritaire et de la place de la négociation dans l’entreprise et à tous les niveaux.

Nous avions donc trois objectifs. Il s’agissait d’abord de faire reculer la précarité ; nous reviendrons sur la taxation des contrats courts, l’encadrement des temps partiels, les droits rechargeables à l’assurance chômage et la généralisation de l’assurance complémentaire santé.

L’accord comporte un autre volet essentiel, que j’ai déjà évoqué : l’anticipation des mutations économiques. Les salariés et leurs représentants n’ont souvent pas le temps de comprendre la situation et de discuter des alternatives possibles aux projets de la direction, voire de négocier en termes d’emploi. C’est pourquoi nous avons introduit une consultation sur les options stratégiques de l’entreprise, ainsi qu’une vraie amélioration de ce qu’on appelait jusqu’à présent la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC).

Le dernier volet porte sur l’amélioration de la protection des salariés qui risquent d’être licenciés. Nous avons ainsi prévu une simplification et une unification du dispositif du chômage partiel, avec des incitations à la formation, et bien sûr l’encadrement des accords de maintien dans l’emploi, afin d’éviter tout chantage à l’emploi. Ces accords ont vocation à répondre de manière temporaire à de graves difficultés conjoncturelles. Ils doivent prévoir des sanctions en cas de non-respect de l’accord, ainsi que des garanties sur le partage du bénéfice économique lorsqu’il arrive à échéance. Enfin, il faut s’assurer que les dirigeants et les mandataires sociaux consentent un effort symétrique à celui des salariés. Nous aurons l’occasion d’en rediscuter.

Tout cela doit s’inscrire dans une stratégie cohérente qui contribue à préparer l’avenir et à ouvrir des perspectives. En cette période de mutations, il est important d’avoir une vision de long terme et de tirer parti de nos atouts et de l’ensemble des compétences de nos filières.

Comment favoriser l’investissement et sortir d’une logique de sous-investissement ? Par exemple, pour un industriel comme M. Jean-Louis Beffa, la question de cette reconquête se pose aussi en termes de gouvernance et de stabilité. À cet égard, l’entrée des représentants des salariés dans l’organe de gouvernance de tête qui définit la stratégie de l’entreprise, même symbolique, est importante : elle doit permettre de lutter contre les logiques de court terme et de financiarisation. Il faut également consolider le travail accompli dans les filières, que ce soit dans le cadre des comités stratégiques de filière ou dans celui des plans filière. Ces résultats concrets doivent favoriser la cohérence des politiques publiques et des investissements d’avenir, et tous les mécanismes qui contribuent à la solidarité entre donneurs d’ordres et sous-traitants. Ce n’est pas parce que l’on se trouve confronté à des problèmes conjoncturels qu’il ne faut pas amortir les chocs pour les sous-traitants : ils n’ont pas vocation à être la variable d’ajustement qui assure l’hyper-flexibilité des grands donneurs d’ordres. Même à court terme, ces derniers doivent œuvrer dans un esprit de responsabilité sociale et prendre en compte le tissu territorial et de la sous-traitance dans lequel ils sont inscrits.

Ces logiques de filière doivent autant que possible – et à tous les niveaux, en particulier dans les branches – s’articuler avec des négociations sur les emplois et les compétences. Il s’agit de s’inscrire dans une cohérence d’ensemble en œuvrant collectivement à un nouveau mode de développement plus équilibré.

M. Jean-Marie Poirot, UNSA. Au plan européen, Madame Chapdelaine, nous sommes confrontés à des difficultés du même ordre que celles rencontrées par les élus européens même si nous n’avons pas de Parlement. Nous peinons aussi à identifier des interlocuteurs patronaux qui soient en phase avec l’ensemble du patronat européen. M. Mermet a évoqué le rôle de la Confédération européenne des syndicats. Du côté allemand, je citerai non seulement la DGB, mais aussi le syndicat Verdi, qui représente les salariés des services. Tout ne fonctionne pas de la même façon dans nos pays respectifs, mais nous essayons de faire en sorte que les revendications dans un pays aboutissent. Dans la mesure où une grande partie des échanges se font à l’intérieur de l’Europe, une amélioration dans un pays se traduit par de la consommation dans un autre. En ce qui concerne la Confédération européenne des syndicats, je vous renvoie au contrat social qu’elle a proposé il y a quelques mois et à l’action menée en faveur d’un salaire minimum en Allemagne.

