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Mission d’information sur les coûts de production en France

Jeudi 14 février 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 25

Présidence de M. Bernard Accoyer Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif

La mission d’information a entendu M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif.

M. le président Bernard Accoyer. Monsieur le Ministre, soyez le bienvenu au sein de notre mission, dont l’objet constitue un enjeu majeur pour la compétitivité de nos entreprises. Nous arrivons au terme de nos travaux ; il était donc essentiel de vous entendre, tant l’industrie a été au cœur de nos auditions. Celles-ci ont révélé la gravité de la situation : la quasi-totalité des personnes que nous avons entendues nous ont fait part de leurs inquiétudes s’agissant des coûts de production en France et de la compétitivité de notre pays, pour des raisons qui seront détaillées dans le rapport. Le phénomène qui résume peut-être le mieux cette dégradation, observée depuis une bonne dizaine d’années, est l’écrasement des marges, lequel empêche les entreprises françaises de développer des programmes de recherche et d’innovation. De leur côté, les grands groupes et les entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui ont des débouchés dans les zones à forte croissance, notamment en Asie, résistent voire même progressent. Le coût de la production en France est donc un problème spécifique, en premier lieu pour les entreprises qui en sont dépendantes.

Dans ce contexte, nous attendions votre audition avec impatience et espérons qu’elle fera avancer notre réflexion.

M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Les travaux de votre mission, que je remercie de son invitation, illustrent l’engagement fort de la représentation nationale au service de la reconstruction de notre appareil industriel que le Gouvernement, avec le rapport Gallois et le Pacte de compétitivité, a placé au centre du débat public et de son action. L’enjeu à plus court terme consiste à sauver des outils, des savoir-faire et des entreprises : ce travail difficile, qui m’a été confié, donne tout de même des résultats. Notre stratégie est similaire à celle suivie par l’Allemagne en 2008 et 2009. Nonobstant des chutes significatives dans les carnets de commandes, le système en vigueur outre-Rhin a permis de maintenir les outils en état de marche, de suspendre les contrats de travail grâce au chômage partiel et d’éviter la destruction d’entreprises. La France, où subsiste un penchant pour les licenciements et les démantèlements, n’a pas fait les mêmes choix. Notre stratégie de court terme, décentralisée, relève donc du « cas par cas »; nous la menons en attendant le redémarrage de l’économie de la zone euro, pour l’instant en panne : dix pays sur dix-sept sont en récession, la France y entrant et l’Allemagne n’en étant plus très loin.

Les coûts de production incluent les prix du travail, de l’énergie et du capital, sans oublier le facteur décisif du taux de change.

S’agissant du coût du travail, les comparaisons se focalisent sur l’Allemagne car ce pays est notre principal concurrent ; or, de 2000 à 2010, les coûts de production de l’industrie manufacturière s’y sont stabilisés alors que les nôtres augmentaient de 5 %.

Le coût n’est évidemment pas le seul facteur de compétitivité : celle-ci tient aussi à la qualité et à la montée en gamme des produits. L’économiste Michel Aglietta définit la compétitivité comme la capacité, pour une nation, à vendre son travail le plus cher possible. On peut vendre très cher un produit de valeur moindre, qui, s’il n’exaltait l’imaginaire ou le beau, selon les critères de ces artistes des temps modernes que sont les designers, ne se vendrait guère. Ces capacités créatives, ces atouts « hors coût » expliquent d’ailleurs la résistance de l’économie française, en dépit de ses difficultés et de la cruauté de la concurrence au sein même de la zone euro. Rappelons aussi que le coût du travail, dans le secteur des services marchands, a augmenté de 25 % en France, alors qu’il s’est stabilisé en Allemagne. Ces différents chiffres tiennent compte de la productivité, même si celle des travailleurs français est l’une des plus élevée d’Europe.

L’écart se creuse en raison du dumping des pays d’Europe du Sud, à commencer par l’Espagne et l’Italie, qui, pour remettre en ordre leurs comptes publics, ont adopté des mesures de déflation, lesquelles ont encore intensifié la compétition entre pays de la zone euro. Elles montrent aussi à quel point la question du coût du travail est devenue centrale. L’accord signé par la direction de Renault en Espagne prouve d’ailleurs que le groupe a opté, dans ce pays, pour la baisse des salaires alors qu’il se borne à les geler en France.

Le Gouvernement a donc pris le taureau par les cornes avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), lequel revient, pour la nation, à financer une diminution du coût du travail de 20 milliards d’euros en deux ans, de sorte qu’en 2014, la baisse des salaires inférieurs à 2,5 SMIC aura atteint 6 %. Les effets attendus sont un gain de croissance de 0,5 % et la création de 300 000 emplois, bien que ces chiffres soient contestés et, par nature, contestables. Reste que l’essentiel est de porter remède à la dégradation des marges des entreprises de toutes tailles qui opèrent sur le marché national, et, ce faisant, de diriger des ressources supplémentaires vers l’investissement.

Le débat sur le coût de l’énergie, ouvert dans le cadre de la conférence environnementale, offre des entrées multiples. Le premier enjeu est la souveraineté énergétique et la dépendance aux hydrocarbures – d’autant que la facture, en ce domaine, n’a jamais été aussi élevée –, sans parler de la dépendance géopolitique à l’égard des pays qui font les prix. Les énergies fossiles représentent 76 % du bouquet énergétique, contre 24 % pour l’électricité. Le prix d’accès à l’énergie est bien entendu un élément clé pour les industries électro-intensives soumises à la concurrence européenne et mondiale. L’électricité française présente le double avantage d’être sobre en carbone et peu coûteuse – puisqu’elle est 25 % moins chère que la moyenne européenne – en raison de son origine nucléaire, dont elle provient à 78 %, les autres sources étant l’hydroélectricité pour 10 %, l’éolien pour 2 %, le photovoltaïque pour 0,5 % et le thermique pour 10 %. Défendons, dans le cadre du débat sur la transition énergétique, cet avantage compétitif que constitue le tarif de l’électricité, même s’il faudra financer l’évolution du « mix » énergétique et le développement des énergies renouvelables. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’opposer transition écologique et compétitivité des entreprises françaises : les stratégies peuvent être gagnantes et complémentaires.

