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Mission d’information sur les immigrés âgés

Jeudi 28 février 2013

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 8

Présidence de M. Denis Jacquat

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Geneviève Petauton, présidente du Collectif pour l’avenir des foyers (COPAF), et de Mme Mylène Stambouli, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme. 

– Audition, ouverte à la presse, sur le thème des logements pour travailleurs immigrés, de M. Jacques Dupoyet, président de l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO), M. Gilles Desrumaux, délégué général, et Mme Sylvie Emsellem, chargée de mission, de M. Bruno Arbouet, directeur général d’Adoma, Mme Nathalie Chomette, directrice d’exploitation, et M. Driss Bechari, directeur territorial, de M. Jean-Marie Oudot, directeur général de Coallia, M. Djamel Cheridi, responsable produits habitat social adapté et hébergement social, Mme Séverine Etchecahar, conseillère technique habitat social adapté, M. Gérald Brenon, coordinateur de l’accompagnement social, et de M. Richard Jeannin, directeur général de l’Association Rhône-Alpes pour le logement et l’insertion sociale (ARALIS)

– Présences en réunion

La séance est ouverte à quatorze heures.

La mission d’information entend Mme Geneviève Petauton, présidente du Collectif pour l’avenir des foyers (COPAF), et Mme Mylène Stambouli, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme.

M. le président Denis Jacquat. Nous recevons Mme Geneviève Petauton, présidente du Collectif pour l’avenir des foyers (COPAF), et Mme Mylène Stambouli, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme (LDH).

Fondé en 1996, le COPAF regroupe des militants qui soutiennent les résidents des foyers de travailleurs migrants. Les grandes lignes de son engagement sont décrites dans l’ouvrage de Michel Fiévet, Le livre blanc des travailleurs immigrés des foyers, du non-droit au droit, paru en 1999. Parmi les principes directeurs de l’action du COPAF, figurent aujourd’hui la reconnaissance des comités de résidents et le renforcement des instances de cogestion des foyers de travailleurs migrants.

Quant à la Ligue des droits de l’homme, elle est la doyenne des grandes associations françaises en matière d’égalité des droits et de lutte contre le racisme puisqu’elle a été créée en 1898 à l’occasion de l’affaire Dreyfus. Elle s’intéresse aujourd’hui de près à la situation des immigrés et apporte notamment son soutien aux actions du COPAF.

La mission d’information s’intéresse à la situation des immigrés de plus de cinquante-cinq ans originaires d’un État tiers à l’Union européenne, qu’ils résident en foyer ou en habitat diffus. Aussi, vos éclairages respectifs sur les conditions de vie en foyer ainsi que l’organisation des résidents et les discriminations de toutes natures dont souffrent les immigrés vieillissants nous seront certainement très utiles.

Mme Geneviève Petauton, présidente du Collectif pour l’avenir des foyers (COPAF). Si tous les vieux travailleurs migrants ne résident pas en foyer, c’est cependant le cas d’un très grand nombre d’entre eux – essentiellement originaires du Maghreb et des trois pays du bassin du fleuve Sénégal que sont le Mali, la Mauritanie et le Sénégal. Arrivés en France à la fin des années 1960, les migrants issus de ces trois pays ont pour la plupart plus de cinquante-cinq ans.

Le fait qu’ils soient logés en foyer traduit une double hypocrisie : considérant que les travailleurs migrants doivent disposer d’un logement « spécifique », on refuse dans le même temps de leur accorder des droits comparables à ceux des locataires – ce qui correspond à une conception fort curieuse de la spécificité ! Désormais, lorsque des foyers sont transformés en résidences sociales, on qualifie cet habitat de logements « autonomes de droit commun » alors qu’il ne s’agit en réalité ni de logements autonomes ni de logements de droit commun, mais de petits studios voire de studettes dans lesquels ces immigrés doivent vivre pendant quarante ans. Lors de l’une de vos auditions, il vous a été précisé qu’il s’agit là d’une spécificité française, que l’on ne trouve autrement qu’en ex-République démocratique allemande, en Afrique du Sud et en Chine.

On recense quatre types de foyers : le premier correspond à des quasi-taudis tout à fait indignes, meublés de lits superposés, accueillant essentiellement des travailleurs d’Afrique noire. Des foyers-tours furent ensuite construits dans les années 1970 par la Société nationale de construction de logements pour les travailleurs (SONACOTRA), afin non seulement d’exercer un contrôle social sur les travailleurs migrants mais aussi de les « reléguer ». C’est pourquoi ces tours, hautes de treize étages, ne comportent qu’une seule entrée. Plus récents et destinés aux travailleurs originaires d’Afrique noire, les foyers Coallia (ancienne AFTAM) et Soundiata comportent beaucoup d’espaces communs et de services collectifs tels qu’une cuisine, un bar et des salles de réunion. Ils sont désormais illégalement suroccupés. Enfin, les résidences sociales, censées favoriser la mixité sociale, ne correspondent en réalité qu’à des « fourre-tout de la misère sociale » : outre les travailleurs migrants issus de foyers, on y place des personnes confrontées à de graves problèmes – soit qu’elles sortent de prison ou d’un hôpital psychiatrique, soit qu’elles se trouvent en situation de grande précarité. Non seulement ces mélanges sont explosifs mais, de surcroît, comme il s’agit de logements autonomes, les espaces collectifs y sont limités si bien que chacun vit dans sa boîte et doit subvenir seul à ses besoins. Ce système est extrêmement critiqué et critiquable.

Les conditions de vie dans ces quatre types de sous-logement présentent des points communs. En Île-de-France, les foyers de Coallia, d’Adoma, et de l’ADEF, administrés de manière extrêmement opaque, sont très mal entretenus et mal réparés. Les espaces collectifs et parties communes de ces foyers – tels que leurs petites salles ou leurs escaliers – sont malheureusement occupés par des squatteurs sans argent qui, loin d’être aimables avec les personnes âgées qui y résident, les bousculent ou les volent.

Dans la majeure partie des cas, les travailleurs migrants résidant dans ces foyers souhaitent définitivement quitter la France lorsqu’ils atteignent l’âge de la retraite tout en gardant le droit au séjour c’est-à-dire la possibilité d’y revenir – soit pour revoir leurs amis, soit pour y être soignés dans l’hypothèse où ils seraient atteints d’une maladie grave qui ne peut être traitée dans leur pays d’origine. Ce souhait est d’autant plus fort qu’il leur est désormais beaucoup plus facile d’entretenir un lien avec leur pays, que ce soit grâce au téléphone ou aux chaînes de télévision maghrébines et d’Afrique noire qui sont à présent accessibles dans tous les foyers.

Cependant, certaines personnes souhaitent rester sur le territoire, pour quatre raisons. La première est d’ordre sanitaire : les travailleurs immigrés atteints de pathologies telles que l’hypertension, le diabète ou le cancer le sont dix ans plus jeunes que les travailleurs français en raison du travail pénible qu’ils ont exercé au cours de leur vie, notamment dans le secteur du bâtiment. D’ailleurs, si l’on constate un recul des maladies respiratoires chez ces populations, ce n’est en revanche pas le cas des maladies squeletto-musculaires. Par ailleurs, certaines personnes ont perdu leurs relations au pays, par exemple si leur conjoint(e) est décédé(e) ou que leurs enfants sont partis. De plus, certains travailleurs souhaitent continuer à bénéficier d’un complément de retraite. Enfin, beaucoup de travailleurs migrants maghrébins font des allers retours entre la France et leur pays d’origine, ce qui est moins le cas des travailleurs d’origine subsaharienne, pour lesquels le coût du voyage est beaucoup plus élevé.

Ces résidents âgés ont exprimé plusieurs demandes fortes.

Tout d’abord – et c’est là leur revendication principale –, ils ne cessent de répéter qu’ils ne souhaitent ni vivre ni mourir seuls et isolés dans une chambre et réclament de l’aide, si possible de la part d’un membre de leur famille, ainsi qu’une protection face à l’insécurité que suscitent les jeunes squatteurs. Ensuite, ils souhaiteraient pouvoir accéder aux soins. Par ailleurs, le montant du loyer en résidence sociale, de l’ordre de 400 euros, leur paraît trop élevé. Or, ils ne peuvent partager ce loyer – paradoxalement moins élevé à Paris qu’en banlieue du fait des subventions accordées par la Ville de Paris – puisqu’il leur est interdit d’héberger qui que ce soit. De surcroît, pour pouvoir bénéficier d’aides personnelles au logement, il leur faut demeurer huit mois dans le logement en question. Enfin, ils déplorent le harcèlement administratif dont ils font l’objet de la part des caisses de retraite et d’allocations familiales et de la préfecture – d’autant plus qu’ils sont issus de pays ignorant la culture du papier – et les files d’attente qu’il leur faut partout affronter.

