Accueil > Travaux en commission > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Mission d’information sur les coûts de production en France

Jeudi 31 janvier 2013

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 24

Présidence de M. Bernard Accoyer Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Guy Maugis, président de Bosch France et de la chambre de commerce franco-allemande, M. Jörn Bousselmi, directeur général de la chambre de commerce franco-allemande, M. Wolfgang Ebbecke, ancien président de la société Stihl France, M. Christof Hennigfeld, ancien président de BBraun France, M. Godz Schmidt-Bremme, conseiller économique de l'ambassade d'Allemagne en France, M. Gilbert Khawam, directeur général de la filiale française de Bonfiglioli  SpA, M. Stefano di Lullo, président de l’activité gestion du risque cardiaque de Sorin SpA, M. Frédéric Thil, directeur général de Ferrero France et M. Gianluca Greco, conseiller économique de l’ambassade d’Italie en France.

La mission d’information a entendu M. Guy Maugis, président de Bosch France et de la chambre de commerce franco-allemande, M. Jörn Bousselmi, directeur général de la chambre de commerce franco-allemande, M. Wolfgang Ebbecke, ancien président de la société Stihl France, M. Christof Hennigfeld, ancien président de BBraun France, M. Godz Schmidt-Bremme, conseiller économique de l'ambassade d'Allemagne en France, M. Gilbert Khawam, directeur général de la filiale française de Bonfiglioli  SpA, M. Stefano di Lullo, président de l’activité gestion du risque cardiaque de Sorin SpA France, M. Frédéric Thil, directeur général de Ferrero France et M. Gianluca Greco, conseiller économique de l’ambassade d’Italie en France.

M. le président Bernard Accoyer. Mes chers collègues, nous organisons ce matin une table ronde réunissant des entrepreneurs allemands et italiens, que je remercie d’être parmi nous. Je tiens particulièrement à saluer la présence des conseillers économiques de l’ambassade d’Allemagne et de l’ambassade d’Italie.

Je demanderai, d’abord, à chaque personnalité invitée de présenter rapidement son entreprise, puis d’introduire, sous l’angle de son choix, les questions – désormais cruciales – du coût du travail et de la compétitivité dans son pays. Chacun pourrait s’en tenir à une intervention de cinq minutes de façon à laisser le temps aux députés présents de poser des questions.

La France est confrontée à des difficultés économiques que vous connaissez bien en tant que partenaires. Votre analyse nous intéresse donc au plus haut point.

S’agissant de l’Allemagne, qui est leader européen en termes de compétitivité, mesurée notamment à l’aune de son commerce extérieur, une question s’impose d’emblée : quelles sont les recettes du succès allemand ?

Les travaux de la mission ont notamment permis de souligner la politique mise en œuvre dans ce pays en termes de modération des coûts salariaux. Avez-vous le sentiment d’un écart important entre l’Allemagne et ses partenaires européens en la matière ? Qu’en est-il pour le secteur des services ? Quels sont le coût social et le degré d’acceptation des réformes prévues dans le cadre des lois Hartz, qui ont réformé le marché du travail mais qui semblent, à présent, mises en cause.

Quant à l’Italie, les derniers mois ont montré une crédibilité retrouvée de l’économie, le rétablissement de la confiance des marchés et le rebond des investissements étrangers. Mais un redressement complet ne peut évidemment pas intervenir dans un laps de temps si court ; d’autres problèmes demeurent donc, avec une croissance en berne, en raison notamment des hausses d’impôts et des plans sociaux. En votre qualité de dirigeants en France de filiales italiennes, vous avez en quelque sorte une double vision dont vous pouvez nous faire bénéficier. Comme à vos collègues allemands, je vous demanderai votre sentiment sur la nécessité d’une Europe de l’industrie.

M. Guy Maugis, président de Bosch France, président de la chambre de commerce franco-allemande. Bosch appartient à une fondation : l’entreprise n’est donc pas cotée. Son chiffre d’affaires s’est élevé, en 2012, à un peu plus de 52 milliards d’euros. Cette entreprise emploie 305 000 salariés, dont quelque 8 000 en France. Une des forces de Bosch est la recherche et le développement : le groupe a en effet déposé 4 200 brevets en 2012, ce qui fait plus de dix-neuf brevets par jour. L’innovation est du reste une des caractéristiques des entreprises allemandes.

La France et l’Allemagne, bien que voisines, sont des pays très différents dans leur organisation politique – l’Allemagne est un État fédéral où les Länder jouent un rôle majeur -, comme dans l’organisation de l’enseignement ou encore de la recherche. Mais surtout, le consensus national autour de la compétitivité des entreprises est une caractéristique culturelle allemande. Pour les Allemands, l’entreprise est un outil fragile que tous les acteurs doivent contribuer à protéger et à aider, en évitant notamment de freiner son développement. Au contraire, le consensus français porte sur le maintien du pouvoir d’achat. Pour les Français, c’est l’entreprise qui doit être taxée, plus que les particuliers, car ils sont persuadés que si le pouvoir d’achat va bien, l’entreprise ira bien. L’Allemagne et la France sont donc à front renversé puisqu’aux yeux des Allemands, l’emploi et le pouvoir d’achat dépendent de la santé et de la pérennité de l’entreprise, ainsi que de sa compétitivité, notamment à l’exportation.

Sur les dix dernières années, le coût horaire du travail a connu, en France, une lente dérive qui pèse sur la compétitivité des entreprises – en 2000, le coût du travail était 10 % plus bas en France qu’en Allemagne, mais il est aujourd’hui plus élevé de 10 %. Les usines françaises sont donc 10 % plus chères que les usines allemandes faisant le même produit sur les mêmes machines, ce qui est une vraie préoccupation. Comment, dans ces conditions, expliquer aux dirigeants allemands qu’il faut continuer de produire en France, d’autant que les taux de marge sont de 10 % plus élevés en Allemagne ? Il faut savoir que la taxe en France est fixe – l’entreprise paie d’abord –, alors que l’imposition allemande repose sur une taxe variable : les entreprises paient des taxes en cas de profit, ce qui leur permet, comme le révèlent les études microéconomiques, de prendre plus de risques, d’investir davantage dans la recherche et d’embaucher. Je m’en aperçois au quotidien comme président d’une filiale française d’un groupe allemand. L’écart des coûts de production lié à la structure de la taxation est fondamental pour le dynamisme des entreprises, même si la différence demeure minime en points de PIB.