Comme je l’ai indiqué hier à Mme Bonneton lors des questions au Gouvernement, en vingt ans, dix-neuf sites de production d’aluminium primaire ont fermé en France, soit une capacité de production de 1 million de tonnes, et la filière, qui a perdu 23 % de ses emplois en cinq ans, ne compte plus que 11 000 salariés. Rio Tinto Alcan, qui a racheté notre industrie via une OPA agressive et fait disparaître Péchiney en 2004, a aussi décidé de fermer le site de Saint-Jean-de-Maurienne, si bien qu’il ne subsiste que deux sites sur notre sol. L’électricité représente 40 % des coûts de l’aluminium ; or le mégawattheure coûte 10 euros de plus en Europe que dans le reste du monde. Toutes les grandes productions électro-intensives migrent donc, non en Asie, mais plutôt en Russie, au Canada et en Australie, pays comparables au nôtre au regard de la compétitivité, et qui ont eu l’intelligence de créer des conditions favorables pour ces industries. À nous de faire de même en négociant avec Bruxelles, afin de permettre à l’Europe de se ressaisir au lieu de détruire sa propre industrie par une politique énergétique contraire à ses intérêts et favorable aux délocalisations : c’est le sens des arguments que j’ai défendus, avant-hier, auprès des commissaires Antonio Tajani et Connie Hedegaard. Notre position ne consiste pas à défendre une réduction des standards européens en matière d’émission de CO2, mais à imposer au reste du monde de s’aligner sur eux car, en ce domaine, de deux choses l’une : soit l’Europe opte pour la dérégulation en son sein, comme pour l’acier ; soit elle oblige les pays qui exportent sur ses marchés à acquitter une taxe carbone aux frontières. Il convient de relancer cette idée, car nous ne pouvons pas accepter que l’Union inflige une telle taxe à ses propres industries et en exempte les autres. Les règles du jeu doivent s’équilibrer, car la mondialisation est aujourd’hui déloyale. C’est pourquoi j’insiste sur la nécessité de défendre, dans le cadre du débat sur la transition énergétique, un prix de l’électricité compétitif pour nos industries électro-intensives.

Le coût du financement fait lui aussi l’objet d’une compétition. Par sa cupidité excessive, dénoncée notamment par les prix Nobel Paul Krugman et Joseph Stiglitz, le système financier détruit des outils industriels rentables pour servir ses intérêts immédiats. Pour le contrecarrer, le Gouvernement a fait le choix de créer un système de concurrence, avec la Banque publique d’investissement (BPI), moins gourmande et plus patiente. Tout l’enjeu, pour cette banque, sera d’offrir une véritable alternative sans tomber dans les affres du Crédit Lyonnais, qui distribuait les crédits comme des subventions : elle devra définir une doctrine d’intervention que mon ministère est en train d’élaborer avec M. Dufourcq, futur directeur général de l’établissement.

La question du financement conduit aussi à poser celle de notre taux d’épargne, atout encore trop peu utilisé au profit de notre industrie manufacturière comme de l’ensemble de nos entreprises, vers lesquelles ne se dirigent que 4 à 10 % des 1 300 milliards d’euros d’encours de l’assurance-vie. La mission de Mme Karine Berger et de M. Dominique Lefebvre permettra de dégager des orientations en ce domaine : notre épargne ne doit pas seulement financer la dette publique des pays de la zone euro, mais aussi l’économie réelle.

J’en viens, pour conclure, au taux de change, que nos grands concurrents utilisent comme une arme économique à travers des dévaluations compétitives, qu’il s’agisse de la Banque d’Angleterre, de la Réserve fédérale américaine, de la Banque centrale chinoise, et maintenant de celle du Japon. Ces politiques placent l’euro dans une situation délicate – sur laquelle le Gouvernement s’est exprimé –, mais aussi l’économie française et l’économie européenne dans son ensemble. Une dépréciation de l’euro de 10 % se traduirait au bout d’un an, pour la France, par un gain de croissance de 0,5 % et la création de 30 000 emplois ; à l’inverse, une appréciation de 10 % représente un manque à gagner de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires pour EADS et réduit à néant les effets du CICE, c’est-à-dire l’effort de 20 milliards consenti par la nation. Bref, nous devions réagir, comme nous l’avons fait au sein de l’Eurogroupe. L’euro, faut-il le rappeler, s’est apprécié de 30 % par rapport au yen depuis le 1er août 2012 et de 11 % par rapport au dollar. Le Président de la République a récemment déclaré qu’il ne devait pas fluctuer au gré des marchés : les parités ne peuvent être utilisées à des fins commerciales. Si nos concurrents mondiaux l’utilisent, il nous faudra, au nom de la réciprocité, faire de même.

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Le taux de marge de nos entreprises, l’un des plus faibles d’Europe, freine leur développement et leurs investissements, alors que l’Allemagne, de son côté, a réussi à mettre en place un écosystème performant avec les pays d’Europe de l’Est. Les deux grandes entreprises automobiles françaises qui se sont implantées dans ces pays l’ont plutôt fait dans une optique de délocalisation que d’organisation de la filière. De ce point de vue, les « co-localisations » avec les pays du Maghreb s’inscrivent-elles dans un rapport gagnant-gagnant ?

Le texte dont nous débattons actuellement dans l’hémicycle intéresse aussi le coût du capital. Si on laisse de côté le problème majeur des paradis fiscaux, l’impact des règles prudentielles de Bâle III, mises en place après la crise de 2008, sur l’accès au crédit a été perçu différemment par les entreprises et les banques. Le credit crunch traduit-il une excessive frilosité de nos banques ? La création de filiales dans les paradis fiscaux ne contribue-t-elle pas à cette frilosité ?

Les chefs d’entreprise français, italiens et allemands, mais aussi les organisations professionnelles d’employeurs nous ont interpellés sur les conditions de transmission des entreprises, plus favorables en Allemagne qu’en France, malgré le pacte Dutreil.

La stratégie de filière revêt également une importance particulière. Les grands groupes allemands emmènent avec eux des sous-traitants pour gagner des marchés à l’exportation, ce que les entreprises françaises, jusqu’à présent, ne savent pas faire.