Plus généralement, les vieux travailleurs migrants ont le sentiment que la France n’a pas besoin d’eux et qu’elle souhaite les voir retourner dans leur pays d’origine. Ils comprennent mal une culture française en vertu de laquelle soit les services sont complètement pris en charge par l’État, soit ils le sont par le marché. Leur logique à eux est plutôt celle du don et du contre-don, de la solidarité familiale ou de l’entraide au sein de leur petite communauté. C’est pourquoi, il leur est très difficile de demander de l’aide auprès des services sociaux mais très facile de le faire auprès d’un jeune.

Quant aux autres difficultés auxquelles ils sont confrontés, je soulignerai en premier lieu qu’en interdisant aux résidents de foyer de vivre avec quelqu’un, la loi et les règlements intérieurs les empêchent de bénéficier d’une vie privée. Le COPAF a demandé à plusieurs reprises aux gestionnaires et aux comités de pilotage de prévoir dans les résidences sociales pour résidents âgés des unités de vie comprenant chacune une kitchenette, une douche commune et des chambres à deux lits tout autour – dont le loyer serait plus faible qu’actuellement. Or, cette proposition n’a fait l’objet d’aucune suite.

En deuxième lieu, les travailleurs migrants ont de grandes difficultés d’accès aux droits. Or, il n’y a paradoxalement que dans les foyers de l’ADEF à Paris – où le loyer est pourtant très élevé et la culture de la concertation très peu développée – que l’on trouve ce personnage clef qu’est le médiateur social, quasi absent dans les foyers Adoma et Coallia.

En troisième lieu, les membres du personnel gestionnaire, très mal formés, ont souvent une mentalité de « petits chefs », ne s’activant que pour obtenir le paiement des loyers. Ce personnel n’étant présent sur les lieux que huit heures par semaines, il est extrêmement difficile de discuter avec lui de l’ensemble de ces questions.

Enfin, pas une seule fois n’a-t-on mis à l’ordre du jour des conseils de concertation la question de l’adaptation du bâti à la situation des personnes âgées qui ont besoin de barres auxquelles se tenir et de chaises à proximité des ascenseurs, ces derniers devant par ailleurs être entretenus et réparés.

Mme Mylène Stambouli, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme (LDH). La LDH est une association généraliste très ancienne qui s’est particulièrement intéressée au droit des étrangers – et par conséquent à votre travail qui nous semble l’expression d’une reconnaissance nécessaire envers la composante la plus fragile de notre immigration.

Notre association a notamment milité en faveur de la ratification de la convention internationale des Nations Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Nous avons ainsi organisé une grande campagne de signature de pétitions à laquelle de nombreux députés et plusieurs ministres ont souscrit. La ratification de cette convention par la France constituerait un geste extrêmement fort.

Enfin, la LDH plaide en faveur du droit de vote des résidents étrangers – sujet qui, en dépit des apparences, n’est pas éloigné de notre audition puisque les personnes dont nous parlons aujourd’hui ont obtenu depuis longtemps le droit au séjour et devraient par conséquent pouvoir participer à la vie de la cité, notamment aux élections municipales de l’an prochain.

Je développerai à présent trois points.

Le premier concerne l’accès à la nationalité française et le droit au séjour. Dans son rapport sur La refondation des politiques d’immigration, M. Thierry Tuot propose de substituer à l’actuelle procédure de naturalisation – d’autant plus longue et complexe pour les migrants âgés qu’ils ont des difficultés avec l’écrit, et par conséquent à réunir tous les documents requis – par un système de déclaration simplifiée, dès lors que leur durée de séjour est égale à vingt ans et qu’ils ont des enfants français. Une personne immigrée âgée a récemment témoigné du fait qu’en préfecture, il y a quarante ans, un dossier de naturalisation était proposé aux immigrés résidant en France de longue date, sans même attendre une demande de leur part. Il faudrait renouer avec ce type de démarche. Parmi les obstacles à leur naturalisation, il y a aujourd’hui le fait que le conjoint soit resté au pays et que la personne immigrée, puisqu’elle est retraitée, ne dispose que de faibles ressources. Quant au titre de séjour portant la mention « retraité », il conviendrait soit de le supprimer, au profit de la seule carte de résident, soit de le réformer, afin que leurs titulaires continuent à bénéficier de leurs droits sociaux. Ce serait là une mesure de justice pour des personnes qui, bien qu’ayant cotisé pendant des années à la sécurité sociale, n’y ont pas droit lorsqu’elles acceptent la carte de séjour portant la mention « retraité ». S’agissant du regroupement familial, s’il constitue un droit fondamental, son effectivité se heurte à des obstacles tels que la faiblesse des ressources des immigrés.

Ma deuxième remarque porte sur les droits sociaux des immigrés âgés, dont la première préoccupation est de bénéficier d’un revenu suffisamment décent pour vivre. En la matière, ce sont les objectifs de dignité et d’égalité de traitement qui devraient orienter vos conclusions, tant leurs revenus sont faibles. En effet, ils ouvrent leurs droits à la retraite trop tard pour pouvoir reconstituer leur carrière, puisque la plupart des entreprises qui les ont employés n’existent plus. En outre, ils ont besoin d’aide pour réunir les documents requis, qu’ils ont du mal à lire et à comprendre. Par ailleurs, l’articulation entre l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ou le revenu de solidarité active (RSA) d’une part et la retraite et l’Allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) d’autre part mériterait d’être réformée. Or, si l’ASPA est mise en question, on exigera d’eux une restitution.

Rappelons aussi qu’en termes de mémoire et de culture, ces vieux migrants représentent une richesse pour notre histoire nationale.

Enfin, dans le cadre d’un colloque organisé récemment par le COPAF, nous avons débattu de l’alignement des droits des résidents sur celui des locataires : il est anormal qu’un résident qui ne paie pas son loyer après avoir passé toute sa vie dans un foyer s’en trouve expulsé parce que le contrat de résidence – strictement appliqué pour des montants d’impayés souvent peu élevés – ne prévoit aucune garantie équivalente à celles dont bénéficient les locataires victimes d’accidents de la vie, tels que le deuil familial ou les difficultés passagères. La multiplication des procédures d’expulsion des foyers est un phénomène nouveau qui résulte de la volonté des gestionnaires d’équilibrer leur budget. Pour l’enrayer, nous proposons de rendre obligatoire le recours à un huissier et de permettre au juge de suspendre la clause résolutoire et d’organiser l’apurement de la dette.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. En vous écoutant, j’ai eu l’impression de revivre une réunion que j’ai organisée dans ma circonscription de Gennevilliers avec des chibanis. Ceux-ci m’ont malheureusement fait part de leurs souffrances et de leurs difficultés, qu’elles concernent l’état des foyers dans lesquels ils vivent, de leur accès aux droits ou encore à la santé. Je vous remercie pour la qualité de vos interventions et souhaiterais revenir sur quelques aspects.

Tout d’abord, le fonctionnement des comités de résidents qui ont été créés il y a quelques années pour mieux associer les résidents à la vie de leur foyer semble insatisfaisant : comment l’améliorer ? Ne faudrait-il pas aussi faire évoluer les règlements intérieurs datant des années 1960-1970, à une époque où l’on souhaitait avant tout contrôler les résidents, et qui sont encore appliqués à l’identique par les gestionnaires ?

Ensuite, Adoma souhaite transformer ses foyers en résidences sociales et faire disparaître leur fonction de gardiennage en recrutant un personnel qualifié à l’égard des personnes âgées. Une telle évolution me paraît souhaitable : qu’en pensez-vous ? Au terme de ces rénovations, on constate d’ailleurs qu’un certain nombre de résidents souhaitent se maintenir dans les lieux pour pouvoir bénéficier d’un niveau de confort sans commune mesure avec ce qu’ils avaient connu auparavant.

Enfin, s’il est vrai que beaucoup d’immigrés ont des difficultés à reconstituer leur carrière, c’est aussi parce que certains n’ont pas été déclarés ou que leurs fiches de paie sont fausses. Quel est, selon vous, l’acteur le mieux à même d’aider concrètement ces personnes : les collectivités territoriales, les services chargés de la liquidation des retraites ou encore les milieux associatifs ?

Mme Kheira Bouziane. Mme Petauton a rappelé que ces personnes souhaitent ne pas vivre seules et a proposé de créer des unités de vie. A-t-on envisagé de leur proposer des colocations dans le logement social ? Cela nous éviterait de concentrer en un lieu ces populations – ce qui peut leur apparaître comme une protection mais qui les empêche de bénéficier de conditions de vie dignes.

Mme Hélène Geoffroy. Pourriez-vous nous en dire davantage sur la convention des Nations Unies que vous avez citée ?

L’accès à la nationalité française correspond-il à une demande forte et majoritaire des résidents que vous avez interrogés ?

Lors des auditions que nous avons menées, le président de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et le délégué national à la lutte contre les fraudes nous ont signalé les irrégularités significatives qu’ils avaient constatées lors de leurs contrôles dans les foyers – s’agissant notamment du non-respect de la condition de résidence. Dressez-vous le même constat ? Cela s’explique-t-il par un manque d’informations des résidents quant à leurs droits et à leurs devoirs ?