M. Godz Schmidt-Bremme, conseiller économique de l’ambassade d’Allemagne en France. Les Allemands hésitent toujours à se présenter comme porteurs d’un modèle spécifique. Nous ne sommes ni donneurs de leçons ni vendeurs de modèles.

Les réformes Hartz ont suscité en France des interrogations, voire de l’irritation. Leur philosophie tient en une phrase : mieux vaut un travail moins payé qu’un chômeur à la maison. Certes, personne ne peut vivre en étant payé trois euros l’heure, mais la société allemande préfère voir l’État apporter un soutien supplémentaire au travail, plutôt que financer intégralement le chômage. C’est un sujet qui mérite réflexion.

Le soutien aux entreprises de taille intermédiaire – ETI – repose, quant à lui, sur les appels d’offre et la transmission familiale.

Enfin, s’agissant de la recherche et du développement, les Allemands pensent « small is beautifull » : notre politique en la matière vise à renforcer les coopérations entre les institutions officielles et les entreprises, en préférant dix projets à cinq millions d’euros à un projet phare à cinquante millions. Les projets auront en effet d’autant plus de chance de réussir qu’ils seront plus proches des besoins du marché.

M. Wolfgang Ebbecke, ancien président de la société Stihl France. Je suis arrivé en France en 1963. J’ai également passé quinze ans aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni. Mon expérience me permet de dire que les Français regardent surtout vers le marché intérieur alors que les Américains, les Canadiens, les Britanniques ou les Allemands regardent vers l’extérieur, ce que vérifie également l’écart des balances commerciales, notamment françaises et allemandes.

Je représente une société phare du Mittelstand, la société Stihl, leader mondial dans son domaine. Ce qui me frappe, c’est qu’en France, pour évoquer les relations, souvent conflictuelles, au sein des entreprises, on oppose le « patron » au « travailleur », alors qu’en Allemagne, on parle de l’« entrepreneur » et du « collaborateur ». Cette différence sémantique est très importante : en effet, un entrepreneur entreprend un projet et un collaborateur y participe en travaillant aux côtés de l’entrepreneur, alors qu’en France un vrai fossé existe entre le patron et le travailleur.

Une étude réalisée pour le Fonds stratégique d’investissement montre que le cercle vertueux des entreprises familiales du Mittelstand tient au fait que la plupart d’entre elles se concentrent sur des niches et consolident leur avantage concurrentiel grâce à des innovations incrémentales, qui sont des améliorations modestes et graduelles dont la caractéristique est de ne pas modifier fondamentalement le produit. C’est ainsi que la Golf de Volkswagen n’a cessé de changer d’aspect depuis sa création – les matériaux ainsi que les normes légales ont changé –, mais sans que ces modifications aient entraîné une dévaluation complète de la version précédente, alors que si l’aspect ou la technologie d’un produit est totalement modifié, le modèle précédent perd toute valeur. Si la plupart des sociétés allemandes industrielles ou de recherche anticipent l’évolution des techniques et des législations, elles le font dans le cadre d’une amélioration continue des projets.

L’étude révèle aussi que l’écosystème du Mittelstand est le fruit d’un héritage historique. On ne saurait donc l’importer tel quel en France. L’histoire du Mittelstand commence bien avant la Seconde Guerre mondiale dans le cadre d’une législation qui favorisait la transmission des sociétés à l’intérieur des familles grâce à une taxation avantageuse. Les PME ont également bénéficié de relations étroites avec les banques, les sociétés de recherche et les instituts, relations qui ne sont pas réservées aux seuls grands groupes. Le Mittelstand est donc intégré à l’ensemble du tissu industriel et commercial allemand.

M. Jörn Bousselmi, directeur général de la chambre de commerce franco-allemande. Il n’existe pas, en Allemagne, de mesure phare de soutien à l’industrie ou aux PME : l’écosystème, qui est très régionalisé, en particulier sur le plan financier, repose notamment sur une politique de transfert de technologie et sur un système de formation impliquant directement les entreprises qui décident elles-mêmes du contenu de la formation : celle-ci est alors mise en place par les chambres de commerce et validée a posteriori par l’État. L’initiative part donc de la base vers le sommet, et non l’inverse. De plus, des associations accompagnent au quotidien, dans les régions, les différentes structures. L’entreprise étant au cœur de cet écosystème, sa santé est une préoccupation des salariés eux-mêmes, qui sont prêts à faire des sacrifices pour elle. Ces salariés pensent en termes non pas de confrontation, mais d’intérêt général, et c’est un état d’esprit qui se reflète aussi dans l’autonomie des conventions collectives. Les règles ne sont pas fixées par l’État ; elles sont le fruit d’une entente, parfois, évidemment, après un conflit.

La construction d’un tel système a pris des années. Les deux systèmes français et allemand étant très différents, l’un ne saurait servir de modèle à l’autre. S’il est toujours possible pour la France de s’inspirer du modèle allemand, il convient de rester lucide sur la nature de la société française.

Par ailleurs, les investisseurs allemands ont une image morose de la France. Aussi demeurent-ils dans l’expectative. Leur préoccupation principale, depuis plusieurs années, c’est la flexibilité du marché du travail : or, même si leur jugement doit être révisé à la lumière des accords du 11 janvier, ils croient peu à une flexibilisation du droit du travail français. En dehors même de la question des coûts de production, la France doit donc envoyer un message fort en ce sens pour attirer de nouveaux investisseurs. Sachant que les décisions d’investissement pour les dix prochaines années se prennent à l’heure actuelle, il n’y a pas de temps à perdre !

M. Frédéric Thil, directeur général de Ferrero France. La filiale française du groupe Ferrero a cinquante ans. C’est la troisième société du groupe, ce qui est atypique, puisqu’une filiale française d’un groupe international pèse généralement entre 2 % et 3 %. Or Ferrero France pèse entre 12 % et 14 % du groupe. La raison en est simple : le business de Ferrero est très concentré sur la vieille Europe : l’Italie, l’Allemagne et la France représentent quelque 70 % du chiffre d’affaires.

Ferrero est, en France, leader national de la confiserie de chocolat. La filiale emploie 1 200 collaborateurs et possède une usine en Haute-Normandie. Elle fabrique deux produits : Nutella et Kinder Bueno.

Le fait d’être un groupe familial non coté en Bourse est un vrai avantage : en n’étant pas soumis aux pressions des actionnaires, le groupe a en effet le temps de se consacrer à la qualité de ses produits.