Le CICE est applicable aux salaires inférieurs à 2,5 SMIC, alors que le rapport Gallois préconisait de fixer ce seuil à 3,5 SMIC. Pour des catégories comme les ingénieurs ou les techniciens diplômés, dont les salaires, en début ou milieu de carrière, sont souvent compris entre ces deux limites, le dispositif en Allemagne est plus avantageux. Ne pourrait-on élargir les aides à ces salariés, très minoritaires puisque 90 % des salaires, dans le secteur industriel, sont inférieurs à 2,5 SMIC ?

Cette question peut être mise en parallèle avec le récent discours de Barack Obama sur l’état de l’Union, dont la coïncidence avec le débat sur le budget européen est intéressante : le Président américain préconise en effet une politique de relance par la demande et des investissements considérables en faveur de la recherche-développement et de l’innovation. En plus de la relance par l’offre, objet du pacte de compétitivité, ne peut-on aussi, au niveau européen, envisager une relance par la demande ?

Je viens également, monsieur le ministre, de m’entretenir de la formation professionnelle avec votre collègue Thierry Repentin. Sur ce sujet, évoqué plusieurs fois au cours de nos auditions, les représentants des salariés comme des employeurs nous ont donné des réponses souvent évasives. Les sommes en jeu, pourtant considérables, devraient servir en priorité à notre système productif et soutenir sa compétitivité. Le Gouvernement compte-t-il avancer sur ce sujet, et, si oui, dans quels délais ?

Beaucoup de chefs d’entreprise nous ont par ailleurs alertés sur le non-respect, malgré la loi de modernisation de l’économie (LME), des délais de paiement qui grèvent leur trésorerie. Ne faudrait-il pas réduire ces délais à quarante jours ? Comment lutter contre les mauvais payeurs ?

Enfin, beaucoup de nos entreprises ont du mal à accéder à la commande publique, et même à la commande des grands groupes dans le cadre de la sous-traitance.

M. Jean Grellier. Le club « Produire en France », qui s’est réuni ici même cette semaine, a lui aussi évoqué le problème de l’accès aux marchés publics, problème qui, dans notre pays, est autant culturel que réglementaire : de fait, les entreprises françaises n’utilisent pas toutes les possibilités offertes par le code des marchés publics. La sécurisation de la production sur notre sol redonnerait pourtant des marges de manœuvre à nos entreprises, même si le problème de leur compétitivité est évidemment plus vaste.

S’agissant de la politique de filière, des outils tels que les Centres techniques industriels (CTI) ou encore le Conseil national de l’industrie sont sans doute trop peu connus des entrepreneurs.

Enfin, outre le Médiateur du crédit et le Médiateur des relations « inter-entreprises », il existe un Médiateur des marchés publics. Quel bilan peut-on faire de ces institutions ? Comment renforcer leur action auprès des entreprises et sur les territoires ?

Mme Michèle Bonneton. J’approuve la plupart des propos que nous venons d’entendre. Retenons tout de même quelques éléments positifs, à commencer par la productivité des salariés français, l’une des meilleures au monde, et les investissements étrangers, dont le niveau reste élevé par comparaison avec les autres pays européens : cela montre que les coûts de production sont maîtrisés ou, à tout le moins, qu’ils ne constituent pas un obstacle pour ces investissements.

Reste que, d’après une étude récente des professionnels de la machine-outil, l’outil de production français, dont la moyenne d’âge est de dix-neuf ans – contre dix en Italie et neuf en Allemagne –, accuse un retard important en termes d’investissements. Cette situation tient sans doute aux difficultés de financement des entreprises, liées notamment à la diminution de leur capacité d’autofinancement. La BPI, dont elles disent attendre beaucoup, sera-t-elle en mesure de répondre à leurs attentes, ou faut-il intervenir dans les plus brefs délais auprès du système bancaire ?

Je ne reviens pas sur l’innovation et la recherche de qualité, qui comptent aussi beaucoup. À cet égard, les entreprises apprécient beaucoup le crédit d’impôt recherche, qui a été reconduit.

La formation professionnelle semble réservée aux salariés qui sont déjà les plus qualifiés ; pour les autres, l’offre n’apparaît guère adaptée. La décentralisation régionale sera-t-elle suffisante ? Je crains fort qu’elle ne fasse passer la formation professionnelle dans les mains du privé : loin de moi l’idée de proscrire les partenariats public-privé en ce domaine, mais un fort engagement du secteur public me semble nécessaire.

Quant à l’énergie nucléaire, n’oublions pas ses « coûts cachés ». Une récente étude a ainsi montré qu’un accident sur un seul réacteur coûterait à la France 430 milliards d’euros, soit deux fois le coût de l’ensemble de notre parc. Et la facture provisoire de Tchernobyl se monte déjà à 1 000 milliards d’euros.

Si le coût des matières premières ne représente qu’une faible part du prix du produit fini, les marges brutes de certaines entreprises en ce domaine ne laissent pas de m’étonner : sur les minerais, elles atteignent par exemple 40 %, voire davantage, pour Rio Tinto. N’est-il pas urgent de réduire la consommation d’énergie et de matières premières en favorisant le recyclage et en innovant dans les processus de fabrication, selon le modèle de l’économie circulaire ?

S’agissant du coût du travail, rappelons que l’Europe est le principal marché pour nos entreprises : si les salaires européens faiblissent, la consommation risque de diminuer dans des proportions encore plus importantes qu’aujourd’hui.

Enfin, à l’international, pourquoi ne pas appliquer le principe du juste échange, fondé sur la réciprocité ou des critères sociaux et environnementaux ? L’Europe constitue l’ensemble le plus ouvert au monde : un rééquilibrage passerait sans doute par l’instauration de différentes barrières à ses frontières.