Enfin, les communes prennent-elles mieux en compte les immigrés dans leurs actions ?

M. Sergio Coronado. La Ville de Paris projetait de désengorger les foyers de personnes âgées en favorisant la colocation : ce projet a-t-il abouti ?

Par ailleurs, les publics dont nous parlons aujourd’hui sont non seulement des personnes âgées mais aussi des gens habitués à vivre en communauté et qui rencontrent des difficultés d’accès aux droits. Ne conviendrait-il pas de mettre en place des cellules très spécifiques, non seulement pour traiter de la question de leur logement mais plus encore pour leur apporter une assistance globale ?

M. Jean-Christophe Lagarde. La proposition de loi du 13 mars 2010 pour l’amélioration de la vie dans les logements-foyers, que nous retransmet aujourd’hui le COPAF, ne règle pas la question de la gestion des services collectifs de restauration qui existent dans les foyers : en dépit des contraintes qui s’imposent à cette gestion sur l’ensemble du territoire, un certain nombre de résidents dans les foyers ont souhaité confier ces services non pas à des sociétés mais à des proches. Une telle confusion complique la rénovation des foyers et la relation des résidents avec les bailleurs. Que proposez-vous à ce sujet ?

Mme Geneviève Petauton. Après avoir été pratiquée dans les années 1970 dans le parc de logement social, la colocation a commencé à poser problème dans les années 1980 en raison du licenciement de nombreux colocataires. Elle fut alors abandonnée. Lorsqu’en 1996, nous avons créé le COPAF, M. Michel Fiévet, a proposé la création de foyers-soleil dans lesquels la colocation serait gérée, non pas par le bailleur, mais par le gestionnaire du foyer. Cela aurait facilité le remplacement des colocataires perdant leur travail ou souhaitant retourner dans leur pays d’origine par les demandeurs figurant sur liste d’attente. Or, cette proposition n’a jamais abouti à un projet concret. Nous maintenons pourtant l’idée qu’il faut autoriser la colocation dans les foyers. Car, lorsque les travailleurs originaires d’Afrique noire cumulent leurs vacances sur douze ans pour pouvoir quitter la France pendant quatre ou cinq mois, le montant du loyer est tel qu’il leur faut trouver des remplaçants, ce que leur interdisent les règlements intérieurs.

J’insiste sur le fait que les migrants âgés résidant en foyer revendiquent de ne pas vivre seuls.

Quant à la gestion des restaurants collectifs, elle peut tout à fait être prise en charge par des associations. Encore faut-il qu’elles disposent d’un espace de 200 mètres carrés, ce qui signifie que le foyer concerné doit comprendre onze chambres d’un loyer de 400 euros – ce que refusent les gestionnaires. Si la mairie de Paris fait fonctionner deux restaurants sociaux par arrondissement, en banlieue en revanche, les associations porteuses de projet parviennent difficilement à trouver des surfaces de 200 mètres carrés. Il reste ensuite aux délégués des résidents, au gestionnaire et à l’association porteuse à conclure une convention définissant les modalités de gestion du restaurant collectif. Il me semble néanmoins que cela se passe plutôt bien pour le moment.

Il existait autrefois des comités de résidents dans les foyers, chargés d’y assurer la cohésion sociale et le dialogue avec le gestionnaire, la mairie et le médiateur social. Nous avons toujours souhaité qu’ils soient légalement reconnus. Si la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi « SRU » les mentionnait, la loi portant engagement pour le logement (ENL) a supprimé cette précision. Nous souhaitons en outre que le comité de résidents dispose de la personnalité morale, qu’il représente ces derniers et qu’il ait la faculté de s’adresser en leur nom à la municipalité, avec ou sans le gestionnaire. Il pourrait par ailleurs proposer des actions d’animation sociale ou culturelle dans les foyers.

Quant au conseil de concertation, les gestionnaires sont censés le réunir une fois par an au moins ainsi que préalablement à toute révision du règlement intérieur et à tous travaux, mais ils ne le font jamais. Il conviendrait de rendre la loi plus contraignante pour les gestionnaires mais aussi plus favorable aux représentants des résidents en permettant aux comités de résidents de participer aux conseils de concertation, ce qui leur permettrait par exemple d’évoquer la médiocrité du service rendu par certains prestataires privés.

Nous estimons que la présence de médiateurs sociaux est indispensable dans les foyers. Or, M. Michel Pélissier, l’ancien président d’Adoma, l’a refusée, considérant que les résidences sociales hébergent des résidents de droit commun.

Je reconnais que le niveau de confort s’améliore nettement en cas de réhabilitation des foyers mais l’on ne peut vivre pendant quarante ans dans une chambre de 13,5 à 15 mètres carrés ! De surcroît, il conviendrait que, dans chaque appartement, les fonctions de séjour, de cuisine et de chambre soient bien délimitées et de proposer des espaces collectifs en nombre suffisant car les personnes originaires du Maghreb aiment se réunir, et les Africains subsahariens palabrer. Qui plus est, la plupart des résidents sont impliqués dans des projets de développement et ont donc besoin de salles de réunion. Pour eux, la vie en foyer ne se conçoit que selon un savant dosage entre les espaces privatifs et collectifs.

Enfin, les résidents n’ont aucun droit à la vie privée puisque les gestionnaires peuvent pénétrer dans leurs chambres en leur absence.

Mme Mylène Stambouli. Il est vrai que les règlements intérieurs ne respectent pas leur vie privée puisque les gestionnaires disposent des clefs des chambres et qu’ils peuvent y entrer quand bon leur semble.

Quant à la convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, il s’agit d’une convention des Nations Unies du 18 décembre 1990. Dans son avis du 23 juin 2005, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a considéré que la France pouvait tout à fait la ratifier tout en formulant des réserves interprétatives si nécessaire.

M. le président Denis Jacquat. Au nom de notre mission d’information, je vous remercie de la précision de vos réponses et de l’attention que vous portez par ailleurs à nos travaux.

Puis, la mission d’information entend, sur le thème des logements pour travailleurs immigrés, M. Jacques Dupoyet, président de l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO), M. Gilles Desrumaux, délégué général, et Mme Sylvie Emsellem, chargée de mission, M. Bruno Arbouet, directeur général d’Adoma, Mme Nathalie Chomette, directrice d’exploitation, et M. Driss Bechari, directeur territorial, M. Jean-Marie Oudot, directeur général de Coallia, M. Djamel Cheridi, responsable produits habitat social adapté et hébergement social, Mme Séverine Etchecahar, conseillère technique habitat social adapté, M. Gérald Brenon, coordinateur de l’accompagnement social, et M. Richard Jeannin, directeur général de l’Association Rhône-Alpes pour le logement et l’insertion sociale (ARALIS).

M. le président Denis Jacquat. La mission d’information sur les immigrés âgés s’intéresse aux personnes de plus de cinquante-cinq ans originaires d’États tiers à l’Union européenne. Même si le champ de nos travaux n’est pas circonscrit aux immigrés résidant en foyer de travailleurs, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un sujet central, tant les situations des résidents de ces foyers illustrent les difficultés auxquelles sont confrontés les immigrés vieillissants : faibles revenus, difficultés d’insertion sociale, isolement, dépendance précoce, etc.

Avant de nous rendre sur le terrain, il nous est donc apparu fondamental de bénéficier de vos éclairages sur des points aussi variés que l’organisation de la « vie en foyer », la transformation des foyers en résidences sociales, la pratique de la « navette » entre la France et le pays d’origine, la prise en charge du vieillissement et de la dépendance, ou encore les difficultés rencontrées par les résidents dans l’accès aux droits.

M. Gilles Desrumaux, délégué général de l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO). L’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO) regroupe 83 gestionnaires qui gèrent plus de 1 150 établissements représentant 128 000 logements. Nous fédérons 97 % de l’offre de logement dans les foyers de travailleurs migrants et 70 % dans les résidences sociales.

L’UNAFO assure la représentation de ses adhérents auprès des pouvoirs publics et c’est à ce titre qu’elle les interpelle sur un certain nombre de problématiques, dont celle des migrants âgés. En faveur de la professionnalisation du secteur, l’UNAFO dispose désormais d’un centre de formation qui propose des modules de formation sur la question des migrants âgés. Ce centre a accueilli plus de 600 personnes en 2012.

La problématique des migrants âgés est très ancienne au sein de l’UNAFO puisque nous étions présents au colloque fondateur qui s’est tenu à Grenoble en 1986 et à celui que le Fonds d’action sociale (FAS) a organisé en 1999 à Aix-en-Provence. L’UNAFO a organisé un premier séminaire sur ces questions en 1996. Nous sommes donc engagés depuis le milieu des années quatre-vingt-dix sur ces problématiques, sur lesquelles je me propose de vous livrer notre analyse et l’orientation qui est la nôtre.