Vous nous avez interrogés sur la surreprésentation des insiders, monsieur le rapporteur. L’UNSA, souvent qualifiée de « petite organisation qui monte », partage plutôt votre opinion. Le fait est qu’un certain nombre de salariés se tournent aujourd’hui vers nous. Nous avions dit en 2011, au CESE, que la France n’aimait pas son avenir, car elle ne s’intéressait pas suffisamment à ses femmes et à ses enfants. C’est pourquoi nous avions proposé d’aller vers des actions positives, chiffrées et évaluées, pour ces deux populations.

J’en viens au CICE. Selon le document qui a été diffusé par le Premier ministre, ce crédit d’impôt n’est pas donné sans contrepartie aux entreprises. Son utilisation sera évaluée au niveau microéconomique de chaque entreprise et au plan macroéconomique d’ensemble. Au sein de l’entreprise, ne faudrait-il pas mettre à la disposition des représentants des salariés des outils d’analyse sur la performance économique de l’entreprise et sur l’efficience des choix opérés quant à sa gouvernance, son modèle économique et sa stratégie ? Nous convenons volontiers que même dans les accords que nous signons, il peut y avoir des insuffisances concernant la participation des salariés à la stratégie de moyen et long terme de l’entreprise. Il faut donc renforcer le dialogue social, et même la démocratie sociale. Le Parlement a ici à jouer un rôle d’incitation.

En septembre 2011, notre conseil national s’est prononcé défavorablement sur le système du crédit d’impôt, de la niche fiscale et sociale et de la dépense fiscale. Il est en effet plus difficile de piloter une non-recette que de suivre une dépense. Si l’État se veut stratège, son action doit donc passer davantage par la dépense que par la non-recette.

Quant au contrôle, il n’a rien de péjoratif : le skieur qui contrôle sa trajectoire ou le footballeur son ballon n’est pas un dangereux fonctionnaire borné, mais quelqu’un qui se donne les moyens d’atteindre son objectif. Le terme de pilotage me paraît donc plus adapté que celui de contrôle.

Le CICE est marqué par un certain nombre d’insuffisances : il n’est pas suffisamment centré sur l’industrie ; il renforce trop les allègements sur le coût du travail non ou peu qualifié. Le respect de la conditionnalité suppose de fournir des informations importantes aux représentants des salariés dans l’entreprise, et de garantir un certain droit de regard aux services de l’État. La situation de la direction générale des finances publiques et des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi ne permet hélas pas d’envisager de leur confier de nouvelles missions sans leur donner des moyens supplémentaires.

Je terminerai sur la modulation du travail en fonction de l’âge suggérée par M. Benoit. Si l’idée peut paraître séduisante de prime abord, je crains qu’elle n’aboutisse à multiplier les rigidités et à créer des effets de seuil. Nous lui préférons donc celle d’un renforcement de la médecine du travail, qui permettrait de moduler la charge du travail à la fois en termes de durée et en termes d’intensité.

M. Nasser Mansouri-Guilani, CGT. Nous sommes très critiques sur le CICE, qui s’inscrit toujours dans un objectif de réduction du coût du travail. C’est en ce sens que la CGT l’a qualifié de nouveau cadeau fait aux employeurs. Permettez-moi d’attirer votre attention sur le coût que représente ce dispositif pour la collectivité. Selon le Premier ministre, la mesure permettra de créer 300 000 emplois d’ici à 2017 – ce qui nous paraît bien optimiste. Si l’on rapporte le coût de la mesure – 20 milliards d’euros par an – au nombre de créations d’emplois attendues chaque année, soit environ 70 000, on peut se demander si cette dépense est vraiment raisonnable et indispensable à l’avenir de notre société.

Par ailleurs, nous souscrivons à l’idée qu’il faut conditionner toute forme d’aide aux entreprises. Mais les critères d’attribution doivent être définis avec les salariés, et le contrôle mis en œuvre avec eux. Le dispositif devra donc donner lieu à une évaluation microéconomique et macroéconomique.

Il a été fait référence à plusieurs reprises au rapport Gallois. On peut regretter que le Gouvernement ait choisi de confier un nouveau rapport à un patron, M. Gallois, qui ne pouvait que privilégier une vision patronale en dépit des idées qui sont les siennes, plutôt que de s’inspirer de l’avis du CESE sur la compétitivité, fruit d’un travail collectif et d’une vraie confrontation des points de vue.