Ferrero France bénéficie d’un marché stable du fait que les produits de grande consommation résistent en France, contrairement à l’Italie. Le groupe a investi 40 millions d’euros sur les trois dernières années en France, tant dans l’usine que dans le secteur commercial. Ferrero France continue donc de tenir la comparaison avec les maisons italienne et allemande. L’équilibre est toutefois fragile, parce que le business n’est pas dynamique et que la structure de coût est importante en France. Cette structure repose sur cinq données principales.

S’agissant, tout d’abord, du coût des matières premières, nous souffrons particulièrement de la forte volatilité de la noisette. Or, compte tenu de la loi de modernisation de l’économie, la France est le pays où les hausses de tarifs sont le plus difficilement absorbables. Nous rencontrons des difficultés à adopter en France des tarifs reflétant les hausses des matières premières, si bien que, sur la partie haute de notre compte d’exploitation, le déficit se creuse par rapport à nos deux voisins.

Par ailleurs, le coût du travail, notamment le coût horaire des CDI, est en France plus élevé qu’en Italie de l’ordre de 25 % à 30 %, non seulement parce que le coût du travail est généralement plus cher en France qu’ailleurs, mais également parce que le consommateur français est de plus en plus attiré par des produits issus de sociétés qui auront démontré une vraie responsabilité sociétale. Contrairement aux entreprises italiennes, les entreprises françaises ont ainsi intégré la question sociétale dans leur stratégie, ce qui a un coût.

Le coût de la distribution est également supérieur en France à ce qu’il est en Italie notamment en raison de la loi de modernisation de l’économie. En revanche, nous avons la chance, en France, de bénéficier d’une distribution très concentrée : sept chaînes de distributeurs avec 7 000 points de vente suffisent pour réaliser 85 % de la valeur des produits de grande consommation, alors qu’il en faut 150 000 en Italie. Les logistiques ne sont donc pas les mêmes !

Si le coût de la communication est moins cher en France qu’en Italie, nous avons en revanche besoin d’investir davantage : en effet, un produit comme Kinder nécessite en France un plus grand investissement du fait que c’est dans notre pays un achat d’impulsion, alors que c’est en Italie un achat alimentaire.

Enfin, le taux d’imposition s’élève à 36,1 % en France contre 31,4 % en Italie.

Il conviendrait d’insister lors de la table ronde sur trois points : le coût du travail, la souplesse insuffisante du droit du travail en matière d’activité saisonnière et la pression fiscale, qui est anxiogène. Du reste, la famille Ferrero s’inquiète des débats franco-français, notamment en matière de taxation.

M. Gilbert Khawam, directeur général de la filiale française de Bonfiglioli SpA. Bonfiglioli SpA, entreprise familiale ayant plus de cinquante-cinq ans d’existence, a trois divisions : une en Italie, une en Allemagne et une en France depuis 1977.

La filiale française est une PME de quatre-vingts salariés, dont le chiffre d’affaires est de 36 millions d’euros – le groupe emploie 3 300 salariés et fait 700 millions d’euros de chiffre d’affaires. Notre spécialité est la fabrication d’organes de transmission pour l’industrie.

Trois contraintes pèsent quotidiennement sur une PME comme la nôtre.

La première concerne les nombreuses défaillances auxquelles notre secteur doit faire face – dépôts de bilan, redressements judiciaires et liquidations –, et ce avant même l’arrivée à échéance des factures, ce qui est un signe de la mauvaise santé financière et du manque de solvabilité de nos clients. Ces défaillances n’entrent évidemment pas dans le coût du travail. Quelles mesures le législateur pourrait-il adopter pour protéger les fournisseurs ?

Deuxième contrainte : le télétravail, que nous encourageons pour les commerciaux ou certaines tâches administratives, doit être gagnant-gagnant tant pour l’entreprise que pour le collaborateur. Or la loi impose désormais de verser à celui-ci un supplément pour l’utilisation de mètres carrés à son domicile, supplément qui entre dans la déclaration d’impôt de l’intéressé et qui est taxable pour l’entreprise - ce coût s’ajoute au taux horaire.

Troisième point : certains salariés préfèrent percevoir les minima sociaux tout en effectuant, à côté, un travail non déclaré, plutôt que d’être légalement payés au SMIC en travaillant régulièrement au sein d’une entreprise. Ce phénomène a un coût caché, induit et difficilement mesurable, mais néanmoins réel car il entraîne une importante rotation des salariés sur certaines fonctions, au risque d’arrêter la chaîne de production, par exemple lorsqu’il n’y a plus personne pour réceptionner la marchandise ! Les indemnités de chômage ne doivent pas venir concurrencer les bas salaires.

La formation en alternance commence, quant à elle, par donner de bons résultats en France – sur les trois dernières années, sur quatre contrats de formation en alternance, nous avons procédé à trois embauches. C’est une des meilleures filières d’embauche, quasiment inexistante en Italie, contrairement à l’Allemagne, pays champion depuis des années de la formation en alternance.

M. Stefano di Lullo, président de l’activité gestion des troubles du rythme cardiaque de Sorin SpA. Nous attachons une grande importance à cette mission sur les coûts de production en France tant nous sommes convaincus que les technologies médicales de pointe peuvent jouer un rôle décisif dans la croissance du pays, voire dans sa stratégie de réindustrialisation.

Sorin est une ETI dans les technologies médicales de pointe pour les maladies cardio-vasculaires. Le groupe, dont les technologies médicales traitent 1 million de patients chaque année dans quatre-vingts pays, emploie 3 750 collaborateurs par le monde. Notre chiffre d’affaires s’élève à 750 millions d’euros.

Nous sommes présents industriellement en France à travers notre division de gestion des troubles du rythme cardiaque, qui représente un tiers de notre chiffre d’affaires.

Plus des trois quarts des 500 collaborateurs de Sorin France ont des emplois hautement qualifiés – ingénieurs de production, en recherche et développement et en support technique – et plus de 75 % de notre production est exportée aux quatre coins du monde. En 2011, notre groupe a investi 45 millions d’euros en recherche et développement, soit 60 % des dépenses du groupe. Avec une centaine de brevets, nous sommes le quatrième « déposeur » de brevets en France dans le domaine des technologies médicales.

Il faut savoir que 40 % du coût d’un stimulateur cardiaque sont liés à ses composants, 30 % à sa fabrication – ce sont les salaires – et 30 % à la recherche et développement, dont 80 % du coût tiennent aux salaires.