Notre analyse est la suivante : le vieillissement des migrants, l’arrêt de l’immigration de travail, l’émergence des phénomènes de précarité et de pauvreté ont provoqué la fin d’un cycle, celui des foyers de travailleurs migrants, et a laissé place à un nouveau cycle, celui des résidences sociales.

En raison de la nature de leur bâti, de leur réglementation, de l’extraterritorialité qu’ils induisent, de leur fonction même qui ne correspondait plus aux besoins, les foyers de travailleurs migrants ont vu leur rôle et leur fonction bouleversés. De lieu de passage temporaire, ils sont devenus pour partie des lieux de vie permanents pour des personnes qui ont perdu leur statut de travailleur du fait du chômage, des problèmes de santé ou la retraite.

Les résidences sociales proposent des logements plus autonomes et plus adaptés, et leur réglementation accorde plus de droits aux personnes. En outre, elles s’appuient sur des projets sociaux répondant mieux aux besoins des migrants âgés.

Au regard de cette analyse, trois orientations ont guidé notre action : la première consiste à adapter le parc, devenu obsolète, aux nouveaux besoins des résidents ; la deuxième vise à favoriser l’accès des migrants âgés aux droits sociaux, à la santé, aux services gérontologiques et au maintien à domicile ; la troisième a pour objet d’assurer une reconnaissance aux migrants âgés en les inscrivant dans les politiques et les dispositifs nationaux et locaux.

En ce qui concerne la réhabilitation du parc, 300 établissements ont été traités ou sont en cours de traitement, et 160 seront traités ultérieurement. Il reste 200 établissements dont le statut doit être précisé et dont les difficultés ont pour origine des raisons complexes, parfaitement décrites dans le rapport du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées. Il s’agit d’opérations qui mobilisent d’importants moyens humains et financiers, des maîtres d’ouvrage, qui nécessitent des sites de desserrement et des « opérations-tiroirs » difficiles à trouver et qui souffrent de l’inégale implication des collectivités territoriales.

Lors des dernières rencontres nationales de l’UNAFO, qui se sont tenues à Lyon en novembre dernier, notre organisation a fait un certain nombre de propositions en vue d’achever le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants (PTFTM). Il faut pour cela mettre en place un pilotage national et des moyens financiers fléchés, gérer les priorités dans la réalisation du précédent plan de traitement, faire en sorte que le plan s’articule autour des collectivités territoriales et des services déconcentrés de l’État, et enfin prendre en considération les outils de programmation territoriaux pour y intégrer le PTFTM.

La mise en œuvre de ce plan suscite notre inquiétude sur trois points. Le premier porte sur le devenir des moyens d’Action logement, qui concourre pour 43,33 % au financement du plan ; le deuxième touche à la pérennité et aux modalités des financements apportés par le ministère de l’intérieur, par le biais de la direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté (DAIC), aux pertes d’exploitation, à l’aide transitoire au logement et au soutien des gestionnaires, sommes qui représentaient 11 millions d’euros en 2011 ; la troisième inquiétude concerne l’abandon de l’indexation composite des redevances des résidences sociales – depuis 2010, celles-ci sont indexées sur l’indice de référence des loyers (IRL), ce qui provoque pour les gestionnaires un effet ciseau entre les charges et les recettes.

J’en viens à l’accès des migrants âgés aux droits sociaux, à la santé et au maintien à domicile. Il faut noter que la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « loi SRU », a donné aux établissements qualifiés de foyers de travailleurs un statut juridique qui en fait le domicile des résidents, leur donnant ainsi accès aux droits sociaux. Je rappelle la longue bataille juridique qu’a entraînée l’éligibilité des étrangers non communautaires aux allocations concourant au « minimum vieillesse ». Comme vous le voyez, les gestionnaires se sont toujours souciés de l’accès aux droits sociaux des résidents qu’ils accueillent.

Aujourd’hui, notre difficulté vient de ce que la notion de « résidence habituelle » ne correspond pas à la situation des personnes qui pratiquent un va-et-vient entre leur pays d’origine et la France. À cet égard, nous avons constaté des entraves au droit et aux contrôles et nous nous heurtons à la difficulté de généraliser les expériences d’accueil hôtelier pour ces personnes.

S’agissant de l’accès à la santé, nous devons tenir compte du fait qu’un grand nombre de ces personnes rencontrent très tôt des problèmes aigus de santé. En 2008, l’UNAFO a signé un accord-cadre avec le Centre technique d’appui et de formation des centres d’examens de santé (CETAF), mais la mise en œuvre de cet accord, qui permet aux personnes de bénéficier d’examens de santé gratuits, exige des moyens, en termes d’accompagnement, qui ne sont pas toujours suffisants.

En ce qui concerne le maintien à domicile et l’accès aux services gérontologiques, nous considérons que les migrants âgés doivent avoir accès à toutes les prestations de maintien à domicile, ce qui suppose de financer les services de droit commun. Mais ce n’est pas toujours simple. Notre système d’aide, très individualisé, se prête mal aux interventions auprès de personnes vivant dans un cadre semi-collectif. Ne pourrait-on expérimenter des formes mutualisées de prise en charge ?

En matière d’accès aux droits sociaux, l’UNAFO propose d’organiser dans les territoires une coordination entre les services de droit commun, les acteurs associatifs et les immigrés âgés, de mettre en place un accompagnement individualisé pour les personnes âgées et d’assurer la pérennité des fonctions de coordination et d’accompagnement.

Sur le plan de la reconnaissance des migrants âgés, il faut noter qu’en dehors du PTFTM, malgré divers rapports officiels et de nombreux colloques, aucune politique définissant un public cible, une finalité, des objectifs et des moyens d’action n’a jamais été définie. Nous y voyons un manque. Les gestionnaires font ce qu’ils peuvent, mais ils se heurtent à l’absence d’une politique nationale. Celle-ci pourrait se traduire par trois mesures précises : l’inscription nécessaire des migrants âgés dans les schémas gérontologiques, la coordination de l’ensemble des acteurs –  caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT), services sociaux, services de santé et d’aide à domicile, établissements spécialisés – et enfin la reconnaissance des migrants âgés par la publication de livres, l’organisation d’expositions et la diffusion de films qui leur montreraient que, s’ils sont originaires de là-bas, ils sont aujourd’hui des gens d’ici. De nombreuses initiatives en ce sens sont en cours et l’UNAFO est très active sur cette question.

M. Bruno Arbouet, directeur général d’Adoma. Adoma, ancienne SONACOTRA, a été créée par l’État dans les années 1950 pour accueillir de jeunes travailleurs migrants d’Algérie, puis du Maghreb et, plus tard, des pays d’Afrique subsahélienne.

Adoma, avec ses 2 300 collaborateurs, est présente dans 56 départements et 20 régions. Elle gère 600 sites qui représentent 73 000 logements, dont 42 % concernent des publics âgés de plus de soixante ans.

Ces logements avaient été conçus de façon provisoire pour accueillir des migrants à titre provisoire. Force est de constater qu’un certain nombre d’entre eux sont restés sans toutefois que notre modèle économique ne change.

Il y a deux ou trois ans, Adoma a rencontré d’importantes difficultés et a dû faire face à un certain nombre de dérives dont rend compte le récent rapport de la Cour des comptes, qui souligne également le retard pris par le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants. Mais le redressement est désormais acquis. Nous avons, au cours des dernières années, amélioré nos équilibres économiques, ce qui nous a permis de créer des marges de manœuvre que nous affecterons prioritairement au plan de traitement. Grâce au plan stratégique de patrimoine dont nous nous sommes dotés, nous pourrons, au cours des dix prochaines années, investir 1,3 milliard d’euros pour transformer, dans un tiers de notre parc, des chambres de 7,5 mètres carrés en studios autonomes au sein de résidences sociales.

Mais ce plan de traitement ambitieux se déroulera sur dix ans ; or, les populations dont nous parlons sont très fragiles – nous constatons aujourd’hui trois décès par jour au sein de nos foyers, et ce chiffre ne cessera d’augmenter.

Nous concentrons nos efforts dans deux directions. Avant tout, il est impératif de sortir du discours, c’est pourquoi nous attendons avec beaucoup d’espoir les recommandations concrètes que vous formulerez, mesdames et messieurs les députés. Adoma se préoccupe depuis dix ans des travailleurs vieillissants, mais les tentatives pour améliorer leur sort se sont souvent soldées par des expérimentations sans lendemain, des retards dans le traitement des foyers, parfois même par de fausses bonnes idées. Ainsi à Bobigny, où nous avons accueilli le président de l’Assemblée nationale, accompagné de quelques parlementaires, j’ai refusé d’inaugurer un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) que nous avions réalisé suite à la demande de l’État il y a une dizaine d’années et dans lequel nous avons investi, avec un certain nombre de partenaires, quinze millions d’euros. Cet établissement de quatre-vingt-dix places devait accueillir en priorité des chibanis ; près de 10 000 personnes immigrées âgées résident à proximité étaient donc éligibles. Or, à l’ouverture de l’établissement, seuls trois chibanis, sur quatre-vingt-cinq résidents, étaient présents.