M. le ministre. Je remercie votre rapporteur Daniel Goldberg et l’ensemble des parlementaires engagés dans la cause du redressement industriel de notre pays. Si nous partageons les diagnostics, nous essayons aussi de partager les solutions. En ce sens, mon ministère est un ministère de l’unité nationale : il organise la coopération collective. Cadres, ouvriers, ingénieurs et dirigeants travaillent de concert, et nous nous efforçons de les convaincre de la justesse de nos orientations. Le combat du « made in France » consiste à faire prendre conscience à la société tout entière que la disparition de la production sur notre sol reviendrait à aliéner notre culture, notre identité, en un mot notre souveraineté : celui qui ne produit plus se met dans la main de celui qui produit. Une telle dépendance nous conduirait à l’appauvrissement. Comment, dès lors, financer notre modèle social, nos dépenses militaires, nos services publics ou notre réseau diplomatique ?

Or, force est de constater que la crise a produit des dégâts incommensurables. La prise de conscience concerne donc les consommateurs comme les producteurs. La responsabilité des premiers, liée à leur pouvoir d’achat, est pour cette raison très modeste, mais elle existe : tout consommateur doit réfléchir aux conséquences de ses actes. C’est le sens du marketing patriotique que j’encourage partout, à commencer chez les grands distributeurs. Les enseignes Intermarché et Leclerc vont ainsi estampiller leurs produits français par des drapeaux tricolores, et je demande à la grande distribution de favoriser les produits fabriqués en France. Selon la dernière enquête consacrée au sujet, le « made in France » est un critère d’achat primordial pour 78 % des Français, qui demandent seulement une information transparente; d’où le rôle essentiel des commerçants et distributeurs.

La question, au demeurant, se pose aussi pour les producteurs. Rappelons au passage que 18 % du PIB européen provient de la commande publique, laquelle est entièrement ouverte en France et entièrement fermée aux États-Unis, où le Buy American Act oblige les entreprises candidates à être installées sur le sol américain. Cet exemple montre que le principe de réciprocité est encore loin des préoccupations de la Commission européenne : en ce domaine, la bataille ne fait que commencer.

D’une manière générale, nous travaillons à une stratégie de relocalisation des activités productives. La France, ne l’oublions pas, dispose d’atouts importants : avec 678 projets d’implantation industrielle en 2012 – soit 13 par semaine –, elle est, sur ce plan, la première destination en Europe, devant le Royaume-Uni et l’Allemagne. Dans la plupart des cas, toutefois, ces projets concernent des extensions de groupes déjà présents sur notre sol : nous démarchons donc des entreprises et des filières qui ne le sont pas encore, avec l’objectif de porter le nombre de projets d’implantation à 1 000 par an. Le Pacte de compétitivité et le CICE commencent d’ailleurs à peser dans les arbitrages que les multinationales font entre les pays européens. Je vous communiquerai les éléments de la campagne mondiale « Say Oui to France », que Mmes Fleur Pellerin, Nicole Bricq et moi avons lancée. Les arguments, que j’invite les parlementaires à relayer, ne sont pas minces. Selon une récente étude du cabinet KPMG, les coûts d’implantation sur notre sol sont dans le « top cinq » mondial : le foncier y est bon marché et, si le coût du travail est plus élevé, il est compensé par une énergie moins chère. Et j’appelle votre attention sur ce point.

Vous évoquiez, Madame Bonneton, les coûts cachés du nucléaire, mais le démantèlement d’une centrale en fin de vie crée surtout, dans un premier temps, des emplois de maître-chien autour du mausolée : le démantèlement lui-même intervient beaucoup plus tard. Nous avons plutôt intérêt à rénover nos centrales pour les maintenir en activité le plus longtemps possible : sans la rente qu’elles offrent, nous ne pourrons pas financer la transition énergétique. Comme l’observait Nicolas Hulot lors de la Conférence environnementale, il faudra choisir entre plusieurs solutions impossibles. Le pragmatisme doit donc nous guider.

Nous portons une attention toute particulière aux entreprises françaises ayant éloigné leurs centres de production, moins pour conquérir des marchés que pour s’internationaliser et se rapprocher des lieux de consommation : pourquoi délocaliser à plusieurs milliers de kilomètres pour exporter ensuite vers la France ? Notre travail s’inspire du slogan de campagne de Barack Obama « Let’s bring our jobs back home », qui a suscité la Reshoring Initiative, une association d’industriels américains, qui invite les entreprises à recalculer leurs coûts de production, compte tenu de l’explosion des salaires en Chine, de l’augmentation du prix de l’énergie – donc de la logistique aérienne et maritime –, de la mise en œuvre de fiscalités carbone partout dans le monde et de la volonté de raccourcir les délais de livraison par le rapprochement entre le consommateur et le producteur.

Dans les pays développés, consommateurs et producteurs sont d’ailleurs interdépendants, le « sur mesure » s’imposant à partir d’un certain niveau de qualité. Ce phénomène incite les entreprises à se réinstaller au plus près des consommateurs. L’exemple de Smoby, dans la filière du jouet, l’illustre. Victime des écarts de gestion de l’ancien dirigeant, cette entreprise, située près de Morteau, dans le Jura, avait été placée en redressement judiciaire. Un industriel l’a reprise, relocalisant des activités implantées en Chine et en Roumanie. L’innovation, la montée en gamme, la réduction des délais de livraison, la production en petites séries, la saisonnalité et la flexibilité du temps de travail – rendues possibles, soit dit au passage, par les 35 heures et bientôt renforcées par l’accord du 11 janvier dernier –, ont permis à cette entreprise de plasturgie, que beaucoup croyaient irrémédiablement condamnée, de renaître et de réembaucher. Atol, qui a de son côté relocalisé en France sa production de lunettes, et dont la publicité revêt un caractère patriotique, a vu son chiffre d’affaires progresser de 6 % par an. Rossignol, le fabricant de skis, offre un autre exemple de relocalisation.

Toute la bataille autour de l’accord chez Renault, c’est la bataille pour relocaliser les activités productives sur le sol français. Renault doit produire davantage en France. Et le pacte de compétitivité et son crédit d’impôt sont un élément de la discussion, laquelle ne porte pas tant sur les efforts à faire – et, qui, en vertu de l’accord du 11 janvier, seront partagés entre salariés et actionnaires – que sur les moyens d’éviter les licenciements en relocalisant. Nissan, Daimler, Renault sont fortement incités par l’État actionnaire à localiser leur production et leur assemblage sur le sol national. Cette politique va être relayée par l’Agence française pour les investissements internationaux à qui j’ai confié un programme qui consiste à démarcher les groupes français pour les convaincre de relocaliser.