Pour Sorin, le coût du travail est donc la principale composante du coût de production, et la seule variable pour ses choix de localisation. Le coût du travail sur le site de Clamart en France est supérieur de 30 % à celui de Saluggia dans la région de Turin. Deux facteurs expliquent cet écart significatif. D’une part, les salaires italiens sont, à qualification égale, inférieurs de 20 % aux salaires français. D’autre part, les charges sont de l’ordre de 35 % en Italie contre 50 % en France. Certes, des éléments tels que la localisation peuvent moduler la pertinence de ces écarts : une usine en Île-de-France revient plus cher qu’une usine dans le Piémont. Il n’en reste pas moins que les coûts salariaux jouent nettement en défaveur de la France.

Pourquoi, dans ces conditions, le groupe Sorin a-t-il choisi de développer une forte présence industrielle en France ? L’activité que je préside est le résultat d’un rapprochement entre l’italien Sorin et le français Ela Medical, qui a été racheté par Sorin en 2001. En 2009, le groupe a inauguré à Clamart son centre d’excellence mondiale, lequel regroupe toute la production du circuit électronique, la R & D et la direction française de l’activité. Le site de Saluggia a été spécialisé dans l’assemblage final des boîtiers, qui est une activité à plus faible valeur ajoutée.

La raison ayant présidé à ce choix est l’innovation, qui est au cœur de notre activité, puisqu’elle est la valeur essentielle ajoutée à nos produits. C’est sur elle que reposent nos exportations. Or l’environnement en France est, de ce point de vue, très favorable. La rencontre du médecin et de l’ingénieur est en effet, dans notre secteur, au cœur du développement technologique. La France dispose d’un terreau très favorable à la formation d’ingénieurs de haut niveau, ainsi que d’une école de cardiologie de niveau mondial, qui bénéficie d’un enrichissement mutuel entre le privé et le public. En apportant des technologies innovantes, Sorin contribue à maintenir l’école de cardiologie à son plus haut niveau : ainsi, 1 200 patients participent à des études cliniques impliquant vingt-huit CHU et quatre-vingt-quatre centres hospitaliers en France. C’est ce partenariat, existant depuis de nombreuses années, qui explique le renforcement de notre ancrage en France.

Sorin est, par exemple, cofondateur du centre de Rennes qui a mis au point une thérapie de resynchronisation cardiaque, devenue aujourd’hui le standard pour le traitement des insuffisants cardiaques. Nous sommes également partenaires de l’IHU Liryc de Bordeaux.

Nous croyons à la nécessité de mieux structurer la filière des technologies médicales françaises en y participant de façon active. La prise de conscience des pouvoirs publics dans le cadre du Conseil stratégique des industries de santé et l’annonce par le Premier ministre d’une nouvelle réunion du CICS sont de bonnes choses et nous y travaillons activement.

La compétitivité-coût et la compétitivité-hors coût sont deux aspects indissociables de la santé d’une entreprise innovante comme la nôtre. Notre objectif est d’enclencher un cercle vertueux nous assurant des marges de manœuvre financières suffisantes pour investir dans la R & D et gagner de nouvelles parts de marché.

Sorin ne prévoit pas de diminuer sa présence en France, bien au contraire. Toutefois, toute entreprise est amenée à s’interroger régulièrement sur son outil industriel pour tenir compte de l’évolution de la conjoncture, de l’ouverture de nouveaux marchés et des efforts de compétitivité conduits par certains pays. Les facteurs de production d’une entreprise sont aujourd’hui plus mobiles que par le passé.

Plusieurs facteurs peuvent conduire Sorin à conforter son choix d’implantation en France. Il convient de saluer tout d’abord deux mesures fiscales qui contribuent à améliorer la compétitivité des sites français. Le premier est le crédit impôt recherche – il représente pour Sorin 4,5 millions d’euros sur ses 45 millions de dépenses en R & D – ; le second est le crédit d’impôt compétitivité emploi – le seuil de 2,5 SMIC représente 15 % de notre masse salariale en France.

Une mesure fiscale n’entraîne un effet d’aubaine que lorsqu’elle ne peut pas être intégrée à une planification stratégique de long terme. Pour limiter cet effet, la politique fiscale doit donc être simple, prévisible et stable – le crédit impôt recherche est un exemple à suivre.

Une réglementation favorisant l’entrée sur le marché de l’innovation pourrait également conforter l’ancrage de Sorin en France. Il n’est évidemment pas plus question pour notre entreprise que pour les pouvoirs publics de remettre en cause la réglementation relative à la sécurité sanitaire, qui est un impératif absolu, mais dans les secteurs innovants comme les technologies médicales, le temps de l’arrivée sur les marchés est un paramètre-clef, qui peut jouer davantage que le coût du travail. Pour les startup ou les PME il est souvent important d’exister et d’être référencées sur le marché national avant de pouvoir exporter. La capacité de favoriser l’entrée sur le marché intérieur d’une entreprise française est donc un élément primordial.

Il conviendrait enfin de mieux prendre en compte le retour sur investissement à long terme des dépenses de santé dans l’économie nationale. L’objectif de soigner le plus grand nombre possible de personnes au coût le moins élevé est important, mais à la condition qu’à l’intérieur de cet objectif soit posée de manière explicite la question du retour sur investissement dans la réindustrialisation de la France. Les technologies médicales de pointe ont un rôle stratégique à jouer dans le renforcement de la compétitivité industrielle et fiscale de la France.

M. Gianluca Greco, conseiller économique de l’ambassade d’Italie en France. Je suis très heureux de participer à cette table ronde, d’autant que le lien entre les économies française et italienne, dans le jeu triangulaire avec l’Allemagne, est souvent mal connu de l’opinion française alors qu’il est très fort, en raison notamment du niveau élevé des investissements français dans l’économie italienne.

De plus, on parle insuffisamment de la coopération industrielle entre nos deux pays bien que, sur les trente dernières années, des projets industriels sans équivalents en Europe aient été signés entre nos deux gouvernements.

L’Italie est très intéressée par le débat français, surtout depuis le pacte de compétitivité ou le récent accord entre les organisations syndicales et patronales.

Il faut savoir que le modèle italien est très lié à la régionalisation de son tissu économique ainsi qu’à l’existence d’un nombre très élevé de très petites entreprises.

Face à la crise de la demande intérieure, les entreprises italiennes ont rebondi sur les marchés internationaux. En 2012, les exportations ont connu une croissance d’autant plus forte que souvent les entreprises italiennes n’ont pas pu avoir accès en Italie même à des financements à des taux acceptables.

Le fonctionnement du marché intérieur européen doit être pris en considération de manière privilégiée pour analyser les relations entre les trois plus grands pays industriels européens que sont la France, l’Allemagne et l’Italie.