Cette faible proportion de chibanis accueillis montre que, comme toutes les personnes âgées, ceux-ci souhaitent vieillir à domicile – c’est-à-dire dans le logement qu’ils occupent depuis près de quarante ans dans leur foyer ; en outre, l’accueil en EHPAD exigeait d’eux qu’ils versent les quelques économies dont ils disposaient, ce qu’ils ont refusé, préférant les envoyer dans leur pays d’origine.

Nous nous orientons vers des travaux qui nécessitent de faibles investissements mais permettent d’adapter les foyers au vieillissement des personnes. Pour le gestionnaire que je suis, transformer les foyers de travailleurs migrants en EHPAD n’aurait pas de sens car la grande majorité des personnes concernées ne seront plus là dans dix ans, et les personnes qui frappent à nos portes sont essentiellement des jeunes vivant dans la précarité.

J’insiste sur la nécessité de faire en sorte que l’accès aux droits, à la santé et aux services des migrants âgés relève du droit commun. Nous mobilisons pour cela tous les réseaux associatifs de l’aide à domicile. Nous avons signé un accord avec l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (CCAS) et nous nous apprêtons à signer avec l’Association d’aide à domicile en milieu rural (ADMR) et l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA) pour qu’ils interviennent dans les foyers dans des conditions économiques acceptables, sachant que les migrants âgés, dans la mesure où ils ont travaillé au cours de leur vie, sont potentiellement bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA).

Le modèle économique de la SONACOTRA – une chambre de très petite taille au sein d’un foyer comprenant un gardien et un ouvrier de maintenance – était pertinent lorsqu’il s’agissait d’accueillir de jeunes travailleurs qui ne faisaient que dormir au foyer. Cinquante ans plus tard, ce modèle n’a pas changé, mais les personnes, elles, y vivent vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Nous devons donc faire évoluer notre modèle économique et financer des intervenants sociaux, comme nous finançons des compétences internes en matière de maintenance et de gestion locative. Adoma bénéficie aujourd’hui, au titre des résidences sociales, de l’aide à la gestion locative sociale (AGLS), mais celle-ci ne peut être utilisée pour les foyers de travailleurs migrants. Je plaide auprès du ministère compétent la possibilité de mobiliser cette aide et de la mutualiser.

M. Jean-Marie Oudot, directeur général de Coallia. Coallia, association régie par la loi de 1901, ancienne Association pour l’accueil et la formation des travailleurs migrants (AFTAM), a changé de nom en 2012 à l’occasion de son cinquantenaire. Nous gérons actuellement 19 500 lits dans des foyers d’hébergement de travailleurs migrants ou en résidences sociales et nous accueillons 40 % de personnes âgées de plus de soixante ans. Notre spécificité, par rapport à Adoma, vient de ce que nous hébergeons un plus grand nombre de personnes originaires d’Afrique de l’Ouest, dont 36 % ont plus de soixante ans.

En ce qui concerne le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants, sur les 70 établissements ciblés il y a une quinzaine d’années, 70 % sont financés, 90 % seront réalisés dans les cinq prochaines années et 10 % connaîtront des difficultés.

Coallia dispose en outre d’un secteur médicosocial en fort accroissement et développe une importante activité d’accompagnement des demandeurs d’asile.

Notre implication dans le domaine médicosocial, notamment en matière d’accueil des personnes âgées, a conduit l’État à nous demander de tenter l’expérience, à Colombes, d’un EHPAD destiné aux habitants maghrébins. L’opération fut toutefois un échec. Cela ne nous a pas surpris car les résidents maghrébins sont tout aussi réticents que les autres familles à l’idée de s’enfermer dans un établissement accueillant des personnes très dépendantes.

Il y a quelques années, sous la pression de M. Jean-Louis Borloo, le Parlement avait voté un texte qui exprimait la sympathie de la France à l’égard des vieux migrants. Les articles 58 et 59 de la loi instituant le droit au logement opposable, dite « loi DALO », prévoient implicitement la création d’une prestation compensant l’absence de perception du « minimum vieillesse » à l’étranger. Ce dispositif avait été accueilli très favorablement par les adhérents de l’UNAFO, même s’ils regrettaient que l’on cherche à vider les foyers des personnes âgées. Ce texte est resté lettre morte, les fonctionnaires de la direction de la sécurité sociale et du ministère du budget ayant jugé utile de censurer le Parlement. Il faudrait revenir sur ce point. Expliquer à des personnes qui ont travaillé plusieurs dizaines d’années en France qu’elles ont droit à un minimum de prestations serait la moindre des élégances.

M. Richard Jeannin, directeur général de l’Association Rhône-Alpes pour le logement et l’insertion sociale (ARALIS). ARALIS est une association régie par la loi de 1901, essentiellement implantée dans l’agglomération lyonnaise et le département de la Loire. Sa capacité est d’environ 4 200 places en résidences sociales et en foyers. Créée en 1951, ARALIS a d’abord été appelée « la Maison de l’Afrique du Nord », puis « la Maison du travailleur étranger ». Depuis, cette association d’insertion a fait évoluer son patrimoine et son projet social.

ARALIS a toujours été préoccupée par les questions que viennent d’aborder mes collègues. Dans les années 2000, elle a fondé le forum Traces qui visait à mieux comprendre la problématique des vieux immigrés. Cette démarche a servi de base à un grand nombre d’actions, dont la création de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI) et a permis de donner une certaine lisibilité à cette question sociale.

Récemment, nous avons réalisé un diagnostic sur la situation des immigrés âgés et constaté leur isolement, leur précarité et de nombreux problèmes de santé. Ces personnes entrent dans la vieillesse entre cinquante et soixante ans et les cas de perte d’autonomie sont de trois à quatre fois plus nombreux que dans l’ensemble de la population âgée en France.

Face à la flexibilité des modes de vie que nous avons constatée, nous avons, comme d’autres organismes, mis en place des logements en location alternée afin de permettre aux personnes âgées qui le souhaitent de pratiquer des allers et retours entre la France et leur pays d’origine.

Enfin, en matière d’égalité de traitement, nous avons constaté des contrôles abusifs pratiqués par un certain nombre d’organismes de sécurité sociale.

Pour assurer pleinement la prise en charge de la population qui occupe les résidences sociales et les foyers, nous avons intégré la question du vieillissement à notre projet associatif et nous proposons à nos agents des programmes de formation portant sur la prise en charge des décès ou des situations de fin de vie dans les foyers, sur la pratique du culte ou la problématique de la suppression du lieu de culte dans les foyers que nous réhabilitons.

Pour organiser cet accompagnement, il nous faut trouver des solutions satisfaisantes, notamment en impliquant les conseils généraux. Nous disposons, depuis peu de temps, de chargés de mission, financés par le Fonds européen d’intégration (FEI), qui étudient la prise en charge du vieillissement et dont les études préalables et les programmes d’action permettent de répondre aux besoins.

Nous fabriquons, aménageons ou réhabilitons des résidences sociales en adaptant les appartements à la prévention de la dépendance. Nous prévoyons également un certain nombre d’appartements partagés qui permettent, sans tomber dans le communautarisme, de partager les sanitaires et certaines formes d’organisation.

Nous réfléchissons à la façon dont il convient de traiter la santé en tenant compte des spécificités communautaires. Il ne s’agit pas seulement de poser quelques barres d’appui et des bacs de douche à l’italienne, mais surtout d’organiser le réseau de santé en vue d’assurer la prise en charge et la prévention de la dépendance, donc le maintien à domicile, des personnes concernées. Je me permets d’insister sur ce point qui nécessite de déployer des programmes ambitieux avec nos partenaires de droit commun. Nous avons récemment signé des conventions de partenariat avec les centres d’examens de santé (CES) pour qu’ils deviennent accessibles aux personnes immigrées âgées. Dans le même esprit, nous formons 137 de nos salariés, sur un total de 160, à la prise en compte du vieillissement.

S’agissant des inégalités d’accès aux droits, nous entendons prévenir et lutter contre les contrôles abusifs. Certaines situations inacceptables sur le plan humain nous ont amenés à organiser des recours, mais vous disposez en la matière de témoignages significatifs et vous connaissez les propositions du Défenseur des droits.

Pour nous, l’enjeu de ce débat consiste à prendre en compte le vieillissement et le maintien à domicile des migrants âgés, tant sur le plan technique que sur le plan de l’accès aux droits et aux soins. Cet enjeu nécessite une action plus volontariste de la part des collectivités publiques, car, bien que l’accompagnement du vieillissement soit l’une des compétences des conseils généraux, elle ne s’applique pas aux publics que nous accueillons.

En matière d’égalité de traitement et d’accès aux droits, il est regrettable que des personnes qui ont rendu un certain nombre de services à notre nation fassent l’objet d’une forme de suspicion. Il est paradoxal de concevoir une politique publique en portant un regard négatif sur une population qui, comme vous l’avez constaté, ne fait pas beaucoup de bruit.