Bien sûr, la question des coûts de production se pose. Le Mittelstand allemand dispose à ses portes des pays de l’Est hors zone euro. Pas nous, qui n’avons à nos frontières que la Grande-Bretagne et la Suisse où les coûts de production sont plus élevés qu’en France.

M. Laurent Furst. Et où, pourtant, l’industrie se développe !

M. le ministre. Nous voulons établir un partenariat « gagnant-gagnant » avec le Maghreb, dont les coûts de production sont faibles et qui pourrait constituer une étape du rapatriement des activités de l’Asie vers l’Europe. Plutôt qu’une implantation 100 % asiatique, nous proposons une relocalisation à 50 % en France et à 50 % au Maghreb. Le transfert des usines Renault de Turquie vers l’Algérie aura l’avantage indirect de recharger des usines sous-traitantes en France. Si je demande de la charge aux constructeurs sur le sol français, c’est pour mettre un terme à l’hémorragie chez les sous-traitants, qui sont au tapis. On parle des constructeurs, mais les tribunaux de commerce ont reçu une centaine de dossiers de sous-traitants. Ils ont perdu 20 % de leurs effectifs.

Pour mener ce travail de bénédictin, en n’écartant aucun dossier, nous nous appuyons sur trois éléments : le Pacte de compétitivité et la BPI qui nous servira à reconstruire les filières et à financer les PME qui sont dans leur sillage. La filière nucléaire embauchera d’ici à 2020 au moins 110 000 personnes – il ne faut surtout pas la démanteler – pendant que nous perdrons des dizaines de milliers de salariés dans l’automobile, un métier pourtant voisin. À nous d’organiser la transition en formant les personnels. Le même phénomène se produit dans la chimie où la chimie végétale innove et embauche.

Troisième élément, l’accord du 11 janvier dernier permettra d’équilibrer les rapports entre les actionnaires, les dirigeants et les salariés. Beaucoup d’accords « sauvages » sont conclus sur le terrain mais ils ne contiennent que des promesses. L’accord obligera à vérifier la réalité des difficultés rencontrées par l’entreprise au moyen d’une expertise préalable. Il vaudra pour deux ans, et comportera des clauses de retour à meilleure fortune de façon que les fruits obtenus après les sacrifices soient partagés. Enfin, l’accord s’appuiera sur une base majoritaire dans l’entreprise par référendum. Il instaure donc un cadre qui protégera les salariés contre les excès et les dérives. Il servira aussi à négocier l’usage que feront les entreprises du crédit d’impôt.

Dans certaines entreprises, il servira à investir, Madame Bonneton, vous qui vous préoccupez du vieillissement de l’appareil productif. En effet, nous accusons un retard considérable dans la robotisation. Nous sommes à la traîne, derrière l’Allemagne et l’Italie. Je m’apprête donc à lancer la filière robotique car, contrairement à ce que croyaient les canuts qui cassaient les machines pour préserver leur emploi, l’augmentation de la productivité et l’automatisation créent des emplois, même s’ils se transforment. Le crédit d’impôt apportera de l’oxygène à l’investissement privé.

Notre stratégie, et je réponds à votre rapporteur, repose à la fois sur l’offre et sur la demande. Nous améliorons les conditions de production tout en soutenant l’investissement public et privé. Pensez au programme de rénovation thermique, au très haut débit, aux infrastructures ferroviaires, aux réseaux électriques intelligents dans lesquels EDF doit investir 15 milliards d’ici à 2015, et je ne parle pas du compteur Linky. Dans l’entreprise, cela passe par la robotisation, l’amélioration de la combinaison productive, la montée en gamme.

Cette politique implique en effet une remise en cause des règles de la commande publique. Nous y travaillons très sérieusement mais nous n’en sommes qu’aux avant-projets. Nous avons besoin d’élus qui nous racontent ce qui se passe sur le terrain, dans les entreprises publiques, les établissements publics, les collectivités locales… Nous sommes prêts à faire bouger les choses et j’ai d’ailleurs nommé un médiateur des marchés publics, M. Jean-Lou Blachier, vice-président de la CGPME. Auditionnez-le, venez le rencontrer avec vos dossiers, saisissez-le, faites-le connaître.

En tant qu’actionnaire, l’État doit agir. C’est la première fois depuis vingt ans que le ministre de l’industrie a la responsabilité des 65 milliards de participations de l’État, et exerce la tutelle sur l’Agence des participations de l’État. Nous disons donc à la SNCF, à la RATP, à Areva de mettre l’accent sur le « made in France ». Et ne me parlez pas toujours des appels d’offres ! Nous ne sommes pas obligés d’être les plus zélés de la classe bruxelloise.

Ce n’est pas parce qu’on défend l’industrie qu’on ne défend pas les innovations nécessaires, notamment le recyclage. Nous avons une politique active en ce domaine dans toutes les filières. Hier, je réunissais la filière aluminium pour qui le recyclage est une condition de maintien de la compétitivité de l’outil de production, s’agissant de l’aluminium primaire. A ainsi été évoquée l’interdiction d’exporter les déchets d’aluminium et l’obligation qui serait faite aux industriels et aux consommateurs de passer par le crible du recyclage.

Je m’inscris en faux contre l’idée selon laquelle parce que nous serions pour le nucléaire, nous serions contre les énergies renouvelables. Nous voulons tout parce que nous sommes ambitieux ! Et s’il faut les gaz de houille et de schiste, pourquoi pas, si les technologies progressent ? Ayons l’intelligence de ne pas nous enfermer dans nos positions.

M. Philippe Baumel. L’actualité a mis en lumière les circuits compliqués suivis par la viande qui termine dans nos assiettes. Elle pose la question de la traçabilité et de l’opportunité du « made in France » pour retrouver un peu de transparence et assainir une filière opaque dans ses coûts et ses modes de production. On ne peut qu’être frappé par l’écart entre le prix payé à l’éleveur et celui du produit transformé. Ce constat ne vaut pas que pour la viande, pour les légumes aussi. Des sites, pourtant rentables, ferment dans nos départements, nous obligeant à consommer des légumes étrangers.