M. Laurent Furst. En France, la transmission des entreprises se révèle souvent difficile, en raison du niveau élevé de la fiscalité. Qu’en est-il en Allemagne et en Italie ? Pourrions-nous également avoir des précisions sur le fonctionnement des fondations allemandes ?

Par ailleurs, vos activités économiques ont-elles souffert de l’instabilité du droit français ? Qu’en est-il également du caractère invasif de l’administration française dans la vie des entreprises ? Pouvez-vous mesurer son incidence, moins aisément quantifiable que le coût du travail ou le niveau de la fiscalité ?

M. Michel Lefait. Monsieur Maugis, compte tenu de l’écart des coûts de production entre la France et l’Allemagne, pourquoi les Allemands continuent-ils de produire en France ?

Quant au redressement de la balance commerciale italienne, il ne peut que nous faire rêver. Quelle est la recette, si du moins il en existe une ?

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Comment analysez-vous les difficultés de l’industrie automobile française ? Si Fiat et Volkswagen se portent mieux, est-ce parce que ces deux industries ont su, contrairement à l’industrie automobile française, faire à temps les bons choix ?

Les succès économiques de l’Allemagne et de l’Italie tiennent-ils notamment à leur politique en matière d’innovation ?

Enfin, le recours, en cas de difficultés, au chômage partiel plutôt qu’aux licenciements est-il une réalité en Allemagne ?

M. Thierry Benoit. Je tiens à saluer la qualité des interventions des deux délégations, qui révèlent deux principaux points communs à l’Italie et à l’Allemagne. Premièrement, dans vos pays respectifs, vous êtes attentifs à ce qui se passe autour de vous et dans le monde : vous abordez naturellement la mondialisation des échanges, la circulation mondiale des biens, des personnes et des capitaux. Deuxièmement, chez vous, les chefs d’entreprise et leurs collaborateurs cherchent ensemble les moyens de rendre l’outil industriel compétitif.

Bien que l’un d’entre vous se soit défendu de pouvoir nous donner des leçons ou des recettes, j’aimerais que vous nous conseilliez sur les trois points suivants. Tout d’abord, il y a chez nous, depuis une bonne dizaine d’années, un débat sur la durée du temps de travail. À mon sens, en choisissant de réduire la durée hebdomadaire du travail, la France a signifié aux collaborateurs des entreprises que le travail était aliénant. Certains d’entre vous ont parlé de flexibilité. De fait, il me semble que nous aurions intérêt à encourager l’entrepreneur et ses collaborateurs à discuter de la durée du travail au sein des entreprises, en les laissant plus libres de le faire.

Ensuite, comment expliquer que notre pays, riche d’atouts, et en premier lieu d’une main-d’œuvre performante parce que courageuse, généreuse et volontaire, soit aussi celui au monde où le pessimisme et le scepticisme se développent le plus ? Le remarquez-vous, vous qui êtes nos voisins ? Comment analysez-vous ce phénomène ?

Enfin, comment comprendre que la France, pays beau et généreux, ait tant de mal à appréhender la mondialisation, perçue par plusieurs catégories de population, mais aussi par certains de nos gouvernants, comme une source d’anxiété plutôt que comme un atout ?

M. Olivier Carré. Je remercie à mon tour les orateurs de leurs propos très instructifs.

Ma première question est conjoncturelle. Votre présence atteste de votre attachement à vos sites français bien que vous apparteniez à des groupes italiens ou allemands. Nous venons hélas d’apprendre la fermeture – prévisible – du site Goodyear d’Amiens. Il y a un an, c’était environ une fois par mois qu’une société « étrangère » – dont le siège est multinational – annonçait ainsi la fermeture d’un site de production français ; aujourd’hui, cela arrive environ une fois par semaine, et nous n’en avons certainement pas terminé. Cette accélération est très préoccupante. Avez-vous, comme vous l’avez suggéré, des difficultés à défendre le site France auprès de vos directions lors des comités stratégiques ? Si tel est le cas, quelles sont les causes de leur inquiétude et quels arguments leur présentez-vous, vous qui êtes de bons ambassadeurs de notre pays ?

Ma seconde question est structurelle. On a beaucoup parlé de la coopération économique au niveau des États en vue de résoudre la crise en Europe. L’Allemagne fait des efforts pour alimenter la demande. Les gouvernements français successifs cherchent, par-delà l’alternance politique, à améliorer notre compétitivité, qui inquiète suffisamment nos amis allemands pour que, selon une rumeur démentie par le principal intéressé – mais il n’y a pas de fumée sans feu –, le ministre fédéral des finances ait commandé un rapport sur le sujet. Quelles mesures attendez-vous des hommes politiques français et de ceux des pays de vos maisons mères pour rendre la gouvernance économique européenne plus cohérente ? Je songe par exemple au débat ouvert depuis au moins deux ans sur l’harmonisation de la fiscalité des entreprises en Europe : au-delà des questions relatives à l’Irlande, l’unification des assiettes, chaque pays restant libre de fixer les taux, faciliterait l’intégration européenne des entreprises.

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Pour cette dernière réunion de notre mission d’information avant l’audition de deux ministres prévue en février, nous avons souhaité, ayant entendu des économistes, des chefs d’entreprises français, des représentants des salariés et des journalistes économiques, donner la parole aux représentants de l’industrie européenne, que je remercie chaleureusement d’avoir répondu à notre invitation. Le point de vue extérieur apporté par des entreprises de pays européens proches, avec lesquels nous sommes en relation étroite, est en effet essentiel.

Que pensez-vous de la performance des entreprises françaises à l’exportation, dont vous n’avez guère parlé ? Comment se positionnent-elles dans vos pays respectifs ? En quoi leur tactique se distingue-t-elle de celle que vous employez vous-mêmes sur le territoire français ?

Vous avez plusieurs fois invoqué la nécessité de faire évoluer le marché du travail en France, en matière de droit social et de coût du travail – à propos duquel on emploie d’ailleurs plutôt chez vous, si je ne me trompe, le terme de « prix ». Un accord social a été conclu début janvier. Mais, en la matière, existe-t-il une ligne d’arrivée accessible ou ne s’agit-il que d’une ligne de fuite ? Car si, selon certains d’entre vous, la France est en retard sur l’Italie et sur l’Allemagne, on lit, notamment dans la presse économique française, que les représentants des chefs d’entreprise italiens et allemands voudraient déjà pousser plus loin, dans leurs pays respectifs, la flexibilisation du marché du travail.