Enfin, nous sommes plutôt favorables à l’adaptation des logements et à l’organisation du service de droit commun, mais nous ne voulons pas pour autant médicaliser nos foyers, considérant que ce serait le meilleur moyen de laisser mourir à petit feu les personnes qui nous occupent sans leur apporter les services auxquels ont droit nos concitoyens. Il faudra donc accepter de financer le vieillissement des plus démunis, sans le réduire à une problématique qui me paraît d’ordre ethnique.

M. le rapporteur. Je souhaite revenir sur un certain nombre de points en lien avec nos précédentes auditions.

Les représentants des associations que nous avons auditionnés ont pointé des difficultés et des dysfonctionnements relatifs au règlement intérieur, au respect de la vie privée, à la libre circulation, à l’exercice du culte et, plus généralement, à l’association des résidents aux décisions qui les concernent et à leurs droits. D’après différents témoignages, les comités de résidents, créés il y a plusieurs années dans le but de les associer à la gestion des foyers, ne fonctionnent pas, ou bien de manière très aléatoire. Ils ne répondent pas à une véritable volonté d’associer les résidents au fonctionnement de l’établissement et ne leur donnent pas la possibilité de partager un projet social et un projet de vie, sans oublier l’absence de travaux dans les foyers les plus anciens, dont certains sont très dégradés, ni les mauvaises conditions d’hygiène. Depuis peu, selon des propos recueillis dans les foyers de ma circonscription, la sécurité n’y est même plus assurée. Des personnes squattent les parties communes et agressent les personnes âgées, lorsqu’elles ne les rackettent pas. Ce sont des réalités vécues au quotidien par les résidents dans certaines de vos structures.

Longtemps, les foyers de travailleurs migrants sont restés en marge de la société, et de nombreuses communes ne souhaitaient pas les accueillir. Avez-vous le sentiment que cette situation a évolué ? Pouvez-vous citer des communes ou des conseils généraux qui se sont montrés exemplaires en la matière ? Certaines collectivités intègrent ces publics dans les schémas gérontologiques ou prennent en compte leur particularité : quel regard portez-vous sur l’action de ces collectivités ?

La présence auprès des immigrés âgés de leur famille est une question rarement abordée par les intervenants institutionnels, mais il semble que les cas soient de plus en plus nombreux.

Enfin, les intervenants associatifs ont évoqué leur attente en matière de médiation sociale. Existe-t-elle dans vos foyers, et si cela est le cas, chaque foyer dispose-t-il d’un médiateur ? Quelles sont les perspectives de développement en matière de médiation sociale, dont les populations vieillissantes ont besoin face à la complexité administrative ? Il faudra sans nul doute la renforcer dans les années à venir. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Mme Kheira Bouziane. Les conseils de concertation ont-ils été mis en place dans toutes les résidences ? Les résidents sont-ils consultés pour les travaux de réhabilitation ou l’amélioration des services ? Les griefs qui nous ont été rapportés font apparaître que certains services payés par les résidents ne sont pas de la qualité qu’ils sont en droit d’attendre.

Mme Hélène Geoffroy. Je vous remercie, messieurs, pour la qualité de vos exposés.

Comment envisagez-vous le vieillissement dans vos structures ? Si les expériences tendant à créer des EHPAD n’ont pas été très heureuses, quelles sont celles que vous préconisez ? Selon vous, les migrants âgés doivent-ils vieillir entre eux ou au milieu des autres citoyens de la communauté nationale ? Quelle est votre philosophie en la matière ?

Vous avez peu ou prou évoqué la question des contrôles. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Qu’est-ce qui oblige les gestionnaires que vous êtes à conserver le droit d’entrer chez un locataire en son absence ?

Je suis favorable à l’extension des droits sociaux, mais je ne suis pas sûr que les foyers puissent se reposer exclusivement sur les CCAS et les conseils généraux. Les bailleurs jouent un rôle important car ils représentent une communauté pour les résidents et sont souvent leur principal lien institutionnel. Plus que des passerelles, vous devez être de véritables moteurs.

Les rénovations donnent souvent lieu à une demande de restauration collective, mais sa gestion présente un certain nombre de difficultés, d’une part, faute d’acteurs et, d’autre part compte tenu des demandes émises par les résidents qui ne sont pas toujours conformes à la législation sanitaire, voire au droit du travail. Quel est le pourcentage de foyers rénovés pour lesquels un tel projet a abouti ?

Je suis naturellement favorable au fait d’associer les locataires aux décisions qui les concernent, mais je reconnais que cela n’est pas toujours simple et fait parfois du maire de la commune le représentant des locataires. Quelles pistes préconisez-vous pour favoriser l’association des locataires ?

M. le président Denis Jacquat. On évoque parfois la sous-occupation des foyers par les chibanis, du fait notamment de la pratique de la navette. En revanche, il est souvent fait état d’une suroccupation des foyers de populations d’origine subsahélienne, qui sont plus jeunes en général, car arrivées plus récemment en France. Mais cette population vieillit également : à quels problèmes sont confrontées ces personnes, à présent âgées, dans les foyers à très fort taux d’occupation ?

Je confirme que certains problèmes comme la présence de squats dans les foyers sont propres à la région parisienne et n’existent pas en Lorraine et en Moselle.

M. Gilles Desrumaux. L’UNAFO a demandé à un cabinet extérieur de réaliser une enquête sur la gestion locative sociale. Cette enquête s’adresse à 150 établissements en France et porte sur quatre pôles d’investigation : la régulation de la vie collective dans l’établissement, la prévention des impayés, la lutte contre l’isolement et la médiation.

Cette étude montre que l’AGLS, qui a été mise en place en 2000 pour les résidences sociales et qui reste formulée en francs dans les circulaires, n’a pas été réévaluée depuis treize ans, ce qui entraîne une perte de 25 % de pouvoir d’achat. En outre, cette aide n’a pas suivi la montée en charge puisque le nombre de personnes vivant dans des résidences sociales est passé de quelques milliers à plus de 90 000. Nous espérons que les mesures qui viennent d’être annoncées comprendront une aide complémentaire, faute de quoi nos adhérents ne pourront effectuer le travail de médiation.

Notre philosophie est bien de considérer nos établissements comme des domiciles
– il n’y a pas si longtemps, dans de nombreux départements, le bénéfice de l’aide à domicile était refusé aux personnes résidant en foyer. Sur ce point, la loi SRU a posé le socle d’un important changement. La loi considère le foyer comme le domicile des personnes et encadre le contrat de résident et le règlement intérieur, mais la loi a été votée en 2000 et son décret d’application a été pris en 2007. Or, il faut plus de cinq ans pour que les choses se mettent en place.

En outre, notre philosophie tend vers le maintien des personnes à domicile. L’UNAFO a édité à ce titre un recueil de bonnes pratiques pour l’accompagnement et la médiation ainsi qu’un guide du retraité étranger, publié en 2012 et diffusé en plusieurs milliers d’exemplaires.

Les questions concernant les dysfonctionnements en Île-de-France doivent effectivement être pondérées car les personnes d’origine subsahélienne représentent 20 % de la capacité d’hébergement de la région. Les réalités sont totalement différentes en province.

L’instauration de conseils de concertation exige une démarche volontaire dans les foyers de chibanis tant ces personnes ne sont pas habituées à faire des demandes, d’autant qu’on leur a longtemps demandé de se taire.

Nous avons organisé un atelier pour étudier ces questions, en tenant compte des difficultés que nous rencontrons pour mettre en place les conseils de concertation, pourtant prévus par la loi, et de mobiliser les personnes intéressées. Nous organisons des formations pour sensibiliser nos adhérents, et le conseil d’administration de l’UNAFO a adopté des vœux sur la nécessité de développer la concertation.

Si la concertation est inscrite dans notre philosophie, elle bute sur la problématique des foyers subsahéliens en Île-de-France, liée à des questions complexes de suroccupation, d’état des locaux, de personnes en situation irrégulière. Mais n’en tirons pas des conclusions qui vaudraient pour l’ensemble des établissements.

Mme Sylvie Emsellem, chargée de mission à l’UNAFO. Si les constats et les diagnostics sont à peu près partagés, il me semble important de mettre l’accent sur un paradoxe, né de la rencontre d’une approche universaliste et d’une approche culturaliste.

En matière d’accès aux droits, la politique publique qui est menée et les actions concrètes comme le financement du guide du retraité étranger par la DAIC reposent sur le fait qu’il s’agit de personnes éloignées de droits qu’elles méconnaissent. Mais face à la politique publique, il existe des entraves administratives et des contrôles. Je prendrai l’exemple concret des avis d’imposition : l’administration fiscale considère ces personnes comme des célibataires et non comme des personnes mariées, ce qui a des conséquences importantes en termes d’abattement fiscal et d’accès aux droits sociaux.