En Afrique, continent qui m’est cher et dont tout le monde s’accorde à dire qu’il émergera au xxiè siècle, nous avons du mal à conserver nos parts de marché face à la Chine et d’autres. Il faut impérativement abandonner les vieux schémas, du type Françafrique, qui donnaient à la coopération une allure d’économie de comptoir, pour une véritable diplomatie économique, qui nous fait cruellement défaut. Quelles sont les perspectives que le Gouvernement entend tracer en la matière, en partenariat avec nos grands groupes ?

M. Claude Sturni. En Alsace, on voit bien comment la filière agroalimentaire allemande s’est construite autour des matières premières, à partir d’une réflexion sur les coûts de production. Dans cet esprit, quelles sont, selon vous, les filières qui méritent d’être soutenues ? Alors que chacun s’efforce de regagner des parts de marché en dépréciant sa monnaie, le lien avec l’Allemagne est fondamental si l’on veut éviter d’être les « dindons de la farce ». Berlin est-il attentif à cette question ?

Vous avez vanté le coût du foncier, qui est bas en France parce que nous avons de la place. Mais il ne suffit pas de bâtir des usines au milieu des champs. Un industriel recherche non seulement de terrain bon marché, mais aussi de la main-d’œuvre qualifiée et des infrastructures adaptées. Ce triptyque doit être géré dans son ensemble, l’aménagement du territoire est nécessaire pour mettre en valeur nos atouts. Le groupe américain, pour lequel j’ai longtemps travaillé, privilégiait – et il n’était pas le seul – les villes moyennes, pas trop éloignées des pôles universitaires.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Nous avons été interrogés de nombreuse fois par les PME au sujet de la concurrence qu’elles subissent, notamment dans le bâtiment, du fait de la présence de salariés étrangers, dont les charges sont payées dans les pays d’origine, en particulier d’Europe de l’Est. Comment traiter le problème ?

J’insiste moi aussi sur l’incapacité des petites entreprises à répondre aux offres dans le cadre des marchés publics. Remplir un dossier n’est pas simple et on ne peut pas embaucher uniquement pour ça. Que peut-on faire pour elles ? Le cas de figure est analogue à celui de la formation professionnelle qui profite surtout aux plus diplômés.

Face aux industriels que nous rencontrons, comment lutter contre le préjugé qui veut que l’État soit incapable d’intervenir efficacement ? Si vous avez un argumentaire solide, nous sommes preneurs.

M. Jean-René Marsac. Moi aussi, je me demande comment identifier les filières dynamiques. L’avis des personnes auditionnées a semblé quelque peu partagé sur l’approche par filière.

La stratégie de développement conjoint avec le Maghreb est sûrement porteuse d’avenir.

S’agissant de la formation professionnelle, nous avons ciblé les faiblesses, les objectifs, mais je ne suis pas sûr que nous ayons une véritable stratégie. La formation tout au long de la vie, la passerelle d’un métier à l’autre, la mobilisation des moins qualifiés, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences font-ils une stratégie opérationnelle, offensive et efficace ? Il y a quelques années, nous avons voté un texte sur la formation tout au long de la vie, mais s’est-il traduit par l’accompagnement des salariés, par des animations territoriales ? J’y vois un des maillons faibles de notre politique de réindustrialisation.

M. Laurent Furst. Une remarque personnelle, d’abord, Monsieur le ministre : des membres du Gouvernement, vous êtes celui qui a le plus changé depuis sa prise de fonction !

M. le ministre. Vous auriez dû lire mon programme pour les primaires socialistes ! Je suis un « démondialisateur » en actes : rapprocher les lieux de production des lieux de consommation, tel est mon programme politique. Et je remercie François Hollande de me permettre de le mettre en œuvre. Je suis un colbertiste participatif, un mélange de Colbert et de Ségolène Royal.

M. Laurent Furst. Grâce au CICE, avez-vous dit, de grands groupes mondiaux arbitreraient en faveur de la France. Les industriels étrangers installés chez nous que nous avons auditionnés ne partageaient pas votre enthousiasme. Ainsi, le patron de Bosch France expliquait que, ses coûts de production étant supérieurs de 10 % à ceux d’outre-Rhin, les actionnaires allemands demandaient le rapatriement des activités. À mon échelle, j’ai développé avec mes collègues dans le Bas-Rhin, quatre zones d’activités économiques qui ont permis de créer 1 200 emplois. Or, depuis quatre mois, je ne reçois plus aucun coup de fil, ne serait-ce que pour demander des informations sur une éventuelle installation. L’attentisme et l’inquiétude sont considérables.

Lors de la dernière audition, les entrepreneurs nous ont déclaré être soumis à une triple instabilité : économique, fiscale – mais vous avez répondu en stabilisant cinq impôts –, et, enfin, juridique. Qu’en pensez-vous ?

Conseiller général pendant onze ans, je n’ai cessé de demander aux préfets qui se sont succédé qu’un préfet, ou un sous-préfet, soit spécialisé dans le développement économique car il s’agit d’un sujet transversal. Pour créer une zone d’activités économiques, il faut convaincre une à une les administrations qui n’ont pas de vision d’ensemble. À cet égard, l’installation dans les régions de commissaires au développement productif est une bonne nouvelle. Il faut que l’État se structure et se dote d’un outil propre à mobiliser tous les acteurs, même si je suis un partisan de la maîtrise de la dépense publique.

Si je retiens une chose de cette mission, c’est la problématique du taux de marge de nos entreprises qui explique leur sous-investissement. Il s’agit d’une faiblesse chronique qui conduit sans doute à notre moindre attractivité, à notre retard dans l’automatisation – 150 000 automates programmables en Allemagne, 35 000 en France. Pour rétablir les marges, le CICE n’est qu’un outil. Avez-vous une stratégie à moyen et long terme ? Les politiques économiques demandent de la constance.

Par ailleurs, que pensez-vous enfin du projet de la Deutsche Bahn de créer une ligne ferroviaire entre la Chine et l’Europe, pour profiter de la continuité territoriale, et réduire le délai d’acheminement des produits et surtout les coûts de la logistique ?