Parmi ce qui distingue en particulier l’Allemagne de la France, on cite souvent la pratique sinon de la cogestion, du moins d’un dialogue social poussé, la grande représentativité des syndicats et, par voie de conséquence sans doute, leur audience auprès des chefs d’entreprise. Y a-t-il de ce point de vue, selon vous, une différence notable entre la France, l’Italie et l’Allemagne ? Comment progresser ensemble dans ce domaine ?

Une autre différence réside dans la situation démographique, qui influence l’activité économique puisqu’au-delà du débat sur le financement de la protection sociale, les jeunes générations arrivant sur le marché du travail sont dans nos trois pays moins nombreuses qu’auparavant. Y réfléchissez-vous ? Par ailleurs, la démographie n’est pas sans conséquences sur le prix de l’immobilier, pour les entreprises qui s’implantent comme pour les salariés qui doivent se loger. Y a-t-il de ce point de vue des différences notables entre nos trois pays ? Le fait que les revendications salariales soient plus vives en France qu’en Allemagne contribue-t-il à expliquer les difficultés françaises ?

À propos du Mittelstand, la France paraît en retard du point de vue des relations interentreprises – entre grands groupes et PME, donneurs d’ordre et sous-traitants. Pourriez-vous éclairer les décideurs publics que nous sommes sur les moyens d’améliorer l’organisation des filières ? La manière dont la commande publique – de l’État ou des collectivités locales – favorise sinon les entreprises nationales, du moins celles qui produisent sur le territoire, diffère-t-elle d’un pays à l’autre ?

Enfin, que pensez-vous de la manière dont l’Europe protège son tissu industriel des pays émergents – notamment la Chine, dont on parle beaucoup en France ? Comment développer des stratégies convergentes pour faire renaître des champions européens ?

M. Guy Maugis. En ce qui concerne les fondations, il s’agit d’une formule allemande originale qui permet de loger les actifs de l’entreprise afin d’organiser sa succession, y compris lorsque les enfants ne souhaitent pas en reprendre la gestion. La fondation Robert Bosch, issue de cette démarche, est dédiée à la recherche médicale et au rapprochement entre les peuples. D’autres entreprises familiales allemandes recourent à cette possibilité qui leur offre des avantages fiscaux. Il s’agit en quelque sorte d’un modèle vertueux dont la France pourrait s’inspirer, notamment pour venir en aide aux nombreuses PME dont les fondateurs parvenus à l’âge de la retraite restent sans successeur.

En ce qui concerne la conjoncture, mon groupe estime que l’heure n’est plus à la crise mais à ce que l’on appelle un new normal, c’est-à-dire une perspective de trois à cinq ans de stagnation des marchés européens. Il nous faut donc nous habituer à vivre dans un monde sans croissance, comme l’a fait le Japon au cours des vingt dernières années. Dans ce contexte peu réjouissant, ceux qui tireront le mieux leur épingle du jeu seront les plus flexibles, les plus agiles et les plus rapides.

Qu’est-ce qui détermine l’attractivité d’un pays ? Comment convaincre son groupe d’investir en France ? Les atouts français sont bien connus : la qualité de la main-d’œuvre, en particulier les ingénieurs disponibles, et la démographie. Au contraire, l’Allemagne peine à recruter, en particulier le Bade-Wurtemberg dans le secteur automobile, où quelque 20 000 postes d’ingénieur sont vacants ; toutefois, nos voisins préfèrent embaucher en Italie et en Espagne plutôt qu’en France, ce qui nous ramène au problème de l’enseignement des langues vivantes dans notre pays et au côté un peu « paysan » des Français, qui préfèrent généralement rester chez eux. Un autre atout est le dynamisme de notre marché intérieur, qui reste le premier d’Europe. N’oublions pas que, dans une vingtaine d’années, il y aura plus de Français que d’Allemands.

En revanche, comme en atteste une étude que nous avons menée avec la chambre de commerce franco-allemande et que nous pourrons vous communiquer, l’attractivité de la France aux yeux de l’Allemagne diminue chaque année depuis six ans. La raison régulièrement invoquée pour l’expliquer est l’imprévisibilité des lois et règlements et l’instabilité qui en résulte. Entreprendre, c’est prendre un risque ; si l’on ajoute au risque de marché le risque fiscal et le risque social, cela fait beaucoup pour l’entrepreneur, qui choisira donc, toutes choses égales par ailleurs, de s’implanter là où la sécurité est maximale. Il lui faut limiter le risque pour pouvoir s’adapter à un à-coup de la conjoncture. Ainsi l’Allemagne a-t-elle pu réduire le temps de travail au sein des entreprises entre 2009 et 2011 pour laisser passer la crise en conservant les qualifications et les compétences ainsi que l’outil de travail, de manière à pouvoir les utiliser au moment de la reprise. Ce raisonnement a également permis de faire accepter la baisse des salaires qui s’est ensuivie.

Le contexte n’est plus le même. En France, on a du mal à s’adapter ; c’est en partie culturel. Voilà qui rebute les investisseurs : pourquoi investiraient-ils ici alors que la rentabilité y est plus faible qu’en Allemagne, qu’ils ne pourront pas s’y adapter à une situation nouvelle et que la fermeture, si le risque industriel a été mal évalué, coûtera aussi cher, voire deux fois plus, que l’investissement initial ? Chez eux, au moins la sécurité est assurée et les règles familières.

En ce qui concerne la commande publique et la solidarité des filières, le Français est individualiste et autonome alors que l’Allemand, dit-on, chasse en meute. Ainsi, quand Volkswagen part en Chine, il emmène tous ses sous-traitants avec lui. C’est aussi un gage de sécurité : bien que très entreprenants et disposés à s’implanter à l’étranger, les Allemands préfèrent, par crainte de l’inconnu, éviter de faire appel à un sous-traitant local. Les grands groupes français n’ont pas joué ce rôle d’ « aspirateur à l’exportation » vis-à-vis des PME. Des changements s’opèrent, mais ils sont progressifs et lents. En outre, la commande publique ne favorise pas la fourniture locale. Mon entreprise étant le premier producteur de panneaux solaires en France, je suis un peu agacé de constater que nos bâtiments publics sont systématiquement couverts de panneaux solaires chinois – qui ne sont pas toujours moins chers, qui sont doublement subventionnés, par le gouvernement chinois et par le nôtre, et qui ne sont guère satisfaisants du point de vue environnemental !