Le deuxième paradoxe vient de ce que tout le monde souhaite que ces personnes bénéficient de l’accès aux soins et aux services gérontologiques, mais sans prendre en compte le fait qu’elles méconnaissent leurs droits. La prise en compte de ces personnes par les centres locaux d’information et de coordination (CLIC) relève d’une position universaliste. Les conseils généraux et les CLIC s’adressent à tous les publics, leur seul critère étant le niveau de dépendance des personnes. D’ailleurs, la notion même de « service de droit commun » est emblématique, comme si une partie des éléments n’était pas prise en compte par le droit commun.

La difficulté vient de là : nous devons associer un principe universaliste et une approche culturaliste qui tient compte de l’incidence de la culture d’origine dans la demande d’accès de ces personnes aux services gérontologiques et permet de constater qu’elles préfèrent souvent d’autres formes de solidarité et rejettent l’aide à domicile.

Or, pour mettre en place des dispositifs opérationnels, nous ne pouvons nous appuyer seulement sur des principes abstraits. Il faut faire preuve d’un certain pragmatisme.

Cette préoccupation peut-elle être prise en compte dans les schémas gérontologiques compte tenu de la faiblesse des moyens alloués pour financer l’interface entre ces personnes et les services de droit commun ?

M. Bruno Arbouet. Sur des sujets aussi complexes, la situation n’est ni blanche ni noire. Il est clair que nous rencontrons des problèmes spécifiques en Île-de-France, en particulier la suroccupation chronique des foyers accueillant les personnes d’Afrique subsahélienne.

L’ensemble de la profession reconnaît l’exigence croissante de nos résidents à être considérés comme des clients. Les jeunes précaires qui remplacent les chibanis n’acceptent pas les conditions que ces derniers ont acceptées pendant vingt ou trente ans.

Nous reconnaissons en effet que, du fait du retard pris dans le traitement des foyers, certains de nos résidents connaissent des conditions de vie indignes.

On nous parle de restauration collective, de salles de culte, mais nous sommes en République. Concrètement, la restauration collective est gérée par des mafias, qui exploitent des femmes sans papiers et les emploient dans des conditions inacceptables, sans parler des problèmes de sécurité et des responsabilités qui nous incombent. Nous avons tenté de régulariser la situation dans trois foyers, sur les 600 que nous gérons, mais leur modèle économique reste fragile.

Nous sommes gestionnaires de fait de 200 salles de culte, mais, aux termes des lois de notre République, nous n’avons pas vocation à le faire. Certes, il existe une tolérance dans les foyers où résident des migrants âgés qui ne peuvent pas se rendre à la mosquée, et je plaide pour que nous puissions maintenir cette tolérance. En revanche, il n’est pas acceptable que des salles permettant d’accueillir vingt personnes en accueillent en réalité trois cents, voire des milliers.

Pour instaurer un conseil de concertation dans les deux tiers de nos foyers, nous avons dû faire preuve d’un grand volontarisme. Dans le tiers des foyers qui n’en disposent pas, nous avons établi un procès-verbal de carence. Mais les conseils de concertation entraînent certaines difficultés pour les gestionnaires. Dans l’un de nos foyers, situé à Gennevilliers, les opposants au conseil, qui sont pourtant minoritaires, ont publié des articles défavorables dans la presse.

En matière de médiation sociale, Adoma dispose en interne de six cents intervenants sociaux, soit 25 % de son effectif, tous affectés aux demandeurs d’asile qui pourtant ne représentent que 10 % de notre public. Ni les jeunes précaires, victimes de toutes sortes d’addictions, ni les chibanis ne bénéficient d’interventions sociales. Le modèle économique des foyers ne le prévoyait pas. Aujourd’hui, l’AGLS représente 11 millions d’euros. Adoma en reçoit près de 4 millions, ce qui est notoirement insuffisant pour instaurer la médiation sociale ; par ailleurs, les foyers de travailleurs migrants n’y sont pas éligibles. Nous venons de créer soixante postes de médiation sociale. Ce chiffre représente une avancée significative, mais il est notoirement insuffisant.

En bref, je ne nie pas notre responsabilité en tant que gestionnaires, mais notre modèle économique ne permet pas de dégager des marges suffisantes pour financer la médiation sociale dans des proportions acceptables.

M. le rapporteur. Pouvez-vous répondre à notre question concernant le règlement intérieur des foyers et le droit à la vie privée des personnes ?

La spécificité de l’Île-de-France est sans doute une réalité, mais les personnes ont droit à la même considération et à la même dignité, qu’elles habitent en Rhône-Alpes ou en Île-de-France.

M. le président Denis Jacquat. Notre collègue Jean-Christophe Lagarde a en effet posé une question importante sur le fait que les gestionnaires ont le droit d’entrer dans les chambres des résidents. Il est paradoxal d’interdire à une personne de la famille du résident de vivre temporairement avec lui tout en laissant s’installer des personnes dans les escaliers et les espaces communs.

M. Jean-Marie Oudot. L’autonomie et la non-accessibilité du logement privé relèvent du règlement intérieur. Dans les logements individuels gérés par Coallia, la visite sans autorisation du résident est strictement interdite, et c’était déjà le cas il y a vingt-cinq ans dans les foyers de la SONACOTRA. Le bruit qui circule selon lequel le gestionnaire peut accéder à tout moment aux logements est une vue de l’esprit.

M. le président Denis Jacquat. Il est bon de vous l’entendre dire, car certaines personnes que nous avons auditionnées nous ont affirmé que le gestionnaire pouvait pénétrer dans les chambres à sa guise, et cela vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

M. Jean-Marie Oudot. Reconnaissons qu’en tant que locataires d’un appartement en ville, nous admettrions difficilement que quelqu’un entre chez nous pour vérifier qui habite avec nous. Les associations de défense des immigrés expriment une gêne face à nos règlements intérieurs qui, conformément à la loi, prévoient la déclaration à l’accueil de tous les habitants occasionnels. À titre personnel, je ne serais pas opposé à la modification du décret, mais dans ce cas les gestionnaires ne seraient plus responsables des conditions d’occupation des établissements. La suroccupation des établissements accueillant des résidents originaires du Mali ou de Mauritanie, y compris dans les zones non tendues, a des raisons culturelles car ils sont obligés d’accueillir leur famille lorsque celle-ci est présente.

Pour nous, la suroccupation des locaux est un problème car elle provoque des surconsommations, mais nous pensons qu’elle cessera d’elle-même dès lors que les personnes jugeront qu’il est préférable de vivre seul dans 18 mètres carrés. L’usure accélérée des bâtiments me semble poser un problème plus grave. Il est facile de dire que nous n’accomplissons pas correctement notre service, mais je vous invite à visiter quelques foyers, vous comprendrez qu’il n’est pas toujours facile de respecter deux principes qui s’opposent, à savoir le respect légitime de la vie privée et le maintien de la sécurité des bâtiments.

M. le rapporteur. Le respect de la vie privée est plus que légitime puisqu’il est prévu par les conventions internationales.

M. Jean-Marie Oudot. Le décret dispose que le résident a le droit d’héberger une personne externe mais qu’il doit la déclarer au gestionnaire. Si l’État a prévu cette disposition, c’est bien qu’une frange de ses représentants, notamment celle qui dépense tout l’argent du plan de traitement des foyers, juge nécessaire de freiner la suroccupation de nos établissements.

Dans les foyers gérés par Coallia, le taux des conseils de concertation est proche de 90 %, simplement parce que beaucoup de nos foyers accueillent des résidents d’origine malienne avec qui il est plus facile de monter des projets collectifs. Convaincus qu’il est préférable d’accueillir des personnes avec qui nous pouvons discuter, nous défendons naturellement la mise en place de conseils de concertation. Mais leur élection n’est pas toujours facile. Un certain nombre de mairies, dont la Ville de Paris, font la promotion des conseils et les défendent avec force, jusqu’à obliger les gestionnaires à les mettre en place, mais les conseils sont quelquefois contestés par les élites des communautés. Je rappelle que dans les entreprises françaises, lors des élections professionnelles des institutions représentatives, le taux de participation atteint à peine 50 %. Conscients de cette difficulté, nous envisageons d’organiser une élection pour l’ensemble des établissements. Celle-ci se déroulerait sur une journée et pourrait être transformée en événement festif.

M. Richard Jeannin. Les taux de participation ne sont pas aussi élevés dans les foyers gérés par ARALIS. Malgré notre politique volontariste en la matière, les conseils de concertation connaissent une activité fluctuante, à l’instar des associations. Je pense comme mes collègues qu’il faut favoriser le contact avec les représentants des résidents à chaque fois qu’il est possible, mais nous préférons une démarche visant à nous assurer de la qualité du service rendu aux personnes, ce qui passe par des sondages sur des sujets comme la qualité du service ou la médiation sociale.