M. Jean-Luc Haas, CFE-CGC. Je vous ai déjà dit tout le mal que nous pensions des effets de seuil. S’agissant des aides sociales et fiscales, il est primordial de définir ex ante des trajectoires avec des objectifs, de sorte que l’on puisse contrôler ex post. J’attire votre attention sur le fait qu’un groupe de travail, piloté par M. Jurgensen, s’est penché sur les aides dans le cadre de la Conférence nationale de l’industrie. À ce jour, il n’a pas produit de contribution. J’espère que nous pourrons tirer le moment venu tous les enseignements des travaux de ce groupe de travail.

Je rejoins par ailleurs certains de mes collègues sur l’étirement inconsidéré de l’échelle des salaires, notamment dans le dernier centile. Quelles que soient les compétences des individus, il est tout à fait anormal que l’échelle des salaires puisse aller de 1 à 100, voire à 200, 300 ou 400 ... Une échelle de salaires allant de 1 à 40, c’est déjà beaucoup. Nous ne mettons pas en cause le principe même de l’échelle de salaires, mais celles en vigueur actuellement – au prétexte que ce serait la loi du marché – ne sont pas acceptables. Pour qu’un marché existe, il faut qu’il ait de la profondeur. Ce n’est pas le cas : il s’agit plutôt d’une minorité qui se coopte, avec une sorte d’endogamie. Ce n’est pas sain. Veillons donc à ce qu’une minorité ne « siphonne » pas les ressources au détriment de la consommation des ménages et donc de la croissance.

Nous ne défendons aucune vision dogmatique du financement de la protection sociale. Je vous ai exposé notre position sur la cotisation sociale sur la consommation, qui présente l’avantage de faire contribuer les importations au financement de la protection sociale. La CSG a aussi son intérêt, et nous serons contraints d’y faire appel, notamment pour répondre au problème du financement de la dépendance. En attendant les débats du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFi), nous devons privilégier une vision intégratrice et nous demander quelles cotisations peuvent être basculées sur la TVA, quitte à modifier de nouveau son taux minimum. Il faut utiliser tous les outils à notre disposition.

Nous sommes en revanche dubitatifs sur l’idée de mobiliser la fiscalité écologique, qui doit rester dédiée au traitement des problèmes d’environnement et de sobriété énergétique.

M. Thierry Benoit, président. Je remercie l’ensemble des organisations syndicales de leur participation. Je tiens à saluer la qualité et la densité de leurs interventions ainsi que les parlementaires qui ont participé à cette audition ou l’ont suivie via les réseaux de communication interne.

Je conclurai sur deux sujets qui me sont chers. Il s’agit d’abord, vous l’avez compris, de la modulation du temps de travail en fonction de l’âge, thème qui s’impose compte tenu de l’augmentation de la durée de cotisation des salariés et de la pénibilité de certaines professions de l’industrie, du bâtiment ou des travaux publics. Je partage bien sûr la préoccupation de la CFDT d’assurer l’accès des jeunes à un emploi durable, mais je pense que dans le contexte actuel, nous devons aussi envisager des dispositifs permettant d’assouplir la durée du travail au-delà de cinquante-cinq ou cinquante-sept ans, par exemple. Je porte donc un grand intérêt au contrat de génération, qui pourrait en constituer une préfiguration.

Un autre sujet me tient à cœur, celui de la TVA sociale. Non seulement il faut mobiliser tous les outils à notre disposition, mais cette mesure nous offrirait l’opportunité de taxer les importations.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur les coûts de production en France

Réunion du jeudi 17 janvier 2013 à 9 h 30

Présents. - M. Bernard Accoyer, M. Frédéric Barbier, M. Thierry Benoit, Mme Michèle Bonneton, M. Olivier Carré, Mme Marie-Anne Chapdelaine, Mme Jeanine Dubié, M. Laurent Furst, M. Daniel Goldberg, M. Laurent Grandguillaume, M. Claude Sturni, M. Olivier Véran

Excusés. - M. Christophe Borgel, Mme Corinne Erhel, M. Jean Grellier, Mme Annick Le Loch, M. Jean-René Marsac