M. Wolfgang Ebbecke. Il a été question de cogestion. En Allemagne, les employés et les ouvriers sont représentés dans les conseils d’administration. En France, l’entrepreneur a toujours peur d’être face à des syndicats « extrêmes ». Le dialogue social diffère beaucoup de l’un de ces deux pays à l’autre. En Allemagne, un seul syndicat négocie face à une association ou un groupe représentant le patronat et chacun peut négocier au sein de sa société suivant ses besoins, car les ouvriers et employés, que la cogestion met au fait de la situation de l’entreprise, parlent et décident en conséquence. En France, les syndicats sont au moins cinq ou six à négocier et se battent entre eux dans l’espoir de gagner les prochaines élections au comité d’entreprise : il est beaucoup plus difficile pour l’employeur de pratiquer la cogestion et d’adapter sa politique à l’intérêt de sa société.

Malgré la démographie, en France, les charges sociales pèsent lourdement sur les entreprises alors qu’en Allemagne, en dépit de la baisse du nombre de cotisants, les caisses de sécurité sociale et les mutuelles sont bénéficiaires, car bien moins de personnes y exigent la gratuité des soins ou une pension de retraite pour laquelle ils n’ont jamais versé un centime. Les charges sociales nuisent à la compétitivité et à la productivité française.

M. Godz Schmidt-Bremme. J’ai été témoin de l’essor du Brésil, où j’étais en poste avant d’être nommé en France. On peut assurément négocier âprement l’ouverture de ces marchés en contrepartie de notre acceptation des produits et services locaux. Mais il serait trop facile d’écarter ces derniers au motif que les standards sociaux et environnementaux en vigueur ne seraient pas satisfaisants. Le Brésil applique à peu près les standards sociaux de l’Europe des années 70 et 80 – du moins dans les régions de l’Estado de São Paulo avec lesquelles nous coopérons : je ne parle pas de l’exploitation des caboclos dans le Nordeste. Ainsi, Mercedes a installé au Brésil son centre de compétences pour les moteurs de moyenne puissance, jusqu’à 400 chevaux. Le pays dispose des technologies aéronautiques et spatiales modernes.

En ce qui concerne la transmission des PME, nous avons introduit avec quelque succès une réduction de l’assiette d’imposition à hauteur de 95 %, voire 100 %, si l’héritier conserve l’entreprise pendant sept ou dix ans.

Troisièmement, la France a en Wolfgang Schäuble un ami francophile et francophone, qui se fait votre ambassadeur dans les discussions menées en Allemagne. En outre, les cinq sages dont on prétend qu’il leur aurait demandé un rapport sont parfaitement indépendants. En revanche, il est exact que la position française inquiète l’Allemagne. L’Allemagne, l’Italie, l’Union européenne ont besoin d’une France forte, économiquement forte.

Rappelons par ailleurs qu’il y a dix ans, l’Allemagne était considérée comme l’homme malade de l’Europe. Cela montre que l’on peut toujours changer la donne : il n’y a aucune raison de céder au pessimisme.

S’agissant enfin de la distinction entre coût et prix, j’ai entendu M. Gallois dire il y a quelques jours que l’Allemagne serait en position de dicter les prix et que la France aurait un problème non de coût mais de prix. J’ai été très impressionné par M. Gallois, mais je ne suis pas d’accord avec lui. Pour la Golf de Volkswagen, on ne peut pas demander le prix que l’on veut ! Passe encore pour les produits de luxe français, mais le prix des produits industriels, pour les Allemands comme pour les autres, est déterminé par le coût, par l’innovation et par le degré d’acceptation du consommateur.

M. Jörn Bousselmi. En ce qui concerne la commande publique, mon président estime qu’en France, on peut soutenir les PME. Toutefois, en Allemagne, on se demanderait non pas comment l’État peut créer de la demande pour les PME, mais comment développer la flexibilité ; il s’agit non pas d’acheter n’importe quel produit, mais d’offrir à l’entreprise la possibilité d’innover pour améliorer celui-ci. L’action publique porte ainsi tout entière sur l’amélioration du produit au travers de programmes d’innovation et de clusters. C’est l’alternative de la politique d’offre et de la politique de demande.

Les mots sont eux aussi révélateurs : là où les Français parlent de « chômage partiel », les Allemands emploient le terme Kurzarbeit – « travail réduit ». De même, les termes de « sous-traitants » et de « fournisseurs » ou de « partenaires » ne sont pas équivalents. Ce sont de petites choses, mais qui contribuent au rôle de la culture d’entreprise dans la société : selon ce point de vue, l’entreprise est dotée d’une dimension sociétale, irréductible à la nécessité pour le capitaliste de redistribuer l’argent qu’il aurait nécessairement pris quelque part.

Parviendra-t-on un jour à résorber l’écart ? Cette question ne se pose pas en Allemagne : pour nous, la globalisation et la concurrence sont telles qu’il ne peut y avoir de ligne d’arrivée mais seulement une course perpétuelle, qui oblige à se remettre chaque jour en question.

Du fait de sa démographie, l’Allemagne est obligée de s’appuyer sur un marché intégré de travailleurs caractérisé par une forte mobilité en Europe. Ce qui pose le problème de l’homologation de la formation professionnelle et de sa reconnaissance partout en Europe. Cette mobilité nécessaire pourrait être un atout pour la France étant donné le taux élevé de chômage de ses jeunes. Nous devrions partager le travail et la main-d’œuvre au lieu de vivre chacun de notre côté : c’est cela, l’Europe !

M. Wolfgang Ebbecke. Cela suppose que Bruxelles œuvre davantage pour la reconnaissance mutuelle des formations et des titres.

M. le président Bernard Accoyer. En effet. Or, jusqu’à présent, on a forgé une Europe de consommateurs plutôt que de producteurs. Nous devrons d’ailleurs prendre garde à ce qui adviendra de la politique agricole commune, dans la mesure où l’industrie est partenaire de ce volet essentiel de notre économie qui nourrit les Européens.

Monsieur Bousselmi, votre approche sémantique est très intéressante.

M. Frédéric Thil. Nous sommes tous d’accord pour dire que l’on a changé de paradigme. En France, nous avons perdu en agilité et en flexibilité au cours des dernières années et notre moral est au plus bas, ce que les Italiens ont du mal à comprendre étant donné nos résultats macroéconomiques et au sein de ma société : ils sont frappés du décalage entre les résultats établis par des algorithmes financiers et notre propre perception.