Si je puis m’autoriser une boutade, quelqu’un a regretté tout à l’heure que certains services payés ne soient pas rendus, mais à partir d’un certain niveau d’intervention sociale, même s’ils n’apparaissent pas sur les lignes budgétaires, les services rendus ne sont pas toujours payés. C’est pourquoi nous devons revoir notre modèle économique.

Enfin, notre association n’entend pas laisser les migrants vieillir entre eux, mais plutôt optimiser les services rendus à la population dans les foyers en mobilisant nos partenaires. Nous pourrions utiliser l’ASPA pour les appartements partagés car il est plus rentable de déplacer un prestataire dans un logement partagé, ce qui bénéficiera à quatre ou cinq résidents, que de déplacer vingt prestataires dans vingt logements différents. Il faut faire évoluer notre modèle économique pour développer les services à domicile et les services infirmiers, sans pour autant médicaliser les logements.

M. Gilles Desrumaux. C’est à juste titre que cette question de droit vous préoccupe. Nous suivons pour notre part les recommandations d’une note établie par M. Jean-Philippe Brouant avant la parution du décret d’application de la loi SRU de novembre 2007 et qui pose les principes d’une réglementation particulière pour les logements en foyer de travailleurs migrants, les résidences sociales, les pensions de famille. Cette note tient compte de l’équilibre difficile qu’il convient de trouver entre le respect de la vie privée et les nécessités de la vie collective. On ne peut nous reprocher dans le même temps la suroccupation des établissements et le fait d’intervenir pour réguler a minima les conditions d’occupation. En matière de règlement intérieur, la notion de clause abusive qui relève du droit commun doit s’appliquer. L’UNAFO, en tant qu’union professionnelle, recommande à ses adhérents de s’y conformer.

Il s’agit d’une question juridique complexe. J’ai demandé au ministère du logement d’actualiser cette note que nous utilisons très souvent dans la gestion de nos établissements, mais il n’y a pas d’un côté des résidents et de l’autre des gestionnaires qui chercheraient à réduire leurs droits. Les gestionnaires ont le souci de sortir les foyers de travailleurs migrants de la situation d’isolement dans laquelle ils ont été relégués pendant de nombreuses années. Cela passe par la mise en œuvre du plan de traitement des foyers et leur transformation en résidences sociales. Ce plan témoigne du passage d’une politique fortement nationale à une politique largement décentralisée puisqu’il prévoit l’élaboration d’un projet social et la création d’un comité de pilotage regroupant notamment les élus de la commune et du département. Ce partenariat permettra d’inscrire les résidents dans le droit commun.

Mme Kheira Bouziane. Je ne suis pas satisfaite de la réponse concernant les services payés et non rendus. Ce n’est pas parce que des services relèvent de la gestion globale de la structure qu’il faut accepter qu’ils ne soient pas satisfaits.

M. Jean-Marie Oudot. Je n’ai pas dit que nous ne voulions pas remplir nos obligations, madame, mais est-il opportun de faire peser sur la redevance le prix du service que nous rendons ? En d’autres termes, les pauvres doivent-ils payer le service qui pourrait les sortir de la pauvreté ?

M. le président Denis Jacquat. Monsieur Arbouet vous avez souhaité nous parler d’une question spécifique. Aussi, nous vous redonnons la parole.

M. Bruno Arbouet. J’ai souhaité en effet vous faire part d’un problème spécifique à Adoma. Il y a en effet un décalage entre l’ambition que nous avons de rattraper le retard dans le plan de traitement des foyers et la situation dans laquelle se trouvent les chibanis. Comme je vous l’ai dit, nous allons engager des travaux à hauteur de 1,3 milliard d’euros sur une période de dix ans pour réhabiliter ou reconstruire un tiers de notre parc. Toutefois, force est de constater que de nombreux chibanis auront disparu d’ici là. Aussi, la question qui se pose est celle de la possibilité d’accélérer le plan de traitement, plus particulièrement en faveur des foyers accueillant des chibanis. Une solution serait que l’État multiplie par deux les subventions à destination d’Adoma mais cela n’est bien évidemment pas réaliste dans le contexte économique actuel.

Aujourd’hui, lorsque nous investissons cent euros, l’État ainsi que les collectivités territoriales participent à hauteur de quinze euros – il y a trois ans, la participation de l’État s’élevait à vingt-deux euros –, la Caisse des dépôts et consignations participe à hauteur de soixante euros (prêt action logement) et le reste (entre dix et vingt euros) est à la charge d’Adoma.

Si l’on veut accélérer le plan de traitement des foyers, peut-être que l’effort supplémentaire doit être consenti par Adoma. Une des hypothèses possibles serait que la Caisse des dépôts et consignations acquière davantage de part de capital et que l’État dispose de moins de 51 %. Sans aucune remise en cause des missions de service public exercées par Adoma, la répartition du capital serait modifiée. Le législateur a voté la possibilité pour l’État de détenir entre 33 % et 51 % de notre capital.

Avant que ce sujet soit traité par les actionnaires principaux, la question de la feuille de route d’Adoma devra être posée. Les deux grands sujets sont ceux des jeunes en situation de précarité et des vieux travailleurs migrants. Alors que pour les jeunes, le logement proposé par Adoma n’est qu’une passerelle, une étape, pour les chibanis, cela représente un domicile dans lequel ils vont vieillir.

M. le président Denis Jacquat. Cela est très clair. J’ai lu le rapport de la Cour des comptes et suivi l’évolution historique d’Adoma. La question que je me pose est la suivante : les autres bailleurs ont-ils eu une même pression de la part de l’État pour accueillir des jeunes en difficulté, des demandeurs d’asile, etc. ? Cela complique bien entendu les missions du bailleur. Comme vous l’avez indiqué, le médiateur social chargé de s’occuper de jeunes en difficulté et de migrants âgés accomplit des missions très diversifiées.

M. Bruno Arbouet. Aujourd’hui, nous sommes devenus le premier opérateur de la demande d’asile – nous représentons 8 000 places sur un peu plus de 20 000. Il est toutefois évident que les places pour demandeurs d’asile sont situées dans les territoires où la demande de jeunes précaires est faible et où les migrants âgés sont peu nombreux.

M. le président Denis Jacquat. Ces logements demeureraient en effet vides si vous ne les utilisiez pas à cette fin.

M. Bruno Arbouet. C’est effectivement le cas en Lorraine, et dans une moindre mesure, en Rhône-Alpes.

Encore une fois le sujet des chibanis doit être résolu rapidement car dans dix ou quinze ans, il sera trop tard. La médiation sociale est importante mais le sujet central reste l’accélération du plan de traitement. Ceci bénéficiera en priorité aux chibanis mais aussi aux autres publics, notamment les jeunes en situation de précarité.

M. le rapporteur. Je crois que vous avez parfaitement exprimé le décalage entre les projets d’Adoma et la réalité de la situation des chibanis. Bien évidemment, il n’est pas possible de faire en deux ou trois ans ce qui aurait dû être fait en dix ou quinze ans. Ce qui est mis en cause est davantage l’histoire et les évolutions que la situation actuelle d’Adoma. En tout état de cause, il faut conduire une réflexion globale, décloisonnée.

J’entends bien ce que vous dites sur les marges de manœuvre dont Adoma doit disposer si elle souhaite accélérer le plan de traitement des foyers en cours. C’est un des éléments sur lesquels la mission pourra peut-être faire des propositions. Je souhaiterais ajouter qu’une période de dix ans est vécue très différemment selon que l’on a un emploi ou que l’on est à la retraite ou en fin de vie. Aussi, je crois qu’il faudrait réaliser un diagnostic afin de savoir où se trouvent les populations les plus âgées et mettre en place un plan d’urgence dans les foyers concernés. Pour les populations fragiles et âgées, qui vivent aujourd’hui dans des conditions très difficiles, le plan de traitement à dix ans ne peut pas être présenté comme une avancée. C’est un argument qu’elles ne peuvent entendre. C’est pour cela qu’il faudrait adosser aux investissements stratégiques en cours un plan d’urgence pour remédier aux situations les plus problématiques. Ce plan pourrait être ciblé sur les foyers d’Île-de-France, qui connaissent une situation très particulière que l’on ne retrouve pas véritablement dans d’autres régions. Il faut faire davantage là où les besoins sont les plus importants.

M. Bruno Arbouet. Nous sommes tout à fait d’accord. Adoma représente 70 % du secteur du logement accompagné : nous sommes donc en mesure d’entraîner l’ensemble du secteur. Il me semble que la feuille de route d’Adoma devrait identifier cette urgence et prévoir en conséquence l’accélération du plan de traitement des foyers.

La séance est levée à seize heures cinquante.

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Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 28 février 2013 à 14 heures

Présents. – M. Alexis Bachelay, Mme Kheira Bouziane, M. Sergio Coronado, Mme Hélène Geoffroy, M. Denis Jacquat, M. Jean-Christophe Lagarde

Excusés. – M. Philippe Bies, M. Matthias Fekl, M. Dominique Tian, M. Daniel Vaillant