Mme Corinne Erhel. Je confirme les propos de ma collègue sur le recours à la main-d’œuvre des pays de l’Est à la fois dans le bâtiment et dans l’agriculture, qui tire les prix vers le bas. Or, sur le terrain, nous sommes désarmés.

Concernant la concurrence équitable sur le marché européen, les activités dites stratégiques, comme les télécommunications, traversent une crise majeure. Un grand équipementier est menacé mais les PME aussi sont attaquées. La production des équipements tant actifs que passifs est concernée. Il faut être particulièrement vigilant.

M. le ministre. L’affaire de l’agroalimentaire souligne l’internationalisation et l’opacité des circuits suivis par le « minerai » de viande, comme on dit, utilisée par l’industrie de transformation. Ce sera un épisode de plus dans l’histoire du retour au circuit court, dans l’esprit de démondialisation que je défends. Le ministre de l’agriculture a fait un exposé en conseil des ministres sur la relocalisation des activités de transformation au plus près de la matière première. Mais notre outil industriel s’est affaibli du fait de son obsolescence. Mon collègue Stéphane Le Foll a en tête un plan de réinvestissement dans l’agroalimentaire, avec l’aide de la BPI, comme nous l’avons fait dans chacune des filières où nous mettons à disposition, avec les grands opérateurs privés et l’État, un fonds de recapitalisation, donc de modernisation des équipements industriels. L’agroalimentaire a son délégué interministériel et un ministre dédié M. Guillaume Garo. Le circuit court a de l’avenir.

En Afrique, la Chine met en œuvre une stratégie d’implantation y compris dans les pays francophones. L’intervention au Mali a rendu à la France un prestige bien abîmé par certains discours prononcés en terre africaine. Je le ressens moi-même avec un regain d’activité autour de certains dossiers. Ainsi, pour achever la boucle ferroviaire entre la Côte-d’Ivoire, le Burkina-Faso, le Niger et le Bénin, qui permettra de transporter tant les voyageurs que les marchandises et les produits pondéreux, des présidents africains m’ont demandé une offre française pour concurrencer l’offre chinoise. Ce serait une façon de renouer nos liens.

Quelles filières choisir ? Dans une guerre, qu’elle soit économique ou pas, la stratégie enseigne de renforcer les points forts. Ainsi, face aux difficultés de la filière automobile, nous développons une stratégie d’endiguement pour préserver nos outils et nos savoir-faire, mais sans exclure l’innovation technologique. Le Premier ministre a fixé le cap du véhicule à 2 litres. Pour la première fois, nous avons réuni les deux constructeurs et les quatre grands équipementiers que sont Plastic Omnium, Valeo, Michelin et Faurecia, pour procéder ensemble à des choix : hydrogène, ou pas ; hybridation chez Peugeot, qui occupe la deuxième place sur ce créneau sur le marché européen – je rappelle que Toyota construit ses Yaris hybrides en France –, et tout électrique chez Renault qui a pris de l’avance dans ce domaine en repoussant à 120 kilomètres les limites de l’autonomie. Nous avons la chance d’avoir deux jambes pour avancer. Ce choix est parfaitement cohérent avec le plan automobile de soutien par les bonus et l’installation de bornes de recharge sur tout le territoire en liaison avec Autolib’ de l’entreprise Bolloré. Nous aurions pu ne rien faire, mais nous avons préféré l’unité des choix et la solidarité dans la décision.

Dans le secteur ferroviaire qui, lui, est toujours en croissance, nous en sommes encore au TGV de première génération. Les trains continuent de transporter 509 passagers en deux rames. Comment améliorer la compétitivité et construire le TGV du futur ? Nous avons passé commande à Alstom et Bombardier de 40 rames de première génération pour 5 milliards à condition que le TGV de deuxième génération soit sur les voies en 2018. En consommant autant d’énergie, voire moins, il transportera 300 personnes de plus, ce qui passe par la migration des moteurs hors des motrices, dans les bogies et les roues des moteurs. En outre, les capacités d’accélération et de décélération seraient améliorées, de façon à assurer des dessertes plus rapprochées. L’État a subordonné sa commande à des améliorations sur ces trois points. Nous voulons ainsi prendre des parts de marché dans le monde, pour conserver à la France son avance puisqu’elle est la première à avoir mis au point le TGV.

Pour les éoliennes et le photovoltaïque, l’Europe a une stratégie protectionniste car la Chine a détruit nos industries. Nous avons donc décidé avec Delphine Batho de construire un champion national dans le photovoltaïque et l’éolien. Nous avons mené à bien les appels d’offres lancés pour l’offshore et nous défendrons l’éolien terrestre « made in France » par la tarification et les spécifications.

Nous procédons à des choix technologiques en concertation. Voilà pourquoi j’ai parlé de colbertisme participatif, même si c’est un oxymore. Colbert imposait ses vues en dictateur éclairé. En ce qui me concerne, je réunis les professionnels, les partenaires sociaux, les pôles de compétitivité et je leur fais choisir les orientations et les options technologiques. Les décisions ne sont pas prises par des ministres dans la solitude de leur bureau, ou par des hauts fonctionnaires aussi talentueux soient-ils. La décision vient d’en bas et le politique l’appuie grâce à son leadership.

L’objectif consiste à reconstituer nos points forts et nous innovons. Le paysage des télécoms est dévasté par la concurrence excessive. Je n’accablerai personne mais, aux États-Unis, il y a trois opérateurs ; en Chine, deux ; en Europe, 140. En France, ils sont quatre et les prix sont les plus bas du monde. Les consommateurs ont raison d’applaudir mais c’est un choix de court terme. L’un des opérateurs connaît de très graves difficultés, il en restera trois. Alors, à quoi bon en avoir fait naître un quatrième ? Les prix remonteront inéluctablement. Et l’industrie européenne est à terre à cause du low cost. La stratégie du redressement productif, c’est d’abord défendre le producteur. Le consommateur ne peut pas avoir toujours le dernier mot, il doit être subordonné à la cause du « made in France ». Avec Fleur Pellerin, nous allons annoncer des mesures de politique industrielle pour les télécoms. Elles sont mal en point, des emplois disparaissent alors que le secteur est en croissance !