J’ai également le sentiment que nous ne travaillons plus assez ensemble. En Italie, les liens sont bien plus étroits entre les parlementaires qui font la loi et le monde de l’industrie. Basés à Rouen, nous constatons un manque d’attractivité de la région, qui résulte de la proximité de Paris : nous avons du mal à faire venir des talents en Haute-Normandie. Or nous ne parvenons pas à travailler au niveau local avec le législateur et d’autres sociétés pour résoudre ce problème. Les Italiens réussissent mieux que nous dans ce domaine. Au lieu de faire de même, nous subissons individuellement les injonctions gouvernementales relatives au handicap, aux seniors, aux stagiaires, etc., et nous n’osons pas agir de peur des taxes afférentes.

Le coût du travail est plus élevé pour Ferrero France qu’en Italie ; en revanche, le prix est compétitif car nous disposons d’un véritable savoir-faire que nous nous efforçons de développer. Lorsque l’on parle de compétitivité, on invoque le coût, mais il faudrait aussi tenir compte de la valeur du travail. Nous avons 1 200 salariés qui travaillent en moyenne trente-cinq heures par semaine, ce qui équivaut à quelque 40 000 heures de travail hebdomadaire. Pour améliorer notre compétitivité et notre attractivité, mieux vaudrait chercher à optimiser la valeur de ces 40 000 heures plutôt que de se livrer à des calculs complexes sur les charges.

Nos consommateurs sont français mais nos clients sont internationaux, et ils font pression sur les prix. Ce qui nous renvoie à la LME. Pour notre part, nous nous intéressons plus au pouvoir d’achat qu’à l’effet de la volatilité des matières premières sur l’équilibre de notre compte d’exploitation.

Dans notre cas, la saisonnalité est très marquée : nous transportons quatre fois plus de marchandises au moment de Noël et de Pâques que le reste de l’année. Il nous serait donc utile de pouvoir recourir à des CDI de quelques mois, éventuellement cumulables avec d’autres sociétés – ce qui nous obligerait à travailler ensemble au niveau local.

En ce qui concerne la pression fiscale, la famille Ferrero est inquiète car on assiste en France à des débats anxiogènes, qu’il s’agisse de la taxe sur la bière, de l’amendement dit Nutella ou des profits nutritionnels. Or ces débats sont franco-français. Il n’est pas facile de faire comprendre à un groupe international, a fortiori italien, que l’huile de palme pose un problème crucial. En outre, l’année dernière, une fois l’impôt prélevé, il n’est rien resté des 10 millions d’euros de résultats supplémentaires que Ferrero France avait obtenus. Il est possible de l’expliquer à la famille en faisant valoir les textes législatifs en vigueur, mais cette situation sera difficile à supporter à long terme.

M. Gilbert Khawam. Je ne travaillais pas en France lorsque la loi sur les trente-cinq heures est entrée en vigueur, et j’ai pu mesurer ce qu’elle a changé. La loi elle-même n’est pas en cause, ni la négociation au sein de l’entreprise en fonction des contraintes, qui est une bonne chose. Le problème, si vous me permettez une formulation quelque peu provocatrice, est que l’on a créé une ou deux générations de jeunes pour qui le salaire rétribue le fait de venir au travail et à qui il n’est pas question de demander en plus de travailler…

L’intérêt du site France est indéniable : la France présente beaucoup d’avantages. Si l’on compare les coûts de production en France et en Italie, l’on constate que le salaire net est sensiblement le même, à ceci près qu’en France, il est imposable alors qu’en Italie l’impôt est prélevé à la source.

Quant à la capacité à exporter, il suffit pour la mesurer d’observer, dans les salons internationaux, le nombre d’entreprises allemandes, mais aussi italiennes, qui se regroupent. Je l’ai constaté au sein de mon groupe, les Italiens, même lorsqu’ils investissent en Chine ou en Inde, appliquent intuitivement une sorte de préférence nationale en travaillant avec des entreprises italiennes, même si ce phénomène est moins marqué qu’en Allemagne. Les entreprises françaises ne me paraissent guère pratiquer ce type de portage, mais il faudrait interroger sur ce point de grandes entreprises comme Total ou L’Oréal. Pourquoi les Italiens sont-ils actifs à l’exportation ? Parce que nombre d’entreprises italiennes sont de petites entreprises familiales qui, pour se développer, se tournent vers l’export puisque le marché italien est très concurrentiel et trop réduit. Cela ne leur coûte pas très cher au début ; elles travaillent beaucoup avec les chambres de commerce des pays où elles comptent investir.

Comment protéger l’industrie européenne ? Un moyen le permettait jusqu’à présent : la norme. Il sera désormais de moins en moins utilisé, du fait de l’influence des non-Européens, de plus en plus nombreux au sein des associations et organismes normatifs.

M. Stefano di Lullo. Je concentrerai mon propos sur les exportations, qui sont cruciales, car d’elles dépend la richesse d’un pays. Nous devons faire face sur le marché mondial à la concurrence de géants américains dont la capacité à exporter prend appui sur un marché local substantiel. Toute société qui cherche à développer un marché d’exportation devrait ainsi avoir à l’esprit le rôle de tremplin que peut jouer le marché local.

Par ailleurs, du moins en ce qui concerne les technologies médicales, la volonté des pouvoirs publics est essentielle pour créer une filière stratégique par-delà la tendance française à l’individualisme, ce qui nourrit la force de frappe et développe la capacité à exporter.

Permettez-moi enfin de vous faire part d’une anecdote. Notre activité d’exportation très développée me conduit souvent à voyager, notamment en Asie, et à travailler sur place avec les ambassades de France et d’Italie, ce qui m’a permis de constater une différence de culture. L’ambassadeur d’Italie et son équipe sont tout disposés à nous aider à nous installer dans un pays étranger. Nous organisons dans quelques jours au Japon une réception de 300 cardiologues japonais ; alors qu’il nous a été difficile d’obtenir de l’aide de l’ambassade de France, du côté italien tout était réglé en une vingtaine de minutes. Ce type de geste, comme d’autres, ne coûterait rien à l’État, mais révèle un certain état d’esprit dont les industriels pourraient tirer profit.

M. le président Bernard Accoyer. Merci de votre sincérité et de la rigueur de vos analyses, qui nous seront très utiles. Elles confirment que la situation exige d’aller beaucoup plus loin, plus vite, plus fort.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur les coûts de production en France

Réunion du jeudi 31 janvier 2013 à 10 h 30

Présents. - M. Bernard Accoyer, M. Thierry Benoit, M. Olivier Carré, Mme Marie-Anne Chapdelaine, Mme Jeanine Dubié, M. Laurent Furst, M. Daniel Goldberg, M. Michel Lefait, M. Jean-René Marsac

Excusés. - Mme Annick Le Loch, M. Claude Sturni, M. Olivier Véran