Pour l’environnement des entreprises, nous avons fait le choix avec le Premier ministre de stabiliser cinq grands impôts qui touchent de près la vie des entreprises : transmission, investissement, innovation et taxes locales. Aucun gouvernement n’avait pris pareil engagement sur cinq ans. C’est un acte politique majeur, comme l’accord du 11 janvier entre les partenaires sociaux.

Que les entreprises prises en ciseaux entre la baisse des coûts en Allemagne et leur montée en France manquent d’enthousiasme ne m’étonne guère, monsieur Furst. Sachez néanmoins que nous répétons à l’envi à Mme Merkel et aux dirigeants allemands qu’il faut faire remonter les salaires. Les déclarations communes faites au sommet du G20 de Los Cabos soulignaient la responsabilité des pays excédentaires à cet égard, pour faire cesser la désinflation compétitive. Si les Allemands ne font rien, ils risquent de précipiter l’Europe dans la récession, et eux avec. J’ai dit à mon homologue, le vice-Chancelier Philipp Rösler, qu’il fallait augmenter les salaires en Allemagne, pour faire repartir la zone euro. Nous attendons du gouvernement allemand, quelle que soit la majorité dont il sera issu, qu’il place au cœur de sa politique la demande, qui a été trop comprimée. D’ailleurs, la montée de la pauvreté en Allemagne est explosive.

Vous avez raison, monsieur le député, de soulever la question de l’instabilité juridique. À cet égard, le législateur est particulièrement concerné. Pour ma part, je fais de la résistance contre la prolifération des normes réglementaires, mais il serait bon que le législateur se penche sur les raisons du phénomène et qu’il l’endigue. Avec ses outils de contrôle qui lui permettent d’enquêter dans tous les ministères, le Parlement pourrait sans doute faire la lumière sur l’apparition de telle ou telle norme, et même sur l’origine de ses propres amendements.

S’agissant du moyen et long terme, l’État avait déserté le terrain industriel depuis des années. Sans ministère de l’industrie autonome, les titulaires étaient subordonnés aux intérêts de leur tutelle. Il n’y avait donc plus personne pour porter la contradiction et défendre les enjeux industriels face au ministère de l’environnement, à celui de l’économie ou de l’agriculture. Ce gouvernement a recréé les conditions d’un véritable débat public.

Il n’y a pas d’impuissance de l’État, sinon dans nos têtes. Prenez la nationalisation temporaire. Elle a été utilisée par l’Indonésie, l’Afrique du Sud, le Royaume-Uni, le Japon, l’Allemagne, les États-Unis, Singapour… L’affaire « Mittal-Florange » aura eu au moins le mérite de faire tomber un tabou. La nationalisation temporaire est un outil d’affirmation des politiques publiques, qui rappelle la force de la politique à une multinationale surendettée qui a fait des LBO familiaux pour racheter, avec de l’argent qu’elle n’avait pas, et moyennant les services de Goldman Sachs, l’acier des Européens. Nous faisons le choix de réarmer l’État. Le projet de loi sur les sites rentables va dans ce sens. Je reviens de Bruxelles où j’ai rencontré les ministres de l’industrie belge et luxembourgeois, Jean-Claude Marcourt et Étienne Schneider. Pour la première fois, un front politique et syndical européen est en train de se dessiner face au groupe Mittal. Pour la première fois, la Commission européenne a demandé à une multinationale, qui a détruit 35 000 emplois en Europe depuis cette malheureuse OPA de 2006, de suspendre son plan social. L’esprit industriel viendrait-il enfin à l’Europe ? J’ai remercié et félicité le commissaire Tajani. Il y a donc moyen de reprendre la main et d’affirmer des positions plus fortes face aux exigences des marchés financiers qui ont la vue aussi courte que leurs appétits sont démesurés.

Au sujet des salariés détachés par leur pays d’origine, nous avons sonné l’alarme au plan européen. Les cas d’illégalité sont nombreux : être payé au SMIC polonais ou tchèque en France est illégal. Ce sont les résidus de la directive Bolkestein, du nom de ce taliban de l’ultralibéralisme qui défendait systématiquement la baisse du coût du travail et la hausse du coût du capital. Nous avons fait le choix de combattre ces pratiques illégales et nous demandons à nos partenaires de faire de même et de pousser à la hausse des salaires partout en Europe. C’est cela aussi l’Europe, elle peut aussi être sociale.

S’agissant de la construction d’une ligne de chemin de fer entre la Chine et l’Europe, sachez que je suis pour une remontée du prix des transports, parce que c’est un facteur de démondialisation, et de rapprochement des lieux de production et de consommation. Si nous voulons réindustrialiser l’Europe, nous avons intérêt à faire remonter les prix de la logistique et les salaires dans les pays d’Asie. Je n’approuve donc pas le projet de la Deutsche Bahn, par souci de cohérence. Vous pensiez que j’avais changé, monsieur Furst, je vous montre qu’il n’en est rien.

Oui, le taux de marge est un indicateur significatif de l’affaiblissement de notre économie dans la compétition européenne, d’abord, mondiale ensuite. Le Pacte de compétitivité devra régulièrement être réévalué avec la Représentation nationale en fonction des besoins de l’économie.

Quant aux délais de paiement de l’État, le sénateur Martial Bourquin s’est vu confier une mission à ce sujet. Nous sommes donc en plein travail sur ce sujet.

M. le président Bernard Accoyer. Nous vous remercions, Monsieur le ministre, d’avoir répondu de façon circonstanciée et attentive à toutes nos questions. Je suis persuadé qu’avec le rapporteur, nous en ferons le meilleur usage.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur les coûts de production en France

Réunion du jeudi 14 février 2013 à 9 h 30

Présents. - M. Bernard Accoyer, M. Philippe Baumel, Mme Michèle Bonneton, Mme Marie-Anne Chapdelaine, Mme Corinne Erhel, M. Laurent Furst, M. Jean Grellier, Mme Annick Le Loch, M. Jean-René Marsac, M. Claude Sturni

Excusés. - M. Frédéric Barbier, Mme Jeanine Dubié, M. Olivier Véran